UNIVERSITE ALEXANDRU IOAN CUZA Ia și, Roumanie [618550]
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UNIVERSITE "ALEXANDRU IOAN CUZA" Ia și, Roumanie
co – tutelle UNIVERSITE PARIS EST – CRETEIL, Paris, Fance
Thèse de doctorat
Multi culturalité francophone et corporalité dans la littérature féminine du
XXème siècle
Anaïs Nin , Abla Farhoud, Ying Chen, Nel ly Arcan
Présentée par: Dirigée par:
Mădălina Camelia Ținteia (mar. Ingram) Prof. Univ. Dr. Marina Ionescu Mureșanu
Prof. Hdr. Sylvie Jouanny
Jury:
Président:
Rapporteur:
Examinateurs:
Année universitaire : 2016
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Introduction
Diversité multiculturelle, francophonie et les études de genre
Ayant comme prémisse l’idée que l’écriture féminine est différente de l’écriture
masculine, Virginia Woolf a ab ordé dans ses œuvres la mentalité « androgyne » plutôt parce
qu’elle est naturellement une intellectuelle créatrice ; de même, on peut affirmer qu’elle utilisait
le syntagme écriture féminine , en mettant l’accent sur l’aspect sensible et mystérieux.
Le m ystère qui caractérise par ailleurs l’écriture féminine est apparemment ce qui
manque à l’écriture des hommes. La quête qu’elle mène est un argument pour l’authenticité, pour
l’honnêteté de l’écriture, pour l’inconvénient d'être réduite –en tant que femme – à quelques
rôles qu'elle aurait joués dans la société. Les femmes écrivent: elles commencent à avoir de la
voix, elles mettent le point sur les thèmes les plus importants de la littérature: la solitude, le
manque de compréhension, les problèmes qu'une f emme a face à la maternité, mais aussi face au
couple et aux problèmes du couple, les sacrifices qu'elle veut faire pour sauvegarder sa vie de
famille, les aspects sociaux, l'étrangeté et aussi le processus migratoire de l 'exil pour ce qui est
des écriva ines québécoises, voilà des thèmes qui font l 'univers féminin de l 'écriture féminine.
J 'ai choisi pour cette analyse les écrits de quatre femmes écrivains qui viennent d'espaces
différents, qui proviennent de cultures différentes, avec un passé diff érent et ayant des
formations différentes, cinq femmes écrivains qui mettent l’accent, dans le contexte du
multiculturalisme qui caractérise le XXe siècle, sur l’appartenance à un certain type de
littérature, notamment, la littérature féminine, ayant des t raits distinctifs, avec des accents qui
viennent d'un sentimentalisme exacerbé , calme, sensible et choquant en même temps, dans le cas
de l’être féminin, auteur et personnage de la littérature érotique: Anaïs Nin, Abla Farhoud, Ying
Chen et Nelly Arcan. Le trait qui les unit sur l’axe imaginaire du temps c’est l’écriture. Ces
écrivains femmes montrent leur désir de surmonter la condition de la femme, épouse ou mère,
maîtresse parfois. Les réalités de ces femmes, le plus souvent des réalités funestes, sont mieux
perceptibles que les réalités révélées par les hommes du fait que dans leur écriture se crée
l’empathie comme caractéristique révélatrice et définitoire de leurs œuvres, grâce à laquelle le
lecteur peut facilement pénétrer dans l’univers intérieur de leurs personnages féminins. Il me
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semble qu’étant plus négligés par la critique littéraire – faite presqu’uniquement d’ouvrages
masculins, de points de vue et de repères masculins – il était en quelque sorte de mon devoir de
souligner l’importance, pour l a société où nous vivons, de ces écrits. Comme ces femmes
écrivains appartiennent à des cultures non occidentales, l’intérêt de pénétrer dans leurs univers,
intime ou non, est d’autant plus grand. A l’époque de la mondialisation, méconnaître une partie
majeure de la création humaine me semble être une faute grave, et quand j’affirme cela je me
rapporte surtout au manque de rapports culturels entre les pays européens de l’Est et le monde
oriental. La migration arabe en Europe devenant de plus en plus importa nte du jour au
lendemain, il me semble que méconnaître son proche, quel qu’il soit, c’est le juger mal. Voilà
pourquoi j’ai estimé être de mon devoir une telle approche.
Soulignons -en quelques caractéristiques: ces écrits se présentent sous la forme d’une
œuvre littéraire qui prend la forme d'un journal intime, féminin, fait de pensées, sentiments,
frustrations personnelles; on y trouve une analyse psychologique et une manière honnête et
abusive à la fois de chercher, par l’intermédiaire de l'introspection , une réalité personnelle, qui
gère finalement une vérité universellement valable: en cherchant l 'être intérieur, l' écriture
féminine est un glossaire d’une architecture de l’âme avec tous ses secrets, très adaptable,
susceptible de prendre plusieurs for mes.
Vivant dans des sociétés différentes, subissant l’influence de différents modèles de vie
sociale et culturelle, quatre femmes écrivains différentes comme typologie de l’écriture utilisent
une même langue, celle de la vie solitaire, du mariage, de l’ adultère, de la souffrance et du
bonheur. Ce sont de grands thèmes, universellement traités, réunis dans leurs œuvres.
Dès les premières tentatives des années '20, '30, l'écriture féminine occidentale,
soulignons -le, est dans un éternel processus de chan gement dont l’introspection et l'analyse
psychologique deviennent les caractéristiques les plus importantes de l’épique féminine.
En même temps, le XXe siècle fait entendre une voix plus particulière et bien forte des
femmes écrivains, à l’aide de la cré ation de l’individuel par rapport à l’altération culturelle au
cours de l’intégration à une autre culture. C’est le cas des littératures arabes, chinoises,
africaines.
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A partir du mouvement du féminisme, à commencer par Le deuxième sexe de Simone de
Beauv oir, les femmes ont lutté contre le radicalisme du monde des hommes, et contre l'idée que
la femme doit leur être subordonnée. La lutte pour l’égalité entre les deux sexes a commencé
bien plus avant, avec la lutte pour donner aux femmes la possibilité de v oter et d'autres droits que
les femmes n'ont pas eus au cours de l’histoire. L'image de la femme étant avant tout une
construction sociale, comme le montre Simone de Beauvoir, la femme devrait être un individu
neutre ou un sujet neutre, vu que cette image est aussi une question historique et non pas une
question de sexe.
Notre thèse essaie de montrer que quelles que soient les périodes historiques, que l’on
parle des années 1950, 1960 – la période d'Anaïs Nin – ou bien de la période contemporaine où
ont é crit Abla Farhoud, Ying Chen et Nelly Arcan, les problèmes concernant l'étrangeté et
l’aliénation de l'âme féminine, de même que les soucis concernant la famille et la maternité,
l’existence du langage corporel sont évidents à toute époque.
Julia Krist eva, dans son essai de 1988, Étrangers à nous -mêmes, a essayé de mettre en
évidence l'étrangeté comme sentiment, plus évident dans l'âme féminine que dans celle
masculine, et la nécessité d'accepter ce sentiment comme caractéristique de notre nature
humain e. La théorie de l'étrangeté est à la base de notre thèse qui va montrer que quelle que soit
la période historique à laquelle les écrivains appartiennent, à part la situation économique et
malgré leur héritage culturel, l’univers féminin est le même et con tinue à être pareil même à nos
jours.
o « Etrangement, l’étranger nous habite: il est la face cachée de notre identité, l’espace qui
ruine notre demeure, le temps où s’abîment l’entente et la sympathie » 1
Julia Kristeva se demande si on peut vivre avec le s autres, dans les sociétés modernes (la
situation des écrivaines migrantes est bien plus évidente dans la littérature canadienne où les
écrivaines migrantes ne sont considérées canadiennes que lorsqu’elles passent la frontière du
1 Julia Kristeva, Étrangers à nous -mêmes , 1988, Librairie Arhème Fayard , en ligne,
https://ia600305.us.archive.org/28/items/JuliaKristevaEtrangersNousMMmes1988/Julia%20Kristeva –
Etrangers%20%C3%A0%20nous -m%C3%AAmes%20(1988).pdf
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Canada, à l'intérieur d u pays étant estimées conformément à leur origine, d'où qu’elles viennent).
Rappelons le problème concernant L’Autre, qui dans les sociétés primitives est vu
comme ennemi, la question qui nous intéresse est de savoir si l’Autre est considéré comme un
enne mi dans les sociétés où nous vivons à présent.
L'étrangeté est le thème le plus important dans tous les romans de ces quatre écrivaines.
L'étranger est la personne sans pays, qui oscille entre deux mondes, n'appartenant vraiment à
aucun, souvent n'ayant à soi aucune langue, ayant perdu son origine et restant pour toute sa vie
un déraciné. L'étranger ressent la transition entre deux mondes pour toute sa vie: ayant dans son
âme une culture originaire différente, il est condamné à vivre une autre vie et se conformer aux
règles qui ne sont pas siennes.
Les femmes écrivains ont transféré leur malaise dans un présent qui doit être vécu.
L'étranger ou la femme étrangère est sans foyer ; même Anaïs Nin sent qu'elle est sans foyer,
bien qu’elle ne soit pas de l a catégorie des écrivaines migrantes, mais elle assiste à un
changement de perception, car elle a des masques qu'elle doit afficher toujours, et qu'elle doit
falsifier , transformer, transposer , d'une certaine manière, la réalité où elle vit.
En même tem ps, dans cette thèse, je me propose de faire une extension de mon plan de
recherche à la littérature francophone, de mettre l’accent sur la nouveauté d’une telle recherche,
en démontrant que, dans le contexte du changement culturel et de l’adoption des mod èles
multiculturels, l’écriture féminine migrante essaie de peindre une image qui, le plus souvent,
même au XXe siècle, peut tomber très facilement en désuétude. Ces quatre femmes écrivains
sont unies par la langue utilisée (le français) et par le modèle c ulturel emprunté. La base du
modèle culturel est toujours différente, car elles viennent de cadres/ sociétés différents. Laissant
en arrière le modèle culturel originaire, leurs personnages se trouvent souvent dans des
hypostases d'inquiétude, d’étranget é, des situations pas nécessairement faciles, pour s'adapter à
un nouveau modèle culturel et pour essayer de survivre dans de nouvelles conditions.
J’essaierai d’identifier les particularités de quatre environnements différents, dans une
étude comparative , la méthode utilisée étant la mise en plans parallèles de plusieurs œuvres.
J’essaierai aussi d'analyser les différences les concernant du point de vue socioculturel,
mais aussi de point de vue psychologique, économique, politique, mettant fa ce à face les réalités
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qu’elles ont connu auparavant et celles au milieu desquelles elles vivent à présent, dans les pays
d’accueil.
Je me suis dit que si on se réfère au portrait de la société francophonie canadienne qui
existe en minorité sur le territo ire du Canada, on doit faire appel aux années 1991, quand la
francophonie y était minoritaire et comptait presqu’un million de personnes qui parlaient et
utilisaient la langue française.
o « (3,6 % de la population canadienne) qui se répartissaient comme su it: la moitié
(51, 6% en Ontario, le quart (25%) au Nouveau – Brunswick, 5,3% en Colombie –
Britannique, 5,8% en Alberta, 5,2% au Manitoba, 3,8% en Nouvelle – Ecosse,
2,2% en Saskatchewan, et moins de 1% dans les quatre autres provinces et
territoires »2
Dans le premier chapitre, La francophonie, le multiculturalisme -source de diversité
culturelle, on essaie de relever la question de la francophonie, très importante dans notre cas à
cause de ces quatre écrivaines de langue française, qui renoncent à leur cul ture d’origine et qui
essayent de trouver un autre monde au Canada. C'est aussi la littérature de migration qui est
envisagée par les trois écrivaines migrantes, comme elles sont considérées: Abla Farhoud, Ying
Chen et Nelly Arcan. La culture originaire do nne accès à un processus transculturel très
important suite à l'immigration, enrichissant les sociétés nouvelles avec des coutumes et des
aspects culturels nouveaux. En 1980, Pierre Nepveu introduira pour la première fois le concept
d'écriture migrante, ma is il va analyser aussi les concepts d'interculturel, transculturel, métisse et
hybride dans le chapitre qui va montrer les aspects de multiculturalisme, de transculture et
d’interculturalité, comme possibilité d'enrichir une autre culture à l 'aide des cu ltures originaires,
comme c’est le cas dans l’analyse que nous allons faire.
Nous devons préciser que la littérature migrante est un type de littérature spécifiquement
canadienne, on pourrait dire, à cause d'une vague d'immigration permanente qu’a connue ce
territoire. Les Canadiens ont été plus ou moins hostiles à ces vagues d’immigrants. C’est, il
2 Francophonie minoritaires au Canada/L 'état des lieux , sous la direction de Joseph Yvon Thériault, Les Editions
d'Acadie, 1999, Moncton, Canada, pg. 25
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paraît, ce qui arrive à présent dans l’Europe occidentale, intriguant certains, mécontentant les
autres, mais provoquant, à coup sûr, des changements irrévers ibles sur le territoire européen.
C’est ce qui explique notre intérêt pour ce sujet. Si, d’un côté, les esprits s’acharnent à défendre
les valeurs européennes et à ne pas dissimuler le mécontentement général concernant l’incapacité
de la plupart des immigr és à s’intégrer, leur manque de bonne -volonté, soi -disant, quant à nous,
on essaie de percer les secrets de ces âmes fragiles qui sont les migrantes féminines pour voir, à
travers les écrits de ces femmes écrivains, en quoi consiste leur fragilité, leurs d éboires et leur
impossibilité de se faire comprendre par la nouvelle société.
Dans le premier chapitre, La francophonie, le multiculturalisme francophone – source de
diversité culturelle, on essaie de relever aussi le phénomène de l'altération. L'altérité culturelle à
Québec est due au phénomène de l'émigration qui est très important dans ce pays. C'est
l'influence transculturelle qui est responsable de cette altérité, dérangeante en même temps
qu'enrichissante, c'est aussi le résultat de ce qu'on appelle le choc culturel, mais elle est due aussi
aux différences de mentalité entre les générations. L'altérité doit être acceptée comme principale
caractéristique du Canada postcolonial.
Me voilà donc très intéressée par la littérature de migration dans le cas des écrivaines
canadiennes, parce que la migration donne des informations très importantes concernant les
échanges entre les différentes cultures.
o « Visant à parvenir à un équilibre social – certes fragile – qui concilie respect du pluralisme
et de la dive rsité, « l'interculturalisme » (souligné par nous) propose un arbitrage des
différends pouvant surgir dans la dualité entre majorité et minorités issues de
l'immigration, tout en permettant l'intégration de cette société d'accueil remodelée autour
de valeu rs et symboles partagées »3
La nécessité d'intégrer les immigrants dans la société canadienne est conçue comme une
nécessité d'intégrer aussi leur culture. Mais dans le cas de nos écrivaines, on a certainement un
3 Claude Hauser, Montréal, 8 août 2013, dans Sociétés de migration en débat Québec – Canada – Suisse: approches
comparées , sous la direction de Claude Hauser, Pauline Milani, Martin Paquet, Damir Skenderovic, Edition Presses
de l'Université Laval, Société jurassiennes d’Emulation, Canada, 2013, pg.3
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problème réel, car le sentiment d'étrangeté , conformément à la théorie de Julia Kristeva, vous
marque pour la vie, étant exploité dans les romans de ces écrivaines comme source principale
d'altérité culturelle et de malchance à la fois, de solitude, de regret, le sentiment de n'être pas
comprise pa r la société et de n'appartenir à aucun temps, à aucune société, à aucune culture.
Le thème de la migration et la littérature de migration sont liés aussi au thème de
l'identité d'une personne migratoire et à celui de sa correspondance dans la constructio n de cette
identité et de cette image. L'identité d'une écrivaine migrante est spécifiquement ou
principalement l'identité originaire, liée à sa nationalité originaire et aussi, par le fait migratoire,
elle est liée à une mutation culturelle perpétuelle. L a migration met l'accent sur le problème de la
nation, parce que, dans un pays assez divers et multiculturel, on ne peut pas parler de ce qu'on
appelle "nationalité", comme c’est le cas d'autres nations. L'identité canadienne est transposée et
transformée à cause des transferts culturels multiples et du phénomène d'acculturation.
Pour le phénomène migratoire, l'approche culturelle signifie, notamment, comment les
lecteurs reçoivent, transfèrent et réalisent la médiation dans le processus de communication . Lié
à la littérature migratoire, on aura la possibilité, dans le deuxième chapitre, d'explorer un principe
très important, celui de particularité, d’identité, dans le phénomène d'universalité montré par la
culture. Les traditions, les sensibilités et les mentalités, les émotions de chaque habitant de
n'importe quelle société, sont des caractéristiques plutôt personnelles, qui donnent la spécificité
des individus, or le phénomène migratoire n'arrive pas à résoudre de tels problèmes d'identité,
car l'interc ulturalisme, face au multiculturalisme, va altérer la culture originaire de tout un
chacun.
La réalité ethnoculturelle est notamment structurée d'après quelques paradigmes, quel que
soit le type de société dont on parle. Ainsi, on aurait :
o le paradigme d e l'homogénéité: le concept de culture unitaire, jusqu'au mélange d'autres
cultures, jusqu'à l'assimilation de toutes les cultures dans une seule.
o le paradig me de la mixité (surtout dans l 'Amérique latine) – la diversité se résorbe à cause
des métissages, donnant naissance à une nouvelle culture
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o le paradigme de bi ou multipolarité (en Belgique ou Suisse plutôt) – nations qui se
composent de pôles différents, mais à la condition qu'une culture ne soit pas assimilée par
l’autre.
o le paradigme de diversité (s’ y inscrit Québec et en même temps le Canada, avec la
littérature conforme à ce sujet) – ce paradigme est à la base du multiculturalisme et d'une
nouvelle ligne en littérature – la nation est considérée comme une pluralité d’individus
ayant les mêmes droits et la liberté de vivre en gardant leur propre culture, une
coexistence naturelle dans laquelle les différences sont acceptées et partagées entre les
habitants d'un pays.
o le paradigme de la dualité – les réalités d'une nation sont perçues comme deux point s:
Eux- Nous, c'est la signifiance d'un rapport entre la majorité et la minorité (le cas des
francophones au Canada – et surtout au Québec – qui sont minoritaires comparés aux
majoritaires); la dualité se reflète dans l'opposition des valeurs, traditions, l es cultures
originaires des immigrants qui sont perçus d'ailleurs comme pas compatibles avec les
structures culturelles de la société d'accueil. 4
Le paradigme de la dualité nous donnent l 'interculturalisme qui est très important pour la
littérature migr ante, mais l 'interculturalisme, en lui – même ne conduit pas à ce type de dualité et
ne crée pas ça. D’autre part, l'interculturalisme a pour objectif de diminuer le rapport de dualité
entre les cultures.
Lié au phénomène de multiculturalisme, l'intercul turalisme respecte la diversité mais en
même temps l'individualité de chacun, le concept est enraciné premièrement dans le paradigme
de la dualité, mais principalement sa structure est entre une majorité culturelle et de diverses
minorités et l'objectif et le but finale de l'interculturalisme est d'atténuer la dualité qui existe entre
Eux- Nous et qui est le principale danger en ce qui concerne l'individualisme. L'interculturalisme
est tout à fait d'accord à la réalité des cultures majoritaires/ minoritaire s qui existent dans une
4 Sociétés de migration en débat Québec – Canada – Suisse: approches comparées , sous la direction de Clau de
Hauser, Pauline Milani, Martin Paquet, Damir Skenderovic, Edition Presses de l'Université Laval, Société
jurassiennes d’Emulation, Canada, 2013, pg.11
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société. La société canadienne a compris qu'il y a la nécessité de coexister à l'intérieur de
Canada, avec d'autres cultures; c'est pour ça que dans ce cas l'interculturalisme favorise de plus
l'interaction humaine et la connexion h umaine, l'échange entre cultures et l'approchement entre
personnes, le but final est l'intégration dans la société et éloigner la discrimination, les
stéréotypies et aussi l'exclusion des personnes qui viennent d'autre temps et d'autres sociétés.
L'inter culturalisme cultive les valeurs communes d'autres sociétés d'origine et aide à les
insérer dans la nouvelle société, mais respecte aussi les droits individuels des autres. L'exemple
personnel de ces écrivaines qui viennent des cultures différentes est val ide pour montrer les
aspects de l'interculturalisme.
La problématique de l'interculturalisme est très importante parce qu'elle assure la
formation d'une culture commune, même si les différences existent. La culture canadienne peut
être considérée comme u ne culture commune, ayant quelques caractéristiques: son but est de
servir à l'intégration, permettant aux personnes de s'exprimer, de conserver et de mettre en valeur
la diversité, de favoriser l'harmonisation entre Eux – Nous; la culture commune offre la possibilité
de conserver l’individualisme et aide chaque individu de s'intégrer dans la société.
o « En conséquence, on pourrait dire que la culture sociétale se compose de trois trames
étroitement entrelacées et en mouvement constant: la culture majoritair e, les cultures
minoritaires et la culture commune. (…) Ces trois trames comprennent certes des noyaux
durs, mais on y trouve aussi beaucoup de fluidité, d'interpénétrations, de demi -teintes. » 5
L'interculturalisme reconnaît les autres cultures, les cu ltures minoritaires et aide à la
préservation de leurs droits et de l'identité des personnes. Quand on parle de l'interculturalisme
québécois et du multiculturalisme canadien, on parle davantage du rejet de l'exclusion et aussi du
rejet de la discriminatio n. Le pluralisme dans une société donne le multiculturalisme, et dans le
premier chapitre, on va voir ce que signifie aussi l"Hommo communautarius".
5 Sociétés de migration en débat Québec – Canada – Suisse: approches comparées , sous la direction de Claude
Hauser, Pauline Milani, Martin Paquet, Damir Skenderovic, Edition Presses de l'Université Laval, Société
jurassiennes d’Emulation, Canada, 2013, pg.14
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Le métissage culturel assure donc la diversité dans la littérature, aspect qui nous intéresse
particulièr ement, et cette diversité culturelle et littéraire est une des caractéristiques de la société
canadienne.
o « Avec la décennie 1990 et au cours des années 2000, est apparue une préoccupation
croissante pour la cohésion collective, pour l'interaction et les valeurs communes, pour la
formation (ou la consolidation) d'une appartenance et d'une identité canadienne. Cette
préoccupation débordait le cercle des intellectuels et des politiciens; une analyse de
sondages réalisés depuis 1983 montre une croissance des appuis à une politique qui
viserait l 'intégration des immigrants à une culture canadienne forte »6
La société québécoise est vue dans la vie mais aussi dans les romans qu'on va analyser
comme une société d'accueil. Le développement d'un sentiment d'appar tenance existe comme
caractéristique de l'interculturalisme. Le sentiment d'appartenance n'existera pas dans le cas des
écrivaines qui viennent de Liban et de Chine. A part le multiculturalisme, on découvre l'intérêt à
analyser le sentiment lié à la nation et à l’appartenance nationale et aussi le sentiment d'identité
qui va être analysé dans le Chapitre II, en même temps qu'une petite histoire du féminisme, pour
voir aussi ce que signifie le sentiment national par rapport à l'identité féminine. La culture
majoritaire dans ce cas est la culture francophone, québécoise. Mais la culture commune qui a à
la base le processus de migration, est aussi formée des cultures nationales et individuelles de ces
écrivaines qui viennent de différents coins du monde.
Il n’est pas sans intérêt de préciser que les contextes historiographiques et politiques sont
les espaces où s'insèrent les migrations et la diversité culturelle générée par eux. Les raisons de la
migration ont été de nature démographique, mais la vague des immigrants a apporté aussi leurs
cultures originaires. Pour ce qui est de la littérature, le concept de migration est bien importante,
car la littérature québécoise est enrichissante et, de plus, apporte de nouveaux éléments dans la
culture canadienne. En dehors de l'objectif démographique, il y a aussi l'objectif économique
6 Sociétés de migration en débat Québec – Canada – Suisse: approches comparées , sous la direction de Claude
Hauser, Pauline Milani, Martin Paquet, Damir Skenderovic, Edition Presses de l'Université Laval, Société
jurassiennes d’Emulation, Canada, 2013, pg.18
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(croissance économique), politique (assurance d'un certain équilibre entre certaines régions du
territoire et maintenir l'identité nationale) et humanitaire (les réunifications des fami lles).
Dans le deuxième chapitre, Une petite histoire du féminisme , nous nous intéressons aux
trois vagues du féminisme et aussi aux autres mouvements du féminisme qui ont influencé la vie
sociale au XIXe siècle, de même que la perception de l’ Autre . Trè s importante du point de vue
du concept de l'écriture féminine, les mouvements féministes ont mis l'accent sur la liberté de la
femme et sur leur liberté de penser et de réagir dans des sociétés qui situent l'homme sur un plan
supérieur. C’est le cas de ce rtaines sociétés musulmanes de nos jours encore, ce qui entraîne
d’énormes difficultés d’intégration. Précisons, en plus, que les questions des genres ont besoin de
définitions et d’encadrement historique. Ajoutons que l’on fait aussi la distinction entre écriture
féminine et écriture féministe . La littérature féminine apparait comme différente de la littérature
masculine, plutôt par le désir d'avoir une autre voix, plus distincte que la voix masculine en
essayant de retrouver le moi féminin et l'authentici té, sans rester à l’ombre du mâle (dans la
société comme dans la littérature et les autres arts). Dans le même chapitre on s’est proposé de
définir le domaine de la gynocritique, qui est orienté vers l'étude des créations féminines.
Les écrivaines qu'on a choisies pour notre argumentation sont des femmes qui essaient de
montrer que l'image des femmes n'est pas seulement l'image de la mère ou de l’épouse, mais
aussi de la femme libre de ses pensées. La question de l'identité et celle de la recherche
identi taire sont les plus importantes dans les romans de ces écrivaines. D'où qu’elles viennent,
les malaises identitaires et la recherche de l'identité sont leurs thèmes préférés. L'identité sociale,
l'identité culturelle, mais aussi l'identité sexuelle sont le s principaux thèmes dans les romans
analysés.
Dans le même chapitre, nous allons peindre l’image de la deuxième vague du féminisme,
qui a deux caractéristiques principales, la maternité et le baby -boom. Nombre de changements
sont apparus dans cette péri ode de la troisième vague féministe, et les femmes commencent à
parler de la sexualité, sujet tabou dans les années précédentes.
Les écrivaines qu'on analyse apportent, à nos jours, des perspectives étonnantes en ce qui
concerne la maternité, l'avortemen t, la sexualité, la prostitution et d'autres aspects de la vie
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féminine qui sont, même à nos jours, mis sous silence justement parce que la femme doit avoir
un autre rôle dans la société, notamment, celui de servir les hommes, de se soumettre à leur bon
plaisir. Cela a -t-il réellement changé ? Rien n’est moins sûr, et, probablement, on verrait moins
de célibataires et davantage de couples légalement réunis si c’était le cas. Pourquoi les femmes
voudraient elles garder leur liberté sinon pour échapper à l’em prise des hommes ?
La troisième vague du féminisme, entre 1970 -1990, sera traitée dans le même chapitre.
C’est à ce moment -là que le mouvement commence à trouver son déclin. En dépit de leur
maternité, on assiste dans ce temps -là à une attitude plus indépendante des femmes, à des luttes
pour la liberté sexuelle et pour prendre seules la décision de donner naissance à un enfant.
Malgré leurs occupations domestiques, la vie de famille, les femmes commencent à avoir des
intérêts professionnels de p lus en plus importants. Sur le plan public on ne peut pas encore parler
d'égalité, même du point de vue économique.
L'identité féminine concerne l'identité des valeurs, des croyances, de soi, d'un individu
unique. On va voir que l'identité féminine se fo rme aussi en relation avec la société où les
écrivaines vivent (plutôt si on se réfère au fait que les quatre écrivaines proviennent toutes des
sociétés différentes: la France, l’Amérique, la Chine, le Liban et le Québec), dans la période
historique dont l aquelle elles vivent, l'identité peut être analysée seulement en relation avec
l'éducation qu'elles ont reçue et les valeurs qui leur ont été données par leurs familles.
A cause de l'immigration, les écrivaines se confrontent avec des malaises identitair es
sévères. L'héritage personnel et l'expérience d'une vie vécue dans une autre société changent le
processus d'adaptation dans les nouvelles sociétés. Dans leurs écrits, leurs racines culturelles sont
très importantes pour la construction de l'identité fé minine. Les modèles féminins (de la société,
culturelles, des valeurs empruntées et des valeurs originaires) sont intériorisées dans leur âme et
les nouvelles sociétés ne font qu'obliger les écrivaines de reconstruire une autre identité qui a à la
base le s valeurs primaires.
Dans le troisième chapitre de notre thèse, on va relever quelques topologies des femmes
qui existent dans les romans analysés: les réalités intrinsèques et extrinsèques sont les réalités qui
changent la personnalité d'une femme, en f onction de la société d'où elles viennent et de la
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société où elles ont vécu une certaine période de leur vie. Le statut de la femme intellectuelle et
émancipée apparait presque partout, dans tous les romans: dans le Journal… d'Anaïs Nin apparait,
dans le journal et la confession, le thème de l'écriture comme salut, dans Le bonheur a la queue
glissante d'Abla Farhoud il apparaît comme la possibilité de dire ce qui ne peut pas être dit, dans
Les lettres chinoises de Ying Chen, la femme qui écrit des lettres à son mari est la femme qui
compose un autre territoire pour l'amour qui se consomme dans la distance géographique, tandis
que pour Nelly Arcan, l'écriture se mélange avec d'autres thèmes, mais l'écriture est la seule
chose qui peut sauver la prostituée. L'écriture comme salut est le thème le plus important dans
tous les romans: la femme émancipée, l'écrivaine, est la femme qui essaie de faire naitre un
nouveau monde dans son âme, comme sauvegarde et comme possibilité de reconstruction d’un
autre monde à l 'intérieur de son monde intérieur, mais aussi au -dehors. La nécessité d'écrire
apparaît dans tous les romans, quelle qu’en soit la forme : c'est la solution de l'émigration, c'est la
confession, c'est la possibilité de communication, c'est la manière optim e de fonctionner aux
paramètres normaux avec les personnes de ta famille, c'est la vie à l'intérieur de la réalité qui
gère des troubles identitaires. Un sous -chapitre que nous considérons comme très important est
La femme intellectuelle -l’écrivaine dans l a littérature féminine qui montre la capacité de la
femme de faire des analyses pertinentes et de trouver une manière très intime, comme c'est la
confession de montrer les douleurs de son âme et dire la vérité sur toutes ses expériences vécues.
En ce qui concerne la typologie des femmes de ces écrits, on va montrer qu'une autre
typologie très évidente est celle de la femme solitaire et, de là, le problème des troubles
identitaires qui dérivent de cette expérience de vie, dans la plupart des situations qu' on trouve
dans les romans. Ce chapitre est aussi une occasion d'investiguer la situation des femmes –
écrivains dans la société: on va révéler le statut de la femme du Québec dans certaines périodes
de l’histoire et aussi un parallèle entre le statut de la femme écrivain et le statut familial ou
maternel, avec les conséquences qui s’imposent selon le type de société à laquelle elles
appartiennent : ouverte, libre/fermé, primitive. La réconciliation du mariage avec l'écriture est un
fait difficile. Personn ellement, je pense que de nos jours encore, généralement.
Une caractéristique très importante de l’écriture féminine est l'exemple de
l'autobiographie qui existe dans tous les romans qu'on analyse. On va relever la différence entre
15
le roman et l'autobiogr aphie et on va rechercher la vérité de chaque expérience et de chaque vie
des écrivaines apparue dans leurs romans. La ligne de démarcation entre l'autobiographie et la
fiction ou l'autofiction n'est pas très bien marquée car l'écriture féminine est très p ersonnelle.
Un sous -chapitre très important pour la question des typologies de la femme est le sous
chapitre qui analyse la solitude de la femme, comme trait principal et comme caractéristique des
troubles identitaires générés par le processus de l'immig ration, dans les cas des écrivaines
canadiennes et dans le cas d'Anaïs Nin, de la solitude intérieure et d'autres troubles, intimes,
qu'on va comprendre au moment où on va récupérer la vérité de sa vie (une vie à la recherche de
l'amour de son père, avec des nécessités de validation et de confirmation de son amour et des
validations dont elle a besoin dans ses relations amoureuses, dans sa vie personnelle). Les
silences sont bien attachés aux solitudes que les personnages féminins comprennent.
Une autre hypostase de la femme, qui exige des commentaires et une certaine analyse,
c'est l'image de la femme adultérine. Une image de la femme adultérine qui essaie de vivre sa vie
à des intensités remarquables, sans tenir compte de sa famille qui ne lui donne pa s de grandes
satisfactions.. Dans le Journal d'Anaïs Nin, on va remarquer une sorte de liberté de l'esprit et un
désir de vivre sa vie avec des sentiments intenses ; au pôle opposé, dans les romans d'Abla
Farhoud, on ne peut discuter que des valeurs qui ti ennent les familles unies, sans tenir compte
des désirs de l'âme féminine. L'image de la femme adultère est un préambule à un autre chapitre,
celui concernant la prostituée. L'idée de la femme -objet est exploitée surtout dans Putain de
Nelly Arcan, mais l' idée de l'adultère est analysée dans le Journal d'Anaïs Nin. La prostitution
est analysée de quelques points de vue: économique, connaissance du corps féminin qui impose
une sorte de liberté qui, durant plusieurs siècles, a été interdite aux femmes. Les no tions de corps
et de corporalité, ainsi que celle de sexualité, seront analysées dans les autres chapitres où nous
verrons en détail des modèles de sexualité qui nous sont donnés dans la première enfance.
La prostitution est, dans certains cas, un élémen t qui aide à retrouver une sexualité sans
obligations, et les romans de Nelly Arcan pose des questions sur la liberté du corps féminin.
D’autre part, on essayera de montrer qu'une autre hypostase se superposant à celle de la
femme concerne le statut de mè re. Un statut controversé pendant plusieurs années, le fait d'être
16
mère est apparemment le statut qui peut combler une femme. Plusieurs romans traitent de ce
thème et les écrivaines montreraient une sorte de révolte face à ce type de sujet. Pour lutter
contre les préjugés d'une société, la femme a essayé, pendant des années, à montrer
essentiellement comment elle est en réalité, quelles sont ses véritables qualités. Le statut de
femme indépendante est un statut pour lequel elle lutte encore aujourd’hui. C' est un statut pour
lequel plusieurs générations ont lutté pour démontrer la nécessité des femmes de se libérer de la
tutelle masculine, nécessité à présent reconnue dans une grande partie des pays du globe. Ce
sont autant de thèmes qu'on va trouver dans l es romans de nos écrivaines. Voilà comment
Simone de Beauvoir a précisé l’idée dans La femme indépendante :
o « En tant que la femme se veut femme, sa condition indépendante crée en elle un
complexe d'infériorité; inversement, sa féminité lui fait douter de s es chances
professionnelles. C'est là un point des plus importants. On a vu que des fillettes de
quatorze ans déclaraient au cours d'une enquête:" Les garçons sont mieux; ils travaillent
plus facilement". La jeune fille est convaincue que ses capacités son t limitées. Du fait que
parents et professeurs admettent que le niveau des filles est inferieur à celui des garçons,
les élèves admettent aussi volontiers; et effectivement, malgré l'identité des programmes,
leur culture est dans les lycées beaucoup moins poussée. […] Tant qu'il s'agit des examens
assez difficiles, leur insuffisance ne se fera pas trop sentir; mais quand on abordera des
concours sérieux, l'étudiante prendra conscience de ses manques; elles les attribuera non
à la médiocrité de sa formatio n, mais à l'injuste malédiction attachée à sa féminité; se
résignant à cette inégalité, elle l'aggrave » 7
Une question légitime s’impose : est-ce que ce genre de perception masculin/féminin a
tellement changé ? Est -ce que, généralement, les mentalités s éculaires changent jamais ? Et pour
la plupart des gens ? Est -ce qu’il n’y aurait pas toujours des réminiscences, des doutes, des points
de vue injustes car révolus ? Dans le chapitre suivant on se rapprochera de ce thème si ardu.
Dans le chapitre suivant on va analyser aussi les différences, pas seulement biologiques
des femmes et des hommes. Dans le chapitre IV, Les études de genre et l'érotisme , on va trouver
7 Simone de Beauvoir La femme indépendante , extrait du Deuxième sexe , édition établie et présen tée par Martine
Reid, Editions Gallimard, Paris, 2008, pg.72
17
des définitions différentes entre la sexualité vue sur le plan médical et d'autres points de vu e:
économique, social, différences d’optique entre femmes et hommes et d'autres opinions sur la
question du sexe. Si, dans les chapitres précédents, on s’est proposé d'analyser l'identité féminine
et aussi les malaises de l'âme féminine, l'identité sexuel le est très importante comme sujet
d'analyse à cause des nombreuses explications que les autres peuvent donner à propos de
l'identité sexuelle et aussi des interprétations en ce qui concerne les malaises identitaires
féminins. Les différences entre les fem mes et les hommes ne sont pas seulement du point de vue
biologique ou social.
Dans les romans qu'on va analyser l'identité sexuelle est une thématique essentielle, parce
que les écrivaines vont essayer de comprendre les caractéristique de la corporalité féminine et
aussi les valences du corps féminin: à partir du fait que le corps est considéré comme un objet,
soit pour les plaisirs des hommes soit du point de vue du narcissisme et pour plaire dans la
société, puis instrument de procréation et la cage d e la femme – mère, ou presque "objet" de
liberté, dans le cas où la femme lutte pur ses droits et ses actions vont parler de soi -même. Ce
sont des points de vue nouveaux, car jusque là ce genre de discours était le propre de l’écriture
masculine. En ce qui concerne la liberté du langage quand on se réfère à ce type de sujet, les
écrivaines Anaïs Nin et Nelly Arcan choquent souvent par honnêteté et aussi par la disponibilité
de montrer des facettes douloureuses de quelques réalités féminines: le mariage et l' adultère,
l'inceste même, la liberté sexuelle, la prostitution et le marchandage du corps féminin,
l'avortement.
Bien que le concept d'études de genre vienne d'Amérique, l’Europe s’est vite intéressée à
cette problématique. Le vrai intérêt porte sur la pr oblématique de l’égalité entre les sexes. Le
corps et les désirs sexuels de la femme ont été très longtemps dissimulés et discrédités.
Ajoutons que les thème de la corporalité et de la sexualité sont très importants pour la
littérature féminine, car les f emmes ont été aperçues comme des êtres qui veulent entrer dans un
univers masculin par essence.
o « Mais c'est dans leur vie, leur conversation, leur correspondance qu'elles font passer leur
bizarre génie; si elles essaient d'écrire, elles se sentent écras és par l'univers de l 'homme:
18
elles ne font que balbutier. Inversement, la femme qui choisit de raisonner, de s'exprimer
selon les techniques masculines aura à cœur d'étouffer une singularité dont elle se défie;
comme étudiante, elle sera facilement appliq uée et pédante; elle imitera la rigueur, la
vigueur virile. Elle pourra devenir une excellente théoricienne, acquérir un solide talent;
mais elle se sera imposé de répudier tout ce qu'il y avait en elle de "différent". Il y a des
femmes qui sont folles et il y a des femmes de talent: aucune n'a cette folie dans le talent
qu'on appelle génie .» 8
Des l'expérience de la naissance humaine, la nudité a posé beaucoup des questions. La
nudité a causé beaucoup des problèmes, et quand on parle du corps féminin même beaucoup plus
autres. Le corps humain, en plus à nos jours, est un objet de marchandise plutôt si on parle du
corps féminin.
o « L'anatomie première, l'anatomie donnée est toujours considérée comme inacceptable.
La chair à l’état brut semble aussi intoléra ble que menaçante. Le corps, a peau, dans leur
seule nudité, n'ont pas d'existence possible. L’organisme n'est acceptable que transforme,
couvert de signes. Le corps ne parle que s'il est habile d'artifices. »9
La perception du corps féminin est explorée aussi dans les romans qu'on a comme sujet
d'analyse. Au nom de la beauté, la petite fillette chinoise va souffrir beaucoup à cause d'une
procédure compliquée et douloureuse, la procédure des pieds bandées , de laquelle dépend le
succès matrimonial et amoure ux, situation qu'on va détailler dans l'analyse du roman La mémoire
de l'eau , de Ying Chen. Le corps comme instrument du plaisir – qui va générer les troubles
identitaires de la corporalité – va être analysé dans les romans de Nelly Arcan, le corps comme
fécondité apparaît dans les romans d'Abla Farhoud, générant aussi la relation entre femme et son
corps du point de vue de la maternité, tandis que le corps comme sujet de plaisir personnel et
plutôt l'exploration d'un moi corporel à la limite de la sexualit é exacerbée, va être analysé dans
les romans d'Anaïs Nin.
8 Simone de Beauvoir La femme indépendante , extrait du Deuxième sexe , édition établie et présentée par Martine
Reid, Editions Gallimard, Paris, 2008, pg.84
9 Collection dirigée par François Laur ent, France Borel , Le vêtement incarne. Les métamorphoses du corps , Edition
Calman Levy, 1992, pg.15
19
Il y a aussi l'idée d'un corps social. Dans la collection dirigée par Francis Laurent France
Borel, Le vêtement incarne. Les métamorphoses du corps, apparaît cette idée du corps, vu
comme élément s ocial, signifiant plutôt le corps qui peut devenir un support pour des
inscriptions, des tatouages, et qui transmet des messages dans la société.
o « Considéré comme bestial, le corps nu, absolument nu, rejoint l'ordre de la nature et
cofond l'homme avec l a bête, alors que le corps décoré, vêtu (ne fût -ce que d'une
ceinture), tatoué, mutilé, exhibe ostensiblement son humanité et son intégration à un
groupe constituée. »10
A l'aide de tous les processus de modification (la salle de gym, la nécessité de mettr e des
muscles sur notre corps, la nécessité d'utiliser des produits de beautés et d'en prendre soin plus
qu'avant), le corps devient plus que le produit de la nature humaine, comme résultat de la
fécondité, il devient le produit d'une société et d'une cult ure. L'obsession du corps va être analysé
dans les romans Putain et Folle de Nelly Arcan, où la nécessité de plaire du point de vue
physique ( surtout comme caractéristique féminine ) est aussi le désir qui change la perspective
d'une femme sur elle -même e t sur la société qui, apparemment, a imposé beaucoup de standards
qui doivent être accomplis. Dans Paradis, clef en main, on rencontre une autre relation entre le
personnage féminin et le corps. La femme qui a essayé de se suicider fait la preuve d'une
ambivalence totale: le suicide n'étant pas accompli, le personnage féminin doit vivre le reste de
ses jours abandonné dans son corps féminin, à cause d'une paraplégie suite à son suicide échoué
Le sentiment de captivité et la nécessité de mourir sont impérati fs à ce moment -là. Une relation
très complexe entre le personnage féminin et son corps, se développe chaque fois que Nelly
Arcan essaye de construire un récit dans lequel la corporalité va être analysée. Le corps prend
souvent la forme du plaisir pour Nel ly Arcan: la lutte entre l’amour et la haine pour le corps
féminin, et l'exercice de le perfectionner toujours restent, dans tous les cas, une occasion de
démontrer que le corps féminin est plutôt utilisé comme objet et pas nécessairement désiré.
Le corp s a été très souvent analysé comme Objet de désir, de statut social mais des
parties du corps relèvent aussi le statut matériel de la femme et font la preuve d'une autonomie
10 Agora, Collection dirigée par François Laurent, France Borel , Le vêtement incarne. Les métamorphoses du corps ,
Edition Calman Levy, 1992, pg.17
20
du point de vue esthétique, même si, à nos jours, les histoires des pieds "bandées " de Chine
apparaissent comme des histoires complètement affreuses et sans utilité, même à l'origine la
signification des pieds bandés est surtout érotique.
o « Ce sont bien les Chinois qui poussèrent le fétichisme à son paroxysme. Pour Freud,
le phénomène est riche d'enseignement: on peut y voir une vénération du pied mutilé,
comme si les Chinois voulaient remercier la femme de s'être soumise à la castration.
Une fois encore, l'origine historique de la mutilation est malaisée à déceler. Si les
écrivains des dynasties Song et Yuan se montrent assez scrupuleux quant aux
chronologies, les auteurs Ming, eux, font souvent remonter l’ensemble des traditions
à la plus haute Antiquité. […] Dès l’origine, le but esthétique et érotique est donc
manifeste. L'extrême coquetterie des Chinoises est d' ailleurs largement attestée par
l'utilisation qu'elles font du miroir, des bijoux, des fards et des parfums – les femmes
suspendent leurs vêtements au -dessus de brûle – parfums et les cortèges princiers
dégagent des effluves capiteux à des lieues alentour. Dans une version proche, c'est Li
Yu, grand poète de l'amour, qui aurait introduit cette habitude en fabriquant pour son
épouse favorite une grande fleur de lotus en or sur laquelle il la fit danser: afin que les
extrémités de ses pieds ressemblent à des croissants de lune, il les comprima. »11
Il y a aussi une grande littérature qui propose des modèles qui doivent être suivre par les
hommes qui désirent se marier: la honte qui est accentuée dans les familles avec des filles avec
des gros pieds est une chose du fait social qui ne peut pas être oubliée facilement.
o « Les parents attentifs veillent à atrophier le pied de leurs fillettes, sachant très bien qu'il
s'agira d'un argument majeur pour le futur mariage. "Plus le pied e st petit, plus le plaisir
est grand". dit le proverbe, "Plus le pied est minuscule, plus les plis du vagin sont
merveilleux" déclarent les Chinois. »12
11 Agora, Collection dirigée par François Laurent, France Borel , Le vêtement incarne. Les métamorphoses du corps ,
Edition Calman Levy, 1992, pg.123 – 124
12 W.A. Rossi, Erotisme du pied et de la chaussure , Paris, Payot, 1978, p.42, apud Agora, Collection dirigée par
François Laurent, France Borel , Le vêtement incarne. Les métamorphoses du corps , Edition Calman Levy, 1992,
pg.126
21
En ce qui concerne la poétique du corps, si on peut parler d'une poétique du corps dans ce
cas, mais on a plutôt un rituel érotique dans ce cas, parfaitement liée au sujet de l'érotisme
analyse aussi dans notre ouvrage de recherche, liée aux pieds de lotus, on a une analyse précise
est aussi des exemples sur les pratiques des hommes face à cet objet d'érotis me exacerbée.
o « Les "sociétés de Lotus", véritables clubs de fétichistes, permettent aux hommes de se
communiquer des recettes et de profiter mutuellement de leurs expériences. Un fervent
amateur publia un manuel détaille avec dix -huit positions différen tes de coït
accompagnées de manipulations simultanés de pieds. Un beau pied – un sur cent, estiment
les connaisseurs – parvient même à faire oublier un corps et un visage disgracieux. »13
Quand on dispute les éléments de l'érotisme, on dispute aussi la conce ption de l’image de
l'Autre du point de vue de l'érotisme, l'image qui nous donne aussi la perception de soi – même,
dans le miroir . L'image de l'Autre est plutôt l'image masculine dans le processus de la recherche
de l'identité féminine.
