Université Babe ș-Bolyai [619395]

Université Babe ș-Bolyai
Facult é des Lettres

Mémoire de licence

Héros ou personnages ?
La problématique du héros dans le théâtre de
Corneille et de Racine

Sous la direction de
Lect. dr. Bugiac Andreea

Étudiante,
Laban Maria

Cluj-Napoca
2017

2 Sommaire

Argument ……………………………………………………………………………… .3

Introduction ……………..……………………………………………… …………… …4

Chapitre I : Le théâtre français pendant la deuxième moitié du XVIIe siècle ou une
nouvelle esthétique classique …………….………………………………………………. .8

1.1. La comédie et la tragédie, deux genres représentatifs du siècle classique……… ..8
1.2. La naissance d’un théâtre politiq ue et de la grandeur…………………………… .10
1.3. La tragédie classiqu e et ses règles………………………………………… ………13
1.4. Corneille et Racine, deux conceptions différentes de la tragédie classique…… ..15

Chap itre II : Le héros cornélien et l’évolution du théâtre cornélien ……………. 24
2.1. Le culte héroïque d e l’honneur………………………………………………… ..24
2.2. Le héros et le devoir d’Etat : une problématiq ue spécifiquement cornélienne… .29
2.3. La relati on entre le héros et la divinité………………………………………… …35

Chapitre III : Des héros ou des victimes de l’amour ? …………….. ……………………. ..41
3.1. Oreste, un véritable héros ou seulement un pion entre l’amour et la fatalité ? …..42
3.2. Une héroïne, symbole d e la fidélité…………………………………………… …49
3.3. Phèdre et Pauline, de véritables héroïnes ?……………………… ……………………… …..56

Conclusion ………………………………………… ……………………………… ……………………….. ..68

Bibliographie ……………………………………………………………. ………… …71

Annexe ………………………… …………………………………………………… …74

3 Argument

J’ai choisi de traiter le sujet Héros ou personnages ? La problématique d u héros
dans le théâtre de Corneille et de Racine ? », menée dans un premier temps par la curiosité
et le désir de mieux connaî tre le théâtre de Corneille et de Racine, que j’a i déjà étudié
pendant ma premiè re année d’étude s à la Faculté des Lettres de l’Un iversité Babe ș-Bolyai .
C’est à ce moment -là que je suis entrée en contact avec le théâtre classique français
et sa conception de l’héroïsme , que j’ai trouvée intrigante pour moi, lectrice du XXIe
siècle . J’ai remarqué que certains éléments oppose nt le thé âtre de Corneille à celui de
Racine, et il m’a semblé intéressant d’étudier précisément ces différences qui séparent
deux univers dramatiques distincts, même s’ils font partie du même courant littéraire, le
classicisme. Mon intuition personnelle était qu’o n pouvait remarqu er une évolution d e la
conception théâtrale d’un auteur à l’autre, en ce qui concerne la condition du héros. Il me
paraissait intéressant de voir comme nt les héros de Corneille f aisaient preuve d’une grande
vertu, d’une supériorité donnée par leur sens élevé de l’honneur et d’une liberté qui
contredisait leur condition « tragique », tandis que les héros de Racine sembl aient plutôt
humains, dominé s par des désirs et victimes de leurs choix.

4 Introduction

La littérature française du XVIIe siècle est marquée par l’existence de deux
dramaturges explosifs, qui vont influencer chacun par son style propre le théâtre classique :
Pierre Corneille et Jean Racine. À travers leurs pièces, ils ont fait le délice du public de
cette époque -là, fût-il un public assoiffé de spectaculaire et de personnages vertueux, ou
d’un public préférant plutôt de verser des larmes. En fonction de la vision de ces deux
auteurs sur la condition humaine, des pièces comme Le Cid, Horace, Polyeucte écrites par
Corn eille, ou Andromaque et Phèdre, écrites par Racine, nous proposent soit des héros qui
sont capable s de faire preuve de vertu et qui suivent le code de l’honneur ou celui du
devoir, soit des hér os qui sont victimes d’un amour -passion.
Mais comment pouvons -nous définir un héros ? Serait -il un demi -dieu ou un
individu qui se distingue par ses exploits ou par son courage extraordinaire,
particulièrement dans le domaine des armes ? C’est la définition canonique du mot, telle
que nous pouvons la lire dans des di ctionnaires comme Le Larousse ou le Littré. Mais est –
ce qu’on pourrait parler encore de héros dans le cas d’un personnage toujours noble, par sa
naissance et son rang, mais plus humanisé, capable de ressentir des émotions plus fortes ?
Et, plus important e ncore, est -ce qu’ il y a encore des héros dans notre époque ? Et s’il y en
a, sont -ils de véritables héros ? Voilà quelques questions qui nous ont servi comme point
de départ pour notre réflexion, qui va se développer dans les pages de ce mémoire.
Pour ce m émoire, je suis partie d’une observation très simple mais, comme nous
allons voir, très riche en ramifications originales. Si toute la bibliographie critique
mentionne l’héroïsme du personnage cornélien, le mot héroïsme n’apparaît jamais dans le
cas du per sonnage racinien. Et même moins de critiques choisissent de développer un
parallèle plus ample entre les personnages cornéliens et les personnages raciniens. Il
conviendra donc de voir si les héros proposés par les ouvrages de Corneille et de Racine
sont o u non de véritables héros. Quelles sont les caractéristiques qui mettent en évidence
leur statut héroïque? Est -ce qu’il y a une évolution qu’on peut saisir d’un personnage à
l’autre, ou du théâtre de Corneille à celui de Racine ? Toutes ces questions peuve nt trouver
réponse en nous plongeant dans la profondeur des pièces de Corneille et de Racine, en
analysant ces personnages, leurs actions, leurs réactions dans les moments critiques de la

5 vie, leur moyen d’agir et de faire preuve de résistance devant un di lemme. C’est ce que je
me propose de faire dans ce qui suit.
Le choix des pièces, dont les héros seront analysés et donnés comme des exemples
cornéliens et raciniens, n'est pas arbitraire. J’ai choisi les ouvres les plus remarquables qui
ont connu un grand succès et qui ont marqué en quelque sorte un tournant dans la carrière
théâtrale du dramaturge.
Ma thèse sera structurée en trois chapitres. Dans chaque chapitre je me suis proposé
de mettre en évidence s’il y a une évolution d’un théâtre à l’autre, d’un personnage à
l’autre et de voir quelles sont les caractéristiques qui font de ces personnages des héros.
Dans le premier chapitre je me focalis erai sur la présentation du contexte dans
lequel sont apparues les œuvres de Corneille et de Racine, c’est -à-dire le XVIIe siècle,
considéré comme l’âge d’or du théâtre en France et dans toute l’Europe. Je mettrai en
évidence quelques caractéristiques du classicisme, un courant qui s’oppose au baroque, et
qui va favoriser la naissance du théâtre classique. Puis j e parlerai de la comédie et la
tragédie, considérées comme deux genres représentatifs du siècle classique. J’exposerai
quelques caractéristiques de la comédie et j’insisterai sur la présentation de la tragédie et
sur son évolution, sur le travail des drama turges pour rendre au théâtre sa dignité d’art
majeur. Il serait intéressant aussi de mettre en évidence la manière dont Richelieu qui,
grand amateur du théâtre, a donné son appui et a soutenu les auteurs dramatiques.
J’argumenterai comment à partir des an nées 1630, Corneille va faire de ses pièces un
miroir dans lequel va se refléter la monarchie de droit divin incarnée par Louis XIII et son
ministre Richelieu. Dans cette période on assiste à la naissance d’un théâtre politique et de
la grandeur. L a plupa rt des héros cornéliens mettent donc en scène les tensions tragiques
qui existent entre la liberté individuelle et le pouvoir royal. Puis, pour mieux comprendre
comment fonctionne la tragédie classique, je présenterai brièvement ses règles esthétiques
et j’examinerai la manière dont les auteurs s’y rapportent et se positionnent par rapport à
elles. Or Corneille et Racine semblent avoir une vision différente de la tragédie classique.
Après une brève incursion dans la biographie de Corneille et sur Racine, je me propose
d’étudier les grandes directions thématiques de leur œuvre dramatique, pour voir s’il y a
une évolution d’une pièce à l’autre. Notre point de départ est l’observation d’une certaine
évolution du personnage tragique qui se donne à voir du Cid jusqu’à Polyeucte , en passant
par Horace et Cinna ; or l’évolution du personnage qui se fait de Corneille à Racine est
encore plus spectaculaire. Racine renouvelle le genre tragique, car il substitue à la tragédie

6 héroïque de Corneille une tragédie plus huma ine, fondée sur l'analyse des passions et de
l'amour.
Dans le deuxième chapitre, je voudrais partir d’une définition du mot « héros » en
suivant son étymologie. Le mot « héros » est souvent associé à un personnage
exceptionnel, qui fait preuve des valeurs hautes. Pour voir si cette définition s’applique
dans le cas des personnages tragiques classiques, je me rapporterai surtout aux personnages
de Corneille : Rodrigue, Horace et Polyeucte. L’héroïsme est associé tout d’abord à un
rang social élevé : les pers onnages héroïques appartiennent souvent à la noblesse ou même
à la royauté, chose qu’on peut voir surtout chez Corneille. La notion d’honneur joue un
rôle très important dans ses œuvres. L’exemple le plus représentatif constitue celui de
Rodrigue que Corn eille place devant un dilemme entre obéir son père et sauver son
honneur et aimer et ne trahir pas son amour pour Chimène. Mais, comme l’honneur vient
se placer au -dessus tout dans l’œuvre de Corneille, je mettrai en évidence comment le
héros, un véritable chevalier, en se situant entre son amour et son devoir de fils, finit par
écouter la voix du sang et tue le père de sa bien -aimée pour venger l’honneur de son propre
père. À son tour, Chimène, en assumant son devoir filial, va se trouver elle aussi dans u n
dilemme cornélien. Le sens de l’honneur prime chez Corneille, tandis que l’amour prend
une seconde place. Il est important de suivre aussi la relation du héros avec l’État. Dans
une pièce comme Horace, la politique joue un rôle fondamental, ce qu’à premi ère vue on
ne pourrait pas affirmer sur les œuvres de Racine, où l’amour est celui qui prime.
Contrairement à une idée reçue, la politique joue un rôle important aussi dans les pièces de
Racine. Ce qui est pourtant évident, c’est que les personnages cornél iens, contrairement
aux personnages raciniens, affirment dans une certaine mesure leur liberté : ils n’acceptent
pas une condition inferieure, une place inferieure dans l’ordre féodal. Par exemple, le
destin personnel d’Horace va se mêler a la destinée de Rome et il va devenir un « héros
d’État », ce qui marque une évolution du personnage par rapport au Cid. Polyeucte va
encore plus loin, en suivant une nouvelle direction, celle du rapport entre le héros et la
divinité. Dans ce contexte, il sera peut -être i ntéressant de voir dans quel sens on peut parler
encore de héros tragique, les actions de Polyeucte exposant elles aussi cette liberté qui
caractérise tous les héros cornéliens.
Le troisième chapitre sera axé sur les personnages raciniens et leurs similar ités ou,
par contre, leurs différences par rapport aux personnages cornéliens. Pendant la seconde
moitié du XVIIe siècle, on assiste à un changement en ce qui concerne l’intérêt du public,

7 qui exige des sujets amoureux, des émotions plus fortes et des per sonnages plus humains
que celles de Corneille. Racine va répondre à cette exigence, en proposant un théâtre de la
passion. Si l’accent tragique tombe par conséquent moins sur la politique et plus sur
l’amour, il est intéressant de s’interroger si on pourra encore de parler de héros raciniens,
surtout dans le contexte où les personnages de Racine sont dominés par une passion
incontrôlable et la nécessite d’aimer et d’être aimés. De plus, l’idée de fatalité marque le
destin des personnages, surtout celui d’Or este, qui représente à mon avis un exemple
parfait de personnage tragique. Essayant à tout prix de bénéficier de l’amour d’Hermione,
Oreste va devenir un pion de vengeance dans les mains de la princesse grecque, la
« victime d’un destin funeste ». Or ce h éros, si nous le pouvons encore le nommer de cette
façon, finit par sombrer dans une crise d’identité, qui l’emportera à la folie.
Ce dernier chapitre se veut une étude comparative, attentive aux textes. J’analyserai
dans un premier temps les éléments qui opposent Pauline, l’héroïne de Corneille et
Phèdre, celle de Racine. Pour ne pas me disperser, je choisirai surtout de me rapporter,
dans mon parallèle, à la manière dont les deux personnages féminins se rapportent à l’idée
d’amour, de mariage et de fami lle. Les aveux que les personnages font à leurs confidents,
et la question de la présence ou, par contre, de l’absence de la culpabilité m’aideront à
trouver à la fois des points communs entre les deux personnages de même que des
différences qui mettent en évidence une évolution de la sensibilité théâtrale au 17e siècle.
Pour synthétiser, le but de ma thèse sera donc de mettre en évidence une possible
évolution du personnage dans le cas de deux grands dramaturges classiques français. J’ai
l’intention de m ettre en évidence comment le théâtre de Corneille met l’accent sur les
problèmes qui concernent le principe de l’honneur, la dévotion envers l’État et le problème
de la foi, tandis que celui de Racine place l’accent sur l’idée de la passion comme une
force incontrôlable devant laquelle toute force de liberté est annihilée .

8 Chapitre I

Le théâtre français pendant la deuxième moitié du XVIIe siècle
ou une nouvelle esthétique classique

Dans ce chapitre, je me suis proposé de me focaliser sur la période qui a constitué
l’âge d’or du théâtre en France et dans toute l’Europe, c’est à dire le XVIIe siècle et ses
principaux représentants dans le contexte de la tragédie classique.
Cette époque a triomph é surtout avec les œuvres de Molière, Corneille et Racine en
France, et avec celles de Shakespeare en Angleterre. Le XVIIe siècle représente un temps
de grande créativité , qui semble marqué par l'évolution d'un état de désordre vers un ordre
rigoureux, dans tous les domaines. C’est surtout dans le domai ne politique qu’on peut
observer le passage de l'autorité royale, encore contestée par la Fronde, à la monarchie de
Louis XIV . Cette évolution, nous pouvons la constater aussi dans le domaine de l’ art, les
excès de l’esthétique baroque conduiront à une réaction de refu s et à la naissance d’une
nouvelle esthétique – le classicisme – qui va s’instaurer en France à partir de 1640.
Le courant classique s’oppose sous de nombreux aspects au courant baroque.
Tandis que le baroque est soumis au désordre, à la folie et à l’excès , l’esthétique classique
privilégie les règles et les régularités. Tandis que l’homme baroque est tourmenté par ses
inquiétudes et ses passions violentes, dans le classicisme on promeut l’idéal de l’homme
raisonnable, qui va être maître de soi -même et de s es passions. L’accent tombe sur le
naturel et le vraisemblable, car on rejette l’artificiel et la fantaisie. Le courant classique se
caractérise par la primauté de la raison sur la passion et met l’accent sur la clarté et la
rigueur. Par la rigueur qu’il propose, le classicisme s’impose comme une remise en ordre,
qui va connaître son développement avec la régence et le pouvoir absolutiste de Louis
XIV.
1.1. La comédie et la tragédie, deux genres représentatifs du siècle
classique
Le XVIIe siècle en Fran ce est souvent considéré comme le siècle du théâtre ,
dominé par trois noms célèbres : Corneille et Racine qui se sont dédié s à la tragédie ,
et Molière qui s’est consacr é à la comédie .

9 En ce qui concerne la comédie, celle -ci connaît à l’époque une évoluti on dans le
contexte de la littérature française. Molière, qui est considéré comme son plus illustre
représentant, renouvelle le genre en profondeur. Il faut préciser que ce genre théâtral existe
depuis l’Antiquité et qu’une bonne partie des pièces trouvent leur inspiration dans des
œuvres anciennes et du Moyen Âge, mais aussi du théâtre italien et de la commedia
dell’arte . La première fonction de la comédie est de déclencher le rire aux spectateurs.
Mais il faut préciser que pendant ce siècle, la comédie de vient aussi une arme pour
dénoncer les abus et les immoralités de la société. À travers ses comédies satiriques,
Molière expose ainsi les ridicules en critiquant certains éléments de la société de son
temps: les mariages qui étaient forcés, les abus d’auto rité, l’hypocrisie du peuple, etc. C’est
pourquoi l’autre but de la comédie est de rendre le public conscient de certains
comportements humains et sociaux : elle permet de montrer les défauts des hommes et les
abus de certaines catégories sociales. On peut donc se rendre compte que la comédie est un
genre qui provoquera des controverses dans le cadre littéraire de la seconde moitié du
XVIIe siècle.
Pour ce qui est de la tragédie, avant de commencer mon analyse, il convient de jeter
un bref regard historique sur la naissance du théâtre et de la tragédie. Le théâtre naît en
Grèce, à l’occasion des cérémonies religieuses organisées dans l’honneur de Dionysos au
VIe siècle av. J.C. Au Moyen -âge, dominent surtout en France les farces et les miracles ; la
tragédie , après un bref moment d’explosion de la tragédie avec des grands dramaturges
humanistes comme Etienne Jodelle ou Robert Garnier, connaîtra à la fin du 16e siècle une
période de déclin. Toutefois, comme Dominique Moncond'huy et Yvonne Casal le
mentionnent, à partir du « milieu des années 1620 [on] peut percevo ir le souci d’un
renouvellement, d’une rénovation même, du théâtre, et il n’est pas fortuit que les premiers
grands débats qui ouvrent à ce que sera la dramaturgie régulière apparaissent et se
développent dès cette époque »1. Ainsi, pendant les années 162 0-1630, les dramaturges
vont déposer un travail de réhabilitation et de promotion du théâtre, art qu’ils aiment et
qu’ils pratiquent. Pour cela, les théoriciens et les dramaturges vont montrer beaucoup
d’intérêt pour les époques dans lesquelles ces spectac les n’étaient pas objet de mépris, mais
respectés et placés au cœur de la vie de la cité. Je parle surtout des spectacles de la Grèce
ancienne et, dans une moindre mesure, de la Rome antique, quand ont été jouées des

1 Dominique Moncond'huy et Yvonne Casal , L’Illusion comique et Le Cid de Corneille , Paris, Allande, 2002,
p. 30.

10 tragédies et des comédies qui ont susci té l’admiration du peuple. Or ces représentations ont
fait l’objet d’une analyse d’un ouvrage presque contemporain de l’époque de leur
production : la Poétique d’Aristote. C’est donc dans cet ouvrage, ainsi que dans l’Art
poétique du poète latin Horace, qu e les dramaturges vont e spérer trouver les moyens pour
rendre au théâtre la dignité d’art majeur. Pour cela, ils vont bénéficier de l’appui du
cardinal de Richelieu, le premier ministre de Louis XIII, qui soutiendra ces spectacles dans
un but surtout polit ique, son intention étant de faire de la France un pays de haute culture
capable de dominer toute l’Europe. Ainsi, le théâtre classique naît en France à partir de
1635, surtout grâce à l’intérêt montré par Richelieu : « véritablement passionné de
théâtre », « il met tout en œuvre dans les années 1630, pour faire évoluer la vie théâtrale
parisienne »2. Pour réaliser son objectif, « il convient d’avoir à l’esprit que l’essor et la
rénovation du théâtre contribuent aussi, dans l’esprit du Cardinal, à l’affirm ation d’une
culture française moderne »3. Cette évolution du théâtre se fait dans une époque où on
réaffirme l’importance des genres littéraires, surtout de la tragédie, qui figure depuis
l’Antiquité. Il faut mentionner aussi que Richelieu avait l’intenti on d’utiliser le théâtre
comme un outil politique. Il devient un protecteur des artistes et crée l’Académie française
pour profiter de leurs talents, ayant toujours l’intention de célébrer l’absolutisme et le roi.
Pour que sa démarche culturelle prenne pla ce et porte des fruits, le Cardinal, grand amateur
de théâtre, va commander des pièces à quelques auteurs de renom, dont il conçoit lui –
même les intrigues (qui mettent en scène l’affrontement entre l’individu et l’État) et va
soutenir le renouveau de la tr agédie, « car il s’agit assurément de confirmer la dignité du
théâtre et de la faire produire des œuvres susceptibles de rivaliser avec les grandes
modèles antiques»4.
1.2. La naissance d’un théâtre politique et de la grandeur
De grands auteurs comme Co rneille et Racine, mais aussi des théoriciens comme
Boileau, reprennent les sources aristotéliciennes et définissent les règles rendant le théâtre
propre à instruire et à émouvoir le spectateur. À partir des années 1630, Corneille va faire
de ses pièces u n miroir dans lequel va se refléter la monarchie de droit divin incarnée par

2 Ibidem , p. 34.
3 Ibidem.
4 Ibidem , p. 35.

11 Louis XIII et son ministre Richelieu. C’est surtout l’une des pièces écrites par Corneille,
Le Cid , qui rappelle la situation politique extérieure de la France, mais aussi les ré formes
politiques menées par Richelieu sur le plan intérieur. Dans Le Cid , le contexte
sociopolitique de la France monarchique des années 1630 est explicitement mis en scène.
Mais dans cette œuvre, on observe que l’autorité royale est, dans une certaine me sure,
détournée, car Rodrigue part combattre contre les Maures sans recourir à l’autorité royale.5
Le roi n’est pas reconnu par les nobles que comme le premier des gentilshommes (nous
avons ici l’exemple du comte qui affirme que « Pour grands que soient le s Rois, ils sont ce
que nous sommes »6). Pour ces personnages et pour la noblesse, c’est premièrement la
gloire personnelle qui importe et non la défense de la royauté.
La plupart des héros cornéliens mettent en scène les tensions tragiques qui existent
entre la liberté individuelle et le pouvoir royal. On constate que Polyeucte n’a pas
l’intention d’obéir à l’empereur, mais il préfère se convertir et mourir en martyr chrétien.
On rencontre un cas similaire chez Camille qui nous fait voir qu’elle préfère être tuée par
son frère plutôt que d’obéir aux lois romaines.
La tragédie jouait un rôle très important dans la vie de la Cité, chose qui n’a pas été
oubliée par les dramaturges du XVIIe siècle. Pour Aristote, auteur de La Poétique, la
tragéd ie est:

L'imitation d'une action grave, entière, étendue jusqu'à un certain point, par un discours
revêtu de divers agréments, accompagné dans ses diverses parties de formes dramatiques,
et non par un simple récit, qui, en excitant la terreur et la pitié s admet ce que ces sentiments
ont de pénible7.

