Processus et logique dinnovation dans lorganisation publique : [627987]
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Processus et logique d’innovation dans l’organisation publique :
une ambigüité permanent e entre préservation de l’ordre et
l’ambition du progrès
Hicham SADOK
Enseignant C hercheur en Economie et Gestion
Université Mohamed V Rabat – FSJES Souissi
Courriel: [anonimizat]
Résumé
La gestion des organisations publiques ne consiste plus à assurer rationnellement l’exécution
systématique des tâches et opérations au nom du service public rendu. Cette conception du
management de ces entités fossilisées est plus évanescente que rationnel le. Elle est absente de la
logique de gestion comme ambition , comme idéal , mais bien comme activité et forme figée, durable et
contraignante. Elle n’est donc jamais parfaitement adaptée aux évolutions des ardeurs, idées et
pratiques sociales. Elle ne les suit qu’avec difficulté et retard. C’est ainsi que la question de l’analyse
des transformations de ces organisations en s’appuyant sur la notion d’innovation s’impose pour faire
face à la sclérose qui les guette . En effet, pour faire face à la métamorphose dans la logique et la
philosophe de gestion des organisation s publiques , ce n’est pas d’informations dont le m anager
manque le plus pour décider et s’adapte r mais de capacité d’attention pour circonscrire l’incertitude,
maîtriser partiellement l’instabilité et se hisser à une vision globale du monde et de ses changements.
S’opposant à l a routine et à l’ordre établi, l’innovation semble bénéficier d’un jugement de valeur
positif pour apporter un salut au point que les acteurs en parle nt et s’en approprie nt l’usage car elle
représente le meilleur moyen que les hommes ont trouvé pour traiter au mieux les con traintes qui sont
les leurs. Mais l’innovation peut être également perçue dans l’organisation publique comme négative,
douloureuse ou catastrophique. On parle de destruction des structures existantes, de fin d’un système,
d’un monde et plus récemment de « dégâts collatéraux du progrès ».
Le présent papier analyse le cheminement de l’innovation dans l’organisation publique, ainsi que
l’articulation de ses deux registres qui constituent, autant l’un que l’autre le quotidien du décideur
agissant. L’organisation est conçue alors comme une trajectoire où les séquences d’incitation à
l’innovation, son appropriation et son institutionnalisation sont censées se répéter régulièrement . Ce
flux devient la contrainte majeure pour le décideur afin que la réu ssite du passage entre deux états
devienne la situation normale d’une organisation publique en mouvement.
Mots clés : Organisation publique , innovation , processus créateurs.
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Introduction
Dans l a gestion moderne d es entreprises publiques, les institutions universitaires, les hôpitaux
ou les administrations, la problématique de l’ innovation a en effet remplacé celle de
l’organisation : ce qui caractérise la réussite de leur activité professionnelle est dorénavant
bien plus la capacité à trouver des solutions novatrices à une multitude de problèmes qu’à
appliquer des règles, textes ou mode s opératoires qui ne traitent plu s réellement de ces
problèmes. Et si l’on parvient aujourd’hui à pérenniser le fonctionnement de ces organisations
et éviter le chaos déterministe1, c’est mille fois grâce à l’association et la diffusion de cette
constellation de petite initiative que grâce à des décisions rares, fortes, et prises par des élites.
Mais pour bien comprendre le processus d’innovation dans l’organisation publique , il faut
accepter de considérer l’ambiguïté radicale de ces situations : si les règles sont inefficaces,
elles sont légitimement transgressées par les pratiques innovantes ; mais ce sont ces mêmes
règles qui sanctionnent l’activité des innovateurs dans le public sous prétexte du désordre et
divagation.
Innover représente ainsi toujours une prise de risque, une forme de déviance au quotidien. De
même ce ne sont pas les élites qui peuvent décréter l’innovation dans le public puisque c elle-
ci représente toujours l’usage inattendu, la perversion ou l’appropriation d’ une nouveauté.
Mais les élites savent aussi tirer parti des innovateurs du quotidien, en transformant en lois
leurs suggestions et pratiques innovantes et en les institution nalisant quand ils le peuvent.
Plus encore, dans cet espèce de tumulte, ou d’anomie organisationnelle, certaines règles, les
form es sociales, comme l’exprime si bien Georg Simmel (1 995), représentent les repères
encore stables que les acteurs chérissent e n tant que tels, indépendamment de leur
fonctionnalité. Ce qui leur donne légitimité et attractivité est ce caractère désuet . On souffre
en effet bien plus dans les organisa tions publiques contemporaines de l’insuffisance de règles
qui font sens que d’un surcroît de règles effectives. L’absurde, le malaise ou le stress sont
1 Selon Dahan Dalmedico. A, Chabert. J -L, Chemla. K (Dir), Chaos et déterminisme, Seuil, Collection Points
Sciences, Paris, 1992 , la théorie du chaos est une théorie mathématique des systèmes complexes qui nous
apprend que les systèmes « naturels » sont in stables, que même la connaissance parfaite de leurs lois de
comportement ne permet pas de prédire leur évolution, et ceci à cause d’une propriété rédhibitoire qui est « la
sensibilité aux conditions initiales ». Une variation infime d’un paramètre du systè me peut amener un
bouleversement profond dan s son état d’équilibre. C’est ce qu’on illustre souvent par la métaphore du
« battement d’aile de papillon » : un papillon bat de l’aile dans l’hémisphère sud, et ceci déclenche une tempête
dans l’hémisphère nord. Les systèmes économiques suivent de tels sc hémas, du fait de leur complexité
croissante .
