Réflexions thématiques sur l’enseignement supérieur Vol. XXIX, No. 4 2004 4 L’Enseignement Supérieur en Eur ope Volume XXIX Numéro 4 2004 TABLE DES… [609519]
UNESCO
UNESCO -CEPES
CENTRE EUROPÉEN
POUR L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
L’Enseignement
Supérieur
en Europe
Dans ce numéro:
Réflexions thématiques sur l’enseignement supérieur
Vol. XXIX, No. 4 2004
4 L’Enseignement Supérieur en Eur ope
Volume XXIX Numéro 4 2004
TABLE DES MATIERES
Liberté académique, innovation et responsabilité: vers un « système GPS d’éthique »
dans l’enseignement supérieur et la science
Jan Sadlak et Henryk Ratajczak ………………………….. ………………………….. …………………… 433
Les dimensions éthiques et morales de l’enseignement supérieur et de la science en
Europe
L’éthique « dans » et « pour » l’enseignement supérieur
Peter Scott ………………………….. ………………………….. ………………………….. ……………………. 439
L’université et l’éthique résolue
Eric Gould………………………….. ………………………….. ………………………….. ……………………. 451
L’excellence, le partage et la solidarité en tant que principes éthiques de la
coopération académique internationale: l’Agence universitaire de la Francophonie
Roger Manière………………………….. ………………………….. ………………………….. ………………. 461
Moralité, culture et modernité: les défis de l’université
Andrzej Szostek ………………………….. ………………………….. ………………………….. …………….. 467
La réforme universitaire en Europe: quelques considérations éthiques
Andrei Marga ………………………….. ………………………….. ………………………….. ……………….. 475
Prévention, gestion et modération: des cadres éthiques de gouvernance
Jürgen Kohler ………………………….. ………………………….. ………………………….. ………………. 481
Pour une culture mondiale de la paix: la transmission et les di mension éthiques
Federico Mayor ………………………….. ………………………….. ………………………….. …………….. 491
L’éthique et la culture de la paix
Abdelwahab Hechiche ………………………….. ………………………….. ………………………….. …….495
La Déclaration de Bucarest sur les Valeurs et les principes éthiques pour
l’enseignement supérieur dans la Région Europe ………………………….. ……………………….. 503
5 Tribune
Les étudiants d’élite dans l’enseignement universitaire
Adriaan Hofman et Müriel van den Berg ………………………….. ………………………….. ………509
Comptes -rendus et études bibliographiques ………………………….. ………………………….. 523
Notes sur les auteurs ………………………….. ………………………….. ………………………….. ………531
6 Liberté académique, innovation et responsabilité: vers un « système
GPS d’éthique » dans l’enseignement su périeur et la science
JAN SADLAK et HENRYK RATAJCZAK
A la place de notre éditorial habituel, Jan Sadlak, directeur de l’UNESCO -CEPES, et
Henryk Ratajczak, vice -président de l’Académie Européenne des Sciences, des Arts et
des Lettres (AESAL), présentent en ce qui suit les objectifs et les faits les plus
marquants de la Conférence internationale sur Les dimensions éthiques et morales de
l’enseignement supérieur et de la science en Europe, tenue à Bucarest les 2 -5
septembre 2004. Les articles publiés dans c ette édition, dont certains sont tirés de
présentations de la Conférence, sont également présentés ici.
La conférence a été organisée par les deux organisations susmentionnées, en
collaboration avec l’Université des Nations Unies (UNU) de Tokyo et la Divi sion des
sciences fondamentales et des sciences de l’ingénieur de l’UNESCO de Paris. Elle a
eu lieu sous le haut co -patronage de M. Jacques Chirac, président de la République
Française, et de M. Ion Iliescu, président de la Roumanie, et a reçu une distinct ion
particulière à travers de messages particuliers adressés par le Pape Jean Paul II,
SMR le Prince El Hassan bin Talal, et M. Koïchiro Matsuura, le Directeur -général de
l’UNESCO. Tous les documents de la conférence peuvent être consultés sur le site
Internet de l’UNESCO -CEPES, < www.cepes.ro >.
Tout au long de leur histoire, les universités et les autres établissements
d’enseignement supérieur ont été responsables non seulement de l’enseignement et de
la recherche, mais auss i de la promotion de valeurs normatives éthiques et morales.
En fait, durant le dernier siècle, ces établissements ont été les initiateurs et les
pionniers de débats éthiques cruciaux concernant le mouvement pour les droits
civiles, l’égalité des sexes, l’ action positive et l’égalité des chances, les aspects
moraux de la science, et ainsi de suite.
Les grands changements de la fin du Vingtième siècle, et surtout des pays de
l’Europe Centrale et de l’Est, ont apporté de nouvelles perspectives sur les dimens ions
éthiques et morales de l’enseignement supérieur et de la science dans la région ainsi
que dans d’autres régions. Dans la lumière des reconfigurations continues de la
mondialisation, les établissements d’enseignement supérieur sont désormais censés
s’assumer un rôle encore plus évident en tant que représentants des valeurs sociales
modernes, démocratiques, comme la liberté d’expression et d’association, l’accès
équitable, la responsabilité envers les parties impliquées, et le règne du droit. Dans
beaucoup de cas, les membres de communautés académiques font des pas pratiques
afin de définir, concevoir, appliquer et évaluer la dissémination de telles valeurs.
Néanmoins, avec l’émergence de la société du savoir, les établissements
d’enseignement supérieur e t de recherche sont impliqués de manière plus directe dans
la vie économique et sociale tout en étant à leur tour influencés par cette dernière.
L’humanité a profité de manière inestimable des merveilleux résultats du progrès
scientifique et technologique qui, jusqu’à récemment, étaient en principal matériaux.
Néanmoins, les résultats de ce progrès sont de plus en plus intangibles et virtuels;
nous nous confrontons avec des défis éthiques est moraux conséquents et
généralement inconnus.
7 \L’information nous rapporte aujourd’hui tout un panorama de problèmes. Nos vies
privées, publiques, politiques, et professionnelles sont de plus en plus définies non
seulement par l’information, mais aussi par une symbiose avec la nouvelle galaxie de
matériel et de logiciel s informatiques. La plupart de nos tâches quotidiennes sont
essentiellement des formes différentes de génération ou de consommation
d’information, et les merveilles de l’Internet ont changé irrévocablement le
fonctionnement des écoles, des universités, des laboratoires et des organisations de
recherche. On est pratiquement confrontés tous les jours à des défis éthiques liés ou
dérivant de ces merveilleuses avancées de la créativité humaine. Par exemple, la
pratique omniprésente du téléchargement sur l’Inter net constitue un problème
significatif pour l’évaluation du travail de l’étudiant, ainsi que pour les publications
académiques.
Des mesures légales et administratives adaptées sont certainement nécessaires,
mais celles -ci ne résoudront pas les défis éthiqu es posés par la technologie de
l’information. De même, la technologie ne résoudra pas nécessairement les problèmes
posés par la technologie; la maîtrise de l’information ne réside pas dans le contrôle ou
la centralisation.
Pour ce qui est de la science, de s découvertes spectaculaires en chimie ont
contribué de manière incontestable au progrès de notre civilisation, tout en polluant
l’environnement, avec des conséquences biologiques et sociales imprévisibles. De nos
jours, la biologie moléculaire et la génét ique, malgré une évolution des paramètres
légaux, sont peu sûres et contrôlables dans leur développement. Nos industries
croissantes et nos sociétés enrichies sont en train de mettre en danger la planète,
incluant les changements climatiques naissant à mes ure que la consommation
d’énergie pollue l’atmosphère et amoindrit notre couche d’ozone protectrice. Dans
d’autres domaines de la science, les simples activités de recherche peuvent conduire à
de nouveaux et plus accessibles moyens de destruction en masse.
Vue comme un processus d’évolution naturelle, la science doit pouvoir se
développer librement; toute limitation de la recherche scientifique serait presque une
contradiction de termes. De l’autre côté, la recherche incontrôlable peu mener à des
dangers in concevables. Ceux qui établissent des politiques ou qui effectuent des
recherches sont ainsi confrontés à un dilemme éthique: permettre à la science
d’avancer sans restrictions, et prendre des risques, ou envisager la recherche
principalement dans le conte xte des conséquences, de l’impact social et de la
responsabilité ? La responsabilité est certainement un mot clé pour tous, non
seulement pour les scientifiques. Nous croyons que l’éthique et la responsabilité sera
une condition comportementale sine qua no n pour les êtres humains au Vingt -et-
unième siècle.
A part les effets technologiques de répulsion et d’attraction et ce qu’on vient de
mentionner, les dimensions éthiques et morales de l’enseignement supérieur et de la
science doivent être analysées dans l e contexte de la mondialisation. Seulement un
ignorant mettrait en question la pertinence et le rôle positif inhérent du marché en tant
que principe relationnel dominant, mais tout, même dans la vie économique, ne peut
être organisé par l’offre et la deman de ou la recherche de l’équilibre du marché. Il est
donc vraiment inquiétant que « l’avoir » domine « l’être » dans nos comportements
collectifs. Un autre défi de la mondialisation réside en cela que les mécanismes et les
structures institutionnels d’un sy stème mondial de poids et de contrepoids sont
insuffisants; ceux -ci sont nécessaires si on veut avoir une société civile internationale
et une existence humaine vraiment civilisée. Les forces de la mondialisation sont
puissantes; nos mécanismes censés gére r les défis naissants sont encore faibles.
8 Rappelons -nous cependant que l’avenir dépend non seulement d’institutions
démocratiques politiques et sociales, mais – plus essentiellement – de l’individu – ou,
en ce qui nous concerne, les étudiants, les cherche urs, les enseignants et autres
membres de la communauté académique.
Les responsabilités éthiques et morales des établissements d’enseignement
supérieur et de recherche relèvent de leurs rôles parallèles, en tant qu’acteurs
économiques et sièges des communa utés académiques. Cela constitue un fait crucial,
puisqu’on témoigne aujourd’hui un changement de paradigme dans l’organisation et le
fonctionnement de l’enseignement supérieur. Au moment où la plupart des discussions
actuelles sur l’enseignement supérieur européen se concentre sur des sujets comme la
structure et la gestion institutionnelles, les flux d’étudiants, l’assurance de la qualité, et
le commerce des services d’enseignement, les valeurs académiques ont été mises de
côté et les principes fondamenta ux concernant ce qui est et ce qui n’est pas approprié à
cet égard s’évanouissent. L’érosion des valeurs académiques fondamentales n’est pas
que du charabia académique, parce que l’inattention aux fraudes, au népotisme, à la
bonne gouvernance, et à la corr uption dans l’enseignement supérieur peuvent saper
leur statut et leur rôle dans une société démocratique. De même, ces tendances socio –
économiques naissantes ont manqué des programmes de l’enseignement supérieur, ou
ont été tout simplement négligées. Il e st le temps de trouver un meilleur équilibre entre
les diplômes et les qualités, afin d’aider les étudiants à combiner et développer de
manière pertinente leurs responsabilités professionnelles, personnelles et civiques dans
une société démocratique.
Quatre cadres conceptuels principaux ont été élaborés pour la Conférence; à part
les recommandations de la Conférence adoptées dans la Déclaration de Bucarest, ces
cadres reflètent notre problématique1:
– Comment les contextes éthiques et m oraux affectent l’enseignement supérieur
et la science modernes, principalement d’une perspective institutionnelle.
– Solutions et modalités de traitement des défis éthiques dans différents
établissements, programmes d’étude et activités de recherche.
– Cadres éthiques de gouvernance, censés traiter non seulement des pathologies
institutionnelles comme la corruption, mais aussi l’expansion des ‘espaces
gris’ évidents dans un grand nombre d’organisations complexes.
– Et tout cela n’a pas de sens si nous n’appreno ns pas à mieux vivre ensemble,
raison pour laquelle une ‘Culture de la paix’ représente une proposition
symbolique.
Pour conclure, beaucoup des présuppositions implicites concernant les dimensions
morales et éthiques de l’enseignement supérieur et de la sc ience se trouvent
actuellement remises en cause; d’après nous, cela a justifié l’organisation de notre
Conférence. Les merveilles du progrès technologique, comme le global positioning
system (GPS), nous aident à atteindre des destinations inconnues. Nous p ourrions aussi
tirer profit d’un ‘GPS éthique’ censé guider notre marche individuelle et collective
dans la direction d’un Nouvel Humanisme, basé sur la liberté, l’innovation et la
responsabilité. Ceux -ci sont des principes de départ à partir desquels on p eut présenter
les articles publiés dans ce numéro de l’ Enseignement Supérieur en Europe , et la
Déclaration de Bucarest – également publiée ici.
Dans le premier article de la section thématique de ce numéro, Peter Scott pose les
prémisses en analysant l’app arent désengagement des universités par rapport à ce qu’il
appelle « les structures essentielles de valeurs ». Il met en évidence le fait que les
1 En français dans le texte (ndlr).
9 établissements d’enseignement supérieur rejoignent plus volontairement de nos jours
des valeurs en rapport ave c le commerce, l’instrumentalisme et/ou la science; les
aspects éthiques courent de facto le danger d’être relégués au dernier rang, sublimés en
échange dans une série diffuse de ce que Scott nomme « des aspects procéduraux ».
Son analyse de cette possible érosion de l’autonomie éthique et du changement de
paysage en ce qui concerne les valeurs académiques est importante en ce qu’elle est
contre-intuitive: il affirme que ces changements sont en fait un signe d’expansion, et
point de défaite aux mains des fo rces politiques et du marché. Le rapport entre
l’enseignement supérieur moderne et la société du savoir a mené à l’apparition de
nouvelles configurations de la production et de la consommation; l’article de Scott
intègre l’expansion de l’université au nouv eau territoire socioculturel, économique et
technologique. Scott identifie trois tendances clés qui déterminent l’évolution de la
société du savoir, et pose que cette évolution, de paire avec ses implications multiples
dans l’enseignement supérieur de mass e, est au coeur des fluctuations actuelles des
systèmes de valeurs.
L’idée de Scott que l’enseignement supérieur s’implique dans des nouvelles
formes sociales et est en même temps changé par celles -ci est reprise par Eric Gould,
avec la même classe mais da ns un but différent. Gould examine le rôle de l’université
dans la société du savoir et se prononce, dans son analyse finale, en faveur d’une place
juste pour l’éthique dans les programmes universitaires – une ‘éthique pragmatique’
intellectuellement saine . Pour arriver à cela, il accompagne le lecteur à travers le
champ de mines éthique qu’est la génération actuelle de savoir: la création de valeurs
en tant que produit secondaire du développement du savoir; le défi d’une approche
commune, interdisciplinair e, du savoir; la promotion de la démocratie; et la
massification et la corporatisation des universités, ces dernières résultant de la montée
du capitalisme libéral. Gould met en évidence que les établissements d’enseignement
supérieur doivent de plus en pl us « … paraître et agir en tant qu’entités
commerciales » dans l’intérêt de leur survie. La conclusion est claire, en cela que le
rapport entre le savoir et les intérêts économiques devient de plus en plus étroit et
qu’un défi éthique essentiel, selon Goul d, concerne le décalage même entre les valeurs
académiques classiques de l’université et les valeurs de marché de la société du savoir.
Est-ce que les universités réussiront à trouver une médiation entre la modernité et la
modernisation ? Peuvent -elles remettre en cause les structures sociales et éthiques sur –
simplifiées et réconcilier « les buts capitalistes et les valeurs démocratiques » ?
Roger Manière affirme que le libéralisme incontrôlé et la mondialisation
omniprésente et invasive représentent des da ngers implicites pour le bien public; la
question de l’intérêt collectif et de son respect est désormais essentielle. Mais
comment peut -on favoriser ces derniers ? En retraçant l’évolution historique des
universités d’Europe, Manière contemple le riche et divers héritage du continent. Il
combine cette approche historique avec des évolutions sociologiques, politiques et
économiques modernes et rajoute un utile post-scriptum éthique aux considérations
particulières de Peter Scott: la ‘massification’ en soi a été également un choix éthique
et en effet une réussite éthique. A certains des arguments plutôt anglo -saxons,
déterministes, traités dans les deux articles qui le précèdent, l’article de Manière
propose une perspective continentale complémentaire, sinon o pposée: le processus
d’intégration européenne au niveau de l’enseignement supérieur requiert non
seulement de la coopération, mais une coopération basée sur une éthique du partage et
de la solidarité. Il présente le rôle de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF),
en tant que structure opérationnelle veillant à ce but, et affirme que les activités
programmatiques organisées dans ce cadre constituent un bon véhicule du
10 renforcement de la diversité linguistique, de la protection de l’environnement , de la
démocratisation et du rôle critique des TIC dans la distribution équitable du savoir.
Deux auteurs venant d’Europe Centrale et de l’Est, Andrzej Szostek et Andrei
Marga, suivent la voie ouverte par Manière dans la défense de la tradition humaniste
de l’Europe dans l’enseignement supérieur. Szostek examine dans son article certains
des défis actuels de l’université européenne, soutenant qu’il est possible de retirer la
recherche et l’enseignement de l’université mais point vice versa . Le rôle humanis te
du milieu universitaire ne peut simplement pas être abandonné, écrit -il, et demeure
essentiel pour la conception de la recherche de la vérité, d’une communauté de
l’enseignement, et d’une vie civique et culturelle européenne. Cependant, Szostek
comprend les défis de la modernité et du libéralisme mondialisé qui affectent cette
vocation universelle, humaniste. Ceux -ci incluent la massification, les progrès
technologiques, les structures obsolètes de carrière académique, et un marché du
travail en perpétue l changement. Il met en évidence que le maintien de la mission
fondamentale de l’université à cette époque est un « défi moral », né de la croyance en
l’héritage universitaire européen de production culturelle et de renouveau social.
Partageant l'appréhens ion de Szostek pour la protection et la propagation de
l’héritage éducationnel du continent, Andrei Marga analyse la crise du modèle
humboldtien, remarquant la fragmentation apparemment irrécupérable de sa vision
unifiée de l’enseignement et du développeme nt. Marga annonce l’imminence de
changements culturels, en cela que la capacité d’adaptation des cultures
éducationnelles européennes constitue un indicateur essentiel de succès: les universités
européennes doivent tenir compte des traditions historiques d e leur genèse, mais aussi
des impératifs du changement constructif. Il souligne que la réitération et la redirection
de la mission et des fonctions -clés de l’université sont cruciales, notamment dans les
domaines de la réforme institutionnelle, de l’encour agement de la créativité, de la
résolution de problèmes et de la gouvernance démocratique.
Les universités sont des articulateurs essentiels des systèmes de valeurs, y inclus
de ceux qui concernent l’éthique; aussi essentiellement, les observations attente s et
profondes de Jürgen Kohler se trouvent au croisement des principes et de la pratique.
L’article de Kohler tente d’analyser et d’esquisser un cadre éthique de gouvernance
dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la science, en fournissant une série
d’exemples bien utile. Il fait, par exemple, une distinction entre les défis éthiques et les
mesures préventives, traitant des aspects pratiques de la quête du savoir, du conflit et
de l’égalité dans le monde académique, et des échecs des prévisions. Kohler propose
aussi des cadres éthiques de gouvernance correcteurs ou préventifs, au niveau des
structures censées assurer l’unification de la gouvernance et de l’éthique, ainsi que
dans la gestion de l’éthique et de la prévention des risques.
A la suite des cadres institutionnels présentés par Kohler, Federico Mayor offre
une perspective personnelle sur les limites éthiques du savoir. Mayor se prononce en
faveur d’un usage plus étendu de l’éthique dans la détermination des applications
possibles du savo ir, étant donné que le savoir et l’acquisition conséquente de pouvoirs
ont augmenté de manière exponentielle, mais les cadres éthiques nécessaires n’on
malheureusement pas suivi le pas. Mayor récapitule certains des moments éthiquement
importants des cinqu ante dernières années, afin de mettre en évidence le rôle des
établissements d’enseignement supérieur en tant que promoteurs mondiaux potentiels
des dimensions éthiques du savoir.
Abdelwahab Hechiche offre une évaluation contextuelle du mandat éthique de
l’enseignement supérieur et referme le cercle en soulignant, tout comme Scott,
l’existence d’un décalage grandissant entre l’éthique elle -même et le cadre élargi de la
11 littérature éthique et des ‘procédures’ dans l’enseignement supérieur. Des
euphémismes t echniques et procéduraux remplacent de plus en plus toute implication
éthique ouverte et Hechiche appelle à une réaffirmation de l’éthique comme qualité et
but sociaux inhérents, plus importants que jamais dans la perspective des tendances
transnationales émergeantes dans l’enseignement supérieur. L’éthique est la plus
appropriée à ce but selon Hechiche parce que, à la différence des conceptions plus
rationnelles de la moralité, sa dimension sociale favorise la conciliation et la
focalisation sur les droits réciproques. Ces droits sont ambigus dans le contexte des
dynamiques mondiales convergentes/divergentes; d’où la primauté des cadres
favorisant la coopération et le dialogue. Hechiche étudie également la discipline de
l’enseignement pour la paix en tant q u’application de ces idées, et relève quelques
implications pour la profession d’enseignant. Sa conclusion est essentiellement qu’à
cette époque fragmentée le fardeau de l’éthique doit être partagé.
La section thématique de ce numéro de l’ Enseignement Supé rieur en Europe se
clôt avec la Déclaration de Bucarest, dont la version complète y est publiée. A la fin de
la Conférence susnommée, les participants ont adopté cette série de recommandations,
censées conduire à une plus grande acceptation des dimensions éthiques et morales de
l’enseignement supérieur et de la science en Europe. La Déclaration propose quelques
valeurs et principes directeurs concernant l’éthos académique, la culture et la
communauté; l’intégrité académique dans l’enseignement et la formati on; la
gouvernance démocratique et éthique; l’intégrité et la réponse sociale dans la
recherche; et l’application de principes éthiques. La Déclaration recommande aussi
que l’UNESCO -CEPES, en coopération avec d’autres parties impliquées, initient des
activités de suivi centrées sur l’identification et la promotion de pratiques
institutionnelles positives.
Dans la section « Tribune », Adriaan Hofman et Muriel Van Den Berg étudient la
situation des étudiants d’élite des Pays -Bas, qui suivent deux programmes d’études
universitaires concomitamment. A travers une perspective théorique basée sur des
notions de capital humain et financier et de pertinence de facteurs programmatiques et
motivationnels, les auteurs présentent des cadres compréhensifs concernant le s exe, la
motivation, l’accroissement du capital humain des étudiants, et les ressources
familiales. De manière encore plus intéressante encore, ils trouvent que l’intérêt
intellectuel et la motivation intrinsèque sont des facteurs -clés, ce qui constitue pou r les
buts de ce numéro une réaffirmation rafraîchissante des ‘aires d’action’ clés de
l’enseignement supérieur, planant aisément sur nos discussions.
Enfin, mais pas en dernier lieu, ce numéro de l’Enseignement Supérieur en Europe
inclut une série de comp tes-rendus et études bibliographiques de quatre critiques, une
lecture recommandée. Le prochain numéro de la revue de l’UNESCO -CEPES aura
comme sujet ‘Le Processus de Bologne: rétrospective et perspectives’. Vos
contributions sont les bienvenues.
12 L’étique « dans » et « pour » l’enseignement supérieur
PETER SCOTT
Le présent article analyse l’apparente conspiration du silence et/ou la culture du
manque d’intérêt par rapport aux questions d’éthique dans l’enseignement supérieur.
Une première interprétation traite cette question comme un phénomène presque
entièrement négatif – la subordination des valeurs des universités aux forces externes
politiques et du marché. La seconde interprétation, élaborée ci -dessous, est plus
nuancée et plus objective ; l’apparent e érosion de l’autonomie des universités et
l’imprécision croissante des valeurs académiques traditionnelles sont vues comme
une preuve non du déclin et de la chute, mais du succès de l’enseignement supérieur
dans le territoire en pleine expansion de la so ciété du savoir.
Introduction
Les universités sont des établissements fondés sur des valeurs – peut-être les
établissements les plus conservateurs de valeurs dans la société moderne, après le
déclin de la religion organisée et ceci a visiblement été le cas pour l’ « occident » (à
une exception près, celle étonnante des Etats -Unis), alors que la montée du
sécularisme est un phénomène mondial. Les universités non seulement expriment les
valeurs intellectuelles et scientifiques directement à travers l’ense ignement et la
recherche; elles représentent aussi de puissantes valeurs organisationnelles
(notamment en termes de gouvernance collégiale, d’autonomie institutionnelle et de
liberté) et des valeurs instrumentales d’égale influence (du fait du rôle de
plus en plus puissant qu’elles jouent dans le cadre de la société du savoir); finalement,
les universités ont un apport essentiel à la formation des valeurs sociales et culturelles.
Cependant, il semble que les universités hésitent de plus en plus à reconnaît re ces
structures essentielles de valeurs – ou qu’elles cherchent plutôt à maintenir les valeurs
à l’intérieur de zones bien protégées. Ainsi, les valeurs scientifiques intrinsèques sont
mises en avant au détriment de valeurs plus intellectuelles et généra les; les valeurs
instrumentales à travers lesquelles les universités peuvent prouver leur utilité sont
mises en avant au détriment de valeurs plus importantes qui sont ouvertes aux
critiques (souvent fausses) comme étant trop politiques; et la culture orga nisationnelle
des universités est de plus en plus contaminée par le pouvoir et l’influence croissants
du commerce de la culture. L’effet, qu’il soit intentionnel ou pas, est celui
d’encourager les universités à ne pas admettre ouvertement l’importance des valeurs.
L’effet, intentionnel ou pas, est celui d’encourager les universités à ne pas reconnaître
ouvertement la signification des valeurs. S’il ne s’agit pas d’une conspiration du
silence, au moins une culture du manque d’intérêt est bel et bien mise en place. Au
lieu de se présenter comme des établissements fondés sur certaines valeurs
fondamentales, les universités semblent vouloir maintenant être perçues comme des
organisations se limitant à rendre des services d’ordre technique, acceptant volontiers
les valeurs que leurs principaux bénéficiaires – notamment le gouvernement et
l’industrie – cherchent à imposer.
Le triste résultat est que les problèmes d’ordre éthique se trouvent en danger de
devenir des problèmes secondaires dans les universités modern es – ou, pour être plus
précis, il existe une tendance à redéfinir les problèmes d’ordre éthique comme étant
des problèmes essentiellement procéduraux plutôt que des problèmes fondamentaux
13 directement liés à la principale mission de l’université. Ce change ment peut aussi être
remarqué dans le contexte de la recherche. L’éthique de la recherche ne se débat plus
en termes de moralité du sponsorat militaire ou commercial des programmes de
recherche; la recherche « au ciel bleu » et les bourses « désintéressées » ne sont plus
défendues avec autant de force. A la place, l’éthique de la recherche se concentre sur
des problèmes beaucoup plus étroits, souvent techniques, tels que le fait d’exposer les
mauvaises pratiques et de maintenir la rigueur des méthodologies de recherche (y
compris le besoin d’éviter d’exploiter les sujets de recherche ou les intrusions non
nécessaires dans leurs vies) (Scott 2003). Un changement similaire peut être observé
dans le contexte de l’enseignement. L’importante investigation a été r éduite à la
résolution du problème. Au lieu d’encourager les grands débats sur le développement
souhaitable du programme d’enseignement, les universités se concentrent maintenant
sur des politiques et des procédures conçues en vue d’éviter ou de punir le p lagiat
parmi les étudiants.
Il y a deux interprétations possibles de la signification de cette apparente
conspiration du silence et/ou culture du manque d’intérêt concernant les problèmes
d’éthique dans l’enseignement supérieur. La première la traite en ph énomène presque
entièrement négatif – la subordination des valeurs des universités aux forces externes
de la politique et du marché (combinée à un collapse interne de la morale et de la
confiance ou, pire encore, à une trahison des clercs). La seconde inte rprétation, que
traite le présent article, est plus nuancée et moins critique; l’apparente érosion de
l’autonomie des universités et l’imprécision croissante des valeurs universitaires
traditionnelles sont vues non comme preuve de leurs déclin et dispariti on, mais
comme preuve du succès de l’enseignement supérieur dans le cadre du territoire en
pleine expansion de la société du savoir.
Le présent article est divisé en trois sections principales :
– une brève description historique du développement des vale urs universitaires,
à la fois intellectuelles et organisationnelles (sujet moins direct et plus
problématique que les dirigeants d’universités sont préparés à l’admettre);
– une discussion au sujet de l’impact des changements intervenus dans les
relations entre les universités et la société (et plus particulièrement, le
développement des systèmes d’enseignement supérieur de masse) concernant
ces valeurs. Est -il correct de voir cet impact uniquement en termes de déclin et
de disparition ?
– une discuss ion similaire au sujet de l’impact des nouveaux modes de
production du savoir, de gouvernance et de transmission sur les valeurs
universitaires traditionnelles (de l’élite ?). Est-ce que les dichotomies
auxquelles nous sommes habitués entre l’enseignement universitaire et les
écoles professionnelles et entre la recherche pure et la recherche
appliquée sont toujours valables ?
14 Le développement de la culture académique et des valeurs universitaires
L’université s’est d’abord développée comme institution distincte en Europe du sud et
de l’ouest vers le haut moyen -âge. Le qualificatif distinct est important dans deux
sens. Premièrement, il existait en Europe des établissements universitaires avant
l’apparition des universités (ou studium generale ) – au Septième siècle Northumbria
(Bede)2 ou à la cour du roi Charlemagne (Alcuin)3. Mais il s’agissait d’écoles
monastiques ou de cour, éléments organisationnels avec des configurations beaucoup
plus larges. Deuxièmemen t, les établissements universitaires fleurissaient aussi dans
l’est byzantin où sont apparus des établissements semblables aux universités et dans le
monde islamique, où l’association de la religion à l’Etat rendait plus difficile
l’émergence d’institution s distinctes. Ainsi, même si la différenciation structurelle des
universités médiévales a été décisive en termes d’évolution future, son importance
peut être exagérée en termes intellectuels et normatifs. L’université a offert des bases
d’organisation sépa rée pour l’apparition d’un système de valeurs distinct, la
scholastique. Mais la mesure dans laquelle on pouvait réellement distinguer la
scholastique par rapport à la plus vaste culture catholique médiévale et à la société
féodale était limitée.
C’est seu lement avec l’avènement de la Renaissance – et surtout la Réforme –
que la semi indépendance des universités a pris de l’importance. Une fois l’unité de
l’Europe médiévale ébranlée, les universités ont été amenées à jouer un rôle clé dans
la formation des Etats. Elles ont éduqué de nouvelles élites administratives (et plus
séculières), ont construit des ponts et ont joué les intermédiaires entre la culture
mercantile et celle des cours et ont promu de nouvelles valeurs intellectuelles en
fournissant les jus tifications idéologiques pour le nouvel ordre politico -religieux et la
culture proto -scientifique. Bien entendu, de nouvelles universités ont été fondées entre
1500 et 1700. Un indicateur de l’importance des universités durant cette période est
leur pénétr ation sociale. En Angleterre le Long Parlement, qui a été élu pour la
première fois en 1641 et a déclaré la guerre au Roi Charles Ier, comptait plus de
diplômés d’université que tout autre parlement anglais d’avant 1945 (l’Angleterre
était entre temps deve nue le Royaume Uni).
Cependant, de certains points de vue, ce second fleurissement des universités
européennes a représenté un faux départ. A partir du milieu du Dix -septième et
jusqu’à la fin du Dix -huitième siècle, les universités ont stagné, tant du poi nt de vue
du nombre d’étudiants que de celui de leur engagement intellectuel ( – cette
affirmation reste généralement valable en dépit des études récentes qui suggèrent que
les universités n’étaient pas si stagnantes pendant cette période qu’on l’avait supp osé)
(Porter 1996). En fait, les nouvelles Académie de Science, les écoles
pratiques d’ingénierie, les illuminati des Lumières, les premiers mouvements des
médias dominants et de l’industrie de la typographie, les opinions radicales et la
2 Bede le Vénérable (673 -735), père de l’histoire anglaise, auteur de l’ Histoire ecclésiastique
de la nation anglaise a consigné les événements de la Bretagne à partir des raids de Jules
César en 55 -54 Av. J.C. et jusqu’à l’arrivée du premier missionnaire de Rome, Saint Augustin
en 597. C’est à Bede que l’on doit, grâce à ses récits historiques, notre calendrier qui
commence à la naissance du Christ <http://www.britannia.com/bios/bede.html >. 3 Alcuin d’York (735 -804) a été nommé à la tête de l’Ecole du Palais de Charlemagne à
Aachen en 781. Il y a développé la minuscule caroline, un scripte clair qui est devenu la base
pour les lettres de l’actuel al phabet romain. Alcuin était responsable des plus précieux des
codicilles carolingiens, appelés de nos jours les Bibles d’Or <http://www -groups.dcs.st –
and.ac.uk/~histo ry/Mathematicians/Alcuin.html >.
15 politique révolut ionnaire – ont été les canaux à travers lesquels l’innovation
scientifique et intellectuelle a cheminé sur une période de plus d’un siècle. Alors que
les universités ont joué un certain rôle dans la révolution scientifique, leur rôle dans
l’illuminisme a é té tangentiel, voir accidentel, tandis que le système de valeurs a
évolué de manière indépendante. On n’exagère presque pas à affirmer que vers 1800
l’université était devenue une espèce en voie de disparition, qui risquait d’être
remplacée par d’autres in stitutions académiques plus modernes (de Ridder -Symeons
1996).
C’est seulement au cours du Dix -neuvième siècle que l’université revit. Il
s’agissait alors d’un phénomène concernant l’Europe entière (et de nos jours, le
monde entier) et c’est la raison pou r laquelle la fondation de l’Université de Berlin, en
réalité un épisode local de la reconstruction de la Prusse après sa défaite par
Napoléon, a acquis une telle importance historique. La troisième période faste pour
l’université a été marquée par de nomb reuses forces – les changements politiques,
surtout concernant la collaboration accrue entre les Etats nations ; les changements
intellectuels et culturels, alors que le sentiment religieux déclinait; les changements
scientifiques, alors que les connexions entre la science spéculative et la technologie
étaient devenues beaucoup plus serrées; et les changements socio -économiques, au fur
et à mesure que des sociétés de masse, urbaines et de plus en plus démocratiques sont
apparues. Les universités ont joué un rôle clé dans l’amélioration et la transmission de
cette nouvelle culture, mais il est discutable de savoir si elles étaient suivaient la
tendance ou en étaient les leaders. Les impulsions fondamentales continuent à venir
de l’extérieur des universités.
Au Vingtième siècle, l’engagement social des universités s’est accru. Le rôle clé
joué par les connaissances scientifiques dans le maintien et l’expansion des capacités
industrielles et militaires était généralement reconnu et le rôle des universités dans l a
production du savoir scientifique a augmenté à travers le siècle. La démocratisation de
la société a conduit à l’émergence de systèmes d’enseignement supérieur de masse
dans lesquels les valeurs universitaires traditionnelles se sont confondues dans une
certaine mesure (Scott 1995). Vers la fin du siècle, les universités n’étaient pas
seulement décisives dans la division des forces du marché du travail, à travers la
recherche, en contribuant à l’apparition de nouvelles technologies et à travers
l’enseigne ment, en formant des experts en technique (et en d’autres disciplines). Les
universités ont aussi été un facteur décisif dans la transmission du capital culturel et
social, alors que les autres classifications sociales basées sur les différences de classes
et de sexes sont tombées en désuétude.
Mais dans quelle mesure a été décisive l’université moderne dans la formation des
valeurs? Il est plus difficile de répondre à cette question. Dans un certain sens, elle a
pu être plus influente que l’université du D ix-neuvième siècle dans ce domaine.
Premièrement, le développement du secteur public et de l’Etat providence, dans
lesquels les systèmes modernes d’enseignement supérieur avaient leurs racines, ont
promu l’indépendance organisationnelle des universités; ce lles-ci ne dépendaient plus
tellement des fonds provenant des industries ni des paiements effectués par les
étudiants. Deuxièmement, l’association des universités aux opinions radicales,
toujours implicites du fait de la nouveauté inhérente de la science, l’importante culture
des bourses d’étudiants et les influences libératrices et déracinantes de l’expérience
estudiantine sont devenues quelques fois explicites au cours du siècle précédent. Ceci
était évident dans les années 1960, lorsque le foisonnement i ntellectuel et le
radicalisme politique se sont fondus d’une façon que l’on n’avait plus vu depuis la fin
du Dix-huitième / le début du Dix -neuvième siècle (ou même avant la Réforme).
16 Dans un autre sens, l’université moderne a cependant été systématiquemen t
subordonnées aux valeurs instrumentales de la société du savoir. Tout d’abord, en ce
moment, l’université représente seulement l’une des institutions du savoir à l’intérieur
de toute une rangée dont elle a absorbé nombre de valeurs et de pratiques. De ce point
de vue, son indépendance organisationnelle ainsi que sa capacité à générer ses propres
valeurs ont été compromises. Deuxièmement, le principal moteur des universités
modernes est de répondre à la demande de savoir d’une société de plus en plus
« experte » – que ce soit en termes de formation de professionnels hautement qualifiés
ou en termes de production de savoir technique sophistiqué. D’autres objectifs plus
traditionnels de l’enseignement supérieur, qui mettent l’accent sur le développement
personnel ou qui encourage la pensée critique ont apparemment été déchus. Ainsi,
puisque c’est par ces autres buts devenus désormais secondaires que les valeurs
académiques s’exprimaient le plus clairement il semble raisonnable de conclure que le
pouvoir normat if de l’université a été réduit.
L’université dans la société du savoir
L’opinion générale est que l’université d’élite a été capable de maintenir une
distance critique par rapport à la société – pour un certain nombre de raisons.
Premièrement, on pouv ait leur faire confiance de ne pas trop dévier par rapport aux
normes dominantes ou de défier la culture intellectuelle dominante du fait que les
leaders sociaux et des universités étaient membres d’une élite commune.
Deuxièmement, les universités d’élite, à la différence des systèmes d’enseignement
supérieur de masse qui lui ont succédé concernait surtout une petite échelle et par
conséquent, ne représentait pas un poids important en termes de dépenses publiques
(et était moins visible en termes de politiq ue ?). troisièmement, l’articulation entre les
universités d’élite, d’une part et la société industrielle et l’Etat bureaucratique d’autre
part était moins directe et moins intense que celle entre les systèmes d’enseignement
supérieur de masse et la sociét é du savoir et l’Etat marchand. Par la distance
critique établie à travers ces moyens, les universités d’élite ont pu développer leurs
propres systèmes de valeurs – étroitement alignés à ceux de la société, mais en même
temps différents – et ensuite les pr opager partiellement à travers la recherche et les
bourses aux étudiants, mais principalement à travers leur rôle clé dans la formation
des élites.
Il est dit que les systèmes d’enseignement supérieur de masse n’ont pas la
capacité de maintenir une distanc e critique similaire par rapport à la société. Ils sont
pleinement enracinés dans la société –pour un certain nombre de raisons.
Premièrement, ces systèmes comprennent d’autres institutions en dehors des
universités classiques – notamment les écoles polyte chniques, les Fachhochschulen et
les écoles supérieures qui sont d’orientation plutôt professionnelle que scientifique et
sont guidées par des valeurs plutôt instrumentales que libérales (ou académiques).