Cette définition est complétée par l’idée selon laquelle l’action tragique doit être
exécutée par « des personnages agissant» conformément à leur rang, et caractérisés par

5 « Sous moi donc cette troupe s'avance » (v. 1258), Pierre Corneille , Le Cid (tragi -comédie), [1637], avec
des notes explicatives, questionnaires, bilans, documents et parcours thématique établis par Hubert Carrier,
Paris , Hachette, 1991. p. 96. Toutes les références ultérieures à cette pièce se rapporteront à cette édition.
6 Ibidem , (v. 156), p. 19.
7 Aristote, Poétique , traduction française par Ch. Batteux, Paris, Imprimerie et Librairie Classiques, 1874,
p. 10.

12 « leurs mœurs et par leur pensée » qui font leur « bonheur » ou leur « malheur »8. Dans son
ouvrage intitulé La tragédie classique en France , Jacques Truchet mentionne que:

tous les théoriciens s’accordent à exiger de ce genre de théâtre qu’ils mettent en scène de
très hauts personnages, r ois et grands seigneurs, et ils ajoutent volontiers que ces personnes
« illustres » doivent être impliquées dans des aventures soulevant « quelque grand intérêt
d’État ».9

C’est de cette exigence que dépend selon Corneille la dignité de la tragédie. Tru chet
rappelle aussi que dans la préface de Bérénice , Racine veut « que l’action en soit grande,
que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y
ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout la plaisir de la tragédie ».10 De plus, on
peut observer que dans la tragédie classique, l’homme ne lutte plus contre les d ieux, mais il
est ce héros qui est partagé entre son devoir et ses passions. Ce qui est tragique chez les
héros de Corneille, c’est le fait qu’ils osc illent entre leurs sentiments personnels et leur
devoir d'État, chose qu’on peut observer surtout dans la pièce Horace . Corneille est celui
qui apporte la gloire aux valeurs morales de l’aristocratie et dans ses œuvres il met en
scène des rois vertueux. Le s pièces de Racine mettront en scène des héros qui, même s'ils
sont puissants, luttent en vain contre la fatalité du sentiment d’un amour impossibl e : c’est
le cas de Pyrrhus, d’Hermione et d’Oreste dans Andromaque , mais aussi de Phèdre dans la
pièce épony me.
Depuis ses origines, la tragédie présentait une fonction morale et didactique, car
elle présentait au public des héros qui connaissaient un destin hors du commun, qui se
confrontaient avec leur propre destin ou à leurs propres oscillations. Elle pose donc le
problème du rapport de l’individu à la liberté et au pouvoir, entre son honneur et ses
sentiments personnels. Vu tous ces attributs, le théâtre se présente comme un « miroir du
monde ».

8 Ibidem , p. 10 -11.
9 Jacques Truchet, La tragédie classique en France, Paris, Presses Universitaires de France, 1975 , p. 21.
10 Jean Racine, « Préface », Bérénice ( tragédie), [1670], avec une Notice biographique, une Notice historique
et littérai re, un Lexique, des notes explicatives, une Documentation thématique, des Jugements, un
Questionnaire et des Sujets de devoirs, par Léon Lejealle , Sorbonne, Larousse, 1971, p. 27.

13 1.3. La tragédie classique et ses règles

On évoque souvent les règles de la tragédie classique, mais comment ont-elles été
instaurées ?
La première réponse que je peux apporter est le fait que « la littérature a l’ambition
d’égaler ou de dépasser les chefs -d’œuvre antiques ou italiens et, pour y parvenir, elle
cherche des règles »11. Ainsi, les intellectuels ont repris et ont interprété le texte fondateur,
de la Poétique d’Aristote, qui analyse les règles de composition de la tragédie grecque.
Jacques Truchet affirme que « Les trois unités ne constituaient pas à e lles seules les règles
du théâtre; les théoriciens connaissent beaucoup d’autres […] – celles que le seront
ultérieurement, touchant la vraisemblance, les bienséances, le langage […] »12. En France,
la tragédie classique repose sur trois règles, règles qui ont été théorisées par les
dramaturges à partir des années 1630 : la règle des trois unités, la règle des bienséances, la
règle de vraisemblance.
Une règle représentative du théâtre classique est la règle des trois unités. Son but
est de créer une coh érence au niveau de l’action et des personnages.
En ce qui concerne cette règle Boileau écrit dans son Art poétique que :

Nous voulons qu’avec art l’action se ménage
Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli13.

Dans le théâtre classique une pièce doit avoir une seule action principale (unité
d'action), se déroulant dans un même lieu (unité de lieu), et dans l'espace d'un seul jour
(unité de temps). Donc, l’action doit se dérouler dans un lieu unique ; ainsi, on peut éviter
tout changement de lieu et de décors. Plusieurs fois, dans la tragédie, ce lieu unique
apparait comme l’antichambre d’un palais, qui peut être traversé par plusieurs
personnages.

11 Jacques Scherer, La dramaturgie classique en France , Paris, Librai rie Nizet, 1986, p. 111.
12 Jacques Truchet, La tragédie classique en France , op. cit., p. 26.
13 Nicolas Boileau, L'Art poétique , avec des notes explicatives, littéraires et philosophiques, par G.H.F. de
Castres, revue et corrige par A. Klautzsch, Leipz ig, C.A. Koch, Librairie, 1874, Chant III, p. 37.

14 En ce qui concerne l’unité de temps, elle repose sur l’ idée que « le déroulement de
l’action ne doit pas excéder vingt -quatre heures; il doit être continu à l’intérieur de chacun
des actes, ce qui implique une constante liaison des scènes »14. Donc, la durée de l’action
ne doit pas dépasser 24 heures, et tout d oit être réglé pendant une journée.
L’intérêt des dramaturges classiques tombe sur le travail de développer seulement
une seule action. Il faut avoir une intrigue unique, qui doit être construite autour d’une
action principale. En cas d’actions secondaire s, elles doivent être rattachées à l’intrigue
principale. Il faut éviter de multiplier les intrigues secondaires car le spectateur doit
concentrer toute son attention sur l’intrique essentielle de la tragédie. Ainsi, Corneille a été
critiqué et même accusé d’avoir multiplié les actions secondaires dans Le Cid , surtout dans
le cas des les intrigues amoureuses, car il présente des histoires d’amour non réciproque
entre Rodrigue et l’Infa nte mais aussi entre Chimène et Don Sanche . Contrairement à
Corneille, Ra cine présente dans son œuvre Bérénice une action très simple car il y a très
peu d’éléments secondaires qui interviennent.
La notion de vraisemblance est selon Schere r « une exigence intellectuelle ; elle
demande une certaine cohérence entre les éléments de la pièce de théâtre, elle proscrit
l’absurde et l’arbitraire, ou du moins ce que le public considère comme tel »15. Donc cette
règle requiert une action vraie, sans être nécessairement réaliste. Il ne s’agit pas d’imiter la
réalité, fût -elle historique ou culturelle, mais de créer toutes les conditions pour que les
actions des personnages soient crédibles pour le public. Selon Racine cette règle est « la
seule chose qui touche dans la tragédie », tandis que Corneille croit que :

Ce n’est pas qu’on ne puisse faire une tragédie d’un sujet purement vraisemblable […] ;
mais les grands sujets qui remuent fortement les passions, et en opposent l’impétuosité aux
lois du devoir ou aux tendresses du sang, doivent toujours aller au -delà du vraisemblable16.

Sur la notion de bienséance, Jacques Scherer écrit qu’elle « est une exigence
morale; elle demande que la pièce de théâtre ne choque pas les goûts, les idées morales, ou,
si l’on veut, les préjugés du public »17. On peut observer dans les tragédies de l’époqu e

14 Jacques Morel, Racine en toutes lettres , Paris, Éditions Bordas, 1992, p. 42.
15 Jacques Scherer, La dramaturgie classique en France, op.cit., p. 383.
16 Pierre Corneille, Trois discours sur le poème d ramatique , L. Fo restier éd., Paris, S.E.D.E.S., 1963, p. 36.
17 Jacques Scherer, La dramaturgie classique en France, op.cit., p. 383.

15 que toute forme d’intimité physique et de violence (y compris les scènes de la mort) est
exclue de la scène ; elle doit se dérouler hors scène. On le voit aisément dans une pièce
comme celle de Racine, Andromaque . Même si la pièce présente un assassinat et un
suicide, le spectateur ne voit pas de sang. Dans Phèdre , la mort d’Hippolyte étant très
violente, elle n'est pas montrée sur scène mais racontée par Théramène dans le dernier acte.
Ce souci d’ordre moral correspond à l’évolution de la société. « Les “mœurs ” des
personnages devront évidemment être à la fois vraisemblables et bienséantes ».18 À cette
liste de règles, il est nécessaire d’ajouter qu’une pièce de théâtre doit avoir une exposition,
un nœud et un dénouement. Au fond une tragédie est construit e en cinq actes et elle est
écrite en alexandrins dans un même registre. Aussi l’œuvre classique doit -elle répondre
aux deux grandes finalités : plaire et instruire.

1.4. Corneille et Racine, deux concept ions différentes de la tragédie
classique

Pierre C orneille est né à Rouen le 6 juin 1606. Il fait partie d’une famille de
magistrats, étant le fils d’un « maître des Eaux et Forêts »19 . Il a fait des études chez les
jésuites de Rouen, qui lui ont fait enseigner la rhétorique, étant aussi familiarisés avec
l’écriture. Les Jésuites « dotent également leurs élèves d’une culture commune, touchant
l’histoire, la “fable“ (entendons: la mythologie) et la religion, d’une culture qui contribue à
modeler et à fixer »20. Après le collège, il a étudié le droit pour ne pas déplaire à ses
parents, obtenant à partir de 1628 deux charges d’avocat du roi. Mais toute cela sans
vocation , car il abandonna très vite le droit pour se consacrer à l’écriture, même si au début
rien ne paraît le prédisposer à s’occuper de théâtre, c ar « se lancer dans la composition
d’une pièce de théâtre à la fin des années 1620 ne pouvait être pour le jeune Corneille
qu’un divertissement passager et de peu de conséquence »21.
La société française du XVIIe siècle éta it fortement hiérarchisée et nous pouvons
observer cette tendance aussi en ce qui concerne la littérature. Pierre Corneille débute sa

18 Ibidem .
19 Dominique Moncond'huy et Yvonne Casal , L’Illusion comique et Le Cid de Corneille, op.cit., p. 37.
20 Ibidem.
21 Ibidem, p. 38.

16 carrière théâtrale en 1929 avec Mélite , qui est au fond une comédie . Il appartient à une
génération des écrivains qui « vont progressivement réorienter le théâtre contemporain, le
faire sortir des premières décennies du siècle, […] pour l’acheminer vers ce que la tradition
académique a désigné comme le théâtre classique »22. Tandis que les autres poètes qui font
partie de sa génération écrivaient seulement d es pastorales et des tragi -comédies, car la
tragédie et la comédie connaissaient une certaine perte d’intérêt depuis quelques années,
Corneille, à travers son œuvre Mélite , transpose dans un cadre « comique » un modèle
d'intrigue issu de la pastorale. Cette pièce a connu un immense succès et Corneille devient
un auteur considéré supérieur aux autres auteurs tragiques renommés de l’époque.
Corneille, étant encouragé par ce succès, renoncera au droit pour se dédier à l’art d’écrire.
Après cette première réuss ite, Corneille écrira entre les années 1630 et 1633, Clitandre ,
puis La Veuve , La Galerie du Palais , La Suivante et aussi La Place Royale (représentant le
nom de l’endroit le plus fréquenté de l’époque).
Les succès des pièces de Corneille ont attiré l’att ention de Richelieu (un homme
passionné par le théâtre) qui lui propose de composer à côté de quatre auteurs des pièces
selon son goût. Ayant des problèmes financiers (car il devait s’occuper de sa famille après
la mort de son père), Corneille accepte cet te charge du Cardinal. Richelieu commanda
plusieurs pièces (appelées « Les Pièces des Cinq Auteurs ») et les fit représenter devant le
Roi, Louis XIII et la Cour.
Pendant les années 1634 -1635, Corneille fait jouer au théâtre de Marais la pièce
Médée , une tragédie inspirée du mythe grec de la sorcière, qui a connu un succès
respectable et qui fait éclater le génie de l’auteur. Il compose aussi L'Illusion comique ,
comédie qui presente l'allégorie du théâtre du monde. Sur ces débuts théâtraux de
Corneille, Dominique Moncond'huy et Yvonne Casal affirment qu’

[en] 1635, au moment de la création de L’Illusion comique , Corneille est déjà un auteur
confirmé qui si l’on excepte sa première tragi -comédie, Clitandre , et ses « excès »
romanesque, a pris sa part dans l’évolution du théâtre « moderne » vers plus de régular ité
et a fortement contribué au renouveau des genres, en particulier la comédie23.

22 Ibidem , p. 29.
23 Ibidem , p. 42.

17 Toutefois, à partir du moment que Corneille applique quelques modifications à une
pièce commandée par le Cardinal, celui -ci lui retira sa collaboration. C’est le moment où
Corneille décide de quitter Paris et montre le désir d’abandonner sa vocation de poète.
Mais grâce à une rencontre avec le secrétaire de Marie de Médicis, il change d’avis, car ce
secrétaire lui donne l’idée de s’inspirer du théâtre espagnol, surtout des œu vres de Guillén
de Castro. À partir de cette œuvre, il compose sa première grande pièce, Le Cid .
Le Cid marque son triomphe, mais suscite aussi une grande et mémorable querelle .
L’œuvre apparaît comme une tragi -comédie romanesque, dont l’action met l’ac cent sur
une intrigue amoureuse qui p résente des amours contrarié s, et qui est aussi reliée au sujet
politique. Le Cid développe une action complexe, marquée par l’irrégularité. Corneille sera
pourtant accusé de plagiat et de ne pas avoir respecté tout ce qui constitue l’idéal classique
au théâtre : les règles de la vraisemblance et de la bienséance, et aussi celle des trois unités .
Les adversaires de l’auteur, surtout pendant la querelle du Cid, condamnent l’attitude de
Chimène, car l’héroïne accept e de re cevoir le meurtrier de son père . « Dans sa version
première, Le Cid se présente comme une tragi -comédie; à compter de 1648, Corneille
désigne sa pièce comme une tragédie »24. De ce point de vue, cette œuvre est encore une
tragédie encore imparfaite. Le publ ic de la première moitié du XVIIe siècle est un public
cultivé, très attentif aux problèmes politiques, car « ils reconnaissent dans les héros de la
tragédie les modèles ou les anti -modèles de la philosophie politique »25. L’action du Cid
tend à mettre en évidence la politique de Richelieu qui fait des démarches pour renforcer le
pouvoir royal et de le transformer en pouvoir absolu. « Le Cid met en jeu des relations
fortes entre le Roi et le sujet particulier qu’est le héros défenseur de l’État »26. Dans cet te
pièce les héros montrent leur puissance face au pouvoir central qui s’affirme, sans tenir
compte de leur volonté. Dans un article consacré à Corneille, Michel Delon note que
« dans ce monde de la cour et de la monarchie absolue, les personnages cornélie ns
semblent encombrants et déplacés: ils parlent mal et s’occupent trop du pouvoir»27.

24 Ibidem , p. 71.
25 Michel Prigent, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille , Paris, Presses Universitaires de
France , 1986 , p. 3.
26 Dominique Moncond' huy et Yvonne Casal , L’Illusion comique et Le Cid de Corneille , op.cit. , p. 86.
27 Michel Delon, « Corneille dans l’Histoire », in Europe, dossier: « Corneille », n0 540 -541, avril -mai,
1974 , p. 34.

18 Il y a une évolution du tragique chez Corneille. On passe de sa première grande
pièce, considérée encore comme une tragédie imparfaite ( Le Cid ), à sa première tragédie
historique et romaine, représentée par Horace , dans laquelle l’auteur ajoute à la liaison
d’amour existante, des liens de sang. La tragédie parfaite est illustrée par Polyeucte où la
problématique amoureuse est centr ée sur une problématique politique compliq uée par des
liens de sang.
« Lorsque Horace paraît en 1640, c’est un nouveau monde cornélien qui se
découvre à nous »28 écrit Robert Brasillach. La pièce présente deux familles alliées qui
appartiennent à deux nations en guerre, où « le conflit entre Rome et Albe devient […]
conflit entre Horace et Curiace, conflit à l’intérieur même des couples d’époux et
d’amants, conflit dans l’esprit et le cœur des individus aussi »29. Donc, on a ici des frères
provenant de deux familles rivales (les Horaces et les Curia ces) qui doivent combattre pour
la suprématie politique, même si les deux familles sont unies par des liens de sang. Dans
cette pièce, le héros ne poursuit pas son idéal familial, mais un idéal politique, supérieur,
celui de la Raison d’État, qui « exige le sacrifice absolu des liens de la nature et de
l’amour »30.
En 1641, Corneille présentera la pièce Cinna qui va connaître un nouveau grand
succès, suivie en 1643 par la tragédie sacrée Polyeucte , qui montre la relation entre le
héros et la divinité. L’act ion de cette œuvre est liée à l’existence d’un pouvoir
transcendantal, qui domine le personnage tragique : Dieu. « Le Dieu de Polyeucte répond
trop exactement aux expériences métaphysiques de l’héroïsme […]. Le tragique de
Polyeucte est celui de l’adéquat ion du héros à Dieu »31.
On peut retrouver chez les personnages cornéliens un conflit intérieur, car ils
oscillent entre leurs intérêts politiques et leurs désirs, leurs sentiments plus intimes, ce qui
fait naître un conflit entre l’amour et la morale. Ils doivent choisir une partie et ce choix
exige toujours un sacrifice. Par exemple Polyeucte est partagé entre sa femme et sa foi,
mais on peut voir ce conflit même chez les personnages féminins : Pauline est déchirée
entre l’amour pour son amant Sévère et l e devoir d’épouse vers Polyeucte. Le héros veut
« échapper au monde pour s’identifier à l’image de sa propre perfection au -delà des

28 Robert Brasillach, Pierre Corneille , Paris, Fayard, 1943, p. 159.
29 Michel Delon, « Corneille dans l’Histoire », op.cit., p. 60.
30 Michel Prigent, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, op.cit., p. 48.
31 Ibidem , p. 74.

19 vicissitudes de l’histoire »32. Polyeucte désire sa mort, étant convaincu que son martyre
sera un exemple pour les autres . Il est prêt à mourir si c’est la seule modalité de prouver sa
foi. Le theatre de Corneille est centre donc sur l’affirmation de la liberté de l’homme.
Ces quatre pièces , Le Cid, Horace , Cinna et Polyeucte sont considérées comme les
chefs -d’œuvre de Corneille. Après ces pièces il a écrit le Menteur , considérée comme l’une
des meilleures comédies qui soient apparues sur la scène du théâtre de l’époque. Corneille
reviendra par la suite à la tragédie, en mettant en scène des tragédies comme Rodogune ,
princesse des Parthes (1644), Théodore , vierge et martyre (1645), Héraclius , empereur
d'Orient (1646), Andromède (1650), Don Sanche d'Aragon (1649) ou Nicomède (1651).
Pendant la période qui suit Corneille renonce pour un instant au théâtre et se consacre à la
traduction en vers de L'Imitation de Jésus -Christ. En 1659 il y revient avec Œdipe , puis La
Conquête de la Toison d'Or (1660), Othon (1664), Agésilas (1666), Attila (1667) et Tite et
Bérénice (1670).
Corneille va continuer à se consacrer au théâtre, étant protégé par Louis XIV.
Pourtant, pendant cette période commence à s’affirmer sur la scène du théâtre français un
jeune dramaturge moins connu. Il s’agit de Racine, qui gagne désormais l’intérêt du public.
En 1670, entre les deux auteurs commence à se sentir une rivalité, car ils p ublient tous les
deux des pièces sur le même sujet antique. Racine trouvera son triomphe avec la pièce
Bérénice , tandis que Corneille perdra peu à peu son succès avec Tite et Bérénice . Corneille
connaîtra peu à peu une période de déclin ; ses deux dernièr es créations, Pulchérie (1672)
et Suréna (1674) sont des échecs qui le font renoncer à son activité de dramaturge. Il meurt
à Paris le 1er octobre 1684.