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ainsi bien plus liés à l’incertitude du fonctionnement et du résultat qu’à la certitude de la
sanction.
Ces deux faces de l’innovatio n œuvrent de manière constante et simultanée dans bon nombre
d’organisation publique . Celle -ci doit être analysée selon la logique de l’innovation
empruntée à l’entreprise privée, autant que selon celle de la pérennité et la stabilité propre à la
continuit é routinière de l’Etat. Cet article le fait. Il considère l’innovation comme un acte
souvent nécessaire, mais ni rationnel ni pa cifique. Les travaux de Simmel (1995) et ceux de
Mauss (1968) représentent ainsi explicitement la trame théorique de ce papier.
La première perspective développée dans cet article montre que l’innovation dans
l’organisation publique a peu de choses à voir avec la question du changement, le passage
d’un état à un autre. Elle représ ente une trajectoire incertaine dans laquelle cohabitent la force
des croyances et la recherche de sens, incitant simultanément à la mobilisation et/ou au
désengagement.
La seconde perspective met en évidence l’innovation dans l’organisation publique comme un
processus non synchronique , charriant pêle -mêle les traditions, les résistances et les
représentations fossilisées. Ni les règles formelles, ni les arrangements informels, ni les
négociations institutionnelles ne parviennent à assurer la régulation de manière stable sauf si
elles r éussissent à s’enracine r comme dogmes organisationnelles ce qui représente un défi et
un grand chalenge pour la culture de l’innovation .
I/ La trajectoire de l’ innovation
L’innovation est toujours un apprentissage collectif dans lequel personne ne peut à l’avance
savoir s’il a ou aura raison. Car cette dernière est toujours une histoire, celle d’un processus. Il
permet de transformer une découverte, qu’elle concerne une tec hnique, un produit ou une
conception des rapports sociaux, en des nouvelles pratiques.
Mais ce processus n’est pas mécanique, toute découverte ne se transforme pas toujours en
innovation. Une découverte peut fort bien demeurer à l’état d’invention. L’anal yse de
l’innovation dans l’organisation publique consiste alors à comprendre ce qui permet de passer
d’un état à un autre. Elle s’attache à identifier les étapes de ce passage, étapes caractérisant
l’histoire de l’action des innovateurs et leurs opposants. Ces innovateurs dans le public ne
sont pas des entrepreneurs ou des chercheurs, mais des acteurs disposant d’une capacité à
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transformer l’ordre des choses. Ils sont souvent atypiques, dissidents ou critiques, avant d’être
rattrapé par la moule et parfois absorbés par les normes qu’ils contestent.
L’innovation n’a ainsi rien d’une action rationnelle, économiquement fondée et pacifique, elle
correspond au contraire à une trajectoire brisée, mouvementée, dans laquelle se rencontrent
intérêts, croyances et co mportements passionnels.
1-1 Le passage de l’invention à l’innovation
Comme le souligne Alter (2000), l e langage courant, mais parfois aussi celui des sciences et
techniques, utilisent indistinctement le terme d’invention ou celui d’innovation pour se référer
à un service, situation ou objet nouveau, caractérisés par la rupture qu’ils représentent par
rapport à l’état antérieur. Généralement cette rupture est considérée comme « bonne ». Dans
le cas inverse, lorsque la nouve auté est conçue comme « mauvaise », les termes de
changement, de mutation, d’évolution sont associés une lecture critique du phénomène.
Les travaux de Schumpeter (1912 ) qui représentent la trame fondatrice de la réflexion portant
sur l’innovation, permett ent de dépasser ces jugements de valeur et de distinguer l’invention
de l’innovation.
Selon l’auteur, l’invention représente la conception de s nouveautés d’ordres différents : biens,
services, modes, méthodes, débouchés, structures ou technologies. Pour c e début de
millénaire, on peut ainsi définir les nouvelles formes d’organisation publique en réseau ou
virtuelle, l’utilisation de la technologie d’information et de communication, (désormais TIC),
comme nouvelles méthodes de fonctionnement à distance perm ettant de livrer un service
instantané et « juste à temps » ; les organigrammes plus en « râteau » et moins pyramidaux,
sensés faciliter la circulation de l’information et la coopération.
L’innovation représente la mise en application et/ou l’intégration dans un milieu social de ces
inventions . Elle constitue l’articulation entre deux univers celui de la découverte qui se
caractérise par une certaine indépendance vis -à-vis des contraintes externes, et celui de la
logique d’usage et d’application qui représ ente le moyen de tirer profit des inventions .
L’inventeur ou le concepteur d’un objet ou d’une organisation peuvent être des génies dénués
de sens pratique, mais pas l’innovateur qui se charge de trouver le bon usage à ces
découvertes. Dans l’organisation publique, cette articulation est souvent lente, semée
d’embûches et parfois erratique.
Ainsi le TIC est longtemps resté à l’état d’invention pour l’organisation publique et le
demeure encore partiellement. De même, beaucoup de nouvelles formes d’organisat ions
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restent des vœux pieux, ou tes tentatives vaines (Projet E – gov pour la numérisation de
l’administration). L’invention n’est donc pas assimilable à l’innovation. La première n’est
jamais mécaniquement suivie de la seconde.