La hypersexual ité reste encore un des thèmes importants, car, dans la recherche de
l'identité féminine, processus qui apparaît dans les ouvres d'Anaïs Nin mais aussi dans les œuvres
de Nelly Arcan, il est impossible de faire abstraction d'une situation assez évidente co mme la
hypersexualité.
Dans le chapitre La sexualité et l'identité sexuelle, on souligne la différence entre l'Image
d'Autrui et l 'Image de l'Autre et quelles sont les valences de ces deux concepts. Si l'Autre
parental introduit souvent l'image du masc ulin/ féminin, l'éducation parentale au sein de la
famille est importante, elle aussi. On va montrer combien de traumas les personnages féminins
ont, dans leur vie d’adultes, comme femmes, traumas causées par une relation – difficile et
incestueuse, dans l e cas d'Anaïs Nin, de haine, dans le cas de Nelly Arcan – avec leurs parents,
(l'Autre parental). L'identité sexuelle surtout se forme dès les premiers années de l'enfance, et est
le résultat d' une éducation au sein de la famille mais aussi le résultat de s représentations sociales
et des exemples autour d'eux entre femmes et hommes ( on va analyser l'ordre phallique, d'après
Freud et les exemples donnés par le grand psychanalyste, dans lesquels on distingue l'envie de
13 Agora, Collection dirigée par François Laurent, France Borel, op.cit., pg. 129
22
pénis dans le cas des filles). L'image de la femme se construit selon un processus d'intériorisation
de tous les modèles primaires possibles de la famille et pas seulement. Pour Nelly Arcan, la
découverte de son corps féminin attire la malchance d'être punie par son père, en effet, l'image de
la femme est la multitude des images des Autres sur elle -même.
L'obsession pour le corps féminin apparait dans les livres de Nelly Arcan, où les
opérations de chirurgie plastique font le sujet d’analyse de la jeune fille qui considère toujours
qu'elle n'e st pas belle, plutôt qu'elle travaille dans un domaine dans lequel les femmes doivent
être toujours belles et jeune – la prostitution: le corps, dans ce cas, prend des valences réelles
d’objet du désir, de plaisir et de satisfaction. Ce n'est pas la même position et interprétation que
dans le Journal …d'Anaïs Nin, où on désigne le corps comme pulsation de vie sexuelle. Dans
d’autres sous –chapitres, on va montrer que la consommation corporelle est le fruit d'une relation
filiale dysfonctionnelle et que l a nécessité de plaire, d'être belle et sans défaut est le résultat d'une
vengeance féminine contre l'Autre masculin de leur vie: le père, surtout, mais aussi des mères qui
ont vécu toute leur vie à l'ombre de leur homme.
Pour Abla Farhoud, le corps féminin est seulement l'instrument de la maternité qui aide à
avoir des enfants, la sexualité comme fait qui génère du plaisir n’existe pas, ce qui l’oppose à
Anaïs Nin.
L'individualité sexuelle est envisagée du point de vue des relations entre femmes et
hommes aussi, et dans ce sens on apprend aussi la différenciation et aussi l'analyse des relations
familiales, maternelles et paternelles. Dans ce chapitre, on fait aussi une analyse des relations
entre les figures paternelles des personnages principaux e t des relations entre mères et filles: on
va montrer que l'identité sexuelle ne se forme aussi pas seulement à partir de ces images et
perspectives sur les mères, mais aussi à partir d’une certaine attitude ambivalente entre pères et
filles. Du point de vu e de la corporalité et de la sexualité, on a des exemples différents dans les
romans qu'on analyse: d'une part on a la maternité comme point final et l’aspect le plus important
concernant la féminité, d'autre part, on a l’absence de la maternité et le refu s de la maternité en
faveur de la vie de femme avec ses nécessités même frivoles et les plaisirs sexuels qui, dans la
situation de la maternité, sont comme anesthésiés. L'excès est à prendre en calcul quand on fait
l'analyse de la vie sexuelle des personna ges féminins, l'ambivalence des relations familiales
23
donne aussi l'image d'une individualité sexuelle difficile à gérer, la consommation corporelle
existant aussi dans d'autres hypostases ( la prostitution, l'adultère) comme vengeance ou
manifeste contre l a maternité, d'ailleurs, ou comme négation d'une relation difficile avec la mère
des enfants.
L'identité culturelle, qu'on va analyser aussi, et même l'effet d'immigration, aura des
effets sur la relation familiale et sur les relations entre père – enfant et mère – enfant.
Dans le chapitre La recherche continue de l'amour et le besoin d'être aimée, on va
analyser la situation des personnages féminins qui sont abandonnés, à la fois, dans leurs familles
originaires, par leur parents, et, plus tard, par leur s amis/ amants/ hommes, et c'est l'abandon qui
va générer des problèmes affectifs chez les femmes, figures féminines qu'on essayera de montrer
comme exemples.
Tout à fait, les analyses du point de vue sexuel sont constamment condamnées par la
société, de puis longtemps. L'intérêt pour connaitre mieux l'identité sexuelle est aigue et désigne
la chance de trouver des explications pour les comportements duplicatives de la femme.
Dans le dernier chapitre, Francophonie: aspects de langues -Le français europée n/ le
français canadien , on va montrer les aspects concernant la langue française, langue de
communication choisie par les écrivaines. Une petite histoire du français canadien montre le fait
que, dans une société multiculturelle, la langue officielle, en m ême temps que l'anglais, invitent
les écrivains à s'identifier avec le concept de francophonie. L'aspect de la langue est très
important, car les écrivaines immigrantes choisissent toutes d'écrire en français, la langue de leur
esprit. Il y a un certain m élange des langues dans les œuvres qu'on a choisies pour l’analyse, et
ça dérive aussi d'une double perspective de l'identité féminine (culturelle, linguistique, sociale).
C’est aussi l'attribut et la caractéristique principale de l’écriture migrante, conc ept qui va être
développé dans le même chapitre, L' écriture migrante et ses particularités .
L'hybridité et le métissage sont des caractéristiques du mélange linguistique, le métissage
est le résultat d'un processus transculturel. Le développement de la littérature migrante
d'expression française reste aussi un des résultats essentiels de ce choix d'écrire en français. Dans
le même chapitre on va essayer une analyse du phénomène migratoire, le résultat de la richesse
24
des individualités et des cultures mai s en même temps, la notion d'étrangeté qui reste la plus
importante théorie à la base des troubles identitaires des personnages féminins.
C'est comme Julia Kristeva se demande dans son ouvrage: Etrangers à nous – mêmes :
«Y-a-t-il des étrangers heureux?
Le visage de l'étranger brûle le bonheur » 14
Les histoires personnelles des personnages féminins, en pleine migration, vont montrer
que le phénomène migratoire, à la recherche d'un territoire meilleur pour elles – mêmes et leurs
familles, va leur causer de s troubles identitaires sérieux et une permanente recherche de soi
même, dans une autre société empruntée où elles vont essayer de se détacher et se délimiter de
leur vie ancienne pour vivre à nouveau.
Les écrivaines: Abla Farhoud, Ying Chen, Anaïs Nin, Nelly Arcan
Abla Farhoud, née au Liban, a immigré au Canada en 1950. Elle est considérée comme
une écrivaine immigrante, du fait qu’elle n’est pas complètement assimilée à la littérature
canadienne. En même temps, quand il est question d’autres esp aces culturels qui la prennent en
compte, elle est considérée comme une écrivaine québécoise. Elle a étudié à l’Université
Vincennes de Paris et puis elle a suivi des cours de théâtre à l' Université de Montréal .
14 Julia Kristeva, Étrangers à nous -mêmes , 1988, Librairie Arhème Fayard , en ligne,
https://ia600305.us.archive.org/28/items/JuliaKristevaEtrangersNousMMmes1988/Julia%20Kristeva –
Etrangers%20%C3%A0%20nous -m%C3%AAmes%20(1988).pdf, pg. 12
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Ses romans : Le bonheur a la queue glissante, Le fou d'Omar, Le Sourire de la Petite
Juive et aussi Splendide solitude traitent du thème de l’exil, de la solitude. D ans Le bonheur a la
queue glissante , l’auteur raconte le double exil vécu par le personnage principal, Dounia, vieille
immigrante, doublement exilée, qui arrive jeune au Canada. La double incompréhension,
culturelle et due à la différence entre les générat ions, constitue la base de notre analyse. Lauréate
de quatre prix littéraire, Abla Farhoud cherche encore sa place dans le champ littéraire
québécois:
– Le fou d’Omar – reçoit le Prix du Roman francophone (France, 2006)
– Le bonheur a la queue glissante – reçoit le Prix France – Québec Roussillon (1999)
– Les filles du 5 -10-15ç – reçoit le Prix Arletty (France, 1993)
– La Possession du prince – reçoit le Prix Théâtre et Liberté de la SACD (France, 1993)
Ying Chen, née à Shanghai en 1961 qui a fait une licence de lettres françaises. Si
différents que soient son dialecte et la langue mandarine par rapport aux langues européennes,
elle a réussi à apprendre le russe, l’italien, l’anglais et le français. En 1989 elle commence à
étudier le français à l’ Université McGill . Elle habite à Magog et à partir de 2003 elle se retrouve
à Vancouver . Elle est aussi mère de deux enfants. Pour tromper la nostalgie de la Chine où elle
est née, elle commence à écrire. Elle le fait douze heures d’affilée par jour, en choisissant comme
modèle Marcel Proust.
Son premier roman, La mémoire de l'eau, présente l’histoire d’une Chine contemporaine
tout au long de plusieurs générations de femmes. Son d euxième roman, Lettres chinoises , a
comme sujet la correspondance d’un jeune immigrant avec sa jeune bien aimée qui est en Chine,
et sa confession sur le choc culturel, l’impossibilité de retrouver ses racines ou, plutôt,
l’impossibilité de l’amour dans ce contexte. Le roman L'ingratitude lui apporte le prix Québec –
Paris décerné en février 1996, de même que celui offert par les lecteurs de la revue Elle-Québec .
Le roman Immobile a la saveur des histoires présentes, ayant comme thème essentiel temps.
Anaïs Nin (n. le 21 février 1903 , Neuilly -sur-Seine , France — d. le 14 janvier 1977 , Los
Angeles , SUA ) était une écri vaine américaine d’origine française. Elle est connue pour ses
26
journaux intimes, qu’elle a commencé à écrire à l’âge de 11 ans, en les continuant, sans s'arrêter,
45 ans. Seulement après sa mort et après la mort de son mari ce fut possible de publier aussi la
forme non censurée de ses journaux.
Elle est née d’un père espagnol, le pianiste et le compositeur Joaquin Nin, et d’une mère
danoise. Elle avait 11 ans quand son père, un grand Don Juan, a divorcé de sa mère pour se
marier avec une femme riche. Aprè s cette histoire, pendant son départ vers l’Amérique, Anaïs
commence à écrire son journal, premièrement comme discours pour son père, essayant de le
comprendre. A l’âge de 20 ans elle se marie avec Hugo Guiler, un homme qui a de l’argent et qui
a fait des études littéraires, et après un an le couple vient à Paris, où Anaïs reste jusqu’au
commencement de la guerre.
C’est ici qu’elle découvre le monde des écrivains, des artistes, de l’avant -garde et
de la psychanalyse, un monde désinhibé, dans lequel elle vi t les aventures, entre autres avec
Henry Miller et le psychanalyste Otto Rank – elle note tout dans son journal. E lle écrit aussi des
romans, des nouvelles. De retour en Amérique, sa vie est partagée entre New York et Los
Angeles (où elle désire mourir, et le fait en 1977) entre Hugo et son jeune maitre Rupert. La
publication du journal, dans les années '60, sous la forme censurée, lui confère le courage de se
confesser et relève aussi la finesse d’observation d’une écrivaine passion née et lucide.
«L’érotisme est la base de la connaissance de soi – même, assez indispensable que la
poésie»,15 écrit Anaïs Nin. Les romans Henry et June, Inceste, Feu montrent les aspects du point
de vue psychologique, en utilisant l’introspection et l’an alyse psychologique, caractéristiques à
l’écriture féminine.
Nelly Arcan , de son vrai nom Isabelle Fortier (née le 5 mars 1975 à Lac-Mégantic –
morte le 24 septembre 2009 à Montréal ) est une é crivaine québécoise. Ses œuvres sont
caractérisées par des thèmes comme l’influence des vastes images des femmes, le traitement des
êtres humains et le suicide.
L’auteure s’intéresse à la littérature depuis qu’elle était petite fille. D'après ce qu’elle
disait, elle – même a commencé à être intéressée à la lecture grâce aux romans de Stephen King .
15Anaïs Nin, http://www.babelio.com/auteur/Anais -Nin/5472/citations
27
A l’âge de 19 ans, elle quitte Cantons -de-l‘Est pour étudier la littérature à l’Université du
Québec à Montréal . Elle fait son début avec une maîtrise sous la coordination d’ Anne -Élaine
Cliche . Ses mémoires sont intitulées Le poids des mots, ou La matérialité du langage dans Les
mémoires d'un névropathe de Daniel Paul Schreber .
En 2001, elle publie, aux Éditions du Seuil, Putain, une œuvre de fiction qui lui apportera
une nominalisation pour les prix Medicis et Femina . Le deuxième roman, Folle (2004), lui
apportera une autre nominalisation pour Femina.
En septembre 2007 elle apparaît dans une émission télévisée Tout le monde en parle .
Dans la nouvelle inédite La honte , Arcan écrit qu’elle a vécu l’expérience de l’humiliation.
En 2008, elle collabore avec le chorégraphe Manon Oligny pour la chorégraphie d’une
danse contemporaine intitulée L'écurie . Elle collabore d'une même manière, pour la rédaction des
dialogues dans le film Nathalie… d’Anne Fontaine et publie des chroniques dans
l’hebdomadaire Ici Montréal .
Le 24 septembre 2009, Nelly Arcan est trouvée pendue et sans vie dans l’appartement de
Plateau Mont -Royal , à Montréal.
Deux mois après sa mort, le roman Paradis clef en main est réédité. C’est un roman de
fiction contraire aux romans autofictionnels. Paradis clef en main , raconte l’histoire d’une jeune
femme paraplégique, après une tentative de suicide échouée, et la récupération du désir de vivre.
En 2011, les Éditions du Seuil publie Burqua de chair , post -mortem . Ce livre contient
deux nouvelles inédites, La robe et La honte , une grande version de L'enfant dans le miroir , et la
chronique Se tuer peut nuire à la santé .
I. La francophonie, le multiculturalisme francophone – source de diversité
culturelle
I.1 Francophonie, multiculturalisme francophone – sources de diversité
28
Dans le Dictionnaire de francophonie canadienne , coordonné par Corina Dimitriu –
Panaitescu et Maria Pavel, Cristina Petras, Dana Nica de l 'Université " Alexandru Ioan Cuza "
Iasi, dans la Préface signée par Henriette Walter on trouve des informations sur la francophonie
et sur la langue française parlée à l’intérieur du Canada, qui est "placée dans le cadre
institutionnel de la Francophonie", grâce auxquelles le public sera à même de conna ître les traits
fondamentaux d'une variété de langue française, qui est très spécifique au -delà de l 'Atlantique.
La langue française utilisée et parlée au Canada est sensiblement différente de celle parlée en
France, car elle a conservé quelques formes a nciennes de langue parlée qui ne s'y utilisent plus,
mais d’autre part, le français canadien offre de nouvelles formes, de nouvelles expressions, grâce
aussi à une certaine influence de l’anglais, la deuxième langue utilisée au Canada. 16
Dix provinces et trois territoires constituent la Fédération canadienne. Le nom de la
Nouvelle France , donné par Giovanni Verrazzano, qui a exploré la côte oriental de l'Amérique
du Nord, date de 1524 et est plus vieux que celui de Canada, donné par Jacques Cartier en 1535 .
Jacques Carti er est celui qui a développé la ville actuelle de Québec. Au début, le Québec était
appelé le Canada, distinct de l’Acadie où fonctionnait un noyau de colonisation francophone
parallèle. Comme c'était très difficile de peupler la colonie ave c des Français, la Grande Bretagne
a réussi à peupler La Nouvelle Angleterre, la nouvelle colonie de l’est du Canada. Quand la
guerre de sept ans est finie, La Nouvelle France, qui a perdu l'Acadie, avait 55.000 habitants,
tandis que la Nouvelle Angleterre en avait 1.500.000. Au début, seuls les Français étaient appelés
Canadiens, puis ils ont reçu des appellations différentes comme Français – Canadiens et Anglais –
Canadiens. Après la constitution de la confédération, n'importe qui a vécu sur le territoire du
Canada est appelé Canadien. On n’a que la distinction anglophone et francophone .
Lors de l’installation du régime britannique, on n'a plus fait la différence entre la
Nouvelle France et le Canada, se contentant du nom de Canada. Le territoire est div isé en deux
16 Corina Dimi triu- Panaitescu et Maria Pavel, Cristina Petras, Dana Nica – Dictionnaire de francophonie
canadienne, Editions de l 'université" Alexandru Ioan Cuza " Iasi, 2011, p g.11
29
provinces, le Canada anglophone et le Canada francophone. Le nom de québécois apparaît plus
tard, après la Révolution tranquille , dans la seconde moitié du XXe siècle. 17
o « La francophonie désigne l'ensemble des personnes et des institutions qui utilisent
le français comme langue maternelle , langue d'usage, langue administrative, langue
d'enseignement ou langue choisie. La francophonie peut renvoyer tant à l'ensem ble
des pays francophones qu'à l'ensemble des pays ou régions membres de l' Organisation
internationale de la francophonie (OIF), qui ne sont pas forcément ceux où le français est
le plus fréquemment utilisé ou reconnu officiellement » 18
En nous rapportant à la différence entre l’Europe e t le Canada, on constate l’existence
d'un espace où les femmes auteurs choisies utilisent leur propre langage comme moyen
d’expression de leur message.
Pour ce qui est du Canada, la langue française y connaît un statut différent selon les
périodes où elle a été utilisée : dans la colonie La Nouvelle France, le français a un statut royal,
tandis que sous le régime britannique elle manque de statut. La colonisation massive des
territoires de l’ouest a entraîné aussi le déplacement des personnes francophones à la recherche
du travail. La langue française a subi de grandes modifications, après l'interruption des contacts
avec la patrie mère, parce que les Canadiens ont été forcés de créer une langue commune pour
l’entier territoire. De même, la langue française a souffert des modifications à cause du
bilinguisme, qui a généré des emprunts lexicaux, et qui a donné naissance à des identités
différentes. C’est pourquoi le français utilisé par les Canadiens présente des particularités, à
l'intérieur du Canada la la ngue étant caractérisée comme une diversité de langages, sur le plan
international elle est mise en altérité. 19
17 Corina Dimitriu – Panaitescu et Maria Pavel, Cristina Petras, Dana Nica – Dictionnaire de francophonie
canadienne, Editions de l 'université" Alexandru Ioan Cuza " Iasi, 2011, p g.13-14
18 http://fr.wikipedia.org/wiki/Francophonie
19 Corina Dimitriu – Panaitescu et Maria Pavel, Cristina Petras, Dana Nica – Dictionnaire de francophonie
canadienne, Editions de l 'université" Alexandru Ioan Cuza " Iasi, 2011, p g.14-15
30
Le terme espace francophone est représenté par une réalité non exclusivement
géographique ni même linguistique, mais culturelle aussi, car l ’espace francophone réunit et
représente en même temps tous ceux qui expriment et manifestent une certaine appartenance à la
langue française ou aux cultures francophones, d'où qu’ils viennent.
On doit faire la différence entre deux espaces francophones n ettement différents. Il faut
distinguer les pays où le français est langue officielle (unique ou non), ceux où le français est la
langue maternelle d'une grande partie de la population, ceux où il est une langue de culture ,
ceux où il est utilisé par certaines classes sociales de la population, etc. Or, ces catégories ne se
recoupent pas. Dans certains pays, par exemple, bien qu'étant langue officielle, le français n'est
pas la langue maternelle de la population, ni celle couramment utilisée par celle -ci.
Pour certains pays, le français est la langue maternelle de la grande majorité de la
population, ( la France avec ses départements et territoires d'outre -mer, le Québec, la partie
acadienne du Nouveau -Brunswick , la zone francophone de l'Ontario au Canada , la Région
wallonne et la majorité des Bruxellois en Belgique , la Suisse romande , la minorité de Jersey , du
Val d'Aoste , de la Principauté de Monaco ) .20
C'est assez important de montrer cette différence parce que nous voyons que les
différences de mentalité et d'attitude, de comportement, dérivent aussi de cette partie linguistique
ou, pour mieux dire, d’apparte nance linguistique.
Au Québec, après 1977 et la Loi 101, fonctionne deux institutions pour défendre la
langue: Le Conseil supérieur de la langue française et l'Office québécois de la langue française ,
des organismes qui doivent diriger la politique du Qu ébec. Au Québec c’est la seule langue
parlée et aussi la langue officielle, et dans le Nouvel Brunswick, l’une des deux langues
officielles de la province, pareillement qu'en Yukon et le territoire du Nord -Ouest.
Au Canada, on a organisé trois Sommets gé néraux de la Francophonie: au Québec, en
1987, quand on a établi les structures les plus importantes de la Francophonie, à Moncton, en
1999, quand on a formulé les propositions concrètes sur les pratiques démocratiques à l’intérieur
20 http://fr.wikipedia.org/wiki/Francophonie
31
de la Francophonie, et au Québec, en 2008, plus récemment, lors de l’anniversaire de 400 ans de
Québec, ayant comme thèmes principaux la situation de la langue française tout comme la
démocratie et la solidarité économique.21
Parce que les personnages des romans qu'on analyse p roviennent tous d'espace s
différents, on doit aussi envisager la Francophonie dans une approche de diversité
multiculturelle. On aura la possibilité de voir ces détails dans une autre sous -section. Cette
nécessité de la diversité a été maintes fois exprim ée. En voilà un exemple :
o « La déclaration de Cotonou en 2001 et puis le IXe Sommet de la Francophonie de
Beyrouth en 2002 étaient consacrés au dialogue des cultures. Les biens culturels
n'échappent pas à la mondialisation accélérée des échanges marchands. Dans ce
cadre, la Francophonie apparaît comme le fer de lance de la bataille pour la
diversité des expressions culturelles » 22
La présente recherche essaie de relever le mod èle féminin proposé par les quatre femmes
écrivains: Anaïs Nin, Abla Farhoud, Yin g Chen, Nelly Arcan, mettant l’accent sur
l’identification de la perspective culturelle, et met au premier plan la comparaison de
l’environnement par rapport à l’analyse de l’espace francophone. La langue (dans ce cas le
français) peut être lien, mais en m ême temps la limite linguistique la plus importante. L’identité
féminine est nettement différente de l’identité masculine et l’on constate que dans toute la
littérature féminine des années '20, '30, dans toute la littérature du XXe siècle, l’identité fémin ine
passe par un processus de changement. Ayant comme base les études de genre, on essaiera de
retrouver les caractéristiques de l’écriture féminine, par rapport ou en opposition avec l’écriture
masculine.
Le concept de multiculturalisme (en même temps le concept d’ altérité – n.n.- culturelle)
sera analysé en fonction de la relation diachronie/synchronie, essayant de réaliser une
délimitation dans le temps et une distinction entre les deux espaces temporels.
21 Corina Dimitriu – Panaitescu et Maria Pavel, Cristina Petras, Dana Nica – Dictionnaire de francophonie
canadienne, Editions de l 'université" Alexandru Ioan Cuza " Iasi, 2011, p g.16
22 http://fr.wikipedia.org/wiki/Francophonie
32
En même temps, cette recherche propose une anal yse non pas nécessairement exhaus tive,
de l’écriture francophone . Les espaces culturels différents, unis seulement par la langue utilisée
seraient aussi ceux qui vont générer des modèles culturels différents, comme réponse aux
recherches intérieur es et au x modèles intériorisés, qui viennent de la culture originaire, dans
l’espace francophone.
Le multiculturalisme offre aussi des informations sur l’origine politique d'un pays, il ne
cible pas seulement la langue ni uniquement les aspects d'ordre administra tif.
o « Le multiculturalisme nous donne -t-il une réponse? Un multiculturalisme qui
pourrait donner un statut d'égalité et qui pourra donner une nouvelle forme
d'organisation politique ou un multiculturalisme où les différentes identités
territoriales et cu lturelles apparaîtraient comme des marqueurs politiques? Le
multiculturalisme comprend la multitude de cultures mais aussi le pluralisme
culturel et, bien sûr, un multiculturalisme territorial. Ainsi, peut – on penser qu'un
multiculturalisme né de la divers ité, qui au départ n’est qu'un fait, puisse devenir
aussi une théorie explicite de l'identité européenne ? » 23
Les questions sur le multiculturalisme sont nécessaires et on en trouve les réponses dans
l'analyse d'un climat qui est toujours source à d'aut res questions:
o «Pour certains, le multiculturalisme correspond au respect des identités culturelles, à
l'égalité des droits et à l’égalité des chances, et constitue le fondement de la démocratie.
Pour d'autres, au contraire, il s'apparente au « tribalism e » et, de ce fait, remet en cause
l’intégrité et l'unité natio nale assurées, jusque -là, par l 'Etat. Pour certains, il sert à
contrecarrer le nationalisme et pour d’autres, à l’inverse il est à l’origine des sentiments
et des expressions nationalistes »24
Si l’on parle de multiculturalisme en France ou en Belgique c'est une chose, mais au
Canada la situation est différente. La partie dite " française" est souvent l'espace géographique où
les gens parlent le français, tandis que la partie dite "anglaise" est souvent le territoire où les gens
utilisent l’anglais. Les différences sont nettement acceptables, même si les deux parties
23 Quelle identité pour l’ Euro pe? – Le multiculturalisme à l’ épreuve – sous la direction de Riva Kastoryano, Editions
Presse de Sciences Po , Paris, 1998
24 idem p g.7
33
n’arrivent pas à avoir des choses en commun, sinon dans le pays appelé le Canada. Les
différences de mentalité sont assez difficile s à comprendre et il y a de même celles écono miques,
culturelles, sociales.
o « Au Canada, l’affrontement entre les langues française et anglaise et les débats
autour d'une société bilingue et biculturelle, définie comme telle par la
Commission royale sur l e multiculturalisme, aboutissent à donner une légitimité
politique au concept grâce au multiculturalisme constitutionnel porté par la
Charte des droits et libertés et officiellement admis comme la caractéristique
fondamentale de l 'Etat canadien »25
Chaque pays nous montre un modèle; modèle de citoyenneté, modèle d'une société,
modèle des valeurs et modèle des typologies culturelles, personnelles, des gens, etc. La diversité
en multiculturalisme nous donne la définition de l’échange perpétuel en essayant de
communiquer et aussi de comprendre les différences qui nous apportent une richesse
extraordinaire.
Conformément au site du Ministère de la Justice du Canada, le multiculturalisme
représente, au Canada, un aspect de la politique propre à la partie nommée « française ».
o « La fin du Canada français ne conduira pas directement les communautés hors Québec à
l'affirmation positive d'une nouvelle identité. Les anciens canadiens français non
québécois se percevront, pour un temps, comme les orphelins d 'une nati on. Leur
première manifestation identitaire s’inscrit d’ailleurs sous le signe de la négativité ou
celui d'une absence, comme en témoigne l'appellation francophones hors Québec qui sera
celle de leur principale association politique du milieu des années 19 70 jusqu’au début
des années 1990. Ils seront pour ainsi dire à a recherche d'un pays perdu. Même l'Acadie,
moins marquée par l'effondrement du Canada français, en raison de son référent national
25 idem pag.7
34
particulier, subira une profonde remise en question de son i dentité (Houtecœur, 1978;
Roy, 1981; Thériault, 1995) » 26
Après avoir été annoncée pour la première fois en 1971, la Loi fédérale de
multiculturalisme a modifié le statut des personnes qui vivent au Canada (Li, 1999). Elle était
imposée pour compléter la politique de bilinguisme, parce que, du point de vue du bilinguisme,
l'anglais et le français sont les seules langues officielles du Canada et, à partir de cette
constatation, toutes les cultures se retrouvant au Canada doivent être traitées sans aucune
discrimination.
o «La politique de multiculturalisme a été lancée en partie pour contrebalancer le
nationalisme québécois et en partie pour apaiser la « troisi ème force » composée surtout
d'« autres Européens » dans les années 1960. Ainsi, tout au long des années 1970, la
Direction du multiculturalisme a promu de nombreux programmes visant à aider les
groupes ethniques à conserver leurs traditions, leurs coutumes, leur folklore et leurs
langues, afin de renforcer l'image multiculturelle de la société canadie nne (Li, 1999) ». 27
A partir de 1983, le Comité spécial de la Chambre signale l’ampleur de la discrimination
raciale dans la société canadienne et aussi l'absence d'une loi exacte qui devrait montrer les
changements institutionnels administratifs et légi slatif s dans la société canadienne à cause de ce
problème de racisme et de discrimination. (Canada, Chambre des communes, 1983). 28
Le Comité a noté, dans son rapport à la Chambre, l’urgence de modifier la politique
concernant l'intégration des minorités visibles aux principales institutions publiques (Canada,
Chambre des communes, 1984, p. 50). Le Comité a qualifié la société canadienne comme société
« multiculturelle et multiraciale » et a fait la recommandation à la Direction de prendre d'autres
initiat ives pour promouvoir le multiculturalisme et pour promouvoir aussi les relations raciales,
26 Francophonie minoritaires au Canada/L 'état des lieux , sous la direction de Joseph Yvon Thériault, Les Editions
d ' Acadie, 1999, Moncton, Canada
27 Ministère de la Justice du Canada
28 Ministère de la Justice du Canada
35
malgré l’intention de certains groupes de préserver leurs cultures sur le territoire du Canada
(Canada, Chambre des communes, 1984, p g. 55). 29
Le comité permanent d e la Chambre des communes sur le multiculturalisme (1987) a
déclaré qu'il n'était pas toujours justifié de supposer que l'orientation culturelle de la politique de
multiculturalisme était énoncée par des communautés ethnoculturelles « établies » d'origine
européenne (Canada, Chambre des communes, 1987, p g. 22-24).30
Une nouvelle réalité démographique a été créée dans les années 1980, notamment, la
réalité de la société canadienne où se rencontre toutes ses nations mélangées au sein de la société
canadienne, qui ont forcé les changements au niveau de cette politique de multiculturalisme. Le
ministre d'État au Multiculturalisme, dans les années 1980, a insisté alors sur la manière de
promouvoir aussi l'égalité entre cultures, et a mis l’accent sur l'harmonie raciale au sein de la
société canadienne.
Au début des années 1980, le gouvernement fédéral cherchait à obtenir l'accord des
provinces et des groupes de pression pour incorporer la Charte des droits et des libertés dans la
Constitution et aussi à rapatrie r la Constitution du Royaume -Uni. Il était nécessaire d'avoir un
public sensibilisé aux valeurs sociales comme l'égalité, la justice et la liberté et en faire usage
dans leur existence quotidie nne. L'échec de l'Accord du Lac Meech en 1990 et le rejet
subsé quent de l'Accord de Charlottetown ont changé la confiance du public envers le
gouvernement, et la politique de multiculturalisme a perdu de son image envers les gens, comme
on peut le constater dans ce qui suit :
o «Les préoccupations politiques relatives au rapatriement de la Constitution et
l'émergence des minorités visibles comme réalité démographique pourraient
expliquer la plus grande importance accordée par la politique à l'égalité et à
l'éradication du racisme dans les années 1980. L'évolution de la politique liée aux
modifications de la Constitution et l'appui de plus en plus faible du public envers
29 Ministère de la Justice d u Canada
30 Ministère de la Justice du Canada
36
le gouvernement pourraient expliquer pourquoi on a assisté à un repli apparent de
la politique du multiculturalisme dans les années 1990» . 31
Ce qui nous démontre que la politique de l’égalité, malgré l’existence du
multiculturalisme, est bien présente à l’intérieur du Canada.
Mais une question reste valable : « Le Québec est -il un pays imaginaire? » La réponse qui
s’y impose est : « Oui. C 'est pour cel a qu'il existe intensément ». 32
31 idem p. 10
32 Hervé Fisher – Québec imaginaire et Canada réel. L’ avenir en suspens. VLB Editeur, Bibliothèque et archives
nationales du Québec, 2008
37
I.2 Le multiculturalisme / transculture / interculturalité
Quand on s e réfère au Canada, pays touché de manière particulière par le
multiculturalisme, on doit faire référence aussi au contexte de mondialisation . Le pays est
officiellem ent multiculturel depuis 1988 et la littérature de migration a eu un certain impact dans
l'espace canadien . La société canadienne, par ailleurs, est formée de plusieurs nati ons qui ont
quitté leur pays d'origine en espérant avoir u ne meilleure vie au Canada. Dans l’Introduction
réalisée par Marie Carrière et Cateherine Khordoc pour l'ouvrage Migrance
Comparée/ Comparing Migration ( Les littératures du Canada et du Québec / The literatures of
Canada and Québec ), les deux critiques touchent le problème du mélange des nationalités qui
sont venues au Canada , surtout dans les grandes métropoles comme Toronto et Montréal, et de
cette pluralité et diversité caractérisant surtout des personnes telles des romanciers, poète s ,
dramaturges, qui ont adopté les faits de culture et qui ont influencé à leur tour la société du point
de vue non pas seulement social et cult urel, mais aussi économique, politique, littéraire:
o «Il devra donc s'insérer dans un champ littéraire existant, qu'il contribue ra à modifier à
son tour. Il va donc presque sans dire que le pluralisme culturel de la littérature produite
aujourd'hui au Canada et au Québec doit faire repenser non seulement les enjeux de ces
deux espaces littéraires mais aussi la relation entre eux ».33
Ecrire en Français ou en Anglais, cela pose beaucoup de problèmes aux critiques, quand
ils font l'analyse de l'espace canadien.
Il y a des œuvres qui ont déjà présenté l'immigration et le multiculturalisme au Québec et
dans la partie anglaise du Canad a: Contrasts: Comparative Essays on Italian Canadian Writing
de Joseph Pivato, aussi Other Solitudes: Canadian Multicultural Fictions de Linda Hutcheon et
Marion Richmond. Quelques articles dans Adjacenties: Minority Writing in Canada , éditée par
Lianne Mo yes et analyse le fait s’il est préférable écrire en anglais qu’en français . Quant à nous,
précisons que les écrivaines choisies écrivent en français, et le choix de la langue signifie
beaucoup pour montrer une certaine particularité de leurs écritures.
33 Marie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance comp arée/ Comparing Migrance – Les Littératures du
Canada et du Québec / The literatures of Canada and Québec , Ed. Peter Lang, Bern, 2008, pg. 1
38
Le concept de multiculturalisme (comme le concept d’ altérité – n.n.- culturelle) sera
analysé en fonction de la relation diachronie/synchronie.
Le multiculturalisme ne cible pas seulement la langue ni uniquement les aspects d'ordre
administratif, il off re aussi des informations sur l’origine politique d'un pays.
Le multiculturalisme au Canada représente une situation particulière. La partie dite
« française » est souvent l’espace géographique où les gens parlent le français, tandis que la
partie dite « anglaise » est souvent le territoire où les gens utilisent l’anglais. Les différences sont
nettes, même si les deux parties n’arrivent pas à avoir des choses en commun, elles sont du pays
appelé le Canada. Les différences de mentalité sont assez difficile s à comprendre et il y a aussi
celles économiques, culturelles, sociales. Chaque pays nous montre un modèle; modèle de
citoyenneté, modèle d’une société, modèle des valeurs et modèle des typologies culturelles,
personnelles, des gens, etc. La diversité en multiculturalisme nous donne la définition de
l’échange perpétuel en essayant de communiquer et aussi de comprendre les différences qui nous
apportent une richesse extraordinaire.
Dans le contexte de la mondialisation, les grands déplacements de populatio n touchent le
Canada directement, un pays officiellement multiculturel depuis 1988. La double spécificité du
cadre quitté et du cadre adopté influencera l’état économique, social, ainsi que psychique
d’«auteur migrant » mais plus encore son écriture. Il dev ra ainsi s’insérer dans un champ littéraire
existant, qu’il contribuera à modifier à son tour.34 Dans leur ouvrage Migrance comparée –
Comparing migration – Les littératures du Canada et du Québec , les auteures, Marie Carrière et
Catherine Khordoc se soumette nt à une nécessité: l’œuvre est écrite dans les deux langues
officielles du Canada, le français et l’anglais, et présente un concept que Pierre Nepveu a essayé
lui aussi de présenter dans les années 1980: le concept d’écriture migrante . Robert Berrouet –
Oriol a essayé lui aussi de décrire cette idée de littérature migrante. Dans L'Ecologie du réel:
34 Marie Carrière et Catherine Khordoc (eds) , Introduction , Migrance comparée. Comparing migration. Les
littératures du Canada et du Québec, vol.5, Editions Peter Lang, Bern, 2008 .
39
mort et naissance de la littérature québécoise contemporaine et migrante, Pierre Nepveu analyse
lui au ssi l’existence des concepts d 'interculturel, transcultur el, métisse et hybride . 35
Marie Carrière et Catherine Khordoc posent des questions qui montrent la complexité de
ce phénomène :
« Qu’est -ce que signifie en effet l’écriture migrante? Ce concept se réfère -t-il seulement à
un auteur qui a immigré? Combien d ’années ou de générations doivent passer pour qu’un
écrivain ne soit pas nommé un écrivain migrant ? Est – ce que c’est nécessaire de vivre
l’expérience de l’immigration pour pouvoir l’écrire ?» 36
Dans le contexte du changement culturel et de l’adoption de s modèles multiculturels,
l’écriture féminine essaie de dépeindre une image qui, le plus souvent, même au XXe siècle, peut
tomber très facilement en désuétude. Ces deux femmes écrivains sont unies par la langue utilisée
(le français) et par le modèle cultu rel emprunté.
La base du modèle culturel est toujours différente, car les auteures viennent de cadres/
sociétés différents. Laissant en arrière le modèle culturel originaire, leurs personnages se
trouvent souvent dans des hypostases d’inquiétude, d’étran geté, des situations pas
nécessairement faciles, pour s’adapter à un nouveau modèle culturel et pour essayer de survivre
dans de nouvelles conditions. La langue (dans ce cas le français) peut être un lien, mais en même
temps la limite linguistique la plus importante.
Notre analyse essaie de relever le modèle féminin proposé par les deux femmes écrivains,
Abla Farhoud et Ying Chen, en soulignant l’identification de la perspective culturelle, et met au
premier plan la comparaison de l’environnement avec l’a nalyse de l’espace francophone.
Parce que les personnages des romans que nous analysons proviennent tous d’espaces
différents, nous devons aussi envisager la francophonie dans une approche de diversité
35 Pierre Nepveu apud Marie Carrière et Catherine Khordoc (eds) , Introduction , Migrance comparée. Comparing
migration. Les littératures du Canada et du Québec, vol.5, Editions Peter Lang, Bern , 2008 , p.24
36 Marie Carrière et Catherine Khordoc (eds) , Introduction , Migrance comparée. Comparing migration. Les
littératures du Canada et du Québec, vol.5, Editions Peter Lang, Bern, 2008 , notre traduction « What Is actually
meant by écriture migrante ? Does it refer only to the writing of an author who has immigrated? How many years
or generations must pass before one is no longer a "migrant writer"? Must a writer have lived the experience of
immigration in order to write about it? »
40
multiculturelle. Voilà pourquoi les femmes écrivains que nous avons choisies pour l’analyse
proviennent toutes d’espaces différents, de cultures différentes.
I.2.1 La littérature migrante / Le métissage culturel
Dans le chapitre Une « migrance » postcoloniale , de l’ouvrage La pensée postcoloniale:
considér ations critiques, esthétiques et éthiques , l’auteure Marie Carrière, parle
d’« d'appartenance » et de « désappartenance » à propos des aspects caractéristiques des
écritures migrantes. Elle parle aussi de la nécessité d’aborder la littérature migrante avec une
influence transculturelle.
Selon Pierre Nepveu, ces relations transculturelles représentent « une étape nouvelle de la
culture »37, qui se définit d’emblée comme « l'expérience même de la rupture et de
l'indétermination […] un processus infini, ina chevable, de liaisons à même de créer une série tout
aussi infinie de ruptures ».38
Il y a aussi l’idée, liée au métissage des cultures, d’un choc culturel, comme la
« transculture » est le fait qui génère aussi des conflits entre les générations. La trans culture est,
en effet, le résultat d'un « choc culturel »39 qui donne à la fois le mélange des langues.
Pour désigner cette réalité, on connaît plusieurs termes dans la littérature de spécialité,
comme multicultural (Hutchon et Rchmond ), ethnic (Davis & Ba ena, Godard Kroetsch,
Siemerling dans Writing ) ou diasporic ( Kambanreli ) mais aussi Canadian (African Canadian),
terme qui s’est imposé à l 'écriture jusqu'à déceler les «nouveaux contextes » (Aziz) de la
littérature anglo -canadienne.
En 1996, Siemerli ng dans Writing Ethnicity a introduit le terme «ethnique» pour désigner
les textes des écrivains nés à l’extérieur du Canada. 40
37 Pierre Nepveu, « Qu’est -ce que la transculture ? », in P aragraphes, no. 2, 1989, p. 29. Cité par Marie Carrière, La
pensée postcoloniale: considérations critiques, esthétiques et éthiques, www.kanada –
studien.org/…/03_ Carriere _Postcol -2.pd.
38 Pierre Nepveu, « Qu’est -ce que la transculture ? », in P aragraphes, no. 2, 1989 , pg. 19.
39 Caccia, cité par Marie Carrière, op. cit.
40 Mari e Carrière et Catherine Khordoc, Migrance comparée , op. cit.
41
Dans le même roman apparaît la notion de migrant comme «internal colonial subject»
(Singh), de transculture (Pierre Ne pveu) cet te dernière étant un très important sujet d’analyse qui
comporte aussi une méthodologie supplémentaire postcoloniale appliquée à la littérature
canadienne ( Postcolonialism – Cynthia Sugars ).41
Quand on parle de postcolonialisme , de migrance et du concept de multiculturalité , on
peut rappeler un autre terme lié à ces deux derniers concepts, celui d’altérité. Selon Jim
Zucchero, le Canada serait postcolonial autant qu’il reconnaisse et accepte l’altérité et la
différence de ses écrivains d' ailleurs.42
De so n côté, Pierre Nepveu souligne la relation entre l’écriture migrante et le processus
de l’hybridation, il analyse aussi le sentiment de déracinement et l’expérience de l’exil (2011).43
Apparemment, l’exil donne la possibilité à l’écrivain de créer un autre espace dans ses
écritures, différent de celui d‘où il vient et différent aussi de l’espace où l'écrivain arrive (la
culture de son pays et la culture d’un pays différent, le pays d’accueil).
Comme la migration constitue une dépossession de ses origines, l’écrivain migrant se
trouve d’ailleurs confronté à une « inquiétante étrangeté ».44
La migration pose aussi des questions sur l’identité des personnages, c’est le cas des
personnages d’Abla Farhoud et de Ying Chen, qui essayent tout le temps de trouver l eur identité
dans la nouvelle culture où ils sont déjà installés.
L’écriture migrante adhère aux théories littéraires postmodernes, notamment par sa mise
en lumière et son exploration des concepts d’hybridité et de métissage. La notion d'hybridité
concer ne d’une part l’hybridation linguistique dans le texte littéraire, à savoir la mise en place de
personnages plurilingues ainsi que la mise en scène de leur relation conflictuelle avec les langues
41 Pierre Nepveu apud Marie Carrière et Catherine Khordoc (eds) , Migrance comparée. Comparing migration. Les
littératures du Canada et du Québec, vol.5, Editions Peter Lang, Bern, 2008
42 Marie Carrière et Catherine Khordoc (eds) , Migrance comparée , op. cit.
43 Pierre Nepveu apud Marie Carrière et Catherine Khordoc (eds) , Introduction , Migrance comparée. Comparing
migration. Les littératures du Canada et du Québec, vol.5, Editions Peter Lang, Bern, 2008
44 Robin, cité dans Moisan et Hildebrand, p g. 221, in Mari e Carrière et Catherine Khordoc, Migrance comparée, op.
cit.