Quant à Jean Racine, il est né à La Ferté -Milon en 1639. À l’âge de trois ans il reste
orphelin, car i l perd successivement sa mère et son père. Il est élevé par sa grand -mère
paternelle et va passer son enfance dans un milieu fort dévot où il est souvent question des
Solitaires de Port -Royal. Le jeune Racine est envoyé à Port -Royal dont il fréquentera les
Petites -Écoles. Ses maîtres, qui ont vu en lui un homme exceptionnel, vont s’occuper
spécialement de ses études. Grâce aux Jansénistes il apprend le grec, mais surtout il reçoit
une éducation religieuse. Ses études finies, le jeune Racine hésite entre une carrière
littéraire à Paris et une carrière ecclésiastique en province, mais il décide de suivre la voie
de l’écriture lorsqu’un de ses poèmes est remarqué et obtient une gratification royale.

32 Ibidem .

20 Quand Racine écrit ses premières tragédies, Louis XIV, appelé le « Roi-Soleil », est
le monarque absolu. Dès 1661, année quand commence son régence personnel, il
commence les premières démarches pour lier sa monarchie au monde des lettres et aux
beaux -arts et va mener une politique de prestige pour donner à sa perso nne et à son État
français une image de grandeur. La langue française va devenir pour un demi -siècle la
langue de l’aristocratie européenne, tandis que la cour de France, établie à Versailles, va
devenir un modèle à imiter. Il va faire venir à sa cour des artistes qui vont composer des
œuvres pour lui, et la plupart d’entre eux servent à célébrer sa gloire. C’est pendant cette
époque que les grandes œuvres de Racine s’affirment. Avec l’intérêt montré par le roi pour
les arts, on assiste à une évolution du p ublic qui devient plus cultivé et sensible que celui
de Corneille.
Pour mieux comprendre l’écriture racinienne et la peinture de ses héros, il est
nécessaire de parler de sa relation avec les Jansénistes. Le XVIIe siècle montre un intérêt
pour la grandeur de l'homme. Contrairement à Corneille qui, comme on le sait, a été élève
des Jésuites et a cru toujours dans une volonté héroïque (le héros est capable de faire
preuve de sa liberté pour s'affirmer et triompher face au destin), dans le théâtre de Racine,
la fatalité est sans cesse présente. Le pessimisme janséniste se fait ressentir chez Racine,
car ses héros sont dominés par sentiment de culpabilité face à Dieu. Ses études ont
influencé sa vision sur la condition humaine, en considérant l’homme comme un e sclave
face à ses passions et sa faiblesse. L'homme est dominé par des forces qui semblent le
dépasser , et tous ses efforts pour dépasser cette fatalité sont inutiles. Jean Rohou affirme
sur les tragédies de Racine qu’elles sont « des compositions poétique s disposées de façon à
produire des effets affectifs, esthétiques et intellectuels, à partir de personnages et
d’évènements fictifs »33. Racine s'affirme plutôt comme un poète de la passion, ses
tragédies possédant une grande dimension spirituelle. L’amour est au centre du théâtre de
Racine et il déclenche tous les conflits tantôt intérieurs qu’extérieurs de ses héros. Truchet
affirme lui aussi que « c’est à Racine qu’il appartenait de porter à sa perfection cette
tradition d’un théâtre […] d’amour, mais da ns lequel l’amour est mis en jugement ou
frappé d’interdit »34.
Dès qu’il arrive à Paris, en 1659, Racine commence à fréquenter les milieux de
l’aristocratie et aussi les cercles littéraires et écrit ses premières tragédies. Il présente, mais

33 Jean Rohou, Avez -vu lu Racine ?, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 13.
34 Jacques Truchet, La tragédie classique en France, op.cit., p. 86.

21 sans gr and succès, une première tragédie, La Thébaïde , puis il continue avec la pièce
Alexandre qui le rend vraiment connu. En 1667 « Racine est bien en cour : la gratification
royale ne cesse d’augmenter d’année en année »35. Cette année, Andromaque lui apporte l a
gloire. Le succès de la pièce suscite la curiosité du public parisien. Avec cette œuvre,
l'auteur respecte les cadres de la tragédie classique. Les sujets de ses pièces sont largement
empruntés à la mythologie grecque, et c’est le cas aussi d’ Andromaque , comme celui de
Phèdre . L'argument de la pièce présente des triangles amoureux, étant en effet une tragédie
où l’amour est au premier plan, mais toujours accompagné par l’idée de vengeance et de la
passion qui porte au malheur: Oreste aime Hermione, qui à son tour aime Pyrrhus. Mais
Pyrrhus aime Andromaque, qui aime encore le souvenir de son mari, Hector , en décidant
de lui rester fidèle. Avec cette œuvre Racine renouvelle le genre tragique car il substitue à
la tragédie héroïque proposait par Corneille une tragédie plutôt humaine, fondée sur
l'analyse des passions et de l'amour . Chez Racine, Andromaque, la veuve d'Hector et la
mère d'Astyanax se trouve placée entre deux devoirs : rester fidèle à la mémoire de son
époux et en même temps sauver son fils des mains de Pyrrhus.
En 1669 Racine compose Britannicus, pièce suivie en 1670 par la grande tragédie
Bérénice , écrite à la demande de la Princesse Henriette d'Angleterre. À partir de ce
moment commencera une concurrence entre Jean Racine et Pierre Cornei lle. Morel écrit
que :

C’est à Corneille que Racine règle son compte avec Britannicus et Bérénice . Il s’agit de
deux tragédies à sujet romains, où le dramaturge, à lire ses préfaces, a su se montrer plus
simple dans la conduite, plus vraisemblable dans l ’évocation des passions et plus
respectueux de l’histoire dans la peinture des sentiments et des actions que l’auteur de La
Mort de Pompée […]36.

À travers son héroïne, Racine a su émouvoir, chose qui a attiré le public de cette
période -là. En 1672, il com pose Bajaz et et en 1673 Mithridate, qui connaît un grand
succès. Suit en 1674 Iphigénie , avec laquelle l’auteur revient à la tragédie mytholog ique.
Cette même année, grâce à son activité dramatique qui lui a apporté nom et fortune, il est
élu à l’Académie française.

35 Jacques Morel, Racine en toutes lettres, op.cit ., p. 14.
36 Ibidem , p. 17.

22 En 1677, il compose la célèbre tragédie Phèdre , avec laquelle il met en scène un
des thèmes fondamentaux de la culture du siècle, c’est -à-dire le conflit entre raison et
passion. Phèdre est un exemple parfait de la tragédie classique. En s’appuyant sur la source
de la mythologie grecque, la pièce présente l’amour condamnable de Phèdre pour son
beau -fils, Hippolyte, qui aime à son tou r une autre femme, Aricie. La passion porteuse à la
mort y se présente violente et inadmissible, car elle nous présente l’idée d’inceste. Les
héros semblent lutter contre leur destin, oscillant toujours entre l’espoir et le désespoir, ce
qui les conduit à des angoisses, des malheurs et finalement à la mort. Même si sa pièce a
connu un immense succès, elle a été fortement critiquée à cause de son dénouement.
Après Phèdre, Racine décide de se retire du théâtre, se marie, et devient
historiographe du roi. Qu and il recommence à écrire, il compose encore deux tragédies
bibliques, Esther et Athalie , qui connaîtront un bon succès auprès du Roi. Mais sa d ernière
pièce est vite devenue sujet aux mauvaises critiques. Racine abandonne de nouveau sa
carrière au théâtr e. Il est mort à Paris le 21 avril 1699, et selon sa volonté, il est enterré à
Port-Royal des Champs.

Au XVIIe siècle la tragédie était considéré le genre littéraire plus noble en France,
qui pendant le siècle a connu une période de développement mais aus si de liberté créatrice
grâce aux œuvre s de Corneille et d’une période de maturité caractérisée par l’équilibre et
l’intégration des règles, grâce aux œuvre s de Racine. Car la tragédie doit obéir aux règles
de trois unités, elle doit aussi tenir compte de la vraisemblance et de la bienséance. Tandis
que Corneille a toujours essayé de dépasser ou de réinventer les règles d’Aristote, pour
Racine elles sont vues comme les conditions nécessaires . Racine ne manque jamais de
peindre dans ses pièces le thème de l’amour, qui de la jalousie et qui porte aux
condamnations de ses héros , tandis que les pièces de Corneille sont marquées par l’idée
d’hon neur et de volonté. Corneille a créé des tragédies où il surprend la glorification de la
grandeur de l'individu, le devoir de l’individu envers l’État et envers sa famille (comme
dans le cas du Cid), un héros qui ne poursuit pas son idéal familial, mais un idéal
politique, supérieur, celui de la Raison d’État (comme dans le cas d’ Horace ). Avec
Polyeucte , Corneille surprendra l a relation entre le héros et la divinité, portant vers un
conflit intérieur, car le héros oscille entre son intérêt politique et so n désir d’affirmes sa
foi. Quant à Racine, on a vu que pour lui la principale règle est de plaire et de toucher : il
crée donc des héros avec lesquels on peut s’identifier et qui nous provoquent des larmes.

23 Alors que le héros cornélien sort vainqueur face à son destin et même face à la mort, le
héros racinien se présente condamné, car son conflit devient tragique parce que le destin
devient fatalité. L’idée de fatalité est toujours liée à la pa ssion. La passion porte à la mort
et le héros ne peut ni échapper aux résultats de ses actes : il suffit de voir surtout l’exemple
de Phèdre. Comme on le sait déjà, Corneille emprunte ses sujets à l’Histoire, et présente
des héros avec des destins exceptio nnels. Racine, au contraire, emprunte les sources pour
ses pièces à la mythologie avec l’intention de les rendre plus vraisemblables et plus
touchantes.

24 Chapitre II

Le héros cornélien et l’évolution du théâtre cornélien

Si on suit l’étymologie du mot « héros », on va voir qu’il s’agit d’un nom formé à
partir d’un mot grec, mais aussi à partir d’un mot latin : d’une part « herôs » en grec
désigne un demi -dieu ou tout homme élevé au rang de demi -dieu, d’autre part « héros » en
latin désigne un demi -dieu, m ais aussi un homme de grande valeur. « D'après son
étymologie, ce mot désigne donc un personnage exceptionnel, au -dessus de l'humanité
ordinaire. »37
Au cœur du temps, le héros dépasse son rang de demi -dieu et peu à peu s’humanise,
arrivant à être, dans la tragédie, un être hors du commun soit par son pouvoir et sa
condition sociale ou politique, soit par la grandeur de ses qualités, ses vices mai aussi son
malheur.
Dans leurs œuvres, Corneille et Racine mettent l'accent sur la figure du héros, en
analysan t son intérieur, son essence et présentant d’une manière directe ou indirecte tous
ses états, toutes ses oscillations, les faiblesses et les forces dont ils font preuve, mais aussi
leur soumission au mal.

2.1. Le culte héroïque de l’honneur

« L’héroïsme caractérise la noblesse ou la royauté. Il intègre plusieurs notions
d’une manière disparate : celle d’honneur et de vertu, de constance et de volonté, de
maitrise de soi et de grandeur d’âme, de générosité et de gloire »38. La société française
sous Louis XIII est une société d’ordres et de fidélités. En fonction de préceptes se
constitue le théâtre de Corneille, un théâtre de l’honneur, de la gloire, de la suprématie et
de la liberté de l’individu.
L’idée de l’honneur est suivie surtout dans l’œuvre la plu s admirée et critiquée à la
fois – Le Cid . L’œuvre qui raconte d’une part l’histoire d’amour contrarié de Rodrigue et

37 Entrée « héros », in Le Trésor de la Langue Française , version informatisée, URL :
http://www.cnrtl.fr/etymologie/h%C3%A9ros , site consulté le 24 mars 2017.
38 Michel Prigent, Le héros et l’Etat dans la tragéd ie de Pierre Corneille, op. cit., p. 35.

25 Chimène à la cour du roi d’Espagne, met aussi en évidence, d’autre part, le code de
l’honneur auquel le héros principal doit obéir. Selon l’éthique féodale, autour de laquelle
les héros doivent donner naissance à leurs actions, l’honneur vient se placer au -dessus de
tout. C’est ainsi que le thème de l’honneur est omniprésent tout au long de la pièce. Le
héros cornélien est marqué par cette « condition » qui domine, en devenant, dans une
certaine mesure, une sorte de « victime» du dilemme cornélien. Le dilemme apparaît
surtout quand le héros se place entre deux choses importantes pour lui et se trouve obligé
de faire un choix. Le héros corné lien a des devoirs envers son pays, sa famille et ses liens
du sang, mais aussi envers la femme qu’il l’aime. C’est dans cette position qu’on peut voir
Rodrigue, car il oscille entre son devoir d’obéir à son père et le désir de ne trahir pas son
amour, inc arné dans la figure de Chimène.
Don Rodrigue et don Sanche, jeunes seigneurs de la cour du Fernand, roi de
Castille en 1033, aiment tous les deux Chimène, fille de D. Gomès, comte de Gormas.
Chimène à son tour aime Rodrigue. Le père de Rodrigue doit demand er à D. Gomès la
main de sa fille, pour l’épouser avec son fils Rodrigue. Le Comte et Don Diègue devient
rivaux au moment où le roi vient de nommer le père de Rodrigue gouverneur. Dès l’acte 1,
scène 3, une dispute va commencer entre eux, car D. Diègue dit à D. Gomès que s’il n’a
pas été nommé gouverneur du prince, c’est qu’il n’était pas digne de ce haut emploi, car
«Qui n’a pu l’obtenir ne le méritait pas»39 (v. 225) . D. Gomès ne peut contenir sa colère, et
lui donne un soufflet. Le vieillard met l’épée à la main pour venger son affront; mais étant
accablé par son âge, sa force le trahit et il est désarmé. Il ressent un sentiment du
déshonneur et dès que l’honneur est perdu, le devoir n’a plus de sens :

Et mourir sans vengeance, ou vivre dans la honte?
Comte, sois de mon prince à présent gouverneur :
Ce haut rang n’admet point un homme sans honneur…40 (v. 250 -252)

Alors il fait appel à son fils et lui demande de le venger . La mort du Comte sera
l’épreuve initiatique de l’héroïsme de Rodrigue. Comme Prig ent affirme « […] Rodrigue
est un “homme de cœur” (v. 30) et le Comte reconnaît aisément en lui “la valeur de son

39 Pierre Corneille, Le Cid , op.cit., p. 22.
40 Ibidem, p. 24.

26 père” (v. 33) ».41 Rodrigue apparaît donc comme un chevalier. Il fait preuve des vertus
morales et des qualités physiques dignes d'un grand se igneur destiné à devenir, à l'âge
adulte, un leader invincible. « Tous les termes de l’héroïsme sont employés à propos de
Rodrigue : “passion”, “devoir”, “ardeur”, “magnanime”, “vertu” »42. De ce point de vue il
est un «chevalier parfait»43, un chevalier ir réprochable, qui s’avère et est reconnu même
par le Comte comme un adversaire digne de lui et de l’amour de sa fille.
Le héros est destiné à la logique du sang: en se situant entre son amour et son
devoir de fils, il finit par écouter la voix du sang et tu e le père de son amour:

Va contre un arrogant éprouver ton courage
Ce n’est que dans le sang qu’on lève un tel outrage
Meurs ou tue. […]44 (v. 273 -275)

Au moment où il apprend qu’il doit venger l’honneur de don père, Rodrigue va se
trouver dans un d ilemme. Tandis que dans sa conscience son père représente la
réhabilitation de l’honneur, sa maîtresse représente l’amour; l’une le rend indigne (s’il ne
respecte pas le devoir face à son père), l’autre le rend malheureux (car il va perdre
Chimène):

Père, maîtresse , honneur, amour,
Noble et dure contrainte, aimable tyrannie,
Tous mes plaisirs sont morts, ou ma gloire ternie.
L’un me rend malheureux, l’autre indigne du jour.45 (v. 311 -314)

Il fait preuve de conscience et réalise qu’en vengeant s on père, il va perdre
Chimène. Dans son monologue il dit: «Il faut venger un père, et perdre une maîtresse»46 (v.
303). Il est très lucide quand il affirme les mots suivants : «Je dois à ma maîtresse aussi

41 Michel Prigent, Le héros et l’Etat dans la tragédie de Pierre Corneille, op.cit., p. 36.
42 Ibidem, p. 39.
43 Ibidem.
44 Pierre Corneille, Le Cid , op. cit., p. 26.
45 Ibidem, p. 29.
46 Ibidem .

27 bien qu’à mon père»47 (v. 322) . Maintenant il se tr ouve dans une impasse. Pour un moment
il croit que le suicide est la seul solution pour sa situation:

Mourons du moins sans offenser Chimène
Mourir sans tirer ma raison
Rechercher un trépas si mortel à ma gloire
Endurer que l’Espagne impute à ma mémoire
D’avoir mal soutenu l’honneur de ma maison.48 (v. 330 -334)

Il réfléchit et après un instant il trouve cette solution du suicide irra tionnelle. En
essayant de fuir devant son devoir, sans rendre honneur à son père et aussi à lui -même
signi fie mourir inutilement, attitude qui n’est pas digne d’un chevalier. C’est le moment où
il se décide de prendre la décision qui lui semble la plus juste :

Oui, mon esprit s’était déçu
Je dois tout à mon père avant qu’à ma maitresse
Que je meure eu comba t, ou meure de tristesse,
Je rendrai mon sang pur comme je l’ai reçu.49 (v. 341 -344)

Dans cet ordre d’idées, Rodrigue va affronter les contraintes de la nature et les
devoirs de l’amour. Même si la loi du sang a été respectée, Prigent affirme que Rodrigu e
n’est pas un héros, car « il doit affronter Chimène : les règles du tribunal succèdent à celles
du duel »50 . Dès que le Comte est mort en duel, Chimène se trouve elle aussi dans le
même dilemme que Rodrigue. Même si elle est une femme, elle a elle aus si un devoir
filial envers son père. Par le fait que l’honneur de son père a été compromis, car Rodrigue
lui a donné la mort, elle doit le venger, elle affirme que «son sang sur la poussière écrivait
mon devoir»51 (v. 676) . Pour sortir de la situation dés honorable dans laquelle se trouve

47 Ibidem, p. 30.
48 Ibidem , p. 30.
49 Ibidem , p. 31.
50 Michel Prigent, Le héros et l’Etat dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 40.
51 Pierre Corneille, Le Cid, op. cit., p. 55.

28 maintenant sa famille, elle cherche la justice et l’aide du roi, en faisant appel aux attributs
et qualités de son père défunt :

Ce sang qui tant de fois garantit vos murailles,
Ce sang qui tant de fois vous gagna des b atailles,
Ce sang qui tout sorti fume encore de courroux
De se voir répandu pour d'autres que pour vous.52 (v. 661 -664)

Suivant le principe chevaleresque «sang par le sang », la seule solution pour se
venger est de voir l’homme qu’elle aime m ort. Donc le sort de Rodrigue est maintenant
dans les mains de Chimène. La femme devient son juge, comme Rodrigue affirme à un
moment donné:

Je cherche le trépas après l’avoir donné.
Mon juge est mon amour, mon juge est ma Chimène :
Je mérite la mort de mériter sa haine.53 (v. 752 -754)

Par la vengeance les deux personnages se libèrent d’une dette de sang à laquelle ils
doivent se plier. Mais cette vengeance est, comme affirme Prigent, «aussi tragique que
négative. Tragique car elle soumet la volonté à l’extériorité. Négative car elle tourne
l’action du héros vers la destruction de l’autre, alors que l’héroïsme doit être – Auguste et
Polyeucte le montreront – un mouvement de conversion des autres»54.
Ainsi, suivre l’honneur ou suivre l’amour est la gra nde question qui s’impose dans
l’âme de ces deux héros de Corneille. Comme nous avons vu dans Le Cid l’honneur est
celle qui prime et cause un conflit psychologique intense chez les personnages qui doivent
faire des choix qui ne sont pas guidés par le cœur , toujours en sacrifiant quelque chose.
Rodrigue et Chimène ne seront libres que lorsqu’ils auront acquitté leur dette envers leurs
pères.