Dans certains systèmes contemporains d’enseignement supérieur, de telles institutions
forment à présent le secteur majoritaire. Deuxièmement, même les universités
classiques ont assumé des rôles très différents par rapport à ceux traditionnels – en
établissant, par exemple, des écoles de commerce, en dével oppant des programmes
d’enseignement appliqué ou en créant des unités de transfert de technologie.
Troisièmement, le développement d’une société du savoir a conduit à une érosion
des frontières entre des domaines qui était plutôt discrets tels que la polit ique et le
marché, la science et la culture. En étant l’une des plus dynamiques institutions dans
le cadre de la société du savoir, l’université se trouve parmi les plus affectées par cette
17 érosion – et par conséquent, son succès à résoudre les problèmes scientifiques et
sociaux a causé inévitablement une perte d’autonomie. Finalement, les systèmes
d’enseignement supérieur de masse ne sont plus aussi étroitement liés à la
reproduction des élites. Les élites elles -mêmes ont proliféré et sont devenues plus
volatiles, dans la mesure où l’étiquette d’élite est encore appropriée à la société
contemporaine avec ses structures de pouvoir tellement plus fluides. Comme résultat,
la confiance entre les élites universitaires et ce que l’on appelait en Grande Bretagne
l’établissement a été minée. Pour ces raisons, l’enseignement supérieur de masse a
perdu son indépendance essentielle que possédait auparavant l’élite universitaire – et
de fait sa capacité à générer ses propres systèmes de valeurs distincts.
Ceci est en fa it l’histoire standard – essentiellement l’histoire d’un déclin et d’une
perte. Alors que le caractère d’accélération et d’instabilité de la société contemporaine
a alimenté un discours compensatoire de regret et de nostalgie, de tels récits sont déjà
acceptés. Le rabaissement du niveau intellectuel des universités, la chute des
standards traditionnels, l’incapacité des universités à agir indépendamment et de
manière efficace en tant que critiques de la société, la chute de leurs bases éthiques –
sont les r éclamations habituelles. Mais ce récit ou cette description rendent -ils une
image exacte de la situation ?
Il est certainement possible de donner une description alternative, en arguant le
fait que le système des universités d’élite était aussi un système fermé tant du point de
vue social que du point de vue intellectuel. Ainsi, leur capacité à critiquer les normes
sociales et les structures dominantes – et donc à développer de vraies bases éthiques
indépendantes – conduisait à l’auto -limitation. Le degré d ’interaction entre les élites
sociales et politiques d’une part et les élites intellectuelles et scientifiques d’autre part,
a toujours été important – et augmentait encore en temps de guerre. Les deux Guerres
Mondiales ont non seulement stimulé la croissa nce de l’enseignement supérieur, soi –
disant promouvant la démocratisation des universités, mais elles ont aussi souligné les
liens incestueux entre les pouvoirs politique, militaire et scientifique. Avant l’ère des
universités de masse, les intellectuels à l’esprit critique avaient tendance à se grouper
autour d’autres institutions, souvent des journaux ou des périodiques – ou bien ils
évitaient d’intégrer une institution et restaient « dans le vent » selon les termes
évocateurs de George Steiner (Steiner 1965); les universités d’élite ne leur ont pas
offert un environnement propice ou compatible. Elles ont cependant offert un
environnement pour former les futurs dirigeants de l’administration d’Etat et des
professions d’élite, sinon pour le milieu des affa ires et l’industrie.
Les systèmes d’enseignement supérieur de masse, par contre, sont beaucoup plus
ouverts – non seulement parce qu’ils recrutent des populations d’étudiants qui ne
proviennent plus généralement des groupes sociaux privilégiés, mais aussi du fait
qu’ils ont été obligés d’incorporer des traditions de savoir n’appartenant pas aux élites
et même alternatives. Cela vient partiellement du besoin d’intégrer ces nouveaux
étudiants, mais c’est aussi le résultat du fractionnement et de la proliférat ion du
savoir. Superficiellement, il existe un lien plus étroit entre les choix des étudiants et
les disciplines offertes d’une part et entre le marché du travail d’autre part dans
l’enseignement supérieur de masse que dans les systèmes d’enseignement supé rieur
d’élite. Dans ce sens, les systèmes de masse sont plus orientés vers le professionnel et
moins scientifiques. Mais cela peut conduire à une impression erronée: le besoin de
rendre explicites ces liens entre l’enseignement supérieur et l’économie peut aussi être
la preuve du déclin des connexions implicites et des intérêts personnels étroits. Les
systèmes de masse doivent être planifiés et réglementés afin de contrôler leur
potentiel d’émancipation, leur liberté délibérée. On ne peut pas leur faire con fiance
18 dans la même mesure qu’aux systèmes d’élite. Les systèmes d’enseignement
supérieur plus ouverts (et démocratiques?) peuvent avoir la capacité de développer
une éthique alternative , différente de l’éthique dominante de la société.
La signification de la relation imbriquée, voir incestueuse, entre les systèmes
d’enseignement supérieur de masse et la « société du savoir » peut aussi être
faussement interprétée. Une interprétation simple serait que l’enseignement supérieur
a été incorporé dans la base pr oductive – et par conséquent a perdu toute liberté qu’il
a pu avoir d’agir comme base indépendante au développement d’un système éthique
distinct. Comme le savoir en soi est à la fois une ressource primaire (en termes
d’entrées – des technologies avancées, par exemple) et une marchandise (en termes
d’idées et d’images), il ne peut plus être clairement distingué des autres entrées de
ressources et sorties de marchandises (Bell, 1973). Tout comme le savoir s’imprègne
aujourd’hui dans la société, la société s’ imprègne dans le savoir .
Mais selon une seconde lecture plus subtile, la relation entre l’enseignement
supérieur et la société du savoir est plus complexe et plus ambiguë. Premièrement, les
systèmes modernes d’enseignement supérieur sont formés d’une rangé e d’institutions
de plus en plus hétérogènes. Les rôles traditionnels des universités d’élite non
seulement transcendent et s’étendent à l’intérieur de ces systèmes d’enseignement
supérieur plus étranges et plus ouverts, mais les établissements dont ils so nt formés
croisent aussi la société du savoir à différents niveaux – en partant de la production de
recherche et de technologies avancées de niveaux mondial, à travers la formation
d’élites professionnelles et techniques et jusqu’à la formation de masses d e diplômés
d’université. Alors que certains pourraient discuter de l’incorporation plus profonde
de l’enseignement supérieur dans la société du savoir, d’autres peuvent au contraire
arguer son indépendance – ou, si ce n’est l’indépendance de l’enseignement supérieur,
la dépendance d’autres établissements sociaux ou économiques de l’enseignement
supérieur (Scott, 1999).
Les systèmes modernes d’enseignement supérieur tolèrent aussi (et même
célèbrent) une variété beaucoup plus grande de traditions du savoir. Celles-ci
s’étendent bien au -delà des cultures traditionnelles scientifiques, académiques et des
élites professionnelles (qui sont elles -mêmes radicalement transformées, bien
entendu), afin d’embrasser les cultures professionnelles et même populaires. Enf in,
ces différentes cultures croisent la société du savoir de différentes manières et à
différents niveaux. Certains peuvent en effet être décrits en termes d’incorporation de
l’enseignement supérieur dans les bases productives; toutefois, d’autres liens
contribuent à accentuer les turbulences culturelles (et peuvent donc directement
contribuer à l’évolution des systèmes de valeurs). Ainsi, dans la perspective de
l’enseignement supérieur, on peut se tromper à conclure que l’engagement de celui -ci
par rappor t la société du savoir a nécessairement érodé sa capacité à soutenir et à
développer sa propre base éthique distincte.
On peut en effet affirmer que la variété de disciplines universitaires et de
formations professionnelles dans le cadre des systèmes moder nes d’enseignement
supérieur rend plus important et non moins important, le fait de mettre l’accent sur
cette base éthique – pour deux raisons principales. La première est que l’éthique a au
moins le potentiel d’agir comme un liant qui aide à rassembler de s traditions de savoir
qui seraient autrement très dispersées. Même si on peut douter de l’étendu de son
pouvoir réel à jouer ce rôle en pratique, il mérite de le tenter car il s’agit d’une
assertion concrète de l’idéal d’unité de l’enseignement supérieur. La seconde raison
est que les considérations d’ordre éthique s’immiscent de plus en plus dans ce qui
était traditionnellement regardé comme domaines purement experts ou même
19 techniques. L’impact de la production de savoir selon le Mode 2 sera présenté plu s
loin dans cet article. Mais un examen du programme d’enseignement dans de
nombreuses disciplines professionnelles démontre à quel point sont importantes les
considérations d’ordre éthique. De nos jours, par exemple, on enseigne aux ingénieurs
les conséqu ences des problèmes juridiques et environnementaux sur la pratique de
leur profession.
Il existe une deuxième façon, selon cette interprétation plus subtile, dans laquelle
la relation entre les systèmes modernes d’enseignement supérieur et la société du
savoir est plus complexe et plus ambiguë. Tout comme les universités croisent la
société du savoir à différents niveaux et de différentes façons, de même, la société du
savoir est une formation hétérogène (et contestée) (Stehr 1994). Il arrive trop souvent
qu’une seule des dimensions soit mise en évidence – la montée sans remords et
l’impact irrésistible des technologies de l’information et des communications.
Etroitement liées à ceci sont les modifications du comportement social et des
structures économiques associées à l’idée de société du savoir – comme la création
d’un langage mondial à travers la propagation de puissantes images et marques, ou
bien à travers le marché financier mondial ininterrompu et les autres marchés.
Mais la société du savoir ne peut pas être regardée simplement comme la
transcription du triomphe du capitalisme du marché libre, de la démocratie libérale et
du sécularisme. Pour commencer, il est difficile de la séparer du phénomène de la
mondialisation; la clé des deux est l’abolition effective du temps et de l’espace. Il est
maintenant possible de manipuler les deux (presque) à volonté. Cette manipulation du
temps et de l’espace permet de développer de nouvelles et globales configurations de
production et de consommation; et plus import ant encore, elle se trouve à la base des
identités sociales et personnelles presque infiniment pliables qui caractérisent le
monde moderne (ou post -moderne ?) (Nowotny, 1994). Les aspects socioculturels de
la société du savoir sont au moins tout aussi impo rtants que ses aspects économiques
et technologiques.
Dans le cadre de la société du savoir [et de la mondialisation], il est possible
d’identifier un certain nombre de tendances clé (Nowotny et al., 2001). La première
est l’accélération – et, étroitement liée à celle -ci, la complexité. L’accélération et le
changement sont généralement perçus comme des phénomènes technologiques et
économiques (l’impact des TIC et le triomphe du marché) ; et, deuxièmement, comme
linéaires et prévisibles. Mais l’accélération est aussi un phénomène scientifique,
intellectuel et culturel – et il est souvent littéralement incontrôlable. Tout fluctue. La
deuxième tendance est l’ incertitude – ou le risque, car à coté de la société du savoir se
trouve l’autre, la société du risque (Beck, 1992). Cette incertitude comporte deux
aspects. Le premier est typiquement décrit en termes négatifs, à savoir le mauvais côté
de la croissance économique et des changements sociaux en termes de pollution
environnementale et de ruptures familiales. M ais le second aspect plus positif est que
la réussite de la science est génératrice (et l’a toujours été) d’incertitude; dès qu’un
problème est résolu, il y en a d’autres qui apparaissent. Pendant un certain temps,
cette incertitude a été contenue à l’inté rieur de la sphère intellectuelle relativement
sûre. Maintenant, elle a inondé la société dans son ensemble. Ainsi, l’incertitude est
intimement liée au potentiel, qui est à son tour un élément clé dans la production de
l’innovation.
La troisième tendance est que la Société du savoir est un terrain contesté – dans
deux sens différents. Premièrement, comme je l’ai déjà affirmé, son impact n’est pas
limité à l’économie. Son impact est tant social que culturel. Le quotidien des individus
est tissé de noms de m arques qui sont souvent elles -mêmes localisées; les chances de
20 vie, qui constituaient autrefois les indices brutes pour le calcul économique de la
droite de marché et de la gauche socialiste ont été remplacées par des styles de vie,
voir par des marques de vie. C’est dans un sens très réel que la société du savoir va
au-delà du marché. Deuxièmement, la société du savoir – et plus particulièrement la
mondialisation – sont hautement idéologiques. Le triomphalisme associé à l’idée de
La Fin de l’histoire (pour citer le titre – naïf – d’un ouvrage de Francis Fukuyama
sorti il y a une décennie) est déplacé (Fukuyama 1992); l’idée que la nation – ou l’Etat
providence est remplacée par l’Etat marchand dans un grand changement historique
(comme le suggérait un autre auteur américain, Philip Bobbitt) est génératrice de
fausses idées (Bobbitt, 2002).
Mais la mondialisation ne concerne pas seulement l’avance du capitalisme
démocratique – animé (malheureusement) le plus souvent de nos jours par des valeurs
néo-libérales, à la place de celles sociales démocratiques – mais aussi les résistances
globales à la mondialisation du marché libre: Greenpeace est un nom de marque tout
aussi mondial que Coca -Cola. Dans une importante mesure, les attitudes vis -à-vis de
la mondialisati on du marché libre se sont substituées aux traditionnelles divisions
politiques droite -gauche dans les pays développés. Il existe des mouvements qui
s’opposent directement aux valeurs occidentales et aussi inacceptable que soit l’al –
Qaeda, c’est aussi un p roduit de la mondialisation du point de vue des techniques et
des technologies qu’elle emploie. L’ancienne question sur le contraste entre
modernité et modernisation refait surface: avant, on considérait impossible de bien
moderniser sans devenir en même temps complètement moderne. L’une des
conséquences de la mondialisation a été de rouvrir cette question.
La société du savoir, loin d’être un phénomène technologique (ou technocratique)
essentiel, déborde de valeurs. Les systèmes modernes d’enseignement su périeur, eux –
mêmes largement ouverts et de plus en plus hétérogènes, doivent s’engager dans cette
nouvelle forme de société, qui avance rapidement, qui est complexe et bien stratifiée,
ambiguë et volatile. Les systèmes de valeurs tant dans l’enseignement s upérieur que
dans la société dans son ensemble fleurissent et l’étendue de l’engagement éthique
entre les deux est de ce fait bien mise en évidence. On peut affirmer que dans les
conditions contemporaines, toutes les questions qui se posent tiennent de l’é thique,
dans une certaine mesure. Il n’existe plus de questions uniquement techniques, ou
même économiques. Cela peut représenter un renversement de la tendance du
Vingtième siècle allant vers un lien de plus en plus serré entre l’enseignement
supérieur et une société experte et professionnelle : les deux sont devenus plus diffus
et plus complexes. Par conséquent, les correspondances entre les deux sont devenues
plus ambiguës, ne pouvant plus être réduites à des échanges experts, techniques et
scientifiques qui ne posaient pas de problèmes par comparaison.
Les nouveaux modes d’enseignement et de recherche
Ainsi qu’il l’a été – faussement – affirmé que les systèmes d’enseignement supérieur
de masse sont moins performants que les systèmes des universités d ’élite à maintenir
une distance critique nécessaire par rapport à la société, il a été de même affirmé que
deux autres tendances ont aussi érodé l’ethos indépendant des universités modernes.
La première porte sur la dérive apparente entre l’enseignement un iversitaire ou
scientifique et celui professionnel (souvent péjorativement appelé formation) ; la
seconde est la dérive parallèle entre la recherche pure et la recherche appliquée qui a
été décrite comme changement du Mode 1 de recherche au Mode 2 de production du
savoir. Comme l’enseignement et la recherche sont les principaux objectifs de
21 l’université, les éléments clé de ce que Martin Trow a appelé « la vie privée de
l’enseignement supérieur » (Trow, 1973), tout changement dans leur constitution et
leur orientation peut avoir un profond impact sur l’ethos de l’université – plus profond
peut-être que les changements dans la position socio -économique et politico -culturelle
de l’enseignement supérieur, dont on peut affirmer que ce sont des aspects de sa vie
publique.
Les changements dramatiques intervenus ces dernières années dans
l’enseignement supérieur apparaissent comme sans précédent. Premièrement, des
disciplines complètement nouvelles ont été introduites. Un bon exemple serait la
formation d’aides soig nants et les disciplines non -médicales dans le domaine de la
santé, qui occupent à présent une place centrale dans les systèmes modernes
d’enseignement supérieur, y compris dans certaines universités d’élite. Une
génération auparavant, elles étaient souven t considéré comme des disciplines tenant
entièrement de la formation professionnelle, bonnes à être enseignées seulement dans
des établissements non -universitaires comme les écoles professionnelles (HBO) aux
Pays Bas ou les Fachhochschulen en Allemagne. En Grande Bretagne jusqu’il y a une
décennie, ces disciplines étaient enseignées dans des écoles de formation dans les
hôpitaux, en dehors du système d’enseignement supérieur formel (et plus poussé).
Cependant, l’introduction de nouvelles disciplines dans l’ enseignement supérieur
n’est pas totalement sans précédant, comme il pourrait le paraître à première vue.
C’est seulement dans les années 1960 par exemple, que la gestion est devenue une
discipline à part entière; avant, sa présence dans l’enseignement sup érieur avait été
plus précaire et dépendait de la contribution (et la légitimité) de disciplines plus
spécialisées comme l’économie et les relations industrielles. Plus important encore,
c’est seulement au cours de la deuxième moitié du Vingtième siècle qu e les écoles de
commerce se sont départagées des départements plus académiques comme forme
prédominante pour l’enseignement de la gestion.
Deuxièmement, de nouvelles disciplines ont été introduites dans le programme
d’enseignement des universités, dont la majorité portaient des étiquettes
professionnelles. Ces étiquettes peuvent bien sûr nous induire en erreur. Les études
média peuvent être utilisées comme étiquette pour décrire aussi bien les études
hautement théoriques – comme par exemple les études de so ciologie ou culturelles –
mais aussi des études très pratiques – comme le journalisme, ou la production de
filmes ou de télévision, par exemple. Dans les systèmes modernes d’enseignement
supérieur, les étiquettes des disciplines sont choisies plus peut -être pour leur effet de
marketing que comme description correcte de leur contenu académique. Une fois
encore, l’apparition de nouvelles disciplines n’est pas quelque chose de nouveau. Les
sciences sociales enseignées de nos jours datent d’après 1945, et même d’après 1960.
Les sciences politiques sont apparues un peu plus tôt comme résultat de l’économie
politique. Les études littéraires (opposées aux études en langues et philologie) ont pris
de l’importance pas plus tard qu’il y a un siècle. Mêmes les sciences naturelles pures,
dans leur forme expérimentale, sont apparues seulement dans la seconde moitié du
Dix-neuvième siècle. Ainsi, l’université n’a pas cessé de se transformer. Ni
(l’apparent) accent sur le professionnalisme n’est un phénomène nouveau. Ces tr ois
exemples de nouvelles disciplines comportent un puissant élément professionnel – les
sciences naturelles comme la chimie du fait de leurs liens à l’industrie; les études
littéraires (et les lettres en général) du fait de leurs liens à l’enseignement da ns les
écoles; et les sciences sociales du fait de leur engagement dans l’Etat providence
d’après guerre.
22 Il y a, certainement, d’autres changements pour lesquels il existe moins de
précédents.
– l’un porte sur le changement d’accent de l’enseignement vers l’apprentissage, un
changement nominal qui reflète des différences plus fondamentales. La première
différence est la professionnalisation et la systématisation de l’enseignement
universitaire (c’est celui -ci plutôt que la recherche qui est déjà devenu une
entreprise quasi -industrielle). Une deuxième différence concerne la crise
d’autorité académique dans de nombreuses disciplines, comme les traditions du
savoir canoniques autrefois dominantes qui se sont perdues dans la brume post-
moderne et post -structuraliste (Featherstone, 1998). Une troisième différence
réside dans la montée du consumérisme dans l’enseignement supérieur, avec les
professeurs qui sont redéfinis comme producteurs et les étudiants comme clients;
– un autre changement dont on peut égalem ent affirmer qu’il n’a pas de précédent,
est l’inexorable montée de l’assurance de la qualité et de l’audit universitaire –
qui ont d’importants liens internes à la professionnalisation de l’enseignement
universitaire et à la systématisation des programmes d’enseignement supérieur (à
travers, par exemple, l’introduction de systèmes modulaires et de crédits); mais
aussi des liens extérieurs clé avec la montée de la « société de l’audit » (Power,
1997). Mais on peut aussi exagérer la nouveauté de ces changeme nts
apparemment sans précédent.
Il est certainement possible de tirer les mauvaises conclusions de ces
changements, que l’on admet dramatiques, survenus dans l’enseignement supérieur.
On pourrait conclure que l’apparent passage vers la professionnalisati on et le
développement d’approches plus professionnelles et plus systématiques à
l’enseignement supérieur peuvent avoir réduit la capacité des universités à maintenir
une distance critique suffisante par rapport à la société et à soutenir leurs propres
structures éthiques. Il est trop facile d’associer les disciplines universitaires au
maintien de l’autonomie institutionnelle et la capacité de penser de manière
indépendante et critique et les disciplines professionnelles à la dépendance
organisationnelle et à la subordination intellectuelle – pour deux raisons.
a) Premièrement, dans une société du savoir, l’implantation sociale des
établissements d’enseignement supérieur (et de leurs programmes d’enseignement
et de recherche) peut stimuler le potentiel mais peut aussi imposer des contraintes;
elle offre cet espace essentiel de manoeuvre à l’intérieur duquel peut se produire
l’expérimentation scientifique et peut fleurir la créativité intellectuelle. Il peut
s’avérer nécessaire de revoir radicalement les noti ons traditionnelles
d’autonomie et d’indépendance dans ce nouvel environnement. En termes de
valeurs, la raison pour laquelle les cours scientifiques spécialisés devraient offrir
un environnement plus fertile pour le développement normatif que le
développe ment d’aptitudes plus générales et plus facilement transférables –
comme par exemple, dans la résolution des problèmes, le travail en équipe ou les
communications – est loin d’être clair (Scott, 2004).
b) Deuxièmement, cette dichotomie simpliste entre les cours universitaires et
professionnels n’illustre pas l’amplitude des transformations des programmes
d’enseignement dans le cadre des systèmes modernes d’enseignement supérieur.
Alors que de nombreuses disciplines universitaires contiennent aujourd’hui de s
éléments hautement instrumentaux (comme par exemple le fait d’enseigner des
compétences favorisant l’emploi), de nombreuses disciplines professionnelles ont
23 pris la direction opposée. L’une des raisons réside dans le fait qu’elles ont été
forcées à deven ir plus sophistiquées scientifiquement du fait du perfectionnement
des aptitudes et de la hausse du niveau des connaissances dans les professions
visées par leurs étudiants. Une autre raison est que dans une société du savoir les
notions de professionnalis me (dans le domaine de l’expertise) deviennent plus
problématiques. On peut arguer le fait que la combinaison des deux facteurs a eu
pour conséquence de promouvoir les cultures de l’enseignement qui sont ouvertes
– et demande en fait – une meilleure créati vité normative .
Une analyse similaire peut être faite du passage parallèle de la science pure à la
science appliquée – ce qui, bien entendu, serait une caractérisation bien trop simple de
ce qui est en réalité un ensemble hautement complexe de tendances dans la recherche
et l’octroi des bourses. Ces tendances ont été décrites en termes de passage du Mode
1, la recherche et les bourses ayant pour fondement l’université, au Mode 2, la
production du savoir qui est beaucoup plus hétérogène, orientée vers les applications
pratiques, dispersée socialement et réflexive (Gibbons et al 1995). Encore, il est trop
simple d’aligner la recherche en Mode 1 à la préservation d’une culture scientifique et
critique et le savoir du Mode 2 à la subordination de la science et des bourses aux
agendas politiques et/ou du marché. On doit souligner deux aspects:
(i) Le premier est que les Mode 1 et Mode 2 sont des types idéaux ou des cadres
analytiques; ils n’ont pas été créés pour devenir des descriptions empiriques
exactes de la façon dont la recherche est entreprise et dont le savoir est généré. En
pratique, leurs différents éléments ont toujours été combinés. La science
universitaire a toujours tenu plus des valeurs instrumentales et utilitaires que les
scientifiques ont été pré parés à l’admettre, alors que la science appliquée a pu
contribuer aux découvertes fondamentales. Dans la société du savoir les limites
entre les deux se sont d’avantage estompées. Les séquences linéaires clairement
départagées du processus de recherche – à commencer par la science pure et en
passant par ses applications et le transfert de ses technologies dépendantes pour
augmenter la richesse économique ou pour améliorer le bien -être social – ont
cessé depuis longtemps d’offrir un rapport exact (en suppos ant qu’ils l’aient
jamais fait). Au lieu de cela, se sont développé des modèles beaucoup plus fluides
de systèmes d’innovation;
(ii) Le deuxième aspect est que certaines des caractéristiques principales du savoir du
Mode 2 sont d’ordre normatif plutôt qu e fonctionnel. Ainsi, la réactivité de celui –
ci est étroitement liée aux notions de responsabilité sociale, qui sont devenues très
importantes aussi bien dans le contexte de la science que dans celui de la société –
comme le prouvent les controverses nées au sujet de l’énergie nucléaire, de la bio
ingénierie ou de la dégradation de l’environnement. Le Mode 2 est capable de
s’attaquer à ces éléments normatifs – et même politiques – d’une manière que la
recherche selon le Mode 1 avec son ethos plus autonome, expert et réductionniste
trouve difficile. De même, la réflexivité du Mode 2 est étroitement liée à la notion
de responsabilité, qui est à son tour liée aux idées d’engagement éthique. On peut
affirmer en fait que les systèmes modernes de production du sav oir, plus ouverts
et plus fluides, sont bien plus capables de s’engager éthiquement avec des
agendas sociaux plus importants que les systèmes scientifiques plus fermés et plus
rigides du passé
24 Conclusion
Les arguments présentés dans le cet article s ont, en quelque sorte, contre -intuitifs. Si
on se tient à la description conventionnelle, l’université moderne (ou de masse) est un
établissement beaucoup plus instrumental et bien moins normatif que l’université
traditionnelle (ou d’élite). Elle a été inc orporée dans une société du savoir et a perdu
par conséquent, sa capacité à agir en critique indépendant de la société; et plus
important encore, à générer ses propres valeurs distinctes, y compris une robuste
culture scientifique. Au lieu de cela, l’unive rsité doit répondre à d’autres engagements
– économiques, sociaux, politiques et culturels – auxquels elle contribue énormément,
mais dans lesquels elle n’a pas le dernier mot.
On peu opposer deux arguments à la description alternative offerte par le prése nt
article. Premièrement, la description conventionnelle ne tient pas compte de l’histoire.
Elle est fondée sur des mythes idéalisés de l’autonomie institutionnelle et de la liberté
universitaire, qui ignorent la relation pernicieuse entre les élites polit iques, sociales,
économiques et culturelles d’une part et les élites intellectuelles, universitaires et
scientifiques d’autre part. cette description ignore aussi le rôle important que les Etats,
les villes et les communautés ont joué dans la fondation et le développement des
systèmes d’enseignement supérieur. Deuxièmement, les engagements multiples entre
les systèmes d’enseignement supérieur de masse et la société, l’économie et la culture
ne peuvent pas être simplement réduits à une série d’échanges techn iques et entre
experts, que ce soit en termes de production d’une main d’œuvre hautement qualifiée
ou de science et de technologie.
Ces engagements multiples comprennent aussi – inévitablement – une série
d’échanges profondément éthiques qui continuent à s tructurer à la fois le contenu
normatif de l’éthique des universités dans l’enseignement supérieur, selon le titre de
cet article – et le paysage normatif plus large: l’éthique pour l’enseignement
supérieur, dans le même titre.
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26 L’université et l’éthique résolue
ERIC GOULD
Ecrit avec l’intention de présenter des arguments pour placer fermement l’éthique
dans le programme d’enseignement, cet art icle examine le rôle des universités dans la
société du savoir, les défis moraux qui y découlent et l’importance de développer une
éthique pragmatique.
Etre bon
Les universités américaines ont eu une relation étroite mais pas toujours prévisible
avec la question de savoir ce que signifie être bon. Leur mission souvent exprimée est
de servir le « bien public » à travers le développement du savoir et des valeurs
sociales, ainsi qu’en préparant les personnes à des vies responsables et productives.
Depuis la Charte de Bologne,4 les universités européennes se posent la question de la
manière de définir le mandat éthique de l’enseignement supérieur dans le contexte des
grands changements apportés par la montée de l’éducation de masse, l a privatisation
optionnelle de l’enseignement supérieur et la face changeante des gouvernements. Car
elles sont aussi préoccupées, tout à fait réellement, par le bien public.
Les efforts que les universités américaines ont consenti de faire afin d’être
responsable de manière à la fois éthique et sociale varient énormément. Certaines
offrent des cours et des exercices civiques, des conseils aux étudiants à l’exemple de
parents attentifs, une large gamme de services de soutien, des programmes de
direction et des opportunités aux étudiants pour faire des stages dans le milieu des
affaires ou non profit et les sociétés se transforment parfois en employeurs. D’autres
sont, d’une manière plus traditionnelle, les adeptes du fait que la rigueur d’une
éducation inte llectuelle prépare le mieux une personne pour une vie dédiée au service
du « bien ». Ainsi, il faut commencer par l’intellect et le reste suivra certainement.
L’efficacité de ces deux positions est discutable et la plupart des universités ont
tendance à s e situer quelque part entre des dépôts de savoir et des centres de formation
pour les services, mélangeant souvent la théorie et la pratique d’une manière
deweyanne. Mais, quelle que soit la manière qu’elles choisissent pour définir leur
mission, les unive rsités américaines de nos jours sont très préoccupées à éduquer l’
« étudiant comme entité », celui-ci ne gagnant pas seulement des connaissances dans
diverses disciplines, mais aussi une éducation pour la « vie » – qui couvre bien sûr
tout, du comportemen t social responsable, de la connaissance des institutions sociales
et jusqu’à la façon de gagner de l’argent.
Le présent article traite des façons dont le mandat éthique et universel des
universités peut avoir sa propre place dans les programmes d’enseign ement. Le fait de
développer le savoir, d’enseigner, de soutenir une communauté scolaire et créative
vitale génère après tout d’importantes valeurs éthiques qui découlent de la « recherche
de la vérité ». Et même si la « vérité » semble souffrir d’un défic it d’attention dans
notre époque post -moderne, elle reste un terme qui entraîne, de nos jours comme
auparavant, une saine préoccupation. Les vérités, comme diraient les pragmatiques,
sont des hypothèses de travail concernant des valeurs dont le bon sens a été prouvé et
4 Le texte en version intégrale est disponible sur
<http://www.cepes.ro/information_services/sources/on_line/magna_charta.htm >.
27 qui semblent fonctionner mieux que d’autres hypothèses de travail. Dans les
universités de recherche post -modernes, la vérité doit être vérifiée tout autant qu’à
d’autres époques, que ce soit par analyse empirique ou par valeur utilitaire. To utes les
universités qui se respectent insistent que la recherche du savoir doit être conduite
selon les protocoles scolaires et de recherche les plus strictes. Il ne fait pas de doute
que les universités doivent comprendre l’importance du respect de la lo i et des bonnes
politiques managériales. Agir de manière éthique dans et étant une université à la
recherche de la vérité, signifie assurer la liberté académique, le bon fonctionnement,
la rigueur intellectuelle et l’intégrité dans la production du savoir.
Mais les protocoles rigoureux ne conduiront pas nécessairement à de bonnes
actions ou à un bon comportement. En fait, c’est justement l’opposé qui arrive
fréquemment. Nous sommes conscient que dans les universités, la théorie éthique et
les bonnes pratiq ues se font face au -delà d’une grande division. Ainsi donc, nous
hésitons à nous lancer dans l’enseignement du comportement éthique dans les
universités, car cela conduit aux charges de l’ingénierie sociale. La « bienfaisance »
est après tout la condition pour être bon et être bon est un fait contingent, qui est aussi
bien situationnel que rhétorique. Il dépend de la manière dont nous agissons dans
différentes situations et de la manière dont nous militons pour la bienfaisance de nos
actions.
Cependant, l’ ambition morale d’un enseignant est de former le caractère et les
valeurs à travers le programme d’enseignement – surtout dans le domaine des arts, des
lettres et même des sciences sociales – reste la plus ancienne raison de l’éducation
libérale, aussi anc ienne que l’académie de Platon. Ceci est vrai même lorsque la
bienfaisance a éludé les efforts pour trouver une bonne définition à travers le
programme d’enseignement et la philosophie morale semble malheureusement une
discipline morte – au moins dans les établissements d’enseignement supérieur laïques.
Peu d’académies risqueraient leur réputation pour la croyance qu’elles s’occupent à
enseigner au gens la manière d’ être bons.
Les universités sont bien sûr fascinées par les dilemmes moraux: les arguments
pour ou contre l’avortement, la moralité des guerres, les succès et les iniquités du
capitalisme, la nécessité mais aussi le mécontentement liés à la démocratie, la nature
frustrante de la loi, les ambiguïtés du pouvoir. On demande souvent aux étudiants de
penser à des décisions moralement responsables dans des contextes difficiles du point
de vue éthique et d’argumenter ces décisions. En ce qui concerne la définition d’un
dilemme moral, il faut dire que celui -ci n’a pas nécessairement de résultat et qu’il p eut
être résolu de plusieurs façons.
Mais, là encore, aucun enseignant responsable ne dira à ses étudiants en quoi ils
devraient croire; l’enseignant se contentera d’indiquer des options pour arriver à une
conclusion et la justifier. Les universités visen t à nourrir et à développer l’intellect et
non la conscience, car une conscience est une chose à laquelle on préférerait ne pas
avoir à faire puisqu’elle entraîne tellement d’aspects personnels. L’enseignement
supérieur aide les gens à se former des valeur s, des arguments valables et à
développer une base de savoir permettant à prendre des décisions informées, même si,
comme l’affirmait Aristote, ce ne sont pas les décisions ou la théorie sur la
signification de la bienfaisance qui font la vertu d’une perso nne. Nous devons vouloir
faire du bien et être bons pour acquérir un sens développé de la responsabilité sociale;
une condition au comportement éthique est l’empathie pour les autres, une propension
au pathos, un sentiment de bonne volonté, la capacité à a ccepter le point de vue des
autres. Mais toute la discussion sur le fait d’ être bon, alors que nous vivons à travers
des valeurs transcendantes ou bien des actes de croyance, rend les universitaires
28 nerveux lorsque nous nous élevons au dessus des convictio ns de base dans le domaine
de la logique, du droit et de la justice sociale.
Ainsi, lorsque nous enseignons la philosophie morale comme discipline, il s’agit
surtout de l’histoire complexe des idées, de définir le bien et des conditions pour offrir
des arguments valables aux standards éthiques. Cela ne revient pas loin de dire que la
mission d’une université est de former les gens à argumenter de manière persuasive en
poursuivant la vérité. Une éducation éthique ne signifie pas insister sur l’universalité
de certaines valeurs que nous chérissons; elle vise à nous faire découvrir ce en quoi
nous croyons et à nous pousser à l’argumenter de manière à ce que les gens dont
l’opinion est opposée puissent trouver les arguments persuasifs. Ainsi, le fait de
former les étudiants à la rhétorique et de les aider à accumuler des informations qui
conduisent à un sens personnel de la vérité se trouvent au centre d’une éducation
morale. La moralité et le langage ont une profonde relation symbiotique.
Ceci est une position éthique largement pragmatique, que tout un chacun qui a
enseigné dans une université connaît très bien. Cependant, la contradiction culturelle
la plus persuasive et élusive dans l’université reste la vie morale du programme
d’enseignement et de l’enseigne ment en soi. Il existe un nombre de raisons pour cela
qui vont du rôle changeant de la raison dans l’université depuis la Renaissance et
jusqu’au fondamentalisme et à la rectitude politique des moralisateurs contemporains
politiques et religieux, à la fois de droite et de gauche, dont certains se trouvent dans
les universités.
La dernière affirmation on la connaît tous très bien; la première est plus
complexe. L’une des principales raisons à notre hésitation à transmettre des valeurs
transcendantes dans le s universités est que pendant longtemps à la suite de
l’émergence de la science laïque comme processus valable de découverte, nous avons
été plus préoccupés par la nature de la raison en soi et par la certitude qu’elle peut
offrir, que par le bien que la r aison peut soutenir. Le raisonnement démonstratif ou le
raisonnement scientifique – l’effort de trouver un sens à travers la logique et la
découverte de faits empiriques – dominent la vie intellectuelle des universités selon
l’opinion des universitaires. L a science – qu’elle soit sociale ou naturelle – a occupé
une position suprême parmi les disciplines lorsqu’il s’agit d’établir la vérité.
Historiquement, depuis Aristote et son Ethique à Nicomaque5, le seul concurrent au
raisonnement démonstratif ou scient ifique a été le raisonnement moral et ceci a
soulevé tout autan de problèmes qu’il n’en a résolu. Le raisonnement moral – qui tient
beaucoup du domaine des arts et des lettres – a toujours été le type de raisonnement
qui traite des affaires humaines: des q uestions sur la nature humaine, de
l’interprétation et des arguments, de la validité des faits ou de ce qui apparaît comme
étant des faits, de la curieuse relation entre la culture et la nature, la question de savoir
à quel point peut être autonome une œuv re d’art et ainsi de suite.
Ainsi, la vie de l’esprit dans l’université moderne a été et continue d’être
provocatrice et résout rarement l’interaction entre les raisonnements moral et
scientifique/démonstratif. Le mieux que l’on peut faire lorsque nous n ous confrontons
à la question de définir le bien est de dire qu’il découle d’un savoir valablement
argumenté; mais ce savoir est toujours produit dans un contexte qui provoque
l’introduction du raisonnement moral du fait que le savoir acquis a une signific ation
humaine. Ainsi, le Principe d’incertitude de Heisenberg6 en est arrivé à travers les
5 Le texte intégral est disponible sur
<http://classics.mit.edu/Aristotle/nicomachaen.html >. 6 Plus d’informations sur < http://www.aip.o rg/history/heisenberg/p01.htm >.
29 années au statut de problème humain. Le savoir est créé dans des cadres spécifiques, à
partir de points de vue spécifiques et en réponse à des problèmes spécifiques.
En ce qui me concerne, le contexte le plus large et le plus vibrant pour le
développement du savoir dans l’enseignement supérieur est sa mission sociale
d’enrichir les personnes et de se mettre au service du bien public. Tout ce que nous
appelons savoir précieux dans l’université revient en quelque sorte à cela. Mais à la
différence des institutions qui apportent de la valeur normative en jeu – comme par
exemple la religion, les partis politiques, les centres de recherche ou les groupes de
pensée à agend a politique – on s’attend de la plupart des universités à ce qu’elles
gardent un esprit relativement ouvert sur le fait de savoir quelles valeurs sont
importantes ou ne le sont pas. En principe elles ne se guident pas d’après des raisons
tenant du profit, même si elles peuvent le faire. L’hypothèse de travail semble être
qu’il n’existe pas de savoir pour le savoir, car celui -ci est toujours destiné à quelque
chose ou à quelqu’un: il s’agit toujours de savoir pour et il est intimement lié à cet
objectif et à cette perspective.