42
et d’autre part l’hybridation générique ou bien la création d'un espace multiculturel dans lequel
différentes cultures se mélangent, donnant lieu à des sentiments d’étrangeté et de différence. 45
Et en plus l’écriture migrante, à l’aide de cette diversité plurivalente, nous offre aussi la
possibilité de penser et d e corréler les identités en réseau.
Deleuze et Guattari dans Mille Plateaux donnent une autre définition aux faits
multiculturels et aux métissages multiculturels, à travers le concept de rhizome . La pensée
rhizomorphe de G. Deleuze emprunte à la botaniq ue le modèle du « rhizome », plante
multicentre, anarchique et souterraine. Penser en réseau, c'est penser la multiplicité des échanges,
la multitude des flux déterritorialisants et prolifères. Ce n'est pas penser le territoire comme
centralisé, mais comme réticulaire, la communication comme fluide et liquide, les limites
solubles.46
Cela veut dire que le Canada dépasse l’interculturel, comme l’affirment d’ailleurs Marie
Carrière et Catherine Khordoc. Les écritures migrantes sont apparues en 1983 dans la li ttérature
québécoise. C’est pour cela qu’on peut dire que le Canada est un pays d'immigrations.
Selon Bissoondath on n’immigre pas pour transposer simplement l’héritage culturel (qui)
n’est pas toujours une belle chose. Il faut plutôt savoir que « les ra cines sont transposables/
adaptables » et que les effets nocifs de l'exotisme culturel faisant du pays délaissé la patrie du
cœur éternelle, marginalisent l'immigrant et le relèguent au statut d’étranger perpétuel. 47
En ce qui concerne le processus d'immi gration et aussi l'héritage culturel, les romans
d'Abla Farhoud, Le bonheur a la queue glissante et Le sourire de la petite juive et aussi le roman
de Ying Chen, Les lettres chinoises montrent les aspects de migration et des différences entre les
personnes dans une société: même si on révèle des différences de culture ou presque différences
de race et des coutumes et de traditions de la communauté. On va montrer comment
l'immigration change la d'une personne intégré dans une autre société, dans les romans s ous-
mentionné. Le monde d'encodage, conformément aux idées du Deleuze et Guattari, les chaînons
sémiotiques sont liées aux chaînons très divers, économiques, politiques, biologiques. La société
45 Marie Carrière et C atherine Khordoc, Migrance comparée , op. cit.
46 Deleuze et Guattari (à-propos de Mille Plateaux ) apud Marie Carrière et Catherine Khordoc (eds), Migrance
comparée. Comparing migration. Les littératures du Canada et du Québec, vol.5, Editions Peter Lang, Be rn, 2008
47 Bissondath, cité par Marie Carrière et Catherine Khordoc, Migrance comparée , op. cit. , pg.70
43
d’appartenance et la culture originaire est importante dans l e processus de l'immigration pas la
seule qui change la perspective des personnages au moment du changement du pays. Ils parlent
d' abord premièrement des principes de connexion d’hétérogénéité.
Le bonheur a la queue glissante – Abla Farhoud
Dounia, pers onnage principal du roman Le bonheur a la queue glissante , d'Abla Farhoud
n’a pas de travail, son mari est le seul qui travaille et qui sait tout faire. Elle sait seulement
comment préparer la nourriture pour ses enfants. Elle ne connaît pas le français et c'est la raison
pour laquelle elle n’a pas d’emploi. Son exil sera toujours le même: à l'intérieur du foyer, avec sa
famille.
La solitude, l’échec probablement, l’apparence contrastante, la nécessité de réaliser un
instrumentaire parfait et nécessaire p our survivre, sont encore d'autres thèmes importants à
mentionner et à analyser.
o «J’ai voulu saisir la vérité d’une étrangère qui ne sait ni lire, ni écrire, ni parler. J’ai voulu
connaître sa solitude, ce que je pense être une solitude absolue. Je me su is faite petite,
petite, pour entrer dans ce corps de femme, écouter les battements de son cœur, son
rythme, ses silences, parler comme elle, inventer sa parole. Trouver une langue à sa
mesure, une langue juste pour Dounia, ni arabe, ni français, une langu e généreuse qui ne
comprend qu’avec le cœur»48
Dans ce premier roman, publié en 1988, Abla Farhoud raconte l’histoire du personnage
principal nommé Dounia (qui signifie «univers» en arabe), une vieille femme de 75 ans qui ne
sait ni écrire ni lire et qui n e parle que l’arabe. Dounia parle très peu et elle croit qu'elle est
muette, en utilisant dans son langage des dictons de son pays d'origine et aussi des proverbes. Par
contre, l’importance qu’on accorde aux mots ou au silence se reflète au cours du monolo gue
intérieur du narrateur et du protagoniste .
48Abla Farhoud, citée dans «La voix de Dounia», entrevue réalisée par Marie -Andrée Chouinard, Le Devoir , samedi
28 et dimanche 29 mars 1998, p g. D-1
44
Le bonheur a la queue glissante présente le double exil d’une famille libanaise : exil
géographique, physique, mais aussi un exil intérieur. Dounia, Salim (son mari), en même temps
que leurs enfants (Abdalla h, Farid, Samir, Samira et Myriam – Kaokab qui est né au Québec)
quittent le Liban pour émigrer au Canada, pour vivre là -bas une période, après quoi ils retournent
encore une fois au Liban. Quand la guerre éclate en 1975 au Liban, la famille doit émigrer p our
la deuxième fois, ce qui a des répercussions sur tous ses membres, surtout pour Dounia, mais
aussi pour Salim et pour Abdallah, l’aîné de leurs enfants.
Dounia vit dans une société dont elle ne connaît pas la langue. Elle se sent toute seule et
en deh ors d’une société qui est caractérisée par l'usage de la langue française. A commencer par
son mari qu’elle sent étranger et tout différent d’elle, elle comprend que ses enfants et ses petits –
enfants l’isolent à cause de son incapacité de communiquer:
o « Mo n mari est très différent de moi. Quand les enfants atteignent l'âge de six, sept ans,
on dirait qu'ils deviennent pour lui des étrangers. Je le comprends dans un sens. Il aime
raconter des histoires, et, dans ce cas, la langue est un gros handicap. Mes pe tits-enfants
ne parlent pas notre langue. Ils disent grand -papa et grand -maman en arabe, c'est à peu
près tout. Moi ça me dérange pas »49
Ouverte à tout ce que signifie une nouvelle vie, elle se sent heureuse uniquement si les
enfants qu’elle a autour d’el le sont heureux. Elle se sentira quand même émigrante toute sa vie et
n’arrivera pas à comprendre la société où elle est obligée de s'adapter jusqu'à sa fin.
o « Certains immigrants disent: "Je voudrais mourir là où je suis né". Moi, non. Mon pays,
ce n'est pas le pays de mes ancêtres ni même le village de mon enfance, mon pays c’est là
où mes enfants sont heureux… Mon pays, c’est mes petits – enfants qui s’accrochent à
mon cou, qui m 'appellent sitto Dounia…dans ma langue » 50
49Abla Farhoud, Le bonheur a la queue glissante , Editions L'Hexagone, Québec, 1998 , pg.19
50 Ibidem , pg.19
45
C’est la langue qui la sépar e de ses enfants, parce qu’elle a immigré avec sa famille
quand ses enfants étaient petits et alors toute leur éducation s’était faite en français, sauf pour
elle. Pour Dounia, même des activités usuelles et banales, comme faire des courses, restent des
actions très complexes. Myriam, sa fille qui lui donne la po ssibilité du " dire", de se
communiquer lorsqu’elle écrit un livre, a beaucoup étudié et c’est la source d'une grande
différence entre elle et sa mère. L’écriture est ici perçue comme salut. L'immigr ation, dans ce
cas, a un résultat immédiat: l'étrangeté à cause de la langue française, et conformément a la
théorie de Deleuze et Guattari, le principe de rupture asignifiante démontre qu'il a des coupures
très significatives qui séparent les structures, la structure dans ce cas étant la société canadienne.
Conformément à cette théorie si un rhizome est rompu il prend immédiatement la forme d'autres
lignes en prenant leur forme.
o « Je ne sais pas si c'est seulement la langue ou simplement qu'elle est d'un e autre
génération ou peut -être l'école. Ça change beaucoup une personne d’avoir étudié
longtemps. Même si nous étions restées en Liban et qu’elle avait étudié l'arabe, il y aurait
eu une distance entre elle et moi »51
En ce qui concerne la langue du pays, la solitude s’installe dans son âme comme un fait
déjà accepté, qu’elle n’aura pas la possibilité de changer. C’est ainsi qu’elle reste immobile dans
son « impossibilité de dire », comme les critiques l’ont caractérisée: 52
o «Je ne pouvais parler à personne . Je ne connaissais pas la langue du pays, je ne sortais
jamais de la maison, je n’avais ni parents ni amies, mon mari avait tellement de
problèmes, c’était impossible de lui parler, et ma belle -mère, que Dieu lui pardonne, me
détestait comme si je lui ava is tué ses enfants.Il me restait mes enfants. Les trois plus
grands allaient à l’école et les deux petits restaient avec moi. C’est surtout pour mes
enfants que j'avais peur de mourir »53
51 Ibidem, pg.22
52 Julie Berrier, La prise de parole des écrivaines migrantes: l’impossibilité du dire chez Ying Chen et Abla
Farhoud , en ligne, http://cec av.univ -avignon.fr/mini_site/group/222/Fichier_seminaire_europeen.pdf
53 Abla Farhoud, Le bonheur a la queue glissante, op. cit., p g.31
46
La seule personne qui a la capacité de la comprendre c’est Myriam, e t la question à
propos de la solitude de sa mère – le thème principal du roman – vient de sa part :
o «" Mère, est -ce que tu te sens seule?" Ma gorge s’est serrée. A lui seul un regard tendre
suffit à m’émouvoir, avec cette question en plus, j’étais désarçon née. Elle attendait ma
réponse en continuant à me regarder, puis une autre question m'a frappé le cœur:
"As- tu peur que tes enfants t'abandonnent, mère ? " »54
La migration dans ce sens est vraiment un drame. Le drame qui se perpétue et qui ne lui
donne pas la possibilité d’espérer. Dounia souffre en silence. Sa vie intérieure est une vie
marquée par l’impossibilité d’avouer, elle reste une incomprise par les personnes qui peuplent sa
vie.
o «Emigrer, s’en aller, laisser derrière soi ce que l’on va se mettr e à appeler mon soleil,
mon eau, mes fruits, mes plantes, mes arbres, mon village. Quand on est dans son village
natal on ne dit pas mon soleil, on dit le soleil, et c’est à peine si on en parle puisqu’il est
là, il a toujours été là, on ne dit pas mon vil lage puisqu’on l’habite… Tout n’est
qu’habitude, même la piété…Je m'en suis aperçue quand j’ai émigré de mon village pour
aller vivre dans celui de mon mari »55
L'appartenenance et dé sappartenace dont parle Marie Carrière dans son ouvrage sont des
sentiments présents dans le roman d'Abla Farhoud, en essayant de se rappeler des choses
commun ou presque similaires avec les choses que le personnage principal rencontre dans le
pays d’adoption. Toute sa vie est une bataille entre les deux sentiments et le ch angement qui
dérive de ses expériences de vie fait partie d'un pattern qui se répète dans les autres romans.
54 Abla Farhoud, Le bonheur a la queue glissante , Editions L'Hexagone, Québec, 1998 , pg.35
55 Ibidem, pg.44
47
La question du bonheur reste la même. Dounia connaît -elle le bonheur en dehors de sa
maison, de ses enfants, de son mari, de sa vie, de son villa ge? Ou bien le bonheur existe -t-il
seulement dans ses rêves ?
o «Le bonheur a la queue glissante…Savourerais -je cette eau si je n’avais pas eu soif?»56
L’histoire personnelle de chacun se réécrit d’une autre manière, développant le drame de
l’immigration e t des personnes qui essaient de retrouver leurs racines.
Pour ce qui est du personnage féminin, l’étrangeté dont Dounia a souffert toute sa vie a
pour cause l’impossibilité de communiquer, et de la soumission qu’elle doit accepter tout le
temps: la soum ission à son père, à son mari, à ses fils, évoque un sentiment de désespoir et
l’image d’une vie terrible.
Le sourire de la petite juive – Abla Farhoud
Le thème de l’étrangeté, on le retrouve aussi dans Le sourire de la petite juive , roman
fresque où se cr oisent une vingtaine de personnages possédant tous, à leur manière, une force
rédemptrice alimentée par le désir de vivre ensemble, au présent.
Le personnage principal, l'auteure Françoise Camirand, entreprend d’écrire un roman.
Elle tente de raconter ceu x qui font de sa rue un lieu mythique de Montréal. Ses voisins sont sa
matière, celle du livre qu’elle élabore et que nous lisons. Et en contrepoint de la voix de la
romancière, une autre voix, celle de Hinda Rochel, une jeune juive hassidique, confie à so n
journal intime ses observations et sa révolte à l’idée de suivre le chemin qu'on a tracé pour elle.57
C’est ainsi que les éléments de multiculturalisme apparaissent, ici encore, comme le désir
de vivre ensemble, de partager la même religion, dans une div ersité frappante dans la rue
Hutchison à Montréal.
56 Abla Farhoud, Le bonheur a la queue glissante , Editions L'Hexagone, Québec, 1998 , pg.7, pg.47
57 http://www.edvlb.com/sourire -petite -juive/abla -farhoud/livre/9782896493043
48
La personnalité des personnages réunis par Françoise Camirand sont d’origines
différentes, ayant des vies parallèles. L’auteur Françoise Camirand commence à écrire un roman
dont le sujet est tout aussi co mplexe que la vie de ses différents personnages: elle veut surprendre
la variété de différences entre personnes d’ethnies, religions différentes, personnages qui vivent
dans cette rue, et qui en fait une image radicale. On aura la possibilité d’apprendre c e qui nous
sépare ou ce qui nous rassemble. Hinda Rochel est le personnage le plus charmant, parce qu’elle
essaye de comprendre s’il y a un destin tracé par quelqu’un ou si peut -être nous seuls nous
pouvons changer tout ce qui se passe dans notre vie.
Dans le journal de Hinda Rochel on retrouve aussi des questions concernant les
hypostases de la femme, comment la femme questionne son identité. Et aussi ce que signifie être
femme de nos jours:
o «Les femmes n’étudient pas le Talmud et c’est pour ça qu’elles doivent obéir, ce que
m’avait dit mon cousin Srully. J’étais petite mais j’ai une très bonne mémoire. Je
commence à comprendre. Elles sont obligées d’obéir parce qu’elles ne peuvent pas
étudier. Moi je veux étudier. Je ne comprends pas. PAS. PAS. PAS »58
La différence entre hommes et femmes est évidente, ce qui nous emmène à l’idée que la
femme doit aussi connaître sa place dans la société et la communauté.
La différence entre les femmes et les hommes se voit dans l’existence d’un autre
personnage de la rue Hutchison, Martine Saint -Amant, qui sait lire et écrire, à la différence du
personnage Dounia d’Abla Farhoud.
o «Martine Saint -Amant avait toujours été une fervente lectrice. Une passionnée. Depuis
l'enfance, ce n’était pas seulement son passe -temps fa vori, c’était sa nourriture
quotidienne. Même harassée, après une journée de travail, elle trouvait toujours le temps
et l’énergie de lire, ne serait -ce que quelques pages. Elle lisait de tout, surtout des romans
intenses et profonds qui questionnent et bo uleversent. Elle aimait cette expérience,
douloureuse parfois, d’aller au tréfonds de soi avec les mots d’un écrivain ou d’une
58Abla Farhoud, Le sourire de la petite juive, Editions Typo Une société de Quebecor Media, Québec, pg.163
49
écrivaine qui se farfouillait les entrailles, s’arrachait les tripes pour trouver un sens à la
vie avec des mots infiniment beaux , presque de la poésie »59
L’importance de la lecture se voit comme se voit aussi la lecture qui ne manque pas dans
la vie de Dounia. Premièrement, du fait que la lecture nous transpose dans le monde de
l’écrivain – réel ou imaginaire – cette activité est pa rticulièrement enrichissante. Deuxièmement,
elle a la possibilité d’effacer les inégalités multiples entre les individus – de race, de culture,
socio – politique, et même de genre.
Quant à la migration, elle aussi apparaît en tant que sujet analysé dans Le sourire de la
petite juive, comme un fait de vie. La langue, à nouveau, pose des questions pour les personnages
qui veulent émigrer au Canada. Par exemple, Jean – Hugues Briançon se pose des questions
particulières sur ce sujet, même s’il ne parle pas le fr ançais.
o «Depuis son arrivée au Québec, les mots niaiser, maganer, achaler, astiner, enfarger,
rapailler, garrocher, baveux, bleuet, bobette, brassière, gougoune, moumoune, guidoune,
et tous les sacres typiquement québécois, donc religieux, les bancs de ne ige, la sloche, la
glace noire, la poudrerie et mille autres mots et expressions étaient venus enrichir son
vocabulaire. Il apprenait vite et aimait la saveur distinctive de la langue québécoise. Il
disait "tu m’aimes -tu ?" parce qu’il adorait la chanson de Richard Desjardins et trouvait
que la répétition du "tu" rendait la demande plus précise et plus forte »60
Avec le temps, la langue ne représentait plus une limite pour lui, peut -être aussi parce
qu’il était tombé amoureux d’une très belle Québécoise qu 'il avait suivie.
o «Il rentra en France pour faire sa demande d’immigration revoir ses parents et finir ce
qu’il avait à finir .Il avait vingt -cinq ans, il était prêt à tout et la vie au Québec lui
convenait parfaitement, le froid et les hivers interminabl es y compris. Ici, il pouvait être
59 Abla Farhoud, Le sourire de la petite juive, Editions Typo Une société de Quebecor Media, Québec , pg. 168
60 Ibidem , pg.179
50
ce qu’il voulait être, faire ce qu’il voulait faire, et devenir ce qu’il voulait devenir. Ce
sentiment de liberté qui l 'avait poussé à immigrer était en fait une sensation de détente »61
La rue Hutchison est un espace sac ré, pour tous ceux qui vivent dans cette rue. C’est
aussi un espace qui donne l’équilibre nécessaire à toutes ces existences. Peut – être que c'est aussi
l'espace du multiculturalisme où la diversité se mélange surtout pour créer l'impression d’unité.
o «Depuis qu’il avait quitté son lieu d’origine, il n’avait plus bougé, plus jamais déménagé
de la rue Hutchison. Comme si un seul grand saut, même voulu, même choisi, pouvait
déstabiliser suffisamment pour que le reste de la vie serve à retrouver l’équilibre, à
s’ancrer. Et quoi de mieux pour s’ancrer qu’une femme qu’on aime et qui nous aime est
un travail passionnant. Il se sentait privilégié, reconnaissant et humble devant tout ce que
la vie lui avait donné »62
Le véritable événement, qui change un peu la traje ctoire assez ennuyeuse de Hinda
Rochel, se passe dans la même rue. La peur qu’elle a de sortir sur les trottoirs et aussi de parler
avec les gens lui donne souvent le sentiment de la solitude. La langue serait ici, comme pour
Dounia, une limite. La pluriva lence des langues mène aussi à l’impossibilité de communiquer.
o «L’autre jour une femme presque aussi vieille que Mme Genest est venue me parler. Je
l’ai vue souvent. Elle habite juste en face de chez nous. Elle m’a arrêtée dans la rue et
m’a parlé en fran çais. Moi, j’écris et je lis le français mais quand il faut parler, je suis très
gênée, alors je bégaye un peu. Pas souvent l’occasion de parler. Avec Mme Genest, à
l’école, oui. Avec mes amies, on parle anglais ou le yiddish, surtout l’anglais quand on
est entre nous. La femme avait une feuille à la main avec des colonnes pleines de noms et
prénoms juifs. Elle m’a demandé si ces noms étaient hassidiques. J’étais surprise. C’est la
première fois que quelqu’un m’arrête dans la rue pour me poser une question. Les
61 Abla Farhoud, Le sourire de la petite juive, Editions Typo Une société de Quebecor Media, Québec , pg.180
62 Ibidem , pg. 184
51
hommes savent qui nous sommes et ne nous dérangent pas. Ils évitent de nous regarder,
ils passent à côté de nous comme si nous n’existions pas »63
D’autres aspects, comme le racisme se mélangent ici avec l’étrangeté et la solitude
comme thèmes princi paux du roman.
Dans le chapitre Willa Coledridge nous retrouvons une autre histoire où l’intérêt pour une
autre culture et même pour une autre religion donne au personnage Willa la possibilité de faire
un geste incompréhensible: entrer dans une autre com munauté, différente de celle où elle
habitait, et avoir l’intention de rester là, parmi les étrangers. La nécessité d’appartenir à une
communauté est une image qui apparaît aussi chez ce personnage. L’intérêt que Willa manifeste
pour les hassidiques lui do nne le désir d’entrer dans une église où elle n’est pas encore entrée:
o «Elle se leva et vint s’appuyer sur la rambarde du balcon et regarda cet écoulement
d’humains marchant sans faire de bruit, allant tous au même endroit avec détermination
et plénitude. Elle les enviait. Elle aurait aimé faire partie d’une communauté, elle aussi.
Bien sûr, il y avait son église, tous les dimanches. Pour les hassidims, chaque jour
ressemblait à son dimanche à elle. Ils se soutenaient les uns les autres, ils avaient le
même Dieu, les mêmes règles, les mêmes prières, les mêmes fêtes, les mêmes chants. Ils
avaient une vie toute tracée d’avance. Epaule contre épaule. Ainsi va la vie, jusqu’à la
mort, chacun soutenu par les autres, chacun soutenant ses semblables. Ils n’y avaien t pas
d’angoisses chez eux »64
La nécessité de parler avec une juive, de sentir qu’elle n’est pas différente se révèle
constante ici, et un jour se reflète dans un geste incontrôlé, quand la cuiller à café glisse de ses
mains et tombe sur le trottoir. Une f ille lève la tête et la regarde et e n plus, lui offre son sourire.
Le sentiment d'appartenance dans une communauté qui l a rejetée est ici d’une importance
majeure. Willa ressent toujours la différence d’être noir. Le sentiment de désappartenance existe
aussi associe aussi au sentiment d'inutilité et d'étrangeté qui font la base de notre étude.
63 Abla Farhoud, Le sourire de la petite juive, Editions Typo Une société de Quebecor Media, Québec , pg.203
64 Ibidem ., pg. 229
52
o « Willa lui sourit pour lui signifier que c’était -elle qui malencontreusement avait laissé
tomber la cuiller. Et la jeune fille lui rendit son sourire. Un beau sourir e. Mon Dieu. Une
grande fille lui avait souri. Mon Dieu. Pas un bébé. Une presque adulte qui dans quelques
années serait déjà mariée. En vingt -cinq ans, c’était la première fois qu’une juive lui
souriait. Pour Willa c’était un signe. La fille, accompagnée de sa mère, continua son
chemin, et dans son cœur quelque chose avait bougé »65
Un geste qui semble banal, qui le serait ailleurs, mais qui a une signification particulière
ici.
Ce signe lui donne la possibilité de décider de se rendre à la synagogue et d e marcher
derrière cette fille, de la suivre. Willa ressent aussi le sentiment de commettre un grand péché
quand elle entre pour la première fois dans une communauté qui ne la laisse pas d’habitude
pénétrer dans ses lieux de recueillement. Deux fois étrang ère à cette communauté, noire et pas
hassidique, Willa va suivre son chemin, pour la première fois ayant un grand désir d'entrer dans
un lieu interdit.
o « Sans tergiverser, Willa profita de la porte ouverte et lui emboîta le pas. La femme
s’arrêta, déconc entrée, et, à défaut de savoir quoi faire avec cette plantureuse femme
noire qui l’avait saluée poliment en lui disant "Shalom", elle la laissa entrer. La femme
connaissait toutes celles qui fréquentaient sa synagogue, il n'y avait pas des Noirs dans la
communauté, mais que pouvait -elle faire d’autre ? Lui interdire l'entrée? Se battre avec
elle? Elle était déjà en retard… »66
Puis elle se demande toujours si elle est folle, comment il est possible d’entrer dans une
synagogue où elle n’était pas invitée, elle, qui est toute différente de tous ceux qui sont ici, et en
plus, qui est noire. Le sentiment d’incompatibilité avec cette communauté l’accable comme
l’avait accablée toujours dans sa vie, et le sentiment de solitude et d’étrangeté lui fait mal.
65 Abla Farhoud, Le sourire de la petite juive, Editions Typo Une société de Quebecor Media, Québec , pg. 230
66 Ibidem, pg. 2 31
53
o « Sou dainement, Willa se sentit Noire. Pas non -juive entourée de juifs. Mais Noire dans
un monde de Blancs. Noire. Incongrue. Le malaise de la petite juive avait réveillé en elle
sa propre enfance. Son enfance, son adolescence, où la gêne ressurgissait à tout m oment,
quand elle s’y attendait le moins. La gêne d’être ce qu’elle était. Un combat de chaque
instant. Combat de celle qui n’est jamais pareille aux autres, de celle qui doit s’ excuser
d’être ce qu’elle est, combat de celle qui doit toujours se répéter p our ne jamais l’oublier,
pour ne pas tomber dans la haine de soi: Noir, c’est beau, aussi, Noir, c’est beau." Don’t
ever forget, Willa, black is beautiful", lui répétait son père »67
Le moment où une autre femme lui demande si elle est juive et quelle est la raison de sa
présence dans la synagogue est celui où Willa comprend que, malgré les limites de la religion et
les différences d’ethnie ou de couleur de la peau, on est tous bienvenus devant Dieu. « Well,
come back next shabbat, if you want», c’est le pl us important message qu’elle reçoit tout au long
de sa vie. Les messages que son père lui a donné sont très importante pour l'autosuggestion du
personnage féminin: de se convaincre que le noir est beau est qu'elle est belle n'importe pas la
couleur de la p eau. Qu’elle est désirée, dans la communauté mais aussi parmi ses voisions qui
vivent dans la rue. D'explorer le sentiment d'appartenance.
o « Lui vint soudainement à l’esprit une pensée qui la fit sourire. Si quelqu’un arrivait chez
elle et lui disait, à e lle qui était Noire de naissance : "je veux devenir Noir", elle rirait,
c’est certain. Si elle demandait aux Juives la permission de faire partie de leur
communauté, elles éclateraient de rire, c’est sûr et certain.
On ne devient pas Noir tout comme on ne devient pas hassid, elle le savait maintenant »68
Etre étranger dans un monde ou nous habitons peut être le drame réelle de notre vie.
Même si l'étrangeté ici ne prend pas la forme de l'immigration, le sentiment de la solitude et de la
différenciation est présent encore dans le roman.
67 Abla Farhoud, Le sourire de la petite juive, Editions Typo Une société de Quebecor Media, Québec , pg. 233
68 Ibidem, pg. 234
54
Les lettres chinoises – Ying Chen
Quant à Ying Chen, son œuvre appartient au genre de la littérature migrante québécoise .
Ce type de littérature diffère totalement de la littérature québécoise de Michel Tremblay ou de
Réjean Ducharme, dont l’un des objectifs est de mettre en valeur la langue québécoise.
En effet, depuis les années 1970, le Canada a favorisé une politique d'immigration
multiculturelle . Il en a résulté l’éclosion d’une littérature de langue française venant du monde
entier. Les communautés italienne et juive sont les plus représentées sur la scène littéraire
québécoise. Ying Chen représente à travers ses romans la Chine et le poids de sa tradition.
Ying Chen manifeste une fascination respectueuse pou r la langue française et son écriture
est caractérisée par la maîtrise et la pureté de la langue française classique .
Les Lettres chinoises en sont la preuve, car tout au long du roman, nous pouvons noter
l’utilisation d’un français soutenu par la syntaxe et le vocabulaire choisis.69
Les lettres chinoises de Ying Chen est un roman ou le thème de l’émigration reste
dominant.
Ce livre regroupe cinquante -sept lettres échangées entre Sassa et Yuan (deux
amoureux), et Sassa et Da Li (deux amies).
Puisqu’ ils s e sentent étrangers dans leur propre pays, Yuan choisit un jour de s’établir à
Montréal. Sassa, qui refuse de voir l’exil comme un remède contre cette vie compliquée, décide
de ne pas le suivre. Est -ce que leur amour aura la possibilité de survivre à ce ty pe de distance?
Le roman s’inscrit dans la ligne des plus beaux romans épistolaires, Les Lettres chinoises
racontant le déracinement, la séparation par le départ à l’étranger, le choc culturel et les amours
impossibles.
69Virginie Guibert, http://www.lettres -et-arts.net/litteratures -francophones -etrangeres/lettres -chinoises -ying-chen+61
55
Sassa , la fiancée de Yuan, est res tée à Shanghai en attendant d’obtenir un passeport et elle
redoute de le suivre. Au fil du texte, on pressent qu’elle ne viendra pas le rejoindre. Ils
correspondent toujours car la séparation est très difficile.
Da Li , une amie du couple, choisit également de quitter son pays pour aller vivre
à Montréal . Là-bas, elle tombe amoureuse d’un Chinois, mais celui -ci a une fiancée en Chine,
voilà pourquoi il y aura entre eux une liaison adultérine. Elle fait des confidences à Sassa qui la
comprend et la conseille, malgré son respect de la tradition chinoise, de sorte qu’on comprend, à
travers cette relation, les traditions de son pays d'origine.
L’un des thèmes abordés dans ce roman est l’ opposition entre la tradition chinoise et la
modernité nord -américaine . On pe ut noter également le thème de l’amour impossible entre Sassa
et Yuan, mais le thème principal reste celui de l’exil et la notion d'appartenance à un pays.
Ying Chen utilise un français très simple mais assez soutenu . Dans ce texte, il n’y a qu’un
seul reg istre de langue. On peut donc s’interroger sur les raisons qui ont conduit au choix de la
langue française et non de la langue maternelle de l’auteur pour écrire son roman.
En effet, Ying Chen n’établit pas un rapport de force avec la langue française com me
c’est le cas pour certains auteurs francophones pour lesquels le français symbolise la langue de
l'oppresseur. Ying Chen a choisi d’écrire en français pour une autre raison : le choix de cette
langue oriente le lecteur. L’auteur désire en effet que son œuvre soit lue par un public québécois
et non pas par un public chinois (on peut noter que ce roman n’est pas traduit en chinois). On
imagine facilement que la correspondance entre les trois personnages chinois a dû se faire en
chinois. Pourtant, la retran scription des lettres se fait en français.70
L’amour impossible à cause de la séparation géographique (thème que l’on retrouve
souvent quand on parle des différences entre diverses sociétés), mais aussi la réflexion sur les
différences de culture et la sit uation d'exil traversent ce livre.
70 http://www.lettres -et-arts.net/litter atures -francophones -etrangeres/lettres -chinoises -ying-chen+61
56
Deux thèmes importants, que Marie Carrière a déjà analysés, sont ceux que Yuan a
sondé, lui aussi : le thème de l’appartenance et de l’identification, et qui amorce ainsi dès le
début une réflexion sur l’exil, l’émigratio n et l’immigration .
L’expérience de Yuan est celle de l’étranger : dans sa première lettre, il note ses
premières impressions d’immigré. Il a quitté son pays natal et aussi la femme qu’il aime. C’est
l’occasion pour lui de s’interroger sur la notion d’appa rtenance: c’est loin de la Chine qu’il
comprend alors à quel point il est attaché à ce pays, et combien il s’y identifie.
La situation d’exilé lui fait ressentir à la fois l'appartenance à la Chine et le sentiment
d’être étranger à Montréal. Situation par adoxale donc : en Chine, Yuan souhaitait plus que tout
quitter ce pays trop influencé par le poids des traditions ; une fois à Montréal, il s’y sent étranger,
et cherche à affirmer une filiation avec son pays natal.71
L’exil est toujours le même : les perso nnes sont toujours tout aussi proches de leur pays
natal et étrangères dans un autre pays. Même si les Canadiens sont très gentils, la notion
d’étranger est abordée de points de vue différents : celui d’un Chinois de Chine regardant une
Française immigrée et celui d’un Chinois du Canada. Le personnage de Sassa permet de mettre
en évidence les préjugés qu’ont les Chinois sur les occidentaux et la richesse qu’ils prétendent
posséder par rapport aux autres.
Dans la lettre 25, Da Li, dans sa correspondance a vec Sassa, s’interroge sur la notion
d’étranger . En lisant ses confidences, pour Sassa se pose la question s’il s’agit d’un Français ou
d’un étranger. C’est le prétexte pour Da Li de faire une analyse de ce que ce mot signifie. Elle lui
répond que la notio n d’étranger est toute relative, parce qu’elle -même est considérée comme une
étrangère à Montréal. Ainsi, elle introduit le terme de non étranger se rapportant aux habitants de
Montréal. Le personnage de Da Li symbolise l’ambiguïté et la fragilité du statu t d'étranger : la
notion d'appartenance à un pays dépend du point de vue de l'énonciateur.72
71 Ibidem.
72 Ibidem, pg.10
57
o «Depuis la guerre de l’Opium, les Chinois ont l’habitude de ne considérer comme
étrangers que ceux de race blanche. Un étranger, c’est quelqu’un qui inspire chez no us la
peur, l’admiration et la rancune…En général, ici comme ailleurs, les non – étrangers
n’épousent pas trop les étrangers. Ceux qui le font, ce sont des gens courageux, assez
forts pour pouvoir rester la tête haute sous les regards des curieux » 73
C’est Da li qui énonce à la fin de cette lettre la vérité concernant l’étrangeté :
o « Heureusement, le destin a mis ce matin -là, dans une rue lumineuse, un "étranger"
comme moi, un Chinois émigré, une plante sans racines » 74
Yuan est celui qui fait une analyse co ncernant le statut de l’étranger : selon lui, être ou
non étranger ne change rien au fait de sentir le bonheur ou la tristesse (se sentir chez soi dans un
pays étranger est tellement important !). Par contre, Da Li décide de quitter Montréal pour Paris,
ce qui nous donne une autre perspective sur nos horizons.
o «La figure de l’étranger s’avère être une constante du texte québécois, il n’est pas
étonnant que le rôle actif que joue l’étranger depuis les années 1980 ait beaucoup
influencé le domaine littéraire au Québec. Aussi, la problématique du double et la quête
identitaire jouent, elles aussi, un rôle très important. C’est aussi une forte déstabilisation
des anciennes valeurs: d’être entre deux langues, entre deux villes, entre deux cultures,
entre deux ép oques ». 75
Quant à Yuan, même s’il commence à remémorer le beau temps passé en Chine, il
s’adapte toujours mieux à cette vie du Canada.
o « Ce qui me rend toujours fier de notre culture, c’est bien cette simplicité dans la
façon d’aborder les choses, cette capacité de faire des goûters délicieux à partir de
73 Ying Chen, Les lettres chinoises, Editions Babel, Québec, 1993, p g.64
74 Ibidem, pg.65
75 Marie Carrière et Catherine Khordoc – Migrance comparée , op. cit.
58
presque rien, ce courage de survivre même de bien vivre dans le désert du destin, cette
quête jamais relâchée de la beauté de la vie, cette délicatesse toujours présente malgré
la misère quotidienne » 76
Par contre, Sassa, dans la lettre 26, en écrivant à Da Li, comprend très bien ce
qu’étrangeté veut dire dans son propre pays:
o « Au fond, je me sens aussi déracinée que toi, même si je reste encore sur cette terre où
je suis née. J'ai toujours l’impression d'être en train de m’adapter à une société où je ne
sais pas exactement si je suis "minorité" ou "majorité ". Je dois faire des efforts pour
parvenir à réagir à peu près correctement devant mes parents, mes voisins, mes
collègues, mes supérieurs… Je dev ine que, pour moi, cette adaptation est aussi difficile
à Shanghai qu'à Montréal. Je suis née étrangère dans mon propre pays. Et cela vaudrait
une sentence beaucoup plus sévère » 77
Le déracinement est aussi le sentiment de l'étrangeté. Les racines qu'on a besoin
viennent d'un certain espace auquel nous nous identifions dans la vie. En même temps, dans
le roman de Ying Chen essaye de révéler une vérité: l'adaptation dans un autre pays est
difficile mais c'est plus difficile dans le pays ou le personnage prin cipal était née et a vécu
une certaine période du temps. T'adapter dans une société qui est la tienne mais qui ne
correspond pas aux valeurs que tu as est surement plus difficile qu'essayer comprendre une
autre société avec des nouvelles règles et é une no uvelle culture. Le sentiment de
déracinement dans ton propre pays est plus difficile à gérer que les malaises identitaires qui
dérivent de ce type d'expérience.
76Ibidem, p. 85
77Ying Chen, Les lettres chinoises, op. cit., p.66
59
I.3 Diversité. Le modèle culturel et la perpétuation du modèle culturel dans le
temps. La mi gration – phénomène culturel de l’altération
L'altérite culturelle dérive de la diversité culturelle. Quand on parle de la littérature
migrante, on doit parler souvent de cette différence et aussi de l'altérite qui s'impose dans le cœur
de toutes les li ttératures migrantes. Le multiculturalisme fait référence à la pluralité culturelle
dans la littérature. Marie Carrière fait une analyse comparative dans laquelle elle l’estime
autrem ent que Naim Kattan, Neil Bissoondath, Nadine Ltaif et Dionne Brand, qui montrent tous
qu'il y a une identité personnelle mais une identité collective aussi et que les deux peuvent être
ambigües dès le début.
L'écriture migrante est caract érisée par la différence et l 'altérité. Dans nos cas, Anaïs Nin
oscille entre être fra nçaise ou américaine, Abla Farhoud est libanaise, émigrée au Canada, Ying
Chen est chinoise venue au Canada et Nelly Arcan est vraiment Q uébécoise , la seule qui ait une
identité tout à fait claire. Mais si on pense à une société canadienne qui n'a aucune i dentité, parce
qu'elle -même est formée de plusieurs identités, alors on tire la conclusion que l’idée d'identité est
nécessairement liée au fait de diversité culturelle, et à l'identité d'origine.
Dans les romans d'Abla Farhoud surtout on retrouve le fa it de diversité et la difficulté du
personnage principal de s'adapter à un nouveau milieu, à une nouvelle culture. Elle parle aussi de
la folie et des conflits avec les autres familles d’immigrées. En ce qui la concerne , l'immigration
est vue accompagnée de perte et de souffrance.
Dans son chapitre, La mondialisation de l 'écriture migrante , Jeanette Den Toonder,
suivant l'exemple de Clément Moisan et Renate Hildebrand, dans leur livre Ces Etrangers du
dedans , fait appel à son expérience d'exil qui est ess entielle pour ce type d' écriture migrante.
L'exil permet à l’écrivain de faire connaissance avec le nouveau milieu , ce qui lui permet de
mélanger la culture de son pays d’origine avec la culture de son nouveau pays. La migration
force les personnages à lai sser en arrière leurs origines, et le résultat est souvent un mélange
d'inquiétude et d’étrangeté. Mais ce sentiment peut lui donner envie d’écrire , et l'écriture
migrante -thème , comme l'écriture vue comme salut, est présente dans les textes de nos
écrivai nes. Nepveu considère que :
60
o « cette écriture migrante tend au "cosmopolitisme" et au " transculturel " »78
Un autre critique, Fulvio Caccia,
o « met en relief le mouvement caractérisant la littérature migrante, qui va de
l'acculturation (on additionne une cul ture à l'autre) à la déculturation (on perd et l'une et
l'autre), pour tendre enfin vers une transculturation (on transforme l'une et l'autre) »79
L'expérience de'exil se trouve dans tous les romans de ces écrivaines. Elle se retrouve
chez Abla Farhoud (Le bonheur a la queue glissante) ce qui provoque l'isolement du personnage
principal, Dounia – exilée trois fois, doublement exilée à cause des faits historiques, et une fois
isolées dans son mariage; quant à Ying Chen ( Les lettres chinoises ) ces sentiments causés par
l'exil engendrent le conflit intérieur chez le personnage principal qui doit s' intégrer dans la ville
de Montréal et n'a pas vraiment le temps de prendre distance de ses racines et ses origines
chinoises; de même, dans La mémoire de l'eau , on a une vraie histoire de vie personnelle et
publique, qui force le personnage principal de suivre les règles d'une société malade . On parle
aussi d'exil intérieur dans le cas de Nelly Arcan et d'Anaïs Nin , chez qui les histoires de vie et
d'amour provoquen t l'isolement d'elles – mêmes.
Dans son étude, L'Esprit migrateur , Pierre Ouellet, observe:
o «L'homme vit en déplacement (…) Il n'y a plus de lieu propre ou il se sent "chez lui" »80
Il y a quelques caractéristiques qui relèvent des thèmes majeurs de la littérature
canadienne et qui se retrouvent aussi dans le cas d'Anaïs Nin. La quête identitaire, le sentiment
d'étrangeté, les doubles histoires de vie ou d'amour, et aussi la question de l 'Autre ou du moi
78 Nepveu, L 'Ecologie du réel 201; 207 -9, apud Jeanette Den Toonder – La Mondialisation de l’écriture migrante
dans Marie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures
du Canada et du Québec / The literatures of Canada and Québec , Ed. Peter Lang, Bern, 2008, pg. 19
79 Jeanette Den Toonder – La Mondialisation de l’écriture migrante dans Marie Carrière & Catherine Khordoc
(éds/eds), Migrance comparée/ Co mparing Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec / The literatures of
Canada and Québec , Ed. Peter Lang, Bern, 2008, pg. 19
80 Pierre Ouellet, L’Esprit migrateur , apud Jeanette Den Toonder – La Mondialisation de l’écriture migrante dans
Marie Ca rrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du
Canada et du Québec / The literatures of Canada and Québec , op.cit. pg. 21
61
féminin par rapport à l 'Autre forment un autre th ème, existant aussi dans les littératures
migrantes, mais s urtout la question d’appartenance. Dans le cas de la littérature migrante , il
s’agit de l'appartenance à une culture, société, ou à un pays, tandis que dans le cas d'Anaïs Nin,
c'est la question d' appartenance personnelle, identitaire qui intervient. Le plus souvent, les
romans posent des questions sur les histoires de la vie: être entre deux cultures différentes, entre
deux langues, entre deux pays, entre deux histoires d'amour, entre deux ou plusi eurs mondes ;
souvent l'imaginaire en est une des caractéristiques complexes , mais qui apparaî t souvent chez
ces écrivaines. Même si, du point de vue historique, on ne fait pas référence à la même période
de temps ( Abla Farhoud, Ying Chen et aussi Nelly Arc an faisant partie de ce qu'on appelle la
littérature canadienne contemporaine , et Anaïs Nin restant au dehors, ne faisant pas partie de la
même période du temps et même du même type de littérature canadienne, elle reste souvent dans
le cadre de la littéra ture francophone ) on a ici des thèmes qui, ayant une différence de plus de 50
années, se répète de manières similaires.
En ce qui concerne la perpétuation d'un modèle culturel dans le temps, quand on parle de
l'écriture féminine on parlera , quelle que so it la période du temps , de déracinement et d'isolement
et de la recherche de se retrouver dans une société ambivalente.
Voilà ce qu’affirme Jeanette Den Toonder dans son chapitre:
o « non seulement les mouvements en tre les cultures sont perpétuels, mais qu e le
mouvement est également la condition de l'être humain. Celui -ci sera toujours de
passage, il sera toujours en déplacement, de sorte que le déracinement constitue l’essence
de notre existence. Par conséquent l'écriture migrante est toujours entre deux et
différence: différence entre pas sé et présent, entre ici et ailleurs, entre soi et autre. C'est
"une écriture du manque et de l'absence" (Marchese, 55) dont l'objectif est le trajet même;
le parcours est nécessairement celui des traces de sa propre iden tité qu'il faut suivre
jusqu'à l’infini; la présence à soi est chaque fois différée. »81
81 Jeanette Den Toonder – La Mondialisation de l 'ecriture migrante dans Marie Carri ère & Catherine Khordoc
(éds/eds), Migrance comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec / The literatures of
Canada and Québec , op.cit. , pg. 24
62
C'est une approche typiquement derridien. C'est aussi une caractéristique de la littérature
postmoderne, ainsi qu'une fragilité et sensibilité de l'écriture. Derrida a ffirme souvent que la
construction du soi se change toujours, se déplace toujours. Pour Derrida, en ce qui concerne
l'identité sexuelle, il n'est pas suffisant de faire la différence entre le genre masculin et féminin.
C'est la même chose quand on parle de l'identité, comme concept général. Il parle souvent de la
déconstruction d'une identité, en mettant l'accent sur la personnalité de l'individu, en relativisant
la notion de sexe.
D’un premier point de vue, le concept de migration est un phénomène social , directement
lié au concept d'altérité. Par migration, l’individualité d'une personne se perd à cause d'une
nécessité d'aborder les nouvelles habitudes du pays où la personne vivra. En même temps, se
perdent aussi quelques caractéristiques de langage, de comportement, de culture, en mélangeant
les nouvelles acquisitions avec les anciennes, ayant comme but l’adaptation dans la nouvelle
société.