52 Ibidem, p. 55.
53 Ibidem, p. 61.
54 Michel Prigent, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 37.

29 2.2. Le héros et le devoir d’ État : une problématique
spécifiquement cornélienne

Le théâtre de Corneille présente très souvent des problèmes qui visent la politique,
étant toujours lié à l’idée de devoir envers l’ État. Notons que « Corneille refuse de séparer
la politique de la tragédie, ou la tragédie de la politique »55, chose qu’on peut observer non
seulement dans Le Cid , mais aussi, avec plus grande intensité, dans sa pièce
Horace. « L’État, forme historique du pouvoir, est donc un élément constitutif de la
tragédie »56. La tragédie naît comme le résultat d’un affrontement entre la grandeur de
l’héros et celle de l’État.
Quant au héros proposé par le théâtre de Racine, Anna Ambroze affirme que
« désormais, au héros triomphant dans sa vertu et dans sa gloire, il [Racine] préfère la
victime secrètement gémissante, enchainée par ses instincts; au dévouement soumis, le
désir jaloux s’attachant à la personne aimée comme à une proie »57. Racine propose l’idée
de l’amour, un amour malheureux qui conduit à la vengeance, et qui finit par la mort. La
politique ne joue pas un rôle très important dans le théâtre de Racine, comm e dans celui de
Corneille. Dans des œuvres, comme Phèdre ou Andromaque , l’amour prime et l’intrigue
politique ne sert qu’à donner simplement un masque à des hommes qui sont conduits par
leurs passions. On a surtout l’exemple d’Oreste. Il est l'ambassadeur de Grèce auprès de
Pyrrhus. Il vient en Épire pour deux missions: l’une d’ordre politique, car il y vient pour
demander à Pyrrhus de livrer aux Grecs le fils d'Hector vu comme un danger pour la Grèce
s’il va venger son père et tous les Troyens, et l’autre d’ordre amoureux, qui annule donc le
devoir politique, car pour lui revoir Hermione est plus impor tante :

Heureux, si je pouvais dans l’ardeur qui me presse,
Au lieu d’Astyanax lui ravir ma princesse!58 (v. 93-94)

55 Ibidem, p. 9.
56 Ibidem, p. 8.
57 Ana Ambroze, Racine poète du sacrifice , Paris, A. G. Nizet, 1970, p. 49.
58 Jean Racine, Andromaque, tragédie, [1667], édi tion présentée par Ann e Moussier, Paris, Nathan, 2008,
p. 28.

30 La même situation pour Pyrrhus. Il a le devoir de protéger sa patrie, mais à
l'intérieur l'amour d'Andromaque domine. Il est prêt à rompre le mariage avec Hermione, y
compris l’alliance avec les Grecs, pour l’amour d’Andromaque. Il s’agit en fait d’une
fausse politique, car « la politi que n’est donc plus considérée ici comme une langue
fallacieux, qui servirait simplement de truchement aux passions »59.
Deux théâtres qui appartiennent à des grands auteurs tout à fait distincts, qui nous
offrent avec leurs pièces des visions distinctes da ns la peinture des leurs héros. « Dans la
vision de l’héroïsme et des aspirations sublimes où excelle Corneille, le patriotisme rigide
et inhumain d’Horace, l’exaltation d’une vertu qui sombre dans le fanatisme, auraient été
peu du goût de Racine »60.
L'act ion d' Horace reproduit dans une certaine mesure l'action du Cid. Comme on
sait Le Cid présente un crime au nom de l’honneur, mais aussi une action héroïque
entreprise par le Cid au moment où l’État est en péril. L’ État est sauvé par Rodrigue et le
roi (qu i veille pour l’ordre politique et social) lui pardonne la désobéissance (au moment
du duel) en lui offrant le mariage avec Chimène. Mais à la différence de l’action du Cid,
celle d’Horace présente elle aussi un acte pour sauver l’État, mais un qui précè de le crime
de sang. Cette pièce, dédiée au cardinal de Richelieu, a été écrite en réponse aux
contradicteurs du Cid , car la pièce nous dessine un personnage plus audacieux et plus
complexe que Rodrigue surtout parce que Horace sacrifie son ami et tue auss i sa sœur
Camille.
La pièce met en scène deux familles unies par de liens d’amour et de sang: la
famille romaine d’Horace et celle albaine , de Curiace. Horace est marié à Sabine, jeune
fille albaine et son frère Curiace est fiancé à Camille, sœur d'Horace . Mais cette
« harmonie familiale » est rompue dès qu’une guerre fratricide éclate entre les deux villes,
Rome et Albe. Dès que Curiace apprend qu’il doit combattre contre les Horaces, il affirme:

Dis-lui [au roi d’Albe] que l’amitié, l’alliance et l’amou r
Ne pourront empêcher que les trois Curiaces
Ne servent leur pays contre les trois Horaces61. (v. 418 -420)

59 Alain Niderst, Racine et la tragédie classique , Paris, Press Universitaires de France, 1978, p. 68.
60 Ana Ambroze, Racine poète du sacrifice , op. cit ., p. 92.
61 Pierre Corneille, Horace (trag édie), [1640], avec une notice biographique, une notice littéraire et des notes
explicatives, par René Vaub ourdolle, Paris, Hachette, 1935 , p. 26. Toutes les références ultérieures à cette
pièce se rapporteront à cette édition .

31 Rien ne peut empêcher qu’ils servent leur patrie : ni l’amitié, ni l’alliance entre
familles, ni l’amour. Lors de la scène 3 (acte II) on peut obser ver les «valeurs» qui
distinguent Curiace d’Horace. Curiace semble souffrir parce qu’il a été choisi pour
combattre contre Horace:

Que désormais le ciel, les enfers et la terre
Unissent leurs fureurs à nous faire la guerre
Que les hommes, les Dieux, les démons et le sort
Préparent contre nous un général effort62. (v. 423 -426)

Il souffre et est contrarié par le sort qui lui est destiné, mais il doit faire son devoir.
Horace d’autre part semble fier d’avoir l’occasion de se manifester avec éclat et s’affi rmer:

Le sort qui de l’honneur nous ouvre la barrière
Offre à notre constance une illustre matière […] (v. 431 -432)

Combattre un ennemi pour le salut de tous […] (v. 437)

Mourir pour le pays est un si digne sort,63 (v. 441)

Pour notre héros la chance de recevoir une telle charge, qui va assurer la gloire de
l’État, va jusqu’au besoin de supprimer tous ses autres sentiments, y compris les liens
familiaux :

Attaquer une partie qui prend pour défenseur
Le frère d’une femme et l’amant d’une sœur,
En rompant tous ces nœuds, s’armer pour sa patrie.64 (v. 445 -447)

De plus Horace se laisse emporter par l’exaltation guerrière et patriotique, en
affirmant qu’il ne connaît pas Curiace65. Curiace se place à l’autre pôle, car il affirme que
c’est surtout le fait qu’il connait Horace qui lui provoque le malheur, la souffrance66.

62 Ibidem .
63 Ibidem .
64 Ibidem.

32 Dévouement et sacrifice sont les hautes valeurs civiques dont font preuve Horace
et Curiace. Horace est plus du côté de l’idée de fidélité vers sa patrie, vers son État,
considéré com me sacré, dévalorisant tous les autres sentiments, tandis que Curiace se place
du côté des émotions et des sentiments, car il est plus hésitant et exprime sa révolte et sa
souffrance. « Curiace plaide pour les droits de l’humanité contre le sacrifice d’ État »67, écrit
Michel Prigent. Il continue aussi à affirmer que «le tragique d’Horace est un tragique de la
coïncidence entre le héros et l’ État, [tandis que] le tragique de Curiace est un tragique de la
confrontation entre la nature et l’histoire »68. Mais si Curiace se présente comme un
« héros de la nature », plus sentimental, qui regrette les douceurs du passé, Horace se
présente donc comme un « héros de l’histoire» qui rêve à un avenir glorieux. « Le tragique
d’Horace est un tragique de l’absolu au sens où le héros défait un à un tous ses liens avec
le monde, rompt un à un tous les nœuds de la sensibilité »69.
La question de l’honneur se préfigure aussi dans Horace . On a vu que dans Le
Cid cette idée est toujours liée aux liens filiaux, aux liens du sang. Ic i elle apparaît liée à la
notion d’ État70, comme une sorte d’excuse face aux actions des personnages, surtout de
celles d’Horace et de Curiace. Dans la scène 4 de l’acte II, Horace annonce Camille qu’il
doit combattre Curiace et lui dit :

Et si par mon tré pas il retourne vainqueur,
Ne le recevez point en meurtrier d’un frère
Mais en homme d’honneur qui fait ce qu’il doit faire,
Qui sert bien son pays […]71. (v. 518 -520)

Tandis que Curiace et Camille sont horrifiés par la cruauté de la situation, Horace,
encouragé par son père, le vieil Horace, montre de l’enthousiasme vers son devoir de
défendre l’honneur de Rome. Horace « refuse d’être le sujet de Curiace, et refuse que

65 «Albe vous a nommé, je ne vous connois plus» (v. 502), Ibidem , p. 27.
66 « Je vous connois encore, et c’est ce qui me tue » (v. 503), Ibidem.
67 Michel Prigent, Le héros et l’Etat dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 50.
68 Ibidem.
69 Ibidem, p. 53.
70 «Puis nous irons ensemble où l’honneur nous appelle» (v. 532), Pierre Corneille, Horace, op. cit. , p. 29.
71 Ibidem, p. 28.

33 Rome soit sujet d’Albe ». Il sera « l’employé de Rome »72, la logique de la raison d’ État
étant une créature de l’héroïsme. Il n’accepte pas une condition inferieure, une place
inferieure dans l’ordre féodal. L’idée d’ordre est ici essentielle, car Horace accède au statut
de héros seulement par le sacrifice de l'amour et de la nature à l'État. Le dilemme auquel il
se confronte lui impose à faire un choix: fuir ou rester et combattre. Pour lui, combattre
pour Rome est un devoir «saint et sacré»73. Le fait d’être désigné fait que son destin
personnel se mêle à la destinée de Rome. Il n’est plus Horace, il est « un héros d’ État »74,
il est Rome. Il accepte à sacrifier l’amour et la nature à l’ État, chose qui s’oppose à
Rodrigue qui « sacrifiait momentanément l’amour à la nature [et] Chimène à Don Diègue,
les sens au sang »75. Rodrigue est celui qui donne naissance à l’ État en tuant le Comte et en
chassant les Mores. Par son seul mérite le Cid a donné à don Fernand le pouvoir.
Après la défaite d'Albe, Horace est appréci é par l es habitants de Rome. Il cherche
aussi l’admiration de sa sœur pour sa vic toire:

Ma sœur, voici le bras qui venge nos deux frères,
Le bras qui rompt les cours de nos destins contraires
Qui nous rend maitres d’Albe […]76 (v. 1251 -1253)

Horace commence par un défi à la douleur de Camille. En réponse celle -ci
commence un autre défi à l'honneur d'Horace. Elle préfère de pleurer son amant, Curiace,
car ses larmes sont ce qu’elle lui doit et elle lui reproche le meurtre de son Curiace.
Camille voit en Horace un ''barbare'', un ''tigre altéré de sang'', un être inhumain. Mais ,
pour elle maudire Horace ne suffit pas. Il faut maudire Rome, donc elle affirme :

Rome l’unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient mon bras d’immoler mon amant !
Rome qui t’a vu naitre, et que ton cœur adore !

72 Michel Prigent, Le héros et l’Etat dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 49.
73 « Ce droit saint et sacre rompt toute autre lien.
Rome a choisi mon bras, je n’y examine rien » (v. 497 -498), Pierre Corneille, Horace, op. cit., p. 28.

74 Michel Prigent, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 47.
75 Ibidem , p. 48.
76 Pierre Corneille, Horace, op. cit., p. 48.

34 Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore!77 (v. 1301 -1304)

Camille choisit l’amour, elle fait le choix inverse de son frère, condamnant ainsi
Rome et l’idée même de patrie. Dès ce moment Camille est considérée par Horace comme
une « indigne sœur». « Camille vivante et proclaman t ses valeurs représente un scandale
pour Horace. Albe vivante représente un scandale pour Rome »78. Le héros, conduit par
«l’étatisme» tue ainsi sa sœur. Dans ce moment Camille devient une « victime d’ État»79.
Horace accède au statut d’héros par le sacrific e de la nature et de l’amour à l’ État.
Dans le procès qui suit le vieil Horace plaide en faveur de son fils en affirmant qu’il
a tué par patriotisme. « Horace est un étape, une épreuve dans la genèse du héros »80. On a
vu dans Le Cid que même si l’ordre f amilial fait passer Rodrigue par un combat
douloureux, il est en fait une action de libération et d’espérance. Dans Horace l’ordre
familial est sacrifié « à la logique héroïque relayée par la raison d’ État »81. À la différence
du crime de Rodrigue qui est u n crime pour l'honneur, le crime d'Horace est pour la gloire
de l’ État. Rodrigue est sauvé par Chimène avant d’être absous par le roi, don Fernand,
tandis qu’Horace est sauvé par cette force supérieure. Il reçoit le pardon de Tulle après
avoir été condamné par Camille. Il l’abolit du meurtre de sa sœur en faisant valoir sa
gloire, ses choix hors du commun au -dessus de son crime:

Vis donc, Horace, vis, guerrier trop magnanime
Ta vertu met ta gloire au -dessus de ton crime,
Sa chaleur généreuse a produit ton forfait82 (v. 1759 -1760).

Dès ce moment il doit vivre pour servir l’ État, car il est déclaré vainqueur,
champion de Rome. Le héros cornélien incarne donc la typologie du conquérant: il aspire à
dominer le monde. Le héros racinien est un éternel prisonnie r de ses passions amoureuses.
Le héros cornélien est souvent surpris à transgresser une norme: on sait que Rodrigue

77 Ibidem, p. 49.
78 Michel Prigent, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 46.
79 Ibidem, p. 47.
80 Ibidem, p. 55.
81 Ibidem.
82 Pierre Corneille, Horace, op. cit., p. 61.

35 désobéit au roi en se battant en duel avec le Comte. Polyeucte désobéit à l’empereur,
Décie, au moment où il se convertit au christianisme. Il sait qu’il a des devoirs politiques,
mais ces devoirs ne sont que l’image d’un autre ordre où Dieu est le suzerain.83 Quant à
Horace, il tue sa sœur, il commet un fratricide. En ne respectant pas l’ordre initial, les
héros arrivent à construire un autr e nouveau , plus prestigieux comme: l’alliance de
l’honneur et de l’amour dans Le Cid , la suprématie de Rome dans Horace , la conversion
d’un empire, dans Polyeucte . Mais tous les héros semblent obéir à une valeur supérieure:
Rodrigue aux lois de l’honn eur, Polyeucte à Dieu et Horace à l’idée de patrioti sme, à la
raison d’ État.

2.3. La relation entre le héros et la divinité

Du Cid à Cinna , en passant par Horace on peut remarquer un mouvement
ascendant du théâtre de Corneille. Prigent affirme que «de même qu’Horace déplaçait le
problème de la famille ( le Cid ) vers l’ État (Cinna ), de même Auguste, par les conditions
privilégiées de son salut, déplace l’interrogation héroïque de l’ État vers Dieu »84. Ce
dernier déplacement est celui qui continue avec l’œuvre Polyeucte. Le héros va dépasser la
nature de sa condition et va faire un don à la volonté divine. Dans la conception de Serge
Doubrovsky le héros doit entreprendre un effort suprême « pour se récupérer au -delà de
l’État et pour retrouver un absolu personn el »85.
L’époque de l’action de la pièce est celle du passage du paganisme au
christianisme. Or dans ce siècle particulièrement catholique, il est évident que le
christianisme va être loué. Corneille tire cette histoire d’un fait réel, car le personnage de
Polyeucte a réellement existé et il a brisé les idoles des dieux antiques afin de se convertir
au christianisme. Corneille raconte dans l’Examen de sa pièce que :

83 «Je dois ma vie au people, au prince, à sa couronne
Mais je la dois bien plus au Dieu qui me la donne. » (v. 1211 -1212) , Pierre Corneille, Polyeucte martyr
(tragédie chrétienne), [1642], avec une notice biographique, une notice littéraire et des notes explicatives, par
René Vaubourdolle, Paris, Hachette, 1921 , p. 55.
84 Michel Prigent, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 68.
85 Serge Doubrovsky, Corneille et la dialectique du héros , Paris, Gallimard, 1963, p. 223.

36 Polyeucte et Néarque étaient deux Cavaliers étroitement liés ensemble d’amitié. Ils vivaien t
en l’an 250 sous l’Empire de Decius; leur demeure était dans Mélitène capitale d’Arménie,
leur Religion différente: Néarque étant chrétien, et Polyeucte suivant encore la secte des
gentils [ce mot désigne d’abord les non -juifs, ensuite les non -chrétiens, ici : les païens],
mais ayant toutes les qualités d’un chrétien, et une grande inclination à le devenir.86

L’action de la pièce est liée à la présence d’une transcendance, d’une puissance qui
domine le héros tragique, et cette puissance su périeure est Dieu. La pièce s'ouvre sur un
dialogue entre Polyeucte et Néarque. Le premier souhaite retarder sa conversion au
christianisme au nom de l'amour pour son épouse, tandis que l'autre l'incite à ne pas
attendre à cause de «quelques soupirs» de sa femme. Le plus souvent les héros cornéliens
oscillent entre leurs intérêts politiques ou sociaux et leurs sentiments d’amour et ils doivent
faire un choix, toujours en sacrifiant quelque chose. C’est aussi le cas de Polyeucte, qui, au
début, se trouve par tagé entre sa femme, Pauline et sa foi:

Ces pleurs que je le regarde avec un œil d’époux
Me laissent dans le cœur aussi chrétien que vous […] (v. 44 -45)
Je crois, pour satisfaire un juste et saint amour
Pouvoir un peu remettre, et différer qu’un jour87 (v.51-52)

Dans ce moment il n’a pas la conscience de l’opposition qui existe entre l’amour
pour Dieu, un amour absolu, et l’amour pour Pauline, à ses yeux « juste et sainte ». Il veut
retarder d’un jour son baptême pour calmer Pauline. Mais, comme on sait, l’amour dû à
Dieu exige un renoncement total des choses terrestres , y compris Pauline. « Le héros
cornélien ne sera j amais un négociateur et le Dieu cornélien lui demande un sacrifice
absolu de la nature »88, chose qu’on peut observer dans les mots de Néarq ue :

Rompez ses premiers coups, laissez pleurer Pauline.
Dieu ne veut point d’un cœur ou le monde domine89 (v. 65 -66)

86 Pierre Corneille , Polyeucte martyr, op. cit., in Examen de « Polyeucte », (1660), p. 14.
87 Ibidem , p. 20.
88 Michel Prigent, Le héros et l’Etat dans la tragédie de Pierre Corneille, op.cit., p. 70.
89 Pierre Corneille, Polyeucte, op. cit., p. 21.

37 La grandeur suprême est en Dieu, comme dans le cas d’Horace, en Rome. Dieu est
celui qui tient notre âme entre ses mains90. Celle -ci es t d'ailleurs la dernière parole du
Christ en croix: Pater in manus tuas commendo spiritum meum , c’est -à-dire « je remets
mon esprit entre tes mains » (Luc, 23 : 46)91. Le tragique de notre héros est l’adéquation
totale à Dieu. A peine baptisé, il a seuleme nt un devoir – c’est à dire d’être fidèle à Dieu,
tout comme Rodrigue a été face à son père et Horace à Rome. Il affirme avec fierté:

Je suis chrétien, Néarque, et le suis tout à fait;
La loi que j’ai reçue aspire à son effet
Qui fuit croit lâchement, et n’a qu’une foi morte.92 (v. 667 -669)

Désormais il n’est pas seulement un chevalier, il devient comme une sorte de soldat
de Dieu. Comme un chevalier qui doit être fidèle à sa cause, à son devoir, il doit être digne
du Seigneur et de la foi qui lui a été donnée93. L’homme est libre de profiter ou non de
cette grâce, mais pour faire cette chose l’homme doit suivre les chemins de Dieu. C’est ici
qu’interviennent la liberté et la volonté humaine. Le héros cornélien est libre, il est
conscient de sa supériorité ; il n’a rien à cacher, il se montre tel qu’il est parce qu’il est ce
qu’il veut être:

Allons, mon cher Néarque, allons aux yeux des hommes
Braver l’idolâtrie, et montrer qui nous sommes
C’est l’attente du ciel, il nous la faut remplir
Je viens de la pro mettre, et je vais l’accomplir
Je rends grâce au Dieu que tu m’as fait connaitre.94 (v. 645 -649)

« Avant le baptême, Polyeucte voulait aller moins vite que le temps. Après, il désire
aller plus vite pour conquérir l’éternité »95 écrit Prigent. Après son bap tême, on découvre

90 « Et Dieu, qui tient vot re âme et vos jours dans sa main” (v. 27), I bidem , p. 20.
91 Guy Laflèche, « Le songe de Pauline», Le Recueil des Récits de Rêve dans les littératures d'expression
française , Éditions du Singulier, 1983, URL: http://singulier.info/rrr/2 -pcor1.html , consulté le 26 mars 2017.
92 Pierre Corneille, Polyeucte, op. cit., p. 39.
93 « Daigne éprouver la fois qu’il vient de me donner » (v. 652), Ibidem , p. 38.
94 Ibidem.