Une critique importante de cette position est que nous avons tendance à
neutraliser l’impact moral sur l’apprentissage lorsque nous mettons l’accent sur le
relativisme des vérités. Et cette affirmation est devenue, dans la montée de l a théorie
post-structuraliste, une des favorites des penseurs conservateurs. Mais les autres qu’ils
soient à l’extérieur ou à l’intérieur des universités sont aussi suspicieux quant aux
efforts à passer trop ouvertement à une position qui soutien l’amorali té du savoir dans
le milieu universitaire. Ils ne veulent pas laisser trop de place à la chance, surtout dans
le contexte des nombreux désastres qui se sont produit au cours du vingtième siècle,
lorsque les découvertes scientifiques ont conduit à un import ant nombre de morts et
que l’irrationalité flagrante a pu passer pour une solution rationnelle aux
« problèmes sociaux ». Récemment, les valeurs du marché, celles qui sont guidées par
la demande de savoir sur le marché – avec lesquelles les universités ont été prêtes à
flirter – enregistrent aussi un record négatif dans la promotion de mauvaise
métaphysique et même pire, d’opportunisme de marché.
Tôt ou tard, nous devons nous distancer et essayer de tirer au clair nos options
éthiques. Et je dirais même q ue nous n’avons pas beaucoup le choix, dans le milieu
universitaire, que de nous concentrer sur la lutte entre le raisonnement démonstratif et
moral, entre les valeurs transcendantes et contingentes. Nous pouvons par contre
introduire dans le processus le raisonnement pragmatique: le raisonnement qui
cherche à unir l’empathie à la logique, tout en se référant clairement aux contextes des
faits ainsi que nous les connaissons. Selon les pragmatistes américains, un tel
raisonnement, dans le contexte de la mont ée de la philosophie anglo -saxonne, tolère
l’ambiguïté et les interprétations multiples, mais embrasse aussi le « bon sens ». Mais
il s’agit d’une affaire complexe, car le bon sens ainsi que les bonnes valeurs les plus
évidentes sont très nuancés.
On demande aujourd’hui à une éducation éthique précisément d’avoir la volonté
d’explorer les pathologies complexes ainsi que les comportements sains de notre
société, nature et culture. Toute bonne découverte doit se disputer avec le mal. Ainsi
que l’expliquait Isaiah Berlin, en réalité, nous n’avons pas d’autre option que de
comprendre de manière morale les actes les plus importants de notre histoire:
Si nous voulons comprendre le monde violent dans lequel nous vivons (et à
moins d’essayer de le comprendre, no us ne pouvons pas nous attendre à pouvoir agir
rationnellement dans celui -ci), nous ne pouvons pas limiter notre attention aux
grandes forces impersonnelles, naturelles ou fabriquées par les hommes, qui agissent à
notre encontre. Les objectifs et les motif s qui guident l’action humaine doivent être
30 compris dans le contexte de tout ce que nous savons et comprenons; leur nature et leur
développement, leur essence et surtout leur validité, doivent être examinés de manière
critique, à travers toutes les ressour ces intellectuelles dont nous disposons. Ce besoin
urgent … fait de l’éthique un domaine de toute première importance. Seuls les
barbares ne sont pas curieux d’apprendre d’où ils viennent, comment ils en sont
arrivés là où ils se trouvent, ce qu’ils vont f aire, si ils veulent le faire et si non, la
raison pour laquelle ils ne veulent pas le faire (Berlin, 1991, p. 2).
Les pathologies éthiques
Quelle est l’étendue des pathologies éthiques dans les universités ? Vaste, mais
permettez -moi de résumer les pr éoccupations morales dominantes pour les
programmes d’enseignement et la production de savoir.
L’enseignement supérieur crée des valeurs tandis qu’il développe le savoir dans
entre les disciplines. L’université opère comme une sorte de dépositaire de la
confiance du public et tire sa puissance morale du fait qu’elle est perçue comme étant
au service de la découverte du savoir en tant que vérité. Le public a montré peu
d’intérêt dans la théorie de la déconstruction; le public américain reste profondéme nt
divisé en ce qui concerne le fait de savoir si la religion est ou n’est pas la seule
dépositaire d’importantes valeurs et attend (surtout) des universités qu’elles avancent
des connaissances importantes de manière responsable. Le public se tourne vers l es
universités pour effectuer des tests non censurés sur les médicaments, par exemple et
pour une présentation objective des informations en classe, idées qui trouvent leur
place dans la manière dont nous conduisons nos affaires de tous les jours et dont n ous
définissons les relations de force dans nos systèmes politique et social.
La valeur du savoir produit ou disséminé par les universités est bonne dans la
mesure de la profondeur de la recherche qui soutien le savoir et de la façon objective
dont il est présenté. Il est aussi bon dans la mesure, on pourrait dire, de l’esprit de
coopération entre les disciplines, la mesure dans laquelle les disciplines ne
« détiennent » pas un sujet, mais offrent ouvertement une variété de perspectives sur
celui-ci. Ainsi, la « démocratie » comme préoccupation académique par exemple,
n’appartient pas aux scientifiques politiques, mais c’est une idéologie qui filtre toute
discussion sur le comportement humain et la créativité dans l’université.
L’enseignement supérieur a aussi une mission sociale de proportions globales qui
guide la recherche. La confiance publique s’attend à ce que les disciplines combinées
ne fournissent pas seulement des connaissances utiles et précieuses pour le bien -être
de la société en général, ma is aussi, pour reprendre le texte de la Charte de Bologne
qu’elles « …transcendent les frontières géographiques et politiques et affirment le
besoin vital des différentes cultures de se connaître et de s’influencer
réciproquement ». Ainsi, les défis du fai t de vivre dans une société du savoir – et
même d’internationaliser le programme d’enseignement des universités – représentent
des projets éthiques concernant toutes les disciplines universitaires.
L’enseignement supérieur guide les nouvelles génération s d’étudiants à travers les
versions toujours changeantes de la modernité, où les valeurs apparaissent comme
étant en flux et les vies aussi en perpétuel mouvement. Le sens de la modernité est
élusif; la condition post -moderniste est profondément fragmenté e; non seulement les
représentations de la vie dans les arts et les médias sont des pastiches, mais les vies
elles-mêmes sont vécues de cette manière; le soi est facilement décentré. Ainsi, l’un
des plus importants mandats éthiques de l’université est de d evoir intercéder entre les
effets de la modernité et de la modernisation, à la fois culturellement et
31 économiquement. Cela ne peut pas être simplement cédé aux médias et certainement
pas aux chaires politiques ou religieuses. Une évaluation permanente doi t aussi être
faite du succès de notre projet.
L’université est particulièrement mise au défi aujourd’hui pour promouvoir une
éducation démocratique, offrant des définitions saines de travail dans une société
démocratique qui est diversifiée et ouverte p our encourager le succès de tous ses
membres. Cela signifie une analyse soignée des deux principaux développements de
l’enseignement supérieur au cours du siècle passé. Le premier est le développement de
l’enseignement de masse, qui a commencé aux Etats -Unis avec la Loi Morrill des
années 1860 et qui est maintenant clairement pratiqué en Europe. Le second est le
corporatisme croissant des universités, phénomène qui dérive du rôle des universités
dans le développement du capitalisme libéral et dans la format ion d’un marché
puissant et pratiquement auto -réglé pour l’enseignement supérieur, qui assume lui –
même des proportions globales.
Plus les universités prolifèrent, se décentralisent, gagnent de l’indépendance et
doivent chercher des sources indépendantes de financement, plus il semble, qu’elles le
veuillent ou non, qu’elles doivent paraître et agir comme des entreprises afin de
survivre sur le marché. Et il semble que plus cela arrive et plus le flux de savoir suit
les besoins économiques. Ainsi, l’enseig nement supérieur doit suivre les effets de
l’inévitable évolution du management des universités selon les pratiques du milieu des
affaires. Cela apporte un plus d’efficacité, mais aussi une tendance claire à trouver les
connaissances plus profitables lorsq ue celles-ci peuvent être vendues à un prix élevé.
Un important défi éthique est de faire face à la distance croissante entre les valeurs
traditionnelles du savoir universitaire et les valeurs de marché dans la société du
savoir, même si l’université flirt e ouvertement avec ses options de marché.
Au sujet de ce dernier point, le fait est que la croissance des médias et de la
société du savoir a clairement modelé et simplifié les valeurs sociales et éthiques –
souvent pour des raisons politiques et patriot iques. Le savoir au service des besoins
politiques ou du profit est souvent destiné à manipuler les émotions et à satisfaire les
désirs plutôt qu’à fournir un aperçu sociologique ou éthique. Même les universités
font beaucoup appel aux marques d’entreprise s et aux exercices de relations
publiques, qui peuvent tourner en publicité pure. Ainsi, l’un des résultats les plus
dérangeants de la nouvelle économie du savoir est qu’une faille entre les motivations
capitalistes et les valeurs démocratiques peut se cre user très facilement.
Qui plus est, ce n’est pas seulement le savoir et la recherche qui sont de plus en
plus déterminés par les besoins corporatistes et politiques, mais le savoir universitaire
est lui aussi devenu un bien marchand à travers la professi onnalisation des disciplines
par faculté. Les départements à travers le monde ont leurs standards professionnels et
leurs associations, avec des universitaires qui doivent le plus souvent plus à leur
discipline qu’à leur université. Plus les disciplines ch erchent à se différencier des
autres dans le programme d’enseignement et à attirer les étudiants à soutenir leurs
budgets et leurs réputations, plus elles deviennent excessivement préoccupées par leur
hégémonie politique et culturelle.
Finalement, nous s ommes constamment mis au défi de réorganiser le savoir dans
l’enseignement supérieur afin de répondre aux besoins de la société, pas seulement
pour un plus de savoir, mais pour un savoir plus focalisé et plus utile. Les soucis du
public au sujet des univer sités aussi bien aux Etats -Unis qu’en Europe portent surtout
sur: l’accumulation excessive de savoir dans les domaines ésotériques; la question de
savoir si les professeurs enseignent suffisamment bien, étant donné les défis d’une
société multiculturelle; les programmes d’enseignement trop spécialisés; la faillite de
32 l’éducation générale à être autre chose qu’une formation de base et une introduction
aux disciplines. Nous devons nous demander si le savoir est actuellement organisé
pour le mieux dans les uni versités en départements et en disciplines. Et nous devons
connaître la manière dont les universités sont largement devenues des corporations de
savoir, en partie à cause de la façon dont le savoir a été départementalisé.
Mon point de vue est, je l’espèr e, plutôt cautionnaire que moraliste. L’université
ne peut pas simplement se fier à la pure intersection de divers systèmes
d’enseignement supérieur avec une société du savoir qui est de plus en plus
entrepreneuriale pour bien réaliser sa mission éthique. L’enseignement supérieur doit
être plus critique au sujet de la valeur du savoir – et la préoccupation croissante sur la
globalisation ne rend pas la tâche plus facile. Nous devons mieux intégrer notre
mandat éthique dans les programmes d’enseignement afin de servir le bien public et de
modeler les résultats moraux de l’enseignement supérieur qui, comme je l’affirmait, ne
concernent pas autant le bon comportement, mais la capacité à choisir de bien se
comporter.
La pédagogie et l’éthique pragmatique
Comment peut le mandat éthique de l’université s’immiscer, en termes pratiques, dans
le programme d’enseignement ? Deux choses semblent claires si les universités
devaient survivre entre toutes les corporations orientées vers le profit et les
établissements q ui produisent du savoir. Premièrement, elles doivent concentrer et
intégrer leurs missions et faire connaître la manière dont elles travaillent
effectivement pour le bien public. Très peu d’universités peuvent tout apporter à tout
le monde dans le domaine du savoir. Mais chacune d’entre elles peut définir une voix
puissante éthique, humaniste et critique – qui parle d’empathie pour les autres.
Lorsque nous prenons ce que représente la mission de l’enseignement supérieur
dans les collèges et les université s des Etats -Unis, par exemple, nous trouverons
normalement les articles suivants mentionnés dans leur Déclaration de mission:
– L’importance d’une éducation générale (ou libérale) dédiée à la pensée critique,
éthique, à une introduction aux disciplines et à la compréhension de l’histoire des
idées.
– La recherche créative et utile et les bourses offertes par les facultés, qui sont libres
de travailler sans censure et d’utiliser leurs bourses pour informer leur
enseignement.
– La préoccupation que les étudiant s apprennent de manière efficace et l’évaluation
de ce qu’ils ont appris.
– L’empathie pour les valeurs multiculturelles et interculturelles qui informent
efficacement une communauté de campus diverse.
– La préparation des étudiants à des carrières dans une économie hautement
concurrentielle à travers l’offre de connaissances utiles.
– Se dédier au bien public et au service de la société, ainsi qu’à la promotion des
valeurs sociales.
Il existe aussi d’autres objectifs, bien sûr, mais ceux -la s’ajoutent à un projet de
construction du savoir et de la société comme si l’université et la société en général se
trouvaient dans une relation profondément symbiotique. Un bon commencement
serait: l’intégration nécessaire des vies morale, intellectuelle et par conséquen t
professionnelle des étudiants. Cela implique une combinaison de valeurs humanistes
et utilitaires, puisque l’université travaille pour le bien public et le développement
33 personnel en même temps. Tout le monde sait que cet agenda doit être
perpétuellement négocié entre les administrations, les facultés et les étudiants – dans
chaque classe en fait. Mais une telle préoccupation pourrait signifier par exemple,
étant donné l’étendue globale de notre mandat éthique, que nous devions préparer les
personnes à co mprendre le fait d’être connecté avec les autres, pas seulement à travers
une économie locale, mais aussi une économie globale, ainsi qu’à travers la
préoccupation des internationalistes pour définir un globalisme politique,
géographique, écologique et cul turel. Dans ce contexte, la relation souvent
contradictoire entre modernité et modernisation apparaît à une échelle internationale.
Car ce que les économies veulent faire au nom de la modernisation ne prend souvent
pas en compte le fait que les cultures ai ent des idées différentes sur la modernité.
Définir le moderne dans les formes excessivement simplifiées d’un globalisme
corporatif est précisément l’un des champs de bataille où les universités peuvent et
doivent envoyer des soldats: l’endroit où les nati onalités, les économies, les cultures
et les idéologies se rencontrent et s’affrontent. Les lettres et les sciences sociales en
particulier n’ont jamais auparavant eu à faire face à un défi tellement intéressant à ce
point de vue.
Deuxièmement, quelle qu e soit l’orientation choisie par une université, le fait
d’œuvrer pour le bien public devrait être visible dans le programme d’enseignement .
Aucune discipline ne devrait se voir imposée la façon d’agir, mais les facultés peuvent
à travers des directives di sciplinaires, s’offrir de coopérer dans des domaines
communs d’étude qui ont un puissant impact éthique. L’un de ces domaines d’étude
est la globalisation, tout comme l’éthique elle -même, ou l’étude de la démocratie ou
des futurs politiques et social.
Ceci ne signifie pas que les valeurs spécifiques elles -mêmes – qui seront toujours
simplifiées et ouvertes à la discussion – sont les forces motrices d’une éducation
fondée sur l’éthique. A travers les conversations interdisciplinaires, les étudiants et les
facultés peuvent générer une série de valeurs largement humanistes et utilitaires. Les
études internationales et les programmes d’entreprise, par exemple, n’ont pas le
monopole de la nature du globalisme ou de l’internationalisation. Les arts et les lettre s
comprennent aussi la manière dont les idées et la créativité traversent les frontières
afin de créer d’importantes valeurs culturelles.
Le défi éthique pour les universités contemporaines devient alors le fait d’organiser le
programme d’enseignement de manière plus efficace afin de saisir la manière dont les
valeurs se sont formées et comment elles peuvent être soutenues. Finalement, les
valeurs ne sont efficaces que dans la mesure où les arguments qui les représentent le
sont, ainsi que selon leur pouvo ir de persuader les gens à bien faire. Ainsi, l’agenda
pragmatique pour l’éthique peut sembler demander un accord et une analyse de
pouvoir.
Il existe un nombre important d’approches à la systémique du pouvoir: sa
fonction à travers les relations humaine s, sa définition à travers la théorie du discours,
sa relation avec la vérité et sa circulation à travers les institutions sociales, les
relations de leader au suivant et ainsi de suite. Mais à la fin, la puissance de toute
société du savoir réside dans le fait qu’elle dépende largement de la manière dont elle
définit le pouvoir, de sa manière de présenter les histoires qu’elle raconte: leur
crédibilité, leur utilité, leur logique, leur moralité et leur capacité à dramatiser les
problèmes et à rendre les ex périences fraîches, familières et facile à comprendre. Ce
que nous appelons des valeurs sociales sont en fait une collection de narrations qui
informent les différentes cultures et offrent des raisons pour bien faire, pour éloigner
le mal, être heureux et ainsi de suite, de différentes manières. L’éthique n’est pas une
34 taxonomie du bien, mais une série de mythologies pour que les êtres humains se
définissent de la meilleure façon.
Si les déclarations éthiques sont rhétoriques, alors l’enseignement supérie ur est
mis au défi d’incorporer dans son programme d’enseignement au moins des éléments
pour faire prendre conscience du mode dont fonctionnent le travail narratif et
l’argumentation, les deux à travers la discipline de l’éthique et une compréhension de
la nature de la rhétorique. De la perspective historique des lettres, on peut étudier les
arguments éthiques au sujet du pouvoir et du mode dont les intérêts ont fusionnés
historiquement avec l’extraordinaire déplacement de paradigme dans la vie
intellectuel le occidentale, à commencer par les changements révolutionnaires dans le
statut du langage au cours de la Renaissance. Au cours des seizième et dix -septième
siècles, la pensée scientifique et psychologique complexe s’est développée en même
temps que la réa lisation que le langage est métaphorique par nature, qu’il est ouvert
aux interprétations et qu’il n’est pas en relation égale avec le sens. Ceci est une longue
histoire qui n’a pas sa place ici, mais à partir de la Renaissance, l’université a épousé
la signification sans valeur du langage et d’autres systèmes symboliques – comme les
arts, les symboles mathématiques et ainsi de suite, particulièrement à travers le
raisonnement démonstratif – et l’éthique elle -même doit être entrepreneuriale,
argumentative e t rhétorique pour tenir le pas avec le pouvoir.
Conclusion
L’enseignement supérieur a peu de chances de devenir éthique sur le marché, à moins
d’insister sur le fait d’enseigner les façons et les moyens d’une éthique pragmatique
dans un monde complexe de relations de force. Considérons alors à nouveau la valeur
d’une composante du diplôme universitaire de premier cycle – peut-être une série de
cours et de cas vers la fin des études pour le diplôme – qui offre la possibilité
d’examiner les problèmes soci aux et intellectuels/scientifiques du point de vue d’un
certain nombre de disciplines, tout en mettant l’accent sur l’interprétation. Une
éducation générale peut élargir la base des connaissances offertes par les disciplines
individuelles et créer des foru ms pour débattre des vastes problèmes moraux qui
dépassent la façon dont différentes disciplines interprètent les expériences: des
définitions interculturelles de ce que signifie être moderne, de la question de la
modernité et de sa relation avec la modern isation, des dimensions éthiques du
pouvoir, des intersections de l’accomplissement personnel et de la loi et ainsi de suite.
Ceci peut conduire à des options de programme d’enseignement fascinantes pour les
étudiants quand ils explorent la nature des réal ités sociales, politiques et culturelles.
Ce programme d’enseignement interdisciplinaire basé sur l’éthique peut incorporer
des perspectives de tout le monde et mélanger les théories de la juste action avec une
analyse des résultats. Il cherche à faire des évaluations pratiques, à résoudre les
problèmes, à ouvrir de multiples options pour accéder à un sens, à conduire des
recherches sur place, même comme une sorte d’enseignement des services. En bref,
l’importante fonction éthique de l’université dans la so ciété est de nous propulser de
manière pratique dans des analyses de valeurs contradictoires et de dilemmes moraux,
qui sont évident pour quiconque désirerait se pencher sur la façon dont nous vivons.
Dans l’université post -moderne on demande aux étudia nts de fonder leur éthique
sur la politique de tous les jours et dans la manière de comprendre la façon dont elle
est formée. Dès lors, une éthique pragmatique enseigne aux gens la manière dont ils
peuvent faire confiance et développer leurs sentiments, le urs intuitions et leurs
instincts dans des situations qui demandent un raisonnement moral. Ceci est beaucoup
35 plus complexe qu’il ne paraît, tout en étant impératif, car il reste que notre pensée
éthique tombe toujours trop facilement dans l’une des trois c atégories qui poussent à
la tendance de mystifier ou de rendre banale (et quelque fois même politiquement
totalitaire) la nature du raisonnement éthique: ( i) les valeurs religieuses
fondamentalistes ou politiques/patriotiques qui ne peuvent pas être mises en cause
par peur de la damnation; ( ii) une croyance dans les normes éthiques quasi-
transcendantes: la position habermasianne où les normes éthiques peuvent s’élever
au-delà de l’historique et du contingent; ( iii) une position post -moderne extrême et
non constructive dans laquelle toutes les valeurs sont éphémères dans leur façon
stimulante.
Cependant, comme l’affirmait Richard Rorty (1989), il ne suffit pas de faire
confiance à la foi ou à la raison comme indicateur principal d’une humanité
commune. Nous devons aussi faire confiance à la raison pour faire travailler
l’imagination. La conscience morale marche à travers l’empathie: les sentiments de
pitié, de bénévolat et de solidarité avec les autres – et c’est là qu’intervient
l’éducation dans le domaine des arts et des lettres. La position postmoderniste plus
sceptique de Rorty nous dispense le raisonnement scientifique comme un centre
absolu même lorsqu’il le classe comme un bien marchand recyclable. La solidarité
humaine doit être discutée toujours dans des contextes très chargés émotionnellement,
qui ne deviendront pas plus faciles à comprendre en réduisant simplement le
comportement humain aux tautologies des sciences sociales ou aux axiomes du
raisonnement démonstratif.
L’enseignement supérieur doit traiter d’une manière ou d’une autre – et c’est là
qu’intervient à nouveau la pertinence des disciplines dans le domaine des lettres – la
question de l’interprétation stricte mais sans éviter le relativisme moral. Nous avons
besoin, comme l’affirme Rorty, d’être des « ironistes personnels » afin de savoir si
une chose est bonne ou mauvaise, ou bien tout simplement pourquoi nous ne pouvons
pas en décider. Par exemple, le consensus démocratique sur le « bien » ne dépend pas
seulement du fait de se mettre d’ac cord sur ce qui est bon, mais aussi sur ce qui est
mal – et si nous devrions éviter ce mal. Des fois, le fait de se mettre d’accord sur le
mal rend inopérants les accords sur le bien.
Cela prête à des conséquences politiques, bien sûr. Il existe une lutte palpable à
l’intérieur et à l’extérieur de l’université lorsque nous demandons aux gens de mettre
en cause leurs identités nationales, leurs croyances politiques, ainsi que lorsque nous
leur indiquons des ambiguïtés dans la relation entre démocratie et ca pitalisme. Ils
trouvent souvent de l’ironie et des ambiguïtés dans le large domaine des changements
historiques, des dures défis à relever et se retirent même à des endroits
idéologiquement neutres, tout comme le font souvent les enseignants aussi. La
« société du savoir » n’aime pas du tout l’ironie, à moins qu’elle ne fasse vendre. Il
existe l’impression dans l’économie basée sur le savoir corporatif que le pouvoir du
savoir n’a pas grand -chose à faire avec le fait de soutenir une culture critique qui voi e
le monde comme étant ouvert aux sens et qui nous permette de négocier l’ironie.
Cependant, l’ironie est toujours là et nous vivons tous notre quotidien avec elle,
même dans les plus simples slogans publicitaires. « Se garer est quelque chose de
doux amer » disait une publicité pour la marque Audi il y a quelques années. La
présomption est que cette affirmation était destinée à ceux qui connaissent
Shakespeare – ceux qui méritent une Audi car ils sont riches et cultivés. Ainsi, nous
clignons et nous dis ons comme c’est intelligent, avec une admiration partagée pour le
dramaturge avec la plus grande performance statistique de tous les temps. Se séparer
d’une telle automobile c’est comme si Juliette se séparait de Roméo. Pour un moment,
36 le problème éthique pourrait être la manière de persuader les gens à acheter en
assumant que la valeur d’une ligne shakespearienne est la même qu’une voiture de
luxe. Mais un tel sérieux a peu de place de nos jours. La culture ou le manque de
culture n’influence pas les vente s. A part cela, tout le monde ne remarquera pas la
référence, mais sera quant même impressionné par le jeu de mots. Après tout, dans
notre monde post -moderne poussé vers les collages, Venus de Milo et la bouteille
Coca-Cola sont juxtaposés dans l’une des p rincipales œuvres d’art du vingtième
siècle. Mais il existe une ironie intentionnelle chez Robert Rauschenberg7 avec son
message complexe social et esthétique, même si son art reste très profond. Dans la
publicité intelligente, on util ise l’ironie pour faire vendre un produit.
D’autre part, il existe d’importantes questions éthiques couvertes d’ironie
tragique: le choc des cultures qui produit le terrorisme, l’achat par les compagnies
pharmaceutiques du talent universitaire. Nous devo ns opérer des discriminations
morales, sinon la prédiction de Berlin deviendra réalité. Ainsi, dans la salle de classe,
nous pouvons nous déplacer de l’étude de la lecture de l’ironie dans la publicité à
celle de l’ironie dans des textes plus complexes, ma is tôt ou tard, émerge la même
préoccupation éthique importante: qu’est -ce qui rend la moralité réelle à nos yeux et
comment résoudre les valeurs conflictuelles ? Et lorsque nous réalisons que le
fondamentalisme éthique, la rigueur morale et la culture lit téraire ne constituent pas
une crise purement culturelle, mais plutôt politique de notre temps, alors le besoin
d’une éducation éthique devient plus clair que jamais. On doit alors largement
connecter l’éducation éthique et démocratique, non pas avec la vu e acquise du bien et
de la juste action, mais avec le talent pour soulever des ironies sur les situations
morales et explorer les arguments qui peuvent être apportés dans ce sens – et il existe
une importante tradition à ce sujet dans l’histoire de l’human isme européen.
Références
Berlin, I. The Crooked Timber of Humanity. New York: Alfred A. Knopf Inc., 1991.
RORTY, R. Contingency, Irony, Solidarity. New York: Cambridge University Press,
1989.
Autres textes
SARAMAGO , J. ‘The Least Bad System Is in Nee d of Change: Reinventing
Democracy’, Le Monde Diplomatique , mardi, le 17 août 2004.
7 Robert Rauschenberg (n. 1925) – artiste pop américain.
37 L’excellence, le partage et la solidarité en tant que principes éthiques
de la coopération académique internationale: l’Agence universitaire
de la Francophonie
ROGER MANI ÈRE
Dans cet article, l’auteur analyse certains de défis moraux et éthiques manifestes à
l’ère de la mondialisation. Il examine l’exemple des universités européennes et leur
héritage, en particulier dans la lumière de la massification de systèmes
d’enseignement supérieur d’Europe de l’Ouest, et désormais de l’Europe Centrale et
de l’Est. Il est affirmé que l’intégration européenne est basée sur une coopération
académique équilibrée, bâtie sur des principes éthiques et moraux de partage et de
solidarité. Le s activités de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) sont
présentées en ce qui suit, en tant qu’exemple d’action étendue et d’habilitation où
l’excellence et le co -développement rejoignent le partage et la solidarité.
Les questions éthiques son t au cœur de nos sociétés. Elles en sont les fondements
même. A l’orée du Vingt -et-unième siècle, avec une globalisation envahissante et
inquiétante, avec une cinétique sociétale accélérée, avec des approches faites d’un
libéralisme souvent effréné, les qu estionnements sont nombreux dans tous les
compartiments qui structurent nos sociétés: sociologique, politique, économique,
scientifique, technologique, éducatif.
L’enseignement, sur lequel repose l’avenir de nos sociétés, soulève à cet égard
bien des quest ions. S’interroger aujourd’hui, dans le contexte qui est le nôtre, sur ce
qui, en terme de morale et d’éthique, fait ou devrait faire l’enseignement supérieur
paraît parfaitement justifié face aux évolutions – pour ne pas parler de
bouleversements – qui marquent une époque caractérisée par une mondialisation où le
libéralisme semble mépriser le social.
Les universités européennes sont le fruit d’une évolution à la fois historique,
sociologique et culturelle, politique et, aujourd’hui tout particulièrement, économique.
Les établissements d’enseignement supérieur sont, de fait, le miroir de nos sociétés,
des sociétés qui, en Europe tout particulièrement, sont riches d’une formidable
diversité culturelle, linguistique, religieuse, mais aussi politique et économ ique, d’une
histoire commune, souvent partagée dans les périodes dramatiques.
La massification a été un processus délibérément choisi sur le plan politique. Cela
a constitué un véritable défi, parfaitement légitime sur le plan sociétal et donc sur le
plan éthique et moral. Cela a constitué une réelle difficulté qu’il a fallu surmonter; et,
c’est une réussite. Cependant, dans cet effort on s’est sans doute beaucoup consacré
aux moyens à mettre sur pied pour résoudre une équation difficile, et la fonction
philosophique, culturelle, morale de l’enseignement supérieur a été délaissée. C’est
une réussite qui a, peut être aussi, induit un oubli des critères humanistes qui doivent
encadrer la formation universitaire. Mais il demeure là une nécessaire et constante
question: Que devra être l’honnête homme du XXIe siècle ?
La massification s’est posée également en Europe Centrale et de l’Est, mais dans
un contexte très différent sur le plan politique et économique. S’y ajoute une
dimension supplémentaire, pour ne pas d ire une difficulté supplémentaire: le
processus de construction européenne. Si l’Europe est riche de sa diversité, elle doit
faire face à ses disparités. Ainsi, la construction d’une « Europe du savoir » apparaît –
elle comme une nécessité pour l’ensemble de s établissements européens, mais aussi
38 comme un devoir à accomplir: les établissements d’enseignement supérieur
occidentaux ne doivent pas laisser les établissements d’Europe Centrale et de l’Est
seuls face à ce processus. La construction européenne repose sur des coopérations
universitaires équilibrées, fondées sur une éthique et une morale faite de partage et de
solidarité. Or, c’est bien souvent l’inverse qui se produit en Europe Centrale et de
l’Est, où un véritable pillage des ressources intellectuelle s est organisé par les pays les
plus riches de la planète en manque d’informaticiens ou, tout simplement, de
doctorants.
Il est également important de s’interroger sur le socle moral et éthique des
organisations qui structurent les sociétés universitaires et scientifiques, et de réitérer
périodiquement leurs responsabilités et leurs objectifs, en mettant, notamment, à leur
disposition des moyens financiers nécessaires. Leur rôle est essentiel puisque,
fonctionnant souvent sur le long et moyen terme, ces opé rateurs dessinent le paysage
éducatif supérieur des années à venir. Ces organisations et sociétés doivent donc
afficher leurs valeurs clairement et en parfaite transparence, en respectant ces
principes dans les actions qu’elles initient.
Dans un tel contex te, il s’avère utile de présenter l’action de l’Agence
universitaire de la Francophonie (AUF), qui tire sa force et sa légitimité actuelle, son
originalité aussi, des fondements même de son action: l’excellence et le co –
développement se conjuguent avec le partage et la solidarité.
L’AUF: association et opérateur
L’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) est une association regroupant des
établissements d’enseignement supérieur et de recherche et des réseaux
institutionnels. Elle est née de l’Associa tion des Universités Partiellement ou
Entièrement de Langue Française (AUPELF), créée en 1961 à l’Université de
Montréal au Québec, Canada. Depuis 1989, l’AUF a également le statut, confirmé
dans la Charte de la Francophonie adoptée en 1997, d’opérateur di rect du Sommet des
Chefs d’Etat et de gouvernement ayant le français en partage, pour les domaines de
l’enseignement supérieur et de la recherche.
L’AUF participe, avec un double objectif d’excellence et de co -développement, à
la construction d’un espace u niversitaire scientifique francophone en contribuant à
l’établissement d’un réseau structuré et interactif d’universités, d’établissements
d’enseignement supérieur et d’organismes de recherche oeuvrant en français. Instance
de proposition, d’impulsion, de concertation et de coordination, l’AUF favorise les
rassemblements régionaux et les réseaux universitaires et scientifiques et développe la
solidarité entre institutions en soutenant les activités associatives.
Réforme et développement
Conformément à la demande exprimée à Moncton en septembre 1999, par le Sommet
des Chefs d’Etat et de gouvernement ayant le français en partage, une importante
réforme de l’AUF a été mise en œuvre sous la direction de son nouveau recteur, Mme
Michèle Gendreau -Massaloux. De n ouveaux statuts ont été adoptés par l’Assemblée
générale de Québec en mai 2001, créant notamment un Conseil associatif et un fonds
universitaire de coopération et de développement.
Les programmes de l’AUF ont été regroupés et recentrés sur les priorités et la gestion
des actions largement décentralisées a été déconcentrée dans les bureaux régionaux.
L’administration et la gestion ont été réorganisées: révision de l’organigramme,
39 nouvelle présentation budgétaire, maîtrise des frais structurels et institution nels, et
mise en place d’un nouveau système intégré d’information budgétaire, comptable et
programmatique complété d’indicateurs de suivi qualitatif d’activité.
La réussite de cette réforme, appuyée sur la qualité de l’ensemble des projets mis
en œuvre par l’AUF au bénéfice de ses établissements membres, et le sérieux du suivi
des actions mis en place dans un souci d’explication, de clarté et de transparence, ont
permis à l’AUF de retrouver la confiance de ses membres et celle des Etats
contributeurs, au pr emier rang desquels le Gouvernement français. Dans le cadre d’un
plan de relance de la Francophonie annoncé par le Président de la République
française au Sommet de Beyrouth en octobre 2002, et de son orientation prioritaire
vers le secteur de l’éducation, cette confiance retrouvée a amené le Gouvernement
français à augmenter sa contribution au financement des activités de l’AUF à environ
12 millions d’euros. La subvention annuelle du Ministère des Affaires Etrangères
dépasse désormais les 30 millions d’eur os.
Les priorités actuelles
Les grandes priorités actuelles sont les suivantes:
(i) Les campus numériques et la formation à distance: le réseau des campus
numériques de l’AUF a été renforcé en 2003, notamment par la transformation de
centres d’accès à l’inf ormation en campus numériques et par la modernisation de
leurs équipements. Certains aménagements, entamés en 2003, seront finalisés en
2004 et les priorités de ce réseau seront recentrées sur la mise en place de
formations à distance diplômantes, approuvé es par le Conseil scientifique.
(ii) Les pôles d’excellence au Sud: la mise en œuvre de 16 pôles sélectionnés en 2003
permettra le développement d’actions régionales autour de ce dispositif. Leur
évaluation accompagnera la mise en place de nouveaux pôles d’exce llence afin
de mailler ce réseau et de l’insérer rapidement dans les différents programmes de
l’AUF.
(iii) Les mobilités des étudiants, des enseignants et des chercheurs: l’effort important
de 2003 a été poursuivi en 2004 afin de renforcer le dispositif de mobil ités et
d’impliquer davantage les établissements membres, d’origine et d’accueil des
boursiers dans le cadre de conventions et de partenariats. Le rôle vital des
commissions régionales d’experts et du Conseil scientifique sera également
consolidé. Les nouv elles formes de mobilité, mobilités régionales, mobilités de
réseaux, seront développées et évaluées.
Les principales actions structurantes des programmes thématiques de l’AUF
demeurent:
– Les réseaux de chercheurs: développer la dynamique de réseau, amé liorer le
lien entre recherche et formation et développer dans les universités du Sud
l’utilisation des technologies de l’information et de la communication.
– Les structures d’enseignement : instituts, formations doctorales et filières.
– Les pôles d ’excellence régionaux.
– Les campus numériques francophones.
40 Les dimensions éthiques et morales des programmes de l’AUF
La déclinaison des différents programmes de l’AUF montre parfaitement les
orientations éthiques et morales prises par l’agence:
Langue française, Francophonie et diversité linguistique
Le projet de la francophonie universitaire a, avant tout, une fonction linguistique : faire
en sorte que la production et la transmission des savoirs se poursuive en français sans
se limiter à l’espace géo politique de la francophonie institutionnelle. La langue
française doit donc cultiver sa relation aux langues du monde , l’anglais, l’espagnol, le
portugais mais aussi l’arabe et les autres langues nationales en contact avec elle dans
les pays francophones.
Les grands problèmes environnementaux actuels du monde contemporain
(énergie, eau, climat et biodiversité) se posent à l’échelle de la planète et les
déséquilibres Nord -Sud sont criants dans tous ces domaines. Parmi les éléments de
toute politique orienté e vers la réduction de ces déséquilibres, la science et la
technologie ont un rôle important à jouer. Dans ce domaine en particulier, la
coopération entre partenaires du Nord et de Sud est fondamentale. Ce programme
englobe toutes les disciplines universit aires qui ont trait à l’environnement et au
développement économique et social des pays du Sud dans une optique de co –
développement.
Développement et environnement
Aspects de l’Etat de droit
Contribuer à la réalisation, dans l’espace francophone, de l’a spiration universelle à la
paix, à la démocratie et au respect des droits de l’homme, constitue une mission
essentielle de la Francophonie. La paix et la sécurité conditionnent le développement
durable. Les aspects de cet Etat de droit sont multiples. Ils touchent aussi bien les
libertés et les droits fondamentaux ou le respect de la justice que les rapports entre le
droit des individus et l’orientation communautaire de nombreuses sociétés, les
rapports entre les caractères laïques de la déclaration univers elle des droits de
l’homme et le caractère religieux de certaines communautés. Le programme contribue
au renforcement des conditions de mise en place et d’exercice de l’Etat de droit par la
formation et la recherche.
Technologies de l’information et de la communication et appropriation des savoirs
En raison du déséquilibre économique entre les pays du Nord et les pays du Sud,
l’Université doit être le lieu prépondérant de la circulation des savoirs au service
d’une intelligence collective. Difficultés de circulation de l’information scientifique,
marchandisation des connaissances, taxation des outils technologiques nécessaires à la
modernisation des enseignements et de la recherche sont autant de facteurs de
marginalisation des établissements du Sud. Pour lutter contre ce déséquilibre, les
objectifs généraux de ce programme sont les suivants:
i. Intégrer les nouvelles technologies éducatives dans les pratiques pédagogiques,
développer les formations ouvertes et à distance afin de permettre le
41 développement de s technologies de l’information et de la communication pour
l’enseignement, favoriser l’existence d’une relation plus interactive entre
enseignants et enseignés.
ii. Consolider les formations présentielles des cycles scientifiques et technologiques
et renforce r la gestion des compétences universitaires et professionnelles par la
mise en ligne de contenus d’enseignement dans une démarche participative.
iii. Développer l’édition et la diffusion, notamment en ligne, afin de décloisonner les
universités du Sud en matièr e d’information scientifique et technique.
iv. Déployer au cœur des universités des plates -formes technologiques spécialisées
dans l’ingénierie pédagogique et fonctionnant en réseau.
C’est dans ce secteur en perpétuelle évolution que les questions éthiques on t
récemment été posées. Cette réflexion a donné lieu à une charte relative à la
production et la diffusion des savoirs portés par les TIC préconisant notamment le
libre accès universel aux savoirs partagés de toutes origines disciplinaires, l’égalité
d’accès aux savoirs fondamentaux qui constituent un bien public inaliénable par des
dispositifs qui stimulent cet accès tout en préservant l’identité des auteurs et en
protégeant celle des utilisateurs, la participation active aux processus de normalisation
et de standardisation de présentation des contenus véhiculés par les TIC, ainsi que la
lutte contre la fuite des cerveaux.