Les historiens et sociologu es nous renseignent avec précision sur la difficulté représentée par
le passage de l’invention à l’innovation en insistant sur le rapport étroit qui existe entre les
caractéristiques sociologiques du terrain d’accueil et la plus au moins grande diffusion q ui en
résulte. Les analyses fournies par White ( 1969 ) à propos du développement de la charr ue à
roue au Moyen Age en donnent un exemple : tout le monde a intérêt à l’utiliser, mais tout le
monde ne l’utilise pas. White explique que les structures sociales et de production doivent en
effet intégrer cet équipement, et elles ne le veulent ou ne le permettent pas toujours « pour
être employée de manière efficace, la charrue exigeait des champs ouverts, et pour les créer,
il fallut abolir tous les droits anciens de propriété sur les terrains ou des parcelles données »
(1969 , p 66).
Bloch (1935) dans sa réflexion sur l’histoire des techn iques met en lumière des phénomènes
comparables. Il rappelle l’histoire de cet artisan qui propose au prince une machine permett ant
de transporter, avec peu de main d’œuvre, les colonnes destinés à la construction des temples.
Ce dernier récompense l’inventeur mais refuse d’utiliser l’invention pour préserver l’ordre
sociale ; « Qu’on me permette de donner à manger au petit peuple ».
Cette description met en évidence qu’une invention ne se diffuse que si son utilité est
pleinement démontrée du point de vue de la conception d’un ordre social donnée.
On serait tenté de transposer cette situation à l’organisation publique en quête d u progrès et de
modernisation par l’adoption de la numérisation et l’appropriation décente et convenante de la
TIC pour répondre juste à temps aux revendications et demandes des usagers, projet tant
souhaité mais qui peine à émerger, et que seuls les dimensions de la volonté et l’acquisition
des programmes et systèmes TIC ne sont les seuls à expliquer la lenteur de la diffusion de ces
innovations dans l’organisation publique. Le fait de disposer d’une latitude bureaucratique
importante po ur certains « seigneurs » est une marque de puissance et un moyen de maintenir
la place des uns et des autres dans la division sociale du travail. Les dimensions symboliques
et politiques ne sont pas absentes dans l’explication de ce processus d’innovation dans
l’organisation publique.
Autres innovations organisationnelles peuvent connaître un sort comparable . Elles obéissent
aux mêmes contraintes d’intégration du TIC. Ainsi, aujourd’hui le télétravail et le travail à
domicile pour certains types de métiers (comptable, informaticien, saisie des données,…etc)
se développe bien plus lentement, voire pas du tout, que ne le prévoyaient l’ensemble des
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vues prospectives élaborés antérieurement. De même, Fried mann (1956) identifiait les bases
et les bonnes raisons du développement d’organisations non strictement tayloriennes dès
l’après -guerre, mais il a fallu attendre le début de ce siècle pour voir poindre l’organisation
virtuelle ou ce qu’on appelle « Clic and Mortar » par opposition aux organisations anciennes
constituées par les briques et le mortier .
Que ce soit donc pour des organisations publiques ou privées, il apparaît clairement une
différence de fond entre l’invention et l’innovation. La première a pour but de traiter une
question de manière abstraite, indépendamment de son contexte. La seconde représente le
processus pa r lequel un corps social s’empare ou ne s’empare pas de l’invention en question.
Invention et innovation sont de fait très largement dissociés, et sur au moins quatre plans :
a) L’une et l’autre n’obéissent pas à la même temporalité. L’invention représente un moment
que l’on peut distinguer, nommé . Il s’agit d’un événement circonscrit dans le temps,
même si des développements ultérieurs interviennent. L’innovation est au contraire un
processus qui ne peut être analysé autrement que comme tel : le corps soc ial ne s’empare
jamais de l’invention qui lui est proposée ou à laquelle on tente de le soumettre même si
les lois et les règles les contraignent. C’est un état de tension permanente entre les
possibilités que représentent l’invention et les choix collecti fs d’habitude.
b) L’invention est généralement considérée comme « bien ». Elle traduit un progrès dans le
rapport aux contraintes naturelles, aux modalités de vie en commun, à l’efficacité de tel ou
tel type d’action. L’innovation, quant à elle, représente la façon dont les hommes
affectent un sens à ce « bien ». Ils réalisent un tri dans ce qui leur est proposé, ce tri étant
réalisé selon des critères qui varient en fonction de leurs situations. Dans tous les cas, ils
ne s’emparent jamais totalement de la proposition du meilleur monde qui leur est faite.
Dans certains cas, ils y renoncent même totalement. L’exemple d’implémentation
d’APOGEE dans les établissements universitaires Marocains en est un cas illustratif. 25
ans après son développement, il n’est pas encore adopté par la totalité des établissements
et ceux qui s’en servent n’exploi tent que la structure gestion des inscriptions et dossiers
des étudiants, alors que le logiciel est conçu pour la gestion des planning et emplois du
temps, des inscriptions administratives, inscriptions pédagogiques (rattachement à un
diplôme, une année, à un ensemble de modules), des examens (planning, relevé de notes),
pour l’aide aux jurys de semestre et d'année (aide à la délibération) , stages et conventions
et à la production des diplômes (procès -verbaux, annexe au diplôme, etc.).