38 avec stupeur que Polyeucte n’a désormais qu’un désir, celui de sacrifier sa vie96. Le héros
de Corneille veut se sacrifier lui -même pour donner un exemple, pour s’offrir comme
modèle à imiter, tandis que les héros de Racine sont « des vict imes » de leurs propres
sentiments malheureux, ils ne sont pas du tout libres. Pour eux l’idée de la mort est
toujours liée à la présence de l’être aimé, pour lequel ils sont capables de faire des
sacrifices oubliant leurs devoirs familiers ou politiques (voyons l’exemple de Pyrrhus, qui
même s’il y a des devoirs vers son État et envers sa fiancée, il est fidèle à l’amour non
partagé d’Andromaque, qui le conduit à la mort). Tandis que le héros cornélien fait des
sacrifices et meurt au nom de Dieu, le héros racinien meurt au nom de son amour maudit.
Corneille met en scène l’idée de martyr – une personne qui accepte volontairement
la souffrance ou la mort pour éviter de renoncer à une cause ou à sa religion97. C’est même
Pauline qui nous offre avec ses paroles une sorte d’explication pour les actes des martyres :

Le trép as n’est pour eux ni honteux, ni funeste ;
Ils cherchent de la gloire à mépriser nos Dieux ;
Aveugles par la terre, ils aspirent aux cieux ;
En croyant que la mort leur en ouvre la porte, […] (v. 946 -949)

La mort la plus infâme, ils l’appellent martyre.98 (v. 953)

On a affaire à un héros qui se voue à la mort avec une allégresse inquiétante.
« L’acte héroïque, par sa singularité, condamne le héros à la solitude, à l’exercice solitaire
et infini de l’héroïsme. Il est révélateur que Polyeucte veuille, par son acte iconoclaste,
gagner la vie éternelle: il veut échanger un instant d’héroïsme contre une éternité de
gloire »99. Il décide de détruire toutes traces d’autres croyances – à entendre les sta tues des
dieux romains qu’il considère comme des idoles païennes – au nom de son Dieu unique :

Allons briser ces dieux de pierre ou de métal,

95 Michel Prigent, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 70.
96 «Et sortant du baptême, il m'envoie à la mort. » (v. 1230), Pierre Corneille, Polyeucte, op. cit. , p. 56.
97 Entrée « martyr », in Le Trésor de la Langue Française , version informatisée, URL :
http://www.cnrtl.fr/etymologie/h%C3%A9ros , site consulté le 26 mars 2017.
98 Pierre Corneille, Polyeucte, op. cit. , p. 47.
99 Michel Prigent, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 27 -28.

39 Abandonnons nos jours à cette ardeur céleste ;
Faisons triompher Dieu, qu’il dispose du reste.100 (v. 716-718)

Avec cette œuvre de Corneille nous sommes dans la tragédie parfaite. Le héros rêve
à l’absolu. La priorité absolue accordée à cette force suprême conduit Polyeucte à rejeter
l’idée d’amour et d’ État, qui domine l’existence des autres personnages. Il se lais se conduit
par sa foi, par l’idée de sacrifice. Corneille le peint comme un héros libre, qui se construit
lui-même, qui prend ses propres décisions, qui n’a pas peur de la mort; tout au contraire il
se montre heureux de mourir pour sa foi. Les stances de l a seconde scène du quatrième
acte nous offrent l’exaltation du martyr. Il se présente détaché de cet univers héroïques où
les honneurs sont la récompense de la valeur101. Pour lui Pauline devient un obstacle « à
son bien », car elle, par son action, s’oppos e à ce qu’il reçoive la mort des martyrs. Il se
voit comme un élu, car il n’y a pas de combat dans son cœur : « vous remplissez [saintes
douceurs du ciel] un cœur qui vous peut recevoir »102 (v. 1146) , c’est -à-dire un cœur
chrétien, baptisé, un cœur qui n’a rien à désirer et rejette tout attachement terrestre.
Dans un dialogue contradictoire avec sa femme Polyeucte avoue son « dessein »: il
essaie de convaincre Pauline à se convertir, comme l’indique le vers « C’est peu d’aller au
ciel, je vous y veux con duire.»103 (v. 1285) . À la fin de la pièce, après que Polyeucte va
choisir le martyre plutôt que la vie, Pauline et Félix seront touchés par la grâce divine et se
convertiront, en suivant l’exemple de Polyeucte. Le héros devient un modèle pour les
autres.
Par ses actes, par sa conversion, par son sacrifice, Polyeucte fait convertir d’autres
personnes et transforme l'ordonnance politique du monde pour fonder une monarchie
chrétienne, une monarchie de droit divin. En détruisant les idoles païennes et en mourant
pour l'avoir fait, en renonçant à l'amour et aux choses terrestres, le héros construit, par sa
volonté propre, sa transfiguration: il accède à une sainteté qui s’affirme su rtout grâce au
sacrifice de soi au nom de la vraie foi. Pour convertir un empire, i l faut donc un homme
extraordinaire, volontaire, fort et apte au sacrifice.

100 Pierre Corneille, Polyeucte, op. cit., p. 40.
101 « Vous étalez en vain vos ch armes impuissants» (v. 1116), Ibidem, p. 53.
102 Ibidem, p. 54.
103 Ibidem, p. 57.

40 On a vu que les h éros corn éliens se caractérisent par leur grandeur, par leur honneur
(Rodrigue), leur devoir vers l’ État (Horace), le dépassement du soi et l’affirmation de la
liberté (Polyeucte). Ils sont animés par de grands devoirs (soit de sang, soit de d évotion
vers l’ état ou vers le Dieu) qui souvent sont oppos és à leurs désirs personnels (une passion
amoureuse). Face à ces exigences contradictoires, ses héros se trouvent pl acés devant ce
qu’on appelle un « dilemme » : ils doivent faire un choix entre deux choses, souvent
extrêmes. Mais même s’ils oscillent, existe toujours ce refus de la fatalit é, chose qu’on ne
peut pas affirmer sur les h éros de Racine.

41 Chapitre III

Des héros ou des victimes de l’amour ?

Pendant la seconde moitié du XVIIe siècle, on assiste à un changement en ce qui
concerne l’intérêt du public. Le goût de ce nouveau public ne tombe pas sur un héros de la
vertu, de l’honneur, comme celui de Corneille, mais sur un héros plus humanisé, qui est
capable de susciter les larmes du public. Pendant cette période dans laquelle ce public
exige des sujets amoureux, des émotions plus fortes et des personnages plus humains, Jean
Racine va répondre à ce s exigences et va cr éer un nouveau type de tragédie. L ’intérêt va
tombe r sur d es passions plus fortes et sur leurs effets sur la conscience de ses personnages.
On a parfois opposé Corneille et Racine, en faisant de l’un le poète de la politique,
de l’autr e le poète de l’amour. Le premier auteur qui a tenté une comparaison entre
Corneille et Racine est La Bruyère, dans Les Caractères . Pour lui « Corneille nous
assujettit à ses caractères et à ses idées, Racine se conforme aux nôtres ; celui -là peint les
hommes comme ils devraient être, celui -ci les peint tels qu'ils sont »104. Par rapport au
théâtre cornélien , celui de Racine met l’accent sur l’intériorité des personnages, sur une
intériorisation du confit tragique. Bruyère affirme que « ce qu’ il y a de plus beau, de plus
noble et de plus impérieux dans la raison, est manié par le premier ; et par l'autre, ce qu’ il y
a de plus flatteur et de plus délicat dans la passion. »105. Le moteur de la tragédie de
Corneille est la gloire, et les personnages y sont engagés dans une suite d’actions pleines
d’énergie (meurtres, duels, etc.). Chez Racine, en revanche, l’amour -passion est la source
de tous les conflits, la cause du déclin des personnages. Les héros présentés par le théâtre
de Racine sont complexes, ambigus, et faibles à la fois, mais c’est justement la faiblesse
qui les rende plus humain s.
« Comme Corneille, il [Racine] peindra la vie de la cour, les ambitions et les ruses
qui animent cet univers, mais il voudra rendre ce tableau plus ‘vivant’ et plus humain »106.
On a vu que le théâtre de Corneille met l’accent sur les problèmes qui concernent le

104 Jean de La Bruyère, Les Caractères , suivis des Caractères de Théophraste, traduits du grec par le même,
Tome premier, Paris, Chez Lefèvre et Brière, 1823, p. 40.
105 Ibidem.
106 Alain Niderst, Racine et la tragédie classique , Paris, Presses Universitaires de France, 1978, p. 6.

42 principe de l’honneur, la dévotion vers l’ État et le problème de la foi. Tandis que la notion
de l’amour tombe sur le second plan chez Corneille, chez Racine elle joue u n rôle
primordial.
Le tragique racinien prend naissance dans ce conflit entre la passion (qui exerce son
pouvoir absolu sur les personnages) et la volonté. Les personnages raciniens aiment et
exigent d’être aimés à leur tour. L’amou r passion peut devenir source de souffrance, autant
pour celui qui aime que pour celui qui est aimé. Chacun aime la personne qui ne l’aime
pas: Oreste aime Hermione, celle -ci aime Pyrrhus et ce dernier aime Andromaque, mais
celle -ci ne peut pas répondre à son amour, car elle res te fidèle à son mari mort. Dans
Phèdre nous avons la même situation : Phèdre aime Hyppolite, mais celui -ci aime Aricie.
« L’amour racinien est ou partagé, ou solitaire »107. D’une part nous avons des
couples d’amants que rien ne peut séparer: c’est le cas d’ Aricie et d’Hippolyte, et d’autre
part nous avons les maudits, qui sont livrés à leurs passions malheureuses: dans cette
situation on peut surprendre Pyrrhus, Oreste, Hermione et Phèdre.

3.1. Oreste, un véritable héros ou seulement un pion entre l’amour
et la fatalité ?

Le XVIIe siècle s’est efforcé de montrer la grandeur de l'homme. Aucun autre
auteur, mieux que Corneille, n’ a su illustrer cette idée de liberté qui caractérise ses héros,
en leur donnant l’occasion pour s’ affirmer et triompher sur le de stin. Dans le théâtre de
Racine, au contraire, la fa talité est présente aux tous pas . La vision du monde de Racine est
plus pessimiste que celle de Corneille, et la sorte trouve souvent des victimes dans les
personnages.
L’amour et la fatalité sont deux thèmes profondément liés dans les œuvres
raciniennes. C hez Racine , la fatalité s’ impose comme la négation de la liberté de l’homme,
car elle transforme le héros en jouet du destin.
Dans cette situation se trouve Oreste, parce que de tous les personnages ra ciniens,
c’est sans doute celui qui est marqué le plus souvent par l’idée de fatalité. Il devient un
jouet du destin, un instrument de vengeance dans les mains d’Hermione, et dans son désir
obsessif d’aimer et d’être aimé, il a rrive à perdre la raison et de devenir fou.

107 Ibidem, p. 47.

43 Après la prise de Troie, Andromaque la veuve d’Hector et son fils Astyanax
deviennent les prisonniers de Pyrrhus, roi d’Épire. Fiancé d’Hermione, fille de Ménélas,
celui -ci retarde son mariage parce qu’il est amoureux de sa captive. Les G recs irrités par le
fait que le roi d’Épire veut épouser Andromaque, envoient Oreste, le fils d’Agamemnon,
auprès de lui pour réclamer la mort d’Astyanax. Oreste, qui aime Hermione, animé par
l’idée que s i Pyrrhus refuse la mort de l’enfant, ses relations avec Hermione seront
rompues, accepte cette mission avec le désir qu’il pourra gagner l’amour d e la femme . Il
accepte donc la charge d’ambassadeur auprès de Pyrrhus pour venir en réalité chercher
Hermione, en s’en assumant les conséquences :

L’amour me fait ici chercher une inhumaine […] (v. 26)

J’aime, je viens chercher Hermione en ces lieux,
La fléchir, l’enlever, ou mourir à ses yeux108. (v. 99 -100)

Dès le début de la pièce, à travers les mots de Pylade, on peut surprendre quel est
le trait définito ire d’Oreste, c’est -à-dire la mélancolie:

Surtout je redoutais cette mélancolie
Où j’ai vu si longtemps votre âme ensevelie.
Je craignais que le ciel, par un cruel secours,
Ne vous offrit la mort, que vous cherchiez toujours.109 (v. 17 -20)

Un être mélan colique se confronte toujours avec des moments d’oscillation. Attrapé
dans la mélancolie, il a le sentiment d’être condamné à souffrir, il se sent un malheureux et
se sent vaincu d'avance :

Puisqu'après tant d'efforts ma résistance est vaine,
Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne.110 (v. 97 -98).

108 Jean Racine, Andromaque , op. cit., p. 26, p. 2 8.
109 Ibidem, p. 25.
110 Ibidem, p. 28.

44 Le mot « destin » fait ici référence à son fol amour pour Hermione qu’il poursuit
sans succès. Son amour est devenu « un état funeste», un état qui suit par tout « le
déplorable » Oreste, une « fureur » plus forte que sa volonté, qui annihile l’idée de
liberté qui caractérise les héros de Corneille :
Je te vis à regret, en cet état funeste,
Prêt à suivre partout le déplorable Oreste,
Toujours de ma fur eur interrompre le cours,
Et de moi -même enfin me sauver tous les jours.111 (v. 45 -48)

Ces vers indiquent une amplification de son état de mélancolie qui le conduit assez
vite à la folie. À travers ces mots Oreste reconnait dans une certai ne mesure sa folie
suicidaire. Comme affirme Jean Rohou, Oreste est présenté, pas comme un véritable héros,
mais plutôt comme « un homme voué au malheur ; son nom rime avec funeste ; sa place,
à l’extrémité de la chaîne des amoureux, le met en situation de quémandeur »112, et qui,
par opposition à Hermione et à Pyrrhus, « n’a pas de solution de rechange en cas de
refus : d’où cette alternance chez lui entre le dévouement et fureur masochiste ».113
Son état mélancolique et sa condition d’amoureux « aveugl e »114 préparent Oreste
au fatalisme qui lui correspond. Oreste voit les signes du destin partout. Dès le début de la
pièce, il voit la rencontre avec Pylade comme une sorte de prémonition:

Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle,
Ma fortune va prend re une face nouvelle
Et déjà son courroux semble d’être adouci115. (v. 1 -3)

Sa venue dans l’Épire comme ambassadeur, n’est pas pour suivre un intérêt
politique ou pour faire son devoir vers l’ État (comme dans le cas des héros de Corneille) ,

111 Ibidem, p. 26.
112 Jean Rohou, Avez -vu lu Racine ?, op. cit., p. 81.
113 Ibidem.
114 « Tel est de mon amour l'aveuglement funeste.
Vous le savez, Madame, et le destin d'Oreste
Est de venir sans cesse adorer vos attrait s. » (v. 481 -483), Jean Racine , Andromaque, op.cit., p. 45.
115 Ibidem , p. 25.

45 mais pour suivre un intérêt personnel (son amour pour Hermione). Il la considère comme
une intervention du sort:

L’amour achèverait de sortir de mon cœur
Mais admire avec moi le sort dont la poursuite
Me fit courir alors au piège que j’évite. 116 (v. 64 -66)
Contrairement aux personnages raciniens, qui semblent se confier à l’amour, étant
portés par cet instinct aveugle qui les rend incapables de raisonner et d’obéir à la volonté,
l’amour des héros cornéliens est fondé sur le mérite de celui qu’il s aiment. Dans les œuvres
de Corneille l’amour est une vertu et non une faiblesse, qui annule la raison, comme dans
les œuvres de Racine. Lorsqu’on analyse la relation Chimène -Rodrigue e t la relation
Oreste -Hermione, on peut observer dans le premier cas le fait que l’héroïne cornélienne
aime dans Rodrigue ses qualités chevaleresques, son mérite et que Rodrigue est conscient
du fait que s’il perd son honneur, il ne serait pas digne de son aimée117. Dans la deuxième
relation la femme n’aime pas Oreste. Il cher che à tout prix obtenir l’amour de son aimée,
mais en vain. Leur relation ne se fonde pas sur l’idée d’amour mérite, d’amour raison, mais
sur l’idée d’amour -désir, d’amour passion, qui annule toute possibilité de réagir. Oreste est
seulement un jouet , il ne s’affirme comme un être libre.
Il ne cesse d’évoquer son existenc e comme un destin tragique. En venant dans
l’Épire, il est prêt à tout faire pour récupérer sa bien -aimée, mais le destin d’Oreste et
d’Hermione dépend de la relation entre Pyrrhus et Andr omaque. En plus, ils sont en effet
cousins et font partie les deux de la même famille maudite d’Atrides, ce qui souligne dans
une certaine mesure leur amour impossible. Quand Andromaque décide d’épouser Pyrrhus,
Oreste reprend l’espoir de pouvoir avoir Her mione. Quant à Hermione, dans ce moment
elle déclare sa haine pour Pyrrhus et consent à partir avec Oreste :

Que l’ennemi des Grecs ne peut être son gendre.
Du Troyen ou de moi faites -le décider :
Qu’il songe qui des deux il veut rendre ou garder ;
Enfin qu’il me renvoie, ou bien qu’il vous le livre.

116 Ibidem, p. 27.
117« Qu'un homme sans honneur ne te méritait pas. » (v. 888), Pierre Corneille, Le Cid, op.cit., p. 72.

46 Adieu. S’il y consent, je suis prête à vous suivre.118 (v. 586 -590)

Abandonnée deux fois par Pyrrhus et heurtée dans l’ orgueil , elle veut faire quelque
chose pour récupérer sa dignité. Cette « amante inse nsée », qui ne sait pas si elle aime ou
hait Pyrrhus, profite de sa colère pour se venger . Tandis qu’elle est conduite par l’idée de
vengeance à cause d’un amour non partagé , dans le cas de Chimène, elle veut se venger
pour sauver l’honneur de sa famille, comme nous l’avons déjà remarqué dans le deuxième
chapitre. Chimène semble être conduite par un e raison fondée (venger l’honneur de son
père) , ce qui lui permet de s’affirmer comme une héroïne forte et qu’Hermione semble
conduite seulement par un caprice, par son propre bien, par la jalousie. Elle est présente
plutôt comme une femme dominée par ses désirs destructeurs que comme une héroïne.
Devant elle, il n'y a qu’Oreste qui peut céder à ses supplices. Elle profite de l’amour
d’Oreste et lui demande de la venger. Mit en cette situation, Oreste se montre raisonnable :

Vengeons -nous, j’y consens, mais par d’autres chemins :
Soyons ses ennemis, et non ses assassins.
Faisons de sa ruine une juste conquête.119 (v. 1179 -1181)

Mais Hermione n'écoute plus les con seils d'Oreste. Si elle attend, l’amour va la
dominer et l’empêcher à résoudre son plan120. Aveuglé par ses sentiments, un jouet dans
les mains de la personne aimée, Oreste vit un conflit intérieur, car il oscille entre respecter
le désir d’Hermione et assas siner Pyrrhus et respecter son devoir comme ambassadeur et
ne commettre pas le crime. Mais l’amour pour lui prime, et étant faible devant son amour,
il cède au plan d’Hermione121. Anna Ambroze surprend que devant la tache meurtrière
exigée par Hermione, Ore ste « envisage avec horreur de tuer le fils d’Achille. Il voudrait se
soustraire à la souillure du sang versé. Mais, s’il craint la réaction de la Grèce, il se craint
encore plus lui -même connaissant sa faiblesse, conscient du destin qui le poursuit et du
piège qui lui est tendu »122. En plus elle ajoute que : «Sa fatalité [d’Oreste] est plus forte

118 Ibidem , p. 50.
119 Ibidem, p. 81.
120 « S'il ne meurt a ujourd'hui, je puis l'aimer demain » (v. 1200), Ibidem, p. 83.

121 « Vos ennemis par moi vont vous être immolés » (v. 1251), Ibidem, p. 85.
122 Anna Ambroze, Racine poète du sacrifice, op. cit., p. 136.

47 que sa raison et que sa volonté ; il est porté au crime malgré lui »123. Il commet un crime
mais non pour sauver son honneur. De ce point de vu il s’oppose à Rodri gue, pour lequel
c’est l’honneur qui prime et non l’amour. La seul e raison pour laquelle Oreste devient un
meurtrier est qu’il subjugue la raison à la passion.
En achevant sa mission, il vient d’annoncer sa réussite chez Hermione124. Mais elle
ne réagit pas comme il désire ; avec ses reproches, elle choque Oreste. Au lieu de recevoir
la reconnaissance et son amour, il reçoit seulement des insultes : aux yeux d’Hermione il
devient un cruel, un perfide, un barbare qui lui provoque horreur:

Tais-toi, perfide,
Et n’impute qu’à toi ton lâche parricide.
Va ; je la désavoue, et tu me fais horreur.
Barbare, qu’as -tu fait ? Avec quelle furie
As-tu tranché le cours d’une si belle vie ?
Avez -vous pu, cruels, l’immoler aujourd’hui,125 (v. 1534 -1539)

« Ce n’est qu’après le crime que ses yeux s’ouvrent: les deux hommes qui sont en
lui ne se reconnaissent pas l’un l’autre : l’Oreste qui a commis le crime ne reconnait pas
l’Oreste qui ne voulait pas les commettre. »126. Dans un moment de lucidité il s’interroge
sur son identi té, sur son statut d’assassin qu’il a reçu à cause d’une « ingrate » :

Je suis, si je l’en crois, un traître, un assassin.
Est-ce Pyrrhus qui meurt ? et suis -je Oreste enfin ? (v. 1567 -1568)

J’assassine à regret un roi que je révère,
Je viole en un jou r les droits des souverains,
Ceux des ambassadeurs, et tous ceux des humains, (v. 1570 -1573)

Je deviens parricide, assassin, sacrilège.