Le renforcement institutionnel et scientifique des universités
La légitimité des universités, la reconnaissance de leur qualité et le ur développement
reposent surtout sur leur capacité à mettre en œuvre des actions de recherche. A
défaut, les institutions universitaires et scientifiques du Sud sont en péril. En outre, la
situation préoccupante de certains établissements les place devant un besoin urgent de
restructuration et de renforcement. L’AUF entend mobiliser les réseaux qui la
constituent pour venir en aide à ces établissements, par la promotion de la recherche
dans le cadre de projets de coopération scientifique inter -universitai re entre
établissements de régions différentes, par des appuis significatifs aux équipes de
recherche et par la structuration des établissements en grande difficulté aux plans
administratif, pédagogique et institutionnel.
Les mobilités
Contribuer au déve loppement de l’espace universitaire francophone dans sa pluralité,
développer le corps des enseignants et des chercheurs du Sud, renforcer les
compétences scientifiques et universitaires des établissements du Sud, amplifier les
échanges scientifiques et in tellectuels, favoriser la mobilité des jeunes et des femmes,
promouvoir la science en français sur la scène internationale, tels sont les objectifs
essentiels qui fondent le programme de mobilité scientifique et universitaire
développé par l’AUF.
Les mobilités, au premier rang desquelles les bourses, mais aussi les missions
d’enseignement, sont d’abord conçues pour être utiles aux institutions et attribuées à
leur profit et dans la perspective du retour du boursier dans sa région d’origine à
l’issue de la mobilité. Les flux prioritaires privilégient les universités du Sud, soit
42 entre elles dans des flux Sud -Sud, soit avec les universités du Nord dans un flux
prioritaire du Nord au Sud.
Les structures associatives et le soutien aux réseaux
L’espace univer sitaire international est animé régulièrement par un ensemble de
réseaux scientifiques dont l’activité associative ou coopérative est essentielle; celle -ci
permet de sortir de l’isolement des chercheurs que les bouleversements de l’histoire
ont malmené; el le favorise une meilleure connaissance réciproque et permet la mise
en synergie des équipes et des hommes. Ce programme a pour finalité de promouvoir,
développer, renforcer, susciter la création de différents réseaux scientifiques qui
démultiplient la coop ération universitaire francophone, contribuent à son rayonnement
international et renforcent la solidarité et le partage des savoirs dans l’espace
scientifique mondial.
Conclusions
L’expérience acquise depuis dix ans par l’Agence universitaire de la Fran cophonie en
Europe Centrale et de l’Est, en Afrique et en Asie est une illustration de cette volonté
de partage et de solidarité. Elle vise à remettre en marche des sociétés où l’état de
droit n’existe plus, où l’espoir pour la communauté scientifique et u niversitaire est
faite d’émigration: la politique d’adhésion de l’agence suppose que chaque membre
de l’agence accepte de nouveaux venus quitte à diminuer la part de chacun. Les
activités sont décentralisées au niveau régional, où les prises de décisions
appartiennent aux universitaires des régions concernées, et de nombreux colloques
sont organisés sur les questions -clés de notre siècle.
43 Moralité, culture et modernité: les défis de l’université
ANDRZEJ SZOSTEK
L’auteur se concentre sur les aspects éthi ques de la conduite des recherches et de
l’enseignement dans les universités. Quelle est la fonction de l’université dans le fait
de rendre le monde contemporain plus humain et quelles sont les menaces présentes
liées à cette mission ? Le travail scientifi que est bien sûr pratiqué aussi en dehors des
universités et l’enseignement ne doit pas nécessairement suivre le modèle
universitaire; cependant, on ne peut pas nier le fait que l’université soit une
institution scientifique et éducationnelle ubiquiste, do nt les valeurs devraient être
retenues et soulignées dans la lumière des développements modernes scientifiques et
culturels. Le présent article met en évidence les traits caractéristiques des universités,
avec un accent sur la production d’éducation et de culture. Il s’adresse ensuite aux
défis auxquels l’université doit faire face dans le contexte de la civilisation moderne.
En guise de conclusion sont exprimées quelques observations personnelles sur les
dimensions morales et les défis.
L’université: pr omotrice de l’Homme et de sa grandeur
L’université représente l’une des meilleures idées de l’Europe médiévale. Il est
difficile de trouver un autre établissement qui ait autant contribué à l’histoire et au
développement de chaque culture nationale europé enne et qui ait été en même temps,
aussi largement accepté à travers le monde (Vetulani, 1970; Jilek, 1984) .
Naturellement, ces universités ont connu des hauts et des bas, et ont conçu différentes
réformes et typologies d’étude à travers les siècles (Wielgus, 1999, p. 50 -62).
Cependant, elles partagent toutes une identité fondamentale et un prestige social: les
universités continuent à unir et à former les esprits des élites intellectuelles en Europe
et dans le monde. Qu’est -ce qui détermine la vitalité de l’université et sa production
de culture ? Il y a peut -être de nombreuses réponses à cette question, mais l’auteur se
concentre ici sur les qualités de l’université à travers lesquelles elle peut aider les
jeunes à réaliser leurs plus grandes aspirations.
A la recherche de la vérité
L’homme est un être qui pense, capable de développer une distance cognitive entre
lui-même et le monde qui l’entoure. Il pose des questions sur l’essence des choses,
examine les espèces et le but de sa propre existence. Le fait de chercher ces vérités a
de très importantes conséquences pratiques: ceci lui permet d’utiliser les cadres
existants pour comprendre le monde et contrôler de manière consciente sa propre vie.
Ces motifs pragmatiques ne limitent cependant pas la passi on cognitive de l’homme,
car nous cherchons aussi des vérités là où aucun bénéfice pratique n’est anticipé.
Nous voulons simplement connaître ce qui nous intéresse. Paradoxalement ce
désintéressement a déjà valu d’innombrables bénéfices pratiques, et c’est surtout nous
qui en bénéficions le plus. Le fait de chercher la vérité et d’élargir nos connaissances
sur le monde nous enrichit, développe notre esprit et apporte une satisfaction
indépendamment du profit immédiat. En cherchant la vérité, les hommes se
développent en tant qu’être qui pense.
44 L’université offre une chance inégalable de développement, car c’est là que ceux
curieux d’apprendre sur le monde peuvent trouver d’autres étudiants et des
professeurs rongés « par le ver du savoir ». La bibliothèq ue offre l’opportunité de
communiquer avec un nombre impressionnant de penseurs et avec leurs idées.
Surtout, l’université est l’endroit où l’on peut apprendre une approche systématique et
méthodique aux problèmes. De riches programmes d’études permettent de se
rapprocher de la vérité d’une manière persistante, complète et inquisitive. Le diplôme
reçu à la fin des études garanti le fait que le savoir acquis est profond et véritable.
Les valeurs universelles de l’enseignement
Certaines vérités se caract érisent par leur interconnexion; le savoir acquis conduit à de
nouvelles questions et à de nouveaux domaines d’intérêt. Ars longa, vita brevis : la vie
des hommes n’est pas assez longue pour satisfaire toute la curiosité que nous pouvons
nourrir. Il est cep endant très important de considérer le contexte du savoir acquis et
d’éviter de se limiter à un champ trop étroit de recherche. C’est ce qui fait que
l’enseignement universitaire soit différent d’une spécialisation étroite, qui risque de
devenir creuse et stérile en absence d’une plus large perspective cognitive.
Le nom de l’université suggère un enseignement allant bien au -delà d’étroites
spécialisations (Szostek, 1996) . Les universités médiévales classiques comprenaient
quatre facultés, correspondant à l’universum du savoir de l’époque: la faculté d’arts
libéraux ( artes liberales ), le droit, la médecine et la théologie. Il existe de nos jours
beaucoup plus de facultés et de départements, il y en a tellement, en fait, qu’il est
souvent impossible de les réunir tous dans le cadre d’une seule institution. Ce qui est
important, cependant, c’est le titre d’université octroyé aux écoles offrant de vastes
connaissances. L’idée n’est pas de donner ce nom aux plus grandes universités
seulement, mais d’inclure dan s le programme des disciplines offrant une plus large
perspective cognitive aux étudiants. De nombreux collèges sans être formellement des
universités, aspirent aussi – à juste titre – à cet idéal. Dans leurs tentatives dans ce
sens, ils veulent se référer délibérément à cette idée fondamentale d’université,
comme école qui offre non seulement du savoir dans un certain domaine, mais aussi
une éducation plus complète. Il arrive souvent que l’enseignement complet reçu à
l’université permette d’avoir accès à u n emploi ou à une fonction sociale allant bien
au-delà du savoir acquis au cours de la spécialisation.
La recherche et l’enseignement: une communauté de professeurs et d’étudiants
L’une des plus importantes caractéristiques de l’université est le fai t qu’elle combine
la recherche avec l’enseignement; elle n’est ni un simple centre de recherche, ni une
école professionnelle. D’où l’importance du seminarium , au cours duquel le
professeur – maître partage les résultats de ses recherches avec les étudiant s, les
introduits à ces résultats et les invite à approfondir leurs études (Wojtyla, 1978) . Le
séminaire ne peut être remplacé par des cours ou des lectures, ni par des exercices
axés sur la méthodologie; ni même par l’enseignement à distance, aussi promet tant
soit-il. Toutes ces formes didactiques sont très importantes; cependant, aucune ne peut
remplacer la communauté que le professeur peut établir avec ses étudiants. Certains
d’entre eux deviendront ses collaborateurs et même des professeurs, dans un cer tain
temps. Un séminaire n’est possible que si le professeur conduit des recherches, si il a
le temps et les fonds nécessaires et lorsque les travaux académiques représentent sa
principale activité intellectuelle.
45 Il est difficile de ne pas apprécier l’i mportance didactique de l’enseignement
universitaire, surtout dans le cadre du séminaire. En latin, le terme signifie semer et
les pensées que le professeur sème se transforment à travers le temps dans de
multiples conclusions originales et créatives. C’es t, en même temps, un
environnement où se développent des liens particuliers entre le professeur et les
étudiants, qui forgent leurs caractères académiques et leurs individualités. Le
programme d’études comprend souvent des cours d’éthique, mais rien ne peu t
remplacer l’exemple que le professeur donne personnellement. Qui d’autre pourrait
fixer les règles de la recherche et du discours universitaires ? Tous les étudiants ne
deviendront pas des cadres universitaires, mais ces règles s’appliquent aussi en deho rs
de l’université. L’ouverture aux nouvelles idées, le respect des opinions des autres et
un effort sincère à les comprendre sont à la base de la recherche conjointe des
meilleures solutions aux tâches complexes.
La vie culturelle et les objectifs civiq ues
La vie des étudiants n’est pas limitée à la participation aux cours et aux séminaires
dans le cadre des universités, et l’activité en dehors du programme d’étude ne
représente pas un complément aux principales fonctions de l’université; cette richess e
de la vie estudiantine représente une parcelle de l’expérience universitaire. Ce ne sont
pas seulement les problèmes et les disciplines spécifiques qui sont interconnectés,
mais la science elle -même est une branche de la culture et doit être comprise com me
telle (Szostek, 2001, pp. 103 -109). La formation universitaire n’a jamais été limitée à
la sphère purement intellectuelle, mais a aussi encouragé, depuis l’époque médiévale,
ses étudiants à mieux se développer sur le plan personnel. L’une des plus ancie nnes
traditions universitaire est de maintenir une communauté et d’avoir des échanges
intenses entre les professeurs et les étudiants des établissements de nombreux autres
pays. L’étudiant commence par acquérir le savoir d’un universum disciplinaire, et
devient ainsi un citoyen de l’ universum , un citoyen du monde.
Ce n’est pas par accident que de nombreux mouvements socio -politiques ont vu
le jour dans les cercles universitaires, soit y ont trouvé de nombreux adeptes. Les
universités ont été à travers les siècles des lieux de rencontre pour les jeunes de
différentes nations, religions et cultures; certaines villes érigent des signes indiquant
leur nom ainsi que la fière mention Cité universitaire, soulignant le fait qu’il s’agit
d’un centre de la science, la culture et la civilisation. Les universités joue un rôle
irremplaçable dans l’union des nations et des cultures et sont indispensables à Europe
et au monde.
Bien sûr, un portrait idéal de l’université est dressé dans le présent article, surtout
concernant la façon dont l’université devrait éduquer et former les nouvelles
générations. C’est une vision profondément humaine et profondément chrétienne
aussi. C’est l’Eglise qui a fondé les premières universités et leur a garanti une
autonomie étendue, sans laquelle une véritable recherche de la vérité était
difficilement réalisable. Une caractéristique de nombreuses universités est aujourd’hui
qu’elles tentent de réunir des éléments d’enseignement, s’adressant aussi bien aux
éléments spirituels qu’aux dimen sions sociales. Cette tradition représente un héritage
européen inestimable.
46 Les défis contemporains
Sans aucun doute, l’université remplit toujours sa noble fonction, avec une longévité
exceptionnelle et un prestige notable. Toutefois, nous savons qu e la réalité est souvent
différente de cet idéal. La civilisation moderne pose un certain nombre de défis à
l’université qui doit chercher des moyens de préserver son identité et sa mission.
Certaines de ces menaces et défis sont présentés dans ce qui suit .
Le caractère de masse de l’enseignement supérieur
Aujourd’hui, il n’y a pas seulement plus d’établissements d’enseignement supérieur
qu’avant, mais il y en a de plus grand aussi. Chacun d’entre eux compte
habituellement quelques centaines de professe urs et des dizaines de milliers
d’étudiants répartis dans quelques dizaines de facultés, alors que les plus grandes
universités réunissent des centaines de milliers d’étudiants répartis dans tellement de
facultés et d’immeubles, qu’il leur est pratiquement impossible de maintenir leur
cohésion organisationnelle. C’est la raison pour laquelle il existe une tendance à
remplacer certaines universités par des universités corporatives. La Sorbonne, par
exemple, est déjà divisée dans un certain nombre d’universit és différentes, et un
processus similaire se déroule aussi à Sapienza à Rome. Tout cela est lié à la
massification radicale de l’enseignement. Alors que dans le passé, les universités
réunissaient une petite élite, de nos jours, elles représentent un stand ard sans lequel il
devient difficile de se trouver une place satisfaisante dans la vie. Si le fait d’acquérir
du savoir correspond à la nature rationnelle de l’homme, on doit se réjouir du
processus qui transforme l’enseignement en une entreprise à grande échelle; surtout
vu l’importance croissante que prend l’enseignement.
Cependant le nombre croissant d’étudiants ne va pas de pair avec l’augmentation
du nombre de professeurs ou du nombre d’universités. Par conséquent, les séminaires
où l’on fait de la recherche – essentiels au développement intellectuel et spirituel –
sont devenus surpeuplés. Il est possible d’introduire et de développer une coopération
entre le professeur et un groupe de plusieurs étudiants, une douzaine peut -être, mais il
est impossib le de maintenir cette relation lorsqu’il y a des masses d’étudiants. Les
séminaires sont devenus des classes dans lesquelles des dissertations sont produites,
mais sans qu’il y ait le temps pour la réflexion profonde sur d’importants problèmes
scientifique s. L’étudiant ne s’implique pas activement dans un processus commun de
recherche de la vérité avec le professeur, dont le travail est souvent fait par un
membre plus jeune de la faculté. Le premier objectif devient l’efficacité à délivrer des
diplômes univ ersitaires, à travers une recherche efficace et limitée dans le temps.
Ces commentaires s’appliquent aussi à d’autres formes d’enseignement
universitaire. La situation diffère selon le pays et le domaine d’étude, mais il est
impossible d’ignorer la cris e plutôt sérieuse intervenue dans les relations qui
existaient dans le passé (Strózewski, 2000, p. 349 -354). Les nouvelles technologies de
l’information peuvent aider à résoudre ces problèmes, mais il est clair qu’elles ne
remplacent pas le contact direct entre l’étudiant et le professeur.
L’utilisation de technologies modernes dans l’enseignement et la recherche
Les nouvelles technologies posent en fait certains défis. Le développement
scientifique et technologique prouve le pouvoir de la pensée humaine et surtout, de
l’esprit scientifique créatif. Il nous sert de différentes manièr es, consolidant notre
47 pouvoir sur le monde physique; il nous aide à organiser des sessions académiques,
qui, de plus en plus souvent, se déroulent non dans les universités, mais sur l’Internet.
Ces progrès technologiques sont devenus tellement inséparables de la vie
universitaire, que l’on a du mal à imaginer pouvoir enseigner ou faire de la recherche
sans eux, bien qu’il s’agisse d’instruments tout à fait nouveaux.
Cependant, un tel progrès indéniable comporte aussi certaines menaces, surtout
concernant le maintien d’un haut standard. Tout d’abord, il rend le plagiat très facile.
Il y a tellement de littérature accessible, qu’un étudiant ou un professeur malhonnête
peuvent présenter, sans trop d’efforts ni de risques, les travaux de quelqu’un d’autre
comme étant les leurs. Des programmes anti -plagiat ont été développés, mais ils ne
sont pas assez efficaces. Une personne de mauvaises intentions peut facilement les
éviter. Le plagiat est suivi de thèses faits sur commande par des spécialistes prêts à
venir en aide aux étudiants trop occupés ou qui rencontrent des difficultés à remplir
leurs tâches. Dans de nombreux pays, il n’existe pas de législation adéquate pour
punir de tels écarts et en Pologne, par exemple, les gens qui offrent de tels services (y
compris la liste des prix) ne peuvent pas être poursuivis en justice.
Les réglementations doivent être améliorées et, si besoin est, complétées par les
organismes universitaires. Les programmes anti -plagiat doivent aussi être améliorés et
introduits sous fo rme de testes obligatoires pour chaque thèse. La lutte contre ces abus
est difficile cependant car sa source se trouve en profondeur, dans la structure même
de l’enseignement universitaire: les thèses qui doivent être délivrés pour se voir
conférer son dip lôme.
La carrière universitaire
Les diplômes et les titres universitaires sont accordés à ceux qui remplissent certains
critères bien connus. Ceux -là sont essentiels au respect des réglementations
universitaires et ils ont subi un processus important d e formalisation à travers le
temps. Sans des critères claires et objectifs concernant la carrière universitaire, les
études supérieures seraient arbitraires et chaotiques. Toute personne désirant obtenir
un diplôme universitaire de licence, mastère ou doct orat doit démontrer avoir
accompli les études correspondantes et/ou des travaux académiques.
Cette procédure logique de la promotion universitaire est suivie par la tendance à
se concentrer non sur le développement académique lui -même, mais sur le fait de
remplir les conditions: un membre du corps universitaire choisis un sujet pour sa
dissertation doctorale ou son ouvrage professoral qui ne lui prendra pas trop de temps
et ne rencontrera pas une trop forte opposition de la part de ses collègues. Des cri tères
similaires sont aussi responsables du choix des problèmes traités dans les publications
académiques, que l’on est obligé de rédiger selon les termes du contrat de travail. Les
intérêts réels et créatifs sont souvent mis de côté jusqu’au moment où l’o n a parcouru
l’échelle universitaire. Lorsque l’on obtient le titre de professeur à l’âge de 45 ans, la
période de créativité se trouve déjà derrière. Reste la routine universitaire, où la
médiocrité est de mise. Pire encore, les universitaires « de carriè re » useront
exactement les mêmes critères pour lire et évaluer les travaux des autres, lorsqu’ils
seront appelé à le faire (Grabowski, 1998; Prost, 2003) .
Cette règle ne s’applique pas à tous les professeurs. Heureusement, la passion
universitaire l’emp orte souvent face à la carrière académique. Cependant, le volume
important de littérature universitaire médiocre est alarmant. Il y a de nombreux
comités qui ont pour tâche d’éliminer les dissertations médiocres, comme le Comité
pour les diplômes et les ti tres universitaires en Pologne; ces comités n’arrivent pas
48 cependant à empêcher le flux de dissertations médiocres. La nécessité de remplir les
conditions d’une carrière universitaire pousse de nombreux universitaires à plagier ou
à s’auto-plagier (en copi ant leurs propres textes sous des titres différents) ou au demi –
plagiat (le fait de compiler les textes de quelqu’un d’autre d’une manière très peu
créative). Il semble que les critères actuels devraient être revus afin d’éviter une
formalisation extrême s ans pour cela renoncer aux conditions et aux cadres objectifs.
L’interaction avec le marché du travail
L’un des atouts les plus importants de l’enseignement universitaire est son
universalité, cependant certains domaines du savoir se développent constam ment.
Ceci se traduit par un programme de plus en plus riche en études spécialisées,
implantées aux dépens des disciplines soi -disant d’ordre général et influencé par le
marché du travail. Les critères qu’un employeur juge utiles comprennent la
performance mais aussi les diplômes et du fait, les stages des étudiants remplissent
une fonction importante. Cette étroite relation entre l’université et l’employeur est
désirable et grâce à elle, certaines études deviennent plus tangibles. Certaines études
comme la médecine, par exemple, ne pourraient se faire sans une telle coopération.
Cependant, du fait du développement rapide des sciences et du marché global du
travail, les études universitaires ne répondront jamais exactement aux demandes de ce
dernier. Il e st plus important dès lors que l’étudiant développe l’habitude de la
formation continue et de l’amélioration professionnelle. Cela demande une certaine
flexibilité mentale, qui ne s’acquiert pas à travers un apprentissage mécanique,
matériel. L’enseignemen t matériel porte sur des sujets concrets; l’enseignement
formel se concentre sur le fait de développer les capacités d’une personne à penser
correctement, de manière logique et créative en même temps. Si l’on privilégie
l’enseignement matériel, les diplômé s d’université auront les esprits étroits et ne
seront pas préparés aux surprises auxquelles ils pourraient se voir confrontés. Quel
que soit leur travail, il se déroulera dans le contexte plus large de la vie sociale, à
laquelle personne ne peut rester in différent.
La science au service de l’humanité
J’aimerais résumer en réitérant une valeur particulièrement précieuse de l’université:
la recherche conjointe de la vérité entreprise par les professeurs et les étudiants, qui
correspond au caractère de s êtres humains en tant qu’êtres qui pensent et fait qu’ils
soient moralement matures.
Nous rencontrons ici un important problème, qui résulte de la pratique spécifique
de la recherche. La science est gouvernée par sa propre logique et le fait de poursui vre
des buts purement scientifiques suppose employer des méthodes qui peuvent violer
des droits humains élémentaires. Pour étudier le corps humain ou plutôt son
psychique, les généticiens, les psychologues et les sociologues peuvent trouver
nécessaire de c onduire des expériences à travers lesquelles les hommes deviennent
des matériaux empiriques. Le coût de la recherche peut être le fait que le sujet soit
sérieusement endommagé, sous le voile de la présomption que la vérité doit être
recherchée en permanenc e, à tout prix. Cela peut nous conduire à considérer la
science comme dieu et les scientifiques comme des prêtres, ayant le droit de tout faire
pour atteindre la vérité. Des fois il est dit que la fin ou les bénéfices justifient les
moyens. Nous devrions c ependant tenir compte du fait que le critère fondamental de
l’évaluation morale (y compris celle de la science) n’est pas un tel individu humain,
49 mais notre humanité abstraite en quelque sorte. Quel est le bien moral le plus
précieux, auquel tous les autre s biens devraient être assujettis ?
Il s’agit de questions très difficiles et complexes. Il mérite de souligner que de
nombreux codes d’éthique comportent la déclaration « l’employeur est obligé de
contrer l’utilisation malpropre des travaux scientifique s, comme par exemple leur
utilisation contre des êtres humains » (Le Comité d’éthique pour la science , 1994, p.
7; Mames, 1992) . Le critère fondamental de l’évaluation morale est et doit être l’être
humain, chacun et tous à la fois. Dans la lumière de ce q ui a été dit, permettez -moi de
citer un discours du Pape Jean -Paul II adressé aux recteurs des universités polonaises
lors d’une audience au mois d’août 2001:
0Il arrive trop souvent … que ce que l’homme réussit à réaliser grâce aux
nouvelles possibilités offertes par la pensée et la technologie, subisse une
certaine « aliénation » … Il y a de nombreux exemples dans ce sens. Il suffit
de mentionner les exploits dans le domaine de la physique et plus
particulièrement dans celui de la physique nucléaire, les exploits dans la
transmission des informations, l’exploitation des ressources naturelles de la
Terre ou, pour finir, les expériences dans le domaine de la génétique ou de
la biologie … Tenant compte de cette tension, nous devrions tous
comprendre le fait que l’université et tout établissement d’enseignement
supérieur jouent un rôle clé comme milieu directement responsable du
progrès dans de nombreux domaines différents de la vie. Ainsi, on devrait
se demander quelle devrait être la forme interne de ces éta blissements afin
de prévenir que les résultats du progrès permanent qui s’y développe soient
« aliénés » et retournés contre l’homme. Il semble qu’à la base du fait de
diriger les universités dans cette direction se trouve le soin pour l’homme et
il s’agit d’humanité. Quelle que soit le domaine de la science, la recherche
ou les travaux créatifs auxquels une personne contribue par son savoir, son
talent et son travail, cette personne devrait se poser la question de savoir
dans quelle mesure les résultats de son activité forment sa propre humanité
et aussi de savoir si ils rendent la vie plus humaine et digne de l’homme de
tous les points de vue (L’Obsservatore Romano, 2001, p.4) .
Les universités modernes et leurs défis moraux
Finalement, il existe certain s défis moraux auxquels se confrontent les universités
modernes et j’aimerais discuter ici au sujet de trois d’entre eux:
L’université en tant que recherche de la vérité et moyen de la propager
Cette proposition est en effet très sérieuse, mais c’est c ette fonction de l’université qui
est la plus importante, en dépit du fait qu’elle soit exposée à tous les types de
privations. C’est seulement en répondant aux plus nobles ambitions intellectuelles que
les universités contribueront au progrès social et él argiront l’horizon étroit du bénéfice
immédiat. C’est la raison pour laquelle il est tellement important de protéger les
travaux scientifiques contre le plagiat, la paresse et autres formes d’abus. C’est aussi
pourquoi nous devons nous assurer que les étud es didactiques ne se substituent pas à
la recherche académique originale. C’est pourquoi les professeurs doivent avoir de
bonnes conditions – matérielles et organisationnelles – pour attirer l’attention sur les
problèmes qui les fascinent réellement, et no n sur des activités publiques lucratives.
C’est seulement alors que l’université remplira sa fonction humaniste, soutenant le
50 développement humain de ses étudiants et structurant les fers de lance intellectuels
dont la société a besoin.
L’université com me développement de l’éducation civique
Il suffit d’observer les politiciens de n’importe quelle société pour réaliser le rôle qui
revient à l’université dans la formation de leurs vues, attitudes et capacités. Nos
dirigeants possèdent généralement des d iplômes d’études supérieures et leurs
biographies montrent souvent à quel point ils ont été modelés à travers leurs études.
Le programme universitaire doit aider les gens à développer leurs capacités sociales, à
s’ouvrir aux autres dans un esprit de toléra nce et à comprendre l’importance du bien
commun. C’est la raison pour laquelle nous devrions faire attention à ne pas
surcharger le programme d’enseignement, qui serait contraire au développement
intellectuel, car il limiterait la liberté créative des jeun es. Même un enseignement bien
mis au point ne peut pas consommer tout le temps et l’énergie des étudiants, pour leur
laisser l’opportunité de se développer moralement et socialement. Les diplômés
d’université participent plus activement au monde social et peuvent devenir le modèle
et l’autorité pour les autres. Ils seront les citoyens de leur propre pays et du monde.
L’université comme source de science et de service
Comme je l’ai déjà mentionné, la science peut se tourner contre nous des fois, en nous
traitant comme du matériel de recherche et nous subordonnant à des objectifs
inhumains – y compris militaires et consuméristes. Il est important de percevoir les
plus importantes menaces à l’humanité et qui peut le faire le mieux sinon les
universitaires ? Il y a tellement de défis à relever, y compris la menace de l’auto –
destruction écologique; celle de la globalisation et les dangers de l’injustice
économique; ou les menaces externes et internes à la démocratie, sous forme de
terrorisme et de laxité mor ale.
Ceux-là et bien d’autres problèmes ne peuvent être ignorés par le monde de la
science car ce sont les scientifiques qui les observent généralement avant les autres,
qui nous attirent l’attention à cet effet et offrent des solutions efficaces. Ainsi, tout en
respectant pleinement la liberté de la science, les cadres universitaires et les étudiants
doivent être informés de leur responsabilité par rapport à l’humanité et à son futur.
L’université représente depuis des siècles un trésor, un moyen de prod uction
culturelle à travers le monde; mais elle pose aussi un grand défi que nous devons
résoudre pour qu’elle continue à remplir ses fonctions.
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52 La réforme universitaire en Europe: quelques considérat ions
éthiques
ANDREI MARGA
Les universités européennes doivent affronter la crise du modèle humboldtien et
trouver de nouvelles solutions d’organisation. Cet article part de deux
observations initiales. La première est celle d’après laquelle nous passons par
une « mutation culturelle » qui fait de la culture l’élément sur lequel se fonde la
performance, y inclus celle technologique et cognitive. L’évolution des sociétés
dépend désormais de la culture partagée par des êtres humains plus que de leur
économie ou technologie. La deuxième observation est que la culture en soi et son
éthique sous -jacente devraient être ouvertes à la reconsidération. L’évolution de
la société dépend désormais de la culture et de sa capacité d’adaptation.
Les universités d’Europ e gardent certaines caractéristiques historiques des universités
italiennes du Moyen Age, de l’université napoléonienne, de l’université allemande et
de l’université technique anglaise de la moitié du Dix -neuvième siècle. On peut dire
que l’Université humb oldtienne a exercé la plus grande influence, surtout en Europe
Centrale et de l’Est.
Si on examine les caractéristiques de l’université humboldtienne dès le début du
Dix-neuvième siècle, on peut remarquer – parmi les attributs de l’établissement
européen le plus ancien après l’église – les faits suivants: l’unité entre l’enseignement
et la recherche; l’unité entre l’acquisition de savoirs par l’étudiant et sa formation
civique; l’unité entre la formation spécialisée et la vision du monde, sous le parapluie
d’une philosophie intégrative; et l’unité corporative de l’établissement universitaire
(Marga, 1996; Humboldt, 1990). On peut facilement remarquer, de la formulation
même de ces caractéristiques, la référence à l’unité ou, au moins, aux interrelations.
Dans la bonne tradition humboldtienne, Szostek (2004) écrit pertinemment que
l’exceptionnelle vitalité de l’université en tant qu’établissement vient de certaines
valeurs qu’elle a personnifié: la recherche de la vérité pour la vérité en soi; la
réalisation d’une communauté formative faite d’enseignants et d’étudiants; et la
formation culturelle et civique des étudiants. Ces valeurs sont désormais perçues par
Szostek comme étant en danger, à cause, entre autres, de la massification des
universités, du mauvai s usage des opportunités offertes par les nouvelles technologies,
et de l’expansion de la routine académique au détriment de la créativité. Le fait de
prendre conscience de ces difficultés est naturellement le premier pas vers
l’identification de réponses adéquates.
Les universités européennes doivent faire face à la crise du modèle humboldtien
et doivent trouver de nouvelles solutions organisationnelles. Cet article part de deux
observations initiales. La première est celle d’après laquelle nous passons p ar une
« mutation culturelle » qui fait de la culture l’élément sur lequel se fonde la
performance, y inclus celle technologique et cognitive. L’évolution des sociétés
dépend désormais de la culture partagée par des êtres humains plus que de leur
économie ou technologie. La deuxième observation est que la culture en soi et son
éthique sous -jacente devraient être ouvertes à la reconsidération. L’évolution de la
société dépend désormais de la culture et de sa capacité d’adaptation.
53 Ce que signifie « l’Université »
L’unité vers laquelle l’établissement humboldtien a aspiré a été rompue à plusieurs
niveaux. D’un côté, la recherche de haut niveau n’est pas effectuée uniquement dans
des universités, mais aussi dans des instituts et des laboratoires, et des grou pes de
réflexion sont reliés aux grandes corporations. De l’autre côté, beaucoup d’universités
se voient seulement comme des établissements d’enseignement supérieur. L’unité
entre l’enseignement et la recherche est encore pratiquée par des « universités de
recherche », qui sont trop peu nombreuses d’ailleurs.
Les enseignants se voient désormais seulement comme des transmetteurs de
savoirs, la conséquence de la mauvaise interprétation, largement répandue, de la
neutralité axiologique de Weber. Lorsqu’ils ve ulent offrir aux étudiants une
orientation civique, les enseignants ne peuvent pas souvent mentionner des exemples
personnels et perdent ainsi en crédibilité. Sous l’influence d’une incompréhension de
la démocratie, les universités elles -mêmes agissent en sorte d’éviter les discussions
concernant les décisions prises dans la société.
Les sciences expérimentales – dont l’expansion est toujours à apprécier et
encourager, n’arrivent plus à concevoir des perceptions complexes du monde. Jadis,
les résultats des recherches expérimentales formaient une image du monde, mais de
nos jours les universités montrent peu d’intérêt par rapport à celles -ci.
L’unité de la science demeure faible est n’est presque jamais traitée de manière
explicite en des termes théoriques. A partir de la massification de l’enseignement
supérieur au niveau des diplômes basiques (licence), l’unité de la vie universitaire a
été dissolue. La conséquence est que les étudiants ne rencontrent que rarement leurs
enseignants à l’extérieur des cours, et la quantité de temps passée à travailler
ensemble a diminué. Le contact direct de l’étudiant avec son enseignant est devenu de
plus en plus rare.
Ces indices démontrant l’unité brisée de l’université humboldtienne sont
complétés par deux tendances p lus cruciales apparues durant les deux dernières
décennies. Premièrement, l’expansion de l’enseignement au -delà des frontières
classiques de l’université; non seulement la recherche scientifique a été reprise par
des firmes et des compagnies, mais aussi l’ enseignement a commencé à être organisé
par ces dernières. Les universités perdent leur monopole sur l’enseignement
supérieur, comme elles ont perdu leur monopole sur la recherche scientifique il y a
des dizaines d’années. Deuxièmement, la multiplication d ’universités
autoproclamées: des établissements qui organisent à peine quelques cours, ou sont
spécialisées en formation linguistique ou dans des domaines de l’industrie
(Dudenstadt, 2000). L’enseignement supérieur devient sans frontières8 non seulement
au sens positif, selon Edgar Faure, en tant qu’élargissement de l’accès et du rapport
avec la vie, mais aussi dans le sens qu’il perd sa structure interne.
Devant ces évolutions – l’écroulement de l’unité entre l’enseignement et la
recherche, entre le savoir et la préparation civique, entre la formation spécialisée et
la formation d’une perception du monde, entre et parmi les sciences, entre les
étudiants et les enseignants, ainsi que l’emprise sur l’enseignement exercée par les
compagnies et la multiplication des universités improvisées – un nouveau défi est
apparu: celui de clarifier une fois de plus ce que signifie l’université. Les valeurs
constantes qui ont posé l’université en tant qu’établissement en Europe et en
Amérique du Nor d, incluant l’aspiration à former des caractères et de rechercher la
8 En français dans le texte (ndlr).
54 vérité pour soi, ne seront cultivées avec succès que lorsqu’elles partiront de cette
clarification. Cette question comporte des aspects éthiques, parmi lesquels ceux
concernant les attent es des nouvelles générations; elle présente aussi des aspects
légaux, à travers le renouveau de l’idée de l’université dans des articles de Droit.
La mission et les fonctions de l’université
Aujourd’hui, la représentation de l’université en tant qu’agent principal de la Raison,
dans un monde où les valeurs fermes sont éphémères, est perçue avec un manque de
confiance, et ce manque de confiance nourrit des approches de courte durée et
finalement des improvisations. Le manque de confiance s’est installé au moment où
l’université s’est permise d’être proie aux missions « historiques », dirigées par des
forces politiques (Bloom, 1987, pp. 311 -312). Mais même le manque de confiance
requiert une analyse, parce que la conséquence du manque de confiance – une
approche fonctionnelle de l’université – n’est pas satisfaisante non plus. La vision
fonctionnaliste et sa concrétisation plus récente, la « perception industrialiste »,
considèrent cet établissement comme étant un acteur de la modernité, parmi d’autres,
sans lequel la société moderne peut aller de l’avant si tel est le cas. Nous devrions
protéger la représentation de l’université en tant qu’établissement lesté mais aussi
favorisé par l’histoire, qui appartient non seulement au passé mais aussi au futur, et
qui reproduit dans le temps des valeurs culturelles reliant les vies des gens.
Seulement une université qui est consciente de sa mission et de ses fonctions peut
affronter les défis économiques et culturels de notre époque.
Je ne parlerai pas ici de la procé dure complexe d’établissement de la mission de
l’université d’aujourd’hui (Marga, 2003). Si on prend comme point de référence
l’expérience d’université prestigieuses on peut dire que la mission de l’université est
celle de former des spécialistes au plus h aut niveau, afin d’accroître les savoirs et
améliorer les conditions de la vie humaine. Ainsi, la mission de l’université n’est pas
limitée à la formation, car l’université assure une formation supérieure et en même
temps une formation censée accroître les savoirs. Cette mission n’empiète pas à la
recherche scientifique, parce que l’université doit former. La mission de l’université
ne se limite pas à l’offre de services à la communauté, parce que la formation de
spécialistes et la recherche scientifique co nditionnent le service social.
Talcott Parsons a écrit pertinemment au sujet de quatre fonctions: la recherche
scientifique et la formation de la succession; la formation universitaire pour la
profession; la formation générale; et la contribution à l’auto -compréhension culturelle
et à l’évolution intellectuelle (Parsons et Plott, 1973, p. 90 et suiv.). On peut offrir
aujourd’hui un cadre plus compréhensif de ces fonctions et il est pertinent de
concevoir l’université comme un établissement formateur pour l a dissémination et le
développement des savoirs; comme un source d’innovation technologique; et comme
un lieu d’engagement pour les droits civiques, la justice et les réformes. L’université
ne peut pas accomplir son rôle toujours rétrécissant qu’en clarifi ant sa mission et ses
fonctions, et en demeurant fidèle à ses traditions historiques et culturelles originaires.
Autonomie et liberté académique
Selon ceux qui ont créé l’université humboldtienne, le savoir ne peut être obtenu que
si les membres de la co mmunauté universitaire jouissent de liberté et d’autonomie. Le
professeur universitaire est celui qui établit ses sujets, ses méthodes et qui formule les
conclusions de ses investigations. L’enseignant est celui qui décide du contenu des
55 cours, des séminai res et des travaux pratiques. La communauté universitaire est celle
qui décide de manière autonome de l’organisation et du contenu des programmes
d’étude et de recherche. La relation entre la performance et la liberté académique a été
justement réaffirmée dans la Magna Charta Universitatum (1988) et transmise ainsi à
notre génération.
L’existence même des universités est conditionnée par la liberté et l’autonomie
académiques. Si on touche à celles -ci, le statut d’un établissement change ou est
affecté, po ur le moins. Cette affection est directe dans le cas des dictatures, mais elle
peut être indirecte aussi, à travers la politisation vulgaire et la restriction juridique des
prévisions constitutionnelles concernant l’autonomie universitaire (comme il est
actuellement le cas de plusieurs pays d’Europe de l’Est).