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c) Il n’existe pas de re lation directe entre la qualité intrinsèque d’une invention et
l’importance de sa diffusion comme innovation. Ce qui permet l’innovation dans
l’organisation publique n’est pas le potentiel abstrait représenté par la nouveauté mais la
possibilité de lui aff ecter un usage compte tenu du système social dans lequel elle
intervient.
d) L’invention se rapporte généralement dans ses fondements à des lois économiques
d’efficacité et d’efficience. Pour des raisons de toutes sortes : intérêts contradictoires,
pouvoir, asymétrie d’informations, division des tâches, modes de vies établis et statuts
sociaux contraignants, l’innovation dans les organisations publiques refuse d’obéir à ces
mêmes lois économiques simples qui l’ont engendrée s.
L’innovation consiste bien, comme l’indique Schumpeter (1912), à élaborer de nouvelles
combinaisons entre les différentes ressources de l’organisation et leur rapport au marché ou à
l’usage social. Mais cette élaboration ne se réalise ni facilement, n i mécaniquement.
1-2 Les séquences de l’innovation
Le processus de développement de l’innovation fait toujours l’objet de séquences, de
situations qui représentent des moments distincts.
Schumpeter (1912) parfaitement représenté ce processus. Dans un premier temps, explique -t-
il, le passage des combinaisons routinières aux combinaisons à risque est le fait de quelques
individus marginaux du point de vue de la norme et de l’ordre en place. Dans un deuxième
temps, lorsque des possibilités de résultat d eviennent évidentes, des essaims d’imitateurs
reproduisent et aménagent les innovations, créent des grappes d’innovations secondaires à
partir de celles qui ont été élaborées initialement. Cette phase dans l’organisation publique est
caractérisée par sa vi olence. Elle bouleverse les équilibres et les méthodes. Dans un troisième
temps, la stabilisation de la situation se caractérise par la définition progressive de nouvelles
règles et par la réduction de la poussée innovatrice. D’une manière ou d’une autre, les
différents travaux portant sur la diffusion de l’innovation retrouvent les éléments de ce cadre
d’analyse (Becker , 1985)
Dans un article fondateur, Callon (1986) distingue cinq étapes de diffusion de l’innovation
largement reprises dans les travaux ultérieurs. Appliquées à l’organisation publique on peut
envisager les séquences d’appropriation de l’innovation par l’organisation publique comme
suit :
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a) La prob lématisation : elle consiste pour les promoteurs de l’innovation à rendre l’offre et
la suggestion indispensable pour l’ ensemble des ac teurs , c’est la phase de l’incitation ;
b) La seconde est celle de l’intéressement : elle représente la période durant laquelle les
positions commencent à évoluer pour s’intéresser au dispositif mis en œuvre sans
engagement clair ni désapprobation explicite, c’est la phase de la vulgarisation ;
c) Dans un troisième temps, des alliances se créent, des acteurs enrôlent d’autres dans
l’adoption de l’outil, l’idée ou le concept, c’est la phase de l’ institutionnalisation ;
d) Au cours de la quatrième étape, l a perception des portes paroles se désintègrent et n e font
plus bloc avec le groupe dont ils sont l’émanation, c’est la phase de décomposition ;
e) Dans un dernier temps, la controverse autour de l’innovation, bienfaits et méfaits surgit et
fond débat. Cette phase matérialise la dissidence, origine d’une autre invention qui
donnera à son tour naissance à d’autres innovations
L’exemple du développement du TIC dans l’organisation publique correspond à l’un des cinq
séquences ci -dessus, progressivement à l’état d’avancement de chaque société. Dans un
premier temps, celui de l’incitation, la TIC est intégrée dans l’organisation comme
saupoudrage technologique : il n’existe pas de projets d’ensemble cohérent et les réactions des
utilisateurs sont plutôt de l’ordre de la résistance au changement. Les seuls acteur s engagés
activement dans ce dispositif sont des « bricoleurs » en mal de reconnaissance et quelques
élites décideurs ayant des difficultés de gestion avec les systèmes classiques. Dans un
deuxième temps, celui de l’appropriation, où les acteurs trouve dan s la TIC le moyen de
réaliser ses tâches de manière plus autonome par rapport à la bureaucratie et la hiérarchie . Les
groupes des acteurs s’approprient donc le dispositif et l’intègrent activement dans le
processus. Dans un troisième temps, celui de l’inst itutionnalisation. L’organisation publique
adopte les systèmes d’information intégrés et permet des échanges de données numérisés, à
distante et à tout moment. Mais, parallèlement, elle aliène les usagers, anéanti la spécificité et
le droit à la vie privée , interdits d’autres modes et formes de collaboration et services rendus
jugés plus compatibles. Il s’agit du caractère régressif et préjudiciable de toute innovation et
c’est à partir de ce moment qu’émerge la protestation d’une minorité affranchie de cet te
injonction de faire pour annoncer l’avènement de la quatrième séquence de l’innovation, celle
de sa décomposition. Un nombre croissant d’acteurs prend conscience et s’inscrit dans le
mouvement, c’est la phase de la controverse et la dissidence . Elle représente le terreau et
l’opportunité pour d’autres pionniers et innovateurs afin de transformer d’autres inventions en
innovations compatibles avec les nouveaux besoins et attentes.