123 Ibidem .
124 « Madame, c’en est fait, et vous êtes ser vie :
Pyrrhus rend à l’autel son infidèle vie. » (v.1493 -1494), Jean Racine, Andromaque, op. cit., p. 95.
125 Ibidem, p. 97.
126 Anna Ambroze, Racine poète du sacrifice, op. cit., p. 136.

48 Pour qui ? Pour une ingrate à qui je le promets, 127 (v. 1575 -1576)

Il est donc au début d’une crise d'identité (« suis-je Oreste enfin »). « L’Oreste qui
obéit à ses impulsions a supplanté l’Oreste qui réfléchissait. Flottant entre ses deux
personnalités sur des sables mouvants, il perd son équilibre »128. Alain Niderst affirme sur
le crime de ce héros maudit qu’il est « une sorte de sursaut, [et que] le dénouement le
retrouve prolongé dans son masochisme plus violent et plus irrémédiable : “Hé bien! je
meurs content, et mon sort est rempli.” »129. Tandis qu’il perd tout après son crime : son
statut social, Hermione (ca r elle se suicide), mais aussi sa raison, car il tombe dans la
folie, le cas de Rodrigue semble plus heureux. M ême s’il commet un crime, il ne perd pas
son identité, mais tout au contraire, il gagne un surnom (Le Cid), grâce à ses actions
héroïques, l’ap préciation et le soutien du roi, mais aussi sa femme aimée comme épouse.
Ce type d’amour -désir qu’Oreste ressent pour Hermione ne peut mener qu’à
l’asservissement et à la folie. L’amour -désir annule toute possibilit é de discernement et de
raison alors qu e l’amour fondé sur le libre discernement et sur le mérite de la personne
aimée conduira au bonheur du couple, comme dans le cas de Chimène et de Rodrigue .
Oreste, descendant de la lignée maudite des Atrides, est poursuivi par la fureur des
Érinyes, (en latin les Furies – des divinités grecques qui vengent les victimes de sang en
harcelant les meurtriers qu’elles rendent fous ). Il semble plonger dans une sorte de délire
où les démons, les « filles d’enfer », viennent l’enlever130. Dans ce cas la f atalité s'abat sur
le personnage comme conséquence d'un crime qui a déplu aux dieux. L'homme ne sait pas
comment échapper à leur haine. Cela explique, selon la pièce, la série des malheurs subis
par Oreste. Oreste est conscient de cette malédiction et l'a ccepte, car il se livre en aveugle
au destin qui l'entraîne.

127 Jean Racine, Andromaque, op. cit., p. 99 -100.
128 Anna Ambroze, Racine poète du sacrifice, op. cit., p. 136.
129 Alain Niderst, Racine et la tragédie classique, op.cit., p. 56.
130 « Quels démons, quels serpents traîne -t-elle après soi ?
Eh bien ! filles d’enfer, vos mains sont -elles prêtes ?
Pour qui sont ces serp ents qui sifflent sur vos têtes ? » (v. 1636 -1638), Jean Racine, Andromaque, op.cit.,
p. 102 -103.

49 3.2. Une héroïne, symbole de la fidélité

Amour, manipulation, coquetterie sont des mots -clés de l’œuvre de Racine.
L’amour présenté dans l’œuvre Andromaque , ne peut pas être inclue ni dans la catégorie
d’amour tendre , ni dans celle d’amour partagé . L’amour se trouve au centre des tentatives
de domination et de chantage de l’autrui, chose qu’on peut observer surtout chez Pyrrhus et
Andromaque.
Pour comprendre mieux la relation de Pyrrhus et Andromaque, il faut comprendre
les circonstances dans lesquelles elle est devenue « captive » de celui -ci. Andromaque est
la veuve du meilleur des guerriers troyens, Hector, tué par Achille en combat. Après la
prise de Troie, elle et son fils devient les prisonnier s de Pyrrhus. A près la chute de Troie,
Ménélas offre Hermione comme épouse à Pyrrhus, fils d’Achille, pour le récompenser
d’avoir pris part à la défaite de la ville. Il devient amoureux de sa captive Andromaque ,
rejette le mariage et décide de ne respecter pas son devoir politique vers son État en ayant
l’intention d’épouser la veuve d’Hector. À partir de ce moment -là, cette femme sera
partagée entre être fidèle à la mémoire de son mari et son désir de sauver son fils. Au
cours de la pièce on peu t surprendre des tensions entre Andromaqu e et Pyrrhus : en suivant
l’ord re du pouvoir on peut remarquer un rapport vainqueur -vaincue et en suivant l’ordre du
sentiment on peut remarquer que le maître exprime son désir amoureux pour sa captive .
Dans la préf ace de la pièce, Andromaque est dépeinte par Racine comme un
symbole de la fidélité: elle est une veuve d’ un époux et une mère d’ un enfant131. Pyrrhus
abandonne en vain Hermione pour Andromaque. Il la supplie et la menace en vain, comme
affirme Rohou, car « elle ne vit que pour Astyanax et pour le souvenir d’Hector »132. Elle
éprouve des sentiments contradictoires à l’amour pour son bourreau , chose qu’on peut
observer dès la première scène de l’acte 1, dans les mots de Pylade :

Pour la veuve d’Hector ses feu x ont éclaté ;
Il l’aime. Mais enfin cette veuve inhumaine
N’a payé jusqu’ici son amour que de haine;133 (v. 108 -110)

131 « Andromaque ne connait point d’autre mari qu’Hector ni d’autre fils qu’Astyanax […] On ne croit point
qu’elle doive aimer ni un autre mari, ni un autr e fils. », Jean Racine, « Préface », Andromaque, op. cit., p. 21.
132 Jean Rohou, Avez -vu lu Racine? , op. cit., p. 238.
133 Jean Racine, Andromaque, op. cit ., p. 28.

50 Cette « veuve inhumaine » prouve seulement de la haine pour le fils de l’assassin
de son époux. Racine présente ici un couple où l’amou r reste non partagé. Même si
Pyrrhus aime Andromaque, elle ne l’aime pas et cet amour non partag é déclenchera chez
les personnages non aimés la jalousie ou le désir de vengeance. Face à cet te passion
tumultueuse , l’état intérieur de Pyrrhus connait des oscillations . C’est Pylade qui résume
en quelques vers dans le cadre du premier acte toute la relation qui relie Pyrrhus et
Andromaque. Il décrit à Oreste l’attitude contradictoire de Pyrrhus à propos de sa captive :

Vous répondre d’un cœur, si peu maitre de lui :
Il peut, seigneur, il peut, dans ce désordre extrême,
Épouser ce qu’il hait et punir ce qu’il aime.134 (v. 120 -123)

En plus, c’est toujours grâce aux mots de Pylade qu’on peut se rendre compte de la
tentative de Pyrrhus pour forcer Andromaque de l’a imer, mais aussi du conflit intérieure
que « cet amant irrité » ressent à l’égard du refus de la part de la veuve :

Et chaque jour encore on lui voit tout tenter
Pour fléchir sa captive, ou pour l’épouvanter.
De son fils, qu’il lui cache, il menace la têt e,
Et fait couler des pleurs, qu’aussitôt il arrête.
Hermione elle -même a vu plus de cent fois
Cet amant irrite revenir sous ses lois,
Et, de ses vœux troublés lui rapportant l’hommage,
Soupirer a ses poids moins d’amour que de rage.135 (v. 111-118)

Lors de la Scène 4 (acte I) Pyrrhus commence une stratégie pour la conquérir : il
annonce Andromaque de la volonté des Grecs de faire périr son fils, mais sans lui
mentionner qu’il a refusé à livrer son fils, en ne pas respectant ainsi son devoir politique.
« C’est une véritable chute qui fait passer Pyrrhus de la plénitude héroïque à la réprobation
de ses exploits par sa conscience»136, écrit Rohou. Avec Pyrrhus nous avons encore un
exemple de héros qui subjugue la raison et toute responsabilité vers l’état pou r ses désirs

134 Ibidem , p. 29.
135 Ibidem.
136 Jean Rohou, Avez -vu lu Racine ?, op. cit., p. 325.

51 amoureux, qui semble plus forts. En plus Rohou ajoute que ce personnage passe aussi « à
une frustration morale à laquelle il espère mettre fin en prenant la place d’Hector, en se
faisant reconnaître et aimer par sa veuve »137. Donc, avec sa str atégie il espère qu’ainsi
Andromaque, désespérée, le suppliera de le défen dre et va finir par accepter de l’épouser.
Pyrrhus, conduit par sa passion, lui offre une solution : il s’offre comme le gardie n ou le
protecteur de son fils, mais Andromaque doit lui donner en échange de son amour :

Je ne balance point, je vole à son secours :
Je défendrai sa vie aux dépens de mes jours. […] (v. 287 -288).

Je vous offre mon bras. Puis -je espérer encore
Que vous accepterez un cœur qui vous adore ?138 (v. 294 -295)

Comme affirme Rohou, Andromaque représente l’incarnation exemplaire de la
fidélité parce que « malgré toutes les pressions, elle est fidèle à son mari, à sa patrie,
dévouée à son fils, prête à se sacrifier pour eux. Et cette constance détermine une
oppos ition irréductible entre la veuve d’Hector et le fils d’Achille »139.
Tout comme Pyrrhus se sert de son fils comme moyen de chantage, pour se
défendre elle fait appel à sa fierté de guerrier , fierté qui pourrait être affectée par son
« esprit amoureux » :

Seigneur, que faites -vous, et que dira la Grèce?
Faut-il qu’un si grand cœur montre tant de faiblesse!
Voulez -vous qu’un dessein si beau, si généreux,
Passe pour le transport d’un esprit amoureux?140 (v. 297 -200)

Entre soupirs et larmes, les personnages u tilisent souvent la métaphore du « co mbat
» amoureux. Ainsi Pyrrhus est -il las de « combattre » les « cruautés » d’Andromaque.
Pyrrhus se montre comme un chevalier servant, mais elle « le dédaigne, elle le remet dans
sa fonction de geôlier, l’accuse de tyr annie mesquine, le ravale au néant par la majesté du

137 Ibidem.
138 Jean Racine, Andromaque, op. cit., p. 37.
139 Jean Rohou, Avez -vu lu Racine ?, op. cit., p. 87.
140 Jean Racine, Andromaque, op.cit., p. 37.

52 style et par l’évocation de Troie qu’il a détruit »141, de son fils et d’Hector, les seuls objets
de son amour. Elle continue à mettre en évidence sa situation, car elle est captive et
triste142, et qu’elle ne peut pas partager l’amour, non seulement parce qu’elle aime encore
Hector, mais parce qu’ils sont en effet des ennemis :

Aurait -elle oublié vos services passés ?
Troie, Hector, contre vous, révoltent -ils son âme ?
Aux cendres d’un époux doit -elle enfi n sa flamme ?
Et quel époux encore ! Ah ! Souvenir cruel !
Sa mort seule a rendu votre père immortel ;
Il doit au sang d’Hector tout l’éclat de ses armes,
Et vous n’êtes tous deux connus que par mes larmes.143 (v. 355 -362)

Le souvenir de son époux rest e toujours vif dans sa mémoire. Andromaque aime
son fils, mais à travers lui, elle voit Troie, son père, et surtout elle retrouve son époux144,
car pour elle Astyanax est « l’image d’Hector »145. Cette identification du fils avec l’époux
crée une confusion da ns la conscience d’Andromaque, une confusion qui est parfois
entière, comme le souligne Pyrrhus en répétant les paroles d’Andromaque :

Cent fois le nom d’Hector est sorti de sa bouche.
Vainement à son fils j’assurais mon secours :
« C’est Hector, dis ait-elle, en l’embrassant toujours ;
Voilà ses yeux, sa bouche, et déjà son audace ;
C’est lui -même ; c’est toi, cher époux, que j’embrasse. ».146 (v. 650 -654)

141 Jean Rohou, Avez -vu lu Racine? , op. cit., p. 164.
142 « Captive, toujours triste, importune à moi -même,
– Pouvez -vous souhaiter qu’Andromaque vous aime ? » (v. 301 -302), Ibidem , p. 39.
143 Ibidem , p. 40.
144 « Le seul bien qui me reste et d’Hector et de Troie, » (v. 262), Ibidem , p. 35.
« Il m’aurait tenu lieu d’un père et d’un époux; » (v. 279), Ibidem, p. 36.
145 « Ce fils, ma seule joie, et l’image d’Hector ? » (v. 1016), Ibidem, p. 73.
146 Ibidem, p. 53.

53 Cette association indique sans aucun doute que l’amour pour son mari est toujours
vivant et qu’ il s’identifie dans une certaine mesure avec celui qu’elle éprouve pour son fils.
En résistant à Pyrrhus, notre héroïne défend non seulement la fidélité conjugale, mais aussi
et surtout celle amoureuse. Elle est l’unique héroïne qui réclame le droit et la liberté
d’aimer un mort.
Rohou écrit que « lorsqu’Andromaque s’indigne, devant Céphise, à l’idée
d’épouser le destructeur de sa patrie, elle exprime certes sa répulsion, sa “haine” pour ce
“barbare” qui menace son fils après avoir massacré presque toute sa famille »147. Donc sa
première réaction vis à vis de son offre est violente :

Hélas ! il mourra donc. Il n’a pour sa défense
Que les pleurs de sa mère et que son innocence.
Et peut -être après tout, en l’état où je suis,
Sa mort avancera la fin de mes e nnuis.148 (v. 372 -375)

Mais après cette réaction rapide, elle se trouve devant une « véritable di lemme de
fait, non de jugement »149. Épouser son bourreau et sauver Astyanax , signifie pour elle
trahir la fidélité jurée à son époux. Renoncer à cette solution, qui lui provoque horreur et
tristesse , ne peut qu’entraîner la mort de son fils et d’elle -même :

Non, je ne serai point complice de ses crimes ;
Qu’il nous prenne, s’il veut, pour dernières victimes. […] ( v. 1009 -1010)

Mais cependant, mon fils, tu me urs, si je n’arrête
Le fer que le cruel tient levé sur ta tête.150 (v. 1033 -1034)

Tout au long de la pièce Andromaque nous a « accoutumés à la présence comme
vivante d’Hector »151 et elle l’a fait « non seulement par la fréquence des allusions qu’elle

147 Jean Rohou, Avez -vu lu Racine? , op. cit., p. 122.
148 Jean Racine, Andromaque, op.cit., p. 40.
149 Roland Barthes, Sur Racine , Paris, É ditions du Seuil, 1963, p. 82.
150 Jean Racine, Andromaque, op. cit., 73.
151 Maurice Delcroix, Le sacré dans les tragédies profanes de Racine, Paris, É ditions A. -G. Nizet, 1970, p.
309.

54 y fait, et par cette survivance de l’amour conjugal dans l’amour maternel, mais par
l’intensité de certaines évocations de l’époux défunt […]»152. Elle prétend « revoir » et «
rejoindre [son] époux », tout comme s’il était une présence réelle. Il y a aussi des vers où
Andromaque s’adresse directement à Hector153, et des vers où elle fait entendre la voix de
son époux154. À la fin de l’acte III, Pyrrhus pose un ultimatum : si Andromaque ne l’épouse
pas tout à l’heure, son fils mourra sur ses yeux. En se trouvant face au dilemme d’épouser
ou non Pyrrhus, elle prend la décision de consulter Hector155. Roland Barthes affirme à
propos du tombeau d’Hector, qu’il est pour Andromaque « [un] refuge, réconfort, espoir,
oracle aussi ; par une sorte d’érotisme funèbre, elle veut l ’habiter, s’y enfermer avec son
fils, vivre dans la mort une sorte de ménage à trois […] »156.
Pour sauver son fils Andromaque accepte d’épouser Pyrrhus. Elle reconnait le fait
que même s’il est « violent », il est aussi « sincère », étant convaincue qu’ il va faire ce
qu’il a promis de faire, c’est -à-dire protéger Astyanax. Mais elle confie à Céphise qu’elle
se tuera juste après le mariage, car elle ne peut pas vivre dans l'infidélité :

Je vais donc, puisqu’il faut que je me sacrifie,
Assurer à Pyrrhus le reste de ma vie ;
Je vais, en recevant sa foi sur les autels,
L’engager à mon fils par des nœuds immortels.
Mais aussitôt ma main, à moi seule funeste,
D’une infidèle vie abrégera le reste,
Et sauvant ma vertu, rendra ce que je dois
À Pyrrhus, à mon f ils, à mon époux, à moi.157 (v. 1089 -1096)

152 Ibidem.
153 « Pardonne, cher Hector, à ma crédulité ! […] » (v. 940 -946), Jean Racine, Andro maque, op.cit., p. 69.
154 « Chère épouse, dit -il en essuyant mes larmes,
J’ignore quel succès le sort garde à mes armes ;
Je te laisse mon fils pour gage de ma foi :
S’il me perd, je prétends qu’il me retrouve en toi. » (v. 1021 -1025), Ibidem , p. 73.
155 « Allons sur son tombeau consulter mon époux ». (v. 1048), Ibidem , p. 74.
156 Roland Barthes, Sur Racine, op. cit., p. 82.
157 Jean Racine, Andromaque, op.cit., p. 76.

55 C’est le stratagème qu’elle doit accomplir, un stratagème auquel elle affirme qu’elle
a été condamnée par son époux. Ce suicide d’Andromaque est pour Barthes « un sacrifice,
[car] il contient en germe un avenir acc epté, et ce sacrifice concerne l’être même
d’Andromaque : elle consent à se séparer d’une partie d’Hector (Astyanax), à imputer sa
fonction de gardienne amoureuse, elle consent à une fidélité incomplète »158. En plus il
affirme que « sa mort signifie qu’Asty anax n’est plus tout à fait pour elle Hector seul ;
pour la première fois elle découvre l’existence d’un Astyanax II, vivant par lui -même, et
non comme pur reflet du mort : son fils existe enfin comme enfant, comme promesse »159.
Donc, après le mariage, Andr omaque se prépare pour se donner la mort, tandis que
Pyrrhus est impatient de commencer une vie avec celle qu’il aime160. Mais aucun d'eux
n'atteint son but, parce que Pyrrhus avec son attitude imprudente, résultat de l’état
d’aveuglement dans lequel le met sa passion, est assassiné par Oreste. Le cas heureux est
celui d’Andromaque qui au lieu de trouver la mort devient la reine d’un royaume161. En
devenant maintenant la veuve de Pyrrhus, Andromaque remplit, vis à vis de lui, tous les
devoirs d'une veuve fidèl e à son mari mort :

Andromaque elle -même, à Pyrrhus si rebelle,
Lui rend tous les devoirs d’une veuve fidèle,
Commande qu’on le venge, et peut -être sur nous
Veut venger Troie encore et son premier époux.162 (v. 1589 -1593)

Jacques Morel affirme qu’à la f in de la pièce tous le autres héros principaux
arrivent à être soit morts, soit fous, marqués par leur amour malheureux. Seulement
Andromaque « suivit seule avec son fils, promis lui -même à la successio n de Pyrrhus sur le
trône de l’ Épire. Le peu de libert é que Racine s’est, dit -il, accordée […] consiste en fait en
la métamorphose totale d’une captive en triomphatrice […] »163. La vie d’ Andromaque
passe par des changements radicaux : elle passe du statut d’une mère souffrante, d’une

158 Roland Barthes, Sur Racine, op. cit., p. 83.
159 Ibidem.
160 «Andromaque m’attend. Phœnix, garde son fils. » (v. 1392), Jean Racine, Andromaque, op.cit., p. 90.
161 « Andromaque, régn ez sur l’Épire […] » (v. 1508), Ibidem, p. 96.
162 Ibidem, p. 100.
163 Jacques Morel, Racine en toutes lettres, op. cit ., p. 87.

56 captive malheureuse menacé e par la mort de son fils, à une « souveraine impitoyable ».
Elle reste fidèle à Hector et à son peuple, mais en même temps, en assumant la royauté,
elle gagne sa liberté et aussi son statut d’héroïne.