La liberté académique et l’autonomie universitaire dépendent de leur
compréhension et pratique. La difficulté pratique consiste en cela que l’atteinte à la
liberté et à l’autonomie universitaires re présente ne représente pas l’unique problème,
mais aussi le manque de performances qui se cache derrière celui -ci. On peut
facilement remarquer, par exemple, la recherche scientifique triviale dans les rapports
annuels de certains enseignants ou de certain es chaires et universités. Il y a aussi
d’autres exemples de pathologies universitaires cachées derrière une mauvaise
utilisation de l’autonomie universitaire: le renfermement des portes de certaines
universités devant du personnel n’appartenant pas à un c ercle favorisé; la promotion
de dignitaires d’offices publics au rang de professeurs; la défense de la corruption
évidente au nom de la solidarité académique; et le népotisme. L’absence – ou le
mauvais usage – de la liberté académique et de l’autonomie uni versitaire rend
impossible le fonctionnement de l’université.
Contributions morales et civiques
Beaucoup d’universitaires entretiennent l’illusion que le savoir et son usage sont la
même chose, et que les questions éthiques finissent avec la production d u savoir; le
postulat de Weber de la neutralité axiologique est encore considéré valide.
Actuellement, la production même du savoir, au niveau initial de la formulation de
questions, est inévitablement conditionné par des intérêts et par des valeurs
(Habermas, 1973). L’immanence des valeurs dans le cadre du processus du savoir
n’est pas une raison d’être pessimiste, mais constitue une raison de plus d’accroître la
réflexivité et d’assumer la responsabilité.
Restons cependant dans le domaine de l’usage du s avoir. Un universitaire, un
chercheur scientifique, possède certaines données qui ont un impact social, du fait du
prestige conféré par son établissement. Je ne parle pas ici des questions troublantes
concernant les interventions sur le code génétique, ou des énergies qui peuvent être
déclanchées grâce à la physique actuelle. Je me réfère uniquement aux sciences
sociales et au cas de la sociologie, en tant que possibles manipulations des
informations concernant la société.
La démocratie implique la compéti tion, et la compétition démocratique est
soutenue par l’information, qui requiert certaines compétences. Je mentionnerai ici un
défi éthique pour les sociologues, concernant l’activité au service de différents
groupes de pouvoir. Je veux souligner aussi le plus sérieux défi éthique de la
déformation des données dans des buts manipulateurs. Dans le cadre des démocraties
émergeantes – où l’obsession de collecter des votes s’impose devant le soin pour le
pluralisme des approches, où la démocratie est comprise plutôt comme un instrument
de confirmation des dirigeants qu’une source de meilleures solutions, et où l’argent
56 est censé être fait de la manipulation et de la déformation des données – la
préoccupation de certains universitaires pour la manipulation est d evenu une menace
publique.
Des crises actuelles de motivation et de signification
Du fait de la multiplication du nombre de fournisseurs d’enseignement supérieur (les
universités classiques étant confrontées à de nouveaux types d’universités:
« virtuelles », « ouvertes », etc., ainsi qu’à des entreprises qui offrent des diplômes
d’enseignement supérieur spécifiques) et dans le contexte de l’expansion des savoirs,
de la nouvelle organisation de la science et de la primauté sans précédent de
l’information, nous nous demandons: que fait -on dans les universités ?
Les étudiants s’inscrivent dans les universités à la recherche d’enseignants, de
cours et de séminaires, d’une communauté académique qui puisse leur offrir une
validation sur le marché du travail, ma is aussi leur permettre de rester compétitifs et
autonomes en tant qu’individus. Les occupants des postes d’enseignant universitaire
et le contenu des cours sont ainsi décisifs.
L’occupation des postes d’enseignement sans des critères rigoureux et en
l’absence d’une vraie compétition – ce qui est malheureusement la norme dans
certaines universités – a des conséquences négatives d’envergure, y inclus de nature
éthique. La compétition ouverte, ouverte à des candidats de tout pays et loin de tout
« arrangemen t » local, demeure une condition indispensable. Le fait de comprendre,
en tant qu’enseignant, la nécessité d’une recherche continue, compétitive, représente
également une question ayant des implications éthiques nettes. Le fait de concevoir
des postes d’en seignement permettant le libre accès pour les jeunes générations
constitue un défi éthique pour l’enseignement supérieur européen actuel et un
problème éthique profond dans le cadre du fonctionnement de l’université.
Le contenu de la formation universitai re pose également des questions éthiques.
Sous l’effet de la mondialisation, la règle du volume élevé est remplacée – comme le
fait pertinemment remarquer Robert Reich (1992, pp. 77 -85) – par la règle de la
valeur élevée . Cela signifie que les indicateurs de valeurs ont changé, ce qui fait que
la capacité de générer de nouvelles solutions dans des contextes variables est devenue
décisive. Et la prémisse académique de ces succès est la formation de compétences
innovatrices ou, pour reprendre la fameuse formu le de Bergson (1920), la « création
de créateurs ». Cela équivaut à l’encouragement et au soutien de l’étude individuel
évolué, sous la direction d’enseignants compétents, la synchronisation permanente du
programme d’enseignement, la diversification des di plômes universitaires,
l’accomplissement d’une vraie interdisciplinarité, et l’encouragement et le soutien, y
inclus financier.
Comme on peut l’observer dans des universités américaines prestigieuses, la
qualification du diplômé universitaire selon une ca pacité de résolution créative de
problèmes implique une réorientation vers la pensée abstraite, et vers l’offre de
solutions alternatives et leur vérification. Cela implique également la communication
en langues modernes, y inclus celles de la technologie de l’information disponibles
aujourd’hui (Reich, 1992, pp. 77 -85).
Il y a toujours un déséquilibre dans les sociétés européennes séculières entre les
utilisateurs de la démocratie et ses promoteurs. Je n’insisterai pas ici sur l’expérience
de la transitio n en Europe Centrale et de l’Est, mais je dirai en simplifiant qu’il ne
suffit pas d’avoir des élections libres afin de proclamer la démocratie. L’autoritarisme
peut se cacher derrière des élections libres, tout comme la non -performance peut se
57 cacher derr ière l’économie formelle de marché. Dans l’essence, l’exercice de la
démocratie dépend finalement de la culture démocratique (Marga, 2004).
L’assurance des ressources culturelles de la démocratie est devenue un sérieux
problème dans les sociétés européenn es. Quelles sont les ressources culturelles dont
on dispose afin que la démocratie ne soit pas réduite à des élections libres mais
pratiquée comme une source de solutions ? Cette question, posée par Dewey (1957) il
y a plus de 70 ans a été récemment débatt ue par Habermas et Ratzinger (2004) avec
une grande clarté.
Quel est le rôle des universités dans l’offre de ressources motivationnelles à la
démocratie ? Ma thèse ici est que les universités peuvent jouer un rôle décisif dans la
formation d’une vision su r la société parmi ses diplômés. Je pense ici à deux actions:
la formation des étudiants dans les disciplines sociales et humanistes, et la culture de
valeurs solides. Cela ne concerne pas uniquement ce que Weber appelait
Sachverständigen ohne Seele (Weber et Marga, 2000, pp. 5 -14), mais aussi la prise de
décision dans la société en l’absence d’une approche systématique et informée.
Afin de traiter la question de leur validité, on peut au moins examiner les
conséquences de différents systèmes de valeurs. L es choix de valeurs ne sont pas tous
des réussites, parce qu’il y a des critères qui sont formulés – comme « la
différenciation économique », « la complexité de la production », « la sophistication
technologique », et ainsi de suite. L’existence humaine vé cue avec un sens suppose
des valeurs solides, et leur culture, y inclus éthique, requiert l’action des universités.
A travers celle -ci, les universités peuvent rester fidèles à leur grande tradition de
promoteurs de la Raison dans la vie des êtres humains.
Les universités doivent inculquer plusieurs valeurs: le développement et
l’expansion des savoirs; la production de savoirs nouveaux et utiles; la capacité
d’appliquer les savoirs; l’innovation technologique; l’évaluation critique; et le
dévouement pour l a participation civique et la justice. Certaines de ces valeurs sont
indubitablement éthiques. Récemment, un des plus compétents éthiciens de notre
époque, Ottfried Höffe, a pertinemment mis en évidence que les écoles et les
universités doivent gérer des v aleurs éthiques dans cinq dimensions: la dimension de
la disponibilité et de la capacité de la personne d’assumer l’auto -responsabilité; la
dimension de la justice et de la tolérance; la dimension de la raison, de la confiance
en soi et de la capacité crit ique; la dimension de la démocratie dans laquelle vit
l’individu; et la dimension des droits universels de l’individu. Il est essentiel à
souligner que leur application réside dans le domaine de la pédagogie.
Pour finir, il s’impose de mentionner deux imp lications fondamentales. La
première est que les universités peuvent promouvoir la morale dans la société de
manière limitée, leurs propres pratiques étant un facteur décisif. La deuxième
implication est que les enseignants peuvent prêcher l’éthique mais à défaut de la
pratiquer leur formation éthique demeure purement formelle.
Références
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2000.
59 Prévention, gestion et modération: des cadres éthiques de
gouvernance
JÜRGEN KOHLER
Cet article cherche à analyser et à esquisser un cadre éthiq ue de gouvernance dans le
domaine de l’enseignement supérieur et de la science. Il fait à cette fin une distinction
entre les défis éthiques en tant que tels et les mesures de prévention et les remèdes.
Une brève présentation des défis éthiques de l’enseig nement et de la science y est
également fournie, traitant la quête du savoir, les conflits avec la dignité et les
violations de l’égalité académique, et les manques en matière de formulation de
politiques, de réaction et d’équilibrage des aspirations. Cett e présentation est suivie
par la proposition d’une série de cadres éthiques de gouvernance correcteurs ou
préventifs, en particulier l’intégration culturelle de la gouvernance et de l’éthique, et
la gestion de l’éthique et la prévention des risques.
Structuration de la problématique
Le débat sur le cadre éthique de la gouvernance de l’enseignement supérieur et de la
science est, et a été depuis des siècles, un débat étendu et difficile. Il se fonde sur des
termes, des valeurs et des choix comme la libert é et la responsabilité, la vérité et la
convenance politique, l’autocontrôle et le contrôle externe, l’autonomie et
l’intervention de l'Etat, et la quête du savoir et la « vente de l’âme au diable ». Je ne
dois pas vous rappeler le Faust de Goethe, ou le D octeur Faustus de Thomas Mann.
Cependant, même si je cite ici ces deux chefs d’œuvres de la littérature mondiale,
l’éthique dans l’enseignement et la recherche ne constitue pas qu’une problématique
allemande. Ce problème est plutôt de nature mondiale, ress enti de plus en plus comme
urgent et intéressant du fait de l’augmentation des capacités techniques, du rôle
sociétal et des implications économiques, et surtout financières, de l’enseignement et
de la recherche modernes.
L’analyse et la planification d’un cadre éthique de gouvernance dans le domaine
de l’enseignement supérieur et de la science requièrent une concentration sur leurs
spécificités. Je m’abstiendrai de couvrir la règle générale de ne pas accepter des
avantages de tierces parties, financiers ou autres, qui peuvent créer une dépendance et
affecter l’impartialité. En outre, même l’impression de prendre de tels risques doit être
mise de côté. Même si cela est vrai en général et se trouve couvert par la loi pénale
sous différentes catégories de corr uption, il en ressort aussi une question de
gouvernance dans le contexte de l’enseignement supérieur et de la recherche qu’on
traitera brièvement en ce qui suit.
Il faut distinguer dans le cadre spécifique de l’enseignement supérieur et de la
recherche les défis éthiques en tant que tels, d’un côté, et les mesures préventives et
les remèdes à ces défis, de l’autre. Certes, le fait de fournir des remèdes aux défauts
éthiques et de prévenir des tentations non -éthiques fait partie d’une bonne
gouvernance, mais cela ne peut pas avoir lieu en l’absence d’un claire identification
des défis éthiques eux -mêmes. Ainsi, cette présentation esquissera en premier lieu les
problèmes éthiques pour indiquer par la suite des cadres éthiques qui peuvent pallier à
ces problème s, voir, plus encore, prévenir leur apparition.
On peut ajouter ici que le fait de répondre aux défis éthiques est inévitable dans le
« monde de Bologne », et que tous les membres des établissements d’enseignement
60 supérieur sont en position de procéder ain si. Le Processus de Bologne n’est pas
qu’une convergence technique de structures, mais elle est envisagée comme
représentant un espace commun de l’enseignement supérieur qui porte la marque de la
culture académique. Une partie de celle -ci est la notion d’e thos, qui est accompagnée
par l’idée que l’enseignement et la recherche relèvent de la responsabilité publique,
c’est-à-dire de la responsabilité des établissements d’enseignement supérieur et de
leurs membres d’agir de manière responsable envers le public général. Le terme de
« public général » ne se réfère pas qu’à un pays donné, mais au monde dans son
entier, comme il s’impose lorsqu’il est question de reconnaissance internationale et
d’assurance de la qualité.
Les défis éthiques pour l’enseignement sup érieur et la science et pour la
gouvernance de leurs établissements
Lorsqu’on évalue les défis éthiques dans les établissements d’enseignement supérieur
et de recherche, il faut tenir compte du fait que ces défis sont généralement doubles, et
qu’ils doive nt être traités séparément. D’un côté, il y a des défis pour l’enseignement
supérieur et la recherche per se, qui mettent en danger leur bon fonctionnement. De
l’autre côté, il y a des menaces pour l’éthique de la gouvernance, c’est -à-dire pour une
partie essentielle de la structure institutionnelle de l’enseignement supérieur et de la
recherche – au niveau des opérations de gestion et de gouvernance.
Les défis éthiques pour l’enseignement supérieur et la science
On peut dénombrer, illustrer et analyser l es défis éthiques pour le fonctionnement de
l’enseignement supérieur et la recherche en fonction de leur caractère général, comme
il suit:
Les défis pour la quête académique du « vrai savoir »
L’essence du monde académique est la quête du véritable élarg issement du savoir, et
certains dangers font surface à cet égard. Ceux -ci peuvent prendre plusieurs formes,
dont les deux suivants sont particulièrement menaçants:
– La falsification des résultats de la recherche, ou la prétention même qu’il y a
eu de recherche véritable ou qu’il y a eu des résultats issus de celle -ci,
représente un problème existant dans un nombre de pays. La motivation qui se
trouve derrière une telle faute professionnelle de l’inventivité n’est pas
seulement la vanité, mais aussi la d imension concurrentielle de la recherche
moderne et sa dépendance du financement externe, qui suscite la fabrication
d’histoires de succès. Il s’en suit que ce défi éthique se produit souvent en
médecine et en sciences naturelles où « les financements par projets
déterminés » jouent un rôle important. La falsification comprend aussi la
suppression ou la mauvaise interprétation intentionnelle des données ou des
conclusions de la recherche. Cela peut représenter un risque dans les sciences
humaines et sociale s en spécial, parce que celles -ci sont parfois susceptibles
de créer et de soutenir des idéologies ou des croyances de différents types.
– Etant donné que la résolution des défis éthiques est une responsabilité
commune de tous les membres de la communauté de l’enseignement et de la
recherche, il va de soi que les étudiants se trouvent également impliqués. Pour
61 mettre ceci dans des termes concrets dans le contexte de la véracité, l’attente
de l’abstention de tricher aux examens n’en est pas moins un défi éthiq ue.
– La violation de la propriété intellectuelle est un deuxième phénomène de cette
catégorie. Dans ces cas, quelqu’un adopte les conclusions de recherche de
quelqu’un d’autre en prétendant que celles -ci sont ses propres découvertes. A
l’époque du tra vail en équipe, ce type de violation peut également prendre la
forme de la suppression de la contribution de quelqu’un aux conclusions de
recherche communes. L’essence du problème éthique ne réside pas dans
l’adoption de la recherche d’un autre, un phénomè ne commun et nécessaire
dans le monde académique en tant que processus de discussion permanente
des conclusions atteintes en préalable. Le problème arrive seulement lorsque
l’adoption des efforts et des contributions d’autres n’est pas reconnue
ouvertement . Les raisons de ce fait sont similaires à celles relevées au niveau
de la falsification des résultats de recherche: la vanité individuelle, l’avantage
concurrentiel censé attirer des financements, et ainsi de suite.
Les conflits avec la dignité et la sta bilité
Deuxièmement, les dangers éthiques surviennent là où les efforts faits en vue
d’atteindre la vérité et l’excellence académique entrent en conflit avec la dignité, la
stabilité et la durabilité dans un sens étendu, c’est -à-dire de l'être humain, de la nature
et de l'environnement, et de la société dans son ensemble. Les deux types de cas
suivants peuvent être soulignés:
(i) Les atteintes à l’intégrité physique et psychique des êtres humains, mais aussi
des animaux et de la nature en général sont des problèmes évidents. Ces cas se
produisent habituellement dans le contexte de la recherche médicale et en
sciences naturelles. Cependant, ils ne sont pas limités à ces disciplines, et des
domaines ayant des liens étroits avec les sciences humaines et les s ciences
sociales peuvent aussi se confronter avec de tels risques, surtout lorsqu’ils
comportent des éléments expérimentaux ou de surveillance, comme en
psychologie ou en criminologie. Dans un sens plus étendu de l’intégrité
humaine, même la violation du d roit à la vie privée, aussi bien que la calomnie
et la diffamation peuvent être encadrées dans la même catégorie. Cela pourrait
effectivement constituer un problème particulier dans les sciences humaines et
dans les sciences sociales, où il peut y avoir de s implications politiques de la
recherche et des « prises de position ». Cela est généralement loué en tant que
« transfert des résultats de la recherche vers la société », et des domaines
comme les sciences politiques et le droit peuvent se confronter à d es risques
particuliers.
(ii) Dans la plupart de ces cas, toute atteinte puise sa racine dans la nature même
du sujet académique et de sa méthodologie de recherche. Ici on ne peut pas
donner de réponse en « noir ou blanc », et il est question d’un équilibre
d’intérêts qui doit être établi en fonction de l’objet, de l’intensité et de la durée
de l’atteinte, de la valeur académique et de la réussite prospective de la
recherche, ainsi que de l’inévitabilité de l’atteinte, tout en tenant compte du
fait que certains droits sont inaliénables même dans la lumière de projets de
recherche bien intentionnés et significatifs.
62 (iii) On devrait aussi faire attention aux défis au niveau de l’interface entre le
monde académique et l’éthique sociétale, étant donné que ce point rec èle une
ligne de démarcation particulièrement sensible. Cette interface représente ces
règles et acceptions qui gouvernent le statut de la libre citoyenneté et de la
sécurité et la stabilité des sociétés. Les sciences sociales et humaines mettent
justement en question les modèles existants de comportement social et
institutionnel, et cela peut être facilement perçu comme de la subversion
politique, voire même comme un évident plaidoyer en faveur de l’illégalité.
Différents débats autour de la légitimité de la torture illustrent cette situation
sensible ces derniers mois. La suppression de la recherche et de
l’enseignement n’est pas limitée aux systèmes totalitaires, et les sociétés
démocratiques ne sont point délestées de formes plus ou moins subtiles de
censure au détriment d’opinions académiquement valides. De l’autre côté, il
est très sensé d'empêcher les gens de détruire les assises de la civilisation, de
la paix, de la liberté et de la prospérité au nom de la recherche et de
l’enseignement. Le fait d’éta blir un équilibre entre les approches critiques et
celles novatrices et l’oppression étatique ou médiatique est un problème per
se, dont la gestion fait partie de la bonne gouvernance institutionnelle et des
cadres légaux et culturels.
Les violations de l ’égalité académique
Enfin, les dangers éthiques au niveau académique peuvent inclure la violation de
l’esprit académique et de la pratique de l’égalité. L’égalité dans ce contexte ne
signifie pas l’identité de l’expertise, mais le fait de fournir un nivea u égal de justice.
Cet aspect comporte trois demandes éthiques concrètes:
i. Une compréhension académique de l’accès à l’enseignement supérieur et à la
science comprend l’idée que l’admission doit être uniquement basée sur la capacité
intellectuelle et l a personnalité. Il ne peut pas être fonction des moyens, ni
dépendant de tout possible privilège, de race, de classe, de religion, d’orientation
politique, ou toute autre considération sans rapport aux facteurs académiques
relevants.
ii. Les standards éth iques dans l’enseignement supérieur exigent qu'il y ait une équité
au niveau des examens. Ceux -ci ne sont censés tester que des compétences, et
point des moyens financiers ou d’autres atouts. On doit assurer des chances
égales, ainsi que la transparence de s attentes, des procédures d’examen et des
critères de distribution des notes.
iii. L’ethos académique inclut la création et le maintien d’un style de discours
spécifique. Ses critères seraient ceux d’agir d’une manière non discriminatoire et
encourageante , de créer une atmosphère directe mais polie, avec un discours et
une action basés sur la notion du partenariat entre êtres égaux en dignité et
potentiel intellectuel.
Les défis éthiques pour la gouvernance
La gouvernance des établissements d’enseignem ent supérieur et de recherche peut
couvrir tous les aspects de la direction institutionnelle, à la fois les éléments
technocratiques et ceux stratégiques de la gestion. Elle n’est pas uniquement un outil
63 pour remédier ou prévenir les susmentionnés défis ét hiques pour l’enseignement
supérieur et la science, comme on pourrait le présupposer en prenant à la lettre le titre
de ce chapitre. Plutôt, la gouvernance et ses structures posent en elles -mêmes des
défis éthiques, c’est -à-dire des risques. Ceux -ci sont é troitement liés aux aléas
généraux du pouvoir et de ses abus, mais aussi de son non -usage.
L’échec au niveau de l’élaboration de politiques
Pour commencer, la gouvernance est non -éthique si elle ne sert pas à prévenir et
remédier les défis éthiques pour l’enseignement supérieur et la science mentionnés ci –
dessus. Dans ce sens, une bonne gouvernance est censée prévoir l’élaboration de
politiques planifiées en tant que renforcement des limites éthiques dans le cadre
académique. Tout schéma ou pratique de la gouvernance académique qui n’arrive pas
à procéder ainsi, ou qui n’essaie pas sérieusement de faire ainsi, est immoral, parce
que le gaspillage de ressources est susceptible de servir de prétexte à ceux qui se
trouvent au pouvoir pour l’utiliser dans leur propre intérêt au lieu de rendre service à
l’établissement, à ses membres et au public général.
L’échec au niveau de la responsabilisation
La gouvernance est non -éthique si les dirigeants ne sont pas responsables vis -à-vis des
membres de l’établissemen t. En employant ici le terme de « responsabilisation » et
pas celui de « responsabilité », on cible certaines caractéristiques très fondamentales
de la bonne gouvernance en tant que service pour la communauté: l’écoute
consciencieuse, l’évaluation sérieuse des opinions et l’offre de réponses sérieuses
dans un lapse de temps aussi court que possible. Les dirigeants chargés des affaires de
gouvernance ne peuvent pas être distants; ils ne peuvent pas traiter les membres de
l’établissement comme des simples obj ets des mesures administratives. En bref, il est
non-éthique au niveau institutionnel de réagir de manière « kafkaïenne ». Un
processus partagé et juste est un critère moral essentiel de la gouvernance; l’arrogance
du pouvoir est inacceptable.
L’échec au niveau de l’équilibrage des aspirations collectives et individuelles
Enfin, la gouvernance peut se montrer immorale et non -éthique si elle ne s’efforce pas
d’assurer un juste et sain équilibre entre les aspirations collectives et individuelles
d’une inst itution. L’accomplissement de ce but est en grande partie une question
d’éviter la répression et de créer un sens positif d’inclusion à travers le respect.
Des cadres éthiques de gouvernance en tant que remèdes aux défis éthiques
Toute analyse pertinente des cadres éthiques de la gouvernance implique un devoir de
la gouvernance des établissements d'enseignement supérieur et de science d'établir des
pratiques servant comme mesures préventives et comme remèdes aux défis éthiques
possibles. Cette position es t justifiée par la définition même de la bonne gouvernance,
même d'un point de vue institutionnel égoïste: la bonne gouvernance est
essentiellement cette partie de la direction institutionnelle qui concerne le
développement stratégique et le bien -être d'un établissement. Et étant donné que le
fait d’atteindre tout développement institutionnel positif dépend du soutien créé à
64 travers la confiance entre les parties intéressées, les standards moraux et éthiques
pratiqués et communiqués par l'établissement sont vitaux.
Combiner la culture de la gouvernance et la gestion éthique
La conception d’un cadre éthique pour la gouvernance de l’enseignement supérieur et
la science doit se fonder sur l’idée qu’il y a une distinction entre la culture et la
gestion dans la gouvernance de ces matières, tout comme il est le cas d’autres
domaines de gouvernance, comme l’assurance de la qualité.
La signification et l’importance
Une « culture de l’éthique » représente un cadre mental, à la fois au niveau
institutionnel et indi viduel: elle comprend l'ambition émotionnelle, la résolution
mentale et la capacité intellectuelle de définir et préserver des limites éthiques
pratiques. Ces éléments de gestion sont essentiels en vue de la réussite parce que le
comportement éthique doit être assuré de manière proactive, ce qui ne peut pas être
accompli seulement par un système technocratique de prévention, de supervision et
d’intervention. Un tel système peut être décrit seulement en tant que gestion de
l'éthique, et le fait d’assurer une telle gestion est essentiel, même s’il n’est pas
suffisant. Certains pourraient être tentés par exemple à court -circuiter ou saboter des
projets de la direction, y inclus par la délocalisation des activités douteuses de
recherche vers un pays où les stand ards éthiques et juridiques sont plus cléments; une
gestion lasse manquera d'empêcher ceci de se passer.
L’étude des instruments
On ne peut toucher ici que de manière succincte aux instruments utiles en vue de
soutenir le développement d’une culture éthi que. Ceux -ci consisteront en la
communication des avantages d’un comportement éthique aussi bien qu'en la
présentation de pratiques positives et de chemins vers les pratiques positives.
L’établissement d’exemples à tous les niveaux, ainsi qu’au niveau supé rieur de
l'établissement, sera un bon moyen de créer une culture éthique. Une partie d’une telle
culture est certainement la disponibilité de matériel tangible censé interpréter et
appliquer l’éthique de la gestion, ce qui constitue la raison pour laquelle on doit
présenter ici quelques éléments d’importance générale concernant les caractéristiques
de la gestion.
En premier lieu, il n’y a pas de gestion sans objectifs et critères; cela est
également vrai dans le contexte de l’éthique et de la gestion des dé fis éthiques. En
outre, il est question ici de procédures correcte s.
– Afin de traduire le besoin d'objectifs éthiques définis en des actions concrètes il
doit y avoir une présentation de tous les défis éthiques mentionnés ci -dessus, ainsi
qu’un signal cl air que leur traitement constitue un objectif institutionnel.
Evidemment, le vrai problème consiste en la définition des limites, surtout là où il
y a un conflit de valeurs. Dans ces cas, la définition des objectifs comprend
également la résolution du conf lit par l’établissement d’un équilibre juste,
transparent et gérable. Cela peut constituer un processus politique, mais afin de
rendre l’éthique gérable il faut trouver quelques conclusions pratiques.
65 – Développer des critères signifie rendre opérationnell es des questions « oui-ou-
non » en définissant leur rôle dans le cadre d’un défi éthique donné. Dans le
contexte du conflit de valeurs entre le savoir et la dignité humaine, un problème
général dans la recherche clinique en médecine, il doit y avoir des cr itères comme
l’ampleur de l’atteinte, le caractère évitable de l’atteinte, la valeur de recherche du
projet, le rôle de l’information et de l’accord de la personne concernée, la
protection des données, les procédures de suivi, les moyens de compensation, p our
ne nommer que quelques -uns.
– En plus des objectifs et des critères, l’éthique de la gestion requiert la définition et
l’application de processus pertinents. Les processus appliquent les critères donnés
et arrivent à une décision rationnelle qui corres pond aux objectifs éthiques. Afin
d’arriver à cela on doit définir les promoteurs et les décideurs, on doit établir des
lignes de communication, on doit développer des modalités d’observation des faits
et de prise de décisions, etc. Tous ces éléments doive nt être caractérisés par la
transparence, l’impartialité et l’ouverture de l’esprit, afin d’être transposés en ce
qu’on appelle habituellement « le processus final ».
Pour résumer tous ce qui a été mentionné au sujet des objectifs, des critères et
des processus, la gestion d’une bonne gouvernance dans ce contexte est ce qui est
généralement connu comme l’assurance du règne du droit. Le règne du droit
comprend l’orientation des objectifs vers les valeurs, l'existence de critères
substantiellement pertinents et d’un processus juste, transparent et réalisable qui
assure la consistance d’un cas à l’autre; il comprend aussi un élément d’égalité dans
l’application des règles. Un établissement d’enseignement supérieur ou de recherche
doit respecter les règlements légaux externes établis par l’Etat ou le droit
international, et dans plusieurs cas les questions d’éthique sont circonscrites par la
législation et par les recommandations d’organisations comme les Conférences des
recteurs. L’acceptation de ces cadres rég ulateurs rajoute un élément de respect
démocratique.
L’éthique de la gestion, la gouvernance intacte et la prévention des risques
Quelles sont certaines des approches adéquates pour gérer les défis présentés ici ? La
gouvernance devrait comprendre des él éments censés assurer une « gouvernance
intacte » ainsi que minimiser les risques concrets.
Assurer une gouvernance intacte
Afin d’assurer une gouvernance éthiquement intacte – le devoir d’une bonne
gouvernance – on doit tenir compte d’un nombre d’aspect s et d’instruments:
– La bonne gouvernance en matière d’éthique est une question de direction. Elle
requiert une force de direction parce que celle -ci doit façonner des esprits et des
croyances dans l’ensemble d’un établissement. Elle requiert aussi un pr ocessus
d’instruction dans le cadre de l’établissement, qui est de gestion orientée selon la
gouvernance. Enfin, la bonne gouvernance requiert une direction persistante afin
d’effectuer efficacement le passage de la théorie de l’éthique à la bonne pratique de
l’éthique.
– L’éthique de la direction et de la gouvernance requiert un discours pertinent.
Concrètement, l’ethos de la bonne gouvernance requiert des systèmes efficaces de
66 participation, de communication et de réponse. Cela est en partie une question de
régulation transparente, mais aussi une de culture pratiquée.
– La gouvernance éthique doit préserver un équilibre entre les aspirations collectives
et individuelles, en définissant l’interaction entre l’enseignement, l’instruction et la
recherche indiv iduels et l’accomplissement d’objectifs communs.
– L’individu a le droit de choisir de manière indépendante ses sujets de recherche et
d’instruction, et les méthodologies appliquées. Celui ou celle -ci devrait également
être libre de toute conclusion a priori dictée par la convenance politique ou la
préférence institutionnelle, et libres de publier en l’absence de toute censure, avec
une implication institutionnelle assurant une assistance technique et financière
pertinente. Toutefois, toute prévision de ce type devrait être contrebalancée par une
description des devoirs de l’individu pour garantir aux étudiants une expérience
structurée de l’enseignement. Il est évident que ces intérêts opposés des
établissements et des individus nécessitent beaucoup de trav ail d’adaptation; c’est
toujours pour cette raison que ces matières ne sont pas uniquement soumises à la
régulation mais doivent être intégrées dans une culture éthique.
– Enfin, mais pas en dernier lieu, il doit dépendre de la gouvernance éthique
institutionnelle de prévenir et/ou de remédier tous les défis éthiques concrets pour
l’enseignement supérieur et la recherche dès la planification opérationnelle. L’échec
de cette mesure équivaut à une violation importante de l’ethos de la bonne
gouvernance en tan t que tel. On verra en ce qui suit ce que cela implique, selon les
cas.
Prévenir et remédier les dangers concrets
Une bonne gouvernance doit traiter non seulement les problèmes éthiques concrets
présentés ici. Elle doit essayer, au moins aussi fort, de p révenir toute violation
potentielle. Certains de ces instruments sont issus du cadre national et de l’expérience
de l’auteur, censés être adaptés à la nature spécifique de l’établissement donné, à sa
culture et son milieu juridique.
Il va de soi qu’il doit y avoir un schéma pour la prévention et la sanction de la
corruption, incluant des formes subtiles, non monétaires, comme le népotisme. Dans
la plupart des pays, le droit pénal et du travail contiendront des prévisions en ce sens,
censées être accompagnée s par des réglementations institutionnelles. On ne les traitera
pas en détail ici parce qu’elles ne représentent pas une spécificité de l’enseignement
supérieur et de la recherche; néanmoins, il y a un aspect de la bonne gouvernance qui
est important dans le contexte de la corruption: une gouvernance intelligente doit
s’efforcer de prévenir la corruption en assurant des revenus corrects. Il s’agit d’un
mesure fondamentale de prévention afin d’exclure les raisons, ou au moins les
excuses, pour l’offre ou l’a cceptation de pourboires dans la société.
Pour ce qui est de la prévention des violations du principe académique concernant
la poursuite et la dissémination du savoir, un code de pratiques positives pourrait
définir les devoirs des chercheurs au sujet de l a transparence et de la vérifiabilité. Un
tel code devrait obliger les adhérents à rendre toutes leurs sources de recherche, qu’il
s’agisse de leurs textes, expériences ou analyses, librement disponibles à tous les
intéressés, au moment de la publication a insi qu’à un moment ultérieur établi. Cela ne
représente pas une attente injustifiée, car la recherche est censée être vérifiable de
manière interpersonnelle, incluant l’opportunité de suivre le processus de recherche
menant aux conclusions tirées. Un code de pratiques positives devrait également
souligner des pas concrets relatifs à la conservation et la disponibilité des données
67 expérimentales à partir desquelles dérivent certaines conclusions scientifiques. En
outre, un code de pratiques positives doit p révoir que les chercheurs présentent leurs
sources d’inspiration littéraires ou non -expérimentales. Le fait de suivre les points de
vue des autres est clairement permis, car l’échange d’idées peut accroître le niveau de
la recherche; cela n’inclut certaine ment pas le droit de déposséder les autres de leurs
propres droits, et la réponse est d’utiliser un système pertinent de références.
Un tel code de pratiques positives, prévoyant des objectifs et des critères éthiques
importants, devrait être appliqué par tout établissement d’enseignement supérieur et
de recherche. Il devrait également contenir des prévisions concernant l’administration,
et des sanctions en cas d’abus.
La bonne gouvernance devrait assurer une composition variée du corps de
recherche, afin d e prévenir la distorsion de l’enseignement par des idéologies ou
croyances spécifiques; elle devrait aussi soutenir le droit à l’expression d’opinions
différentes. Il doit y avoir un schéma de traitement des complaintes censé répondre à
toute atteinte au d roit d’un chercheur de tirer ses propres conclusions de recherche;
évidemment, un tel schéma doit aussi permettre le maintien des opportunités de
carrière de ceux qui choisissent de déposer des plaintes.
Lorsqu’on parle du devoir des étudiants de s’absteni r de tricher, on doit avoir
l’idée éthique claire qu’une telle action est injuste envers les autres étudiants et les
futurs employeurs, et fondamentalement immorale en tant qu’abus de confiance. La
bonne gouvernance met cette idée en action en fournissant des règles pour gérer de
tels cas, et elle poursuit leur application.
Pour ce qui est des défis éthiques pour la dignité humaine dans un sens étendu,
pour le bien -être des animaux et pour la protection de l’environnement, la bonne
gouvernance devrait évalu er l’admissibilité des projets de recherche. Une commission
interne devrait être créée à ce but, évaluant la recherche éthiquement sensible avec
l’idée claire que toute recherche de ce genre est interdite faute de potentielle
permission. Toute commission d e ce type doit adhérer strictement au principe du
règne du droit et à la nécessité d’un processus final et de critères claires
d’admissibilité.
Les problèmes de ces schémas dérivent de leurs limitations concernant la libre
recherche. Ce droit à la libre re cherche ne devrait être inhibé que si l’intérêt public le
demande, et l’équilibrage dépend des faits et des critères établis. L’accomplissement
de ce but résulterait par exemple en le droit de la commission d’établir des
réglementations détaillées pour un projet, tout en lui permettant de progresser, en
principe. Cependant, pour ce qui est des questions d’harmonie sociale et de stabilité
étatique la question est plus délicate. Ici, la ligne de démarcation entre les limites
saines et la censure patente est p lutôt vague, et les décisions devraient être généreuses
et favoriser la liberté de l’expression. Une telle décision devrait revenir à
l’établissement et des collègues, assurant que le choix n’est pas fait par les autorités
cherchant à détourner le processu s pour servir leurs propres fins.
Enfin, lorsqu’on analyse des violations du principe de l’égalité académique il y a
un nombre d’instruments de coordination de la bonne gouvernance qui viennent à
l’esprit. Premièrement, il doit y avoir une série de règles traitant de l’admission dans
les établissements d’enseignement supérieur et de recherche et des éléments ou étapes
spécifiques d’un programme d’études donné. Ces règles doivent définir les critères de
la qualité académique et doivent être transparents à to us ceux qui sont concernés, y
inclus dans le cas des appels. Une bonne gouvernance assurera un cadre légal ainsi
qu’un processus consultatif entre les administrateurs et les universitaires.
68 Ces directives contre la corruption et le népotisme s’appliquent à la fois à l’admission
d’étudiants et au recrutement de personnel. L’existence de procédures correctes est
vitale pour la sélection du personnel, et les postes vacants doivent être occupés
seulement à la suite d’une annonce publique et d’un cycle de recrut ement pertinent.
Les parties externes devraient être intégrées et consultées dans le processus de
sélection, et les candidats internes requièrent une attention et une justification
supplémentaire.
Des règles similaires sont en principe applicables au nivea u des examens. Une
bonne gouvernance assure que l’admission, les examens et les notes soient rendus
transparents, et dans ce contexte les examens oraux nécessitent une attention
particulière. Les notes devraient être accompagnées par une justification atta quable
par appel. En général, il faudrait mettre en place des instruments censés guider
l’ensemble du processus d’évaluation.
Enfin, il peut y avoir des instruments simples censés encourager un esprit de
confiance. Par exemple, tout établissement devrait a voir une règle stipulant que toute
application ou question par écrit doit obtenir une réponse dans les quatre semaines au
plus, ou dans le cas contraire les raisons du délai doivent être communiquées au
demandeur. Des lignes de communication doivent être é tablies dans toutes les
directions, puisque la transparence et le respect sont les soutiens fondamentaux de la
dignité humaine dans le cadre des établissements administratifs.
Conclusion
A la fin de toute présentation il y a une tendance à résumer, mais je m’abstiendrai de
procéder de même. La conclusion d’une présentation sur le cadre éthique de a
gouvernance doit rappeler au public le fait que toute théorie sur ce sujet n’est qu’un
appel à une pratique positive, comme par exemple à l’implémentation de l ’éthique à
travers l’application pratique de principes moraux. Il y a environ cent ans,
l’humoriste allemand Wilhelm Busch a résumé l’essence de la moralité en une seule
ligne, qui est un vers: « Es gibt nichts Gutes ausser man tut es ». La traduction
approximative serait: « Il n’y a point de bien tant qu’on ne s’y met pas ». La bonne
gouvernance est, par définition, la direction vers un meilleur avenir.
69 Pour une culture mondiale de la paix: la transmission et les
dimensions éthiques
FEDERICO MAYOR
L’auteur considère dans cet article les limites éthiques du savoir, les inhérents défis
du développement des cadres éthiques et légaux, et certains des moments importants
d’un point de vue éthique du dernier demi -siècle. Les conséquences pour
l’enseignement su périeur dans le contexte de la mondialisation sont également
examinées, tout comme certaines des nouvelles demandes de l’économie et de la
société du savoir.