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Le processus de diffusion d’une innovation dans l’organisation publique se caractérise donc
bien lui aussi par un mouvement décomposable en séquences qui résulte in fine en un rapport
entre la durée et le nombre d’utilisateurs . Il rappelle la courbe en S ou bien la c ourbe dite
« épidémiologique » du cycle de vie d’un produit e t sa diffusion par l’entreprise privée
(Mendras et Forsé, 1983) .
L’innovation est donc bien un processus articulé selon des séquences. Chacune est habitée de
formes d’interaction et de règles sociales spécifiques qui repose sur l’existence de réseaux
(Sim mel1995; Merton 1965 ) et de l’inversion des normes : A l’intérieur des réseaux nichés
dans la trajectoire de la diffusion dans le public, il existe toujours des pionniers, des personnes
frontières, des relais, des passeurs d’un monde à un autre. Très souvent, ces pionniers doivent
être conçues comme les porteurs de l’inversion des normes, voire dé viant parce qu’ils mettent
en œuvre des comportements qui heurtent les normes établies et prennent le risque d’être mal
aimé. Si l’innovation se diffuse, e lle devient la nouvelle norme dominante et son porteur
devient à un homme d’Etat. Il est à l’organisa tion publique ce qu’est l’entrepreneur, dans son
acception la plus noble, est pour l’entreprise marchande.
1-3 Logique d’innovation, c onflit avec l’ordre et croyances
Le dirigeant ou son représentant est généralement considéré comme le cœur de la rationalité
organisationnelle . Il est censé définir et contrôler les moyens et les objectifs dans le cadre de
contraintes d’efficience et d’efficacité. Dans le cas de l’organisation publique , et en se fiant à
notre vécu quotidien dans et avec l’organisation publique, on ne peut adhérer facilement à ce
type d’analyse sauf à vouloir pervertir la perception. Pour atteindre cette fin, l e dirigeant finit
même par ap prendre, à travers l’expérience et le bien fondé présumé de telle mesure, à
associer de manière cohérente les objectifs et les mesures. Les situations d’innovation dans
l’organisation publique sont de ce fait perverties et au mieux dénaturées pour au moins deux
raisons :
La première renvoie directemen t au conflit avec l’ordre qui habite la logique d’innovation .
L’élite au pouvoir doit surm onter trois types de résistances pour pouvoir asseoir l’innovation
dans l’organisation publique , d’où la difficulté de son implémentation . Elles sont tout d’abord
objectives : l’absence de stabilité de la situation de leur organisation lors de l’implémentation
d’un processus innovant empêche de mener des actions « rationnelles » ; on prétexte une
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période de transition ou d’expérience pour justifier un travail d’approximation, par intuition.
Mais les contraintes sont également subjectives : le dirigeant doit parvenir à imaginer des
situations par rapport auxquelles il ne dispose pas de repère. Enfin, les contraintes sont
sociales : l’élite i nnovante s’oppose constamment à des partenaires et collaborateurs
routiniers. Cette perspective permet de comprendre que l’innovation, initialement cantonnée
aux marges d’un marché, d’une organisation ou d’un milieu social, n’y prend finalement place
qu’av ec difficulté. Elle met également en évidence que les innovateurs n’occupent pas une
position d’opposition par rapport au système socio -économique mais une position critique
assurant sa transformation. L’analyse développée par Balandier (1974) à propos du processus
de transformation des sociétés dites archaïques met en évidence des phén omènes tout à fait
comparables ;
La deuxième concerne les raisons fondant la décision d’innover au sein de l’organisation
publique. Ce type de décision n’appartient ni au re gistre des actions logiques ni à celui de la
rationalité économique. La pensée classique part d’une idée assez simple pour rendre compte
du comportement des agents économiques : « le décideur est doté d’une rationalité
substantive qui le conduit à choisir parmi les alternatives présentes ou anticipées en fonction
de ses préférences définies a priori et d’un calcul, même probabiliste, des gains ou des pertes
estimés, de sa décision »( Jacot et Micalli, 1996, P 26). Ce postulat au -delà de l’intérêt
théorique qu’il peut présenter, représente le cadre de l’action conçue comme légitime du point
de vue d’un innovateur : on imagine mal un décideur ne justifiant pas a priori les avantages
des innovations qu’il propose de réaliser. Dans la pratique, les compo rtements d’innovation
échappent largement à cette rhétorique. Tout d’abord pour une raison de type logique : il n’est
généralement pas possible pour le décideur de connaitre à l’avance la portée de ses actions
puisque la situation qu’il envisage n’a rien d e routinière, et ne permet pas, à ce titre, de
disposer d’informations lui indiquant la solution à adopter. Le processus dans lequel il
s’engage est bien trop incertain pour lui garantir des résultats.