La migration humaine est le déplacement d’individus dans d'autres pays. Le phénomène
est très ancien, on pourrai t dire qu'aussi ancien que l’ humanité . Si l'on prend en compte des
statistiques officielles, entre 185 et 192 millions des personnes sont considérées des migrants
internationaux, dans les années 2000. Un pourcentage de 2 % par an est estimé pour les chiffres
des immigrés, malgré les restrictions à l'immigration. Quand on parle de migration, on comprend
la migration volontaire et la migration forcée. Un élément très important le consti tue l’exode des
cerveaux et les compétences des personnes qui vivent dans les pays pauvres, et aussi la tendance
augmentative de ce phénomène jusqu'aux années 2050 .
o « Les caractéristiques du phénomène migratoire actuel sont la diversification des pays de
provenance et de destination, ainsi que les formes prises par la migration. On estime que
l'argent injecté dans les pays d'origine en provenance des pays d'accueil est au moins égal
si ce n'est très supérieur à la quantité d'aides financières apportées par les pays dits
« riches » aux pays plus pauvres. Les démographes considèrent que les migrations seront
une importante variable d'ajustement d'ici 2050, échéance à laquelle 2 ou 3 milliards
d'individus supplémentaires sont attendus sur la planète, alors que les effets des
63
modifications climatiques se feront probablement déjà sentir et que certaines zones ne
pourront plus nourrir une population supplémentaire »82
Dès les premiers temps, les hommes ont migré vers des espaces où ils pouvaient vivre
lentement et facilement: des chasseurs aux peuples nomades, les groupes de gens doivent
changer de milieu pour en trouver de meilleures ressources d’existence.
Les migrations peuvent être:
économiques (déplacement de travailleurs)
contraintes (fuite de persécutions, famines résultant souvent de guerres ; on parle aussi
de conquête , d'invasion , d'exode , de colonisation …).
Pour l'ère postindustrielle, la migration correspond plutôt à un changement définitif de
résid ence, sauf pour le cas particulier des migrations saisonnières liées au phénomène
des vacances . On parle alors, selon le point de vue, d’ émigration (sortie du pays d'origine) ou
d'immigratio n (entrée dans le pays de destination). 83
Comme on l’a appris par Internet, il y a quelques types de migrations: la migration à
cause du travail qui peut être appelé aussi migration économique:
o « elle est par nature difficile à évaluer compte tenu du manq ue de chiffres pour le secteur
informel et des " clandestins ". Ces flux migratoires concernent environ 100 millions de
personnes. Selon de récentes statistiques les principaux foyers de migration de travail se
trouveraient en Inde et au Canada qui ont des politiques d'accueil à l'égard des
populations. En général elle n'est pas volontaire »84.
C’est le cas dans nos analyses de Ying Chen, qui analyse ce type de migration comme
thème dans ces romans. Dans les romans d'Abla Farhoud on a aussi comme thème la migration,
mais il est analysé d'un autre point de vue.
– la migration permanente, qui est surtout forcée,
82 http://fr.wikipedia.org/wiki/Migration_humaine
83 idem p g.21
84 idem p g.21
64
o « c'est-à-dire non volontaire. Ce sont par exemple les réfugiés pol itiques. Aujourd'hui,
près de 45 millions de personnes (25 millions de réfugiés et 20 millions de déplacés à
l'intérieur de leurs propres frontières ) ont été obligés de fuir leurs lie ux d'habitation pour
des raisons religieuses, politiques ou ethniques. La multiplication des guerres, en
particulier en Afrique noire, en Asie centrale et au Moyen -Orient, fait parfois vivre des
générations entières dans des camps de réfugiés, souvent peu équipés pour accueillir ces
populations ». 85
– la migration de contrainte appelée aussi la migration de réfugiés . Depuis plus de 100
ans, la migration de contrainte est ainsi appelé e par rapport à la migration de type rural. C'est à
cause des régimes totalitaires qu'on a ce type de migration, à cause des régimes politiques et
ethniques, religieux, ou des conditions injustes de vie et même des guerres civiles :
o « Pour être reconnu c omme réfugié au sens de la Convention de 1951 relative au statut
des réfugiés, l'individu requérant l'asile doit craindre d'être persécuté en raison de sa race,
sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social ou en raison de ses
opinions politiques, et pour ces raisons, il ne peut ou veut réclamer la protection de son
pays de nationalité ou de résidence ».86
C’est le cas des personnages des romans d'Abla Farhoud qui vit deux fois ce type de
migration avec des conséquences sévères s ur sa famille, sur sa capacité de juger les choses et sur
sa capacité de vivre deux fois dans un contexte d' évasion.
Par ailleurs, il y a des lois pour conceptualiser la migration :
La première tentative de formalisation de la migration est à mettre au crédit de
Ravenstein (1885). Il présente sept « lois » qui sont des faits stylisés tirés de l'analyse des
données disponibles à l’époque :
85 http://f r.wikipedia.org/wiki/Migration_humaine
86 idem p g.22
65
o La plupart des migrants n’effectuent qu’une migration de courte distance. Ceux qui
effectuent une migration de longue distance vont de préférence dans des centres de
commerce ou industriels.
o Il résulte alors un déplacement progressif de la population en direction des centres.
o Chaque flux migratoire produit un contre -flux compensatoire.
o Les personnes du milieu urbain migr ent moins que celles du milieu rural.
o Les femmes sont mieux représentées dans les flux de courte durée.
o La migration augmente avec le développement de la technologie.
o Le principal motif des flux migratoires est le désir de l’homme d’améliorer son statut su r
le plan matériel.87
A bien considérer ces lois, on sera obligé de se rapporter aussi à des concepts comme
minorité et majorité des gens quand ils sont des e/immigrantes. Quels sont les principes d' après
lesquels le peuple est considéré comme minoritaire ou majoritaire et quelles sont les influences
des minorités et des majorités de la population sur la culture? Voilà une question qui vaut bien
une réponse.
o «Le terme minorité désigne un groupe numériquement inférieur au reste de la population
et dont les membres sont animés de la volonté de préserver leur culture, leurs traditions,
leur religion de leur langue »88
Tout en mélangeant les choses, on découvre un cadre national, ou les immigrés sont le
peuple minoritaire qui doit s'adapter à une société majori taire qui les reçoit. Le fait de l'ancienne
identité se confond alors avec la nouvelle identité empruntée par les immigrés qui s'adaptent à de
nouveaux systèmes.
o « Déjà, dans le cadre national, les relations accrues entre les populations immigrées,
structu res de plus en plus en communautés porteuses d'identités spécifiques, témoignant
cependant d'une "acculturation politique", dans leur forme de participation et d'adhésion a
87 http://fr.wikipedia.org/wiki/Migration_humaine
88 Article 2 de la proposition de la convention de 1991, cité par F. Sudre, Droit international et européen des droits
de l’homme, Paris, 1995, p.156, dans Quelle identité pour l 'Europe? – Le multiculturalisme à l’épreuve – sus la
direction de Riva Kastoryano, Editions Presse de Sciences Po, Paris, 1998
66
la culture civique ambiante, conduisent les Etats a des "négociations d'identités" qui
remettent en cause les traditions politiques d'une et d'autres dans l'espoir d'aboutir à un
nouveau compromis historique »89
Les concepts d'universalité, de nationalité et de particularité doivent recevoir de
nouvelles définitions, à cause de cette va gue des émigrés.
o « C’est justement l’ensemble de ces relations entre l’Union, le s Etats membres et
immigrés – "étrangers" à l’identité européenne – qui conduisent à une redéfinition des
concepts d'universalité, de particularité, de nationalité, et de ci toyenneté, concepts qui
sont à l’origine de la formation d'une identité européenne »90
Mais quelles sont les caractéristiques qui font l’objet d'une identité nationale? En même
temps, l’identité européenne est -elle tellement différente de l’identité canadi enne? Et si oui,
quelles sont les choses qui les différencient vraiment? Et si les caractéristiques d'identité sont
exceptionnellement différentes, est -ce qu'on aura, dans la société qui les reçoit, des conflits
majeurs d'identité, de cultures, économique s ou politiques? Autant de questions auxquelles on
essaie de donner une réponse :
o « Le multiculturalisme, comme base de "négociation des identités", ne pourrait -il pas
répondre au problème d'allégeance, en permettant de penser l’Union européenne non pas
à partir d'une construction sur le modèle d’Etat – nation, mais d'une réflexion sur la
superposition des identités qui la composent, comme le souligne Joseph H.H. Weiler, "
quel que soit l’élément qui finit par dominer, il est bien préférable qu'il soit temp éré par
le conflit de valeurs concurrentes. Le multiculturalisme, pourrait -il être, dans cette
hypothèse, à l’origine d'une identité européenne?". Le multiculturalisme est,
probablement, une des clés de la réussite ou de l 'échec du projet européen", estim e
89 R. Kastoryano, La France, l 'Allemagne et leurs immigrés . Négocier l 'identité , Paris, Armand Colin, 199 7, dans
Quelle identité pour l 'Europe? – Le multiculturalisme à l’épreuve – sus la direction de Riva Kastoryano, Editions
Presse de Sciences Po, Paris, 1998
90 Quelle identité pour l 'Europe? – Le multiculturalisme à l’épreuve – sus la direction de Riva Ka storyano, Editions
Presse de Sciences Po, Paris, 1998
67
Dominique Wolton, mais il préfère parler de cohabitation culturelle plutôt que de
culturalisme »91
La migration, dans ces cas – là, est la cause principale du multiculturalisme. C' est le cas
de Naim Kattan, qui explique ce terme dans son essai L 'Ecri vain migrant , dans lequel il fait une
analyse des écritures canadienne et québécoise ; il y fait référence comme à quelque chose de
transitoire, «le signe d'une reprise, une dimension d'une littérature qui ne craint plus la
disparition, la dissolution, qu i ne s'entoure plus de précautions afin d' éviter toute altération, mais
accepte tous les éléments d' un mouvement de création qui, par don dynamisme, est garant d' un
avenir et manifestation d' une présence »92.
Dans le même ouvrage de Marie Carrière et Cateherine Khordoc , on fait la différence
entre les termes utilisés par les critiques du Canada francophone et de ceux du Canada
anglophone. English Canada utilise des termes comme multicultural, ethnic ou diasporic, mais
les mêmes termes sont rarement uti lisés par les critiques de Québec.
Le terme « écriture migrante » apparaît pour la première fois dans la première partie des
années 1980 étant utilisé par Robert Berrouët – Oriol (il est attribué ensuite à Pierre Nepveu) êtant
exprimé aussi par des termes comme: interculturel, transculturel, métisse ou hybride et montre la
particularité de diversité et d'échanges qui s'installe en pleine relation avec la signification de ces
mots -là. Dans son étude L'écologie du réel: Mort et naissance de la littérature qué bécoise
contemporaine , Pierre Nepveu propose à utiliser plutôt le terme migrant que celui d’ immigrant,
pour mettre ensuite l'accent sur le phénomène sociologique.
C'est un autre critique, Simon Harel, qui a utilisé ce terme dans ses études. Dans Le
voleur de parcours , il veut insister sur l'écriture migrante en essayant de la comparer avec la
théorie postcoloniale. Harel a une autre idée en ce qui concerne des concepts comme hybridité,
pluralisme, métissage et aussi sur la diversité, déplacement, identit é et exile. Il se trouve au pôle
91 Quelle identité pour l 'Europe? – Le multiculturalisme à l’épreuve – sous la direction de Riva Kastoryano, Editions
Presse de Sciences Po, Paris, 1998
92 Naim Kattan, L 'Ecrivain migrant (p.21) apud Marie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance
comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec / The literatures of Canada and
Québec , Ed. Peter Lang, Bern, 2008, pg. 3
68
opposé quand se parle de théories de l'inter culturalisme, parce que, selon lui , l'inter culturalisme
est opposé à la réalité faite de «sujets réels habitant un univers hostile ». 93
D'un autre point de vue, l'écriture migr ante se réfère aussi à l'espace géographique, et
aussi au fait d'immigrer. Quand on parle de littérature migrante, on parle seulement de la
littérature écrite par des auteurs qui ont immigré? Et combien de générations doivent -elles passer
pour ne plus cons idérer un écrivain comme migrant writer ? Est -ce si important qu’un écrivain
allie au cours de son existence l’expérience de l’immigration aux autres évènements pour être
capable d'écrire de cette expérience ?
Si Pierre Nepveu a établi une distinction entr e écriture migrante et écriture immigrante ,
c'est surtout pour faire la différence entre le fait d'écrire une écriture migrante et le fait
d'immigrer (géographiquement parlant), pour créer une distance entre les deux faits (le fait de
l'écritu re et le fait de biographie).
Citons Abla Farhoud, quand elle fait appel à l’écriture migrante:
o « la parole de l’immigrant est une étape pour la collectivité (…) et une étape dans la vie
de l'écrivain immigrant, si toutefois il ne se laisse pas enfermer dans cette étiquette! »94
D’autre part, Jean – Marc Moura analyse la littérature francophone dans une approche liée
au type de théorie postcoloniale.
o « La perspective postcoloniale me semble fondamentalement concernée par l'analyse de
l'énonciation : non seulement elle s'attache aux rites d'écriture, aux supports matériels, à
la scène énonciative (tout élément relevant d'une étude habituelle de la littérature), mais
elle le fait selon une direction particulière puisqu'elle réfère ceux -ci aux pratiques
93 Braconnages, p.13 apud Marie Carrière & Catherine Khordo c (éds/eds), Migrance comparée/ Comparing
Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec / The literatures of Canada and Québec , Ed. Peter Lang, Bern,
2008, pg. 5
94 Abla Farhoud, pg.56 apud Marie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance comparé e/ Comparing
Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec / The literatures of Canada and Québec , Ed. Peter Lang, Bern,
2008, pg. 7
69
coloniales, à l'enracinement culturel et à l'hybridation caractéristique d'un contexte social
(38) »95
Le post – colonialisme est un concept double :
o « Dans plusieurs cotextes, le post-colonialisme désigne tout d'abord une historique
d'oppression violente. Par ailleurs, u ne différence il y a entre l’histoire coloniale et
l’histoire migrante: entre "colonial history and the histories of colony -to-metropolis
migration" (Coleman 16). (…) Néanmoins, comme méthodologie d'analyse littéraire la
lecture postcoloniale s'avère ext rêmement fertile. Elle traite de questions telles
l'expérience migrante de déracinement et de métissage culturel, les problématiques
identitaires reliées à l'hybridité, la mémoire et les "jeux langagiers", "le métissage
culturel à l'intérieur d' une seule langue" (Vautier, Les Métarécits , 49), les complexités
culturelles intérieures du Canada lui -même (Moss 3) ainsi que de la notion du migrant
comme "internal colonial subject" (Singh 11) » 96
La littérature québécoise devrait être considérée comme une litté rature de transculture
aussi du point de vue de cette théorie de post -colonialisme. Lorsque le Canada accepter a la
diversité de ses écrivains, on pourra reconsidérer aussi son post -colonialisme.
95 Patrick Sultan, La francophonie littéraire à l'épreuve de la théorie, Jean-Marc MOURA, Littératures
francophones et théorie postcoloniale, Paris, PUF, (Coll. Écritures francophones), 1999, en ligne
96 Patrick Sultan, La francophonie littéraire à l'épreuve de la théorie, Jean-Marc MOURA, Littératures
francophones et théorie postcoloniale, Paris, PUF, (Coll. Écritures francophones), 1999, en ligne
70
I.4 Le champ littéraire québécois et l ’altérité cult urelle et littéraire à Québec
Quand on parle d' un champ littéraire, on doit tenir compte qu'un champ littéraire est
construit comme une soci été avec des tribus , en se définissant sur des bases esthétiques. 97
Les tribus connaissent plutôt une sorte de co habitation des écrivains, mais pas
nécessairement une cohabitation géographique.
o « Mais selon Maingueneau, les relations entre écrivains peuvent se définir à partir des
correspondances et des rencontres occasionnelles. Parfois même, ces tribus peuvent êtr e
invisibles. La constitution d'un champ littéraire féminin n 'est donc pas liée à un
découpage géographique » 98
Ce qui se pas se dans le paysage littéraire après 1975, c'est que les femmes écrivaines ont
la volonté et aussi le désir de dépasser les limite s de la domination masculine et, surtout, elles
veulent annuler la stigmatisation des autres écrivaines se trouvant dans le champ littéraire. Les
autres écrivains qui ne reconnaissaient pas leur légitimation ou crédibilité comme écrivains.
Après les mouvem ents féministes des années ‘70, on parlera d’une scission entre les femmes et
les hommes en ce qui concerne la littérature . Les écrivaines qui feront partie de ce type de
scission sont: Marguerite Duras, Monique Witting, Marie Cardinal, Annie Leclerc et Je anne
Hyvrard. Toutes les œuvres qui paraissent à ce moment -là sont beaucoup influencées par le
féminisme, a yant des thèmes comme l'exploitation, l’oppression, les malaises identitaires ou bien
l’aliénation, des thèmes qu'on retrouve aussi de nos jours .
o « Le 16 février 2005, un texte est paru dans Le Monde et portait comme titre Ecrivaines
et fières de l’être. Sous la houlette de Florence Montraynand, Benoite Groult, Annie
Ernaux et Maryse Wohinski, écrivaines québécoises . L’article répondait à M. Fréderic
97 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l' Harmattan,
Paris, 2015, p g.205
98 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l' Harmattan,
Paris, 2015, p g.205
71
Beigbeder qui avait déclaré qu'il ne supporte pas les écrivaines. Selon lui, le terme
écrivaine est immonde, dégoûtant , infect, répugnant, ignoble. »99
Pareillement à ces écrivaines qui sont attachées à ce combat féministe, il y a un autre
type, les écriva ines qui écriven t pour la façon d’être. L'anonymat dan s le champ de la littérature
cessera alors.
La littérature québécoise a eu différentes appellations: littérature canadienne, littérature
de Nouvelle France, littérature québécoise et littérature cana dienne – française . C’est une
littérature assez complexe et riche. Sa principale caractéristique est cette évolution différente de
tout ce qui signifie culture canadienne, la littérature québécoise étant un domaine avec certaines
particularités.
Au début, le territoire canadien était caractérisé par la littérature coloniale provinciale.
C'est la période de 1534 à 1763, nommée aussi la période des écrits de la Nouvelle France. Les
colonies de la Nouvelle France étaient peu peuplées à cause des Français qui n e se sont pas
établis vraiment sur ce territoire. Une politique de peuplement commence à partir de 1663. Mais ,
malheureusement, la culture canadienne à ce moment donné est surtout une culture de l'oralité
car l’imprimerie n’existait pas.
Les écrits de 17 63 à 1895 sont caractérisés par éloquence, sens de l'humour, triades
satiriques, ironie et force vengeresse. Dans cette période, les écrits traduisent une sorte de
malaise identitaire, même si les immigrants n'ont pas commencé à venir sur ce territoire, le s
Canadiens vont résister á l'assimilation, mieux, à la domination, grâce à leur natalité prodigieuse,
leur organisation rurale et paroissiale, et la diplomatie des prêtres religieux.100
En 1867 apparait au Québec la confédération canadienne, cette périod e est déterminée
d'une population surtout catholique et francophone, un Québec plutôt rural qui se développera
dans un espace urbain. L'Eglise, à ce temps là, est très importante parce qu’elle reste fidele aux
concepts religieux et propose pour les citoyen s un modèle de vie plein des valeurs liées à la
99 ibidem, p g.207
100 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l'
Harmattan, Paris, 2015, p g.54
72
famille et à l’agriculture, parce que l'agriculture était à ce moment la principale activité des
habitants.
o « François -Xavier Garneau proposera une réappropriation de l'histoire par l'élite
intellectuelle et celle – ci adoptera une pensée et une action collectives dans la
revendication d'un passé glorieux, après la Conquête, qu'il fallait faire revivre. Ce
nationalisme canadien – français aura pour leviers la langue, la religion, l'histoire, les
ancêtres, le cu lte des vertus traditionnelles, socle de l’idéologie nouvelle e t de l’identité
québécoise. L' école littéraire du Québec a été formée vers 1860 autour de Garneau,
Casgrain et Crémazie. A la fin de XIXe siècle, cette littérature connaitra le conflit de la
modernité. Les premiers écrits seront marqués par l’influence parisienne. »101
A la fin du XIXe siècle, la littérature de la confédération canadie nne changera et la
modernité créer a un conflit. La littérature québécoise s’inscrit d’un autre côté dans la litté rature
postcoloniale, ayant comme l’un des traits principaux l'affirmation de l'identité ethnique et de
l'identité linguistique, et en même temps, la quête pour l’affirmation du point de vue littéraire ou
stylistique de même que son effort de se différenci er de la littérature française.
Quelques réalités sociales apparaissent comme point de départ dans l’analyse de cette
littérature: l'être humain, la solitude (qui est un thème principal aussi de la littérature de
l’immigration), le mal. Le français sera p roclamé comme langue officielle du Québec en 1976,
quand le Parti québécois se trouvera sou s la direction de René Levesque. La question de l'identité
apparaît comme thème d'analyse dans les arts et la littérature.
o « De la seconde moitié du X IXe siècle à n os jours, trois paradigmes résument l’évolution
du champ littéraire québécois: le paradigme politique représenté par une élite littéraire
patriotique aux prises avec les enjeux idéologiques du champ du pouvoir et d’un état de
développement littéraire insuf fisant. Le deuxième paradigme, esthétique, est lié au
classicisme français sur lequel se fonde la définition nationale de la littérature québécoise
moderne. Il s’agit d’une donnée centripète dont la norme de référence est française. Par
101 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migrat ion, Emergence et identité , Editions l' Harmattan,
Paris, 2015 , pg.54
73
la suite, cette no rme sera abandonnée au profit de la recherche des spécificités d'une
littérature à la modernité proprement québécoise, c'est – à -dire une orientation centrifuge.
(…) Enfin le troisième paradigme déplace les textes vers l'institution qui les produit et l es
fait circuler tout en conservant l'ancrage périphérique de son objet. Il s'agit du paradigme
institutionnel, celui du champ académique de la littérature québécoise. »102
C'est à partir de 2000 que l’imaginaire littéraire change, tout d'abord avec des rom ans qui
soulignent les traits de la littérature de l'immigration, le conflit entre les cultures, le sentiment
d'appartenance, l'équilibre personnel et les mélanges entres les cultures. C'est aussi une ouverture
des frontières canadiennes au monde entier, l e XXe siècle étant surtout un siècle de la pluralité
culturelle. Ce sont les XIXe et XXe siècles où les questions sur l’identité sont les plus analysées.
Les nombreux textes québécois se rapportent à l’exil, au métissage, à la migration, à la solitude,
d'une culture hybride et de l'hétérogénéité et le fondement d’une culture québécoise qui ne trouve
pas souvent ses racines.
Le courant "écritures migrantes" est un champ de pouvoirs linguistiques, sociaux,
économiques, politiques mais aussi littéraires.
En ce qui concerne la promotion de la langue française, en dépit de la langue anglaise sur
le territoire canadien, la Loi 101 obligeait les enfants des immigrés à suivre des écoles où la
langue française était la première langue à apprendre, ce qui a favori sé le développement de la
langue française, du point de vue linguistique.
o « C'est d' ailleurs à l’écrivaine migrante Régine Robin qu'on doit le terme "québecité" à
la place de "québécitude". La québecité n'est pas un concept ethnique comme la
québécitude. Elle rend les frontières entre les "Français" moins visibles que ne le rend la
québécitude, parce qu'elle fait intervenir d'autres langues possibles dans le rapport
d'hétérophonie/ polyphonie. Ainsi, le brassage des langues correspond au brassage des
cultures. La polyphonie textuelle exprime ainsi le multilinguisme dont parle Mikhaïl
Bakhtine. Les écrivains venus d' ailleurs se sont affirmés dans le champ de la littérature
102 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l' Harmattan,
Paris, 2015 , pg.55
74
québécoise. Dans les premiers textes de ces écrivains, l'accent est mis sur l’expéri ence et
la réalité de l’immigration, de la difficulté de se situer dans le pays d'accueil. »103
Il y a aussi la deuxième génération des écrivains mig rants qui mettra l 'accent sur des
thèmes comme le nomadisme, le déracinement, les cultures différentes et la transgression des
frontières, les déplacements. Les textes de Ying Chen surtout vont atteindre le point des identités
et la recherche d’une identité dans le processus de l'immigration, la nostalgie d'un autre temps
vécu dans un autre pays. En général, l 'écriture migrante accorde une place très importante à la
quête identitaire, c'est tout d abord la question de l'identité perdue et la possibilité de
reconstruction d'une autre identité, qui va sauver quelques caractéristiques de l'identité
primordiale mai s qui doit s'ajuster à un nouveau territoire. D'autres caractéristiques sont
présentes dans le domaine de l'écriture migrante: les transformations lexicales et linguistiques ,
l’hybridité culturelle et une autre manière d'écrire, de même que la forme esthét ique des genres.
Les écrivains immigrants ont été marginalisés ayant de multiples appellations pour les
designer: des immigrants, immigré s, migrants ou néo – québécois.
o « C'est la pratique esthétique qui est au centre de l'écriture migrante et qui con struit ce
que Régine Robin appelle un "hors lieu", c' -est-à dire un espace où des appartenances
diverses se négocient. François Paré (prix du gouverneur général 1992) préfère les
appellations telles que "littératures de l 'exiguïté", "petites littératures à la Kafka", qu'il
confronte aux "grandes littératures" des cultures dominantes. Dans la pensée de François
Paré, ces littératures "minoritaires" sont le symbole vivant de l'hétérogénéité liée au
colonialisme, aux déplorations, à l’esclavage, aux migratio ns. Elles sont marginales. Les
écritures migrantes souffrent donc de cette tendance qu'ont certains critiques à les
marginaliser, à se cantonner à des préjugés sur leurs milieux d'origine. 104
Les auteurs de littérature migrante sont ceux qui sont nés à l’ étranger, au dehors du
territoire canadien ou québécois.
103 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de l a migration, Emergence et identité , Editions l'Harmattan,
Paris, 2015, pg.57
104 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l'Harmattan,
Paris, 2015, pg.58
75
Les auteurs nés à l'étranger ont reçu vingt – neuf mentions de l'altérite dans l’œuvre
Lettres Québécoises, pendant qu'ils reçoivent seulement onze mentions dans l'œuvre Voix et
images. Evidemment, comme est aussi le cas d' Abla Farhoud et de Ying Chen, les écrivaines ne
sont pas reconnues par les Canadiens comme écrivaines canadiennes, mais dès qu'elles quittent
le Canada, elles le sont. Quand on se réfère à l’altérité, on se réfère plutôt à leur id entité qui est
déjà mélangée avec l'identité du champ littéraire canadien. Dans ce cas -là, on peut dire que
l'individualité principale, originaire, a disparu. C’est l’altérité de l’individualité primaire mais en
même temps c'est la richesse de l'état canad ien, qui, à cause de la Loi du Multiculturalisme,
donne à chaque communauté la possibilité de conserver ses coutumes et traditions.
o « Par ailleurs, Dominique Garand tient à expliciter la provenance de cette tendance à la
non- acceptation des auteurs nés à l'étranger par les auteurs québécois de vieille
ascendance: " Car, notons -le bien, ce ne sont pas tant les œuvres d’écrivains immigrants
qui font naître des résistances chez quelques intellectuels québécois, mais bien le discours
critique qui valorise ce p hénomène " (391 ) »105
Ceux qui sont encadrés dans la catégorie des ‘écrivains étrangers" contribuent aussi à
l'altération littéraire, ils sont " les autres ", ne font pas partie de la littérature canadienne :
o « Partant, l'utilisation de termes qui renv oient à une culture d'origine des auteurs nés à
l'étranger participe -t-elle d'une tentative d'exclusion plus ou moins consciente, d'une
inclusion en reconnaissance de l'apport de ces auteurs dans le champ ou plutôt d'une peur
de froisser ceux – ci en les in tégrant, faisant alors fi de leur altérité et de leur spécificité?
Hypothèse plus que plausible puisque, comme le fait remarquer Neil Bissondath, les
politiques du multiculturalisme au Canada, de même qu'au Québec, disent en fait aux
105 Isabelle Gagnon, Une locution qui vaut mille mots ou mille mots pour une même réalité dans Marie Carrière &
Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec
/ The literatures of Canada and Québec , Ed. Peter Lang, Bern, 2008, pg. 48
76
nouveaux arrivants: " vous n’ (avez) pas à vous adapter à la société, c’est la société qui
(a) l 'obligation de s’ajuster à vous (39) »106
La littérature de spécialité fait la différence entre la québecité et le fait d’altérité . La
terminologie utilisée sépare les écrivains du Q uébec des autres qui sont nés à l’étranger. Le
champ littéraire du Québec a, en même temps, une attitude double, d'accepter les écrivains
étrangers et de ne pas accepter les écrivains québécois.
Isabelle Gagnon note un autre aspect, celui du refus des éti quettes dans le cas des
écrivains nés à l’étranger. Par exemple, Ying Chen a refusé toutes les classifications, et aussi
toutes les catégorisations, ( Chouinard B -8)107. Il y a aussi la situation des autres écrivains qui
vont montrer leur origine, en dépit d e l'origine québécoise.
Il y a une périodisation des écritures migrantes faite par Moisan et Hildebrand: le
transculturel est, d' après eux, le "déplacement (…) vers et à travers l 'autre" 108
En même temps, les années 1976 – 1985 sont liés à la périod e de l’interculturel, les
années 1986 – 1997 – à la période du transculturel et c'est l'année 1983 celle où les écriture s
migrantes sont apparues dans le champ littéraire du Québec avec leur spécificités.
106 Isabell e Gagnon, Une locution qui vaut mille mots ou mille mots pour une même réalité dans Marie Carrière &
Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec
/ The literatures of Canada and Québec , Ed. Pe ter Lang, Bern, 2008, pg. 49
107 ibidem, p g. 50
108 Marie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du
Canada et du Québec / The literatures of Canada and Québec , Ed. Peter Lang, Bern, 2008, pg. 28
77
I.5. La communauté/ l'Homme communautaire / " Homo communautarius"
Source de diversité culturelle
R. Kastoryano, dans un chapitre dédié à ce thème, la production culturelle du
multiculturalisme européen, fait appel à un concept sur l’homme en utilisant le terme "HOMO
COMMUNAUTARIUS". Dans l’œuvre déjà citée, elle fait la différence entre une communauté
européenne et ce que signifie tout simplement la communauté, quel qu’en soit le type.
o « L’expression de communauté , longtemps utilisée pour qualifier l’Europe, et à
laquelle s'est plus récemment sub stituée celle d' union , mérite un commentaire.
C'est qu'elle évoque là sans conteste un approfondissement par rapport à la notion
de " marché commun" qui caractérisait cette entreprise dans les années soixante.
La notion de communauté implique plus que des échanges matériels: une vision
du monde, l’adhésion à des valeurs, voire la mise en œuvre d'un projet
d’ensemble »109
C’est tout d' abord l’existence de l’homme qui représente la typologie d'un individu dans
une communauté, même si cette communauté est fr ançaise, francophone, européenne ou
canadienne. Et de là dérive en plus le mélange qui est la source de la diversité de tout ce qui
signifie une communauté et, d’une macro point de vue, une société.
o « On voit ainsi se dessiner un véritable portrait – robot de l’homo communautarius .
Motivations, comportements, savoir – faire, carrières contribuent à unifier ce
groupe dont les membres sont même invités à se révéler interchangeables,
puisqu'on encourage la mobilité entre les services. Faut -il alors parler de
« nouveaux acteurs culturels »? A première vue, ce qui semble prévaloir, c'est
l'insertion des individus dans un système de relations qui leur assignent une
109 Sur ce thème, cf. Marc Abélès, La communauté européenne: une perspective anthropologique , Social
Anthropology , 4 (1), 1996, p. 33 -45 , dans Quelle identité pour l 'Europe? – Le multiculturalisme à l’épreuve – sous
la direction de Riva Kastoryano, Editions Pres se de Sciences Po, Paris, 1998
78
position, un statut, des tâches, un emploi du temps, en fonction d'objectifs
globaux »110
Les singul arités culturelles restent donc isolées et en résulte seulement la société qui
dérive de ce mélange entre cultures et le processus de "contamination" entre les différentes
cultures. Les communautés différentes restent dans la communauté, où le multicultura lisme
oblige les immigrés à réorganiser leur choix et leur vie.
110 Quelle identité pour l 'Europe? – Le multiculturalisme à l’épreuve – sus la direction de Riva Kastoryano, Editions
Presse de Sciences Po, Paris, 1998
79
1.5.1. La littérature migrante et l’exil / Le métissage culturel
Dans le chapitre Une « migrance » postcoloniale , introduit dans La pensée postcoloniale:
considérations criti ques, esthétiques et éthiques , de Marie Carrière, sont relevées les concepts de
"d'appartenance" et de "désappartenance" quand se pose la question des choses caractéristiques
des écritures migrantes. Elle aussi met en évidence la manière d’aborder la lit térature migrante
avec une influence transculturelle et dans une approche transculturelle . En voici un exemple :
o « En effet, la littérature migrante a été réceptrice d'une appréciation quelque peu
euphorique grâce à ses qualités dites nomades et périphériq ues. Selon Catherine
Mavrikakis et Martine Delvaux, "il y aurait au Québec une espèce de "pastorale des bons
sentiments." L'écriture de l'étranger est dans une certaine critique, d'avance acclamée,
aimée. Elle permettrait intrinsèquement le métissage des 5 cultures et viendrait permettre
à la littérature québécoise de retrouver un souffle qu'elle n'a plus. La littérature
québécoise deviendrait la terre d'hospitalité par excellence (Mavrikakis/Delvaux, 2003, p.
76) ».111
Selon Pierre Nepveu, ces relations tra nsculturelles représentent "une étape nouvelle de la
culture " (Nepveu, 1989, p. 29), elle se définit d'emblée comme "l'expérience même de la rupture
et de l'indétermination […] un processus infini, inachevable, de liaisons à même de créer une
série to ut aussi infinie de ruptures “.112
Liée au métissage des cultures il y a aussi l’existence d'un choc culturel, comme la
« transculture » est le fait qui génère des conflits entre les générations aussi .
o « Ou encore, la transculture serait le résultat d'un « choc culturel » (Caccia cit. ds. Harel,
2005, p. 105), et à partir de ce choc, se produirait cette « rencontre conflictuelle et
merveilleuse des langues » (Glissant, 1990, pp. 84 -85), ce « chao -monde » (Glissant,
1990, p.5) que décrivait le théoricien de la créolisation, Édouard Glissant ».113
111 Marie Carrière – La pensée postcoloniale: considérations critiques, esth étiques et éthiques , en ligne
112 Nepveu, 1989, p g. 19, apud Marie Carrière – La pensée postcoloniale: considérations critiques, esthétiques et
éthiques, en ligne
113 Marie Carrière – La pensée postcoloniale: considérations critiques, esthétiques et éthiques , en ligne
80
Le processus est tout aussi complexe dans le cas du métissage des cinq sociétés, comme
nous l’avons déjà précisé, la culture de l’espace francophone se mélange avec la c ulture
québécoise, elles interfè rent et génèren t des expériences qui donnent voix aux femmes écrivains.
Les mouvements dans l'espace et la migration sont les caractéristiques de la littérature
migrante. De ce point de vue, les romans féminins ont une orientation autobiographique surtout
parce que les déplacements géographiques personnels des auteurs se sont confondus à un
moment donné avec les sujets des romans. Les femmes écrivains transgressent leurs limites
géographiques et elles semblent écrire sur leurs propres expériences.
Dans le cas d'Abla Fa rhoud et Ying Chen , le sentiment de l’exil est bien exploré, dans les
cas de Nelly Arcan et d'Anaïs Nin l’exil est plutôt intérieur.
81
Motto:
«Après tout, Nelly est une artiste. Elle construit sa vie, la reconstruit, l a déconstruit,
sinon tente d'en échapper. D 'abord avec ce nom qu'elle fera sien au moment d' enfin
publier. Elle se baptise elle – même comme si elle se redonnait naissance. Elle épou se
ce nom: "Je n'aimais pas m 'appeler Isabelle, a -t-elle souvent répété . A l'école, il dev ait
bien y avoir trois cents Isabelle". Or Isabelle veut être unique, la seule en son genre,
pas être fondue, moulinée aux trois cents a utres, anonymes, banales. Sa principale
recherche consistera, très tôt, à se trouver une identité et à s' approprier une
personnalité propre. »
Marguerite Paulin, Marie Desjardins – Nelly Arcan, De l'autre côté du miroir , Editions Les
Editeurs Réunis, Québec, 2011
82
II. Petite histoire du féminisme
II.1 Identité féminine / Féminisme / "Ecriture féminine"
Le mo t «féminisme » est entré dans la langue française à partir de 1837. Le Dictionnaire
Robert le définit comme « une doctrine qui préconise l’extension des droits, du rôle de la femme
dans la société ». La doctrine du féminisme était accompagnée aussi des act ions pour élargir les
droits de la femme dans la société. C’est pour cela que la définition du féminisme devrait inclure
aussi les pratiques du féminisme et non seulement les concepts et la doctrine. 114
Quelques années plus tard, en 1872 , le mot «féminisme » apparaît utilisé par Alexandre
Dumas -fils, avec une connotation péjorative et également négative, pour dénommer les hommes
qui sont en faveur grâce aux femmes. Même si on n 'a pas entendu parler de ce terme avant ces
années, le féminisme, comme mouvemen t et aussi comme combat, est installé dans la société
avant les années mentionnés.
o «Au XIVe siècle, il y eut Christine de Pisan qui réfutait l’idée que les femmes soient
privées de raison. Au XVIIe siècle, Poulain de la Barre se montra un ardent défense ur
des femmes. Au siècle suivant, Mary Wollstonecraft contesta l'idée d'une infériorité
naturelle des femmes. Il s'agit ici d'une succession en pointillé de personnalités dont le
discours prend la défense des femmes. Il fallut attendre la Révolution frança ise, et
l'énorme déception que suscita le refus de donner le droit de vote aux femmes, pour qu'un
mouvement féministe se dessine » 115
En réalité, les mouvements féministes ont commencé bien avant que le mouvement
féministe a commence et bien avant le mouve ment des Suffragettes: la révolution industrielle qui
met en évidence l’accélération des concepts féministes:
114 Andrée Michel , Le féminisme , Presses Universitaires de France, Paris, France, 1979, p g.5
115 Mara Goyet, Question no.20: Les femmes ont -elles pris conscience de leur sort du jour ou lendemain? Naissance
du féminisme, dans Le féminisme , Editions Pl on, Paris, 2007 , pg.108
83
o « L’exode rural, l’urbanisation, l’industrialisation contribuèrent, nous l'avons dit , à faire
sortir les femmes de leur foyer et à leur ouvrir d es horizons jusqu'alors inconnus: celui du
salariat, de la vie ouvrière, du syndicalisme, de l'oppression, de l'injustice qui
provoquèrent une prise de conscience politique. Le féminisme trouva en partie sa source
dans les milieux socialistes du XIXe siècl e (mais aussi dans les associations
philanthropiques, catholiques ou non). Ses premiers combats se focalisèrent sur l’égalité
(l’égalité civique, civile, le droit de s’instruire ) et le droit de vote. » 116
Le féminisme dans la littérature est né dans les a nnées soixante -dix, plutôt la deuxième
vague. Premièrement, il s'agissait des écritures féministes ou les écritures des femmes, et aussi de
la critique sur les écritures des femmes. Il y a un terme spécifique montrant qui s'occupe de
l’étude de ces écritu res.
o «La gynocritique vise avant tout à étudier la poésie et l’écriture des femmes
comme création artistique. C’est une démarche ancrée dans la pensée
contemporaine, qui prend en compte la dimension de la différence sexuelle (Luce
Irigaray) et l’apparition du concept d'écriture féminine (Helene Cixous) dans le
courant des années 1970. A travers ce concept, et également à travers celui
d’écriture féminine (Beatrice Didier), apparu dans la même époque, se dessinait
un enjeu nouveau et majeur dans la critique, l’invitation à relire les œuvres des
auteurs femmes avec un regard, des outils renouvelés. Les travaux des
gynocritiques courant de la critique littéraire qui s'est développée dans les années
1970 et 1980 aux Etats -Unis, notamment autour d'Elaine Showalte r, qui explore
la notion de "différence" dans les œuvres des auteurs femmes plus directement
dans sa dimension culturelle » 117
La notion de genre (gender en anglais) est apparue dans la critique littéraire d’Europe et
en Amérique du Nord. En anglais on a a ussi d'autres termes, comme : female, feminine, women,
woman , et feminst litterature . Cela marque aussi la différence entre les genres « biologiques » en
116 Mara Goyet, Question no.20: Les femmes ont -elles pris conscience de leur sort du jour u lendemain? Naissance
de féminisme, dans Le féminisme , Editions Plon, Paris, 2007 , pg.108
117 La gynocrytique – http://theories.feministes.pag esperso -orange.fr/partie%201/I -4%20La%20gynocritique.htm, en
ligne
84
opposition, mais elle tient aussi de la notion de sexe entre mâle et femelle qui, du point de vue
social, a pour expression les épithètes « masculin » et « féminine ».
La première partie de l’ouvrage Contre – voix. Essais de critique au féminin écrit par Lori
Saint – Martin est très importante pour les adeptes des Recherches féministes. Appelé Splendeur
et misère de la critique littéraire au féminin , l’auteur y présente deux courants français sur la
féminité, le premier mettant l’accent sur l’inconscient, la féminité , le second appelé étatsunien ,
qui s’intéresse au concept de gender . Entre ces deux pôles il y a la critique québécoise, d’après
Saint – Martin.118
La critique féminine a toujours contesté la critique traditionnelle. A la différence de la
dernière, elle a comme but la valorisation de l’écriture féminine. L’auteur se demande en même
temps si les é critures de femmes/ féminines et aussi la critique féminine peuvent changer le
monde universitaire ou seulement le monde et il donne la réponse: " Oui, dans le mesure où notre
vie est faite de mots, de symboles". 119
Il est nécessaire de souligner la différ ence entre une écriture féminine (écrite par les
femmes) et une écriture féministe (qui met l’accent sur l’univers féminin, étant différente de
l'écriture masculine), les deux concepts imposant souvent des distinctions en matière
d’expérience, qui est la source des écritures, du langage, des différences biologiques, politiques,
historiques et culturelles.
o « Dans les années '70, avec Nancy Chodorow, comme pour le genre, la notion de
différence se comprend aussi en terme de psychologie. Le concept de genre définit
comme féminité uniquement lorsque celle -ci n’est pas évoquée ou invisible : il évoque
toujours la féminité en rapport avec la masculinité mettant en relief le fait que la nature
sexuelle de la femme , mais aussi de l 'homme, n’est pas seulement natu relle mais aussi
culturelle » 120
118 Marie – José des Rivières – Recherches féministes, vol.11, no.1, 1998, p.333 -335, parlant de Lori Saint – Martin,
Contre – voix. Essais de critique au féminin, Nuit blanche éditeur, 1997, pg .294, en ligne
119 Marie – José des Rivières – Recherches féministes, vol.11, no.1, 1998, p.333 -335, parlant de Lori Saint – Martin,
Contre – voix. Essais de critique au féminin, Nuit blanche éditeur, 1997, pg.294 , en ligne
120 La gynocrytique – http://theories.f eministes.pagesperso -orange.fr/partie%201/I -4%20La%20gynocritique.htm, en
ligne
85
On pourrait y ajouter quelques théories tenant du féminisme, certaines à caractère
anglophone et mettant l'accent sur une sorte d'individualité par rapport aux écritures dites
masculines .
De même, du point de vue terminolo gique, il y a quelques appellations qui placent les
femmes dans une certaine catégorie de l a littérature :
o au départ il y avait une littérature " féminine", s’appuyant sur les schémas narratifs et les
thèmes de la tradition des écrivains masculins;
o puis ar rive la littérature " féministe" qui tend à contester ces schémas et revendique son
droit à l’autonomie;
o enfin, la littérature dite "de femme", imposant et revendiquant sa propre identité du genre.
On peut dire que la littérature féminine devient tout à fait indépendante par rapport à
l'écriture masculine, surtout si l'on fait la distinction entre les littératures de genre, terme qui est
très peu utilisé quand on analyse la littérature québécoise par exemple, qui est un type de
littérature québécoise non européenne. En France, une telle différence entre genre et sexe est
moins importante que dans les littératures et pays anglophones, et quand on parle de la littérature
féminine on utilise plutôt les termes "parole de femmes" et "écriture au féminin".
o «La femme littéraire est souvent paradoxale, et l’explication qu'Elena Prus donne repose
sur le décalage entre sa minimisation comme sujet réel et l’idolâtrie dont elle est l 'objet
comme sujet imaginaire": le statut de la femme est ambigu puisqu'elle particip e d'une
identité mythifiée (comme image) et d'une modernité dévalorisante (comme
réalité) »121
Voilà quelques traits des écritures féminines: le désir de rechercher un ordre de
l'individualité, la recherche de soi, et aussi le désir d'être comprise par les autres. La capacité de
trouver sa place dans une société, la maîtrise dans l’analyse des choses qui font partie de son
univers et des désirs primordiaux, l'incapacité de dire, de « se » communiquer aux autres,
d’envoyer leur message.
L’article de Claud ia Hulpoi Le féminin est toujours à revisiter. Une introduction dans
Avatars du féminin dans l’imaginaire francophone contient une question de Simona Modreanu
121 Claudia Hulpoi – Le féminin est toujours à revisiter. Une introduction dans Avatars du féminin dans l’imaginaire
francophone , Editions Junimea, Iasi, 2008
86
dans l’ouvrage Avatars du féminin dans l’imaginaire francophone : "Est -ce que la littérature
féminine parle?". Apparemment, la littérature féminine est une littérature de type sexuée et c'est
une analyse lucide, car elle explore l’identité du discours littéraire féminin, en mettant l’accent
sur les faits de la réalité psychologique, sociale et culture lle distincte.
o « la littérature féminine se distingue par l’excès: ou bien excès de désir et de plaisir,
impudeur révulsive (…), ou alors excès de sécheresse froide, coupante, glaçante et
néanmoins troublante (…) une écriture viscérale, innervée, hyper excitable, une création
du corps qui tend à supprimer l’image dans un mot qui bouge, qui sent, qui voit, qui
respire, qui sue, qui entend, qui hume, qui hurle et qui prie. Le grand personnage féminin
se déploie dans l 'antifiction (…) et dans l'autofict ion " ». 122
Tout comme Jeannette Laillou Savo na, on pose la même question:
o «Qu'ont en commun les recherches féministes? Elles se fondent sur l'affirmation
que les femmes ont toujours été opprimées soit physiquement soit
économiquement soit mentalement par les structures sociales et culturelles de tous
les pays, et sur la conviction qu'il y a lieu de mettre fin à une telle oppression. Il
s'agit d'une prise de position essentiellement politique puisqu'elle encourage la
documentation et la recherche dans le bu t de changer la société et les institutions.