Le savoir et ses données éthiques
La première et la plus importante chose à prendre en considér ation lorsqu’on parle du
rapport entre le savoir et l’éthique est la distinction entre ce qui est faisable et ce qui
est admissible . Le savoir est toujours positif, mais n’oublions pas que son application
peut être négative et même perverse.
La science a é té mal employée à plusieurs occasions. Cependant, le mauvais
emploi du pouvoir résultant de son acquisition immodérée a été beaucoup plus
destructeur. On témoigne aujourd’hui d’une gouvernance mondiale fondée sur les
muscles, sur la force, sur l’imposition ; le système des Nations Unies a été marginalisé,
laissant la place à des « assassinats sélectifs », au suicide terroriste, aux « guerres
préventives », et ainsi de suite. La concentration du pouvoir dans quelques mains – y
compris dans les médias – mène de plus en plus à un accroissement de la confusion et
de la peur. Ceux -ci constituent des sombres points de départ pour nos discussions.
Le monde académique, la communauté scientifique, les intellectuels, les artistes,
les écrivains… ceux -ci ont une respons abilité urgente de solidarité morale afin de « …
construire la paix dans les esprits des hommes », comme il est affirmé si brillamment
dans le Préambule de la Constitution de l’UNESCO. Et afin de construire une paix
fondée sur la Justice, la Liberté et l’E galité – ce qui est également énoncé dans la
Constitution de l’UNESCO -, le savoir est indispensable. Notre réalité ne peut pas être
transformée si elle n’est pas connue en profondeur. Par exemple, lorsqu’on traite des
défis du développement en Afrique, à qui est-ce que l'Afrique appartient? Lorsqu’on
traite du multiculturalisme, qui décide de l’uniformité des mass médias et de la mode
pour les jeunes? Qui décide d’accélérer l’économie de la guerre ou les missions
spatiales, quand des milliers de personnes meurent tous les jours de faim, de manque
d'eau et de maladies traitables?
C’est ma croyance que nous vivons aujourd'hui non seulement avec des problèmes
plus anciens ou plus récents, mais que nous sommes aussi confrontés à de nouveaux
dangers et abus. Mai s encore, le problème, dans mon acception, est celui d’une
relative impunité au niveau supranational, pour les corporations colossales, pour les
paradis fiscaux, et pour le trafic de toutes sortes – y inclus d’êtres humains. Cela est
essentiellement dû à l 'inexistence d'une structure éthique et juridique internationale
suffisante, respectée et soutenue par tous. Le rêve de Franklin D. Roosevelt demeure
toujours un rêve: « Nous, les peuples, avons décidé de sauver les générations
suivantes du fléau de la gue rre ».
70 La mémoire du passé et la mémoire de l’avenir
La référence essentielle que nous devons porter dans nos esprits est l’avenir, le monde
de demain. Au cours du temps il y a eu certaines lignes directrices d'action qu'on
pourrait appeler des « moments importants d’un point de vue éthique »:
– 1948: La Déclaration universelle des droits de l’homme.
– 1974: Le « cri » d’Asilomar9 de Paul Berg10.
– 1988: Génétique et gén -éthique – l’idée des modification s des, et des
modifications dans, les êtres humains.
– 1993: Le langage de la vie humaine – le génome humain a été décodé, suivi par
des événements importants. Par exemple, les préoccupations liées à HUGO, la
création d'un Comité international de la bioét hique et les accords généraux sur les
implications éthiques de l’ingénierie génétique et le clonage. Une Déclaration
universelle sur le génome humain et les droits de l'homme a été approuvée à
l'unanimité par la Conférence générale de l'UNESCO en novembre 1997, et par
l’Assemblée générale de l’ONU une année plus tard. Le clonage génétique dans le
but de la reproduction humaine a été interdit.
– 1995: Les accords sur le développement social du Sommet de Copenhague, et la
Déclaration de l'UNESCO sur la toléra nce.
– 1996: La Charte de la Terre, un abrégé d’initiatives d’action du Sommet de la
Terre (Rio, 1992) et de la Culture de la paix.
– 1998: La Déclaration de la Conférence mondiale de l’UNESCO sur
l’enseignement supérieur, tenue a Paris.
– 1999: La Décla ration et le Programme d’action pour une Culture de la paix de
l’Assemblée générale de l’ONU.
– 1999 et après: Des débats en cours, organisés par des groupes interdisciplinaires
permanents, autour des implications de la recherche sur les cellules indiffére nciées
et sur des questions apparentées.
J'aimerais attirer votre attention sur le fait qu'une des responsabilités morales de la
communauté académique est d’interagir avec les Parlements et les corps législatifs
similaires afin d’incorporer ces déclaratio ns et directives dans leur législation
nationale. La même obligation s’étend sur nos rapports avec les médias et le public en
général.
L’enseignement supérieur – son potentiel, sa responsabilité et sa réforme
Au lieu du renforcement attendu du système d es Nations Unies à la fin de la Guerre
Froide, les pays les plus avancés ont décidé de prendre la gouvernance mondiale dans
9 La Conférence d’Asilomar avait requis et a finalement obtenu la restriction de
certaines expériences génétiques. 10 Paul Berg (n. 1926), affilié à l’Université de Stanford, Stanford CA, Etats -Unis, est
considéré le père de l’ingénierie génétique. Lauréat du Prix Nobel en chimie (1980), il
a été la première personne à fabriquer une hormone humaine à partir d’un virus
combiné à des gènes d’un chromosome bactérial. Plus de détails sont disponibles à
l’adresse: < http://www.ascb.org/profiles/9610.html >.
71 leurs propres mains à travers des organisations comme le G -7/G-8. Lorsque la société
civile internationale a attendu bénéficier de « dividendes de la paix » et de fonds
promis pour le développement endogène, aucun n’a été dispensé. Il y a eu des prêts,
accordés en fonction d’un mécanisme draconien d’ajustement structurel, mais ceux -ci
n’ont fait qu’élargir encore plus le gouffre entre riches et pauvres. Il n'était plus
question d’idéaux ou d’idéologies; à travers les lois du marché, la gouvernance
mondiale est devenue une ploutocratie, au lieu d'une démocratie guidée par des
valeurs et des principes sociaux. Cela est partout vrai, et en mai 1996 un des
dirigeants du monde a reconnu que « … La solution est non seulement l’économie de
marché, mais la société de marché et la démocratie de marché »!
Dans un tel contexte, le rôle consultatif et prospectif des universités et des
établissemen ts scientifiques devient plus pertinent que jamais. Ils doivent rendre
conscients les Parlements, les conseils locaux, etc., de problèmes de plus en plus
spécifiques: l'épuisement de la couche d'ozone, la maladie de la vache folle, le SARS,
le SIDA. L'anti cipation représente la plus grande victoire, par laquelle le savoir mène
à la prévoyance et la prévoyance mène à la prévention. À l'aube du Troisième
millénaire, les actions prospectives et préventives des universités sont nécessaires plus
que jamais.
Néanmoins, afin de pouvoir accomplir ces fonctions, les universités et les autres
établissements d’enseignement supérieur et de recherche doivent se réformer pour
avoir:
– Une vision de plus en plus mondiale;
– Une approche interdisciplinaire censée traiter d es problèmes complexes;
– Une approche à long terme, qui tiendrait compte en permanence des générations
futures et qui permettrait des mesures anticipatoires;
– Une éthique du temps, c’est -à-dire des actions qui s’inscrivent dans le temps et sont
considérées dans le cadre de phénomènes potentiellement irréversibles.
L'économie basée sur le savoir peut contrecarrer la délocalisation de compétences
et de brevets, mais elle dépend toutefois de manière essentielle de la promotion de la
recherche fondamentale e t de créativité. Cela est fonction de la capacité des
universités de devenir des formateurs de citoyens mondiaux, capables de participer et
d’exprimer entièrement leurs opinions dans le cadre de la société civile internationale.
L'économie du savoir dépend des établissements d'enseignement supérieur dans leur
capacité de constructeurs de la démocratie, raffinant des acteurs non seulement
économiques mais aussi sociaux. Finalement, les établissements d'enseignement
supérieur et de science ont le potentiel de former des citoyens bénéficiant d’une
perspective internationale, capables de se mobiliser eux -mêmes ainsi que beaucoup
d’autres, capables de joindre leurs mains et leurs voix, capable d'être écoutés et même
entendus.
Les universités ont la capacité de de venir des tours d’aguets permanentes censés
annoncer, résoudre ou éviter des atteintes à la dignité humaine. Elles sont capables
d'influencer l'opinion mondiale, de s’écrier et de s’ériger en voix pour tous ceux qui
n’en ont pas une. Il va sans dire cepend ant qu’il ne peut y avoir d’excellence dans les
universités en l’absence d’enseignants excellents. Cela constitue un premier problème
à résoudre, à savoir l'incorporation d’enseignants et d’étudiants dans l’enseignement
supérieur, comme il est établi par l ’Article 26.3 de la Déclaration universelle des
droits de l'homme, … selon le mérite (notre accentuation). Il n'y a pas d’excuses: la
spécification « selon le mérite » est une mention claire et simple. Les fonctions
72 universitaires, par exemple, ne doivent être obtenues qu’après une démonstration
claire du mérite. La compétitivité des universités aura inévitablement à souffrir du fait
de l’existence de mécanismes démodés d'incorporation et de promotion du personnel,
si ceux-ci manquent d’être reconsidérés à la lumière des tendances actuelles.
De l’autre côté, les étudiants des systèmes d'enseignement supérieur doivent être
conscients de leurs propres droits et responsabilités, et éviter de prendre comme allant
de soi la liberté, la paix, l’accès à l’eau et au x équipements médicaux… L'éthique
implique un devoir de mémoire et de comparaison: d’être conscient et dévoué par
rapport à tous les autres êtres humains de son époque, ainsi qu’à l'amélioration de
leurs conditions de vie.
Un monde meilleur est possible
Dans un ouvrage intitulé Un monde nouveau , (Mayor, 1999), j’ai souligné la nécessité
pressante de créer quatre nouveaux « contrats »:
– Un nouveau contrat social;
– Un nouveau contrat environnemental;
– Un nouveau contrat culturel, et
– Un nouveau con trat moral.
Ceux-ci pourraient mener par exemple à un Plan mondial pour le développement
endogène; ils pourraient mener à une transition d'une culture de la force, de
l’imposition et de la violence vers une culture de la compréhension, du dialogue, de la
conciliation. Comme il est énoncé dans la Déclaration de l’Assemblée générale des
Nations Unies de 1999, ces buts peuvent être atteints à travers l’éducation, la liberté
d'expression, à travers l’égalité des genres, à travers le respect des droits de l'hom me,
et à travers le partage du savoir. Dans mon opinion, le monde d’aujourd’hui n’est
malheureusement pas mondialisé; c'est précisément le défi que nous avons devant
nous. Un autre monde est possible, un monde basé sur l’amour, l’altérité et la
fraternité; un monde dirigé en fonction des valeurs universelles et non en fonction des
intérêts égoïstes des acteurs du marché. Dans ce monde nous pourrons réduire les
décalages économiques actuels, traiter le phénomène de l'exclusion sociale, et
examiner les racine s de nos propres sentiments de frustration et d’abandon.
Nous poursuivons notre route vers une économie basée sur le savoir non
seulement à cause de ses avantages pour le commerce et la productivité, mais aussi à
cause de ses principes éthiques et de sa me illeure distribution des marchandises – y
compris du savoir. Le système d’enseignement pour une citoyenneté mondiale doit
avoir une vision mondiale et une responsabilité mondiale. Tout être humain est
capable de créer, d’inventer, d’être libre et de façonn er sa propre vie. Comme Virgile
l’a écrit, « Ils peuvent parce qu'ils pensent qu'ils peuvent », et les universités peuvent
aussi. Elles peuvent si elles osent, si elles ne restent pas silencieuses. Elles peuvent si
elles expriment leurs idées contre le ven t.
Oser savoir! Savoir oser! « Partager et oser », ceux-ci sont les piliers
fondamentaux de l’éthique et finalement d’une culture de la paix.
Référence
MAYOR, Federico. Un monde nouveau . Paris: Editions Odile Jacob, 1999, 530pp.
73 L’éthique et la cultu re de la paix
ABDELWAHAB HECHICHE
Dans le présent article on examine quelques nouveaux défis aux conceptions
présentes sur l’identité locale et nationale dans le contexte de l’enseignement
supérieur. On y réaffirme le rôle de l’éthique, particulièrement en vertu du fait que
celle-ci présente une tendance nécessaire vers la tolérance, la réconciliation et le
dialogue entre des personnes aux vues différentes ou opposées. Alors que nous
essayons de comprendre les nouvelles tendances culturelles transnationa les, la
composante éthique de l’enseignement – et particulièrement l’éducation pour la paix
– est d’autant plus importante.
Introduction
Dans une publication récente, Bruce Macfarlane (2003, p. 1) traite de la complexité
croissante de l’enseignement su périeur, surtout en ce qui concerne la nature
changeante de l’enseignement supérieur moderne et son impact significatif sur les
défis éthiques auxquels se confrontent les universitaires. Du fait que l’éthique signifie
s’attaquer à des situations complexes et à des choix difficiles, Macfarlane observe un
« … vide pédagogique en train de s’étendre entre la littérature technique naissante sur
l’enseignement et l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, et les ouvrages et les
articles traitant du contexte s ocial, politique, économique et éthique plus large de
l’enseignement supérieur » (Macfarlane, 2003, p. 3). A cause de cette tendance, il
redoute que « ce phénomène cause le danger d’un divorce entre l’éthique et le
développement éducationnel et professionn el des enseignants universitaires » (Ibid.).
Naturellement, comme de nombreux autres spécialistes, Macfarlane prend en compte
ce que Peter Scott appelle la « massification » de l’enseignement supérieur (Scott,
1995; Macfarlane, 2003).
Cependant, l’enseigne ment de masse n’est pas nécessairement quelque chose de
nouveau puisqu’il est associé à des facteurs démographiques et à d’autres facteurs
socio-économiques. Selon Deborah Reed -Danahay, dans l’approche de John Meyer,
John Boli, Francisco Ramirez et d’autre s de « l’éducation de masse et la culture
globale », il est affirmé qu’un modèle d’éducation de « culture globale » est né en
Europe avec l’Illuminisme et que celui -ci n’a pas cessé depuis de s’étendre à travers
le globe (Reed -Danahay, 2003, p. 202). Plus précisément, selon ces mêmes auteurs,
l’enseignement de masse obligatoire « … est lié à la montée de l’Etat nation et son
rôle était de créer des citoyens modernes dans ces entités géopolitiques. » (Ibid.). A
travers cette évolution de l’enseignement, les « masses transnationales » ont été
transformées en citoyens nationaux. Ironiquement, avec le progrès présent et régulier
de l’unification européenne, les citoyens nationaux d’aujourd’hui sont encouragés à se
transformer à nouveau en « citoyens européens », transnationaux. ( Id.). Dans
l’ensemble, l’enseignement supérieur se trouve confronté à de nouveaux défis par
rapport aux conceptions présentes sur l’identité locale et nationale. Cela est d’autant
plus critique que les spécialistes et les amateurs s’effo rcent toujours à comprendre les
nouvelles tendances culturelles transnationales. Comme l’affirmait Hannerz, « Il
existe maintenant une culture mondiale, mais nous devons bien comprendre ce que
cela signifie : il ne s’agit pas d’une réplique de l’uniformité , mais de l’organisation de
la diversité » (Hannerz, 1996, p. 102, cité par Reed -Danahay, p. 202).
74 Dans une introduction éloquente mais objective à son ouvrage Danse, dialogue et
paix, Haim Gordon offre une approche qu’il considère « … pertinente par rappo rt aux
problèmes causés par la division de la race humaine en de nombreux groupes, qui se
sont aliénés les uns par rapport aux autres, ne se faisant pas confiance et se
confrontant de manière non pacifique à cause de leurs différences ethniques,
culturelles et religieuses » (Gordon, 1986, p. ix). Plus particulièrement, l’approche
unique de Gordon porte sur le cœur des questions politiques :
Pour les gens qui vivent dans des groupes sociaux et éthiques qui se
trouvent en conflit les uns avec les autres, l’a ctivité politique peut
améliorer ou au contraire, aggraver le cadre de leur vie … Par
conséquent, la question devient critique lorsque le cadre propage la
séparation et cristallise cette séparation au lieu de l'atténuer (Gordon,
1986, p. x).
L’approche conceptuelle
L’éthique est une tentative de s’approcher au plus près de l’atteinte ou de
l’accomplissement d’une idée, à savoir de l’idée positive de l’existence. En pensant et
en agissant selon l’éthique, l’individu se transforme en témoin de ce qui dis tingue de
manière positive les êtres humains : l’aspiration à la dignité (Coicaud et Warner,
2001, p. 1 -2). Jean-Marc Coicaud et Daniel Warner ajoutent à cette définition un
effort vers la réconciliation avec soi -même, avec les autres et le monde entier. P our
ces deux auteurs,
L’éthique ne concerne pas le soi isolé … Fondamentalement, l’éthique est
une qualité sociale. Elle vise à intégrer l’existence et le destin des autres
dans notre vision du soi … L’éthique rend impératif pour chacun de nous
de sentir que notre identité est aussi définie par notre relation avec les
autres … (Coicaud et Warner, 2001, p. 1 -2).
S’agissant essentiellement d’un acte de conscience et de sociabilité, l’éthique
conduit à une interaction constante qui peut causer à l’occasion des conflits entre les
droits et les devoirs. D’où l’émergence d’un système d’interactions éthiques motivées
par le besoin ou la nécessité de réciprocité ( Ibid.). La même idée se trouve au centre
de Teaching with Integrity (2004) [Enseigner avec intégrité ] de Macfarlane, où il
indique la nécessité d’équilibre entre liberté et responsabilité. Cette approche met en
évidence la différence entre moralité et éthique, la dernière classifiant le bien et le mal
à travers des règles de réciprocité dans les relations humaines. Cela est d’autant plus
nécessaire que la moralité peut, quelquefois être intolérante du fait des jugements
absolus; l’éthique peut avoir tendance à apprécier la tolérance, à favoriser la
réconciliation et à conduire les gens ayant des vues diffé rentes ou opposées au
dialogue.
L’éthique, les droits et la culture de la paix
Dans son éloquente introduction à The Age of Human Rights [L’age des droits des
hommes], Norberto Bobbio écrivait:
La reconnaissance et la protection des droits des hommes re présente la
base des constitutions démocratiques modernes. … Les droits des
hommes, la démocratie et la paix sont trois composantes essentielles du
même mouvement historique : si les droits des hommes n’étaient pas
75 reconnus et protégés, il n’existerait pa s de démocratie et sans démocratie,
les conditions minimes pour régler de manière pacifique les conflits
n’existerait pas (Bobbio, 1996, p. 1).
Lorsqu’il se réfère à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme , Bobbio
explique comment l’accent est p assé du domaine d’Etat à une « loi cosmopolite »,
expression utilisée par Kant. La même idée est partagée par Antonio Cassese qui
affirme que la Déclaration soutien l’émergence de l’individu dans un nouvel espace
conceptuel, même si cette présence reste fa ible et incertaine. Sans s’arrêter à la nature
embryonnaire de cette émancipation, le processus déclanché est irréversible et l’on
devrait le fêter (Cassese, 1998, p. 143; voir aussi la note 6 de Bobbio, 1996, p. x). A
cette série de nouveaux droits, consi dérés comme faisant partie de la deuxième
génération de droits, Bobbio ajoute une troisième génération de droits : même si se
trouvant à l’état embryonnaire, l’écologie a gagné une extraordinaire puissance
idéologique. Bobbio se trouve aussi parmi les prem iers à remarquer l’émergence
d’une quatrième génération de droits concernant les résultats troublants mais
prometteurs de la recherche biogénétique concernant la manipulation potentielle de
l’identité individuelle. Une autre idée importante exprimée par Bo bbio concerne la
différence entre la loi romaine et celle anglo -saxonne et plus particulièrement entre les
droits moraux versus les droits légaux.
Le rôle de l’enseignement supérieur
Avec une conscience accrue du fait que la globalisation pénètre de mani ère irrésistible
leurs vies, les enseignants ont commencé à se demander « est-ce qu’il existe une ou
plusieurs cultures globales de l’enseignement? Est -ce que les systèmes
d’enseignement à travers le monde différent de leurs sources originelles européenn es
ou bien convergent -ils vers un seul modèle ? (Anderson -Levitt, 2003, p. 1) Voici la
manière dont Kathryn Anderson -Levitt introduit un dialogue entre deux perspectives
très différentes sur la scolarité à travers le monde :
D’une part, les anthropologue s et de nombreux chercheurs dans le
domaine de l’enseignement comparatif soulignent les variations
nationales et, à part elles, les variations d’une région à l’autre et d’une
classe à l’autre. De ce point de vue, les près de 200 systèmes nationaux
d’enseignement du monde représentent quelques 200 types de cultures de
scolarité différentes et divergentes. D’autre part, les
« institutionnalistes » de la sociologie, ou les théoriciens de la culture
mondiale affirment que non seulement le modèle de l’enseigneme nt
moderne de masse s’est répandu à partir d’une source commune, mais
que les établissements d’enseignement à travers le monde deviennent de
plus en plus similaires avec le temps. Selon la théorie de la culture
mondiale, plutôt que divergents, les établiss ements d’enseignement
convergent vers un seul modèle global (Anderson -Levitt, 2003, p. 1).
Le même auteur ajoute:
Entre-temps, pour les enseignants qui se préoccupent des problèmes
pratiques immédiats, la question d’une culture globale de la scolarité
peut avoir des conséquences pratiques critiques : les réformateurs de
l’enseignement, feraient -ils mieux de soutenir la politique de la Banque
76 Mondiale et de l’UNESCO, ou bien de travailler directement avec les
enseignants dans les établissements d’enseigneme nt locaux ? Est-ce que
les enseignants locaux peuvent espérer de changer les établissements
d’enseignement pour les adapter aux besoins locaux, ou bien sont -ils
tenus de respecter un modèle global, qu’ils peuvent ou qu’ils ne peuvent
pas percevoir ? (Anderson-Levitt, 2003, p. 2).
Reconnaître l’importance de la culture est une chose; en déduire qu’elle
faciliterait une culture de la paix en est une autre. Dans certains cas, on peut même
redouter le contraire, étant donné la spécificité ou la rigidité de ce rtains concepts
culturels. Pour Gilbert Rist les échecs dans le développement peuvent être causés par
la diversité des logiques culturelles. Il explique : « la critique épistémologique montre
que la connaissance qu’une personne a d’une autre est liée à un e pratique : cela-ci
peut conduire soit à un sociocentrisme et à l’impérialisme, soit à une remise en cause
de soi… » (Rist, 1994, p. 20 -22).
Rist recommande d’arrêter d’attribuer la même valeur universelle à des concepts
culturels précis11, et propose une approche plus modeste : « Essayer une coopération
cohérente, une coopération dans le cadre du dialogue, adaptée aux réalités culturelles
des partenaires » (Rist, 1994, p. 93). Ainsi, on peut déjà imaginer la tâche à
entreprendre non seulement pour une cul ture globale, mais, de manière plus
ambitieuse, pour une culture globale de la paix ! D’autre part, devrait -on nous sentir
empêchés par de tels défis ? En ce qui concerne ce choix, l’ancien Directeur Général
de l’UNESCO, M. Federico Mayor a déclaré solenne llement :
Nous partageons tous le même destin … nous devons assumer nos devoirs
envers nous -mêmes et envers les générations futures à travers une
réconciliation avec nous -mêmes et avec la nature, tout en gardant vive la
mémoire du futur, l’amour du passé e t les impératifs du présent. Moins
d’égoïsme et moins de solidarité, moins de fanatisme et plus de dialogue,
moins de violence et plus de sécurité, moins de pauvreté et plus de justice
sociale, moins de retranchement vers soi et plus d’ouverture vers la
coopération avec les autres, moins d’usines d’armes et plus d’écoles, tels
sont parmi d’autres, les objectifs que nous nous sommes fixé pour nous –
mêmes (Mayor, 1999, p. 9).
L’enseignement pratique: études sur la paix ou enseignement pour la paix ?
Lors d’un colloque sur le système mondial et l’idée d’un Nouvel Ordre Mondial, M.
Hassan Fodha, Directeur du Centre d’Information des Nations Unies à Paris parlait
d’un nombre important de lettres qui lui ont été adressées par des citoyens français
étonnés par le s contradictions entre les idéaux et les règles de la Charte des Nations
Unies d’une part, et le nombre important de tragédies et d’expériences douloureuses
pour l’humanité, d’autre part. M. Fodha a rappelé à son public que l’idée d’un nouvel
ordre mondial n’était pas nouvelle et qu’elle a été proposé par les NU en 1974 dans le
cadre d’une discussion sur un Nouvel Ordre Economique International. A l’époque,
les NU ont demandé la mise en place d’un ordre mondial fondé sur « …l’équité,
l’égalité souveraine, l 'indépendance et la correction des injustices et des inégalités
11 Penser aux débats théologiques et moraux déclanchés par la décapitation d’un
citoyen américain, M. Paul Johnson, en Arabie Saoudite en juin 2004.
77 présentes ». Ce nouvel ordre introduit par la Résolution 3201 de l’Assemblée
Générale ne s’est pas matérialisé (Fodha, 1992).
Naturellement, le concept de nouvel ordre international ne prend de sens que si
les gens reçoivent une éducation spéciale et une formation pour rejeter totalement
l’utilisation de la force. C’est seulement alors que l’on peut espérer de manière
réaliste à établir une communauté mondiale multiculturelle, multiraciale et
multireligieuse nourrie par les meilleures valeurs de la cohabitation pacifique et de la
tolérance inconditionnelle. Certains enseignants ont dévoué leur pensée créative à cet
effet ces soixante dernières années. On considère Manchester College de l’Indian a,
Etats-Unis, comme le premier à offrir un Programme d’enseignement de la paix en
1948 (Weigert, 1999). Mais là aussi la terminologie laisse de la place à une variété de
définitions et d’interprétations : le mot « paix » non seulement comporte de
nombreus es définitions et connotations, mais l’« enseignement pour la paix » elle –
même signifie beaucoup de choses différentes, même pour ceux qui s’identifient
comme enseignant la paix. Betty Reardon pense qu’« il serait présomptueux de définir
de manière spécifi que un domaine qui se trouve au début de ce qu’il pourrait
devenir » (Reardon, 1998). Ce qui compte le plus pour ce spécialiste c’est la nécessité
de répondre à des buts pédagogiques et à des objectifs politiques :
Nous devons aller au -delà de l’objectif i nnovateur qui est la préparation
de politiques non violentes et investiguer les causes profondes des
conditions violentes auxquelles nous sommes confrontés, afin de pouvoir
déterminer la manière dont on peut utiliser l’éducation pour interrompre
le cycle de la violence toujours croissante … » (Reardon, 1998, p. ix-x).
Pour les spécialistes de la nouvelle discipline, le principal objectif est de comprendre
la paix et la violence pour que les citoyens soient bien préparés à contribuer à créer un
monde meill eur. En insistant sur des éléments fondamentaux tels que
l’« humanisation » et la « personnalisation » de l’enseignement pour la paix, Robin J.
Crews fait de la « connectivité » le point central de son approche (Crews, 1999, p.
23). Cette opinion aide et j ustifie l’Appel de la Haye et les efforts de l’UNESCO qui y
sont reliés pour renouveler le soutien à l’enseignement pour la paix systématique à
tous les niveaux.
L’étique de l’enseignement et la globalisation de la paix
N’existe-t-il pas une conviction croissante, plus
évidente que jamais parmi de nombreux gens que
la mort de personnes – avec lesquelles nous
n’avons rien en commun – qu’il s’agisse de liens
raciaux, linguistiques ou religieux … nous
concerne ? (Alphonso Lingis, 1994).
Les conséquences de s remarques exprimées ci -dessus sur les développements éthiques
dans le contexte des droits, de la culture et de l’éducation concernent principalement
la profession d’enseignant. L’éthique de l’enseignement concerne les dilemmes
moraux quotidiens que conna issent les enseignants universitaires qui « gèrent les
relations avec les étudiants et avec les autres enseignants ». Cependant, au -delà des
exigences de la fiche du poste, « …il s’agit de faire face à une réalité beaucoup plus
complexe : faciliter la disc ussion dans le cadre d’une classe, répondre aux évaluations
des étudiants concernant l’enseignement, investiguer lorsqu’un étudiant est suspect de
78 tricher, présider des réunions difficiles, résoudre les plaintes concernant les
collègues… » (Macfarlane, 200 3, p. 1). Cette opinion de Macfarlane reflète la nature
changeante de l’enseignement supérieur moderne et son « … impact significatif sur
les défis moraux auxquels se confrontent les universitaires » (Ibid.). Le mérite de
l’approche de Macfarlane réside en la distinction qu’il opère entre « des solutions
standard confortables » et les « choix difficiles » impératifs du point de vue éthique.
Il est très important de se souvenir du fait que la Constitution de l’UNESCO
proclame que « … les guerres prennent n aissance dans l’esprit des hommes » et que
« … c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ».
Comme exemple concret de coopération entre l’UNESCO et d’autres institutions, on
peut mentionner le Manuel pour l’enseignement relatif à la résolution des conflits, aux
droits de l’homme, à la paix, et à la démocratie. Cette publication très intéressante et
utile a été réalisée en coopération avec l’Association internationale de recherche sur la
paix (IPRA), prenant le Liban pour l’étude de cas. En se référant aux différentes
significations du mot « paix » dans différentes langues, les auteurs affirment :
La paix pour laquelle nous militons n’a pas de frontières. C’est une aspiration
commune de tous les êtres humains qui désirent pour les autres ce qu’ils désirent pour
eux-mêmes. C’est une préoccupation universelle, non pas nationale. La paix implique
un sentiment profond d’empathie et de compassion prescrit par toutes les religions.
Elle demande un effort constant pour promouvoir des relations économiques et
culturelles équitables parmi les membres de la même société et parmi les Etats. Elle
refuse à la puissance le rôle d’arbitre suprême des relations humaines (IPRA, 1995, p.
50).
Pour réaliser un tel environnement social, poli tique, économique et culturel, les
promoteurs de ce projet considèrent l’éducation, la communication et la coopération
comme les trois instruments majeurs du changement. En ce qui concerne l’éducation,
ils déclarent :
L’éducation est un facteur de transfor mation. L’adoption ou l’adaptation
de certains programmes d’enseignement peuvent accélérer le passage
d’une société de l’état de guerre à celui de la paix. L’enseignement pour
la paix ne fait pas tabula rasa sur le passé, mais elle n’est pas non plus
son otage. (IPRA, 1995, p. 50).
Conclusion
Il est difficile de ne pas être d’accord avec Macfarlane lorsqu’il nous rappelle le
besoin de partager le fardeau de l’éthique dans l’enseignement avec les autres, y
compris avec les étudiants. Cela est d’autant plus nécessaire que nous observons un
« … déplacement de l’équilibre des forces dans les relations d’enseignement » et que
« les étudiants traduisent les valeurs du consumérisme dans leurs attentes par rapports
à l’enseignement universitaire ». Avec cette nou velle perception, l’université devient
juste une autre pièce du magasin de la vie de consommation moderne (Macfarlane,
2003, p. 144).
Certaine de ces idées mérite une attention particulière du fait de l’impact éthique
des nouveaux environnements technolo giques, sociaux, économiques, culturels et
même religieux d’une classe :
La disponibilité des nouvelles technologies pour l’enseignement suppose
une volonté d’innover ou de chercher une certaine forme d’amélioration
continue à travers le besoin de justifi er les bénéfices ajoutés aux
étudiants. La nature changeante et la grande diversité dans la masse des
79 étudiants demande aussi que les universitaires répondent de manière
créative et flexible et qu’ils aient le courage de prendre des risques
calculés en rép onse. Qui plus est, l’élargissement de la participation
dans l’enseignement supérieur a ajouté des conséquences sur le plan de
la compréhension, avec des étudiants provenant de milieux sociaux,
économiques, culturels et éducationnels très variés (Macfarla ne, 2003, p.
144).
Tout bien considéré, souvenons -nous de l’esprit et de la lettre de l’Article 2 de la
Déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur pour le 21ème siècle , qui met
l’accent de manière très éloquente sur le « rôle éthique, autonomie, responsabilité et
fonction d’anticipation. » L’Article 2 de la Déclaration parle de:
a.–préserver et développer leurs fonctions essentielles en soumettant
toutes leurs activités aux exigences de l’éthique et de la rigueur
intellectuelle;
b.–pouvoir s’expr imer sur les problèmes éthiques, culturels et sociaux en
pleine indépendance et responsabilité, exerçant une sorte d’autorité
intellectuelle dont la société a besoin pour l’aider à réfléchir, à
comprendre et à agir;
c.–renforcer leurs fonctions prospective et critique, par l’analyse
permanente des nouvelles tendances sociales, économiques, culturelles
et politiques, constituant ainsi un espace de prévision, d’anticipation et
de prévention;
d.–se servir de leur capacité intellectuelle et de leur prestige mor al pour
défendre et diffuser activement les valeurs universellement acceptées,
et notamment la paix, la justice, la liberté, l’égalité et la solidarité
inscrites dans l’acte constitutif de l’UNESCO;
e.–jouir sans restrictions de leur liberté académique et de leur autonomie,
conçues comme un ensemble de droits et de devoirs, tout en se
montrant pleinement responsables et comptables envers la société;
f.–jouer un rôle en aidant à identifier et à traiter les problèmes qui nuisent
au bien-être des communautés , des nations et de la société mondiale
(UNESCO, 1998).
Le même esprit a inspiré les leaders mondiaux lors d’une conférence sur l’évolution
de l’Ordre mondial, tenue à Toronto en 1997. Lors de la conférence, M. Daisaku
Ikeda a exprimé des opinions qui tra nscendaient les dimensions légale, militaire,
économique et écologi que. M. Ikeda a parlé de :
La nécessité d’une réforme intérieure de l’individu, une réforme qui
inspirerait la spiritualité, une nouvelle morale et conscience éthique ainsi
qu’une nouvelle relation entre l’homme et la nature… Il est
traditionnellement impératif à la religion, à l’éthique et à l’éducation de
développer un esprit de non -violence et de compassion; d’étendre le
domaine de la conscience pour englober toute l’humanité; de contrib uer à
une réforme générale de tous les systèmes de valeurs (Ikeda, 1999).
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83 La déclaration de Bucarest sur les valeurs et les principes éthiques
pour l’enseignement supérieur dans la Région Europe
I. Préambule
Les universités et autres établissements d’enseignement supérieur jouent désormais un
rôle central dans le développement de la société, de l’économie et de la culture, à tous
les niveaux – global, régional, national et local. Dans la socié té du savoir émergeante,
les universités ne sont plus seulement responsables de la production et de la
préservation des sciences fondamentales et de l’esprit académique; elles sont aussi
engagées dans la traduction, la transmission et l’application des nou velles
connaissances. En même temps, les universités ne sont plus seulement responsables
de la formation des futurs professionnels, des élites techniques et sociales; elles
éduquent maintenant des masses d’étudiants. Les universités sont aussi devenues des
organisations complexes et à grande échelle et ne peuvent plus être gouvernées
seulement d’après les normes académiques traditionnelles et collégiales.
Ces profonds changements dans la structure et la mission de l’enseignement
supérieur et de la recherch e ont soulevé des questions sur la traditionnelle « idée
d’université » et ont ouvert l’appétit pour continuer leur réforme. Le nombre et les
types d’universités ont augmenté à une vitesse sans précédent – et même les
universités les plus traditionnelles o nt assumé de nouvelles et de plus larges
responsabilités. Le nombre de leurs décideurs a aussi proliféré – et les universités se
retrouvent maintenant au centre de réseaux d’ « établissements de savoir » de plus en
plus denses. Par conséquent, un nouvel éq uilibre semble être apparu entre l’université
en tant qu’établissement de service public et organisation entreprenariale. Cependant,
l’accent de plus en plus important mis sur le « marché » est un aspect seulement de
cette transformation; tout aussi import ants sont les agendas de « réforme » de plus en
plus actifs, suivis par de nombreuses nations européennes. Le Processus de Bologne
conduit à des changements de grande portée dans la structure (et à long terme dans la
culture) de l’enseignement supérieur eu ropéen.
Tous ces changements ont d’importantes conséquences pour une discussion sur
les dimensions éthiques et morales de l’enseignement supérieur – qui ont souvent été
définies et redéfinies selon une idée traditionnelle de l’université, remplacée
maintenant par de nouveaux rôles et responsabilités. Il est très important que la prise
en compte de ces responsabilités éthiques et morales, plus cruciales au cours du
Vingt-et-unième siècle que jamais auparavant, se passe en ayant pleinement
conscience de l’im pact de cet élargissement radical et rapide de la mission de
l’université dans le cadre de la société du savoir. C’est la raison pour laquelle il était à
la fois urgent et important pour le monde universitaire que le Centre européen de
l’UNESCO pour l’ense ignement supérieur (UNESCO -CEPES) convoque la
Conférence internationale sur Les dimensions éthiques et morales de l’enseignement
supérieur et de la science en Europe, organisée sous le haut patronage de M. Jacques
Chirac, Président de la République Françai se et de M. Ion Iliescu, Président de la
Roumanie, ensemble avec l’Académie Européenne des Sciences, des Arts et des
Lettres – Academia Europensis et en collaboration avec l’Université des Nations
Unies (UNU) et la Division des sciences fondamentales et de s sciences de l’ingénieur
de l’UNESCO, à Bucarest, les 2 -5 septembre 2004.
84 Les participants à la Conférence affirment:
– Quelle que soit l’importance prise par les universités dans la production de richesse
économique, elles ne peuvent être perçues comm e de simples « fabriques » de
science, de technologie et d’experts techniques, dans le cadre d’une économie du
savoir mondiale. Elles ont des responsabilités intellectuelles et culturelles
essentielles qui sont bien plus importantes dans une société du sav oir.
– Par conséquent, les universités ne peuvent pas être considérées comme étant des
établissements dépourvus de valeurs. Les valeurs et les standards éthiques qu’elles
épousent auront non seulement une influence essentielle sur le développement
académique , culturel et politique de leurs universitaires, étudiants et employés,
mais serviront aussi à tracer les contours moraux de la société en général. En tant
que telles, elles doivent accepter une responsabilité explicite et entreprendre des
actions afin de promouvoir des standards éthiques aussi élevés que possible.
– Il ne suffit pas d’épouser de hauts standards éthiques au niveau rhétorique. Il est
essentiel que ces standards soient respectés et appliqués dans tous les domaines de
travail des institutions – et non seulement à travers leurs programmes
d’enseignement et de recherche, mais aussi en termes de gouvernance et de gestion
internes, ainsi que d’engagement avec les décideurs externes.