Les sciences économiques et de gestion ont progressivement dév eloppé des conceptions de la
rationalité plus relatives, fondées sur l’idée de « rationalité limitée » (Simon, 1945). L’agent
ne cherche pas une solution parfaite, mais satisfaisante ou ne définissant que progressivement
sa décision au fur et à mesure de l a découverte des difficultés et des ressources qu’il rencontre
dans l’action . Il opère donc par « rationalité procédurale ». Ces approches mettent en évidence
que la plupart du temps, les pratiques de gestion ne sont pas, selon la définition de Pareto
(1916), des actions « logiques », mais seulement « des moyens objectivement les meilleurs –
vu l’état du savoir – pour parvenir à un objectif » (Boudon , 1982, P 38) . Schumpeter (1912) a,
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dans ce sens, fait considérablement avancer la réflexion pour traduite la passion plus que la
raison dans l’animation des innovateurs
« Le tableau d’un égoïsme individualiste, rationnel et hédoniste ne le saisit pas
exactement…il ne se demande pas si cha que effort, auquel il se soumet, lui promet un
« excédent de jouissance ». Il se préoccupe peu des fruits hédonistiques de ses actes. Il crée
sans répit car il ne peut rien faire d’autres….il y’a d’abord en lui le rêve et la volonté de
fonder un empire qui donne l’espace et le sentiment de la puissance…puis vient la volonté du
vainqueur . D’une part vouloir lutter, de l’autre vouloir remporter un succès pour le succès
même. Il se peut que la joie pour lui naisse de l’œuvre, de la création nouvelle comme tell e,
que ce soit quelque chose d’indépendant ou que ce soit quelques chose d’indiscernable de
l’œuvre elle -même » (Schumpeter, 1912, P.354 -355)
L’innovation dans les organisations publiques ne représente donc pas une action étroitement
guidé par l’intér êt économique. Celui -ci est en quelque sorte au service d’un objectif plus
général, celui du plaisir et de la reconnaissance sociale qu’apporte l’exercice réussi d’une
mission, d’une vocation professionnelle dans le secteur public.
Ce sont donc les croyances concernant l’efficacité et l’efficience de dispositifs qui amènent à
investir dans des perspectives d’innovation et non le calcul rationnel. Et ces croyances, selon
Pareto (1916), sont de deux types :
– Les croyances positives son t des représentations non immédiatement vérifiables. Ce
type de croyance caractérise bien le développement des investissements immatériels
en général : on les réalise parce qu’on croit qu’ils sont bénéfiques, mais on ne dispose
pas de moyens pour prouver c ette relation ;
– Le deuxième type de croyance est de l’ordre du normatif, de la coutume : j’investis
dans l’immatériel parce que mes homologues font de même.
L’analyse des logiques d’innovation amène ainsi à un constat paradoxal. Les contraintes
sociales et économiques sont censées contraindre les acteurs à mettre en œuvre leurs actions.
Mais la volonté de réussir sa mission publique et marquer l’histoire par s on passage et entrer
dans la postérité organisationnelle est supposée affranchir le décideur et le libérer de cette
astreinte. C’est ainsi qu’une bonne part de croyance et de pensée magique deviennent
nécessaire pour imposer le processus d’innovation et le rendre anodin au sein de
l’organisation publique et commun à toutes les parties prenantes.
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II/ Le processus d’implémentation de l’innovation
Un processus d’innovation commence souvent par une décision peu fondée et non
consensuelle. Le décideur se trouve en effet confronté à l’ incertitude sur les moyens à mettre
en œuvre pour atteindre des fins qu’ il connaît par ailleurs mal . Il est alors d’aut ant plus
sensible aux normes de son milieu d’appartenance. Son choix est souvent guidé par des
raisons de types social et peu par des raisons de type économique. Et ces raisons sont souvent
déraisonnables du point de vue de la logique du mandat qui l ui est confié pour la gestion, la
modernisation et l’évolution des organisations.
De ce point de vue , il faut que le corps social transforme suffisamment les innovations pour
leur donner sens et utilité . Encore faut – il que ce processus puisse se défaire des normes , des
comportement s et des dogmes de représentations dominants .
2-1 L’innovation : une incitation à la création de sens
Il a été tenté d’expliquer dans ce qui précède qu’il n’était pas possible de décréter l’innovation
dans l’organisation publique pour une raison simple : elle est souvent, initialement, dépourvue
de sens, bizarre, incompréhensible, surdimensionnée, dysfonct ionnelle, inapproprié ou tout
simplement inadapté au contexte. L’innovation n’est pas inscrite dans une trajectoire
cohérente et pour l’introduire dans l’organisation publique elle doit être conçue comme une
incitation à partir de laquelle l’idée prend for me et se développe ; et une incitation n’a rien à
voir avec une loi ou un décret.
Dans ce qui a été avance ci -dessus, nous pouvons synthétiser la logique de l’innovation en
cinq dimensions :
a- Elle se construit sur l’ambiguïté, le vide ou le caractère paradoxal des décisions prises
par la direction.
b- Cette décision dispose d’une influence sur le système social de l’organisation.
c- Elle s’appuie sur un réseau faible d’alliés (seuil critique) qui partagent la logique
défendue par les acteurs de l’innovation.
d- Elle dispose de règles de fonctionnement entre la publicité et la clandestinité.
e- Elle accomplit ce qui lui semble devoir être fait et tente de légitimer l’action après
coup : l’innovation ne se négocie donc pas .