Cette visée implique qu'on attache une importance toute particulière à la
sociosexuation – masculin/ féminin – dans la perception qu'on a des structures
sociales, culturelles et linguistiques. Les féministes cro ient donc que les discours
les plus universels et les plus neutres en apparence sont très souvent informés par
une dynamique sexuelle latente. C'est donc l'affirmation de la sociosexuation – ou
du genre – de tous les discours qui sous -tend la démarche méth odologique de
toute recherche féministe. »123
Et puis elle parle aussi des deux autres démarche s qui dérivent de ceux méthodolo giques
de féministe ou féminine : « La première consiste à analyser et à expliquer dans l'espace et dans
122 Claudia Hulpoi – Le féminin est toujours à revisiter. Une introduction dans Avatars du féminin dans l’imaginaire
francophone , Editions Junimea, Iasi, 2008
123 Jeannette Laillou Savona – Le féminisme et les études littéraires en France et en Amérique du Nord, dans
Littérature , N°69, 1988. Intertextual ité et révolution, pg. 113 -127
87
le temps le fonctionnemen t des diverses formes d'oppression sexiste »124, la mise en question du
patriarcat et de toute forme d'humiliation sexuelle que les femmes ont subie depuis toujours, et
aussi d'un concept de famille traditionnelle, espace dans lequel se consomme toutes les a ctivités
importantes d'un foyer, mais aussi de l’influence de la famille dans la société.
La deuxième démarche que l’auteur propose est un peu plus élargie: le deuxième point de
vue est concentré sur une théorie des relations entre les sexes et sur l’idé e de l’oppression des
femmes. Si le thème de l’oppression de la femme a des causes historiques, politiques et sociales,
le deuxième point de vue doit être lié au jeu du fonctionnement de la sexualité. C'est nécessaire
d'avoir un point de vue plus vaste là -dessus, avec un accent mis sur l’histoire, l’aspect politique,
l'anthropologie mais aussi sur les sciences humaines comme la sociologie, la psychanalyse et la
psychologie.
Jeannette Laillou Savona analyse souvent dans son œuvre la vie des femme s en arrivant à
la conclusion que la première démarche vise surtout à combattre les tabous mentaux et à donner
aux femmes l’espoir et l’indépendance dont elles ont besoin. De même, elle met l’accent sur la
nouveauté des changements dont la critique a fait preuve. Elaine Showalter parle dans son étude
d'un nouveau concept qui fait appel à l'image de la femme et aussi aux stéréotypes concernant les
femmes dans la littérature: En voici un extrait :
o « Dans le domaine de la critique littéraire, on pourrait adopt er ici la terminologie de
Elaine Showalter qui appelle la première approche « la dénonciation féministe» («feminist
critique ») et la seconde «la gynocritique» (« gynocritics»)125. La « dénonciation féministe »
se consacre aux sujets suivants : les images et stéré otypes des femmes en littérature, les
silences et les omissions qui jalonnent les histoires littéraires traditionnelles, les blocages
et déformations de la critique androcentrique vis -à-vis des écrivaines, l'exploitation ou la
manipulation des lectrices pa r la littérature et en particulier la paralittérature – la presse
féminine ou les romans sentimentaux de type Harlequin, par exemple 126 […] Dans le
124 Jeannette Laillou Savona – Le féminisme et les études littéraires en France et en Amérique du Nord, dans
Littérature , N°69, 1988. Intertextual ité et révolution, pg.13
125 Elaine Showalter, Towards a Fe minist Poetics , in Mary Jacobus, éd., Women Writing and Writing about Women ,
London, Croom Helm, 1979, p. 22 -41 apud Jeannette Laillou Savona – Le féminisme et les études littéraires en
France et en Amérique du Nord, dans Littérature , N°69, 1988. Intertext ualité et révolution. pg. 113 -127
126 Voir Anne -Marie Dardigna, La Presse « féminine ». Fonction idéologique , Paris, Maspero, 1978; le numéro
d'Etudes littéraires: « L'Effet sentimental », vol. 16, n° 3, déc. 1983 et La Corrida de l'amour …apud Jeannette
88
cadre de «la dénonciation féministe », on a commencé de se pencher aussi sur l'utilisation
mécanique du sign e binaire – masculin/féminin; culture/ nature; public/privé » 127
Le domaine de la gynocritique est réellement vaste et comprend tous les autres types de
domaines comme l’anthropologie, la sociologie, la psychologie, les choses qui sont liées à
l'histoire e t d'autres liées à la culture, pour mieux révéler les éléments qui font partie de l'univers
féminin, mais concernant la littérature aussi. Il 's'agit en premier lieu d'une analyse de genre de
différents types de littérature: poésie, roman, autobiographie, théâtre, essai, etc.
Elaine Showalter met l’accent aussi sur la spécificité de la lecture féminine, elle l’appelle
"la dénonciation féministe", mais elle fait la différence entre ce concept et celui de gynocritique,
ayant au centre les écritures féminin es, et qui est orientée vers l'étude de l'écriture et d' autres
types de créations féminines.
On va y ajouter l’influence de Simone de Beauvoir, avec son ouvre très connue Le
Deuxième Sexe , où elle a le grand mérite d’avoir placé la question de la femme dans l'histoire,
o « puisqu'elle introduit son analyse thématique par deux cents pages d'histoire, histoire de
l'évolution des idées masculines sur les femmes. Ce qui fait la valeur de ce livre c'est sans
doute sa théorie de la sexualité perçue comme une confro ntation politique faite de
rapports de forces souvent hostiles entre le masculin et le féminin ».128
Voilà que c'est la littérature féminine qui diffère de celle masculine, avec ses traits
spécifiques, c’est pourquoi les critiques ont souvent reproché que l a littérature féminine n'a pas
du substance, qu’elle est plus intériorisée et intime par rapport aux autres types de littérature, et
que la cause en serait le manque de lucidité de la femme. Plus ou moins, tout le monde est
fasciné par cet univers plein de mystère, mais quand on parle de leur "objectivité", les femmes ne
sont pas considérées comme des écrivains objectifs, au contraire, et l’une des causes en serait
l’emploi de la Iè re personne dans le récit . On dirait plutôt que les hommes utilisent, eux au ssi la
Ière première dans le récit et que ce n'est pas une caractéristique des écritures féminines.
Laillou Savona – Le féminisme et les études littéraires en France et en Amérique du Nord, dans Littérature , N°69,
1988. Intertextualité et révolution. pg. 113 -127
127 Jeannette Laillou Savona – Le féminisme et les études littéraires en France et en Amérique d u Nord, dans
Littérature , N°69, 1988. Intertextualité et révolution. pg. 113 -127
128 Jeannette Laillou Savona – Le féminisme et les études littéraires en France et en Amérique du Nord, dans
Littérature , N°69, 1988. Intertextualité et révolution. pg. 113 -127
89
Leurs digressions, leurs manques de logique, leur bavardage, l’intérêt exagéré accordé
aux états d’âme et aux problèmes émotionnels sont les reproches le plus souvent soulevés par les
critiques adressées aux femmes écrivains. Leur écriture manquant d'objectivité, l’absence de
l'omniscience et de l'universalité, de la clarté propre aux cultures occidentales, sont les reproches
faites par les critiques à ce genre de littérature.
o « Il n'y a peut -être pas de barrières absolues entre les critiques (femmes, n.n.), souvent
américaines, qui ancrent leurs études dans une connaissance approfondie de l'histoire
littéraire des femmes et les théoriciennes d'une poétiqu e féministe, souvent françaises, qui
tendent à rejeter la tradition critique rationaliste dont elles refusent les prétentions
d'universalité. » 129
Elisabeth Badinter relève une idée très originale dans Fausse route (2003).
o « La femme libre, drôle, provoca trice, conquérante du féminisme des années 1970 a cédé
la place à la femme considérée comme victime. C’est ce féminisme victimaire … »130
En plus, Marie Carrière connecte l'écriture féminine à un nouveau concept d'éthique,
ethics (l'espace des actions mai s aussi de l’ontologie). La question de l'éthique est liée à la dyade
mère – enfant (conceptualisée par plusieurs critiques comme une relation linguistique et sociale,
une partie de langage et d’autre côté un modèle social et d'éthique ou de soi-même . Le mo dèle
éthique est la base des constructions féminines subjectives.
o « this maternal model underlies const ruction of female subjectivity and connects this
theoretical view to writing in the feminine » 131
La question sur l'écriture féminine (si elle existe ou non) apparaî t en effet en 1977, quand
Julia Kristeva pose cette question pour la première fois.
C'est dans la Revue des sciences , dans une interview a ccordée à François Van Rossum –
Guyon et Parme qu'elle essaye de répondre à cette question:
129 Jeannette Laillou Savona – Le féminisme et les études littéraires en France et en Amérique du Nord, dans
Littérature , N°69, 1988. Intertextualité et révolution. pg. 113 -127
130 Mara Goyet, Le féminisme , Editions Plon, Paris, 2007 , pg.140
131 notre traducti on: " Ce modèle maternel sous -tend la construction de la subjectivité féminine et relie cette vision
théorique à l'écriture dans le féminin ", L. Chris Fox, The Much Migrated Fox: Larissa Lai's Transformation of
Ecriture au Féminin in When Fox is a Thousand , dans Marie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance
comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec / The littératures of Canada and
Québec , Ed. Peter Lang, Bern, 2008, pg.189
90
o « Il est p ossible de distinguer, dans de s livres écrits par des femmes, des particularités
stylistiques et thématiques à par tir desquelles on pourrait ensuite essayer de dégager un
rapport spécifique des femmes à l’écriture. Mais il me semble difficile actuellement, en
parlant de ces particularités, de dire si elles relèvent d'une spécificité proprement
féminine, d'une marginalité socioculturelle, ou plus simplement d'une structure (par
exemple hystérique) favorisée par le marché contemporain à partir de l 'ensemble des
potentialités féminines »132
Voilà donc que la littérature féminine a des difficultés quand elle essaye de se construire
une identité propre face à celle des hommes. Julia Kristeva fait appel aussi à une sorte de
marginalité socioculturelle quand on se réfère à la littérature féminine.
Hélène Cixous a travaillé beaucoup pour rendre au monde les rapports honnêtes des
femmes écrivaines avec l'écriture féminine, elle comprenant l'angoisse et le vertige ressentit
quand on parle de ce type d’écriture fémin ine. Le rapport de ces femmes avec l’écriture est aussi
le rapport avec la langue maternelle.
o « Dans La Venue de l’écriture (1977), elle (Hélène Cixous) pose le rapport de la femme
à l'écriture comme un rapport charnel et vivant à une langue maternelle. Elle trouve dans
les textes écrits par des femmes, des images de la fémini té. Dans La jeune n ée, elle
soutient que la fe mme s'exprime charnellement, c' est – à- dire qu'elle signifie ce qu'elle
pense avec son corps, et qu'elle traine toujours dans l 'Histoi re son histoire. » 133
L'autre modèle que les femmes veulent désigner est celui des femmes qui ne substituent
pas au modèle primaire de mères et de femmes d’intérieur, mais aussi des femmes qui ne restent
pas les esclaves d'un modèle initié et promu par les hommes. C 'est pourquoi la majorité des
critiques et aussi la plupart des lecteurs ont trouvé que ces œuvres dans lesquelles les femmes
écrivains choquent par leur thématique qui dépasse les limites d'un chemin et d'une image
féminins consacrés, sont des œ uvres subversives.
132 Question à Julia Kristeva , Revue des science s humaines , no. 168, décembre 1977, P.U.L., P.36 apud Elodie
Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l' Harmattan, Paris,
2015, p g.208
133 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Em ergence et identité , Editions l'Harmattan,
Paris, 2015, p g.208
91
La reconstruction de l'identité semble être le thème le plus important. La quête et les
malaises identitaires sont aussi des thèmes liés à celui de l’identité.
Il y a quelques écrivaines qui ont rejeté l'idée que la littérature des fem mes est une
littérature de marginalisation : on fait appel à Marguerite Yourcenar, Simone de Beauvoir et
Nathalie Sarrante. Ainsi Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe , rejette le démarquage
sexuel, considérant que les femmes sont les égales des hommes e t qu’il ne dépend que d'elles :
c’est le message qu’elle veut transmettre.
o « Quoique considéré comme une référence féministe, cet essai analyse toutes les formes
d'assujettissement de la femme, mais Simone de Beauvoir est restée réservée sur les
formes de production littéraires artistiques des femmes. On évolue alors vers l'idée d'une
littérature féminine de manière ouverte et assez limitée. Beaucoup d'écrivaines se battent
plutôt pour considérer leur position dans le ur champ littéraire. Etant donné donc qu'il
n'est pas aussi possible d’interroger les écrivaines pour connaître leur position par rapport
à l'idée d'une formation d'un champ littéraire féminin on saisira quelques paradigmes
jouant dans leurs textes en faveur d'une émergence du champ littéraire féminin. »134
La littérature des femmes des pays du Sud a été relevée par les analyses de quelques
livres déjà oubliés et qui forment la littérature des femmes de la périphérie, qui est un modèle de
créations contemporaines et modernes. Avec ces ouvres app araît aussi la question du "féminin de
l 'écriture". C'est tout d'abord l'ouvrage collectif (qui est paru à Cergy – Pontoise, en 2012 , sous la
direction de Christiane Chaulet -Achour et Françoise Moulin – Civil) Le Féminin des écrivaines
Sud et Périphéries . Ajoutons qu’en 2012, la revue Dialogues francophones a publié aussi, sur la
même thématique, le no.16 intitulé Les francophonies au féminin .
o « Bref, c' est globalement la question du féminin de l’écriture de ces auteurs du Sud. Le
seconde ouvrage saisit et décrit les ficelles de l'écriture féminine et francophone et
analyse les rapports qui se tissent entre écriture, libération et ouvre d'art. En plus de
résoudre la q uestion de la féminité d 'écriture, cet ouvrage soulève la question: les femmes
134 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l'Harmattan,
Paris, 2015 , pg.217
92
sont- elles une création d'hommes comme le disait Virginia Woolf o u alors la littérature
féminine existe -elle vraiment? »135
L'écriture féminine et ses qualités sont présentées aussi dans les œuvres d' Helene Cixous,
en 1975, par Le rire de la méduse et La jeune née et aussi par Simone de Beauvoir avec Le
deuxième sexe , qui démontrent qu e la littérature féminine ne s’ intéresse pas à la littérature des
femm es, mais plutôt à l' humanité dans son ensemble.
En ce qui concerne les éditions au féminin, deux pays ont réell ement fait des progrès dans
ce domaine: la France et Le Canada: Les Editions Anne Carrière (Paris, 1994 – généraliste et
indépendante, fondée par le couple Anne et Alain Carrière), Les Editions Des Femmes ( Paris,
France , 1973, fondée par Antoinette Fougue , aussi la cofondatrice du Mouvement de libération
des femmes (MLF) – ont eu un succès international parce que parmi les auteurs qui ont publié ici
se trouve des noms très connus de combattantes féministes ). Les Editions Quatrième Zone
(France, 2004 – publie les romans francophones d'aventure et d’action) . De même, en France,
apparaît La Maison d'Editions Viviane Hamy (Paris, 1990, fondée par Viviane Hamy). Les
Editions Zulma (France, 1991, fondée par Laure Levy et Serge Saffran -littérature
contemporaine). En même temps, au Canada, à Québec, on peut constater les Editions Anne
Siggier (éditrice qui arrive au Québec mais son origine est française). Au Canada, il y a aussi des
Editions de femmes comme Les Editions de Remue – ménage (1976, fondée par des femmes) .
Les grandes Maisons d' Edition comme Seuils et Gallimard et aussi bien d' autres, ont fait
bien attention à l'origine de l 'écrivain, même si ceci n’avait pas été ouvertement reconnu au
début.
o « L'écriture féminine, qui a la particularité d' exprimer l e moi profond des écrivaines
s'intègre dans ce vaste mouvement de construction et de reconnaissance de nouvelles
identités. Pour dire le monde, les femmes entendent imposer leur voix comme une voix
qui doit compter dans la mosaïque des voix annonçant le no uveau monde. C 'est dans ce
sens qu'il faut comprendre la démarche des écrivaines visant à constituer un champ
littéraire féminin »136
135 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la mi gration, Emergence et identité , Editions l'Harmattan,
Paris, 2015, p g.217
136 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l'Harmattan,
Paris, 2015 , pg.223
93
La nécessité de reconstruire l’identité une fois trouvée en même temps que le malaise
identitaire est deux thèmes majeurs qui se retrouvent dans tous les romans francophones
auxquels on se réfère dans notre ouvrage. La question du " devenir" reste toujours sans réponse:
o « Est-ce qu'on naît artiste ou est -ce qu'on le devient? Est -ce qu'on naît spectateur,
spectatrice, ou est -ce qu'on le devient? Est -ce qu'on naît femme, homme, ou est -ce qu'on
le devient? »137
Il ya aussi d'autres écrivaines, comme Suzanne Venker, qui auront une autre réponse à ce
sujet. Celles qui viennent du vagues conservatoires et qui vont démontrer l'hypothè se que les
femmes ont étaient oppresses, et que le féminisme n’est quelque chose d' autre qu'un manifeste
contre la famille traditionnelle, qui menace la société et que les vagues du féminisme n'ont fat
rien du bien dans les sociétés, partout dans le monde . Par exemple, une écrivaine qui suscite ;
intérêt des hommes et beaucoup plus des conservatoires, souligne aussi le fait que les femmes et
celles qui appartient au féminisme lutte contre les hommes jusqu'au désir de les tuer et de n'avoir
plus besoin d'e ux. Que les différences entre hommes et femmes ne sont pas seulement physiques
et biologique, mais qu'on a aussi des différences du cerveaux et que ce que les femmes veulent,
égalité dans la société avec les hommes ce n'est pa s possible , car elles sont dep uis longtemps les
"mères des enfants" et l'éducation de ces enfants en doit pas être faite dans les ardins d'enfants
mais dans la famille est que les femmes doivent très bien comprendre que l'éducation, la maison
et tous les taches quotidiennes doivent êtr es accomplies par les femmes. L'égalité que les
"féministes veulent" n'existent pas, soulignant des le début, que les hommes sont plus capables
que les femmes et désirent bien plus à soumettre toute leur vie pour la carrière, ce que les
femmes ne sont as c apable à faire parce qu’elles ont des enfants et doivent prendre soin des
enfants. Ell e montre que la famille peut exister seulement et seulement si la mère reste à la
maison, parce que, en effet c'est plus difficile pour une mère de travailler et aussi d' avoir des
enfants. En ce qui concerne l'éducation de ces filles qui pensent que sont égales aux hommes,
Venker donne des exemples de leurs familles qui ont éduqué ces petites filles dans une manière
féministe, dans une manière de ne plus voir les différenc es entre femmes et hommes:
o «Personne ne leur pas dit (n.r la vérité/ – aux filles) parce que la majorité de baby
boomers sont féministes, pas conservatoires . Et s 'ils sont conservataires, ils ont
137 Abla Farhoud, Splendide solitude , Editions L’H exagone, Montréal, 2001, pg. 66
94
accepte le mythe féministe que les femmes doivent jamais dé pendre d'un homme.
C'était le thème commun dans les maisons des parents d'aujourd'hui . Comme
résultat, les filles ont était éduquées en assumant le fait qu'elles vont se marier
avec leur meilleur ami, les deux auront un bulot, les deux partageront les tac hes
dans la maison (peut être 50% – 50%). Les filles n'ont pas anticipé que, au moment
qu'elles seront mères, les filles seront le parent psychologique – celui qui sens une
responsabilité directe et personnelle pour les personnes de son proximité et qui
s'intéressent du confort de chaque enfant. Si et quand les femmes reconnaissent
ces sentiments dans le public, la culture les assure qu’elles sentent comme ça à
cause des anciens stéréotypes. Personne n'a pas imaginé que les femmes peuvent
sentir comme ça à ca use de la différence de genre. »138
Suzanne Venker essaye de prouver que les femmes sont généralement et spécifiquement
différâmes construite et qu’elles n’ont pas les mêmes as pirations que les hommes et c'est rien
négative dans le fat d'avoir une famille e t de rester a la maison à prendre soin des bébés. Elle
continuera à montrer que séparer les taches dans la maison 50% – 50% ce n’est pas possible et
que les féministes ont beaucoup fait des erreurs quand elles disaient que c’est possible. C'est elle
qui dé clare aussi que à nos jours, les maris font un quart des taches dans la maison et la raison est
que le hommes aspirent pour des taches qui ont plus d' intérêt, même si les taches quotidiennes
d'une femme à l'intérieur de la maison sont souvent plus diffici les et demandent plus du temps à
être accomplisses.
II.2. Le féminisme de la première vague
138 notre traduction d'anglais: "No one told them because most baby boomers are feminists, not conservatives. Even
if they are conservative, they still accepted the feminist myth that women should never depend on a man. That w as
the common theme in households of today's generation of parents. As a result, girls grew up assuming they would
marry their best friend, both take a job, and both share in the duties at home (probably fifty – fifty) . They didn't
anticipate that once they became mothers, they would be the psychological parent – the one who always feels a direct
personal responsibility for the whereabouts and well – being of each child. If and when women make these feelings
public, the culture assures them they only feel this way because of outdated stereotypes. It was never imagines that
women feel this way due to gender differences." Suzanne Venker, Phyllis Schlafly, The Elipside of feminism , WND
Books Edition, Washington D.C., 2011, pg.118
95
A la fin du XIXe siècle, le féminisme de la première vague était égalitariste et mi xte: son
objectif était tout d' abord l'égalité entre hommes et femmes. Les femmes ont commencé à utiliser
des lettres, des affiches, des journaux divers et variés comme des quotidiens féministes ou des
magazines de couture pour faire entendre dans tout le monde leur voix concernant leurs droits.
Des associations des femmes cathol iques -plus philanthropiques à la fois et presque moins
radicales – ont commencé à travailler pour la diffusion de cette voix de l 'égalité s’alliant aux
associations syndicales, socialistes et ouvrières. Le féminisme était vu à cette époque comme un
combat individualiste, pas très sérieux. Dans la première vague, le féminisme était vu comme un
lieu parfait d'initialisation politique, intellectuelle et démocratique. Michelle Perrot est la figure
de proue de cette première vague féministe, elle a coordonné les mouvements sociaux les plus
modernes.
La question était simple: la femme est -elle ou non un produit de la mo dernité? La
question était d'apprendre quelle est la différence des rapports entre la sphère privée et la sphère
publique, dans un contexte soci al et historique: la situation des salariés, l’urbanisation et
l’industrialisation et, du point de vue historique, la guerre et les révolutions , dans le contexte de
l'égalité et de la liberté.
o « Mais surtout, elle doit beaucoup aux militantes féministes dont le nombre fut malgré
tout conséquent, qui ont lutté vaillamment , avec acharnement, souvent avec succès,
contre le scandale que représentaient leur infériorité légale et politique ainsi que leur
minorité inscrite dans le code civil. »139
Le point de dép art du féminisme est considérée, au moins aux Etats – Unis, la Convention
de Seneca Falls de 1848, en même temps, au Royaume – Uni on n'a pas une date exactement pour
le commencement des mouvements féministes. En Allemagne et le reste de l'Europe, les
révolu tions de 1848 commencent à mettre la femme sur la scène pour lutter contre les
oppressions. Au début du second Empire, en France, les femmes commencent à gagner la liberté
de paroles après les initiatives d' André Léo , pseudonyme de Léodile Champseix. Le nom de la
première vague est donné beaucoup plus tard, quand la journaliste Martha Weinman Lear a
introduit, dans New York Times Magazine de mars 1968 , la notion de vague de pour la première
139 Mara Goyet, Question no.24: Les mouvements féministes sont -ils archaïques ou précurseurs? Les
caractéristiques de la première vague féministe , dans Le féminisme , Editions Plon, Paris, 2007 , pg.121
96
fois. Le féminisme commence alors dans le Royaume -Uni même si il n'appartient pas à un
certain pays.
A Vindication of the Rights of Woman (Défense des droits de la femme ) est publié en
1792 et est écrit par Mary Wollstonecraft . Puis ce texte est le point de depart pour Mary
Hays qui écrit Appeal to the Men of Great Britain on Behalf of Women en 1798 et Mary
Robinson qui écrit Thoughts on the Condition of Women, and on the Injustice of Mental
Subordination. En 1825, William Thompson écrit une autre livre majeure, en collaboration av ec
Anna Wheeler , mais seulement le nom de Thompson existe sur le livre: Appeal of One Half the
Human Race, Women, Against the Pretensions of the Other Half, Men, to Retain Them in
Political, and thence in Civil and Domestic Slavery. Une partie des féministes adhérent , à partir
de 1850, aux thèses marxistes et lutte pour la libération des femmes mais aussi pour la lutte des
classes.
Un symbole sociale très fort et qui est aussi un e des symboles très importantes du
féminisme de la première vague reste les suffragettes , seront les femmes de l'Union sociale et
politique des femmes . C'est Emmeline Pankhurst , qui a crée cette union, soutenue par sa
fille Christabel Pankhurst . Les suffragettes vont utiliser des méthodes atypiques pour cette
période, comme les grèves de faim, des luttes sur les rues, campagnes d'influence ou des actions
militantes. Elles étaient emprisonnées, suite aux l es actions militantes, et même si elles ont lutté
sérieusement pour accéder aux droits qu'elles méritent, le projet de loi pour instituer le vote des
femmes a été rejeté le Black Friday de novembre 1910. Trois cents femmes vont manifester
pour cette décis ion, et pendant ces manifestes, une d’elles va succomber aux blessures. Pour
celles qui ont plus de trente ans, le droit de vote est accordé seulement 8 ans après, en 1918, et en
1928 une autre étape est atteinte et les femmes peuvent voter comme les homme s, à partir du 21
ans. Seulement après la Seconde Guerre mondiale un nouveau mouvement féministe émergera
dans les Royaume Unis.
II.3 La seconde vague du féminisme
97
Deux aspect s sont à l 'origine de cette vague: la maternité (la principale obligation de la
femme) et le baby -boom (quand la femme au foyer et presque la mère devient la définition de la
féminité). En même temps, se fait le changement du jour de 8 Mars, La Journée Internationale
de la femme (qui avait été votée depuis le 28 février 1909 aux Et ats- Unis ), en Journée
Internationale pour la paix et le bonheur des enfants (changement fait en 1951). Du point de vue
politique, on a dans cette période aussi la lutte contre le marxisme, le contexte de la guerre froide
avec ses tensions, et aussi un aut re contexte – la décolonisation.
Du point de vue littéraire, Simone de Beauvoir publie son roman Le deuxième sexe (paru
en 1949 – qui est vendu à plus de 20.000 exemplaires en une semaine; en même temps les
traductions dans d’autres langues se multiplient aussi ), un véritable boom littéraire et social,
politique et économique. Elle écrit son manifeste contre la destination biologique, physique et
économique des femmes, la femme étant vue comme produit intermédiaire entre le mâle et le
castrat.140 Simone de Be auvoir affirme que l'identité féminine n' est liée ni au de stin, ni définie
par les aspects biologiques, elle affirme que la femme est une construction sociale et presque un
produit historique. Elle critique en même temps les mouvements féministes considéra nt que ces
mouvements n’ont pas vraiment contribué à l’émancipation des femmes.
o « On ne naît pas femmes: on le devient. » 141
Simone de Beauvoir apporte une autre image sur les femmes: elle parle librement de la
sexualité, et c'est pourquoi elle a lancé d éjà, en écrivant ce livre, un scandale et avec lui, la
seconde génération des féministes, beaucoup plus radicale que l’autre.
o « Alors que les premiers mouvements luttaient pour l'égalité on insiste ici sur son
impossibilité, dans un monde dominé par les h ommes. Cette analyse conduit au projet
d'une totale remise en cause de l’organisation de la société. Il ne s'agit pas, pour cette
génération, de conquérir l'égalité mais de sauver la femme d'un monde considéré comme
opprimant et phallocrate dont elle ne pe ut rien attendre. Cette libération commence par
une prise de parole et par la réappropriation de son propre corps: les deux ayant été, selon
140 Mara Goyet, Question no.25: La liberté des femmes ne consiste -t-elle qu’à choisir leur prison? La seconde
génération du féminisme , dans Le féminisme , Editions Plon, Paris, 2007, p.123
141 Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe , apud Mara Goyet, Question no.25: La liberté des femmes ne c onsiste -t-
elle qu’à choisir leur prison? La seconde généra tion du féminisme , dans Le féminisme , Editions Plon, Paris, 2007,
p.124
98
les mouvements féministes d'alors, confisqués aux femmes par le système patriarcal (…)
les féministes s’attaquen t alors à la question de la maitrise de la fécondité (contraception
et avortement), puis revendiquent leur liberté sexuelle et le refus de la domination
masculine »142
Les luttes continues pour la liberté de la femme et pour la reconsidération de son statut
vont mon trer aussi que l'inégalité entre les hommes et les femmes continue d’exister au sein des
sociétés. Mais dans la troisième vague du f éminisme les luttes pour l'égalité vont être
accomplies.
.
II.4.Le féminisme de la troisième va gue
142 Mara Goyet, Simone de Beauvoir publie Le deuxième sexe . Réactions dans Le féminisme , Editions Plon, Paris,
2007, p.126
99
A partir de 1970 jusqu'à 1990, plutôt depuis la seconde moitié des années 80, on peut
parler d'un déclin du féminisme, un mouvement qui a été créé exprès pour l'émancipation des
femmes, mais on peut toutefois affirmer que jusqu' à ce moment il n’a p as atteint ses objectifs.
On constate en premier lieu l’existence des discriminations sexuelles et les différences qui
dérivent de cette discrimination entre hommes et femmes. Dans cette période, le féminisme
entrerait dans une étape d’institutionnalisatio n.143
A la fin des années 80 il y avait un mouvement de ressac antiféministe ou de backlash .
On considère que les femmes seraient exagérées et qu’elle aurait fait fausse route .144 Le
féminisme, à ce moment, a complètement changé les relations entre hommes et femmes. On
assiste à l'indépendance des femmes en dépit de leur maternité, et tout leur espoir de réussir sur
le plan professionnel finit dans la solitude. Malheureusement, sur le plan public, on n’a pas
toujours atteint l’égalité entre hommes et femmes, car les femmes sont absentes des positions de
pouvoir et de décision. L'inégalité économique est toujours là, elles sont tout aussi dépendantes
des hommes, elles doivent travailler davantage pour répondre à leurs exigences au foyer, établir
un équilibre e ntre femme de carrière, épouse, mère ou amante.
Dans les années 70, le féminisme a enregistré une "transformation", mettant l’accent sur
une éthique de l’hétér ogénéité, thème qui est aussi :
o « la source d'un conflit qui oppose les féministes des deuxièm e et troisième vagues. Si
les premières considèrent que la dispersion et la fragmentation sont de nature à remettre
en question les fondements mêmes du mouvement, les dernières voient dans la
multiplicité la seule manière valable d'envisager la réalité des femmes. La rhétorique de
la sororité , spécifique de la deuxième vague et correspondant à une dynamique
143 Dumont, Micheline, 2005, Réfléchir sur le féminisme du troi sième millénaire , dans Maria Nengeh Mensah
(dir.), Dialogues sur la troisième vague féministe . Montréal, Les éditions du remue -ménage : 59-73, apud Denisa –
Adriana Oprea, Du féminisme (de la troisième vague) et du postmoderne dans Estelle Lebel – Le féminis me: une
question de valeur(s), Volume 2, numéro 2, 2008, p.5 -28, Editeur: Revue Recherches féministes , en ligne
https://www.erudit.org/revue/rf/2008/v21/n2/029439ar.html
144 BADINTER, Élisabeth, 2003 Faire fausse route . Paris, Odile Jacob, apud Denisa -Adrian a Oprea, Du féminisme
(de la troisième vague) et du postmoderne dans Estelle Lebel – Le féminisme: une question de valeur(s), Volume 2,
numéro 2, 2008, p.5 -28, Editeur: Revue Recherches féministes , en ligne
https://www.erudit.org/revue/rf/2008/v21/n2/029439 ar.html
100
intergénérationnelle, serait maintenant remplacée, selon Astrid Henry par une relation
mère – fille, ayant a sa base un rapport, voire un conflit interg énérationnel. » 145
Au Québec, la troisième vague est considérée comme une question d'idéologie et moins
de génération. Les jeunes féministes québécoises sont inscrites plutôt dans la deuxième vague du
féminisme146 tout en engageant un processus collectif d’a ppropriation de certains idéaux
féministes dans une perspective critique .147
Le féminisme actuel s'intéresse à la violence domestique, la vie professionnelle et le
chômage, la santé et les choses de l’environnement, à l’immigration ou aux effets du racisme, et
aussi à la santé sexuelle des femmes et, su rtout, à inclure les hommes à ces démarches des
femmes et aux mouvements des femmes.
La politique de féminisme de la troisième vague s'articule autour de la contextualisation.
Lamoureaux (1990, p. 135) sou ligne t rès bien ce type de politique:
o « Ce qui importe c'est qu'i l faut être une individue (terme canadien, n.n.), acquérir une
stature personnelle sans avoir constamment à en référer à une catégorie sociale dans le
sens ou la féminité est loin d'épuiser notre identité pour pouvoir agir comme sujet
politique. A travers le féminisme, les femmes comme groupe sociale, ont accédé au droit
de la parole publique. Il s'agit maintenant de contribuer à l’élaboration d'un espace public
de débat pluriel de façon à po uvoir nommer, avec les autres, mais en son nom. »148
145 Denisa -Adriana Oprea, Du féminisme (de la troisième vague) et du postmoderne dans Estelle Lebel – Le
féminisme: une question de valeur(s), Volume 2, numéro 2, 2008, p.5 -28, Editeur: Revue Recherches féministes, en
ligne https://www.erudit.org/revu e/rf/2008/v21/n2/029439ar.html
146 Nengeh Mensah , Maria, 2005 « Une troisième vague féministe au Québec? », dans Maria Nengeh Mensah
(dir.), Dialogues sur la troisième vague féministe . Montréal, Les éditions du remue -ménage : 11-27, apud Denisa –
Adriana Oprea , Du féminisme (de la troisième vague) et du postmoderne dans Estelle Lebel – Le féminisme: une
question de valeur(s), Volume 2, numéro 2, 2008, p.5 -28, Editeur: Revue Recherches féministes, en ligne
https://www.erudit.org/revue/rf/2008/v21/n2/029439ar.html , pg.17
147 Nengeh Mensah , Maria, 2005 « Une troisième vague féministe au Québec? », dans Maria Nengeh Mensah
(dir.), Dialogues sur la troisième vague féministe . Montréal, Les éditions du remue -ménage : 11-27, apud Denisa –
Adriana Oprea, Du féminisme (de la t roisième vague) et du postmoderne dans Estelle Lebel – Le féminisme: une
question de valeur(s), Volume 2, numéro 2, 2008, p.5 -28, Editeur: Revue Recherches féministes, en ligne
https://www.erudit.org/revue/rf/2008/v21/n2/029439ar.html , pg.43
148 Denisa -Adrian a Oprea, Du féminisme (de la troisiè me vague) et du postmoderne , op.cit.
101
Les théoriciens de la troisième vague n’utilisent pas la catégorie d'identité politique , ils
mettent l’accent sur le contexte individuel. La troisième vague est considérée comme un
mouvement caractérisé p ar le métissage et l’impureté mais par le pluralisme aussi.
Butler essaie de montrer l 'opposition binaire entre sexe et genre, caractéristique de la
deuxième vague du féminisme mais qui se prolonge dans la troisième vague du féminisme. Le
féminisme est a ussi un concept philosophique de la troisième vague. Butler considère que le
concept de sexe est mouvant et changeant. Le féminisme de la troisième vague conteste les
oppositions bin aires.
o « Le féminisme du début du troisième millénaire dissémine la catég orie "femme" et
donne voix au chapitre à des sujets mis entre parenthèses par le féminisme de la
deuxième vague, tels que les Noires, les femmes du tiers – monde, les migrantes, les
figures "queer", les sujets postcoloniaux, etc. »149
On pourrait dire que le féminisme de la troisième vague est une victoire des femmes dans
la société. Le féminisme de la troisième vague donne une voix aux désirs intérieurs des femmes,
et sauvegarde leur statut dans la société.
II.3 Le " MOI" intérieur francophone/ Le " MOI" intérieur canadien.
II.3.1. L’identité féminine
149 Butler , Judith, 1990 Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity . New York/Londres, Routledge.,
apud Denisa – Adriana Oprea, Du féminisme (de la troisième vague) et du p ostmoderne dans Estelle Lebel – Le
féminisme: une question de valeur(s), Volume 2, numéro 2, 2008, p.5 -28, Editeur: Revue Recherches féministes, en
ligne https://www.erudit.org/revue/rf/2008/v21/n2/029439ar.html, pg.179 -180
102
Le moi c’est l'instance la plus intime du person nage, étant liée au concept d 'identité.
L'identité est strictement liée aux concepts de valeurs, d’attri buts et de la philosophie de vi e des
personnages . Paul Ricœur est le premier qui montre la différence entre l’identité mêmeté et
l'identité ipséité , entre l’ idem et l 'ipse .150
o « L'idem – celle d' une seule et même collectivité et des membres constituants – et
l'identité – ipséité ou l’identité du soi, de l'individu unique, à savoir de l 'Autre. Alors que
la mêmete est un concept de relation identique soutenu par la permanence dans le temps,
un groupe ethnique ne peut, au fil des années, se soustraire du critère de son identité
culturelle: l 'ipséité impliq ue une forme de per manence dans le temps, mais n’est pas
réductible à la détermination d'un substrat151. L'identité au sens d' ipse, celle donc de
l'Autre, n'implique aucune assertion concernant un prétendu noyau non changeant de la
personnalité . 152
En ce qui concerne l’identité, Paul Ricoeur énonce :
o «Sans le secours de la narration, le problème de l’identité personnelle est en effet vou é à
une antinomie sans solution : ou bien l’on pose un sujet identique à lui -même dans la
diversité de ses états, ou bien l’on tient, à la suite de Hume et de Nietzsche, que ce sujet
identique n’est qu’une illusion substantialiste […] Le dilemme disparaît si, à l’identité
comprise au sens d’un même (idem), on substitue l’identité compri se au sens d’un soi –
même (ipse) ; la différen ce entre idem et ipse n’est autre que la différence entre une
identité substantielle ou formelle et l’identité narrative. […] À la différence de l’identité
abstraite du Même, l’identité narrative, constitutive de l’ipséité, peut inclure le
150 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre , pg.140 apud Marie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance
comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec / The literatures of Canada and
Québec , Ed. Peter Lang, Bern, 2008, pg.97
151 Paul Ricœur, Soi-même comme un autr e, pg.143 apud Marie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance
comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec / The literatures of Canada and
Québec , op.cit., pg.97
152 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre , pg.13 apud Marie Car rière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance
comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec / The literatures of Canada and
Québec , op.cit. pg.97
103
changement, la m utabilité, dans la cohésion d’une vie .[…] En ce sens, l 'identité narrative
ne cesse de se faire et de se défaire .»153
C'est aussi Paul Ricœur qui mit l'accent sur la valorisation du soi, l’identité narrative étant
au carrefour de la fiction et de la biogra phie. La valorisation de soi étant en effet un thème
important du féminisme et du récit féministe. L'identité se renégocie apparemment avec les
hommes autour de nous en permanence. L'identité personnelle n’est pas seulement une
construction de notre person nalité, mais aussi une construction sociale, culturelle, ou peut – être,
mieux dire, un résultat de tous ces éléments. L’identité personnelle inclut les réalités historiques
dans lesquelles un personnage a vécu à un certain temps.
o « La compréhensio n de so i est une interprétation ; l’interprétation de soi, à son tour,
trouve dans le récit, parmi d’autres signes et symboles, une méd iation privilégiée ; cette
dernière emprunte à l’histoire autant qu’à la fiction, faisant de l’histoire d’une vie une
histoire fic tive, ou, si l’on préfère, une fiction historique, entrecroisant le style
historiographique des biographies au style romanesque des autobiographies
imaginaires »154
Dans le cas du roman de Ying Chen, une particularité de féminité s'impose à l’analyse:
les pi eds, beaux comme des fleurs de lotus, montre une situation qui détermine l'origine des
femmes chinoises. La destinée de Lie – Fei, la grand mère du personnage principal de La mémoire
de l'eau est décidée vraiment par ses pieds, une pratique fréquente et douloureuse (et pour nous,
à nos jours, incroyables), pour toutes les filles en Chine pendant les années 1900 .
En 1912, Lie – Fei a bénéficie d'une éducation exemplaire. Toutes les filles recev aient des
leçons de chinois, d' orthographe et de morale, et éta ient soumises aux premières opérations des
pieds, pour leur rendre un statut élevé dans la société et pour leur permettre d'être belles, surtout
153 Paul Ricœur, Temps et récit III, Le temps raconté , 1985, éditions du Seuil , apud Isabel Laplante, L’identité
narrative, Une conception littéraire de l 'identité comme mobile et négocié , en ligne,
http://www.pratiquesnarratives.com/ -2l-identitenarrative.html
154 (Paul Ricœur, 1990, pg. 138), référence dans Kristina Herlant -Hémar , Identité et inscription temporelle : le récit
de soi chez Ricœur en ligne, http://www.fondsricoeur.fr/uploads/medias/espace_chercheurs/identite -et-inscription –
temporelle -le-recit-de-soi-chez-ricoeur.pdf , pg.4
104
d'avoir des pieds "beaux comme les fleurs de lotus", le but étant celui d'érotiser les pieds de la
femme. Cette pratique est restée très importante pour les femmes pendant des siècles, leur
donnant la possibilité de se marier avec des hommes riches, car la petitesse du pied signifiait la
beauté et la noblesse. Cette coutume a été interdite en 1912 quand la dynastie Quing s’éteint.
Lie- Fei doit subir cette pratique, prenant l’exemple de sa mère, mais la pre mière rencontre avec
les petits pieds de sa mère est révélatrice et dénote les sentiments face à une pratique qui, pour
des raisons esthétiques, supposait une pro cédure très difficile et aussi très douloureuse.
Les valeurs impériales avaient pour objectif de créer une figure féminine érotisée, malgré
les sacrifices, pour attirer l’attention et faire le bonheur des hommes.
o « Le père de Lie – Fei, fonctionnaire à Beijing et l'un des émissaires auprès de la cour
impériale chargés de négocier avec les révolutionnaires, doit s'enfuir de la ville pou r
regagner sa famille lorsque l 'armée révolutionnaire prend le contrôle de Beijing. Ainsi,
cinquante jours après le débu t de l 'opération qui vise à rapetisser les pieds de sa fille pour
qu'elle ait, " à trente ans les pieds aussi étroits et courts qu’à cinq ans" (19), le père de Lie –
Fei la fait arrêter par prudence car il reconnait que la Chine entre dans une période
socioc ulturelle dont les valeurs s’opposent violemment à celle du régime impérial. Par
conséquent, Lie – Fei a désormais les pieds "moyens", déformés, ni rapetisses en fleurs de
lotus, ni normaux .»155
La nécessité d'avoir de s pieds comme des fleurs de lotus vient aussi d' une tradition qui vit
depuis longtemps.
o « Un soir, lorsqu'elle vint sortir la petite fille de la baignoire, maman Ai -Fu lui sécha les
pieds plus longuement que d'habitude et engagea une conversation dont Lie Fei se
souviendrait toujours: – Tout à l'heure, au lit, on va t' enserrer les pieds! annonça maman
Ai-Fu d’un air tout excité. / -Pourquoi? / – Mais pour les rendre beaux!/ -Beaux comme
155 Kenneth Meadwell , La Migrance de l 'Autre dans le recit canadien d’expression francaise: La memoire de l 'eau
de Ying Chen , dans Marie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance comparée/ Comparing Migrance –
Les Littératures du Canada et du Québec / The literatures of Canada and Québec , Ed. Peter Lang, Bern, 2008,
pg.101
105
quoi? /-As-tu vu les pieds de ta mère? / -Ils ne sont pas beaux/ -Hum! Alors, tes pieds, ils
seront beaux comme des lotus. / -Qu' est -ce que c'est, des lotus? / -Ce sont des fleurs. »156
La beauté a différentes définitions, mais la plus terrifiante est celle d'esthétisme et de
statut, qui comporte d'autres définitions de l’identité féminine. "Le spectacle" ou la pro cédure de
mettre des bandages sur les pieds reste douloureux pour les petites filles mais aussi pour les
mères qui assistent à une telle procédure.
o « Maman Ai -Fu pleurait elle aussi. C'était la première fois qu'elle assistait à un tel
spectacle. Et il s’ agissait de sa "chère petite"! Comme tout le monde, elle adorait les pieds
rapetissés. Elle avait honte de ses pieds "drôlement longs". Elle en voulait à ses parents,
trop modestes pour avoir pu lui payer un luxe de ce genre. Dans la rue, on ne saluait que
les femmes aux pieds rapetissés. Pour elles comme pour les autres, c’était un signe de
noblesse, de richesse, de beauté, de pureté, de tout ce qui pourrait apporter le bonheur à
une femme. Et à partir de ce soir – la, elle aurait pour de tels pieds non seu lement une
admiration mêlée d’une certaine envie, mais aussi un respect presque religieux, comme
celui qu'on a pour les grandes choses qui exigent des sacrifices. »157
L'identité féminine de l’héroïne se trouve entre les deux identités des femmes qu'elle
connaît le mieux : sa mère et sa grand – mère. Lie – Fei ne considère pas que "les pieds de lotus"
de sa mère soient beaux. Ce qui était considérée une norme de beauté en 1900, Lie – Fei ne peut
plus l’estimer selon les mêmes normes d’esthétisme. Et puis, n’o ublions pas, elle n’est qu’un
enfant, et ceux -ci, on le sait, n’ont pas encore les goûts « pervertis » par la civilisation.
o « Il n 'est pas sans intérêt de noter que la réaction de sa mère et de ses tantes à la vue de
ses pieds rappelle le sentiment qu'épr ouvait Lie – Fei au premier contact physique avec
l'os dur et déformé des "pieds de lotus" de sa mère, l 'idem représenté par la manq ue
156 Ying Chen, La mémoire de l’eau , Editions Babel, Québec, 1992, pg.13
157 Idem, p g. 14
106
identitaire de celle -ci et l'ipse du pied à moitié meurtri de sa fille n 'étant pas
conciliables »158
Les pieds de lotus ne sont pas seulement un détail général ext érieur, mais sont des signes
d'un univers féminin qui a souffert des mutations générales dans la société chinoise.