3.3. Phèdre et Pauline, de véritables héroïnes ?

Si on a vu qu’Andromaque incarne le prototype d’une femme fidèle, une véritable
héroïne qui a réussi à dépasser sa condit ion de prisonnière en arrivant à devenir la reine
d’un royaume, il convient de nous arrêter dans ce sous -chapitre sur deux personnages
féminins qui nous semblent exemplaires et révélateurs pour une lecture en miroir de la
vision héroïque chez Corneille et chez Racine.
Partons d’un constat très général qui les rapproche : les deux femmes sont épouses
et les deux ont connu le pouvoir du sent iment amoureux pour un autre homme que leur
époux. Les similarités s’arrêtent pourtant là : il semble que, si les deux aiment par passion
un autre homme, elles se rapportent différemment à la fois à l’amour.
Pauline représente la figure d’une fille obéissa nte. Avant son mariage, elle aimait
Sévère, son amour de jeunesse. Mais son choix n’était pas libre. N’ayant pas le même
statut social qu’elle, Sévère n’est pas digne de Pauline aux yeux de son père : elle devra par
conséquent renoncer à son amour pour sui vre la volonté de son père et épouser Polyeucte,
dont l a position social e et sa fortune semblent plus confo rmes aux intérêts de Félix. Prigent
écrit que « c’est Félix qui choisira son gendre pour consolider sa position en Arménie »164.
Leur mariage est consi déré comme « le premier mariage politique du théâtre de
Corneille »165. Pauline a suivi son devoir en épousant le chevalier arménien.
Polyeucte est une pièce chrétienne, dominée par la présence d’un pouvoir
supérieure (Dieu) et par l’idée de sacrifice en no m de la loi , qui accompagne le héros
jusqu’au sa mort. Mais au -delà de l’idée de la loi, on peut observer que la pièce est centrée
sur l’amour conjugal, sur le mariage, mais aussi sur l’amour estime.
« Corneille a mis en scène avec Chimène, Camille, Émil ie et Pauline des figures de
la féminité qui témoignent, au côté d’un héros sacrificiel et exemplaire, du triomphe de la

164 Michel Prigent, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 107.
165 Ibidem.

57 sensibilité »166. En plus Prigent affirme que « Pauline reconnait la force de la sensibilité.
Cette jeune épousé admet que Sévère a précé dé Polyeucte dans son Cœur. […] Pauline a
une expérience amoureuse: elle n’est plus au premier temps de la “surprise des sens”, elle
est déjà au moment où l’institution conjugale succède à l’inclination affective »167.
Si on analyse le récit d’amour de Pauli ne, on va voir qu’il y a un contraste entre les
mots qu’elle utilise quand parle de l’idylle avec Sévère et ceux employés quand elle parle
du mariage avec Polyeucte. Quand elle parle de Sévère le langage est celui d’un amour qui
vient du cœur, un amour est ime : tout est rapporté à son cœur, au souvenir de ce « amant
parfait », qui lui provoque encore des soupirs :

Dans Rome, où je naquis, ce malheureux visage
D'un chevalier romain captiva le courage ;
Il s'appelait Sévère : excuse les soupirs
Qu'arrache e ncore un nom trop cher à mes désirs.168 (v. 169 -172)

Elle estime cet homme cher à ses désirs, le voit comme un « grand cœur » et un
« honnête homme». Elle déclare à sa confidente qu’elle aime Sévère et que lui aussi
mérite son amour, mais elle affirme aus si avec le regret et la nostalgie d’une femme qui a
perdu ce qu’elle aimait, que le mérite ne sert à rien, là ou manque la fortune. Et c’est
surtout cet obstacle que l’a séparée de son aimé:

Je l'aimai, Stratonice : il le méritait bien ;
Mais que sert le mérite où manque la fortune ?
L'un était grand en lui, l'autre faible et commune ;
Trop invincible obstacle, et dont trop rarement
Triomphe auprès d'un père un vertueux amant ! 169 (v. 184 -188)

166 Ibidem, p. 81.
167 Ibidem, p. 106
168 Pierre Corneille, Polyeucte martyr, op. cit., p. 24.
169 Ibidem.

58 La mémoire de Sévère, qu’elle croyait mort, possède son cœur et lui provoque de
soupirs. Pour eux toutes espérances sont perdues. Le fait qu’elle a épousé Polyeucte, n’a
pas été de son choix. Mais malgré ces soupirs, elle a fait seulement son devoir de fille et a
été obéissante à l’ordre de son père. Elle a dû « sacri fier les valeurs amoureuses aux
valeurs familiales ou, plus exactement, à une interprétation politique des valeurs
familiales »170, comme nous pouvons le voir dans sa résignation :

Mais au lieu d'espérance, il n'avait que des pleurs ;
Et malgré des soupirs si doux, si favorables,
Mon père et mon devoir étaient inexorables.
Enfin je quittai Rome et ce parfait amant,
Pour suivre ici mon père en son gouvernement171. (v. 200 -204)

Quand elle parle du début de son mariage avec Polyeucte, son langage est plus
froid, plus proche d’un langage de raison. Elle affirme qu’au moment où elle était
« destinée à son lit », elle a donné à Polyeucte par devoir à son affection, tout ce que
l’autre avait par inclination. Prigent souligne lui -même que « le devoir e st la valeur qui
aidera Pauline à éprouver pour Polyeucte une véritable inclination : telle est l’originalité
proprement cornélienne du personnage »172. Pour lui le devoir devient comme une sorte de
guide vers la découverte d’une nouvelle sensibilité, comme une sorte d’étape entre l’amour
humain et l’amour divin.
Avec Pauline les personnages féminins de Corneille ont connu une évolution.
Pauline est la première qui, en qualité d’épouse, revendique ses droits et attaque
Polyeucte :

Où ta mort va laisser ta femme inconsolable;
Je croyais que l'amour t'en parlerait assez,
Et je ne voulais pas de sentiments forcés ;
Mais cet amour si ferme et si bien méritée
Que tu m'avais promise, et que je t'ai portée,

170 Michel Prigent, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneill e, op. cit., p. 107.
171 Pierre Corneille, Polyeucte martyr, op. cit., p. 24 -25.
172 Michel Prigent, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 109.

59 Quand tu me veux quitter, quand tu me fais mourir,
Te peu t-elle arracher une larme, un soupir ?
Tu me quittes, ingrat, et le fais avec joie ; […]
C'est donc là le dégoût qu'apporte l'hyménée ?
Je te suis odieuse après m'être donnée ! 173 (v. 1240 -1252)

Avec les deux derniers vers, Pauline passe de la sensualité à la sexualité. Prigent
affirme que « jamais une héroïne cornélienne n’avait eu l’audace d’évoquer en ce termes
l’amour physique »174. On peut voir une évolution de l’amour qu’elle ressent pour son
époux. La relation entre les deux époux s’est changé e, car m ême si elle l’aimait au début
par devoir, elle l’aime maintenant d’amour et cette chose est évidente : elle déclare à
Polyeucte son amour au vers 193 : « mais enfin je vous aime », puis au vers 461 elle dit à
Sévère : « oui, je l’aime seigneur, et n’en fa is point d’excuse ». Au vers 793 elle confie à
Stratonice que : « Je l’aimerai encore, quand il m’aurait trahie / et si de tant d’amour tu
peux être ébahie […] ». Devant Sévère elle nome son époux « Mon Polyeucte ». Dans un
dialogue avec Polyeucte, elle l e prie : « Ne dé sespère pas une âme qui t'adore ».
Elle vit cet amour et de ce point de vue la pièce n’est pour Pauline qu’une longue
ango isse: elle lutte désespérément pour ne pas perdre Polyeucte. Elle combat Félix,
Sévère, Polyeucte lui -même ; et voit accomplir malgré elle ce qu’elle craint depuis le
début : la réalisation du rêve de la mort.
Même Polyeucte oscille entre sa foi et ce « juste et saint » amour. Mais celui -ci
dans l’enthousiasme de la conversion, semble prête à confier Pauline à Sévère. M ais
l’amour conjugal et le fait qu’il l’aime encore le font vouloir partager son bonheur avec
elle, dans la gloire de Dieu. Elle fait tout pour le faire changer l’idée :

Mais si, dans ce séjour de gloire et de lumière,
Ce dieu tout juste et bon peut souff rir ma prière,
S'il y daigne écouter un conjugal amour,
Sur votre aveuglement il répandra le jour.
Seigneur, de vos bontés il faut que je l'obtienne ;

173 Pierre Corneille, Polyeucte martyr, op. cit., p. 56.
174 Michel Prigent, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 110.

60 Elle a trop de vertu pour n’être pas chrétienne.175 (v. 1263 -1268)

Mais e n dépit de ses épreuves, Polyeuct e finit par mourir en martyr. Le couple,
séparé sur terre, va se retrouver en Dieu, après la mort. Cette idée de continuation de
l’amour après la mort , on ne pourra pas la retrouver dans une pièce comme Phèdre. Il n’y a
rien qui implique la transcendance dans cette pièce, aucune espérance de continuation de
l’amour dans la relation Hyppolite -Phèdre . Dans Polyeucte, les mérites de l’héros
assurent la conversion de Pauline. Prigent affirme que « Pauline aime son père et mari en
Dieu. Elle se retrouve fil le et femme en Dieu »176. Il met en évidence aussi le fait que la
féminité amoureuse de Pauline s’exprime dans le martyre : « Polyeucte m’appelle à cet
heureux trépas » (v. 1733)177.
Pauline est le prototype de la femme irréprochable : elle est une fille obéis sante, est
une épouse parfaite. La femme a respecté la loi du sang et aussi la loi du cœur, mais elle se
trouve condamnée par l’une et par l’autre. Comme tous les personnages de Corneille elle a
une conscience claire de son devoir : pour elle au -dessus de la fortune c’est le mérite, mais
au-dessus du mérite il y a le respecte de la décision de son père.
Les personnages cornéliens s’affirment comme libres, chose qu’on ne peut pas dire
à propos des personnages de Racine. Phèdre est, dans ce sens, la pièce pl us illustrative
pour le tragique racinien. Racine « renouvelle, dans Phèdre , le thème des amants
malheureux qu’il avait souvent exploité »178. L’amour est aussi dans ce cas le moteur
essentiel de l’action : Thésée aime Phèdre, mais elle aime Hippolyte qui ai me à son tour
Aricie. De ce triangle amoureux naît le drame. La force de l’amour est violente et
inadmissible et domine notre héroïne Phèdre.
Elle est la fille de Minos et de Pasiphaé (qui, selon la mythologie grecque, a été
dominée par un amour monstru eux pour un taureau), descendant donc, indirectement, de
Jupiter et du Soleil. Elle est poursuivie par la malédiction de Vénus comme elle affirme à

175 Pierre Corneille, Polyeucte martyr, op. cit., p. 56.
176 Michel Prigent, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 112.
177 Pierre Corneille, Polyeucte martyr, op. ci t., p. 70.
178 Philippe Thenot, Racine – Phèdre , Paris, Ellipses, 1996, p. 15.

61 un moment donné179. Elle est donc la descendante d’une race maudite : « il suffit de savoir
que toute la race est frappée par la colère des dieux, et qu’ainsi Phèdre obéit à une fatalité
non seulement intérieure, mais aussi surnaturelle».180
Tout comme Pauline, elle est une épouse, mais qui ne partage pas avec son époux
l’amour qui caractérise le couple Polyeucte – Pauline, un amour pur, qui peut -être résiste
même après la mort. Elle est l’épouse de Thésée, mais en l’absence de son mari, elle se
voit libre de vivre sa passion et avoue l’amour pour son beau -fils, Hippolyte. Donc, elle
incarne le prototype de la femme incestueuse et adultère, qui aime obsessionnellement
Hippolyte, mais qui ne correspond pas à son amour.
La passion chez Phèdre éclate comme un coup de foudre. L’amour pour Hippolyte
naît brusquement à travers le regard, et ses effets sont immédiats. Un se ul regard est
suffisant pour que le trouble s’installe dans le corps et l’âme de la femme désormais
captive de sa passion :

Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue.
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue.
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler,
Je sentis tout mon corps et transir, et brûler.
Je reconnus Vénus, et ses feux redoutables, 181 (v. 271 -277)

Tout au long de la pièce, Phèdre semble être dominée par des forces qui la
dépassent. L’amour se présent ici comme une force incontrôlable, devant laquelle la raison
ne peut pas lutter. Elle tente de fuir, de ne se laisser pas dominée par cette passion, mais en
vain182. Son innocence se manifeste lors sa première apparition sur la scène : elle désire

179 « C'est Vénus tout entière à sa proie attachée. » (v. 306), Jean Racine, Phèdre, tragédie, [1677], édition
présentée et commentée par Philippe Drouillard et Denis A. Canal, Paris, Larousse, 1990, p. 56. Toutes les
références ultérieures à cette pièce se rapporteront à cette édition.
180 Revel Elliot, Mythe et légende dans le théâtre de Racine, Paris, Lettres Modernes Minard, coll.
« Situations », 1969, p. 193.
181 Jean Racine, Phèdre, op. cit., p. 56.
182 « D'un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l'encens. » (v. 283 -284), Ibidem.

62 mourir à cause de son amour coupable qu’elle fait connaître à Œnone. La mort est pour
Phèdre la seule solution de cacher la passion à laquelle elle ne peut pas échapper.183
Grâce au thème de la culpabilité Racine int roduit dans la conscience morale, la
dualité de la faute et de la pureté. Jean Rohou affirme que « Racine veut nous présenter
une héroïne qui ne soit ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente ». Or, sa culpabilité
est évidente. D’où l’idée de la m ontrer déterminée à mourir184. L’amour ressenti par
Phèdre est à la fois incestueux et adultère. Les mots « honte », « rougeur », « coupable »
sont des mots qui révèlent cette culpabilité dont Phèdre est consciente. Dès qu’elle avoue à
Œnone l’amour pour son beau -fils, ce qui était jusqu’là seulement une impression de
culpabilité devient une culpabilité réelle :

Quand tu sauras mon crime, et le sort qui m'accable,
Je n'en mourrai pas moins, j'en mourrai plus coupable.185 (v. 241 -242)

Tandis que l’amour de P auline et Sévère était im possible du point de vue social
parce qu’ il ne correspondait pas aux intérêts politiques de Félix, l’amour de Phèdre est
impossible non seulement du point de vue éthique, car il est le fils de Thésée, mais aussi du
point de vu affe ctif, car Hippolyte aime Aricie. L’angoisse produite par sa culpabilité est
redoublée par celle de n’être pas aimée à son tour d’Hippolyte. Phèdre est donc le
prototype de femme qui aime sans être aimée, dans ce cas étant « l’amoureuse » et non
« l’amante », chose qu’on ne peut pas dire de Pauline, car elle bénéficie d’un amour
partagé. Contrairement au théâtre cornélien, celui racinien se fonde sur le pathétique, sur
les plaisirs des larmes, sur la violence du sentiment amoureux, sur la cruauté du destin.
Roland Barthes affirme que « dès le début Phèdre se sait coupable, et ce n’est pas
sa culpabilité qui fait problème, c’est son silence : c’est là qu’est sa liberté »186. Mais ce
désir de garder le silence ne sauve pas Phèdre. En effet sa passion est si forte qu’elle ne
peut pas taire. « C’est pourquoi la pièce est aussi une tragédie de la parole, d’une parole

183 « Je meurs pour ne point faire un aveu si funeste » (v. 226), Ibidem, p. 53.
184 Jean Rohou, Avez -vous lu Racine ?, op. cit. p. 78.
185 Jean Racine, Phèdre, op. cit., p. 54.
186 Roland Barthes, Sur Racine, op. cit., p. 115.

63 qu’il ne faudrait pas prononcer et qui sera pourtant formulée »187. Dans le cas de Pauline
on a vu qu’elle n’a pas des problèmes à déclarer son amour soi t face à sa confidente, soit
face à Sévère, soit face à Polyeucte lui -même. Elle n’oscille pas entre parler ou garder son
silence, chose qu’on a pu voir surtout quand elle invoque face à Polyeucte ses droits
comme épouse. Au contraire, Phèdre ne peut pas confesser son amour, car parler, signifie
s'exposer, c'est devenir vulnérable. « La Parole, une fois prononcée, emprisonne celui qui
l'énonce […], elle est indestructible et irrécupérable»188. Phèdre incarne l'image d'une
parole qui refuse de se prononcer . Prononcer le nom de son bien -aimé signifie s’exposer.
C’est pourquoi ce n’est pas Phèdre qui le prononce mais Œnone.189
C’est en effet l’annoncée de la mort de Thésée qui permet au désordre de
s’instaurer par les déclarations d’amour de Phèdre. Elle rompt c e silence trois fois : une
fois face à Œnone, l’autre fois face à Hippolyte quand elle déclare sa passion pour lui et
une autre fois face à Thésée quand elle reconnait la vérité, après s’être donné la mort.
« Ces trois ruptures ont une gravite croissante ; de l’une à l’autre, Phèdre approche d’un
état toujours plus pur de la parole. »190
Si on analyse l’aveu fait à Hippolyte, on peut constater qu’en parlant elle se
condamne et semble rejeter loin d'elle toutes les précautions. Cet aveu est plus ou moins le
résultat d'un égarement qui limite la volonté et la lucidité de Phèdre. La confusion des
sentiments est si grande qu’elle ne réussisse pas à distinguer le fils du père :

Que dis -je ? Il n'est point mort, puisqu'il respire en vous.
Toujours devant mes yeux je crois voir mon époux.
Je le vois, je lui parle, et mon cœur… Je m'égare,
Seigneur, ma folle ardeur malgré moi se déclare.191 (v. 627 -630)

187 Roger Mathé et Alain Couprie, Phèdre [de] Racine : résumé, personnages, thèmes, Paris, Hatier ,
Série « Profil d’une œuvre », 1996 , p. 34.
188 Jean-Pierre Dens, « La Parole de Phèdre », in Revue Romane , Bind 11 (1976) , Los Angeles, URL :
https://tidsskrift.dk/index.php/revue_romane/article/view/11447/21734 , consulté le 28 avril 2017, p. 222.
189 « Malheureus e, quel nom est sorti de ta bouche » (v. 208), Jean Racine, Phèdre, op. cit., p. 52.
190 Roland Barthes, Sur Racine, op. cit., p. 115 -116.
191 Jean Racine, Phèdre, op. cit., p. 78.

64 Dans ses hallucinations elle revoit l'image d'un Thésée rajeuni, charmant , « traînant
tous les cœurs après soi »192, une confusion qui nous invite à nous demander si Phèdre
n’aime, à travers Hippolyte, un Thésée idéal.
Seulement à la fin du récit de la descente au labyrinthe193 Hippolyte se rend compte
que cet aveu le concerne, ce qui lui provoque l’étonnement et l’in dignation : il invoque
l’ordre du sang et celui du mariage pour rendre plus visible le caractère adultère et
incestueux de cet amour :

Dieux ! Qu'est -ce que j'entends ? Madame, oubliez -vous
Que Thésée est mon père, et qu'il est votre époux ?194 (v. 663 -664)

Comme il croit avoir mal entendu les paroles de Phèdre, elle se déclare enfin plus
explicitement : elle change de registre et passe à la deuxième personne du singulier « tu »
pour faire sa déclaration « du fol amour », qui trouble sa raison plus pers onnelle : « je
t’aime » (v. 673), « Je m'abhorre encore plus que tu ne me détestes. » (v. 678), « Tu me
haïssais plus, je ne t'aimais pas moins » (v. 687). Lors de sa déclaration, elle souligne
même le caractère honteux et incontrôlable de cet aveu :

Que dis-je ? Cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu si honteux, le crois -tu volontaire ? 195 (v. 693 -694)

« Si Phèdre parle, ce n’est pas pour communiquer ses sentiments, mais parce
qu’une force irrépressible l’emporte. Elle ne peut pas contenir les mots qui jaillissent de sa
bouche, mais elle les regrette dans le temps même où elle les prononce »196, note Philippe
Thenot. Elle accuse les dieux d’être responsables de la naissance de cet te passion197,

192 « II avait votre port, vos yeux, votre langage
Cette noble pudeur co lorait son visage » (v. 641 -642), Jean Racine, Phèdre, op. cit., p. 78-79.
193 « Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue,
Se serait avec vous retrouvée, ou perdue. » (v. 661 -662), Ibidem, p. 79.
194 Ibidem.
195 Ibidem, p. 81.
196 Philippe Thenot, Racine – Phèdre, op. cit. , p. 58.
197 « Les dieux m'en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang » (v. 679 -680), Jean Racine, Phèdre, op. cit., p. 81.