La logique de l’organisation publique, pe u favorable à l’innovation, traduit également la
cohérence des acteurs qui compose cette entité. Elle repose sur quatre dimensions :
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a- L’enjeu majeur du groupe est de stabiliser et préciser les fonctions et les rôles au fur et
à mesure que se développe l’in novation. Plus il l’intègre dans le giron institutionnel,
mieux il la vide de son sens et l’étouffe.
b- L’incomplétude des contrats et l’interprétation de la règle dans le maintien du jeu et de
l’équilibre organisationnel permet aux acteurs de mettre en scène leur propre
conception de la réalité de l’innovation
c- L’équilibre et la pérennité organisationnel s ’avère délicat : si les tenants à la coutume
et la tradition s’opposent trop frontalement à ceux de l’innovation, ils ne sont plus
dans la subordination donc la légalité. S’ils acceptent de coopérer, ils doivent faire un
effort d’apprentissage et d’adaptat ion et accepter de perdre une partie de leur influence
et de leur reconnaissance sociale.
L’innovation ne se déroule donc pas selon un processus indépendant de l’ordre établi dans
l’organisation. L’une et l’autre sont complémentaires mais antagoniques. La phase de latence
qui suit l’installation de l’innovation par acte réglementaire repose sur des croyances tirées
des pratiques professionnelles habituelles. Les décideurs pensent qu’ils ont parfaitement mis
en place l 'innovation et supposent qu’elle avance ra dans la direction envisagée. Les
opérateurs, quant à eux , imaginent que la décision va être suivie par des mesures
indépendantes de leur volonté et de la conception qu’ils ont du travail ou de son organisation.
Les premiers pensent donc contraindre les seconds, et les seconds pensent que la décision des
premiers est déraisonnable, voir absurde. Alter (1990) a mis en évidence que la rencontre de
ces représentations débouche sur une situation à mi -chemin du blocage et du retrait et qu’il
n’est guère favora ble au progrès. L’exemple de l’université publique est illustratif : les
opérateurs des activités commerciales de formation continue payante et à distance récemment
développées et réglementées n’exercent leur nouvelle activité que de manière embarrassante
et hésitante ; les acteurs ne parviennent pas à concevoir concrètement leur util ité et participent
mollement à cette activité.
C’est bien la rencontre entre ces deux logiques qui donne sens à l’innovation initiale. Elle la
rend intelligible et l’inscrit dans une perspective cohérente du point de vue fonctionnel et des
contraintes des acteurs. Le sens n’est pas encore palpable mais seulement ensemencé . Et c’est
l’action collective permettant de dépasser le caractère à première vue déraisonnable , parfois
absurde de l’innovation qui permet à cette dernière de germer pour prendre forme et éclo re
dans son terreau organisationnel chemin faisant . L’innovation est donc le résultat d’un
processus, d’une histoire habités par des acteurs. Merleau – Ponty (1966) a parfaitement
expliqu é ce phénomène : « il n’y aurait pas d’histoire si tout avait un sens et si le
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développement du monde n’était que la réalisation visible d’un plan rationnel ; mais il n’y
aurait pas d’avantage d’histoire – ni d’action, ni d’humanité – si tout était absurde » (1966, P
204)
L’intervention effective des directions entreprenantes consiste par la suite en une
institutionnalisation de la rencontre qui vient d’être décrite ci dessus . Elles ne décrètent pas
l’innovation mais elles intègrent les règles innovatrices dans des règles d’org anisation. Elles
mettent l’action en forme.
2-1 L’institutionnalisation de l’innovation et sa mise en forme.
L’institutionnalisation de l’innovation correspond en partie à une rationalisation du travail, à
une action ayant pour finalité de codifier de manière précise et obligatoire les moyens à mettre
en œuvre pour atteindre des objectifs et en éradiquant les inc ertitudes et dysfonctionnement
potentilles. Elle représente un choix ferme consistant à arrêter le déroulement du processus
d’innovation dans le but de le réglementer et l’ancrer dans les habitudes. Elle définit donc
formellement les règles de travail à p artir des pratiques mises en œuvre lors de
l’implémentation du processus. Il s’agit d’une rationalisation ex post . Classiquement, la
rationalisation Taylorienne représente une activité conçue ex ante , se définissant par rapport à
une conception « scientifi que » de l’organisation indépendante de la nature des relations en
œuvre. Plus fondamentalement l’institutionnalisation consiste à tirer parti des pratiques et à
les inscrire dans une forme générale, alors que la rationalisation consiste à définir les
comp ortements à venir indépendamment des acteurs.
Les décideurs au sein de l’organisation publique ont besoin d’acteurs porteurs de la logique
d’innovation pour assurer le développement de leur activité et service rendu et pour donner
sens à leurs décision s. Mais, ils ne peuvent se passer d’acteurs porteurs de la logique des
règles pour en assurer le contrôle. Ils n’interviennent donc pas par décret mais par arbitrage.
Cet arbitrage est partial. En fonction du moment ou de l’enjeu considéré, les directions
favorisent l’une ou l’autre des deux parties. Leur action ne peut donc absolument pas se
définir de manière synchronique. Elle est néces sairement diachronique et se décompose en
trois temps : l’incitation, l’appropriation puis l’institutionnalisation.
L’institutionnalisation n’est cependant que le moment de l’émersion d’un processus plus
global de l’innovation. Cette dernière est la règle à un mom ent donné mais pas durablement ,
car la mise en place d’un processus d’innovation continu suppose l’exercice de la déviance.