En 1925, à l’âge de dix – huit ans, Lie- Fei est donc mariée à Wei Po, un homme très riche
qui "étai t fasciné par les pieds de la jeune fille”159. Il y a dans ce cas l'attraction érotique
singulière de son mari pour ses pieds, et en même temps c’est le fait qui répugne dans le cas de
sa mère et de sa grand -mère.
o « Aussi Lie – Fei incarne – t- elle une alt érité esthétique féminine unique, en l’occurrence
celle de l' ipse qui n'appartient à aucune collectivité et qui est dévalorisée ou valorisée
selon l'appartenance et l'histoire sociale qui identifient le sujet qui contemple ses
pieds. »160
Les mariages sont d es affaires. Dans une telle société, l'homme est celui qui fait le choix
de sa femme, en dehors de ses désirs, c' est lui qui pose la question du mariage avec le père de la
fille et aussi celui qui décide pour les deux.
Le mariage est le pouvoir du monde et la famille la cellule de base de la société. C’est
aussi une perspective conservatoire du mariage et la place de la femme qui, à l’époque, était la
mère des enfants et aussi la femme des hommes. Les droits de la femme n’existent plus dans ce
type de soc iété. L e drame d'être femme est au plan oppose de ce que les féminités annonceront
quelques décennies plus tard.
158 Kenneth Meadwell, La Migrance de l 'Autre dans le recit canadien d' expression francaise: La memoire de l'eau
de Ying Chen , dans Marie Carrière & C atherine Khordoc (éds/eds), Migrance comparée/ Comparing Migrance –
Les Littératures du Canada et du Québec / The literatures of Canada and Québec , Ed. Peter Lang, Bern, 2008, pg.
102
159 Ying Chen, La mémoire de l’eau , Editions Babel, Québec, 1992, pg.25
160 Kenneth Meadwell, La Migrance de l 'Autre dans le recit canadien d’expression francaise: La memoire de l'eau
de Ying Chen , dans Marie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance comparée/ Comparing Migrance –
Les Littératures du Canada et du Québec / The literatures of Canada and Québec , Ed. Peter Lang, Bern, 2008, pg.
103
107
o « Après des démarches que Lie – Fei ne comprendrait jamais, le commerçant de souliers
réussit à faire la connaissance du père, puis à obtenir l ’autorisation de fournir des souliers
spéciaux à la jeune fille. Trois mois plus tard, le mariage fut conclu. Jusque – la, Wei Po
n'avait pas eu l'honneur d'être reçu par sa future belle – mère, bien qu'il eut rendu plusieurs
visites à la famille de sa fian cée. Et il ne pouvait voir cette dernière que de loin lorsqu'elle
allait se promener dans le parc avec son père. Elle, par contre, cachée derrière les rideaux,
avait vu plusieurs fois son admirateur quand il était venu voir son père. Elle croyait bien
que sa mère en faisait autant. Quelques semaines avant la cérémonie nuptiale, la mère
avait le pas plus leste, la voix plus douce. Lie Fei n'avait jamais vu sa mère aussi
rayonnante. Pourtant, quand elle lui demandait son avis sur son fiancé, sa mère redevenai t
grave et s'empressait de dire: " Je n’en sais rien, ma petite. Mais fie -toi à ton père". » 161
Le mariage est une affaire entre le père de la fille et le futur mari. Cela donne à la femme
le sentiment de n'avoir pas la possibilité de dire ou non son accor d. Elle n’a pas la choix, ce qui
est le cas de Lie – Fei, qui a vécu avec l’idée qu'elle va épouser l’un de ses cousins.
Dans le cas d'Abla Farhoud, dans Splendide solitude , l'héroïne féminine est présentée
dans un état de dépendance, le personnage aya nt un problème avec la perception de soi – même,
elle ne se sent plus femme, une fois abandonnée par son mari. C'est l’absence de l’amour qui l’a
déterminée à ne plus considérer sa vie du même regard qu’avant.
o « Je deviens non seulement étrangère à moi – même, mais à tout ce qui s’appelle vie » 162
Les personnages féminins souffrent des traumas du point de vue de l’identité. Les conflits
de leur âme mais aussi ceux avec le monde extérieur, les obligent à dissimuler leur vrai soi.
o « En somme, les conflits int erpersonnels dans ces romans sont la preuve que les êtres qui
sont mis en scène par les auteurs sont mal à l'aise dans leur être et dans leur vie sociale.
L'individu du texte ne reconnait l'autre que pour l'asservir et le réduire en objet.
L'expérience des conflits détermine la dissimulation identitaire, l'opacité de l'être qui le
161 Ying Chen, La mémoire de l’eau , Editions Babel, Québec, 1992, pg. 26
162 Abla Farhoud, Splendide solitude , Editions L ’Hexagone, Montréal, 2001, pg.195
108
constitue comme un être en souffrance dans son univers où il se sent comme un exilé.
Ces personnages qui vivent l’entre -deux se lancent dans une quête qui les conduit dans
plusieu rs espaces. » 163
L'exil et le sentiment d'étrangeté font de ces personnages féminins des doubles, la
capacité de dissimuler vient comme possibilité de se sauver d’un monde intérieur assez riche et
accablant.
163 Elodie Carine Tang, Le roma n féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l'Harmattan,
Paris, 2015, p g.125
109
II.3.2. La folie, la quête identi taire et les changements identitaires
Dans Le bonheur a la queue glissante , d'Abla Farhoud, le questionnement identitaire est
toujours au centre du récit. L’expérience limitée de Dounia, tout prés de la dérive mentale, c’est
la folie d’une mère mais auss i la folie d' une femme seule tout au long de sa vie. Son fils,
Abdallah, est lui aussi victime de longue date de l'Oiseau rapace qui mange le dedans de sa
tête164. Les manifestations de démence apparaissent dans le cas de la mère et de son enfant – la
dyade parent – enfant est bien reconnue dans la littérature de spécialité – on dirait que le
vieillissement de Dounia et la maladie mentale de son fils, ont les mêmes racines: la dépression
de soi, l'impossibilité de communiquer avec le monde du dehors, l’impuis sance, l’incapacité de
s'intégrer dans une nouvelle société. Il y a une incertitude chronologique dans ce roman qui
montre l 'incertitude des années vécues par Dounia au Canada ou n importe où, quels que soient
l’espace ou la temporalité.
o « Abdallah est à l 'hôpital depuis des mois ou peut – être des années , note Dounia, livrée
elle aussi, on l'a vu, à la même incertitude chronologique. L'ethos schizoïde se manifeste
par un discours disloqué où la non – personne cohabite d ans la même phrase avec je: Elle
est assise sur une chaise parfois, la plupart du temps dans son lit, la femme épave que je
suis devenue ». 165
Dans Le fou d’Omar , le sentiment identitaire et lié aussi au concept de la langue ou de la
religion :
o « Les indépendantistes québécois veulent s’ide ntifier à la langue québécoise ou française,
c'est selon, les juifs et les islamistes à leur religion ou à l’argent, les Américains we are
Americans, we are the best. Quand on arrive choisir, ni une langue, ni une religion, ni we
164 Abla Farhoud, Le b onheur a la queue glissante, pg.10 citée par Daniel Marcheix , Migration, folie, écriture et
formes de vies dans les romans d' Abla F arhoud , dans Marie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance
comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec / The literatures of Canada and
Québec , Ed. Peter Lang, Bern, 2008, pg.227
165 Abla Farhoud, Le b onheur a la queue gli ssante, pg.161 /p.163, citée par Daniel Marcheix , Migration, folie,
écriture et formes de vies dans les romans d' Abla Farhoud , dans Marie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds),
Migrance comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du Canada et du Québe c / The literatures of Canada
and Québec , op.cit.
110
are Americans, on s’ident ifie à quoi, à qui, avec qui? Dans le fond, je m'en fous, je ’en ai
rien à cirer. Je l 'aime cette expression – là »166
Le sentiment de perdre l'identité apparaît aussi en relation avec son corps et l'existence
dans l'espace, avec la discontinuité de la pers onnalité et l'incapacité de savoir o ù il habite étant
lié aussi à l 'amour de son père:
o « Tu n’as aimé qu'une parcelle de moi père. Comme le Québec je suis une société
distincte. Le monstre , le fou qui partait en baloune , tu ne l'as pas aimé. La larve bava nt
dans ses draps, tu ne l'as pas aimée. Mais c’est ce que je devenais, père. Le monstre se
changeait en larve. Le contraire de ce que tu aimes. Si souvent, si longtemps, le contraire.
Je suis mille morceaux épars dans mon corps chimique. Ou en manque de c himique. On
en a trop de chimique. Avec quelques courts passages d'éclaircie. En dix – neuf ans,
depuis la première catastrophe, les éclaircies se comptent sur les doigts d'une main. Deux
mains. Pas plus. Peut – être moins. Comment se construire une vie ave c dix éclaircies. A
moins de compter le reste, le chimique, le trop, le pas assez. Est -ce que je suis là, moi,
dans ce trop ou pas assez? Est – ce que ce n'est pas un autre qui prend ma place?
Quelqu'un qui prend mon corps et mon esprit. Qui me possède et m e dépossède. Qui suis –
je, moi, en dehors de mon chimique? » 167
Il y a aussi une destruction psychologique dans ce cas, c'est le fou (Radwan) qui imagine
les cellules de son corps en dehors de son corps, en se demandant où il est, à cause de son
inconfort existentiel. Sa propre destruction est le résultat de la folie. On peut parler d' un ethos de
la folie dans ce roman et dans le cas de Radwan, les critiques l'ont nommée la folie farhoudienne .
Les troubles identitaires existent dans la famille immigrante.
o « Et s'est précisément en cela que la folie farhoudienne apparait comme une figure
authentiquement paratopique, puisque, comme le rappelle Maingueneau, "toute paratopie,
166 Abla Farhoud, La fou d’Omar , VLB Editeur, Montréal, 2005, pg. 31
167 Abla Farhoud, La fou d’Omar , VLB Editeur, Montréal, 2005, pg. 58
111
minimalement, dit l'appartenance et la non – appartenance, l'impossible inclusion da ns
une " topie " (86) » 168
Au lieu de s’intégrer, les personnages d'Abla Farhoud ont l'impression qu'ils ne sont plus
à leur place, ou dans le bon espace. Le sentiment d'étrangeté, s' instaure tout le temps dans leurs
cœurs et ils ne sont pas capables de viv re une vie normale. Le dialogue imaginaire est per manent
dans les deux romans, l' identité change en dehors de ce dialogue. L'amour maternel et paternel ne
sauve pas les personnages.
o «Mais l'attente et l'amour pate rnel restent fondamentalement destructeur s: "Un vrai
melting -pot. Dans le vrai sens. Mêlé, mêlé. My father and I we were living in a blender.
Un broyeur de vie. Il a broyé ma vie, j 'ai broyé la sienne » 169
L’écriture comme salut, thème principal dans les romans d'Abla Farhoud, apparaît aussi
dans Le bonheur a la queue glissante et aussi dans Le fou d’Omar . L’écriture peut sauver aussi
les personnages de la maladie mentale ou de la folie. Le père de Radwan était un écrivain, il
«écrivait des poèmes et (…) les déclamait en public »170, mais il a préféré plutôt émigrer que
rester dans son pays. Ses aspirations ont étés transmises à son fils, Radwan, qui imagine la
reconnaissance de son père pour ses travaux littéraires, ayant le désir de se manifester comme
poète pour que son père puisse l'aimer. La reconnaissance paternelle et l'amour sont liés à
l’activité d’écriture. Le thème de l’écriture est parfaitement lié aussi au thème de la folie, comme
le fait d’écrire est le salut et la sauvegarde de la folie qui est un obstacle des personnages.
168 Daniel Marcheix , Migration, folie, écriture et formes de vies dans l es romans d’Abla Farhoud , dans Marie
Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du Canada et
du Québec / The literatures of Canada and Québec , op.cit. , pg. 229 (n.n. la folie farhoudienne – terme utili sé par
Daiel Marcheix )
169 Abla Farhoud, La fou d’Omar , VLB Editeur, Montréal, 2005, pg. 58
170 Daniel Marcheix , Migration, folie, écriture et formes de vies dans les romans d' Abla Farhoud , dans Marie
Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du Canada et
du Québec / The literatures of Canada and Québec , op.cit. , pg. 230
112
o « Mon pr emier livre aura pour titre: L 'Orphelin fou . Et tu ne seras pas là pour être fier de
moi, papa. Quel beau livre, je suis fier de toi, mon fils, je savais, je le savais, j’ai toujours
cru dans ton immense talent. »171
Une affectivité défectueuse existe dans le cas de Radwan et de son père tout comme dans
le cas de Dounia et de sa fille, Myriam. Quand Myriam commence à écrire son roman et donne à
Dounia la possibilité de communi quer l'histoire de sa vie, la mère et la fille auront presque la
même identité. L 'asile, l'hospice et la folie sont les étapes nécessaires pour restaurer le confort
dans un monde qui ne leur donne pas la possibilité d’être heureux ou de trouver la paix.
o « La folie n'est en fait que l'expression de l'aliénation au désir de l'autre, de l'impossibilité
de s’émanciper, de prendre sa place, toute sa place, aussi bien dans un lieu que dans une
histoire généalogique. Topographiquement d'abord, l'asile et l'hospice sont des lieux clos
qui ne sont que des reflets hyperbolisés et dramatisés de la réclusion narcissique
familiale, des lieux oxymoriques ou l'hospitalité est corrélée à une impossible auto –
hospitalité, c'est -à-dire à une impossible accueil de soi, de soi comme autre »172
La folie et la migration sont ensemble des thèmes liés quand mê me dans les romans
d'Abla Farhoud. Les parents d'Abdallah sont orphelins comme le père de Radwan. La filiation
dans ces cas est un sujet très individuel et qui comporte plein de problèmes.
La filiation reste un thème à interroger aussi dans la relation m ère- fille surtout dans le
cadre de l'écriture. Myriam est écrivaine et donne la parole à sa mère qui, assez habituée au
silence, commence à sentir dans sa fille une étrangère.
o «j’ai l’impression parfois d’être en présence d'une étrangère »173
171 Abla Farhoud, La fou d’Omar , VLB Editeur, Montréal, 2005, pg. 34
172 l’expression " accueil de soi, de soi comme autre " appartient à Alain Montandon, pg. 7 cité par Daniel Marcheix ,
Migration, folie, écriture et fo rmes de vies dans les romans d' Abla Farhoud , dans Marie Carrière & Catherine
Khordoc (éds/eds), Migrance comparée/ Comparing Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec / The
literatures of Canada and Québec , Ed. Peter Lang, Bern, 2008, pg. 231
173 Abla Farhoud, Le bonheur a la queue glissante , Editions L'Hexagone, Québec, 1998 , pg. 25
113
La nécessite d'avoir les mêmes mots et la même langue que sa fille, même à l’intérieur
d'un processus d’écriture, est une nécessité pour la mère qui n'a pas eu la même langue de
communication avec sa fille ou avec ses enfants:
o « Chaque mot a l'air important. Je peux parler autant que je veux, sans peur de me
tromper. Avec elle, on dirait que ma langue se délie. que ma poitrine respire mieux. Avec
les autres, j'ai toujours hâte d'arriver à la fin et eux aussi. Ils ont raison, je ne sais pas bien
parler. Avec Myriam on dirait que je suis une autre personne. A mon âge, c'est fatigant
d'être une autre personne. Je ne suis pas habituée »174
Le changement identitaire vient du fait que la mère n'a pas eu la possibilité de
communiquer à caus e du français qu'elle ne connaît pas , mais par l'intermédiaire de l'écriture
elle peut trouver le moyen de communiquer avec sa fille. Le changement identitaire va si loin
que la mère sent qu'elle est devenue une autre personne, aussi la folie que va atteindre son corps
et son cerveau est -elle devenue la folie de cette incapacité de communiquer avec le monde
entier.
o « Nous avons toutes les deux la même langue maternelle, mais que d'années elle a
passées à étudier une autre langue. Myriam a vécu presque toute sa vie ici. De tous mes
enfants, c’est elle que je sens la plus loin de moi et en même temps la plus proche. Je
n'arrive pas à m’expliquer comment on peut être si proche et si loin en même temps. Si
elle ne me rassemblait pas physiquement, je serais bien embêtée de dire qu'elle est ma
fille. Même si je l'aime et qu'elle m'aime, j'ai l'impression parfois d'être en présence d’une
étrangère: sa façon d'hésiter, de chercher ses mots quand elle parle 'arabe, d’y mettre des
mots de français et surtout sa manière de penser qui ne rassemble pas: s a façon d' hésiter,
de chercher ses mots quand elle parle l'arabe, d' y mettre des mots de français et surtout
sa manière de penser qui ne rassemble pas la mienne. »175
La mère qui se souvient sa vie se substitue totalement à sa fille qui est écrivaine mai s en
même temps, à cause de la langue qu’elle ignore, elle ne se sen t pas confortablement dans cette
174 Abla Farhoud, Le bonheur a la queue glissante , Editions L'Hexagone, Québec, 1998 , pg. 24
175 Abla Farhoud, Le bonheur a la queue glissante , Editions L'Hexagone, Québec, 1998 , pg. 25
114
relation . Figure complémentaire de la folie, Dounia ne se sent pas en communication avec ses
enfants seulement parce que ses enfants sont l'exemple d'une f amille immigrante, Dounia ne
connaît pas la langue française et ses enfants ont appris cette lange à l’école. Dounia, d’autre
part, reste dans une incapacité de communiquer et de s’adapter pour toute sa vie, ce qui lui donne
le sentiment d’étrangeté et cau se aussi de l’impossibilité de s’intégrer dans une nouvelle vie.
Le changement d'identité existe comme thème aussi dans Le fou d’Omar , parfaitement lié
à celui de l'écriture. Radwan a un projet littéraire conformément à une autobiographie qu'il
essaye d'é crire.
o « J'aimerais écrire ma vie d' abord. Un beau petit livre avec rien que de la douleur vive.
Insupportable. Personne n 'arriverait à le lire » 176
Le livre L'orphelin fou , écrit par Radwan, le personnage du roman, exprime un sentiment
lié à l’idée de n’avoir plus ni parents, ni le sentiment d'appartenance à un certain pays. Le livre
mets en évidence aussi le aussi la thème de la folie qui s'installe souvent dans la vie de ce
personnage. La folie est associée à la perte, l’étrangeté et le deuil de l’êt re, à l’impossibilité de
communiquer avec les autres. Dans le cadre familial, c’est la base de l'identité; la folie représente
à la fois l’un des motifs de la perte d'identité du personnage jusqu'à l'assimilation du soi.
o « Dans l'œuvre romanesque de Farh oud, le discours de la folie surgit donc d'une
scénographie de la perte et du deuil et révèle une forme de vie placée sous le signe de la
réclusion impuissante et de l’éclatement de soi. Cette présence – absence violement
schizoïde apparait comme le terme inéluctable de la dérive narcissique et du repli
autarcique de la famille immigrée qui impose à ses membres de relever le défi d'une
différenciation individuée très problématique, toujours déjà obérée par des origines
marquées du sceau de la défaillance p arentale et dont témoigne une parole brutalement
hétérogène. Etroitement corrélée à la mort du père et de la mère, la figure de la folie met
en jeu une paratopie d’identité familiale , par laquelle les fils voient leur être se dissoudre
dans la rivalité mim étique. La terrible lucidité à laquelle est paradoxalement associée la
176 Abla Farhoud, La fou d’Omar , VLB Editeur, Montréal, 2005, pg. 171
115
folie met le lecteur au cœur d’une brulante vérité, celle d'une errance ontologique et
existentielle sur laquelle bute toute tentative biographique ou autobiographique »177
Dans le Journ al d'Anaïs Nin, la folie apparaît aussi sous plusieurs formes, surtout comme
schizophrénie et indifférence. Ce n 'est pas le personnage pr incipal qui en souffre, mais c' est un
de ses amoureux qui est plutôt fou d'amour pour elle.
o « La schizophrénie ressemb le à l'indifférence. Il est facile de l'interpréter ainsi. Quand
j'ai quitté Henry à Paris, il avait un comportement schizophrène, que j'ai pris pour
l'indifférence, de l'apathie, et j’avais envie de lui faire du mal pour l’ébranler. Le danger
de la schiz ophrénie, c'est de rechercher un nouveau choc pour se réveiller, d’aller au –
devant de la souffrance »178
La folie apparaît sous les aspects de la schizophrénie et de l'apathie d'un amoureux. Dans
ces relations sentimentales et sexuelles, l'amour reçoit con notations hyperboliques et les
aventures sexuelles aussi grandiront jusqu'à l'apogée des sensations et d'exploration .
177 l’expression "paratopie d’identité familiale " appartient à Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire.
Paratopie et scène d'énonciation, 2004, pg.87 citée par Daniel Marcheix , Migration, folie, écriture et formes de
vies dans les romans d' Abla Farhoud , dans Marie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance comparée/
Comparing Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec / The literatures of Canada and Québec , Ed. Peter
Lang, Bern, 2008, pg. 235
178 Anaïs Nin, Journal de l’amour ( Journal inédit et non expurge des années 1932 – 1939 ), Editions La Pochothèque,
Le livre de Poche, Paris, 200 3, pg.701
116
II.4 La typologie du personnage féminin en fonction du modèle culturel
primaire et intériorisé
La littérature postmoderne se carac térise par la sensibilité aux différences de société, est
définie aussi par son hétérogénéité179 . Il y a aussi une sorte de discontinuité en ce qui concerne
les histoires de ces femmes, mais on a aussi une certaine complexité de s personnages qui se
constru it des angoisses, des frustrations, des individualités et des biographies de ces écrivaines,
des histoires de leur vie. De toutes ces expériences de vie, les écrivaines composent des romans
et des personnages. Mais chaque écrivaine a sa propre expérience, elles sont tout à fait
différentes.
Une écrivaine : « accomplit une réitéra tion et même en dédoublement de l’auteur de
l'écriture et d'une idée de la littérature. (…) ce jeu de miroirs met vivement en lumière le discours
du récit »180
Nous avons choisi d ’analyser le cas de trois écrivaines du Canada, Abla Farhoud et Ying
Chen, immigrantes toutes les deux , Nelly Arcan, qui est une écrivaine québécoise et Anaïs Nin,
écrivaine américaine d'origine française. C hacune d'elles ayant ses propres particularités
d’écriture, en nous arrêtant à quelques éléments de multiculturalité qui caractérisent leurs
œuvres.
Jeune, Abla Farhoud a été confrontée à une vie terriblement modeste, elle doit travailler
dès l'âge de 17 ans pour améliorer sa condition. Elle devient co médienne et est forcée de
travailler comme telle à la télévision et à la Radio -Canada, lui étant difficile de travailler dans un
monde des hommes. Elle a souffert beaucoup à cause de son origine libanaise, elle a souffert à
cause du regard des autres qui l a caractérisait comme une femme qui n’était pas vraiment
179 Paterson, Marie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance comparée/ Comparing Migrance – Les
Littératures du Canada et du Québec / The literatures of Canada and Québec , Ed. Peter Lang, Bern, 2008, pg.25
180 Belleau, cité dans Paterson Mar ie Carrière & Catherine Khordoc (éds/eds), Migrance comparée/ Comparing
Migrance – Les Littératures du Canada et du Québec / The literatures of Canada and Québec , Ed. Peter Lang, Bern,
2008, pg.25
117
Québécoise. Le retour au Liban en 1965 signifie exactement ce malaise identitaire étant dû à
l'impossibilité de s’intégrer dans un monde canadien . La permanente recherche de son identité la
trouve, e n 1969, en France, à Paris, où elle fait ses études théâtrale s. Le choix de s'établir dans
l'un des deux pays, le Liban ou le Canada, n'est pas facile.
o « La question que l'on pourrait se poser est celle de savoir pourquoi une Canadienne a
choisi de quitter son pays paisible à cette époque précise, et de se rendre dans un pays
encore sous le choc d’une révolution généralisée. Comment Abla Farhoud qui faisait des
va-et-vient entre ses deux pays, le Canada et le Liban, à la recherche d’une sérénité, s'est –
elle résolue à entamer des études dans un pays secoué par de graves crises dans ses
universités et tout son corps social? Ce choix est donc historique dans la trajectoire
d'Abla Farhoud pour des raisons évidentes. » 181
Le choix historique se réfère à la cris e de 1968, en mai, qui est née en France d'une
révolte des jeunes de l'université qui protestaient contre les lois étroites de l'enseignement
supérieur, et contre la société de consommation qui s'était installée an France à ce moment -là,
comme contre la gu erre de Vietnam.
Revenant au Québec en 1973, Abla Farhoud est considérée comme une écrivaine
nomade, à cause de ses voyages dans ces trois pays où elle a essayé de vivre: Le Liban, la
Franc e, le Canada. Le sentiment de l'exil s' installe souvent c hez elle et va toujours avec
l'immigration; elle ne désire pas vieillir en exil, mais elle doit le supporter.
o «C'est en vivant dans le village de mon mari que j'ai commencé à faire des comparaisons,
à voir les différences, à vivre le manque et la nostalgie, à avoi r envie d'être ailleurs sans
pouvoir y aller, à me sentir étrangère. Pour moi, c' était un autre pays (…). Pour eux, j'étais
une étrangère (…). Mon accent n' était pas le même que le le ur, ils n'aimaient pas ce que
j'aimais, je n'aimais pas ce qu'ils aim aient, les fruits et les légumes n'avaient pas le même
181 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l'Harmattan,
Paris, 2015, p g.60
118
goût, le prêtre du village n'était plus mon père, le paysage n 'était pas celui je j 'avais
connu »182
Dans les romans d'Abla Farhoud, l’être humain cherche son identit é, même si les
personnages adopter ont la manière d' être des Canadiens.
o « Dans le premier cas, l'immigration est première et la souffrance est consécutive et dans
le second cas, la souffrance est première (guerre, famine, génocide…) et la migration est
recherche de solution. »183
Dans le cas d'Abla Farhoud, la double marginalisation dérive du fait qu'elle est femme –
écrivain e et, de plus, qu'elle est écrivaine migrante. La position de ces écrivaines dans le champ
littéraire québécois francophone reste pourtant une position mineure quand même. Abla Farhoud
occupe une place importante dans le champ littéraire québécois seulement quand il s'agit de la
littérature migrante.
o «Abla Farhoud a très tôt ressenti le besoin de se faire une place dans la société et plus
tard dans le champ littéraire. Profitant de la création de l'Université de Vincennes et des
réformes survenues dans l 'université française après mai 68, elle a voulu passer par
l'enseignement supérieur pour acquérir une formation de qualité au théâtre. L'écriture
pour elle constitue u ne thérapie. Elle s' est mise à écrire pour guérir son malaise
identitaire. Dans une entrevue réalisée, Abla Farhoud avoue qu'elle écrit pour saisir la vie.
Elle a émergé dans le champ littéraire québécois par le genre théâtral. Dans la plupart de
ses pièce s, la nostalgie, l'horreur des guerres sont autant de sujets qui l'inscrivent dans la
modernité. C'est un dramaturge de la littérature québécoise célébrée, qui est aussi
182 Abla Farhoud, Le bonheur a la queue glissante , Editions L'Hexagone, Québec, 1998 , pg. 45
183 Robert Michel Palem , Cliniques de l’exil et autres exils intérieurs. D'Ovide à Dostoïevs ki et au temps présent des
déportations totalitaires et des migrations post – coloniales , Médiathèque de Perpignant, 7 octobre 2006, apud Elodie
Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l'Harmattan, Paris,
2015, p g.62
119
devenue une romancière confirmée. Depuis la fin des années 80, Abla Farhoud vit de sa
plume. »184
Les similarités entre les personnages et le destin primordial de l’écrivaine apparaissent
aussi dans le roman Le fou d’Omar . Le personnage cherche sa place dans l 'univers mais ne
trouve pas la paix:
o « J’ai été souvent arraché à ce que je croyai s être ma vie. Ma vie. Aucun sens. Perdue. Je
suis née sur les lieux de naissance des premières civilisations connues. Là où le soleil se
lève. Le soleil est fatigué de se lever. J’étais un enfant quand je suis partie. Et je mourrai
là où le soleil se couc he. Un homme parmi tant d’autres. Inconnu. »185
La similitude est dans ces métaphores: " Là où le soleil se lève" signifie le fait qu'Abla
Farhoud est née en Orient et la peur de mourir dans l’exil est déjà installée " Là où le soleil se
couche" (dans l 'Oc cident).
Dans les quatre cas, les écrivaines ont toutes comme thème principal l’analyse du
malaise identitaire. Qu’il soit lié au phénomène migratoire ou non, les faits biographiques de ces
écrivaines sont mélangés toujours avec les faits de la recherch e de l’identité, Le sentiment
d'étrangeté apparait aussi dans les romans d'Anaïs Nin, qui n'a pas exploité la migration ( chez
elle nous dirons qu’il s’agit plutôt d’une quête identitaire à cause de son âme féminine très
complexe), mais le sentiment d'étra ngeté est là, quelle que soit sa vie et où qu’elle se trouve.
Si les écritures des femmes nous offrent des renseignements sur la psychologie de la
femme ou la psychologie de l'immigrant, c'est parce que leurs écritures commencent dans un
moment de nostal gie personnelle, lorsque la recherche d’une identité se forme à l’intérieur du
récit. Les écrivaines créent pour comprendre la vie. C est l’exploration d’un univers secret dans
lequel elles doivent vivre avec les abîmes de leur passé en essayant de trouver de nouvelles
possibilités de s'adapter et de s’intégrer dans les nouveaux espaces. L 'écriture permet de
comprendre la vie, c'est comme dans le roman Le bonheur a la queue glissante où la mère essaye
184 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l'Harmattan,
Paris, 2015, p g.64
185 Abla Farhoud, La fou d’Omar , VLB Editeur, Montréal, 2005, pg. 64
120
de donner à sa fille, Myriam, des exemples de sa vie po ur lui faire comprendre mieux la réalité,
même si elle a le sentiment de ne pas comprendre ses enfants, à cause de l 'impossibilité de
communiquer.
o « Est-ce que tu écris ce livre pour camoufler les choses, les ensevelir sous le tapis comme
je l’ai fait to ute ma vie ou montrer le vrai visage de ta mère ? Je t'en prie, ne me dis pas
que je t'ai aidée à comprendre la vie comme une mère doit le faire »186
Ecrire, c’est comprendre la vie. La littérature comme salut est un thème important dans
presque tous les rom ans de ces femmes.
186 Abla Farhoud, Le bonheur a la queue glissan te, Editions L'Hexagone, Québec, 1998 , pg. 126
121
Chapitre III. Réalités féminines intrinsèques / extrinsèques dans la littérature
francophone
III.1. Typologies de la femme
122
Motto:
"Les études, c’est comme la chirurgie plastique. Quand ça donne de s résultats, on en veut
toujours plus"
Marguerite Paulin et Marie Desjardins, Nelly Arcan – De l’autre côté du miroir
123
III.2. La femme intellectuelle – l‘ écrivaine dans la littérature féminine
La femme émancipée
La subjectivité est le trait principal de l’écriture féminine. Plusieurs critiques se sont
demandé si les femmes auront la possibilité d’écrire en manque de sujet? Le sujet de l 'écriture
comme salut, comme méthode thérapeutique apparaî t sans doute dans le roman Le bonheur a la
queue glissante d'Abla Farhoud, dans l 'image de Myriam qui donne à sa mère la possibilité de
parler de sa vie et de se faire consciente de cette immense solitude ou elle vit; dans Folle de
Nelly Arcan, comme lettre écrite à un amoureux qui brandonne la f emme passionnée sur le point
d'avoir un enfant avec l'homme qu'elle aime , chez Ying Chen , dans Les lettre chinoises , comme
forme de lettre aussi entre Sassa et Yuan, méthode de présentation le nouvel territoire de Canada
après l'émigration, et définitiv ement comme forme de confessio / journal intime dans le
Journal …( Feu, Inceste ) chez Anaïs Nin .
A partir du mouvement de féminisme littéraire, la subjectivité était un trait caractéristique
des écrits féminins, y compris les auteurs ont été intéressés.
o « C'est toujours la question de l'agentivité (tirée du terme anglais agency) du sujet en
procès (au dire de Kristeva) que pose l 'écriture féministe . Une théorie de l 'action pour
emprunter à Ricœur l'agencivite préconise "l'initiative (qui) est une intervent ion de l'agent
de l'action dans le cours du monde, intervention qui cause effectivement des changements
dans le monde" ( Soi- même , 133) » 187
Barbara Havercroft propose une définition de l'agentivit é :
o « une interaction complexe entre le sujet féminin et sa société, car ses actions sont
susceptibles d'apporter des transformations sociales sur le plan des normes, des limites,
des possibilités ou des contraintes » 188
187 Marie Carrière, Médée protéiforme , Editions Les Presses de l’Université d' Ottawa, Canada, 2012, p g.112
188 Barbara Havercroft, Auto/biographie et agentivité au féminin dans Je ne suis pas ortie dans ma nuit d' Annie
Ernaux, La francophonie sans frontières. Une nouvelle cartographie de l’imaginaire au féminin , Lucie Lequin et
Catherine Mavrikakis (dir.), Paris, L 'Harmattan, 2001, p.517 -535, apud Marie Carrière, Médée protéiforme ,
Editions Les Presses de l 'Uni versité d' Ottawa, Canada, 2012, p g.112
124
Derrida pense que la femme est l'empreinte de l’absence, la non vérité et la vérité de
l'homm e mais Kristeva pense que la femme ce n’est pas ça. 189
Dans Troubles dans le genre , Judith Butler affirme :
o « Les féministes peuvent -elles faire de la politique sans sujet pour la catégorie femme ?
Alors que la philosophie insiste sur le principe de viabili té du sujet culturellement
constitué, elle avance que cette construction sociale ne lui enlève pas la capacité d'agir,
mais au contraire, la lui lègue » 190
En ce qui concerne l’écriture comme salut, c'est toujours Anaïs Nin qui dévoile son secret
et sa vé rité en ce qui concerne l’écriture, parlant de son journal intime:
o « Ce journal est la preuve d’un besoin énorme, total, de vérité, puisque je prends le risque
en l’écrivant, de détruire tout l’édifice de mes illusions, tous les cadeaux que j’ai pu
faire, tout ce que j’ai créé, la vie de Hugo, la vie de Henry ; tous ceux à qui j’ai épargné
la vérité, je les anéantis ici même ! (…) La seule personne à laquelle je ne mente pas est
mon journal. Et même à lui, par tendresse, il m’arrive quelquefois de mentir par
omission. Il reste encore tant d’omissions »191
L'engagement de l 'écriture existe bien sur le territoire canadien, après quelque s années où
les écrivaines n'ont pas eu de la voix (1960, par exemple). Ecrire au féminin signifie dévoiler une
autre subjec tivité féminine, dans un autre contexte féminin d'accueil.
o « Il y aurait tenir compte d'une histoire littéraire au féminin multiple et retentissante, d'y
percevoir les dernières lueurs du féminisme radical des années 1970 ou de deuxième
vague et ses avata rs dans le courant des décennies suivantes. Histoire d' une textualité
féminine contemporaine traversée par des épistémologies féministes désormais plus
discrètes, prises pour acquis, et des postures effectivement plus intimes, souvent ludiques,
ou encore a ux confins des esthétiques migrantes et des pensées transculturelles. Serait -il
alors plus productif de parler aujourd'hui de metaféminisme en littérature québécoise et
189 Jacques Derrida, Eperons. Les styles de Nietzsche , Venezia, Editions Corbo e Fiori, 1976 , apud Marie Carrière,
Médée protéiforme , Editions Les Presses de l’Université d' Ottawa, Canada, 2012, p g.113
190 Judith Butler , Troubles dans le genre. Pour un féminisme de la subversion , Cynthia Kraus (trad.) , Pars, Editions
La Découverte , 2005, apud Marie Carrière, Médée protéiforme , Editions Les Presses de l’Université d' Ottawa,
Canada, 2012, p.113
191 Anaïs Nin, Journal … en ligne , http://www.buzz -litteraire.com/20070827954 -anais -nin-journal -inceste/
125
franco -canadienne, c’est -à-dire d'un horizon de tangences et de tendances infléchies pa r
les orientations et questionnements d'une vague précédente? »192
Le sujet des femmes écrivains dans la littérature n'est pas un thème ancien parce qu’il y a
belle lurette que la situation de la femme en tant qu’écrivaine n'était pas très facile.
o « Commenço ns par une évidence: il y a toujours eu des femmes auteures. Faisons – la
suivre d'une seconde: leur situation sur la scène littéraire n'a jamais été, jusqu'à
récemment (et encore il faudrait sans doute nuancer cette affirmation) la même que celle
des homme s. Ces affirmations, pour évidentes qu'elles puissent paraitre, ont fait l'objet
d'un bon nombre d'études savantes depuis l'avènement du féminisme. En effet, en dépit
de ce qui nous semble indiscutable, il est parfois bien difficile de savoir combien de
femmes ont écrit, voire combien de femmes écrivent. »193
Le statut de la femme comme écrivaine est particulièrement difficile au Québec, par
exemple, comme l’affirme Isabelle Bois clair; entre 1900 – 1959, les femmes sont absentes de la
scène littéraire comme de la scène politique à cause des facteurs d'ordre sociologiques aussi. Il y
a en même temps un déficit d'éducation en ce qui les concerne dû à la difficulté des femmes
d'avoir accès à l’éducation. Elle mentionne aussi le facteur « héritage familial » (mêm e si dans
les familles le st atut de la femme était lié à l' économie domestique et aux travaux dans la
maison).
o « Naître dans une famille lettrée a longtemps été, au Québec, un facteur déterminant dans
la venue à l'écriture. Les femmes qui proviennent de m ilieux aisés, voire lettrés, sont
souvent les seules à pouvoir se permettre d'écrire. (…) Enfin, Isabelle Boisclair signale
que le statut conjugal ou maternel des femmes est tout aussi déterminant. Sauf des rares
exceptions, les femmes qui écrivent sont soit célibataires soit sans enfants. Quand elles
192 Marie Carrière, Du metaféminisme et des histoires au féminin , dans Regenerations Canadian Women's Writing
Régénérations/ Écriture des femmes au Canada , Marie Carrière et Patric ia Demers / Editors/ Directrices, Edmonton,
Alberta, The University of Alberta Press, 2014, p g.89
193 Lucie Hotte, Etre écrivaine en cotexte minoritaire franco canadien (1970 – 1985), dans Regenerations Canadian
Women's Writing Régénérations/ Écriture des fe mmes au Canada , Marie Carrière et Patricia Demers / Editors/
Directrices, Edmonton, Alberta, The University of Alberta Press, 2014, p g.141
126
sont mariées et mères, elles se mettent le plus souvent à l 'écritu re une fois leur famille
élevée »194
Le journal, comme forme d'écriture féminine, est une activité de confession usé par les
femmes mariées i l y a quelques décennies. Le journal intime donne la possibilité de noter les
détails d'une vie personnelle et pleine d’événements familiaux, des événements quotidiens, d'une
existence assez limitée.
Dans le chapitre Journaux de reines de foyer , de l'œu vre De Marie de l 'Incarnation à
Nelly Arcan, écrit par Patricia Smart, l'auteur reconnaît les difficultés des femmes de réconcilier
le mariage et l'écriture.
o «Vers le milieu du XIXème siècle, certaines femmes commencent à assumer le rôle
d'historiennes à petite échelle, au moyen de journaux chroniques où elles notent les
naissances, les maladies, les anniversaires et les décès des membres de leur famille, de
même que les activités sociales et religieuses de leur communauté. Si les auteurs prennent
vie dan s ces textes, ce n 'est pas en ouvrant une fenêtre sur les secrets de leur âme, mais
plutôt en évoquant avec précision, et parfois avec éloquence, les détails de leur existence
quotidienne »195
Le journal d'Anaïs Nin relève une typologie de confession très intime, Anaïs Nin fait
partie aussi des écrivaines d’autobiographie parce qu'elle note avec plaisir et honnêteté toutes les
histoires de sa vie. Elle note avec une certaine précision les événements particuliers et les
expériences intimes , les histoires d' amour ou plutôt sexuelles qu'elle explore en même temps
comme auteur et personnage.
o « Ce sera aussi l'occasion d'aborder quelques définitions de l'autobiographie, ainsi que la
distinction entre les termes souvent confondus d'autobiographie et de mémoires , aussi
194 Lucie Hotte, Etre écrivaine en cotexte minoritaire franco canadien (1970 – 1985), dans Regenerations Canadian
Women' s Writing Régénérations/ Écriture des femmes au Canada , Marie Carrière et Patricia Demers / Editors/
Directrices, Edmonton, Alberta, The University of Alberta Press, 2014, p g.142
195 Patricia Smart, Journaux de reines de foyer , dans De Marie de l 'Incarnati on à Nelly Arcan , Editions Boréal,
Montréal, Québec, 2014, p g.241
127
bien que de résumer brièvement quelques -uns des traits, selon plusieurs théoriciennes,
caractérisant les autobiographies de femmes »196
Les femmes commencent à écrire de l a littérature autobiographique après les années '70,
après la libération due à la Révolution tranquille.
Des détails autobiographiques apparaissent aussi dans le cas de Nelly Arcan, dans Folle
et Putain , puis aussi dans Nelly Arcan – De l'autre côté du miroir , où on identifie la chance réelle
de voir, prévoir et connaître des événe ments de sa vie, qui vont être mélangés après avec le fil
narratif de l’histoire personnelle du récit.
o «En raison de la qualité de leur écriture, toutes les autobiographies examinées ici
dépassent la simple reconstitution d'une réalité quelconque et impl iquent une
construction de soi liée à la capacité de se distancer de l'amas des souvenirs que constitue
une vie et d'y imposer un certain ordre. Pour ce faire, l'autobiographe recrée son moi des
années passées sous la forme d'un personnage qu'elle peut obs erver , interroger ou juger
selon sa perspective présente, entrant dans un dialogue avec soi rendu possible par le
processus de l 'écriture »197
Le vrai est le concept à découvrir quand on parle d'écriture féminine. Les concepts de
vraisemblance et de vérité sont surtout nécessaires quand on parle des écritures féminines, que ce
soit de l'écriture de romans ou de l'écriture autobiographique ou celle des journaux comme genre
littéraires. Quelle est la différence entre autobiographie et roman? La principale dif férence réside
dans la personnalité de l'auteur, et dans l’expression de son intention.
o « En formulant son célèbre concept de pacte autobiographique le critique Philippe
Lejeune met en mots une évidence que tout lecteur d'autobiographies tient pour acqu ise:
le fait que ce genre implique un pacte entre l'auteur et son lecteur garantissant
l'authenticité (c 'est à – dire la vérité référentielle ) du récit. Souvent, ce pacte est rendu
explicite par la présence de signes paratextuels (une préface, un sous -titre, une dédicace
ou une prière d’insérer ) déclarant l'intention autobiographique de l 'auteur »198
196 Patricia Smart, Ecrire pour se mettre au monde: l’âge de l’autobiographie (1965 – 2012) , dans De Marie de
l'Incarnation à Nelly Arcan , Editions Boréal, Montréal, Québec, 2014, p g.279
197 ibidem, p g.281
198 Patricia Smart, Piégée par l’image: les autofictions de Nelly Arcan , dans De Marie de l'Incarnation à Nelly
Arcan , Editions Boréal , Montréal, Québec, 2014, pg.292
128
En ce qui concerne les œuvres de Nelly Arcan, des réflexions sur son journal et sur
l'écriture en général, apparaissent dans l'œuvre de Marguerite Paulin et Marie Desjardins, Nelly
Arcan – De l'autre côté du miroir , est une sorte de connexion entre le journal et la manière intime
de la confession ou de la solitude:
o « Libérer la créativité. La parole est créatrice, libératrice. (…) Le journal intime est
également une façon de tromper la solitude qui lui pèse de plus en plus. Jetés pêle – mêle,
sans orientation précise, les mots disent son mal de vivre. Ils les révèlent tout simplement
à elle – même. Le journal est un moyen de décoder le langage, de lire entre l es lignes de
soi- même. Une analyse sans psy, qui a l'avantage de rien coûter »199
L'autobiographie, impose, dans le cas de Nelly Arcan, des éléments essentiels de la vie de
Nelly (Isabelle Fortier) avec des traits sur des aspects de vie essentiels. Isabel le Fortier est
trouvée pendue dans son appartement du Plateau – Mont – Royal, le 24 septembre 2009, quelques
semaines avant de la parution de son roman Paradis clef à main . Les personnages de Putain et de
Folle (personnage féminins en essence prévoit d'une c ertaine manière la fin de l 'écrivaine). Les
romans et aussi Burq a de chair , publié posthume, qui compris des courts textes de 2011, sont des
bons exemples de genre de l'autofiction qui se mélange avec la fiction et le récit.
o « Piégée par l’image de la fé minité véhiculée par les medias et la publicité, Arcan ne peut
qu'exposer, avec une lucidité animée par la rage, l'effet dévastateur de ces images dans la
vie des femmes ainsi que sa propre incapacité à s' en dégager. Et quoi de mieux, pour
faire le tour d e cet espace régi par le spectacle, que l'autofiction, genre qui joue sur
l'impossibilité inhérente à tout projet autobiographique de distinguer l’image et le réel, le
mensonge et la vérité? »200
L’autofiction ce n 'est pas tout à fait l'autobiographie. Les deux termes ont des définitions
qui font la différence entre les deux concepts. Le terme autofiction qui a été inventé en 1977 par
Serge Doubrovsky, est :
o « une catégorie d'œuvres proches du roman autobiographique, mais qui affichent
l'indécidabilité de l eur statut générique: ni romans, ni autobiographies, elles sont un
199 Marguerite Paulin et Marie Desjardins, Nelly Arcan De l’autre côté du miroir , Les Editeurs Réunis, Québec,
2011 , pg.136
200 Patricia Smart, Piégée par l’image: les autofictions de Nelly Arcan , dans De Marie de l'Incarnation à Nelly
Arcan , Editions Boréal, Montréal, Québec, 2014, pg.370
129
mélange des deux, jouissant du dilemme qu'elles jettent à la face du lecteur qui y
chercherait les signes du pacte garantissant la vérité et la référentialité du texte .» 201
Le théoricien qu i a dénommé pour la première fois le pacte autobiographique , Philippe
Lejeune, a donné aussi la définition de ce type d’autobiographie: la liberté de l'auteur de mettre
aussi son identité dans le récit même si les personnages à l'intérieur des livres, à l' intérieur du
récit, ont le même nom que les écrivains.