Afin de remplir la vocation éthique des établissements d’enseigne ment supérieur
conformément aux valeurs largement louées de l’éthos académique, les participants à
la Conférence internationale lancent un appel aux politiciens, aux universitaires, aux
directeurs et aux étudiants d’appliquer dans leurs activités académiqu es ce qui suit :
II. Les valeurs et les principes :
1. L’éthos, la culture et la communauté académiques
1.1.La culture académique de tout établissement d’enseignement supérieur doit
promouvoir activement et diligemment, à travers des déclarations de
politique, l es chartes institutionnelles et les codes de conduite académique, les
valeurs, les normes, les pratiques, les croyances et les présomptions qui
guident toute la communauté institutionnelle envers l’affirmation d’un éthos
basé sur le principe du respect de la dignité et de l’intégrité physique et
psychique des êtres humains, de la formation continue, du progrès du savoir et
de l’amélioration de la qualité, y compris de l’éducation, la démocratie
participative, la citoyenneté active et la non discrimination.
1.2.L’autonomie des établissements d’enseignement supérieur, bien qu’essentielle
à l’accomplissement efficace de leurs tâches historiques et à leur adaptation
aux défis du monde moderne, ne doit pas être utilisée comme excuse par
ceux-ci dans le but de manque r à leur responsabilité envers la société en
général, d’agir constamment pour la promotion du bien public.
1.3.Il est difficile de maintenir de hauts standards académiques et éthiques dans
l’absence d’un financement public adéquat pour l’enseignement supérieu r.
Des fonds publics réduits peuvent aussi éroder l’idée d’enseignement
supérieur en tant que bien public et peuvent rendre plus difficile la tâche des
institutions de maintenir un large accès et de hauts standards de conduite.
85 2. L’intégrité académique dan s les processus d’enseignement et
d’apprentissage
2.1.Les valeurs et les standards d’intégrité académique offrent le fondement pour
le développement du savoir, de la qualité de l’enseignement et de la formation
des étudiants comme citoyens et professionnels re sponsables. La communauté
universitaire doit se dévouer à la promotion de cette intégrité académique et
faire des efforts actifs pour son incorporation dans le quotidien de la vie
institutionnelle de ses membres.
2.2.Les valeurs clé d’une communauté académiqu e intègre sont l’honnêteté, la
confiance, l’équité, le respect et la responsabilité. Ces valeurs ne sont pas
seulement bénéfiques en elles -mêmes, mais elles sont aussi essentielles à la
transmission efficace de l’enseignement et à une recherche de haute qu alité.
2.3.La quête d’honnêteté devrait commencer par soi -même et s’étendre aux autres
membres de la communauté académique, tout en évitant systématiquement
toute forme de tricherie, de mensonge, de fraude, de vol ou autres
comportements malhonnêtes qui affect ent de manière négative le statut
qualitatif des diplômes universitaires.
2.4.La confiance mutuellement partagée par tous les membres de la communauté
académique est la colonne vertébrale de ce climat de travail favorisant le libre
échange des idées, la créat ivité et le développement individuel.
2.5.L’équité dans l’enseignement, dans l’évaluation des étudiants, dans la
promotion des membres du personnel et dans toute activité liée à l’octroi de
diplômes doit se fonder sur des critères légitimes, transparents, équ itables,
prévisibles, constants et objectifs.
2.6.Le libre échange des idées et la liberté d’expression sont fondés sur le respect
mutuel entre tous les membres de la communauté académique, sans tenir
compte de leur position dans la hiérarchie de l’enseigneme nt et de la
recherche. Dans l’absence de tels échanges la créativité académique et
scientifique se trouve diminuée.
2.7.La responsabilité devrait être partagée par tous les membres de la communauté
académique, permettant ainsi le respect de la condition de re sponsabilisation.
3. La gouvernance et la gestion démocratiques et éthiques
3.1.Un fonctionnement plus efficace des corps dirigeants des établissements
d’enseignement supérieur doit être promu afin de refléter à la fois la croissance
de leurs dimensions et la complexité et la variété accrue des rôles et des
responsabilités. Cependant, en ce qui concerne les activités entreprenariales et
commerciales, les corps dirigeants doivent promouvoir les meilleures
pratiques possibles non seulement pour une bonne gesti on de telles entreprises,
mais aussi pour sauvegarder le règne de la loi et les principales valeurs
académiques et éthiques. Les universitaires, les étudiants et les membres du
personnel doivent jouer un rôle essentiel pour s’assurer que la quête
d’entreprises commerciales et la hausse des revenus n’affaiblissent pas la
qualité de l’enseignement et les résultats des recherches ou les standards
intellectuels de leurs établissements.
86 3.2.Les réformes dans la gouvernance et la gestion des établissements
d’enseign ement supérieur doivent maintenir l’équilibre entre le besoin
d’encourager une direction et une gestion efficaces et le besoin d’encourager
la participation des membres de la communauté universitaire, en associant les
étudiants, les professeurs, les cherch eurs et les administrateurs au processus de
prise de décisions.
3.3.Les présidents, les recteurs, les vice -chanceliers et autres leaders
institutionnels doivent être tenus responsables – non seulement pour la bonne
conduite des affaires de leur établissement et pour leur développement
académique, mais aussi pour le fait d’offrir une direction éthique. On devrait
aussi explorer l’idée d’ « audits éthiques » comme partie intégrante de la
performance institutionnelle.
3.4.Le processus de la prise de décision institu tionnelle doit être mis en œuvre de
manière à affirmer les obligations morales et la responsabilité des décideurs
envers toutes les parties concernées par leurs décisions.
4. La recherche fondée sur l’intégrité académique et la réaction sociale
4.1.La liberté i ntellectuelle et la responsabilité sociale sont les valeurs clé de la
recherche scientifique et doivent être constamment respectées et promues. Au
lieu d’être en conflit, ces deux valeurs se renforcent chacune dans le cadre des
systèmes d’enseignement et d e production de savoir plus ouverts qui
caractérisent la société du Vingt -et-unième siècle.
4.2.Les chercheurs individuels ainsi que les équipes de chercheurs ne sont pas
seulement responsables moralement du processus de recherche – du choix des
sujets, des méthodes d’investigation et de l’intégrité de la recherche – mais
aussi des résultats de la recherche. Du fait, ils doivent adopter et respecter
rigoureusement les codes éthiques qui réglementent leurs recherches
scientifiques.
4.3.Tout code de conduite dans le domaine de la recherche doit inclure à la fois
des standards éthiques et des procédures de mise en œuvre et éviter ainsi les
pratiques de superficialité, de vacuité, d’hypocrisie, de corruption ou
d’impunité.
4.4.Les communautés scientifiques doivent promo uvoir la coopération mondiale
et assurer la solidarité intellectuelle et morale fondée sur les valeurs d’une
culture de la paix.
4.5.Le personnel universitaire et les chercheurs ont individuellement et/ou
collégialement la responsabilité et le droit (i) de s’ exprimer librement sur les
défis scientifiques et éthiques de certains projets de recherche et résultats et (ii)
en dernière instance, de se retirer de ces projets selon leur conscience.
III. Le soutien à la mise en œuvre des valeurs et des principes éthi ques
La mise en œuvre des valeurs et des principes ci -dessus mentionnés requiert une série
de moyens appropriés pour:
87 – assurer un équilibre dans l’enseignement supérieur entre le bien public et la
commercialisation, tout en préservant les principales val eurs de l’éthos
académique;
– promouvoir un système de gouvernance des établissements d’enseignement
supérieur permettant une prise de décision collégiale;
– s’assurer que chaque établissement d’enseignement supérieur et de recherche
fonctionne selon des poli tiques et des procédures de conduite académique
constamment implémentées et périodiquement mises à jour;
– élaborer et renforcer aux niveaux institutionnel, national et international des codes
de standards éthiques pour la recherche scientifique qui soient à la fois
disciplinaires et interdisciplinaires dans leur orientation;
– promouvoir une coopération internationale concentrée sur des standards éthiques
de l’enseignement supérieur et de la recherche dans la région Europe et dans
d’autres régions du monde.
IV. Le suivi par l’UNESCO -CEPES
L’UNESCO -CEPES est appelé à disséminer et à implémenter, en collaboration avec
d’autres partenaires adéquats – la présente Déclaration. Les activités de suivi doivent
se concentrer sur l’identification des exemples de « bonne pratique » dans les
domaines visés, assurant de la sorte une base informative pour les futurs débats sur les
valeurs, les principes et les standards éthiques de l’enseignement supérieur dans la
Région Europe et pour la promotion des meilleures pratique s institutionnelles.
88 Tribune
Les étudiants d’élite dans l’enseignement universitaire
ADRIAAN HOFMAN ET MU RIEL VAN DEN BERG
Est-il toujours possible de combiner deux programmes d’études dans l’enseignement
supérieur, et si oui, quelles sont les caracté ristiques de ces étudiants doubles et quels
types d’obstacles rencontrent -ils ? Aux Pays -Bas, environ 10 pour cent des étudiants
de l’enseignement universitaire étudiant deux programmes en même temps .
Des approches théoriques différentes offrent des hypoth èses censées expliquer le
choix des étudiants d’un deuxième programme d’études, par comparaison aux
étudiants qui suivent un seul programme normal. La théorie du capital humain
ainsi que celle du capital financier (socio -économique) fournissent certains
éclaircissements au sujet du processus de sélection. Les facteurs concernant les
programmes d’enseignement, ainsi que les facteurs motivationnels et
d’intégration (sociale et économique) (Tinto, 1987) , seront des déterminantes
importantes du choix de poursui vre un ou deux programmes d’enseignement
supérieur.
Introduction
La question fondamentale de cette étude est de savoir quelles opportunités offrent les
programmes actuels d’étude de l’enseignement supérieur aux étudiants qui ont un
talent ou une motivatio n au dessous de la moyenne. Au cours des décennies, l’égalité
des chances pour tous les étudiants indifféremment de leur origines ou préparations a
été un principe de base des politiques d’enseignement supérieur dans la plupart des
pays d’Europe. Beaucoup de recherches se sont concentrées sur les conséquences des
mesures politiques sur l’accès à l’enseignement supérieur. Ce qui arrive après l’accès,
en termes des opportunités pour les étudiants qui varient en talent ou en motivation,
est moins connu. Ces op portunités de développement optimal des étudiants pourraient
s’étendre de programmes de récupération à des programmes d’honneurs ou combiner
plus d’une étude avec une autre .
La pression externe et interne a transformé l’enseignement supérieur en un
système qui œuvre de manière de plus en plus efficace. Durant les années 1990,
l’efficience et l’efficacité se sont trouvées en tête de l’agenda politique aux Etats -Unis
(Bastedo et Gumport, 2003) et en Europe . La responsabilisation est devenue une
question maje ure au cours de la dernière décennie. La question qu’on peut se poser est
la suivante: jusqu’à quel point est -ce que cette évolution a affecté la différentiation et
la stratification interne des programmes et des étudiants ? Est-il encore possible de
choisir une combinaison de deux études et de les poursuivre de manière active ?
Nous nous concentrerons sur une comparaison entre deux groupes d’étudiants: les
étudiants normaux, qui suivent un programme d’études, et un groupe d’étudiants qui
suivent deux prog rammes d’études. Le but est de comparer ces groupes d’étudiants au
niveau de leurs origines, de leurs motivations et de leurs facteurs comportementaux
respectifs. Nous nous posons la question: Comment le système d’enseignement
supérieur répond -il à la dema nde des étudiants d’un orientation plus étendue, ou de
89 poursuivre plus d’un programme d’études ? Quel est -il le niveau de sélectivité du
système à cet égard ?
Différentes approches théoriques proposent des hypothèses qui expliquent le
choix des étudiants d’un deuxième programme d’études, par comparaison à ceux qui
suivent un seul programme normal d’études. La théorie du capital humain ainsi que
celle du capital financier (socio -économique) offre certains éclaircissements sur ce
processus de sélection. Les facteurs concernant les programmes d’enseignement, ainsi
que les facteurs motivationnels et d’intégration (sociale et économique) (Tinto, 1987),
seront probablement des déterminantes importantes du choix de poursuivre un ou
deux programmes d’enseignement s upérieur.
Nous répondrons en ce qui suit aux questions de recherche suivantes :
– Quels sont les facteurs qui influencent la décision de combiner deux ou
plusieurs études ?
– Quelles sont les raisons et les restrictions qui sont mentionnées en ce qui
concerne l a poursuite de deux études ?
Des notions théoriques et du modèle conceptuel
Le capital humain ou l’accomplissement éducationnel
Il se peut que les étudiants qui ont beaucoup de succès (démontrent une progression
rapide dans les études et/ou ont des notes élevées) dans leur premier programme
d’études choisissent plus souvent de poursuivre un deuxième programme d’études qui
les étudiants qui ont moins de succès dans leur première programme d’études. Les
avantages de la poursuite d’un deuxième programme d’étu des peuvent être plus
importants pour les étudiants plus capables. La raison de cette hypothèse puise ses
racines dans l’approche du capital humain, et est soutenue par exemple par
Oosterbeek et Van Ophem (1995). Ceux-ci soutiennent que le revenu d’une vie d’un
individu est déterminé par la quantité d’instruction reçue et par les capacités
intellectuelles de l’individu. En outre, il existe un effet de superposition de
l’instruction et des capacités intellectuelles. A partir de recherches empiriques,
Oosterbeek et Van Ophem (1995) montrent que l’effet de superposition est positif, ce
qui veut dire que plus d’instruction est plus bénéfique pour des individus avec des
capacités intellectuelles supérieures .
Le capital financier ou les facteurs (socio -) économiqu es
Les investissements en capital humain dépendent aussi de l’accès des individus aux
sources financières (voir par ex. Becker, 1967). Les étudiants ayant une position
financière favorable sont plus enclins à poursuivre un deuxième programme d’études
– qui implique des investissements supplémentaires – que les étudiants ayant une
position financière modeste. En général, les coûts d’un deuxième programme d’études
seront plus élevés que ceux d’un premier. Les étudiants à plein temps reçoivent aux
Pays-Bas une aide financière du gouvernement au long de la durée nominale des
études. Les étudiants que poursuivent une deuxième programme d’études ne reçoivent
pas de fonds supplémentaires. Récemment, le gouvernement hollandais a décidé qu’il
n’y aura non plus de fon ds supplémentaires dans le proche avenir (Ministère
hollandais de l’éducation, de la culture et de la science , 2004).
En finançant la durée nominale du premier programme d’études, le gouvernement
fournit environ 30 pour cent des revenus totaux des étudian ts (van den Berg et al.,
2001).12 Généralement, les parents des étudiants fournissent également 30 pour cent
12 Actuellement, les bourses d’étude sont de 72 € par mois pour les étudiants habitant
chez leurs parents et de 221 € par mois pour les étudiants qui habitent seuls ou sur
campus.
90 du total; 40 pour cent sont gagnés par les étudiants à travers du travail rémunéré. On
s’attend à ce que les étudiants qui re çoivent plus d’argent de leurs parents soient plus
enclins à suivre un deuxième programme d’études. Un concept lié au quantum de
l’aide financière reçue des parents est la position socio -économique des parents des
étudiants: avec le niveau des revenus ou d ’éducation des parents grandit le montant du
soutien financier reçu par les étudiants (Van den Berg et al., 2001). L’opportunité de
suivre un deuxième programme d’études peut être influencée par le mécanisme
financier (plus d’argent, plus d’opportunités). Il est aussi probable que les étudiants
ayant des parents hautement éduqués soient plus susceptibles de poursuivre un
deuxième programme d’études, du fait de leur milieu social et culturel. Comme le
montrent les recherches effectuées par de Graaf et al. (2000), la situation parentale
influence le niveau éducationnel final des enfants. De nos jours, les aspects culturels
ont tendance à jouer un rôle plus important que les aspects financiers .
Les facteurs concernant l’enseignement: le temps et le programme
Le rapport entre les revenus tirés du travail rémunéré et le choix d’un deuxième
programme est ambigu. Un haut niveau des revenus peut avoir une influence positive
sur la décision de suivre un deuxième programme d’études. De l’autre côté, plus de
revenus iss us du travail rémunéré signifie que l’étudiant dédie plus de temps au travail
rémunéré. Cela signifie qu’il dispose de moins de temps pour d’autres activités
comme les études, ce qui réduit probablement les chances d’entreprendre un
deuxième programme d’ét udes.
Lorsqu’on formule des hypothèses sur le rapport entre le temps et les chances de
poursuivre un deuxième programme d’études, on remarque que les étudiants qui
dédient moins de temps à leurs premières sont plus susceptibles de poursuivre un
deuxième pr ogramme d’études. La quantité de temps qu’un étudiant accorde à son
premier programme d’études est partiellement déterminée par des caractéristiques
individuelles comme la capacité (les étudiants plus capables dans un certain
programme d’études requièrent vraisemblablement moins de temps pour maîtriser
la matière que les étudiants moins capables). Aussi, les facteurs de programme
d’enseignement déterminent la quantité de temps nécessaire dans un programme
d’études (voir par ex. Carroll, 1963; Bloom, 1971 et 1976).
Les facteurs motivationnels et l’intégration sociale et académique
Deux autres aspects qui peuvent influencer le choix d’un deuxième programme
d’études sont les facteurs motivationnels et sociaux et l’intégration académique. Ces
aspects sont prés ents dans presque tous les modèles d’interaction, ce qui explique la
réussite dans les études, l’évolution dans les études et/ou l’abandon dans
l’enseignement supérieur (voir Tinto, 1987, 1992; Bean et Metzner, 1985; Prins,
1997). Selon le modèle de Tinto (1987), l’intégration sociale reflète le rapport entre
l’étudiant et ses collègues et les activités extrascolaires qu’il entame. L’intégration
académique est déterminée par l’interaction entre les étudiants et les enseignants et
par les accomplissements un iversitaires de l’étudiant (qui sont modelés séparément
dans notre modèle).
Enfin, on pose qu’une motivation plus forte dans les études influence
positivement les chances de choisir un deuxième programme d’études. Des
motivations intrinsèques (les étudian ts qui sont intéressés à étudier, qui souhaitent
acquérir des savoirs) et des motivations extrinsèques (poursuivre un programme
91 d’études à cause des perspectives existantes sur le marché du travail, acquérir une
position supérieure) sont censées avoir égal ement des influences positives .
Un modèle conceptuel de recherche est présenté dans la Figure 1.
Figure 1: Modèle conceptuel
Source: Les auteurs .
La collection et l’échantillonnage des données
Le modèle a été testé sur un échantillon d’étudiants de l’Uni versité d’Amsterdam, de
l’Université de Maastricht, de l’Université Technique de Delft, et de l’Université
Erasmus de Rotterdam (EUR), durant les années universitaires comprises entre
1996/1997 et 1999/2000. Pour chaque année, dans chaque université, un éc hantillon
représentatif aléatoire d’étudiants de chaque année et secteur d’entrée a été interrogé à
travers une enquête téléphonique. Le taux de réponse de l’enquête a varié entre 80
pour cent et 93 pour cent (no. valide = 9789).13
Les données ont été collectées dans le cadre du programme de recherche « Etudier et
travailler dans l’enseignement universitaire », effectué par l’Institut de recherches en
politiques sociales de Rotterdam (RISBO) et commandé par le Ministère hollandais de
l’éducation, de la culture et de la science (Van den Berg et al., 2001). Les thèmes
principaux de cette étude ont été la situation financière des étudiants, le temps qu’ils
dédient à leurs études et à leur travail (rémunéré), et leur avancement dans les étu des.
On a mesuré entre autres la motivation intrinsèque et extrinsèque des étudiants et on a
rassemblé des informations concernant des caractéristiques basiques comme l’âge, le
sexe, l’ethnicité, les antécédents éducationnels et le niveau d’instruction des parents.
13 Le taux de réponse pour l’année universitaire 1996 -1997 a été de 93 pour cent. En 1997 –
1998, le taux de réponse a été de 84 pour cent, en 1998 -1999 a été de 80 pour cent, et en
1999-2000 de 83 pour cent (Van den Berg et al., 2001, p. 28). accomplissements éducation els
facteurs (socio -)
économiques
temps
choix d’un
deuxième
programme
d’études
integration sociale et universitaire facteurs de programme
d’enseignement
facteurs
motivationnels
92 On doit dire que les répondants ne sont pas tous appropriés pour cette étude sur les
étudiants d’élite dans l’enseignement supérieur. Seulement les étudiants recevant
du soutien financier du gouvernement hollandais ont été sélectionnés. La raison de
cette sélection est de s’assurer qu’uniquement les étudiants à plein temps sont pris
en compte. Cela signifie que 8.764 sur 9.789 exemples sont inutilisables pour
notre recherche, ce qui correspond à environ 90 pour cent de l’échantillon
d’origine.
Une description de l’échantillon de recherche
Dans notre échantillon de recherche, environ 90 pour cent des étudiants ont pris un
programme d’enseignement supérieur et environ 10 pour cent des étudiants ont pris
eux programmes simultanément. Ce pourcentage a été constant durant la période
comprise entre les années universitaires 1996-1997 et 1999-2000. Des programmes
qui sont fréquemment combinés sont :
– Mathématiques ou statistiques avec informatique, physique ou astronomie ;
– Médecine avec psychologie ;
– Commerce ou sciences économiques avec Droit ;
– Administration publique ou sciences politiques avec Droit ;
– Philosophie en combinaison avec un autre programme (par ex. Droit, sciences
économiques, médecine ).
Certaines statistiques descriptives de l’échantillon de rech erche sont présentées
dans le Tableau 1. Nous distinguons les variables de base des étudiants des variables
qui comportent des informations concernant quatre des facteurs du modèle théorique:
les accomplissements éducationnels des étudiants, les facteurs s ocio-économiques, les
facteurs motivationnels, et le temps. Nous n’avons pas pu collecter des informations
sur l’intégration sociale et universitaire et les facteurs de programme d’études. Ainsi,
le modèle théorique de la Figure 1 n’a été testé que partiel lement.
Les variables de base montrent qu’environ un cinquième de notre échantillon de
recherche a été composé par des étudiants de première année, avec quatre -vingt pour
cent de l’échantillon consistant en des étudiants entre la deuxième et la cinquième
année.14 L’échantillon est partagé de manière égale entre hommes et femmes . Le
pourcentage d’étudiants minoritaires15 est de 6,7 pour cent , ce qui dépasse
relativement la moyenne nationale (4,6 pour cent) citée dans le Students’ Monitor
(Hofman et al., 2001).
14 La majorité des études universitaires aux Pays -Bas comportent un programme de 4
ans (un programme de licence de 3 ans et un programme de m aîtrise de 1 an). Les
études dans le domaine de la science et de la technologie ont un programme de 5 ans
(un programme de licence de 3 ans et un programme de maîtrise de 2 ans). Cela
constitue cependant la durée nominale d’un programme d’études. La plupar t des
étudiants nécessitent plus de temps pour compléter leurs schémas de diplôme. Sans
tenir compte de la possibilité de l’abandon, un étudiant typique de notre échantillon
requiert une année supplémentaire environ pour terminer ses études.
15 Par la défin ition du Ministère hollandais de l’intérieur et des relations dans le
Royaume, un étudiant appartient à un groupe minoritaire lorsque celui -ci – ou au
moins un de ses parents – est né dans les pays suivants: la Grèce, l’Italie, l’ex –
Yougoslavie, le Portuga l, le Cap Vert, l’Espagne, la Turquie, le Maroc, la Tunisie, le
Surinam, les Antilles Hollandaises, et l’Aruba.
93 Tableau 1: Statistiques descriptives de l’échantillon de recherche (n=8.764)
Facteurs Taux/moyenne (sd)
Variables de base
taux d’étudiants de première année 21,4
taux de femmes 50,3
taux d’étudiants minor itaires 6,7
âge moyen en années 21,9 (2,1)
Accomplissements éducationnels
taux d’étudiants ayant une éducation préuniversitaire 86,1
note moyenne dans l’enseignement préuniversitaire 6,9 (0,7)
avancement dans les études 33,2 (12,1)
Facteurs socio -économiques
éducation des parents
taux de parents sans éducation/éducation primaire 10,7
taux de parents avec éducation secondaire inférieure 9,1
taux de parents avec éducation secondaire supérieure/éducation
professionnelle intermédiaire 21,5
taux de parents avec éducation professionnelles supérieure/éducation
supérieure 58,7
revenu mensuel total en Euros 581 (276)
revenu mensuel reçu de la part des parents en Euros 166 (134)
Facteurs motivationnels
motivation intrinsèque 12,8 (1,5)
motivation extrinsèque 12,1 (1,7)
Temps: heures passées par semaine
études 31,1 (15,4)
travail rémunéré 8,0 (7,7)
travail volontaire 2,5 (6,0)
Source: Les auteurs .
Le Tableau 1 montre que plus de 85 pour cent des étudiants ont rejoint
l’université par le biais d’un diplôme d’enseignement pré -universitaire, la soi -disant
« voie royale » vers l’université, qui prend généralement 6 ans. Environ 15 pour cent
des étudiants rejoignent l’université d’une manière différente, par exemple par une
« voie professionnelle »,16 un diplôme étranger, ou viva voce17. Pour le groupe
d’étudiants ayant obtenu un diplôme d’enseignement pré -universitaire, les notes
moyennes d’examen sont connues. Les étudiants ont obtenu en moyenne de 6,9 su r 10
(pour passer il faut au moins une note de 5,5 ).
L’avancement dans les études est mesuré en « crédits hollandais d’études ». Tout
programme d’études de l’enseignement supérieur hollandais a une charge nominale
d’enseignement de 42 crédits hollandais p ar an (équivalente à 60 ECTS). Dans notre
échantillon, les étudiants gagnent environ 33 points d’études, en moyenne, une année
16 Après l’enseignement secondaire (enseignement secondaire général supérieur ou
enseignement professionnel secondaire), les étudiants commencent l’enseignement
professionnels supérieur. A la fin (au moins de la première année de) enseignement
professionnel supérieur, les étudiants peuvent décider d’entrer à l’université afin d’obtenir un
diplôme de maîtrise. 17 Les étudiants qui n’ont pas un diplôm e approprié pour entrer à l’université, mais qui ont
passé un examen d’admission à l’université.
94 pour leur premier programme d’études ,18 ce qui équivaut à presque 80 pour cent de la
charge nominale d’ense ignement.
Un troisième groupe de acteurs sont les variables socio -économiques. Le statut
socio-économique des étudiants est mesuré en fonction du niveau d’instruction de
leurs parents. Le Tableau 1 montre que presque 6 parents sur 10 ont un diplôme
universitaire et/ou un diplôme d’enseignement professionnels supérieur, un résultat
qui correspond aux observations nationales (Statistics Netherlands, 2001). La situation
financière des étudiants est mesurée en fonction des revenus mensuels totaux, et du
soutien financier qu’ils reçoivent de leurs parents. Ces sommes sont de 581 € et de
166 € respectivement, et sont en conformité avec la moyenne nationale du Students’
Monitor’ (Hofman et al., 2001). Le Ministère hollandais de l’éducation, de la culture
et de la science (1999) a exprimé son intention que les parents fournissent un tiers des
revenus des étudiants (dans notre échantillon on atteint les 30 pour cent). D’autres
sources de revenus sont le soutien financier de gouvernement (les bourses d’études ),19
les revenus provenant du travail rémunéré, et les prêts .
Le quatrième groupe de variables consiste en les variables motivationnelles. On a
demandé aux étudiants de considérer plusieurs propositions qui reflètent des
motivations intrinsèq ues ou extrinsèques dans les études. Afin de déterminer des
motivations intrinsèques, les étudiants ont noté quatre propositions sur une échelle
allant de 1 (fort désaccord) à 4 (fort accord ):
– Mon cours m’intéresse ;
– Mon cours m’offre la possibilité d’utili ser au maximum mon potentiel ;
– Je peux évoluer grâce à mon cours ;
– Je veux étendre mes connaissances .
Afin de déterminer les motivations extrinsèques, les étudiants ont noté quatre
propositions sur une échelle allant de 1 (fort désaccord) à 4 (fort accord). Celles-ci
sont:
– Je peux gagner du prestige grâce à mon cours ;
– J’ai de meilleures opportunités de travail grâce à mon cours ;
– J’ai de meilleures opportunités de gagner un salaire plus élevé si je complète
mon cours avec succès ;
– Je peux atteindre une position supérieure grâce à mon cours .
Le dernier groupe de facteurs concerne le temps. On a demandé aux étudiants de
préciser combien d’heures ils dédient par semaine à leur programme d’études
principal, à leur travail rémunéré et à leur travail volontaire. Un ét udiant moyen passe
environ 31 heures par semaine à étudier et 10,5 heures par semaine à travailler.
Cependant, ces chiffres varient hautement d’une discipline à l’autre. Les étudiants en
sciences, techniques et médecine étudient plus de 34 heures par semai ne, pendant que
les étudiants en sciences sociales et en Droit passent moins de 28 heures par semaine à
étudier.
18 Les étudiants qui poursuivent deux programmes d’études simultanément sont tenus de
rapporter uniquement les résultats de leur premier programme (au début de l’entrevue il est
déterminé quel programme est considéré comme étant le programme principal).
19 Les bourses d’études sont actuellement de 72 € par mois pour un étudiant vivant avec ses
parents et de 221 € par mois pour un étudiant vivant tout seul ou sur campus .
95 Les conclusions de l’enquête
Dans notre modèle, les caractéristiques fondamentales disponibles sont prises en
compte en tant que variables de contrôle. Le modèle appartient au groupe de modèles
logistiques, où la variable dépendante ne prend que deux valeurs (0 lorsque l’étudiant
suit un programme d’études et 1 lorsque l’étudiant suit deux programmes). Le fait de
savoir si une variable a un effe t significatif sur l’opportunité de poursuivre deux
programmes d’études est présenté dans le Tableau 2, avec + (effet positif au niveau de
confiance de 95 pour cent) ou – (effet négatif au niveau de confiance de 95 pour cent).
L’envergure de cet effet peut également être estimée à partir du Tableau 2. Par
exemple, l’effet induit par le sexe est de –0,4833. Cela veut dire que, si on tient
compte de l’ensemble des variables du modèle, la chance qu’une femme poursuive
deux programmes d’études est exp( -0,4833)/(1+exp(-0,4833)) = 38,4 pour cent
inférieure à la chance qu’un homme poursuivre deux programmes d’études.
A partir des « accomplissements éducationnels » du Tableau 2 nous tirons les
conclusions suivantes: l’instruction préalable, mesurée en tant qu’ensei gnement pré –
universitaire et autres formes d’enseignement, n’a pas de conséquences sur les
chances de poursuivre deux programmes d’études. Cela n’est pas conforme à nos
idées initiales. Néanmoins, dans un modèle qui a été testé séparément pour les
étudiants ayant accompli un enseignement pré -universitaire, on a enregistré une
conséquence positive des notes.20 Comme prévu, les étudiants qui ont de meilleurs
résultats dans l’enseignement pré -universitaire sont plus susceptibles de choisi r un
deuxième programme d’études. De même, les étudiants qui ont de meilleurs résultats
dans l’enseignement universitaire, mesurés en tant qu’avancement dans les études
pour le programme principal, sont plus susceptibles de poursuivre un deuxième
programme d’études.
20 Dans le modèle pour les étudiants ayant accompli un enseignement pré -universitaire, la
variable « instruction préalable » a été exclu e du modèle et remplacée par la variable « note
moyenne dans l’enseignement pré -universitaire ». Celle-ci a une estimation de paramètres de
0,2693, avec un taux d’erreur standard de 0,0712. L’effet est significatif au niveau de
confiance de 95 pour cent.
96 Tableau 2: Modèles à variables multiples pour l’ensemble des étudiants et pour les étudiants
ayant un diplôme pré -universitaire21
β (es)*
Variables fondamentales
cohorte (0= étudiants de première année , 1=étudiant avan cé) + 0,3552 (0,1278)
sexe (0=hommes , 1=femmes) – -0,4833 (0,0847)
minorité (0= non-minorité, 1=minorit é) + 0,3423 (0,1741)
Age -0,0250 (0,0292)
Accomplissements éducationnels
instruction préalable (0=enseignement pré-universitaire , 1=autre) -0,0514 (0,1298)
avancement dans les études + 0,0365 (0,0037)
Facteurs s ocio-économiques
instruction des parents
parents sans éducation ou avec une éducation primaire (groupe de
référence) 0,0000
parents avec une éducation secondaire inférieure 0,0637 (0,2127)
parents avec une éducation secondaire supérieure ou professionnelle
intermédiaire 0,3109 (0,1700)
parents avec une éducation professionnelle supérieure ou universitaire + 0,3936 (0,1570)
revenu mensuel total 0,0001 (0,0001)
revenu mensuel reçu des parents + 0,0005 (0,0002)
Facteurs motivationnels
motivation intrinsèque + 0,0791 (0,0288)
motivation extrinsèque – -0,0926 (0,0256)
Temps: heures dédiées par semaine à
études – -0,0084 (0,0030)
travail rémunéré 0,0020 (0,0065)
travail volontaire + 0,0239 (0,0060)
* Les effets significatifs au niveau de confiance de 95 pour cent sont marqués en gras .
Source: Les auteurs .
A partir des facteurs socio -économiques on a tiré la conclusion que les parents
des étudiants contribuent à la chan ce de poursuivre deux programmes d’études de
deux manières. Le niveau d’instruction des parents (lorsqu’on y recherche les
variables financières) ainsi que leur contribution financière (lorsqu’on y recherche le
niveau d’instruction) comptent. Les étudiants dont les parents ont eux -mêmes reçu
une éducation professionnelle supérieure et/ou une éducation universitaire
poursuivent plus fréquemment deux programmes d’études que les étudiants dont les
parents sont démunis d’éducation ou qui n’ont qu’une éducation primaire. De même,
une contribution parentale plus importante est associée à une meilleure chance de
poursuivre deux programmes d’études. Certainement, à partir de ces données trans –
sectionnaires il n’est pas possible de saisir la causalité de cet effet: e st-ce que les
étudiants poursuivent plutôt deux programmes d’études lorsque la contribution
parentale est plus importante, ou est -ce que les parents contribueront plus lorsque leur
fils ou leur fille poursuit eux programmes d’études ?
21 Le modèle a été testé sur l’ensemble du groupe de recherche. A cause de valeurs
manquantes, le nombre d’observations est devenu 8764 – 1644 =7120 (81 pour cent de
l’échantillon d’origine). Le modèle a été également testé sur un groupe d’étudiants ayant
terminé leur enseignement pré -universitaire (dans ce modèle, la variable « instruction
préalable » a été enlevée et la variable « note moyenne enseignement pré -universitaire » a été
rajoutée). A cause de valeurs manquantes, le nombre d’observations dans le groupe pré –
universitaire est devenu 6809-1157=5652 (83 pour cent de l’échantillon d’origine). Nous
avons employé un système de suppression par listes afin d’éliminer les valeurs manquantes .
97 Les aspects motivatio nnels jouent également un rôle dans le choix d’un deuxième
programme. Les étudiants qui ont une haute motivation intrinsèque choisissent plus
souvent un deuxième programme d’études, ce qui est conforme à nos attentes.
Néanmoins, les étudiants ayant un nive au élevé de motivation extrinsèque choisissent
moins souvent un deuxième programme d’études, ce qui est contraire à nos attentes .
Un deuxième programme d’études est poursuivi moins fréquemment par les
étudiants qui passent plus de temps sur leur programme principal. Cela constitue une
conséquence logique, puisque les étudiants qui requièrent relativement plus de temps
pour leur premier programme d’études ont moins de temps (et d’énergie) à passer
pour d’autres activités d’étude. Nous avons aussi prévu que les chances de poursuivre
un deuxième programme d’études diminuent avec l’accroissement de la quantité de
temps dédié au travail (rémunéré ou volontaire). Cependant, il résulte que la quantité
de travail rémunéré n’a pas d’effet et que la quantité de trava il volontaire a un effet
positif. La seule explication logique pour cela est que la pratique du travail volontaire
reflète une caractéristique de l’étudiant, comme une forme spéciale de motivation
intrinsèque .
Les résultats des sources de données qualitati ves
Afin de saisir les motivations et les problèmes que connaissent les étudiants lorsqu’ils
poursuivent ou ont l’intention de poursuivre deux programmes d’études, des données
supplémentaires ont été collectées à travers une entrevue téléphonique et un gro upe de
dialogue. Dans le cadre de ce groupe de dialogue on a demandé aux étudiants
poursuivant deux programmes d’études de parler des facteurs qui constituent des
motivations ou des obstacles lorsqu’on suit deux programmes d’études
simultanément .
Afin d’examiner quels sont les facteurs qui représentent des motivations ou des
obstacles lorsque les étudiants poursuivent deux études ou ont l’intention de
poursuivre deux programmes d’études, on a organisé une enquête téléphonique
supplémentaire .22 Trois groupes d’étudiants ont été interrogés, des étudiants qui
voulaient obtenir un deuxième diplôme universitaire (N=84), des étudiants qui
voulaient obtenir un diplôme mais qui ont été considérés comme étant des candidats
de succès afin d’obte nir un deuxième (à cause des notes élevées obtenues dans
l’enseignement secondaire) (N=92), et un groupe d’étudiants ayant un autre diplôme
(N=125). Les motivations identifiées incluent par exemple la motivation intrinsèque
et la sécurité de l’emploi. Les obstacles incluent par exemple les problèmes
organisationnels, les problèmes financiers, les problèmes liés au temps et la difficulté
de combiner deux programmes d’études universitaires .
Les motivations pour poursuivre deux programmes d’études
Le Tableau 3 présente les réponses à l’enquête concernant deux possibles motivations.
On a demandé aux étudiants de noter les éléments sur une échelle allant de 1 (complet
désaccord) à 10 (complet accord ).
22 Le taux de réponse a été d’environ 90 pour cent.
98 Tableau 3: Les motivations pour poursuivre ou vouloir poursu ivre deux programmes d’études
Intérêt vis -à-vis des contenus
éducationnels Perspectives sur le marché du travail
Etudiants
moyenne ( sd) moyenne (sd)
1 programme d’études /
doués (n=92) 8,37 (0,91) 5,43 (2,37)
1 programme d’études/
qualifiés (n=125) 8,46 (1,21) 5,93 (2,09)
2 programmes d’études
(n=84) 8,51 (1,77) 5,02 (2,77)
Source: Les auteurs .
On a demandé aux étudiants qui poursuivent deux études simultanément de préciser à
quel niveau l’intérêt pour le contenu des études joue un rôle dans la décisio n de suivre
un deuxième programme d’études. L’intérêt vis -à-vis du sujet des études est une
motivation importante: les étudiants doubles lui ont accordé la note 8,5. Le fait de
poursuivre un deuxième programme d’études à cause du positionnement plus
favorable sur le marché du travail a obtenu une moyenne de 5. L’intérêt vis -à-vis du
programme d’études (motivation intrinsèque) est une motivation plus importante que
les perspectives sur le marché du travail (motivation extrinsèque).