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Celle -ci est mise en œuvre par les tenants de la logique de l’innovation qui transgressent les
règles établis dans la persp ective d’une autre conception du fonctionnement collectif de
l’organisation. Entre l’institutionnalisation de l’innovation et le maintien de l’ordre et le statu
quo il existe un conflit. Conflit entre les anciens et les modernes racontés depuis la nuit des
temps. Et cette idée est difficilement dépassable : on ne peut guère imaginer qu’un processus
d’innovation mobilise unanimement l’ensemble des acteurs vers une nouvelle conception des
rapports sociaux. Ceci est d’ autant plus vrai dans les organisations pu bliques où les règles
prescrivent les droits et les devoirs des uns et des autres biens plus étroitement que dans
l’entreprise privée .
Mais si cette rencontre entre la règle et l’innovation n’est que conflictuelle, elle ne permettrait
aucunement aux systèm es d’évoluer, or les travaux de Crozier et Friedberg (1977) ont
parfaitement mis en évidence que ce conflit, manifeste ou larvé, se traduit par un blocage,
implicite ou tacite, des institutions publiques au point qu’elles se délitent de l’intérieur pour
ne plus répondre à leur mission de la manière la plus adéquate possible. Et s’il n’y a donc pas
systématiquement blocage à l’issue de la rencontre antagonique entre règles et innovation, s’il
est finalement possible de sortir des cercles vicieux bureaucrat iques, c’est qu’une partie au
moins des acteurs ne se mobilise plus seulement pour se protéger derrière les règles
d’organisation, mais pour les transformer. Tous ne militent pas pour le système en place parce
que tous n’ont pas les mêmes projets, les même s vocations et les mêmes ambitions.
L’innovation qui ne fait donc l’objet d’aucune appropriation de la part d’une partie des
acteurs représentant un seuil critique dans l’organisation n’habite pas durablement le corps
social dans lequel elle s’est inscrite. Elle n’est donc qu’un essai, une passade ou une mode.
Elle est abandonnée parce qu’elle ne parvient pas à devenir une pratique légitime.
Mais une innovation peut être institutionnalisée par la force dans les pratiques sociales. Dans
ce cas tout en demeurant dans l’état de l’invention pour l’organisati on et ses acteurs, elle
participe au mouvement de l’organisation comme un nouveau dogme peut le faire au plan de
la société globale : tout le monde applique le rite mécaniquement sans croire vraiment à sa
pertinence, ni adhérer à sa philosophie générale.
L’innovation dogmatique , non institutionnalisée, imposée de manière autoritaire et normative
par les croyances des décideurs interdit les pratiques sociales qui s’en écartent, ainsi que les
autres croyances. C’est ainsi que l’organisation publique dans son ambition forcé e pour
accéder à la modernité ne devient qu’une mécanique pour véhiculer la routine adaptative.
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Conclusion
Le passage d’une configuration stable dans un environnement certain à une configuration en
mouvement dans un contexte incertain rend l’organisation publique vulnérable puisqu’elle n’a
plus de prise sur cet environnement et ne peut survivre qu’en étant réact ive et dans une
dynamique constante. Les ancrages et les éléments de certitude dont elle peut disposer
auparavant ne sont plus de ce monde . Elle doit alors se retourner sur elle -même pour trouver les
ressources qui lui permettent de répondre efficacement aux sollicitations, faute d e quoi, elle devient,
au mieux, une routine adaptative relativement répétitives et efficaces mais surement assez peu
efficiente ; au pire, elle se mue en dispositif rigide et dogmatique, arrêtant le temps et déniant le futur.
L’analyse de cette tension existentielle pour l’organisation publique suppose de revenir sur la notion
fondamentale de l’innovation qui lui permet, à la fois, de dépasser cette turpitude et de créer aussi les
nouveautés indispensables pour sa pérennité.
Si l’innovation a été présente dans le présent papier comme une activité collective qui doit faire l’objet
d’une incitation, appropriation et institutionnalisation, elle est de ce fait un processus souvent lent et
erratique qui suppose aussi la déviance pour bousculer les règles, de faire avec les règles ou d’avancer
malgré les règles. Acte souvent nécessaire, mais ni rationnelle ni pacifique. Dans certains cas,
elle représente une sorte de pari sur la capacité à tirer parti des politiques définies par le
somm et de l’organisation. Dans d’autres, elle s’apparente à une construction collective et
relativement démocratique. Dans d’autres encore, l’atonie, sous prétexte de la stabilité
organisationnelle, prend la forme d’un dogme inaltérable . Si tout se passe bien, on est un
décideur innovant. Mais si les choses se passent mal, on est sanctionné pour avoir malmené les
habitudes. L’innovation dans l’organisation publique n’est donc que l’acceptation d’augmenter
l’incertitude qui pèse sur la sanction ou l’évaluation d e l’action. Cette situation produit toujours au
moins un peu d’anxiété : on n’innove ni dans la sagesse ni dans la tranquillité.
La gestion des organisations publiques demeure fondée sur des idées trop simples pour gérer
la complexité de l’innovation dans et pour le social. Elles sont suffisamment simples pour
paraitre comme « rationnelles » en permettant de partager les croyances dominantes. Tout
indique que ces croyances peuvent être dépassées lorsqu’on est en présence d’un processus
d’innovation légitimé , mais ce passage nécessite qu’un seuil critique d’acteurs disposent de
suffisamment d’influence et de capacité critique. Et dans l’organisation publique, çà n’est pas
toujours le cas.
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