Entre les romans autobiographiques, autobiographie et autofiction il y a des différences
notables mais la perception de l'observateur fait la différence aussi entre tous ces concepts.
Certains criti ques (Vincent Colonna, Autofiction et autres mythomanies littéraires , Philippe
Gasparini, Est-il je? Roman autobiographique et autofiction )202 considèrent que l'autofiction
signifie toute ouvre fictive qui contient des détails de l'autobiographie. D' un autre côté, Jacques
Lecarme propose une autre définition:
o « le terme d'autofiction désigne une fonction romanesque qui serait autobiographie.
Fiction, en ce qu'elle est génériquement sous – titrée comme roman, et de ce fait autorise
d'éventuels énoncés fictifs. Autobiographie, en ce que les trois instances de l'auteur, du
narrateur et du protagoniste sont réunis sous le nom propre, celui de l'auteur ou sn
pseudonyme usuel (…). La désignation nominale peut être intégrale, partielle ou codée,
mais elle ne se lim ite pas à une initiale ni se réduit à l 'anonymat » 203
D'après cette définition, Folle de Nelly Arcan est le seul texte d'autofiction (même si le
roman est considéré comme un récit). La narratrice et l’héroïne du récit sont les mêmes que
l'auteure (qui rel ève dans le texte que le vrai nom de Nelly Arcan – pseudonyme, est Isabelle
Fortier).
o « Je portais mon vrai nom pour les intimes et Nelly pour les autres » 204
La narratrice parle du succès de son premier livre, Putain , un détail lié à l'autobiographie.
La narratrice se souvient de ce pacte avec le lecteur, et elle fait appel à la mémoire du lecteur au
201 Jacques Lecarme, L'autobiographie , cité par Patricia Smart, Piégée par l’image: les autofictions de Nelly Arcan ,
dans De Marie de l'Incarnation à Nelly Arcan , Editions Boréal, Montréal, Québec, 2014, pg.370
202 ibidem, pg. 371
203 ibidem, p g.372
204 Nelly Arcan, Folle, Editio ns du Seuil, Paris, 2004, pg . 14
130
moment où elle parle avec son amant, que Nelly Arcan existe en même temps que l’héroïne du
récit:
o « Toi aussi tu me trouvais belle, tu étais content, tu ava is Nelly à ta botte » 205
Lecarme considère que c'est suffisant que le nom de l’auteur appara isse dans le récit pour
considérer le livre un livre d'autofiction. Mais d'autres critiques considèrent que les éléments
paratextuels sont tout aussi importants: le prologue, une affirmation de l’auteur qui explique que
c'est tout d'abord un contenu autobiographique, ou la postface d’un roman, peuvent montrer alors
des éléments autofictionnels.
Dans Putain , la narratrice/p rotagoniste fait ses études à l 'Université d e Montréal. C'est un
élément d'autobiograph ie inséré dans le roman, mais l 'image construite par l'écrivaine était aussi
très difficile à gérer, car elle se sentait prisonnière de cette poupée, de cette putain qu'elle -même
avait créée.
o « Dans une entrevue accordée à Pascale Navarro, ell e s'explique à ce sujet, insistant sur le
fait que Putain n’est pas une autobiographie, mais plutôt une fiction, insp irée par les faits
de sa vie: " Je ne peux pas l'empêcher cette insistance sur l'aspect autobiographique). M ais
je ne veux surtout pas qu e l'on s'intéresse à l 'image de la prostituée comme objet de
curiosité (…). Je veux que m'on écoute, qu'on me voie, comme écrivaine » 206
L'explication de Nelly Arcan à Pascal Navarro montre le fait qu'elle a écrit le roman da ns
la haine mais elle s'est par la suite détachée de son écriture. La honte est une nouvelle base de
discussion sur l'expérience de Nelly Arcan, invitée dans l'émission Tout le monde en parle de
2007. Plaire à tout risque c'est le message que Nelly Arcan n e cesse d’envoyer à la jeune
génération:
o «C'est mon histoire que je raconte, celle d'une fille qui a besoin de plaire à tout prix. Et
l'aliénation de la beauté, c'est une histoire de femmes. Quand j’entre dans un dépanneur
et que je vois tous ces magazine s pleins d'adolescentes poseuses, j'étouffe: je suis à la
205 Nelly Arcan, Folle, Editions du Seuil, Paris, 2004, pg. 198
206 Pascal Navarro, Journal intime , Voir, 6 septembre 2001, p.14 apud Patricia Smart, Piégée par l 'image: les
autofictions de Nelly Arcan , dans De Marie de l'Incarnation à Nelly Arcan , Edi tions Boréal, Montréal, Québec,
2014, pg.373
131
fois fascinée par cette féminité, et prise de panique. Il faut que je sois la plus belle,
absolument. Si ce n’est pas moi, c'est elles: et alors moi, qui suis – je? » 207
Burqa de chair révèle une réa lité sombre, Nelly Arcan n'est plus la vedette du jour, même
si elle est une jeune écrivaine, elle parle aussi de la honte qu'elle a vécue déjà, des sentiments
dérisoires et des solitudes qui la menacent de nouveau.
o « la honte qui grandit avec l'âge […] la honte qui s'élargit à mesure que mes amis se
tiennent loin de moi, que mes pères et mères s'effacent de ma vie » 208
Un autre moment qui a ses racines dans l'autobiographie apparaît dans la nouvelle La
honte , où elle parle de l'événement humiliant qu' elle a vécu lors de l'émission de télévision. La
honte et le sentiment d'humiliation existent presque partout dans ses œuvres, et viennent du
sentiment d'être considérée comme femme – objet du désir, auquel s’ajoute l'humiliation qui vient
de son enfance catholique.
o « Et pour Nelly, le gâchis de son apparition à l'émission de télévision la plus populair e de
Québec, devant une audience de deux millions de spectateurs (p.95), représente le point
culminant de cette expérience primordiale de la honte. Devant la série de questions visant
à la ramener à sa réalité de pute, l'écrivaine est désemparée, car elle ne savait qu'écrire.
En dehors de ses livres, elle ne valait rien. Elle n'était sûre de rien. La signification ne
prenait sa pleine valeur que sur le papie r (p.104) » 209
III.3. La femme – Mirage. La séductrice
La femme fatale – L ‘Enigme absolue
207 Pascal Navarro, Journal intime , Voir, 6 septembre 2001, p.14 apud Patricia Smart, Piégée par l 'image: les
autofictions de Nelly Arcan , dans De Marie de l'Incarnation à Nelly Arcan , Editions Boréal, Montréal, Québec,
2014, pg.374
208 Nelly Arcan, Burqa de chair , Editions de Seuil, Paris, 2011, pg.37
209 Patricia Smart, Piégée par l 'image: les autofictions de Nelly Arcan , dans De Marie de l'Incarnation à Nelly
Arcan , Editions Boréal , Montréal, Québec, 2014, pg.394
132
Motto:
« J’accepte la grande aventure d’être moi »
Simone de Beauvoir
« Je me peins moi -même parce que je suis si souvent seule et que je suis le sujet que je connai s le
mieux. »
Frida Kahlo
III.4 La femme seule solitaire. La femme aliénée. La femme suicidaire
La solitude est une des caractéristiques de toutes ces femmes écrivaines et aussi de tous
ces personnages féminins de leurs romans . A cause de la solitude, les femmes de ces romans
133
vivent dans des situations limite, elles se sentent seules et sont seules dans leurs relations de
mariage, dans leurs familles, dans leurs vies. Il y a aussi des personnages qui connaissent une
double marg inalisation, c'est la marginalisation dans la vie intérieure et celle dans la société. La
marginalité appara ît quand la personne ne v it pas selon les conventions d' une société et, soit elle
est marginalisée par la société, soit elle se sent marginalisée pa rce qu'elle est différente.
o « Mais si l'on considère que l 'opposé de la marginalité est le conformisme, il va de soi
que la vie atypique du marginal peut revêtir plusieurs dimensions. Le tragique de la
marginalité pose le problème du sens de la vie. Le ma rginal volontaire pense que la vie
n'a pas de sens. C'est un homme perdu qui dans certains cas exprime le malaise qu'il vit
en se mettant en marge du groupe. La marginalité peut aboutir au silence, à la solitude, à
la folie et au suicide. L'homme peut se s entir étranger au monde. Le malaise identitaire
est donc l'une des causes de la marginalité. L'individu marginal ne s'adapte pas à son
milieu de vie. Mais la marginalité peut également être une contrainte quand les autres
vous considèrent comme un étranger dans leur milieu, quand on vous retire votre identité
ou encore quand ceux qui vous excluent sont eux – mêmes victimes d'une forme de folie.
On distingue donc deux formes de marginalité: la marginalité volontaire et la marginalité
involontaire » 210
Pour ce qui est de nos personnages, on a la marginalité volontaire dans le cas des femmes
des romans de Nelly Arcan et Anaïs Ni n, et involontaire dans le cas des femmes d'Abla Farhoud
et Ying Chen. Des limites du point de vue social appara issent dans ces cas, là où les femmes
doivent s'intégrer dans une autre société, et les autres, ou plutôt la société, leur posent des
limites. Mais pas dans tous les cas. Par exemple, dans la roman Splendide solitude d'Abla
Farhoud, on a une situation de marginalité volontaire, l e titre nous annonce la solitude du
personnage principal, mais aussi le fait d'être heureuse de cette s olitude par l'utilisation de
l'adjectif splendide .
Est-ce que la solitude peut rendre heureuses les personnages féminins ?
Pour Dounia de Le bonheur a la queue glissante , n'existe pas de bonheur dans la solitude,
pour Anaïs Nin la solitude est incompréhensible et elle ne peut pas la gérer, elle se perd dans ses
210 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l'Harmattan,
Paris, 2015, p g.150
134
relations, elle ne peut pas vivre seule. Normalement, la solitude est un état de tristesse que la
personne ressent souvent comme une souffrance, qui vous fait arriver à un vide intérieur. Ce
point de vue apparaît dans l'analyse faite par Elodie Carine Tang:
o « Nous savons que, si les poètes romantiques ont souvent chanté les bienfaits de la
solitude, c'était pour montrer qu'elle est propice à la méditations et à la création artistique.
Néanmoins, la solitude revêtait dans certaines œuvres une collaboration mélancolique.
Depuis Les rêveries du promeneur solitaire de Jean – Jacques Rousseau, la so litude est
une tristesse attirante qui prend appui sur le vide intérieur. Rousseau rêvait pour vivre et
pour sortir de la solitude. Mais à mesure que son âme gagnait la jouissance de soi, le
monde alentour s’asséchait et se dégradait » 211
Dans le roman Splendide solitude , la narratrice se confronte avec trois types de solitude.
Le premier est comme résultat de sa relation amoureuse avec son mari qui l’abandonne,
de ce fait elle c roit que la vie n'a plus de sens. Elle se sent femme seulement par l'interméd iaire
de l'amour de son mari. On a affaire à la marginalité volontaire qui est aussi une sorte d’évasion
dans cette tristesse attirante comme solution de s’échapper à cet amour qui n'existe plus. Elle est
le type même de la femme qui ne signifie rien sans l'amour de l'homme avec lequel elle vit. La
décision de rester seule est prise près de la célébration de Noël, fête chrétienne que l 'on passe en
famille, non pas dans la solitude. S'enfermer dans la solitude peut êt re une solution pour ce type
d'abandon q u'elle ressent. S 'enfermer dans la solitude signifie surtout s' enfermer dans la maison.
o « Quel luxe d'avoir une maison, de s'enfermer dans sa maison, avec frigo plein,
téléphone à portée de main, télé, radio, chaine stéréo, livres, ordinateur performant,
sauna, crèmes de beauté, potions, herbes, pilules, tout pour la gestion de la
dégénérescence, des plantes pour rappeler le vivant, des tableaux pour le regard, un chat
pour la douceur…. » 212
Le luxe de choisir la solitude dans sa maison est aussi le lux e de prendre cette décision,
toute seule, expérimenter la solitude. Vivre toute seule comme un expériment.
211 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l'Harmattan,
Paris, 2015, p g.151
212 Abla Farhoud, Splendide solitude , Editions L ’Hexagone, Montréal, 2001, pg. 11
135
o « Je passerai Noël seule, Noël solo comme le tableau de mon ami Hélène avec lune jaune
et yeux hagards. Je boirai du champagne, seule. La misère a p arfois des visages
étonnants… Je boirai à la détresse du monde, à la frivolité si reposante. Je lèverai mon
verre en fixant la télé ouverte devant moi, je la fermerai quelques instants pour mieux
imaginer le monde, et je reprendrai une autre gorgée, la t ête pleine de visages que je ne
connais pas. Plus tard, beaucoup plus tard peut – être, j'inviterai des amis, d'autres
splendides solitudes, je ferai semblant, moi aussi. Je jouerai le jeu. Peut – être »213
Enregistrer toutes les activités normales d'un jour, pour pouvoir être accomplies par elle –
même, c'est comme une stratégie qu'elle se propose d'appliquer dans sa vie. Généralement, quand
on parle de marginalité, cet état affecte les hommes dans tous les aspects de la vie. Mais la
narratrice, dans ce cas -là, voit qu'elle a tout le luxe qu'une personne peut avoir. Dans un monde
où les communications sont très faciles, on apprend seulement que les mass – media, même si
nous donne l'idée de n'être pas seuls, ne résoudront pas nos problèmes. Les communications s ont
le résultat du modernisme, comme on l'a vu déjà, les questions de tradition/ modernité peuvent
apparaitre dans plusieurs étapes. La modernité est aussi la contemporanéité.
o « La narratrice annonce qu'elle va jouer le jeu. Mais c'est aussi un jeu qui se joue à travers
l'alternance entre la réalité et les images de l'irréel. Les nouvelles machines du
modernisme, les nouvelles technologies de la communication que sont la télévision et le
téléphone contribuent en partie à isoler l'être contemporain du monde physique de la
société dans laquelle il vit. Dans ce texte d'Abla Farhoud, la télévision est un personnage
qui influence l'action des autres personnages. Celle – ci donne à l'homme l'illusion de
vivre en société. Mais ce n’est qu'une société de mensonges. Elle fonctionne comme la
drogue qui peut permettre à l'homme de s'évader pendant un instant, de fuir la réalité qui
l'accable, mais ce n'est qu'une jouissance momentanée, parce qu'elle place l'homme un
milieu d'une société où les visages lui sont inconnus , ou il reste un étranger » 214
La narratrice relate l'histoire de l'héroïne qui essaye d'imiter le suicide du personnage. La
méditation de l'héroïne porte surtout sur l’idée de se tuer en se jetant par la fenêtre.
213 Abla Farhoud, Splendide solitude , Editions L ’Hexagone, Montréal, 2001, pg. 10
214 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et iden tité, Editions l'Harmattan,
Paris, 2015, p g.152
136
o «Car, en fait, c'est l'héroïne qui compte le temps depuis le jour où son mari l'a
abandonnée. La marginale qu'elle est affronte le tragique temps, le temps qui échappe à
la maitrise de l'homme. le temps qui fait partie de l'absurde de sa condition, le temps qui
échappe à sa saisie. (…) L'erranc e du personnage dans son appartement se fait comme le
mouvement des aiguilles d'une montre. Le temps devient ici une hantise qui menace le
personnage à faire l'expérience du suicide. La deuxième situation concerne le personnage
dont l’histoire du suicide est rapportée par la radio. Le texte reste muet quant à la cause
et la forme de sa marginalité »215
Le suicide apparaî t comme une solution. Comme une variante possible… et puis l’histoire
racontée à la radio apparaî t comme un scénario pour sa propre vie. Et le désir de suicide est
apparaît comme une idée de plus en plus accablante . Compter les fenêtres nous donne l’idée que
dans la tête du personnage na ît l’idée du suicide selon le modèle présenté à la radio.
o «« Elle avait entendu un jour à la radio l’histo ire d' une femme enfermée sous terre pour
une expérience sur le temps: une trentaine de jours seule dans l’obscurité la plus totale ne
sachant plus quand commence le jour et quand la nuit revient. Un an après ce périple
intraterrestre, jour pour jour, la fe mme s'était suicidée. Elle pensait souvent à cette
femme, rêvait d'elle. Au réveil, elle faisait le tour de son appartement et comptait les
fenêtres. Plusieurs fois par jour, elle recomptait les fenêtres en regardant dehors, en
pensant à l'intraterrestre q ui n'avait plus besoin de compter le temps »216
La responsabilité de vivre selon le modèle de la solitude lui semble la seule solution
possible pour ce type de vie qu'elle connaît après le départ de son mari, c'est presque une
responsabilité de la vie enferm ée entre quatre murs et une sorte de scenario de vivre et de se
confronter toute seule avec une autre réalité. Elle reste la seule responsable d’avoir choisi de
vivre la vie telle quelle, n’ayant pas la force de trouver d'autres possibles solutions pour en rayer
cet abandon.
L'abandon est ressenti comme une musique du corps qu’on vient d’oublier. Comme une
musique qui est partie avec celui -là, au moment du départ.
215 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l'Harmattan,
Paris, 2015, p g.153
216 Abla Farhoud, Splendide solitude , Editions L ’Hexagone, Montréal, 2001, pg. 16
137
o « Le père de mes enfants est parti le premier. La musique est partie avec lui. Lui, en
avant , moi, en arrière, à la cuisine ou ailleurs dans la maison. Je l'entendais de partout.
Même de notre chambre à coucher avec porte fermée, même de ma pièce secrète où je
mettais de la couleur sur les toiles et des mots dans des cahiers » 217
La musique est un élément particulier de leur amour. Comme dans une relation
amoureuse, les deux amoureux font partie de la même histoire et doivent partager les mêmes
responsabilités. C'est la communion qui fait la différence dans une relation. La nostalgie de
l'amour d evient la tristesse qui se transforme dans une solitude pleine de souffrance.
o « Je découpais les légumes, il multipliait les sons, je les mettais à cuire, il rassemblait les
notes, en faisait une danse, un film, une pièce de théâtre, un disque. Je n'ai ja mais acheté
de soupes préparées ou de plats congèles, ni plus tard de musique en boite pour le
remplacer. Une musique live ne se remplace pas »218
La musique accompagne la relation. Au moment du départ de son mari, la musique n'est
plus là.
Un sort de dis tance et de solitude apparaît aussi avant du départ de son mari. Une sorte
de distance et de solitude apparait auss i avant le départ de son mari. Par l es noms qu’elles
utilisent pour appeler son mari on distingue une sorte de distance. La narratrice donne aussi
quelques explications pour cette manière de parler et de s'adresser à son mari, ou de parler de lui
dans la société.
La narratrice donne aussi quelques explications pour cette manière de parler et de
s'adresser à son mari, ou de parler de lui dans la société.
o « Elle ne disait jamais mon mari, mon époux, mon conjoint, des mots qu'elle détestait,
elle ne disait jamais mon homme, mon compagnon, mon chum, elle disait le père de mes
enfants quand elle parlait de lui à ses amies ou à des étrangers. Ou a lors elle accolait son
nom de famille à son prénom. Par pudeur, par maque d'assurance ou pour garder une
mince distance entre elle et lui. Elle l'appelait par son prénom quand ils étaient seuls ou
avec leurs enfants. Jamais mon chéri, mon lapin, mon ange, mon chou. Parfois, pour le
taquiner ou pour le faire revenir à elle quand il s'envolait dans son espace de création sans
217 Abla Farhoud, Splendide solitude , Editions L ’Hexagone, Montréal, 2001, pg. 17
218 ibidem, pg.17
138
instruments, elles disait ses nom et prénom d'une voix moqueuse, ou fâchée quand ils se
disputaient »219
La solitude dans ce cas réside dans la distance que la femme prend par rapport à l’homme
pour pouvoir mettre son identité féminine à la place. Après le départ de son mari, elle essaye de
donner des raisons pour son départ. Et elle essaye aussi de donner au lecteur l'explication de cette
rupture, de cette séparation. C'est la situation d'une femme qui essaye de trouver des réponses
pour ce qui se passe dans sa vie lorsqu’elle se confronte avec de s scénarios qui ne sont pas assez
palpables et admissibles. E lle essaye, dans sa solitude, de trouver une réponse pour donner une
définition à l'amour.
o «Je n l'ai pas retenu, je l'ai laissé partir, presque poussé. Il ne me quittait pas pour une
autre femme. Il me quittait. Et même si c’avait été pour une autre femme, je n'aurais rien
fait. Je n’ai pas appris à me battre. Je commence tout juste. Bataille rangée et solitaire
entre moi et moi. L'amour pour moi n'est pas un champ de bataille. Tout, dans ma vie,
est arrivé au moment où cela devait arriver, tout est parti au moment où cela se devait,
sans que je puisse rien faire. Si j'avais dit: Ne me quitte pas, je me ferais teindre en
blonde, si tu me le demandais, je renierais ma patrie, je renierais mes amies, si tu me le
demandais. Je serai l'ombre de ton ombre, l'ombre de ton chien , je me serais tro uvée
ridicule. Indigne. Et cela n 'aurait rien changé »220
La femme sincère se révèle ici, même dans sa souffrance et dans sa solitude. C est une
femme qui souffre beaucoup pour sa relation dissipée, mais en même temps, c’est une femme qui
lutte avec sa soli tude pour guérir son âme et ses blessures.
La séparation est justement comparée avec l’expatriation, le renoncement à tout ce qui
était important pour elle mais aussi pour lui. "S’expatrier" signifie aussi laisser la musique, non
seulement la vie et la famille, en arrière. La décision de la séparation est très choquante pour la
mère qui reste seule.
o « – Si tu t'expatries, ça veut dire que tu laisses la musique. Tu m'as toujours dit qu'un
artiste est apatride, que son art est sa patrie. Je disais comme ça…Tu prends tout au pied
219 Abla Farhoud, Splendide solitude , Editions L ’Hexagone, Montréal, 2001 , pg.21
220 ibidem, p g.22
139
de la lettre. T'arrêtes pas de couper les cheveux en quatre! (…) Il s'expatriait dans un autre
quartier, juste assez près pour les enfants, juste assez loin pour que nous ne risquions pas
de nous rencontrer au détour d'une all ée d'épicerie ou au comptoir d' une pharmacie »221
L'expatriation signifie surtout la marginalisation. Le malaise identitaire apparaît aussi en
utilisant le terme apatride . C'est le sentiment de Dounia et de son mari du roman Le bonheur a la
queue glissante, mais valable plutôt pour Dounia qui se sent sur le territoire canadien comme
s'ils étaient des étrangers.
La marginalité involontaire appara ît dans plusieurs passages de Feu d'Anaïs Nin. La
femme qui connaît la pulsion sexuelle dans plusieurs relations est la femme qui se sent seule
dans son âme, à cause de son impossibilité de se conna ître. Le sentiment de solitude apparaît
souvent comme carence affective. Même si Anaïs cherche à remplacer son sentiment de solitude
avec quelque chose d'autre, dans une autre relation, elle est consciente que l’homme qui lui est le
plus proche c'est l 'homme qui cache les plus graves secrets dans son âme, étant en même temps
l'homme qui est le plus absent. C'est pourquoi une nouvelle histoire d'amour commence toujours
ayan t à la base une autre solitude. La solitude est liée aussi à une sorte de relation sexuelle qu'elle
essaye d'explorer et la solitude dérive aussi de ses enjeux sexuels plus ou moins accomplis.
o «Des yeux clairs, intensément brillants. Même allongés l'un prè s de l'autre, aucune
sensualité, aucun sentiment de réalité; et je pensais: Henry, pourquoi me laisses – tu si
souvent seule? Aucune jouissance sexuelle. Mais aucun effort pour faire semblant, pas la
moindre comédie. J'étais calme et abandonnée comme une pl ante. Abandonnée et calme,
comme j'avais rêvée de l'être avec les hommes. Détendue et sans peur. Sans peur de
céder, de révéler ma nudité. Henry, pourquoi me laisses – tu si seule dans mon âme, seule
au point d' avoir besoin de laisser les autres s' approch er de mon âme, à cause de cette
solitude? Tu es un homme des rues, un homme de la foule. Me voici au lit avec un
étranger, pour me sentir p leinement femme. Waldo Frank s' est montré délicat et
naturel »222
221 ibidem, pg.35
222 Anaïs Nin, Journal de l’amour (Journal inédit et non expurge des années 1932 – 1939 ), Editions La Pochothèque,
Le livre de Poche, Paris, 2003, p g.687
140
La sauvegarde du personnage principal en ce qui conce rne sa féminité se fait par
l'intermédiaire des relations amoureuses qu'elle a pendant sa vie.
Si on considère l 'existence du mythe de Médée, dont parle Mari e Carrière, dans ces
romans, l' étrangeté et la solitude existe aussi comme sentiments quand on se réfère à ce type de
mythe:
o « Bref, elle est perçue comme une figure d'altérité, sa féminité barbare étant issue de son
rapport à l'errance et à l'inconnue. Médée l'étrangère est certes dénigrée et refusée comme
être humain à part entière par sa société d 'accueil »223
C'est Dounia qui est refus ée par la société d'accueil, c' est aussi Ying Chen refusée par la
société d' accueil, et de toutes ces expériences nous parvient l 'information selon laquelle la femme
reste étrangère et dénigrée.
Motto:
223 Marie Carrière, Médée protéiforme , Editions Les Presses de l’Université d' Ottawa, Canada, 2012, p g.61
141
III.5 La femme adultère
La femme adultère apparaî t surtout dans les œuvres d'Anaïs Nin. C'est l'image d’une
femme mariée qui fait le choix de l’adultère ayant comme trait principal la lutte contre soi -même
et la nécessité de retrouver so n identité féminine et sexuelle en dehors du mariage.
Selon tous les préceptes religieux, quels que soient les peuples et leurs traditions, soit
qu’il s ’agisse d’islamisme ou de morale chrétienne, la femme doit être fidele à son mari. Cela
reste tout aussi valable pour ce qui est de la moralité occidentale.
142
D’autre part, on a les écrits d'Abla Farhoud qui fait partie d'une autre catégorie de
femmes, ceci parce q ue la loi islamique est sévère et injuste quand il s’agit de la conduite des
femmes.
A une époque plus proche de nous que les années où les autres trois écrivaines
canadiennes dont il est question ont vécu, Anaïs Nin change de point de vue concernant la
question du mariage et des relations extraconjugales.
La question de l’infidélité a beaucoup été étudiée de plusieurs points de vue. Chez Anaïs
Nin, il s’agit d’infidélité au moment où commence la connaissance de son corps féminin et
l'exploration d'une vie très riche en ce qui concerne les relations sexuelles.
o «L'infidélité comme trans gression d'une loi dans le mariage est un comportement qui
illustre tout simplement la faiblesse humaine. Il s'agit do nc là d'un problème d'hommes
et non de religion »224
Dans presque toutes les traditions et cultures, il est plutôt normales qu'un homme tro mpe
sa femme, mais quand la chose se passe à l'inverse, les femmes se retrouvent de nouveau dans
une posture d’infériorité car les validations sociales sont contre une femme adultère, mais ne
s’opposent en rien aux agissements d'un homme qui trompe sa femm e. Anaïs Nin est une femme
émancipée, elle e st l'image de la femme qui transgresse toutes les valeurs traditionnelles
concernant la vie en famille. Elle est l'image de la femme libre.
o «La transgression qui se lit dans le roman féminin peut prendre la qua lification de
transgression féminine. Car dans la société de ce texte tout ce qui est faute incombe à la
femme. Les hommes n'ont que des droits et leur méfiance vis -à-vis des femmes
émancipées est un reflexe conservateur des droits acquis grâce à la tradit ion. Même
quand ils jouent à ceux qui s'ouvrent à la modernité, celle – ci se pose comme leur
ennemi » 225
Les lois sociales et civiques, quelles que soient la période et la culture, punissent
davantage les femmes que les hommes.
224 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions
l'Harmattan, Paris, 2015, p g.138
225 Elodie Carine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l'Harmattan,
Paris, 2015, p g.138
143
Anaïs Nin joue. Elle est li bre et elle joue à plusieurs jeux avec les hommes de sa vie. Elle
est mariée par intérêt car elle désire occuper une position avantageuse dans la société, et elle
avoue elle – même qu'elle ne trompe pas son mari pendant les premières sept années de leurs
mariage . Le jeu est aussi inscrit dans son journal, avec des détails minutieux, et c' est le journal
qui nous donne des informations sur la psychologie de la femme, concernant plutôt la nature
frivole et amoureuse de celle -ci mais aussi la capacité d'analyse très accentuée de certains
paramètres de la sexualité féminine, sujets considérés parfois tabous.
L'adultère dans son cas est la façon de connaître mieux l'univers intrinsèque de la femme,
de choisir ce qui lui fait plaisir, de ressentir la liberté de c hoisir n'importe quel homme et la
liberté d'écrire de tous ces enjeux psychologiques qui se forment normalement dans la société
moderne.
o « Au contraire, l'ouverture au monde favorise l'ouverture des yeux des femmes et
des hommes. La société de ce texte te nd à admettre que la femme puisse parfois
violer les interdits de la tradition. Ces romans amorcent la problématique de
l'égalité des genres en termes de droit. Dans ce contexte, l'homme reconnaît
tacitement des droits à la femme et celle – ci entend égalem ent tirer profit de sa
relation de couple. » 226
Dans les sociétés occidentales, les femmes se sont regroupées pour lutter ensemble pour
leurs droits. Pour Anaïs Nin, le mariage ne constitue pas une limite ou un lieu de partenariat
seulement, mais aussi un événement auquel elle doit s'échapper pour connaî tre toute les
possibilités de son être féminin.
Anaïs Nin ne respecte pas les normes du mariage. Pour elle, la liberté de l’être est plus
importante.
Le rapport tradition – modernité suscite l'intérêt d es critiques, parce que dans les années
'50/ '60 Anaïs Nin écrit pour un autre type de femme. La femme qu'elle est dans cette période
existerait au moins quelques décennies après. A nos jours, on a à peu près le même problème:
les femmes n'ont pas la libe rté de choisir ce que leur font plaisir et d' investiguer leur sexualité
sans avoir des obstacles de nature sociale, religieuse ou traditionnell es qui montre nt que la
sexualité d'une femme doit être assumé seulement dans les limites "honorables" que les fam illes
226 ibidem, p g.140
144
mêmes nous ont éduqués de conna ître de notre propre corps ; son journal choque mais non pas à
cause de la promiscuité envisagée, mais de l'honnêteté et du plaisir de chercher une identité
féminine naturelle et responsable.
o « La tradition et la moderni té sont deux notions assez complexes. Si elles
s'appliquaient au contexte de la littérature française, elles prendraient une autre
coloration surtout en pensant à la fameuse querelle des Anciens e t des Modernes.
Lorsqu'elles s' appliquent à la littérature francophone, elles prennent un sens plus
pratique adaptée au contexte des sociétés représentées dans les œuvres. Dans ce
contexte, la modernité se confond avec la contemporanéité et l'évolution des
mentalités par rapport à la tradition qui, elle, est un hé ritage du passé » 227
On peut examiner ces deux notions de tradition et de modernité dans l'ensemble des
romans qui font l’objet de notre analyse.
227 Elodie Car ine Tang, Le roman féminin francophone de la migration, Emergence et identité , Editions l'Harmattan,
Paris, 2015, p g.142
145
Motto:
«Si une femme a le droit de faire le choix de l'avortement, elle devrait avoir le d roit de faire le
choix de la prostitution. C'est son corps, c'est son droit »
Chester Brown
III.6 La prostitution= élément finale de l'érotisme exacerbé ou aliénation
sentimentale et trauma psychologique ?
La prostitution comme thème est l'analyse du concept de liberté du corps féminin. La
question qui se pose est de savoir si elle, la femme, est totalement libre de disposer comme elle
l’entend de son corps. En d’autres termes, est -elle la principale responsable de tout ce qu'elle sent
et de tout ce qu'elle désire?
146
A-t-elle la liberté de vendre son cor ps si c'est ce qu'elle a choisi ? Selon les pays, la
question de la prostitution suscite des différences entre les points de vue concernant la liberté de
la femme de disposer de son corps.
o – Il en est où la prostitution est interdite: les pays ont une position prohib itionniste
o – Chez d'autres, elle est encadrée et réglementée: c' est la position réglementariste
o -En France, elle est simplement tolérée et n'est pas réglementée par l' Etat: c'est la
position abolitionniste. Seuls le racolage et le proxénétisme sont interdits.. 228
Le refus de réglementer la prostitution date de 1960.
La conception concernant la prostitution est toujours la même, quel que soit l’Etat: la
prostitution existe mais on ferm e les yeux quand on parle de ce sujet car les femmes qui
choisissent de se prostituer sont ou bien des victimes ou bien des femmes de mœurs faciles .
o « Il y a ici comme un grand écart entre une certaine conception libérale de la prostitution
(après tout, c'est une liberté) et la conception morale qui s'y attache (la prostituée est une
victime). Car là est le problème: se prostitue -t-on librement? A ceux (dont de nombreuses
prostituées) qui répondent par l 'affirmative et qui réaffirment la liberté de dispos er de leur
corps, il est coutume de retourner qu'il n'y a qu'apparence de la liberté: les prostituées
sont des victimes qui sont tombées par désespoir, traumatisme ou autre dans cette
profession »229
C'est connue la situation des femmes qui ont travaillé dan s des conditions humiliantes,
mais ce n 'est pas le même cas des filles qui choisissent de faire ce type d'activité par plaisir
personnel, assez libertines. Les féministes, elles aussi, ont des opinions différentes en ce qui
concerne la prostitution:
o « Certaines pensent que la prostitution relève de la marchandisation de la femme et
souhaiteraient l'éradiquer (mais au nom de quoi? de la morale? de la santé publique? de la
dignité humaine?) quad d'autres voudraient qu'elle soit davantage reconnue, encadrée,
réglementée, afin de sortir les prostituées d'une clandestinité source de tous les dangers et
de les protéger. »230
228 Mara Goyet, Le féminisme , Editions Plon, Paris, 2007 , p.90
229 ibidem, pg.91
230 Mara Goyet, Le féminisme, Editions Plon, Paris, 2007 , pg.92
147
Il y un sujet de discussion aussi en ce qui concerne la perspective des féministes ou du
féminisme, comme courant, sur la prostitution. Même si le féminisme représente toutes les
femmes, les féministes ne sont pas très ouvertes sur le sujet de la prostitution. Le monde se
forme des femmes sages et aussi des filles qui vendent leur corps. Seulement quelques unes ont
une attitude de tolérance en ce qui concerne la prostitution de leurs sœurs.
o « D'autres affirment encore que les prostituées sont des victimes totalement aliénés qu'il
faut protéger à tout prix, même si elles dénoncent et refusent cette protection, Ces
féministes prônent une criminal isation accrue de la prostitution et une rééducation
obligatoire des prostituées. Pour certaines même, les travailleuses du sexe deviennent
l'ennemie à combattre. »231
Et puis i y a aussi ceux qui admirent la prostituée. Ceux qui font du récit et ceux qui
auront une figure exemplaires.
Si on parle de la prostitution, on doit parler du pouvoir. Si on se réfère strictement à la
prostitution féminine -c'est toujours le cas plus souvent rencontrés – l'homme a toujours le
pouvoir parce que c'est celui qui a la d isponibilité financière de payer les services qu'il reçoit,
mais aussi pour des raisons juridico – morales, parce que souvent la prostituée est trouvée
condamnée par la société et par la loi parce qu'elle a choisi de vendre son corps. Kate Millett
considère qu'en effet, «le client achète du pouvoir, la possibilité de triompher de la volonté
d'autrui »232. C 'est pour cette raison que la prostituée est considérée comme la femme absolue qui
donnera à l'homme le sentiment du pouvoir absolue: il n'ya pas des senti ments dans une relation
comme telle et il n'y a pas des contraintes ou d'obligations: l'homme détient le pouvoir absolue
de choisir entre plusieurs femmes et de penduler éventuellement entre plusieurs relations
sexuelles sans être obligé de s'attacher affe ctivement d'une femme spécifiquement.
La prostituée permet, dans la littérature, de repenser le statut de la femme et presque de
dénoncer plusieurs oppressions que les femmes ont souffertes pendant des siècles.
231 Lori Saint -Martin, Lori Saint – Martin, Contre – voix Essais de critique au féminin , Chapitre X, Politique et
sexualité. Des avatars de la prostituée dans la littérature , Editions Nuit Blanche Editeur, Montréal, 1997, pg. 201
232 Kate Millett, Sexual Po litics , Editions Ballantine, New York, 1970, pg.31 apud Lori Saint -Martin, Lori Saint –
Martin, Contre – voix Essais de critique au féminin , Chapitre X, Politique et sexualité. Des avatars de la prostituée
dans la littérature , Editions Nuit Blanche Editeur, Montréal, 1997, pg. 191
148
Les questions qu'on se pose toujours quand on parle des prostituées visent le statut de ces
femmes: dans les sociétés, ces femmes sont au moins condamnées, mais est -ce qu'il y a aussi des
prostituées -victimes de ce type de travail? S'il y a des victimes entre elles, c'est quoi la
responsabilité d' une société? De leur arrêter de vendre leurs corps, de leur donner des mieux
conditions de travail, de superviser ce type de travail et de légaliser leur activités sexuelles pour
pouvoir les mieux protéger? Ou de nier cette réalité et de fermer les yeux di sons qu'elles
n'existent pas? En même temps, des les plus anciennes périodes historiques, le plus vieux métier
du monde a été bien représenté et les clients – particulièrement des hommes – ont bien consumée
la gamme de services qu'ils ont reçus d'elles.
Kate Millett considère que les prostituées sont nos prisonnières politiques233. Elle en
propose aussi une solution:
o « Pour les libérer, il ne s'agit pas de légaliser la prostitution en créant des bordels gérer
par l'Etat, nouvelles prisons, mais bien de la déc riminaliser. La décriminalisation aurait
pour effet de reconnaitre aux femmes le droit de disposer de leur corps, et également de
mettre fin à leur exploitation par la police et les souteneurs. »234
On a aussi le problème de la violence – qui n'est pas réso lu dans l'état actuel – et des viols
que les prostituées souffert par leur clients u leur souteneurs et sans une organisation qui vérifie
comment les choses se déroulent dans une rencontre avec leurs clients ou les souteneurs.
D'autres définitions sont données par la Candian Organization for the rights of
prostitutes :
o « Une prostituée est une féministe réaliste, qui s'oppose en tout à une féministe idéaliste,
hypocrite, nébuleuse, incapable de voir la réalité en face. Celle -ci nie avoir consenti à des
tractations et à des négociations dans sa vie maritale, nie avoir peur de la sexualité et
refuse de reconnaitre que l'homme est son frère plutôt que son ennemi. » 235
233 Kate Millett, The Prositution Papers , Editions Ballantine, New York, 1976, pg. 111, apud Lori Saint -Martin, Lori
Saint – Martin, Contre – voix Essais de critique au féminin , Chapitre X, Politique et sexualité. Des avatars de la
prostituée dans la littérature , Editions Nuit Blanche Editeur, Montréal, 1997, pg. 199
234 Kate Millet, The Prositution Papers , Editions Ballantine, New York, 1976, pg. 86 apud Lori Saint -Martin, Lori
Saint – Martin, op.cit. , pg. 199
235 traduction de Lori Saint – Martin, op.cit., de l'anglais : «A prostitute is a realistic feminist as opposed to an
idealistic, hypocritical, shadowy feminist who doesn't want to confront the facts of life, the facts of her own
negotiating and trade – off in the marriage situation, th e fact that the male is her brother and not the enemy and the
149
Pour Nelly Arcan, dans Putain , la prostitution est vue comme forme de sauvegarde.
Sauvegard e de tout ce qu'el le a connu dans sa vie, y compris ses traumas de l'enfance et la
vengeance contre les hommes qui viennent la voir. Captive dans la terreur de son corps usé, il
existe bien un compromis qu'elle fait souvent dans les relations avec les homm es de sa vie.
Dans la vie du personnage principal, il existe bien une sorte d'autre compromis en ce qui
concerne sa vie de prostituée. Comme étudiante, elle étudie dans un univers clos, mais d’autre
côté il y a le spectacle de la rue: …. Dieu, et commen t se fait – il que les paillions de l'université
débouchent sur des peps shows ou s'en va -t-on s'il y n'ya qu'un pas à faire entre l’éducation et la
prostitution ? 236
Pour l’héroïne de ce roman, la vie de la rue devient la vie qu’elle vivra , comme elle –
mêm e l’avoue:
o « … j ''aime l 'idée qu'on puisse travailler le sexe comme on travaille une pâte, que le
plaisir soit un labeur, qu'il puisse s' arracher, exiger des efforts et mériter un salaire, des
restrictions et des standards. Et il n'y avait là rien qui c lochait pour la masse des étudiants
dans cette cohabitation avec les putains , voilà le plus frappant, on s' habitue vite aux
choses lorsqu'on ne peut y échapper, lorsqu'elles débordent depuis l'autre côté de la rue
pour recouvrir nos notes de cours, mais ce tte proximité a eu des effets sur moi, elle m'a
fait basculer de l'autre côté de la rue, dites – moi comment une théorie aurait pu tenir
devant tant de plaisir? »237
La prostitution dans ce cas appar aît comme une chose normale, c' est seulement un choix
et un e alternative de diversifier ses activités de chaque jour. La différence entre la serveuse qui
travaillait dans un restaurant et la femme qui commence à se vendre aux hommes est presque
insignifiante. Tout se passe sur un fond de manque de caresse ou de se ntiments d'affectivité
qu'elle ne connaît pas, qui ne viennent pas de la part de son père premièrement ou de la part de sa
mère. La base affective, du point de vue psychologique, n'existe pas. Alors la prostitution dans ce
cas c'est la seule chose qui lui reste ou qu'elle pourrait avoir comme solution.
fact that she's afraid of sex » dans Laurie Bell, Good Girls, Bad girls: Sex trade workers and feminists face to face ,
Editions The women's press, Toronto, 1987, pg. 211
236 Nelly Arcan, Putain , Editions du Seuil, 2001, pg. 6
237 Nelly Arcan, Putain , Editions du Seuil, 2001, pg. 4
150
o « Il a été facile à me prostituer car j'ai toujours su que j'appartenais à d'autres, à une
communauté qui se chargerait de me trouver un nom, de réguler les entrées et les sorties,
de me donner un maitre qui me dirait ce que je devais faire et comment, ce que je devais
dire et taire, j'ai toujours su être la plus petite, la plus bandante et à ce moment, je
travaillais déjà dans un bar comme serveuse, il y avait déjà les putains d'un côté et les
clients de l ' autre, des clients qui m'offraient un peu plus de pourboire qu'il ne m 'en fallait
et qui m 'obligeaient à leur accorder un peu plus d'attention qu'il ne leur en fallait, une
ambigüité s' est installée tout doucement, naturellement, ils ont jouée de moi et moi d'eux
plusieurs mois avant de me résoudre à aller vers ce à quoi je me sentais si fort poussée, et
lorsque j 'y repense aujourd'hui, il me semble que je n'avais pas le choix, qu'on m 'avait
déjà consacrée putain, que j 'étais déjà putain avant de l ' être (…) »238
La prostitution est seulement pour les belles filles, pour les jeunes filles. Contrairement à
sa mère, qui s’est prostituée pour un seul homme, son père, le personnage principal ne trouve pas
que la prostitution lui limite les possibilités d' être femme. Les relations avec les hommes sont
compliquées et pleines d'analyse et de philosophie. La femme qui se prostitue imagine les
histoires des hommes qu'elle satisfait. Essayant de trouver l'explication pour sa situation, la
femme utilise les pires comparaisons pour sa situation et semble être le Juge le plus sérieux de sa
situation, pour montrer ainsi la date d'expiration de cette activité qui ne lui donne pas le choix.
o «[…] ils disent que je ne dois pas faire ce métier trop longtemps car je pour rais vieillir,
devenir une vieille pute alors qu'il n'y a rien de pire, rien de plus misérable qu'une peau
de vache qui s'acharne à plaire aux hommes, portant l'audace jusqu'à demander qu'on la
paye en retour, voilà ce qu’on me dit, qu'il faut être belle p our se prostituer et encore plus
belle pour être une escorte, pour gagner sa vie à discuter du nouveau film à l 'affiche et à
boire du champagne, et il faut être jeune surtout, pas plus de vingt ans car après vingt ans
les femmes ramollissent, tout comme leur femme et bientôt leur fille ai -je envie de
hurler .»239
238 Nelly Arcan, Putain , Editions du Seuil, 2001, pg. 5
239 Nelly Arcan, Putain , Editions du Seuil, 2001, p. 12
151
Le corps dans ce cas est une carrière, c'est la façon de survivre et de trouver un type
d'activité qui premièrement lui donne la possibilité de gagner de l’argent et deuxièmement lui
donne la possi bilité d’être "aimée par des hommes" et de se sentir moins seule.