65 considérée la source de sa souffrance physique et psychique : chose qu’on peut observer
dans la présence du champ lexical du corps humain (« mon sang », mon flanc ») et celui de
la souffrance (« feu », « fatal », « larmes », « tremblante »). C’est en fait cet aveu qui
comporte sa propre condamnation, pour cet « odieux amour » :

Faibles projets d'un cœur trop plein de ce qu'il aime !
Hélas ! je ne t'ai pu parler que de toi -même.
Venge -toi, punis -moi d'un odieux amour.
Digne fils du héros qui t'a donné le jour,
Délivre l'univers d'un monstre qui t'irrite.198 (v. 69 7-701)

Consciente de sa faiblesse et de ses paroles d’amour coupables , elle implore
Hippolyte de tuer « ce monstre affreux», comme elle s’auto -intitule. Ce serait pour elle le
seul moyen d’échapper au scandale.
Aveuglée par amour, elle interprète fausse ment l’attitude d’Hippolyte, qui la rejette.
Pour consolider son illusion et son espérance, elle cherche à trouver une excuse. Pour elle,
le fait qu’il a réagi si hostilement à sa déclaration , c’est parce qu’il « entend parler d’amour
pour la première fois »199.
Le retour de Thésée détruit toutes ses espérances. « Il [l’époux] représentait l’ordre
autour duquel tout s’organisait ; brutalement, il cristallise le sentiment de culpabilité de
chacun »200. La confidente, pour sauver la reine des possibles accusatio ns d’Hippolyte, fait
que Phèdre, en recourant à un mensonge, accuse injustement Hippolyte qu’il a tenté de la
séduire, chose qui provoque la colère de Thésée, qui veut tuer son fils. Le stratagème
consiste donc à relater les faits en inversant les rôles. À partir de ce moment -là tout est «
prolong é » dans le mensonge et dans la suspicion, jusqu’au moment où Phèdre fait l’aveu
final de son « crime ».
Dans l’acte IV, scène 6, Œnone, jouant le rôle d’une conseillère, suggère à Phèdre
que l’amour est un « charme fatal », une fatalité à laquelle personne ne peut échapper et
que sa culpabilité est moindre qu’elle ne le croit. Les paroles de Œnone dévoilent la
conception pessimiste que Racine a sur l’homme : « La faiblesse aux humains n’est que

198 Ibidem.
199 Ibidem , (v. 784), p. 90.
200 Philippe Thenot, Racine- Phèdre , op. cit., p. 34.

66 trop naturelle »201. Même Phèdre « admet que la nature humaine est faible, mais ne croit
pas que cette insuffisance doive nécessairement conduire à la faute. Au contraire, Phèdre
conçoit qu’on puisse lutter contre ses impulsions »202, mais si elle a failli « ce n’est que
parce qu’elle a suivi les conseils de sa nourrice qui l’a empêchée de fuir en se donnant la
mort »203.
Consciente de « son crime », elle plaide comme innocente, en refusant la
responsabilité, car elle rejette la faute premièrement sur Vénus, puis sur Œnone:

Le Ciel mit dans mon sein une flamme funeste
La détestable Œnone a conduit tout le reste. 204 (v. 1625 -1626)

Elle meurt dans la honte après avoir fait un troisième aveu : elle dit la vérité à
Thésée dans son ultime sursaut de raison et de dignité. Elle croit que son ultime aveu
suffira à rétablir l’ordre initial :

Et la mort, à mes yeux, dérobant la clarté
Rend au jour, qu’ils souillaient, toute sa pureté 205 (v. 1643 -1644)

Phèdre éprouve un amour -passion qui est né dès le premier regard qu’elle ait porté
sur Hippolyte. Elle semble dominée par cette passion malheureuse, qui lui fait perdre la
raison et la fait osciller entre avouer ou ne pas avouer cet amour, entre vivre ou mourir.
Elle semble subir son destin, elle semble suivre cet amour qui est le résult at de la
malédiction de Vénus, et qui la conduit finalement à la mort. Il n’y a rien de transcendantal
dans cette pièce, comme on a vu dans la pièce Polyeucte .

Dans sa vision négative (qui fait sentir l’influence janséniste), la passion est, chez
Racine, une force incontrôlable face à laquelle l’homme est condamné et contre laquelle il
est incapable d’agir. Toute force de liberté est annihilée. Tandis que dans les cas des héros

201 Jean Racine, Phèdre, op. cit., (v. 1301), p. 121.
202 Philippe Thenot, Racine – Phèdre , op. cit., p. 41.
203 Ibidem.
204 Jean Racine, Phèdre, op. cit., 114.
205 Ibidem.

67 de Corneille c’est la raison qui l’emporte sur la passion, l’amour étant fondé sur l’estime et
l’honneur, dans les cas des héros de Racine c’est la passion qui l’emporte sur la raison.
Dans ce cas l’amour, comme force destructrice se fonde sur la passion et la jalousie
extrêmes. En fonction de leurs attitudes envers la passion destru ctrice, les héros raciniens
peuvent être appelés soit des héros tendres, des victimes de la passion d’autrui, qui
semblent prêts à se sacrifier pour éviter le mal (c’est le cas d’Andromaque et d’Hippolyte),
soit des héros maudits – des victimes de leur p ropre passion (c’est le cas d’Oreste,
d’Hermione, Pyrrhus e t Phèdre), parce qu’ils tentent tout prix de satisfaire leur propre
désir violent qui les conduit à la mort ou à la folie. L e personnage racinien est la victime de
la fatalité ou de la malédiction des dieux contre laquelle il ne peut rien faire, tandis que
l’homme cornélien est un héros libre, qui peut maîtriser ses sentiments et changer le destin.
Du point de vue de la force de la passion qui domine les héros et du pouvoir qu’ils exercent
sur la p ersonne aimée, on peut affirmer que le théâtre de Racine est un théâtre de la
violence206.

206 Roland Barthes, Sur Racine, op. cit., p. 36.

68 Conclusion

Comme je l’ai déjà affirmé dans l’Introduction, l’hypothèse d’où je suis partie dans
la rédaction de ce mémoire a été une possible évolution que nous po uvons observer dans la
construction du personnage à l’intérieur du théâtre français classique et, dans le cadre de
l’œuvre du même dramaturge, d’une pièce à l’autre. En plus, je me suis posé la question si
nous pouvons parler de véritables héros lorsqu’on analyse les personnages cornéliens et
ceux raciniens.
Au fil de mes analyses, j’ai pu observer que Pierre Corneille s’est efforcé de mettre
en scène des héros qui ont choisi la grandeur morale, le sens de l’honneur ou le bien de la
nation, de l’État ou de la foi, plutôt que l'intérêt personnel. J’ai remarqué à plusieurs
occasions que l’amour occupe dans les œuvres de Corneille une place secondaire. Par
exemple, Rodrigue choisit de sauver son honneur et celui de son père avant tout. Pour lui,
un véritable c hevalier, l’honneur vient se placer au -dessus de tout et même s’il oscille entre
l’amour pour Chimène et le devoir filial, il finit par faire son devoir. Il fait preuve de
valeurs plus hautes et c’est ce parti -pris de la valeur supérieure qui fait de lui u n véritable
héros, et non pas seulement le fait qu’il se distingue sur le champ de bataille.
Quant à Horace, il place « la raison de l’État » en tête de ses priorités. Se mettant au
service de l’ État il semble fier d’avoir l’occasion de se manifester avec éclat et de
s’affirmer. Dans ce cas la récompense est la gloire. Il incarne donc l’image du héros que
rien ne peut empêcher de faire son devoir envers l’État : ni même l’amour et l’amitié. Pour
lui affirmer la gloire de l’État et garder son honneur intac t sont les choix qui priment et les
seules dignes d’un héros. Il maîtrise donc ses impulsions et place son devoir en tête, et tout
cela vient dans un climat de liberté. C’est la première étape d’une évolution qu’on
remarque dans le théâtre de Corneille.
Cette évolution trouvera son apogée avec la pièce Polyeucte . Cette fois nous
pouvons nous rapporter à une tragédie qu’on pourrait appeler, pour employer le terme
même de Corneille, « parfaite ». Le dramaturge mise ici sur un autre type de relation, de
nature plutôt sacrée et spirituelle, celle du héros avec la divinité. L’action de la pièce est
liée à la présence d’une force transcendantale, d’une puissance qui domine le héros
tragique. Or le tragique de Polyeucte est l’adéquation totalement à son Dieu. Dans cette
pièce, Corneille propose un véritable héros qui veut se sacrifier lui -même pour donner un

69 exemple à la postérité, pour s’offrir comme modèle à imiter, geste absent chez Racine,
chez qui la plupart des personnages sont « des victimes » de leurs propre s sentiments
malheureux.
Si on a parfois opposé les deux dramaturges, les comparaisons plus approfondies
manquent pour autant. Corneille est considéré comme le poète de la politique, Racine
comme le poète de l’amour. Par rapport au théâtre cornélien, celu i de Racine marque une
évolution dans le sens d’une intériorisation du confit tragique : il propose des personnages
plus humanisés, capables de susciter les larmes. Si pour Corneille la gloire, l’honneur et la
foi sont les valeurs qui animent les héros, da ns le cas de Racine l’amour -passion est la
source de tous les conflits, la cause du déclin des personnages. Les héros présentés par le
théâtre de Racine sont complexes, oscillatoires, et faibles à la fois, et c’est justement la
faiblesse qui accentue leur aspect humain. J’ai montré que le héros racinien est un éternel
prisonnier (soit au sens propre, soit au sens figuré). Oreste, par exemple, est le prisonnier et
aussi la victime de son amour pour Hermione, de sa malédiction et cet amour -désir,
incontrôlab le, est celui qui le conduit à son destin funeste, à la folie. Pour lui tout espoir
d’être heureux et libre est annihilé. De son côté, si Andromaque devient la captive de
Pyrrhus, celui -ci tombe à son tour en captivité de son amour. Or Andromaque n’est
seulement la captive de Pyrrhus, mais elle symbolise aussi l’image de la fidélité du
souvenir de son époux mort. Mais même si elle est contrainte de doit faire des choix, elle
est la seule qui réussit à transgresser sa condition (de sa condition de captive, elle devient
la reine d’un royaume), à s’affirmer comme une héroïne, chose que nous fait la voir plutôt
comme une héroïne cornélienne et non comme un personnage racinien.
La tragédie classique se propose avant tout de « plaire et toucher». En suivant ce
principe, Racine a créé le personnage de Phèdre. Il m’a donc semblé intéressant de faire
une comparaison entre Pauline et Phèdre, une comparaison qui n’a jamais été entreprise
jusque -là. Le personnage de Corneille arrive à gagner sa liberté, tandis que cel ui de Racine
reste «prisonnier » de sa passion condamnable. La passion qui domine Phèdre est dépeinte
comme une maladie de l'âme et du corps. À l’idée d’amour estime, amour qui se
consomme dans le mariage, s’oppose l’amour adultère et incestueux de Phèdre. Elle se
défend de succomber à la passion violente à laquelle elle a été prédestinée , mais elle finit
par révéler son amour coupable et vainement combattu pour Hippolyte. J’ai mis en
évidence la manière dont pour elle, parler, c’est s’exposer, se rendre vu lnérable, se

70 condamner. Descendante d’une race maudite, elle semble consciente de sa culpabilité et se
montre prête à mourir pour mettre fin à son « crime ».
Faisant preuve de qualités plus hautes, de vertu et d’honneur, les personnages
cornéliens s’affir ment donc comme des héros. De leur côté, les personnages raciniens, en
se laissant dominés par leurs passions, se montrent capables de suscite r des larmes et se
présentent plus humanisés, tout en gar dant pourtant leur statut noble : ils restent de grands
héros de tragédie. Il reste pourtant à savoir : quel type de héros préférons -nous ?

71 Bibliographie

I. Bibliographie primaire
CORNEILLE, Pierre, Le Cid (tragi -comédie), [1637 ], avec de s notes explicatives,
questionnaires, bilan s, documents et parcours thématique établis par Hubert Carrier, Paris,
Hachette, 1991.
CORNEILLE, Pierre , Horace (tragédie) , [1640] , avec une notice biographique, une notice
littéraire et des notes explicatives, par René Vaubourdolle, Paris, Hachette, 1935 .
CORNEILLE, Pierre , Polyeucte martyr (tragédie chrétienne) , [1642] , avec une notice
biographique, une notice littéraire et des notes explicatives, par René Vaubourdolle, Paris,
Hachette, 1921.
RACINE, Jean, Andromaque, tragédie , [1667], édition présent ée par Anne Moussier,
Paris, Nathan , 2008 .
RACINE, Jean, Phèdre, tragédie , [1677], édition présentée et commentée par Philippe
Drouillard et Denis A. Canal, Paris, Larousse , 1990.

II. Bibliographie critique

II.1. Ouvrages et articles critiques
AMBROZE , Ana, Racine : poète du sacrifice , Paris, A. G. Nizet, 1970.
BARTHES, Roland, Sur Racine , Paris, Éditions du Seuil, 1963.
BRASILLACH, Robert, Pierre Corneille , Paris, Fayard, 1943.
BRUYERE, Jean, Les Caractères , suivis des Caractères de Théophraste, tradu its du grec
par le même, Tome premier, Paris, Chez Lefèvre et Brière, 1823 .
DELCROIX, Maurice, Le sacré dans les tragédies profanes de Racine, Paris, Éditions A.-
G. Nizet, 1970.
CHRISTINE, Noille , «Le Cid et la rhétorique des passions », in La Réserve , 15 février
2016, disponible en ligne à l’ URL suivant : http://ouvroir -litt-arts.univ -grenoble –
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DENS, Jean -Pierre, « La Parole de Phèdre », in Revue Romane , Bind 11 (1976) 2, Los
Angeles, URL : https://tidsskrift.dk/index.php/revue_romane/article/view/11447/21734 ,
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72 DELON, Michel, « Corneille dans l’Histoire », in Europe , dossier: « Corneille », n0 540-
541, avril -mai, 1974
DOUBROVSKY, Serge, Corneille et la dialectique du héros , Paris, Gallimard, 1963.
ELLIOT, Revel, Mythe et légende dans le théâtre de Racine, Paris, Lettres Modernes
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GHEERAERT, Tony, « Héros et / ou orateur ? Conseil et délibération dans le dernier
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Bonnier et Ariane Ferry, URL : http://ceredi.labos.univ -rouen.fr/public/?heros -et-ou-
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GILLBERT, Jean, Phèdre et l’inconscient poétique, Paris, L’Harmattan, 2001.
KAISERGRUBER, Danielle ; KAISERGRUBE R, David ; LEMPET , Jacques, Phèdre de
Racine, pour une sémiotique de la représentation classique, Paris, Librairie Larousse , coll.
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LAFLÈ CHE, Guy, « Le songe de Pauline », in Le Recueil des Récits de Rêve dans les
littératures d’ expression fran çaise , Éditions du Singulier, 1983, URL:
http://singulier.info/rrr/2 -pcor1.html , consulté le 26 mars 2017.
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et Cie , 1895 , disponible en ligne à l’ URL suivant :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1142263 , dernière consultation le 14 juin 2017.
LYONS, John D ., « Le mythe du héros cornélien », in Revue d' histoire littéraire de la
France , 2007/2 (Vol. 107), p. 433 -448, URL : http://www.cairn.info/revue -d-histoire –
litteraire -de-la-france -2007 -2-page -433.htm , consulté le 28 avril 2017.
MATHE, Roger ; COUPRIE, Alain, Phèdre [de] Racine : résumé, personnages, thèmes,
Paris, Hatier , Série « Profil d’une œuvre », 1996 .
MONCOND’HUY, Dominique ; CASAL, Yvonne, L’Illusion comique et Le Cid de
Corneille , Paris, Allande, 2002 .
MOREL, Jacques, Racine en toutes lettres , Paris, Éditions Bordas, 1992.
NIDERST, Alain, Racine et la tragédie classique , Paris, Press es Universitaires de France,
1978.
PRIGENT, Michel, Le héros et l’État dans la tragédie de Pierre Corneille , Paris, Presses
Universitaires de France , 1986 .
ROHOU, Je an, Avez -vu lu Racine ?, Paris, L’Harmattan, 2000.
SCHERER, Jacques, La dramaturgie classique en France , Paris, Librairie Nizet, 1986.
THÉNOT , Philippe, Racine – Phèdre , Paris, Ellipses, 1996.
TRUCHET, Jacques, La tragédie classique en France, Paris, Press es Universitaires de
France, 1975.

73
II.2. Autres ouvrages cités
ARISTOTE, Poétique , traduction française par Ch. Batteux, Paris, Imprimerie et Librairie
Classiques, 1874.
BOILEAU, Nicolas, L'Art poétique , avec des notes explicatives, littéraires et
philo sophiques, par G.H.F. de Castres, revue et corrige par A. Klautzsch, Leipzig, C.A.
Koch, Librairie, 1874,
CORNEILLE, Pierre, Trois discours sur le poème dramatique , L. Forestier éd., Paris,
S.E.D.E.S., 1963.
DESCHANEL , Émile, Le Romantisme des classiq ues, Paris, Calmann Lévy éditeur, 1885.
URL : http://obvil.paris -sorbonne.fr/corpus/critique/deschanel_romantisme/body -7,
dernière consultation l e 14 juin 2017.
RACI NE, Jean, Bérénice ( tragédie ), [1670], avec une Notice biographique, une Notice
historique et littéraire, un Lexique, des notes explicatives, une Documentation thématique,
des Jugements, un Questionnaire et des Sujet s de devoirs, par Léon Lejealle , Sorbo nne,
Larousse, 1971.
LEMAÎTRE , Jules , Impressions de théâtre : première série , Paris, Société française
d’imprimerie et de librairie, s. d., URL : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2043373 ,
dernière consultation le 14 juin 2017.

II.3. Dictionnaires et ouvrages de référence
Le Trésor de la Langue Française , version informatisée, URL : http://ww w.cnrtl.fr/ , site
consulté le 24 mars 2017.

III. S itographie
Cairn.info, http://www.cairn.info
Gallica, http://gallica.bnf.fr/accueil/?mode=desktop
L'Observatoire de la vie littéraire ( OBVIL ), http://ob vil.paris -sorbonne.fr/
Site personnel du philosophe Jean Lévêque, http://jean -leveque.fr
Site du 17e siècle, http://17emesiecle.free.fr

74 Annexe

Tableau comparatif
L’univers théâtral de Corneille vs l’univers théâtral de Racine

Corneille (Le Cid, Horace,
Polyeucte ) Racine ( Andromaque ,
Phèdre )
Lieu de l’action

L’action est placée à /
dans…. Le Cid – La scène se déroule
à Séville .
Hora ce- La scène est à
Rome, dans une salle de la
maison d'Horace.
Polyeucte – La s cène est à
Mélitène, capitale
d’Arménie, dans le palais de
Félix.

Préférence marquée pour
l’histoire de l’Empire
romain. Andromaque – La scène est à
Buthrot, ville d’Épire, dans une
salle du palais de Pyrrhus.
Phèdre – La scène est à
Trézène, ville du Péloponnèse.

Préférence marquée pour la
mythologie grecque.
Le conflit tragique
(le moteur qui
déclenche l’action
tragique)
Conflit entre amour et
devoir

Conflit amoureux ou
passionnel
Le héros oscille entre l’amour
et la haine , deux passions
dévastatrice.
Les personnages
1. rapport avec
l’espace

Un espace ouvert. Les
personnages se déplacent
librement .

Des relations ouvertes avec
les autres personnages.

Un espace clos. Les
personnages s’y sentent captifs .

Les personnages ont des
difficultés à relationner avec
les autres personnages
(relations conflictuelles), à
exprimer leurs sentiments .
Parler , c’est devenir vulnérable

75
2. rapport s avec
les autres
personnages

3. rapport avec la
passion

Duels entre les personnages
seulement pour sauver
l’honneur (Rodrigue) ou
pour s’affirmer (Horace) .

Les femmes réclament leurs
droits (Pauline réclame ses
droits come épouse ). Les
femmes semblent plus
libres.

La passion occupe une
seconde place. La raison et
l’honne ur sont les choses qui
priment.

L’amour est fondé sur
l’estime pour l’être aimé
(dans le cas de Rodrigue et
de Chimène, mais aussi dans
le cas de Pauline et de
Polyeucte). Le héros doit
être digne pour être aimé . Il
s’agit d’un amour partagé.

L’amour anoblit.

L’amour est fondé sur la
raison.

(Phèdre) .

Des personnages qu i sont
souvent des meurtr iers.

De fausses accusations, pour
gagner l’amour de la personne
aimée (Oreste) ou pour se
sauver d’une situation
défavorable (Phèdre).

Les femmes se sentent
emprisonnées. Elles ne sont
pas complètement libres.

La passion occupe une place
primordiale . Les héros sont des
victimes d’un amour passion
incontrôlable .

La passion est tragique et
représente la cause du conflit
tragique. Les personnages sont
dominés par l’idée d’être aimé.
L’amour est dans la plupart des
cas impossible, non-partagé.
La passi on est associ ée à l’idée
de jalousie , de la haine et du
désir de vengeance.

L’amour n’est pas digne .

L’amour est une force
incontrôlable et irrésistible. Ni
raison, ni volonté propre ne
peuvent lutter contre la
passion, qui semble plus forte .
La pass ion est aveugle , fatale,

76

4. psychologie

Le héros crée tout seul sa
destinée . Donc le héros
s’affirme comme un être
libre.
Les héros sont forts, ils
n’hésitent pas, font preuve
de grands vertus et du sens
de l’honneur. Ils font leur
devoir.

Le héros cornélien affirme
un devoir moral : son désir
de se donner comme un
exemple pour les autres
(Polyeucte). conduit soit à la mort, soit à
rendre fou le héros.

Le héros est victime de sa
destinée. Donc le héros ne
gagne pas sa liberté.

Les héros sont faibles, proie à
des passions violentes . Ils s ont
comme des jouets de leurs
passions, impuissants. Face à
leur passion incontrôla ble, ils
oublient leur devoir (Oreste,
Pyrrhus ).
`
Le héros racinien affirme un
devoir passionnel pour gagner
l’amour de l’être désiré .

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