On a demandé aux étudiant s poursuivant un seul programme d’études d’envisager
les raisons qui ont eu n rôle à jouer lorsqu’il a été question de suivre un deuxième
programme d’études. Leurs notes, à la fois sur l’intérêt et les perspectives sur le
marché du travail, n’ont pas été t rès différentes par rapport aux notes accordées par les
étudiants poursuivant deux programmes d’études .23
Les résultats du groupe de dialogue sont similaires aux résultats de l’enquête. Le
groupe de dialogue a également montré qu’un p ositionnement plus favorable sur le
marché du travail n’a pas été une raison pour la poursuite d’un deuxième programme
d’études. Les étudiants s’accordent fortement sur le fait que l’intérêt est le plus
important argument pour poursuivre un deuxième progra mme d’études. L’intérêt peut
représenter à la fois un élargissement et un approfondissement. Une autre motivation,
qui est largement partagée par les étudiants doubles, est la volonté de passer le temps
de manière utile. Quand d’autres étudiants regardent les programmes de télévision, ou
vont au café, les étudiants doubles aiment acquérir des connaissances supplémentaires
durant les heures du soir. Le groupe de dialogue nous a fait comprendre que les
étudiants doubles passent leur temps libre à étudier. A l eur propre compte, qui est
soutenu par l’analyse quantitative présentée dans le Tableau 2, ils consacrent la même
quantité de temps au travail rémunéré que les étudiants qui poursuivent un seul
programme d’études. L’argent est nécessaire pour payer les fra is quotidiens et le coût
(extra) des études .
Les obstacles pour poursuivre deux programmes d’études
Le Tableau 4 présente les réponses à l’enquête concernant cinq possibles obstacles.
On a demandé aux étudiants de noter les éléments sur une échelle allant de 1 (complet
désaccord) à 10 (complet accord ).
Sur une échelle allant de 1 (complet désaccord ) à 10 (complet accord), les
étudiants qui poursuivent deux programmes d’études considèrent le temps comme
étant un obstacle modéré. Cela n’est pas surprenant, étant donné qu’une partie des
étudiants doubles ont commencé leur deuxième programme d’études puisqu’ils
23 On a employé le test de Scheffé, à un niveau de confiance de 95 pour cent.
99 disposaient de temps libre inutilisé. Il n’est pas surprenant non plus que les étudiants
qui suivent un seul programme d’études considèrent le temps co mme étant un
obstacle plus important. Les étudiants doués et qualifiés ont accordé la note 7,5. Les
obstacles potentiels concernant « la difficulté du deuxième programme
d’enseignement » et « les problèmes pratiques/organisationnels liés à la poursuite
simultanée de deux programmes d’études » ont également reçu des notes plus élevées
de la part des étudiants à un seul programme que de la part des étudiants doubles .
Tableau 4: Les obstacles pour poursuivre ou vouloir poursuivre deux programmes d’études
Etudiants Pratiques./
organisationnels Temps Difficulté Financiers en
général Financiers
concernant le
système de
soutien des
études
moyenne (sd) moyenne (sd) moyenne (sd) moyenne (sd) moyenne (sd)
1 programme d’études /
doués (n=92) 6,21 (2,09) 7,58 (1,95) 6,80 (2,02) 4,67 (2,26) 4,66 (2,35)
1 programme d’études/
qualifiés (n=125) 6,06 (2,31) 7,70 (2,01) 6,51 (2,28) 5,19 (2,56) 5,46 (2,46)
2 programmes
d’études (n=84) 4,92 (2,55) 5,55 (2,76) 4,79 (2,30) 3,96 (2,58) 4,50 (2,68)
Les problèmes financiers et c eux financiers concernant le système de soutien des
études: dub < kwal; pratiques, temps et difficulté: dub < kwal en tal (Scheffé).
Source: Les auteurs .
Dans le groupe de dialogue, les problèmes pratiques/organisationnels sont
mentionnés en tant qu’obsta cles. Le fait de combiner deux programmes d’études en
même temps mène à un programme très chargé. Par exemple, les étudiants doivent
suivre des cours pour un programme d’études durant le jour et des cours pour l’autre
programme d’études le soir (lorsque ce la est possible). La programmation des
examens peut aussi s’avérer problématique. Lorsque deux examens sont programmés
à la même heure, les étudiants doivent s’arranger avec les enseignants ou les
conseillers des étudiants. Certains enseignants et conseill ers sont plus flexibles en ce
qui concerne les arrangements particuliers que d’autres .
En comparaison avec les autres obstacles, les problèmes financiers semblent
avoir un effet relativement modéré sur la décision de poursuivre deux programmes
d’études. I l résulte de l’enquête que la situation financière est en général notée en
dessous de 4 (sur une échelle allant de 1 à 10) par les étudiants doubles. Les étudiants
qualifiés, avec une moyenne de 5,2, accordent une note relativement plus élevée que
les étudiants doubles. La moyenne des étudiants doués, de 4,7, ne diffère pas de
manière significative des autres groupes .24 La même conclusion est valable pour ce
qui est des obstacles financiers concernant le système de soutien des études .25 Les
étudiants qui poursuivent deux programmes d’études accordent une note de 4,5 et les
étudiants qualifiés relativement plus, environ 5,5. Les étudiants doués accordent une
note de 4,7 et ne diffèrent pas de manière significative des autres groupes .
24 On a employé le test de Scheffé, à un niveau de confiance de 95 pour cent. 25 Comme on vient de l’expliquer, le gouvernement hollandais ne soutient l’étudiant que
durant la durée nominale d’un programme d’études dans l’enseignement supérieur. Les
étudiants doivent payer les coûts supplémentaires requis par un deuxième programme
d’études.
100 Les étudiants du groupe de dialogue considèrent le système de soutien financier des
études comme étant un obstacle. La durée des allocations d’étude (de quatre ou cinq
ans, habituellement) suffit tout justement à la finalisation d’un p rogramme d’études.
Les étudiants suggèrent l’introduction de fonds supplémentaires, qui seraient
distribués aux étudiants doubles. Mais, comme ils le font remarquer, il devrait y avoir
des conditions strictes. Les étudiants devraient prouver qu’ils poursui vent
effectivement deux programmes d’études et devraient progresser dans les deux à la
fois.
CONCLUSION
Le facteur fondamental du sexe joue un rôle dans l’explication du choix de poursuivre
un ou plusieurs programmes d’études dans l’enseignement supérieur. Les femmes ont
des chances relativement inférieures de poursuivre plus d’un programme d’études par
rapport aux hommes. L’argument du capital humain présente une certaine validité
dans l’explication du choix de plus d’un programme d’études; le niveau d’ins truction
des parents ainsi que les performances de l’étudiant dans l’enseignement pré –
universitaire et universitaire ont des effets significatifs. L’argument du capital
financier est également applicable, en cela qu’une plus importante contribution
parentale est associée à un accroissement des chances de poursuivre deux programmes
d’études. Les facteurs motivationnels sont aussi importants dans le cadre de la
décision de suivre un ou plusieurs programmes d’études, même s’il s’agit d’une
motivation purement intrinsèque .
Quelles sont les motivations reçues par les étudiants, et quels sont les obstacles
qu’ils rencontrent ? Nous concluons que l’intérêt pour les études (motivation
intrinsèque) est une motivation beaucoup plus puissante que les perspectives sur le
marché du travail: un positionnement plus favorable sur le marché du travail n’est pas
un argument pour poursuivre un deuxième programme d’études. Les étudiants
s’accordent fortement sur le fait que l’intérêt est le plus important pour la poursuite
d’un deuxième programme d’études. Une autre motivation, qui est partagée par les
étudiants doubles, est le désir de passer le temps de manière utile: les étudiants
doubles emploient le temps libre pour étudier, tout en dédiant un temps égal au travail
rémunéré.
Les obstacles tiennent premièrement des aspects organisationnels: le fait de
combiner deux programmes d’études mène à un emploi de temps très surchargé, et la
planification des examens peut aussi devenir problématique. Les établissements
d’enseignement et les enseignants et les conseillers peuvent être plus flexibles à faire
des arrangements individuels pour les étudiants doubles. Les étudiants du groupe de
dialogue considèrent le système de soutien financier des études comme étant un
obstacle. La durée des allocations d’étude (de quatre ou cinq ans, habituellement)
suffit tout justement à la finalisation d’un seul programme d’études. On suggère
l’introduction de fonds supplémentaires, suivant des conditions strictes. Les étudiants
devraient prouver qu’i ls poursuivent effectivement deux programmes d’études et
devraient progresser dans les deux à la fois .
L’organisation des programmes d’enseignement est un des facteurs clés de la
réussite de l’étudiant. Des recherches (par ex. Jansen, 2004; Van den Berg et Hofman,
2004) montrent que les mesures qui affectent le comportement de planification des
étudiants stimulent l’avancement dans les études. La planification de quelques cours
parallèles contribue à un accroissement au niveau de la réussite dans les étud es
(Jansen 2004). Van den Berg et Hofman mettent en évidence que les étudiants ont
tendance à faire moins de progrès dans le cadre de programmes où un plus grand
101 nombre de disciplines sont planifiées durant la même période d’études. Les
programmes où le co ntenu est livré de manière coordonnée sont plus efficaces que les
programmes où un grand nombre de disciplines sont programmées en même temps.
On peut présumer qu’une adaptation de ce type de l’organisation des programmes
peut s’avérer également bénéfique pour les étudiants doubles. Cependant, il faut aussi
reconnaître que l’instruction basée sur des problèmes mènera à un accroissement des
interactions étudiant/enseignant et étudiant/étudiant. Des cours intensifs, comme
l’instruction basée sur des problèmes , peuvent également créer de sérieux problèmes
d’emploi de temps pour les étudiants doubles .
Il est important de souligner que ce qui est appelé ici « l’étudiant doué » n’est pas
identique au soi -disant « étudiant double ». Il y a beaucoup d ’étudiants doués qui
poursuivent un seul programme d’études et qui vont plus en détail que d’autres
étudiants. Cependant, les résultats de cette recherche suggèrent que pour les étudiants
doués qui veulent poursuivre plus d’un programme d’études il est essentiel que les
études universit aires fournissent des programmes d ’enseignement flexibles , offrant
des arrangements alternatifs pour les cours . Les com missions d’examen qui vont au –
delà d’un seul programme d’études pourrai ent avoir aussi un rôle à jouer dans la
coordination de programmes d ’enseignement différents .
Il se peut qu’un problème apparaisse ici au sujet des intérêts conflictuels entre les
étudiants doués et « normaux ». Il peut s’avérer bénéfique pour les étudiants doués si
les universités proposent des progra mmes d’enseignement plus flexibles, avec des
horaires et des examens alternatifs. Néanmoins, différentes recherches sur
l’enseignement supérieur présentent des résultats (par ex. Jansen, 2004; Van den Berg
et Hofman, 2004) où ces programmes d’enseignement flexibles semblent aller main
dans la main avec un accroissement de la concurrence entre les disciplines d’étude ou
les tests. Même si les étudiants doués sont positivement affectés par cette approche,
celle-ci semble nuisible pour l’avancement dans les ét udes des étudiants normaux ou
moins doués. Les universités ont l’opportunité d’offrir des programmes alternatifs à
leurs étudiants hautement doués et motivés. Dans la perspective susmentionnée, il
serait recommandé de les employer de manière optimale . Ils peuvent offrir une plus
grande différenciation au niveau de leurs mastaires, ou introduire des mastaires de
haut niveau ou des programmes d’élite afin de satisfaire les besoins de leurs étudiants.
Une telle approche n’aura pas un effet négatif supplémentai re sur les autres étudiants .
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Comptes -rendus et études bibliographiques
26 Certainement, dans les limites du monde académique, ces deux approches du savoir ont été
historiquement opposées et sont simplement perçues comme des modalités de découverte
concurrentes, et pas coopératives.
104
Access and Exclusion, de Malcolm Tight, éd. (International Perspectives in Higher
Education Research Series, Volume 2). Amsterdam et Boston: JAI (Elsevier
Sciences), 2003, ix-270 pp. ISBN 062309741.
Il s’agit d’une collection plutôt disparate de dix articles écrits principalement par des
chercheurs britanniques et australiens. L’éditeur affirme dans son introduction qu’ils
traitent tous de questions relatives à « l’accès et l’exclusion », mais il n’arrive pas à
convaincre. Cinq des articles concernent l’accès, la participation et l’exclusion des
étudiants dans l’enseignement supérieur au Royaume -Uni en général, en Irlande du
Nord en spécial, en Australie, en Afrique du Sud et dans l’Union Européenne. Tous
ces articles emploient des données issues de recherches afin de présenter des
problèmes relatifs à des initiatives gouvernementales censée développer la
participation et élargir l’accès afin d’inclure des groupes relativement exclus. Un de s
thèmes est l’échec de la tentative d’accroître le taux de participation des jeunes
personnes de la classe ouvrière; un autre consiste en les contradictions entre les
politiques gouvernementales de soutien financier des étudiants et les objectifs
gouvernementaux de participation et d’accès. Les autres articles sont pour la plupart
intéressants, pris à part, mais forment un ensemble mitigé: le nouveau management
public dans les universités britanniques, et le sentiment d’exclusion du processus de
prise de décisions, vécu par un bon nombre d’universitaires; la présentation
sensationnaliste des « tableaux de classement » des universités dans la presse
britannique; les approches alternatives de l’enseignement universitaire en rapport avec
la discipline et la qualité de l’instruction (deux articles); la diversité des appellations
de départements universitaires. Un autre ouvrage académique coûteux qui – malgré la
qualité de certaines de ses contributions – ne comporte pas un but raisonné.
Norman Fairclough
The Human Factor: Revolutionizing the Way People Live with Technology, de Kim
Vicente, New York: Routledge, 2004, iii-352 pp. ISBN 0 -415-97064-4.
The Middle Mind: Why Americans Don’t Think for Themselves , de Curtis White, New
York: Harper San Francisco, 200 3, 205 pp. ISBN 0 -06-052436-7.
Les enseignants, se guidant selon une profonde conviction sur l’importance
et la dignité du progrès de la science, reconnaissent les résponsabilités spéciales
qui leur sont léguées. Leur principale responsabilité à leur éga rd est de chercher
et d’affirmer la vérité comme dès qu’ils le perçoivent. A cette fin, les
enseignants consacrent leurs énergies au développement et à l’amélioration de
leurs compétences académiques. Ils acceptent l’obligation d’exercer de l’auto –
discipline et du jugement dans le processus d’utilisation, d’expansion et de
transmission de savoirs. Ils pratiquent l’honnêteté intelectuelle . (American
association of University Professors, Statement of Professional Ethics, June,
1987).
Certaines des plus grand es découvertes… consistent principalement en
l’élimination d’obstacles psychologiques qui bloquent l’approche de la
réalité; ce qui fait qu’elles paraissent post factum si évidentes.26
105 “Nous sommes libres de dire ce que nous voulo ns dans le climat culturel
répressif actuel, tant que ce que nous disons ne compte pas.
Ce critique croit – surtout dans le cadre de ce numéro de revue dédié à l’éthique de la
profession académique – qu’il est essentiel pour lui d’inviter les lecteurs à « sortir des
chantiers battus » des usuelles politiques d’enseignement supérieur afin de pouvoir
percevoir pertinemment un cadre, un tableau plus étendu, où les discussions entre
spécialistes concernant des questions d’éthique professionnelle relatives aux
enseignants et aux administrateurs puissent être saisies de manière appropriée, à la
fois épistémologiquement et socialement. Les deux ouvrages analysés réussissent
admirablement à accomplir ce but, selon nous, à travers leurs propres visions du
monde, di vergentes mais complémentaires, celle technique et celle littéraire. 39 Même
si chacun des volumes vient d’une « orbite » différente de l’interprétation, les deux
partagent une préoccupation commune pour la récupération et l’expansion de la portée
des action s humaines dans les professions et dans la société à partir des marécages
mitigés de la pensée de groupe et d’une « culture de l’audit » mécaniquement
appliquée, et donc totalitaire.
Dans The Human Factor , le professeur d’ingénierie Kim Vicente emploie un e
définition élargie de la « technologie » pour lancer sa critique réfléchie et complexe
sur les débuts de l’ingénierie humaine, c’est -à-dire « le système par lequel une société
fournit à ses membres des choses qui sont nécessaires ou désirées » (p. 20). E n
analysant des problèmes des systèmes de plus en plus complexes de soins médicaux,
de sécurité de l’aviation, de contrôle de la circulation, etc., il met constamment en
évidence l’influence exercée par des questions « non-techniques » comme les
programmes de travail, les définitions légales de la culpabilité et de la responsabilité,
et ainsi de suite, sur la réussite ou l’échec de toute technologie donnée. En tant que
« anthropologue de la technologie », comme il se décrit soi -même, l’auteur croit être
de son devoir de mettre en évidence les obstacles conceptuels qui apparaissent
lorsqu’on tente de réunir de manière efficace les deux approches philosophiques
d’interprétation de problèmes scientifiques spécifiques – pour ne pas mentionner le
vide encore plus important existant actuellement entre les praticiens des sciences et
ceux des arts dans le domaine de l’enseignement supérieur – de penser de manière
humaniste et mécaniciste. En tant que professeur d’ingénierie, l’auteur s’intéresse
principalement à comb attre les mauvaises conséquences scientifiques et sociales
d’une vision purement mécaniciste de la conception de systèmes (dis)fonctionnels
dans les domaines susmentionnés de l’activité professionnelle gérée, et – à la
différence de beaucoup dans son secte ur – il tient également à nommer et prescrire
des domaines économiques et politiques d’influence qui limitent l’étendue des
activités de re -ingénierie humaine. L’ouvrage devrait intéresser les faiseurs de
politiques d’enseignement supérieur comme une persp ective sur les fondements
éthiques non -inscrits que les universités et les collèges du monde entier se rattachent
de plus en plus, un système massifié où les attributions jadis unifiées de
l’enseignement, de la recherche, du conseil pour les étudiants et d e l’évaluation sont
divisées et transformées en des sphères spécialisées d’activité impliquant un grand
nombre de personnes in situ et au-delà, nécessitant toutes un niveau plus élevé de
coordination – ou de gestion – et de responsabilisation. Il présente le problème
général de la manière suivante:
Partout où on regarde, dans la vie de tous les jours ou dans des systèmes
complexes, on voit des technologies qui dépassent nos pouvoirs humains de contrôle.
Dans les plus simples des cas… les effets quotidiens qu’on subit sont assez mauvais –
106 inefficacité, frustration, aliénation et une incapacité d’accomplir notre potentiel
humain et technologique. Mais lorsqu’on observe des domaines où la sécurité est
critique – l’énergie nucléaire, les soins médicaux, l’aviat ion, la sécurité des aéroports
et l’environnement – les effets des dérapages de la technologie sont encore plus
inquiétants.
Des erreurs dans ces systèmes complexes peuvent conduire à des accidents
industriels onéreux, comme c’est le cas des avions qui s ’écrasent, dont les dégats
valent des millions ou des milliards de dollars, pour ne pas mentionner les pertes
inestimables en vies humaines. Des systèmes complexes incontrôlables peuvent
également conduire à des litiges onéreux, car il y a des individus et des organisations
qui sont fréquemment appelés en justice lorsque les choses vont mal. Dans certains
cas, des erreurs de ces systèmes peuvent mener à des désastres écologiques qui
menacent l’environnement, comme la contamination provoquée non seulement pa r
Chernobyle, mais aussi par l’énorme Exxon Valdez qui a déversé tout son pétrole
devant les côtes de l’Alaska. Ces coûts représentent un immense fardeau posé sur les
épaules de la société. Et dans notre monde relié, des systèmes technologiques
complexes m al conçus mettent en danger l’ensemble des pays, et pas uniquement les
pays développés (pp. 27 -28).
Théoriquement, la meilleure partie de l’ouvrage de Vicente est le deuxième
chapitre (« Pourquoi est -ce la technologie si incontrôlable ? »), où il présente son
« échelle de technologies humaines », qui combine des technologies et des besoins
perçus aux niveaux physique, psychologique, d’équipe (ou de groupe),
organisationnel et politique, et le neuvième chapitre (« Impératifs politiques II: la
défense de l’i ntérêt public »), où il présente les modèles séminaux d’évaluation
dynamique des risques de Jens Rasmussen (qui intègrent des analyses des activités, du
personnel, de la direction, de la compagnie, des régulateurs et des acteurs
gouvernementaux afin de sai sir comment les incidents et les « quasi-échecs »
rapportés arrivent, tout en incluant une analyse des effets des forces psychologiques et
financières sur l’évaluation des risques dans des situations données). Des exemples
tirés de la réalité rajoutent une sensation de véridicité et de solidité à cette étude.
Même si l’enseignement supérieur ne semble pas (à la première vue) être une
entreprise « à haut risque » pour les enseignants et pour les étudiants, il peut trop
facilement y parvenir, surtout dans le contexte du déclin des protections
professionnelles des enseignants, et de l’incertitude de la « valeur d’échange » des
diplômes universitaires des étudiants à la recherche d’un emploi, tout en ayant à
rembourser des prêts pour les études. De cette manièr e, le travail de Vicente constitue
un effort pertinent et admirable digne d’être pris en considération.
Une perspective qui est très différente de celle de Vicente, mais qui comporte
néanmoins un intérêt similaire pour les mœurs et les décisions éthiques dans la société
(et dans l’enseignement supérieur, par conséquent), est présentée dans l’ouvrage du
professeur britannique Curtis White, The Middle Mind . Il s’agit d’une collection
humaniste et littéraire d’essais – qui fait largement appel aux conceptions
107 épistémologiquement radicales souvent oubliées du poète américain du Vingtième
siècle Wallace Steven 40—, qui cherche
A explorer cette pauvreté, notre pauvreté, à travers les médias, le monde
académique et la politique, les trois domaines de la vie publiqu e qui sont les véhicules
des grands antagonistes de l’imagination: le divertissement, l’orthodoxisme, et
l’idéologie. Mais je veux aussi penser, de manière plus positive, à la condition actuelle
de notre esprit religieux et civique, ainsi qu’à quelque chos e que j’appelerai le
sublime, 27 qui nous fait signe de derrière les activités suffocantes, quoique familières,
de divertissement, d’othodoxisme académique et d’idéologie. Le sublime est cette
chose inprécise mais essentielle que S tevens appelait « l’ange nécessaire ». Il a
quelque chose de très simple mais curieusement étranger à nous dire. Il veut nous dire
que le changement est réel et que le monde peut être différent de ce qu’il est (p. 7).
La lecture de ces ouvrages peut offri r un « système de radars » fiable aux
spécialistes en enseignement supérieur qui cherchent à échapper aux exaspérants culs
de sac28 ou « doubles sens » éthiques qui sont souvent posés à travers un « réalisme »
réductionniste par l ’ordre social actuel – comme il est démontré par les forces
pédagogiques conflictuelles reflétées par les devises représentatives citées ci -dessus.
Les deux auteurs peuvent être donc très utiles à mettre en marche une telle libération
« utopique », soit pa r la promotion d’une manière holistique de penser à travers
l’ingénierie humaine (Vicente) soit par le « débranchement » du simulacre de
réflexion médiate offert même à un public d’élite aux Etats -Unis et de plus en plus à
l’étranger (White). Dans un mot, on peut arriver à une nouvelle raison pour la
Nouvelle Année seulement si on ose regarder au -delà des cellules de décision
politique.
Eric Gilder
Women’s Universities and Colleges: An International Handbook , de Francesca B.
Purcell, Robin Matross Helms, et Laura Rumbley. Chestnut Hill: Boston College,
Center for International Higher Education, Lynch School of Education, août 2004,
291 pp.
Le Centre pour l’enseignement supérieur international du Collège de Boston ( Boston
College Center for International H igher Education ) a récemment enrichi sa série de
publications avec le susnommé manuel, qui contient des informations actualisées et
structurées sur des établissements post -secondaires uniquement féminins de
différentes régions du monde.
27Comme l’affirme White, « même si il a été un ag ent d’assurances, Stevens a eu une
vision du réel qui a été radicale du point de vue politique. Il soutient, dans des termes
qui dépeignent notre époque de manière effrayante :
En parlant de la pression de la réalité, je pense à la vie dans un état de
violence, pas physiquement violent, pas encore pour nous aux Etats -Unis, mais
physiquement violent pour des millions de nos amis et pour encore plus de millions de
nos ennemis, et spirituellement violent, on doit le dire, pour tout être vivant. … Tout
possible poète doit être un poète capable de résister ou d’évader à la pression de la
réalité de ce dernier degré, dans l’idée que le degré d’aujourd’hui peut devenir un
degré plus meurtrier demain (p.4). 28 En francais dans le texte.
108 L’ouvrage offre au lecteur une revue des établissements d’enseignement importants,
en principal d’Asie (76 établissements de 6 pays) et d’Amérique du Nord (44
établissements américains et 1 canadien). Le Moyen Orient est représenté par trois
établissements, l’Europe par deux établissements (un de Norvège et l’autre
d’Ukraine), et l’Afrique par un autre. Certains des raisons citées par les chercheurs de
l’étendue limitée de la revue incluent un taux de réponse aux questionnaires
relativement faible, le relatif manque de motiva tions pour les participants aux projet,
les contraintes de temps, la pénurie d’informations nationales disponibles sur le sujet,
et un manque de réaction – y inclus, de manière surprenante, de la part de pays qui
accordent de l’importance à l’enseignement supérieur pour les femmes.
Cette publication n’est pas (et n’est pas censée être) une compilation exhaustive
des universités et des collèges pour les femmes. Comme il est mentionné dans
l’introduction, il y a des régions où la séparation de l’enseignement pour les femmes
et pour les hommes demeure stipulée dans la loi; de l’autre côté, il y a l’exemple des
Etats-Unis, qui continuent à occuper la première place en ce qui concerne le nombre
d’établissements centrés sur les femmes, même s’ils enregistrent un déclin visible.
Dans d’autres parts du monde, comme en Amérique latine, en Australasie ou en
Europe, la ségrégation par sexe dans l’enseignement ne constitue ni une tradition ni
une option politique du fait de l’existence d’impératifs stricts d’égalité des sexes. De
cette manière, même si on peut identifier beaucoup de programmes d’études sur les
femmes et d’études de genre, il n’y a que peu d’établissements d’enseignement pour
les femmes.
Tout en sachant l’impossibilité de résumer la gamme étendue des init iatives de ce
type, il est regrettable que des milieux d’enseignement virtuel conçus afin d’assurer la
formation des femmes, comme l’Université virtuelle internationale pour les femmes
(VIFU) d’Allemagne, n’ont pas été inclus dans cette investigation; ceux -ci auraient pu
compléter et enrichir la perspective internationale de la publication. Néanmoins, les
lecteurs qui cherchent ces types d’établissements peuvent y trouver des informations
institutionnelles utiles, comme la mission de chaque établissement, l es frais d’études,
le type de financement, les types de diplômes offerts, des données démographiques et
concernant les intérêts des étudiants, etc.
Les chercheurs et les créateurs de politiques dans le domaine de l’enseignement
peuvent trouver ici des info rmations supplémentaires, comme les domaines d’étude
les plus populaires, le taux de diplômés qui obtiennent un emploi dans l’année suivant
la fin des études, et les domaines de spécialisation habituels. Ces données peuvent
s’avérer utiles dans des analyse s qualitatives ou comparatives sur des thématiques
comme l’évolution des choix de programmes d’études, les objectifs à long terme de
l’enseignement pour les femmes ou même l’avenir institutionnel des universités pour
les femmes.
Les ouvrages comme celui -ci confirment le fait que les universités pour les
femmes ont effectivement une « réelle histoire » et une tradition dans beaucoup de
pays du monde entier; ont -elles aussi un avenir ? Est-ce que la place des femmes s’est
déplacée de la périphérie vers le no yau du questionnement éducationnel et
intellectuel, et est -ce que cela implique un renforcement du besoin de séparation,
d’intégration, ou des deux à la fois ? La réponse ne peut pas être globale ou nette, elle
doit être prise dans son contexte. D’une pers pective européenne, la tendance peut
s’axer plus sur la coordination de groupes et de problématiques sociaux; d’une
perspective internationale ou de l’UNESCO, la tendance peut s’axer sur l’intégration.
D’un point de vue féministe, je soutiens personnelleme nt que les collèges et les
109 universités pour les femmes devraient être préservés lorsqu’ils sont de haute qualité
académique.
Au-delà de ces points de référence, ces efforts de collecter, systématiser et
dispenser des informations et des conseils sur ce su jet demeurent très pertinents et
utiles.
Laura Grünberg
Consortia: International Networking Alliances of Universities , de David Teather, éd .
Carlton [Victoria, Australia]: Melbourne University Press, 2004, x -261 pp. ISBN 0 –
522 85096 -0
L’ouvrage comporte treize chapitres écrits par des auteurs qualifiés dans le domaine
des réseaux internationaux d’universités. Huit documents annexés dénombrent de
manière chronologique les membres de différentes alliances et réseaux analysés dans
le volume. L’introduction, écrite par l’éditeur, pose les questions suivantes:
« Pourquoi est -ce qu’autant d’universités ont essayé de créer ou de se joindre à des
réseaux institutionnels internationaux ? Jusqu’à quel point justifient les réseaux de
succès les prétentions émises par leurs initiateurs ? » et promet: « Cet ouvrage tente de
répondre à ce genre de questions en étudiant des réseaux sélectionnés, et à travers des
études de cas de programmes et de projets spécifiques effectués par ces réseaux » (p.
2). Le livre est fait de paires de chapitres qui expliquent d’abord le but d’un réseau ou
d’une alliance spécifique, pour enchaîner avec le deuxième chapitre, qui présente les
projets du réseau ou de l’alliance. Même s’il y a de nombreux exemples de
déclarations des objectifs et d e compilations des bénéfices offerts par la participation
à ces réseaux, le langage est plutôt nébuleux. Un des premiers chapitres de de Wit
fournit une longue liste de choses à faire et à ne pas faire lorsqu’on met en œuvre un
réseau, mais les explication s sont vagues et pas aussi pratiques qu’elles devraient être.
Une des affirmations faites par de Wit au sujet de ces alliances serait plus crédible
si elle serait accompagnée par une présentation des étapes à suivre afin de la mettre en
oeuvre:
Les parte nariats stratégiques dans la recherche, l’enseignement et le
transfert de savoirs – entre universités, entre universités et entreprises et
au-delà des frontières étatiques – seront l’avenir de l’enseignement
supérieur, afin de gérer les défis posés par la mondialisation (p. 48).
De Wit fait également une distinction entre l’internationalisation et la
mondialisation, que la plupart des auteurs emploient de manière interchangeable:
« L’internationalisation peut être vue comme une réponse de l’enseignement s upérieur
à la mondialisation de nos sociétés » (p. 30).
Les différents consortiums présentés dans les paires de chapitres de l’ouvrage
incluent l’Association des universités du Commonwealth, l’Association européenne
des universités d’enseignement à distan ce (EADTU), le Consortium reliant les
universités de science et technologie pour l’enseignement et la recherche ( Consortium
Linking Universities of Science and Technology for Education and Research –
CLUSTER), l’Institut David C. Lam pour les études Est -Ouest (LEWI), Universitas
21, le Réseau des universités des capitales d’Europe (UNICA), et la Ligue des
universités du monde ( League of World Universities – LWU). La plupart de ces
consortiums incluent des universités d’Europe, d’Asie et d’Australie, mais il y a aussi
certaines universités américaines.
110 es atouts: L’ouvrage présente des informations historiques complexes et précieuses
sous la forme d’études de cas sur le développement et l’activité des dits consortiums.
Il y a des documents importants concern ant ces consortiums et leurs
accomplissements. Les auteurs qui ont écrit au sujet de ces groupes sont bine informés
et sont pour la plupart des anciens membres des réseaux sur lesquels ils écrivent. Les
annexes fournissent des listes complètes et compréhen sibles des réseaux analysés. On
y retrouve une bibliographie étendue et un index utile.
Les faiblesses: Même si l’ouvrage offre une vue d’ensemble des réalités vécues
par ces consortiums, il n’offre pas au lecteur un chapitre sur les méthodes
d’applicatio n des informations. En tant qu’éducatrice pragmatique, j’aime que la
théorie soit accompagnée par des pas concrets de mise en œuvre effective des
informations. L’addition d’un tel chapitre ou d’une telle annexe rendrait l’ouvrage
plus utile aux responsable s de programmes d’administration de l’enseignement
supérieur et aux membres des corps intermédiaires de direction d’universités
européennes et est -européennes, ainsi qu’à ceux d’universités américaines. En tant
que tel, l’ouvrage sert uniquement de registr e historique de ceux qui ont été
personnellement impliqués dans les projets.
Quelques exemples d’agendas des réunions, de plans de travail pour les projets,
de budgets pour les voyages, et/ou de notes issues de réunions de prise de décisions
rendraient l’ ouvrage encore plus utile. Il n’est cité aucun de ces exemples, ce qui fait
que les projets présentés semblent encore plus irréalisables à ceux qui n’en ont pas
pris part.
En tant qu’éducatrice féministe, j’ai dû également constater le manque d’auteurs
femmes dans cet ouvrage. Puisque les chapitres ne citent que très rarement, si jamais,
les noms des personnes impliquées, le lecteur peut se poser la question si des femmes
y ont réellement participé. Lorsqu’on parle d’internationalisation et de mondialisati on
on devrait mentionner que les femmes demeurent majoritaires dans la population
mondiale et deviennent de plus en plus majoritaires dans un grand nombre
d’établissements d’enseignement supérieur, ce qui fait de celles -ci les personnes les
plus affectées par tout possible effort de lancement de la pensée globale au -delà des
frontières internationales. Le manque d’expériences ou de contributions féminines à
cette discussion donne à l’ouvrage des perspectives limitées, pour le moins.
Les possibles usages: L’ouvrage milite fortement en faveur de la nécessité de
consortiums d’universités et d’entreprises au -delà des frontières internationales et peut
être un excellent instrument pour tous ceux qui tentent de convaincre leurs universités
à joindre un de ces con sortiums. L’ouvrage peut aussi servir au mieux en tant que
registre historique de la participation et des accomplissements de ceux qui ont investi
dans les consortiums mentionnés.
Les questions restées sans réponse: L’ouvrage respecte la promesse faite da ns
l’introduction de répondre à deux questions spécifiques, mais les questions qui
demeurent dans la tête du lecteurs sont: Par quoi dois -je commencer ? Quelle
personne de l’université doit entamer la mise en ouvre d’une telle entreprise ? Qui
dois-je contacter premièrement pour y participer ?
Laura L. Savage
111 Notes sur les auteurs
VAN DEN BERG, Muriël, Chercheur
Adresse: Institut de recherche en politiques sociales (RISBO), Université
Erasmus de Rotterdam , Burgemeester Oudlaan 50, Postbus 1738 , NL-3000 DR
Rotterdam , Pays-Bas. Tél.: +31 10 408 2124 ; Fax: +31 10 4529 734 .
FAIRCLOUGH , Norman, Professeur de langage dans la vie sociale, LAMEL
Adresse: Lancaster University, Lancaster LA1 4YT, Royaume -Uni.
GILDER, Eric, Professeur Dr. et boursier C. Peter Mag rath
Adresse: Faculté de lettres et d’art, Université Lucian Blaga de Sibiu, Bd.
Victoriei 5 -7, RO-550024 Sibiu, Roumanie. Tél.: +40 269 215 556/ext.188; Fax:
+40 269 217 887; e-mail: eric.gilder@ulbsibiu.ro
GOULD, Eric, Professeur
Adresse: University of Denver, Sturm Hall 485, Race and Asbury Streets , Denver
CO 80208 , Etats-Unis. Tél.: +1 303 871 4571 ; Fax: +1 303 316 7387 ;
e-mail: egould@du.edu
GRÜNBERG , Laura, Dr., Assistante de programmes
Adresse: Centre européen de l’UNESCO pour l’enseignement supé rieur
(UNESCO -CEPES), Str. Stirbei Voda nr. 39, RO -010102 Bucarest, Roumanie.
Tél.: +40 21 313 0839; Fax: +40 269 217 887; e -mail: laura@cepes.ro
HECHICHE , Abdelwahab, Professeur
Adresse: University of South Florida , SOC 107, 4202 E. Fowler Avenue , Tampa
FL 33620 -8100, Etats-Unis. Tél.: +1 813 974 2249 ; Fax: +1 813 974 4345 ;
e-mail: ahechich@chuma1.cas.usf.edu
HOFMAN , Adriaan W. H., Professeur , Directeur de recherche , Institut de recherche
en politiques sociales (RISBO)
Adresse: Université Erasmus de Rott erdam, Burgemeester Oudlaan 50, Postbus
1738, NL-3000 DR Rotterdam , Pays-Bas. Tél.: +31 10 408 2124 ; Fax: +31 10
4529 734;
e-mail: hofman@risbo.eur.nl
KOHLER , Jürgen, Professeur , Directeur , Droit civil et procédure civile
Adresse: Université de Greifswal d, Domstrasse 20 , D-17487 Greifswald ,
Allemagne.
Tél.: +49 383 486 2128 ; Fax: +49 383 486 2113 ; e-mail:kohler@uni greifswald.de
MANIERE , Roger
Adresse: Bureau pour l’Europe Centrale et de l’Est , Agence universitaire de la
Francophonie (AUF) , 1, Schitul Magureanu St. , RO-050025 Bucarest , Roumanie .
Tél.: +40 21 312 12 76 ; Fax: +40 21 312 16 66 ;
e-mail:roger.maniere@auf -francophonie.org
MARGA, Andrei, Professor , Président du Conseil académique
112 Adresse: Université Babes-Bolyai, Str. Kogalniceanu Mihail n r. 1-2, RO-400084
Cluj-Napoca, Roumanie . Tél.: +40 64 405 390/5937 ; Fax: +40 64 191 906 ;
e-mail: am@staff.ubbcluj.ro
MAYOR, Federico, Professeur , Président, Fondation Culture de la Paix
Adresse: Universidad Autonoma de Madrid , c/Velázquez 14 -3, E-28001 Ma drid,
Espagne. Tél.: +34 91 426 1555 ; Fax: +34 91 431 6387 ;
e-mail: f.mayor@inves.es; info@fund_culturadepaz.org
RATAJCZAK , Henryk, Professeur , Membre de l’Académie polonaise des sciences
(PAN); Vice -président, Académie européenne des sciences, des arts et des lettres –
Academia europensis (EAASH)
Adresse: Faculté de chimie, Université de Wroclaw , 14, F. Joliot -Curie, 50-383
Wroclaw, Pologne . Tél.: +33 1 5690 1834 ; Fax: +33 1 4755 4697 ;
e-mail: akademia@club -internat.fr
SADLAK , Jan, Dr., Directeur
Adresse: Centre européen de l’UNESCO pour l’enseignement supérieur
(UNESCO -CEPES), Str. Stirbei Voda nr. 39 , RO-010102 Bucarest , Roumanie .
Tél.: +40 21 313 0698 ; Fax: +401 312 3567 ; e-mail: cepes@cepes.ro
SAVAGE , Laura L., EdD, Professeur
Adresse: Cooperative S tudies, Inc. , P.O. Box 12830 , Overland Park, KS 66282 –
2830, Etats-Unis. E-mail: laurasavage@msn.com
SCOTT, Peter, Professeur , Vice-chancelier
Adresse: Kingston University , River House, 53 -57 High Street , Kingston upon
Thames, Surrey KT2 7PW , Royaume -Uni. Tél.: +44 208 547 7001 ; Fax: +44 208
547 7009; e-mail: p.scott@kingston.ac.uk
SZOSTEK , Andrzej, Professeur
Adresse: Catholic Université de Lublin , Al. Raclawickie 14 , PL 20-960 Lublin ,
Pologne. Tél.: +48 81 445 4120 ; Fax: +48 81 445 4123 ;
e-mail: arszost@kul.lublin.pl
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Acest articol: Réflexions thématiques sur l’enseignement supérieur Vol. XXIX, No. 4 2004 4 L’Enseignement Supérieur en Eur ope Volume XXIX Numéro 4 2004 TABLE DES… [609519] (ID: 609519)
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