Quelques considérations sur la société sont données par la narratrice impliquée dans le
récit, des considérations sur la prostitution et sur ce monde où les filles sont putains et les père s
sont leurs clients, mais aussi des considérations sur l' argent qu'elle peut gagner pour entretenir sa
jeunesse et son niveau de vie. C'est comme elle – même l 'avoue: « ce n'est pas avec le premier
client que je suis devenue putain, non, je l'étais bien av ant, dans mon enfance de patinage
artistique, et de danse à claquettes, je l’étais dans les contes de fées ou il fallait être la plus belle
et dormir éperdument. »240
Les considérations sur la prostitution visent l'image des pères et de leurs filles, un sort
d'inceste, pour maximiser la perception sur le drame de putasserie.
o « […] et chacun nous voyant là où il l'avait imaginée va être choqué de se retrouver
respectivement dans le rôle de la putain et du client, et nous allons claquer la porte en
criant au scandale, mais où va -t-on dans cette société où les filles sont putains et les pères
clients, et depuis combien de temps s'en va -t-on ainsi, depuis toujours je le crains, depuis
que les pères ont une queue et les filles un corps frais à offrir en partage au monde entier,
le père et la fille retournant à leur vie avec l'impression qu'un drame s'est jouée, depuis
longtemps prévu cependant, comme une fin de siècle, elle et lui face à face en pensant je
le savais, je le savais »241
Marguerite Paulin et Marie De sjardins dans Nelly Arcan – De l 'autre côté du miroir
explorent les considérations générales de la prostitution , en identifiant dans le contexte de la
prostitution des troubles identitaires de la vie de Nelly Arcan ( Isabelle Fortier, le vrai nom de
l'écri vaine, qui a eu une vie très conservatrice à cause de son père qui lui présentait souvent la
honte d'avoir un corps de femmes qui peut créer du plaisir), mais aussi la liberté de gagner de
l'argent et de n'accepter sous aucune forme, la vie que la mère d' Isabelle ( Nelly) a eue. D’un
autre point de vue, la prostitution est une affaire puisqu'on en a besoin, et qui offre des solutions
réelles pour bien des problèmes de la société.
240 ibidem, p.21
241 ibidem, p g.20
152
o « Tant de faussetés et de fables ont été véhiculées à propos de la prostituti on. Des
écrivains, des réalisateurs et de peintres ont brossé du métier une image trop souvent
sublimée et directement issue de leurs propres fantasmes. Corps de rêve, longues jambes,
sexes en fleurs. La péripatéticienne aux lèvres pulpeuses, aux dents bla nches aux yeux
lumineux a toujours grand cœur et fait ce métier innocemment, elle n'a aucun vice. Elle
sourit, elle tend la main. Elle exerce une profession nécessaire puisqu'elle donne du
bonheur aux hommes en mal d'amour, ravivant leur confiance en eux. Par son
dévouement, elle évite la multiplication des viols. Elle protège les vierges. La prostitution
est une putain respectueuse. Dans ce scenario à l'eau de rose, elle termine sa carrière au
bras d'un richissime gentleman » 242
La prostituée de Nelly Arca n existe entre deux limites: la femme qui est en train de
chercher son identité sexuelle et aussi la possibilité de générer d'argent pour continuer ses études
et la femme qui, dans les relations avec ses clients, explore la relation aliénée avec son père: ses
clients peuvent être des pères multipliés à une plus grande échelles, des pères qui auront des
relations sexuelles avec leurs filles, des relations incestueuses, des pères qui n'ont pas une
relation normale avec leur femmes dans le sein de la famille. De ce point de vue, la prostitution
est synonyme à l'aliénation. La prostituée de Nelly Arcan nous donne l'image de la prostituée
d'après féminisme, la période ou la liberté sexuelle s'affirme en construit la femme par
excellence, la femme qui cherche, par toutes les méthodes possibles, de plaire. Mais aussi
l'image de la femme qui a la liberté de choisir ce qu'elle fera avec son corps: en même temps
cette liberté de l'être vient avec des blessures et avec la violence conforme aux relations
dominées par les hommes: le client est celui qui paye et c'est pour cette raison que la prostituée
doit prester un travail de qualité. La figure paternelle accentue l'aliénation dans la thématique de
la prostitution dans les textes de Nelly Arcan et la soumission de la fe mme dans l'apparente
mobilité et liberté d'exister et d'explorer l'univers féminin.
242 Margue rite Paulin et Marie Des jardins, Nelly Arcan – De l 'autre côté du miroir, Les Editeurs Réunis, Québec,
Canada, 201, p g.117
153
Motto:
«Une femme libre est exactement le contraire d'une femme légère »
Simone de Beauvoir
« Donc une mère, c' est quoi? Quelqu'une qui fait des gestes commandés , stéréotypés, qui n'a pa s
de langage personnel et qui n'a pas d' identité. Mais comment, pour nous, les filles, avoir un
rapport personnel et se constituer une identité par rapport à quelqu'une qui n 'est qu'une
fonction? »
Luce Irigaray, Le Corps -à-corps av ec la mère
« Je, langue, mère »
Lori Saint – Martin, Une voix pour Odile
154
III.7. La femme – mère . La maternité inaccomplie.
La famille et les carences affectives
L'hypostase de la mère apparaî t dans les ouvrages choisies pour l'analyse très souvent.
Cette image peut être la mère qui prend soin de ses enfants, dans le cas du personnage Dounia du
roman Le bonheur a la queue glissante , d'Abla Farhoud, ou bien la mère qui renonce à avoir un
enfant, choisissant l'avortement, dans Folle de Nelly Ar can, il peut s’agir aussi d’une potentielle
mère qui refuse d'être mère, incarnée dans le personnage d'Anaïs Nin dans son Journal , on
trouve aussi la mère solitaire représentée par le personnage principal du roman Splendide
solitude , d'Abla Farhoud, ou le personnage mère dans Putain de Nelly Arcan.
o « Le plus souvent explicites mais aussi sous -textuelles, les reprises médéennes façonnent
des parcours incontournables dans le discours féministe actuel, ou alors, comme nous
dirons plus tard, metaféministe, pa r rapport à un féminisme pour ainsi dire plus mûr,
distance de ce qu'il aurait été jadis. Les représentations de la mère et du sujet – femme à
l'œuvre ici sont certes branlantes et malaisées, angoissées et angoissantes (…) La mère est
un enjeu social, pol itique et ontologique fondamental depuis les débuts d'une pensée
féministe hantée par ses propres idéalisations de la femme mère toute puissante » 243
Dans l'œuvre de Marie Carrière, Médée protéiforme , on apprend quelle est la similarité
avec les personna ges – femmes de nos livres, selon la substance de Médée, qui :
o « c'est l'histoire d'une femme qui trahit sa famille et son pays, C'est l'histoire d'une
magicienne et d'une exilée. C'est l'histoire d'une mère infanticide. Endeuillée, sacrale,
extrêmement v iolente, Médée compte parmi les plus abominables personnages de la
mythologie grecque, coupable, entre autres, de fratricide et d'infanticide »244
Dans les œuvres qu'on étudie, on a des motifs considérés médéens dans la plupart des
œuvres: la solitude, l’ex il et le sentiment de se sentir étranger, les contraintes sociales à l’égard
du sexe, du rang social ou de la race des personnages.
243 Marie Carrière, Médée protéiforme , Editions Les Presses de l’Université d' Ottawa, Canada, 2012, p g.15
244 idem, p g.13
155
Le mythe contemporain de Médée est l’exemple qui se retrouve dans les œuvres qu'on
analyse:
o « son humanité opposée à sa m onstruosité, son exil, sa maternité troublante et sa
souveraineté ambivalente, voire la capacité et les limites de son agencivité » 245
Le mythe de Médée comporte plusieurs significations, non pas seulement du point de vue
du concept mais aussi par les sign ifications additionnelles, et aussi pour les autres valences que
le mot comporte.
o « De fait, Médée – mère à la fois tendre et cruelle, mélancolique et lucide, dont les gestes
sont cléments et féroces – dément certains axiomes relatifs au matérialisme et à l a nature
humaine dans ses diverses résurrections. Comme le proposent Corloni et Nobili, la
distorsion de l'instinct maternel ne se limite pas nécessairement aux cas exceptionnels
causés par une pathologie ou une psychose absolue. Or, l'immense difficulté d e
réconcilier l'amour maternel à l'infanticide s'impose également et elle vient ajouter à la
complexité de la présente réflexion sur le parcours d'un féminisme parfois quelque peu
idéaliste au sujet de la maternité. Cela dit, ce qui démarque cette analyse des autres
études du mythe de Médée est le fait que l'infanticide n'y figure point comme le seul
composant d'importance. Les femmes exilée ou encore sans issue ainsi que l'expérience
d'étrangeté culturelle, d'exclusion sociale et de dépossession géographiq ue, filiale et
ontologique sont d'autant plus traitées comme irradiations d’un mythe à plusieurs
facettes .»246
L'image de la mère dans la littérature mais aussi dans la société, apparemment p our
plusieurs d' années a été entourée selon à la mère qui reste co mme femme au foyer, qui ne
travaille pas, admettons donc aussi un sort de domination masculine, ayant la base le pouvoir
masculine sous la fragilité et la maternité féminine.
C’est aussi une image de la femme au foyer vue dans les plus anc iennes société s, bien
que même de nos jours on ait un déficit de cette image. La domination, comme concept, a eu une
définition très intéressante donnée par Max Weber, un sociologue allemand (1864 – 1920): « la
245 Marie Carrière, Médée protéiforme , Editions Les Presses de l’Université d' Ottawa, Canada, 2012, pg.17
246 Marie Carrière, Médée protéiforme , Editions Les Presses de l’Université d' Ottawa, Canada, 2012, pg.23
156
chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu
déterminé. »247
Ce qui est prêt à obéir supposera aussi une acceptation par la personne qui est dominée.
Les rapports de domination comportent alors un minimum de volonté.
o « Cette domination s'appuie cependant aussi sur la loi (les fe mmes étaient, selon le code
civil de 804, des mineures qui devaient obéissance à leur mari), la tradition (une femme
doit obéir à son mari) c'est dans l'ordre des choses, il en a toujours été ainsi) ou le
charisme (la place et le rôle que jouent les hommes en société, leur assurance, assoient
leur domination). Nous entrapercevons ici pourquoi la domination des femmes par les
hommes est si lente à se résorber quand il est partout écrit (en France du moins!) que les
hommes et les femmes sont égaux en droit: l es mentalités, le souci de préserver l 'ordre et
la tradition, les habitudes sociales et mentales perpétuent cette domination » 248
C'est l'une des hypostases où on trouve la femme personnage – la femme -mère, dans les
romans qu'on analyse. Mais on voudra it savoir pourquoi si la mère n' est pas "appropriée" aux
normes de la société on la trouve moins femme et si elle est appropriée à l’image de la femme,
on la trouve de nouveau difficile à être seulement femme. La subordination de la femme à
l’homme est en visagée dans l'histoire comme un fait bien connu dans les périodes d’avant les
mouvements des suffragettes et du féminisme. Dans cette période la femme était vue uniquement
en tant que mère, même si elle était occupée au dehors. Même le droit de vote qui a u Canada est
obtenu en 1917, aux Etats Unis – pour tous les Etats en 1920, en France à peine en 1944, fait une
grande différence entre la femme et l'homme au sein d’une famille.
o « Penser q u’il en a toujours été ainsi n 'est pas anodin, car il est, à par tir de là, facile à
conclure que par nature les femmes sont dominées et par nature les hommes sont
dominants (par un raccourci du type: très longtemps = depuis toujours = tout le temps
= par nature). Ou bien, si l’on refuse d'en venir à des arguments biolo giques, que c'est
le propre de l 'homme de domine r. C'est ce qu'ont avancé depuis des dizaines de
siècles les penseurs les plus hostiles à l'égalité des hommes et des fe mmes. Si l'on
refoute l'idée d' une infériorité naturelle des femmes, si l'on conteste qu e c'est le propre
247 Max Weber, Economie et Société , 1922, apud Mara Goyet, Le féminisme, Editions Plo n, Paris, 2007, p g.27
248 ibidem, p g. 28
157
de l'homme de dominer, il reste à se demander depuis quand elles son t placées dans
une situation d' infériorité » 249
Quand on discute de l'image de la femme, on apprend que la femme est toujours vue
comme mère premièrement, la personne qui a la responsabilité de la fécondation, de la
procréation, de la reproduction de l’espèce humaine, parce que l’image de la femme – mère est la
plus valide entre toutes les images que la femme pourrait avoir dans la société.
o « Toutes renvoient à l'infériorit é physique, morale et intellectuelle de l'eternel
féminin. La femme est asservie à sa nature (maternité, menstruations), la femme est
fragile intellectuellement (son cerveau est petit et fatigable), la femme est moralement
influençable (elle est s ans const ance, volubile, etc.) »250
En ce qui concerne le destin maternel, l'image de la femme – mère étant plus importante
que les autres images de la femme apparaî t depuis le début comme le but final d' une femme. On
a expliqué le fonctionnement différe nt d'un cerv eau "féminin" et d' un cerveau "masculin" dès les
premières années de l'enfance: à partir des jeux des enfants, à partir des vêtements que les
parents choisissent pour eux, et aussi à partir d'un type d' éducation que les parents choisissent
pour leurs enfan ts, les filles sont éduquées différemment des garçons. Elisabeth Badinter se
demande dans le même ouvrage auquel on a fait appel, Fausse route (2003).
o « Selon la philosophie, l 'homme y est chaque jour davantage perçu comme un auteur
potentiel de violence s, quand les femmes est présentée comme fragile et vulnérable.
A cet égard, elle accuse les féministes d'avoir pris le contre – pied du féminisme
universaliste en quête d'égalité pour devenait différentialistes: la nature féminine,
avec ses qualités, sa psy chologie, ses particularités biologiques et son destin maternel
a fait un retour en force. Pour s'en convai ncre, il suffit de feuilleter n 'importe quel
magazine féminin: " Entre la femme – enfant (la victime sans défense) et la femme –
mère (pour les besoin s de la parité) quelle place reste -t-il à l 'idéal de la femme libre
dont on a tant rêve? » 251
249 Mara Goyet, Le féminisme, Editions Plon, Paris, 2007 , pg.31
250 Mara Goyet, op.cit., p g.35
251 Elisabeth Badinter , Fausse route , 2003 citée par Mara Goyet, Le féminisme, Editions Plon, Paris, 2007, p g.140
158
Si on essaye de trouver une réponse concernant le cerveau (s’il est féminin ou masculin),
Catherine Vidal, dans Cerveau, sexe et idéologie dans Féminin – Masculin . Mythes scientifiques
et idéologie , nous donne une explication intéressante:
o « En 1982, des anatomistes avaient observé (…) que les femmes seraient davantage
capables d'activer leurs deux hémisphères et de faire plusieurs choses à la fois,
contrairemen t aux hommes! Cette histoire a eu beaucoup de succès et les medias en
parlent toujours. (…) Or, depuis 1982, les corps calleux de centaines de sujets ont été
mesurés: aucune différence significative n'a pu être dé montrée. Mais paradoxalement
c'est toujou rs des vieilles études dont on parle (…) Seules sont retenues les
expériences qui correspondent au message que l 'on veut le plus attractif: c' est dans le
cerveau que se trouve la clé des différences entre les hommes et les femmes »252
Etre mère ou être fe mme libre ?/c'est aussi la question que Mara Goyet se pose elle –
même, dans le chapitre Question no.36: Une mère sommeille -t-elle en toute femme? Etre mère,
être femme , où elle essaye de montrer la confusion entre ces deux typologies que la femme a
dans l 'histoire. Elle fait appel à la Maternité esclave , un ouvrage publié par un collectif féministe
en 1975, qui souligne le caractère du manque de liberté de la f emme de choisir si elle veut être
femme seulement et non pas mère. Simone de Beauvoir la voyait aussi comme une façon de se
conformer à une société patriarcale qui ne voyait autre chose dans les femmes que la potentialité
d’être mère, soulignant les contraintes de cette société de réduir e la femme à ce rôle de mère.
C'est seulement avec la légalisa tion de l’avortement et de la contraception que le statut de mère /
reproductrice des enfants, peut devenir un choix et non pas une obligation.
o « Le statut accordé à la maternité reste cependant une source de divergences et de
contradictions chez les fémi nistes. Elle est par là même une spécificité qui peut être
étudiée sous plusieurs angles. (…) La maternité peut être vue comme :
-un privilège (porter et donner la vie, faire (preuve d’amour maternel) c’est ici une
conception différentialiste qui valorise le féminin et la maternité
-une fonction sociale: à ce titre, la mère doit être protégée et peut revendiquer des
droits sociaux et politiques
252 Catherin e Vidal, dans Cerveau, sexe et idéologie dans Féminin – Masculin. Mythes scientifiques et idéologie ,
Belin, 2006 apud Mara Goyet, Le féminisme, Editions Plon, Paris, 2007, p.169
159
-une forme de handicap: la femme, en devenant mère, perd son indépendance, sa
liberté, son autonomie »253
Le myth e de Médée dont parle Marie Carrière apparaî t aussi dans deux romans:
notamment dans Folle de Nelly Arcan et dans Feu d'Anaïs Nin. Les deux personnages
principaux de ces deux romans apparaissent comme deux mères cruelles si l’on prend en compte
le choix qu ’elles feront de ne garder pas l'enfant.
o « Médée, mauvaise mère à la fois tendre et cruelle, mélancolique et lucide, dont les gestes
sont cléments et atroces, démystifie notre conception de la nature humaine et maternelle.
Au travers de ses incarnations, que celles -ci soient transposées, utopiques, révisionnelles,
abjects ou postcoloniales, le mythe de Médée éclaire les affres de l'exil et de l'exclusion
ainsi que certaines perspectives sur le maternel et le féminin qui ont longtemps préféré
demeurer dans l'ombre de nos présuppositions sociales. Bien qu'il n'y ait pas plus
monstrueux ou fou que l'acte infanticide, Médée, elle n 'est ni monstre ni folle, mais
lucide et humaine à part entière – comme la voulait Euripide – alors qu'elle s'en prend à
ses enfan ts, à la culture défectueuse, à l'histoire des hommes »254
Une Médée qui tue son enfant est le personnage principal de Folle en choisissant de tuer
son bébé, le bébé qui était le fruit de son amour pour un homme qui l'abandonner a, un bébé qui
lui donne le s entiment de l 'injustice de son amour. L’image la plus horripilante est celle de
garder les restes de son bébé dans un pot en verre, après l' avortement :
o «Pour la première fois de ma vie, j 'ai eu envie de conserver quelque chose qui était
sorti de moi. Il parait que les femmes désespérées d' avoir perdu leur bébé se rabattent
sur des animaux domestiques ou même sur des poupées, que parfois elles vont jusqu'à
les promener en landau dans les parcs et à entretenir les étrangers des ressemblances
avec le père. (…) Quand les restes sont arrivés, je me suis agenouillée en remontant
ma robe de chambre sur mes hanches. J'ai placé sous moi un pot en verre pendant
plus de deux heures pour tout récolter. De ma vie, je n'avais jamais tenu autant à un
déchet. La derniè re fois que j'avais eu ce genre de comportement, ce devait être
253 Mara Goyet, Le féminisme , Editions Plon, Paris, 2007 , pg.177 -178
254 Marie Carrière, Médée protéiforme , Editions Les Presses de l’Université d' Ottawa, Canada, 2012, pg.33 -34
160
pendant mon enfance, quand j'ai conservé pendant des mois au fond d’un congélateur
un oiseau trouvé mort dans la cour de mon école primaire » 255
L'instinct de poursuivre à une telle activité se mble neutre à première vue, après que ce
type d'activité est fini, seulement, le personnage principal fait des comparaisons entre deux types
différents de perception. C'est une espèce de folie qui s'installe dans le cerveau d'une mère qui
renonce à son enf ant, et qui détruit le corps de son bébé sans aucune rancune, révolte, comme un
fait qui doit être accompli. La métaphore du pot en verre contenant de la confiture de cerises est
marquante et montre surtout une aliénation à cause de cette expérience trauma tisante que la
femme vit. Le sentiment d'avoir tué son bébé l’accable.
o « Après deux heures passées sur mon pot en verre ce soir -là, j'ai considéré que ce
travail avait été fait et je l'ai refermé d'un couvercle. A première vue, on aurait pu
croire à de l a confiture de cassis ou de cerises, mais en regardant de près, ça ne
rassemblait à rien de connu. D'instinct on pouvait savoir que c'était du côté de la
viande, par la texture on savait aussi que ça faisandait, en secouant très fort, ça faisait
un sale br uit, ça avait le poids des corps morts. J'ai laissé ce soir – là venir les larmes
qui n'était pas venues à la clinique; quand on est une femme trop soucieuse de son
apparence, les larmes ne soulagent pas, elles défigurent »256
L'expérience de l'avortement da ns ces deux romans nous amène à conclure qu’il y a deux
types d'abdication face à cette hypostase de femme – mère. La relation qui se forme en son for
intérieur avec le bébé qui n'est pas encore né et qui ne naîtra jamais est une relation compliquée,
qui s urprend des questions élémentaires par rapport au corps d'une femme dans une telle
situation. Les bébés et les ventres de mères sont deux concepts très pragmatiques dans ce cas.
o «Avant de quitter la clinique d' avortement, on m'a dit que des saignements al laient
survenir dans les deux ou trois prochains jours. Par saignements, on entendait
l'évacuation des restes qui n'ava ient pas été décollés pendant l'intervention et j 'ai
imaginée que le bébé pouvait s'y trouver encore; il parait que dans le passé, il y a eu des
cas de victoire de fœtus opiniâtres restés accrochés aux mères et que, dans tous les cas,
255 Nelly Arcan, Folle, Editions du Seuil, Paris, 2004, pg.78
256 ibidem, pg.79
161
ces fœtus sont allés loin dans la vie, ils ont atteint les plus grandes réussites. Fa ce aux
avortements massifs de l 'occident, les fœtus occidentaux avaient peut- être développé
une technique de camouflage dans les ventres des mères, ils prenaient peut – être une
forme non détectable par la technologie et se mettaient peut – être h ors du champ d' action
des médecins »257
En ce qui concerne le cas d'avortement dan s Inceste d'Anaïs Nin, un enfant
signifie pour elle la limite de cette liberté que cette femme a d'aimer et d'être aimée. Elle ne peut
pas être mère parce qu'elle est une femme libre, premièrement, et l'expérience maternelle signifie
pour elle la limitatio n de l'hypostase de la femme. Envoyant son enfant au néant, Anaïs ne veut
pas l'apporter dans ce monde plein de soucis matériels. La lettre qu' Anaïs écrit pour son fils qui
n'est pas encore né, est une lettre triste mais lucide et presque honnête en expri mant tout ce que
désire une femme dans sa vie, une femme libre, qui ne veut pas d’enfants, future extension de
soi-même.
o « Je vis au présent, avec des hommes qui sont plus près de la mort. Je veux des hommes,
et non une future extension de moi -même, com me une branche. Mon tout petit, pas
encore né, il fait très sombre dans la pièce où nous sommes assis tous les deux,
certainement aussi sombre qu’à l’intérieur de moi où tu te trouves, mais il doit être plus
doux pour toi de reposer dans ma chaleur que pou r moi de rechercher dans cette pièce
sombre la joie de ne pas savoir, de ne pas sentir de ne pas voir, la joie de rester
calmement allongée dans cette chaleur et cette obscurité. Nous tous, à jamais condamnés
à rechercher cette chaleur et cette obscurité, cette vie sans souffrance, cette vie sans
angoisse, sans peur et sans sol itude. Tu es impatient de vivre ; tu frappes de tes petits
pieds , mon tout petit, pas encore né ; tu dois mourir. Tu dois mourir avant de connaître la
lumière, la souffrance et le froid . Tu dois mourir dans la chaleur et l’obscurité. Tu dois
mourir parce que tu es sans père » 258
257 Nelly Arcan, Folle, Editio ns du Seuil, Paris, 2004, pg.74
258 Message à l’en fant qui ne doit pas naître, (extrait du Journal d’Anaïs Nin, 1932 -1934) , en ligne,
http://www.buzz -litteraire.com/20070601980 -conversation -avec-l-enfant -qui-ne-doit-pas-naitre -extrait -du-journal –
d-anais -nin-1932 -1934/
162
L'expérience de la maternité inaccomplie reste un trauma pour Anaïs aussi. Mais aussi l a
potentialité d' être mère. Elle explique avec beaucoup de sincérité, ce q ue signifie le fait d'être
mère pour une femme libre. La vie de femme c'est la vie qui gagne une autre place, au lieu de
cette vie de mère. Mais elle n'ignore pas le fait de se sentir totalement femme seulement quand
elle a eu aussi la potentialité d'être femme dans le rôle de mère.
o « J'étais devenue si totalement femme que je n'en étais arrivée à être également mère,
la mère indépendante de l'homme qu'elle aime, la mère qui porte en elle l'image de
l'homme qu'elle aime, en chair et on os. Mais pour l'homm e, pour Henry, pour
l'amour de Henry ou de ma propre vie de femme, j'ai tué l'enfant. Pour protéger
Henry, pour être libre, j'ai tué l'enfant. Pour ne pas être abandonnée, j'ai tué l'enfant.
Je ne me suis pas offerte à la terre, j'ai refusé de m'occuper to ute la vie d'un enfant.
J'aime l'homme comme amant et comme créateur. Je n'ai pas confiance en l'homme
comme père. Je ne cris pas en homme comme père. Je me méfie de l'homme comme
père. Je soutiens l'amant et le créateur. En lui, je sens un allié. Dans le père, je sens un
ennemi, un danger. »
Le monologue dans lequel elle caractérise la nature de l'homme qu'elle aime est aussi le
monologue d’une femme qui n'accepte pas une autre nature d’elle -même que celle de femme
libre. On pourrai t dire qu'elle aime da vantage l 'image de cette femme indépendante et aussi la
liberté de vivre ces relations de nature sexuelle de manière plus intime et, en même temps, que le
statut de mère limite ses relations et aussi la capacité d'aimer les hommes, Henry, dans ce cas.
L'amour qui construit sa personnalité, que cette femme préfère n'est pas l'amour maternel,
il reste bien l'amour pour les hommes de sa vie, même si ses relations amoureuses concernent
plusieurs histoires d'amour, avec des hommes différents. La vérité est cel le qu'elle est une artiste
et connaît très bien la réalité que la maternité ne lui paraît un rôle nécessaire, elle sait qu'elle n'est
pas une mère:
o « Mon Dieu, comme je suis heureuse d’avoir rencontré Henry, un génie que je peux
servir et adorer. Quelqu’u n d’assez grand pour utiliser ma force, s’en servir comme
complément. (…) Mariage fécond. Il n’y a aucune fécondité dans mon mariage avec
163
Hugo. Nous ne créons rien. J’aurais dû avoir des enfants mais je suis une artiste pas
une mère »259
Le manque d'intérêt dans le cas d'Anas d'être mère la place dans l'hypostase de ne se
sentir pas femme. Le sentiment de l'appartenance à un homme, ce n'est pas le sentiment de
construire une vie avec son mari, mais bien avec l'amant qui lui donne le sentiment de désir,
d'ado ration. En plus, dans la relation extraconjugale, avec Henry, la femme est libre de créer;
créer une histoire d'amour, vraie, complémentaire, elle a besoin des deux hommes, de Hugo
pour le fait d'avoir l'assurance d'être la femme de quelqu'un et de Henry pour avoir le sentiment
de la liberté de création, du développement spirituel ou sexuel.
Dans Putain, la mère du personnage principal, la mère absente, apparait dès le début
comme une mère qui n’était pas présente dans la vie de sa fille. La fille qui re ssent l'absence
d'une mère pétrifiée dans sa propre douleur est la fille (Nelly) qui écrit un longue monologue
d'existenc e, essayant de retrouver l 'explication pour ce manque d’amour qui l'agace.
o « A bien y penser, j 'ai eu trop de mères, trop de ces modèle s de dévotes réduites à un nom
de remplacement, et p eut- être après tout qu'elles n 'y croyaient pas à leur Dieu si assoiffé
de noms. Enfin pas jusqu'au bout, peut – être cherchaient – elles simplement un prétexte
pour se détacher de leur famille, pour se dég ager de l'acte qui leur a fait voir le jour
comme si Dieu ne savait pas qu'elles venaient de là, d'un père et d'une mère, comme s'il
ne pouvait pas voir ce qu'elles tentaient de cacher derrière leur Jeanne et leur Anne, ce
nom malencontreusement choisi par les parents, j'ai eu trop de ces mères -là et pas assez
la mienne, ma mère qui ne m'appelait pas car elle avait trop à dormir, ma mère qui dans
son sommeil a laissé mon père se charger de moi »260
La mère absente dans Putain devient la mère qui refuse l'ex périence de la maternité dans
le roman Folle . La femme active et indépendante qu'on rencontre dans Folle est la femme qui
prendre décisions en ce qui concerne son corps.
o « il existe des femmes fortes et actives tout le monde le dira, tout le monde en conn aît,
tant mieux pour elles et pour vous qui les connaissez, c'est moi au fond qui suis malade,
259 en ligne, http://www.buzz -littera ire.com/20070827954 -anais -nin-journal -inceste/
260 Nelly Arcan, Putain , Editions du Seuil, 2001, pg. 3
164
qui ne sais pas applaudir, ce que je ne sais pas être, forte et active, et ce n'est pas votre
problème si je regarde le monde depuis le lit de ma mère, depuis le fond de son misérable
sommeil de femme qui attend ce qui n'arrivera jamais, le baiser d'un prince charmant qui
aurait traversé des forêts d'épines pour le rejoindre, qui aurait fait de sa vie un chemin
vers elle, mais il ne viendra jamais car il n'existe pas ou n'a pas voulu d'elle »261
Au cours du récit, le personnage principal est une putain parce que sa mère était absente
et parce qu’elle a dû lutter avec cette image d'une mère immobile, qui attendait toujours quelque
chose. La situation de relation diffi cile, défectueuse (un rapport négatif, plein de frustrations et la
distance qui caractérise cette relation), entre mère et fille appara ît aussi comme source de
malentendus après, dans la vie de cette putain qui gagnera d'argents par rendre des services
sexuels aux hommes inconnus :
o « J'ai eu trop de mères, trop de ces modèles des dévotes réduites à un nom de
remplacement, trop de ces mères -là et pas assez de la mienne, ma mère qui ne
m'appelait pas car elle avait trop à dormir, ma mère qui dans son sommeil a laissé
mon père se charger de moi »262
Les sentiments du pers onnage principal sont contradictoires . Elle sait que ce type
d'activité n'est pas la meilleure pour la vie en société, mais en même temps, elle ne veut pas
cesser de la faire car elle est tout à fait putain en son âme depuis qu’elle est devenue jeune fille.
Au début le lecteur a l 'impression que la narratrice est pleine de haine pour sa mère, mais
à la fin, dans la confession de la narratrice, on apprend que la fille a été beaucoup touchée par
l'existence de sa mère, jusqu'à l 'assimilation de sa mère dans son propre sang, ce qui rend
dramatique l 'existence de la putain; à un moment donne elle se sentira comme sa mère, elle
manger a comme elle, penser comme elle, même si elle ne désire pas être comme elle, la
transformation est imprégnée de l'image de cette mère qui a cessé de lutter et de vivre et a choisi
la mort précoce (le sommeil profond), sommeil profond qui lui a fait oublier que son mari l'a
abandonnée pour des femmes plus jeunes.
261 Nelly Arcan, Putain , Editions du Seuil, 2001, pg. 23
262 Nelly Arcan, op.cit., pg. 9
165
o « j'ai ma mère sur le dos et sur les bras, pendue à mon cou et roulée en boule à mes
pieds, je l'ai de toutes les façons et partout en même temps »263
Dans la recherche de soi – même, la narratrice trouve qu'elle imite exactement le même
modèle de la vie de sa mère:
o « je pense comme ma mère, […] je suis ma mère […] je constate que je dors, mange,
pense comme ma mère, je souffre aussi comme e lle […] être comme sa mère, c' est être
intégralement comme elle […] jusque dans la laideur et dans ce qu'on n’ar rive pas à dire,
jusqu 'à ne plus pouvoir supporter d' être soi – même. »264
Dans le chapitre Question no.14: La maternité est -elle un choix, un destin ou une
fatalité? Mara Goyet essaye de faire une analyse du contrôle des naissances et de l'avortement.
C'est au XIXe siècle, depuis les théories néomalthusiennes du début du XXe siècle, que la
question du contrôle des naissances et de l'avortement est l’un des problèmes signalés par les
féministes. Parce que la maternité est liée aussi à la question du corps, la femme a -t-elle ou non
la liberté de disposer vraiment de son corps?
o « Disposer de son corps, pour une femme, c' est to ut d'abord choisir d'avoir ou non un
enfant. C 'est dissocier la sexualité de la reproduction. L'invention (1951) et la
légalisatio n de la pilule (1965 aux Etats -Unis) bouleversent en profondeur la que stion de
la contraception. Et, grâce aux centres de planning familial, elle ne tarde pas à se
répandre dans les s ociétés protestantes (au sein des quelles la limitation des naissances est
accept ée). Dans les pays de tradition catholique, en raison de l'opprobre qui s'attache à la
question de la limitation des naissances et à la honte qui pèse sur les questions sexuelles,
les débats sur la pilule sont plus timides et discrets. En France, depuis 19 20 un loi
interdisait formellement toute contraception et avortement (…) Enfin, en 1967, la loi
Neuwirth autorisa la contraception sous contrôle médical » 265
A première vue, la question de l’avortement avouée comme telle dans Folle , par Nelly
Arcan, et puis dans Inceste d'Anaïs Nin, nous pose des problèmes, à savoir, accepter la liberté de
263 Nelly Arcan, Putain , Editions du Seuil, 2001, p g. 139
264 ibidem, pg .88-89
265 Mara Goyet, Question no.14: La maternité est – elle un choix, un destin ou une fatalité? dans Le féminisme ,
Editions Plon, Paris, 2007, p g.82
166
la femme de p rendre elle -même la décision d'être mère ou non. D’autre part , on a la mère
radicalement faite pour ses enfants, dans le personnage Dounia d ans Le bonheu r a la queue
glissante , d'Abla Farhoud, une mère qui toute sa vie a préparé de la nourriture pour ses enfants.
Dounia, dans Le bonheur a la queue glissante , reste:
o « la mère patriarcale , décrite par Nicole Brossard, la femme réduite à ne jouer qu'un
simpl e rôle de reproduction et non pas de connaitre le plaisir de la production –
personnelle et/ou artistique. Vivre dans la maison du père, selon la belle expression de
Patricia Smart, c'est, pour Dounia, devoir faire face non seulement à une vie sans lettres ,
au malheur, au sentiment d'emprisonnement, mais aussi à l’impossibilité d'être la mère
qu'elle aurait tant aimé être. (…) Le bonheur a la queue glissante fait le deuil de la mère –
réelle et symbolique. Dounia, femme de chair et de sang, éprouve une hont e terrible de ne
pas avoir protestée, agi, fui, fait quelque chose le jour où les hommes de sa vie l'ont
accablée » 266
Tout ceci nous amène à une réalité qui a engendré de discu ssion. L'avortement familier
clandestin a posé beaucoup de questions à un momen t donné et seulement en France, dans le s
années 1970, le nombre des avortements clandestins est arrivé entre 500.000 et un million par an:
o « les femmes revendiquèrent le droit à l'avortement en raison des dangers que représentait
cette clandestinité. Elle s invoquèrent aussi l'autonomie des femmes: ("Nous avons les
enfants que nous voulons, si nous voulons et quand nous voudrons"). Si certaines
féministes le considéraient comme un drame ou un pis -aller, d'autres, minoritaires, en
firent une condition du res pect de leurs droits, une liberté individuelle »267
Dans Le Nouvel Observateur , en 1971, parut aussi un texte signé par 343 femmes ,
incluant aussi des personnalités comme Catherine Deneuve et Marguerite Duras qui ont reconnu
qu'elles avaient avorté. Ces fem mes réclamaient l'avortement libre, de sorte que le 20 novembre
1971 il y eut une immense manifestation pour réclamer l’avortement gratuit et librement
consenti.
266 La francophonie sans frontière, Une nouvelle cartographie de l’imaginaire au féminin – sous la directio n de Lucie
Lequin et Catherine Mavrikakis, Editions L 'Harmattan, 2001 , pg. 303
267 ibidem, p g.83
167
L'avortement que Nelly Arcan et Anaïs Nin essaye de présenter dans leurs romans,
représente une autre perspective de la liberté de la femme; l'avortement n'est plus une chose
humiliante, silencieuse, se passant dans la honte.
o «Tout un système d'aide aux femmes souhaitant avorter fut mis en place par des
associations telles que le MLAC ( Mouvemen t pour la Liberté de l 'Avortement et de la
Contraception ). Et, en 1975, Simone Veil alors ministre de la Santé, fit voter une loi
autorisant l'interruption volontaire de grossesse dans certaines conditions et pour une
durée de cinq ans. En 1979, son autor isation fut définitive .»268
L'aspect de la liberté de décision est lié à la liberté de l'être. On n'a pas touché l’aspect
religieux de l'avortement, mais on a une certaine image de l'influence historique et de l'attitude
de l'Eglise (quelle que soit la conf ession ) par rapport à ce sujet . Notre recherche n'essaye pas
d'envisager tous les rapports et aspects concernant ce sujet et, de plus, ne se propose pas de faire
une analyse exhaustive. Le terrain de la religion étant trop vaste, on n'au ra pas le temps et
l'expertise nécessaires de démontrer en quoi consiste " le péché" (concept religieux) de
l'avortement.
En ce qui concerne l'ambivalence de cette figure maternelle et les personnages féminins
de ces romans, se trouve à deux pôles opposées: quelques fois el les sone menées par des
sentiments maternels réels, quelquefois elles rejettent l'idée de renoncer à leur vie et à la féminité
et d'être mères absolues:
o « Selon Corloni et Nobili, Médée viendrait représenter un tableau clinique de la mère
filicide (185, C orti, The Myth of Medea , p.16), étant donné qu'Euripide accepte toute
l'ambivalence de cette figure maternelle, à la fois affectueuse et t endre, cruelle et
impitoyable . Ce sera donc la possibilité d' une relation mère – enfant vouée au désastre qui
se décèle dans la Médée d’Euripide, soit la réalisation d'un certain désir négatif . Au fait,
à la source de ce désir subconscient, présent depuis la toute petite enfance, selon Corti,
serait la peur (réprimée ou pas) qu'éprouve l 'enfant envers l'adulte, véritable géant à ses
yeux » 269
268 Mara Goyet, Question no.14: La maternité est – elle un choix, un destin ou une fatalité? dans Le féminisme ,
Editions Plon, Paris, 2007, pg.83
269 Marie Carrièr e, Médée protéiforme , Editions Les Presses de l’Université d' Ot tawa, Canada, 2012, pg.65 -66
168
Le sentiment d'anti maternité tout comme les personnages sont presque similaires avec
les sentiments exprimés par cette Médée d' Euripide qui s’est transformée dans la mère suicidaire
et aussi la mère infanticide. "La transformation" reste comme solution finale à cause de la
solitude et de la dépossession de ses sentiments maternels.
o « Dépossédée et désespérément seule, la Médée d'Euripide s'imprègne toujours dans
la mythopoesis au féminin actuelle. Or, l'acte est si atroce , l'histoir e est si affreuse et
les enfants sont perdus. Peut -on véritablement réduire le geste intenable de Médée à
une seule motivation, à une singulière condition sociale, à une miséricorde
maternelle, à une mélancolie meurtrière et suicidaire, ou encore, à la cul mination d'un
complexe psychologique de persécution subliminal? Bien entendu que non. Les
Médées qui font leur entrée dans l'imaginaire contemporain témoignent de
l'irréductibilité de cette figure mythique pourtant tragique, pourtant humaine, dans sa
poéti que protéiforme »270
On ne peut pas dire que les femmes qui r efusent la maternité sont folles, elles sont plus
lucides que l'on pourrait croire. Les deux personnages d' Anaïs Nin même et aussi le personnage
principal de Folle de Nelly Arcan essayent de peind re une toute autre attitude face à l'infanticide.
L'infanticid e, disons, c’est une autre voie pour la connaissance de soi -même.
La relation mère – fille est très complexe aussi, même dans les romans autobiographiques,
ou qui nous donnent l’impression de l ’être. La relation avec leur filles, quand elle existe, est la
plus complexe de toutes les relations de ces femmes et montre l'inconstance, le regret, la
complexité des sentiments qui se forment dans la vie intérieure de ces femmes.
o « Colère et culpabil ité, désir de fusion et sentiment d'abandon, amour et haine: le lien
mère -fille baigne dans l'ambivalence, et il semble bien que, quelle que soit leur
appartenance nationale, les femmes qui écrivent leur autobiographie ont besoin
d'explorer ce rapport, si décisif pour la quête d'identité et d'autonomie qui est le
moteur de leur récit de vie. A la différence de l'autobiographie masculine, les
autobiographies de femmes sont souvent une tentative pour se mettre au monde et
pour accéder au langage. Difficiles n aissances à soi, elles tournent en rond autour
270 Marie Carrière, Médée protéiforme , op.cit., pg.75
169
d'une blessure originelle, presque toujours rattachée à la mère et à la culture
conservatrice qu'elle s’acharne à inculquer à ses filles. Cette mère négative, dont tout
l'élan maternel semble se borner au dési r d'empêcher la réalisation de soi de son
enfant, est une présence familière dans les pages de la littérature québécoise »271
Les relations entre mères et filles sont assez complexes et difficile à être gérer dans tous
les romans de nos écrivaines. Même si on a des mères absentes, des mères difficiles,
incompréhensibles, ou avec de s troubles identitaires, des mères qui ont renoncé à leur vie pour
pouvoir travailler au sein de leurs familles et d'être des "mères exemplaires" ou des "femmes
exemplaires", des m ères végétatives, des mères seules, abandonnées ou de mères mal comprises,
qui refusent la maternité pour différentes raisons, la dualité mère – fille est aussi une réalité qui
montre le sens de la vie de ses mères et le trauma souffert par les filles.
L'autobiographie et les romans de ces auteurs peuvent constituer aussi un acte de
revanche de tout ce que signifie la relation mère – fille dans son enfance. Analyser ces typologies
de mères, c'est écrire de ces relations et de cette fonction (la maternité), comme elle a bien été
nommée par Luce Irigaray.
o « Selon la théoricienne de l'autobiographie féminine Bella Brodzki, la lutte contre la
mère pour accéder à l'expression de soi est la condition de l'entrée dans l'écriture
autobiographique pour un grand nom bre de femmes:"(La mère) est le pré – texte pour
le proje t autobiographique de la fille.[…] Premier "autre" significatif dans la vie de
l'enfant, elle engendre l a subjectivité par le langage. […] En réponse, le texte de la
fille cherche à rejeter, à rec onstruire ou à se réapproprier (…) le message de la
mère .»272
Les écrivaines démontrent le modèle et l 'image de la mère parfaite à la fois, en
envisageant aussi le portrait de la femme absente ou de la mère incapable d’amour maternel.
271 voir à ce sujet l’important ouvrage de Lori Saint – Martin , Le Nom de la mère. Mères, filles et écriture dans la
littérature québécoise au féminin , apud Patricia Smart, Grandir pauvre à Montréal (1930 -1960): Lise Payette,
France Théoret, Denise Bombardier, Marcelle Brisson, Adèle Lauzon , dans De Marie de l' Incarnation à Nelly
Arcan , Editions Boréal, Montréal, Québec, 2014, p g.333
272 Bella Brodzki, Mothers, Displacement, and Language in the Autobiographies of Nathalie Sarraute and Christa
Woolf , pg.245, 246 apud Patricia Smart, Grandir pauvre à Montréal (1930 -1960): Lise Payette, Fran ce Théoret,
Denise Bombardier, Marcelle Brisson, Adèle Lauzon dans De Marie de l'Incarnation à Nelly Arcan , Editions
Boréa l, Montréal, Québec, 2014, pg. 335
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Acest articol: UNIVERSITE ALEXANDRU IOAN CUZA Ia și, Roumanie [618550] (ID: 618550)
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