L’univers Des Fleurs Du Mal Un Anti Univers
MINISTERUL EDUCAȚIEI NAȚIONALE ȘI CERCETĂRII ȘTIINȚIFICE
UNIVERSITATEA „1 DECEMBRIE 1918” DIN ALBA IULIA
FACULTATEA DE ISTORIE ȘI FILOLOGIE
LIMBA ȘI LITERATURA franceZĂ – LIMBA ȘI LITERATURA engleză
.L’UNIVERS DES FLEURS DU MAL
– UN ANTI-UNIVERS –
COORDONATOR ȘTIINȚIFIC:
LECT. UNIV. DR. ADINA CURTA
ABSOLVENT:
DRONIC SABINA
Alba Iulia
2016
Sommaire
Argument
Chapitre I : La dualité – trait définitoire pour Baudelaire
I.1. Le prêtre défroqué
I.2. « La femme » pour Baudelaire : La Venus Noire et La Blonde Madone
I. 2. 1. Jeanne Duval
I. 2. 2. Madame Sabatier
Chapitre II : L’univers déchu des « fleurs »
II.1 Les thèmes
II.2 La structure
II.3 L’anti-univers des Fleurs du mal
II.3.1. La nature chez Baudelaire
II.3.2. La ville
II.3.3. L’univers esthétique
II.3.4. L’univers religieux
Chapitre III : Modernité dans Les Fleurs du mal
III.1. Le poète est un « voyant » : évasion du réel
III.2. Le poète est voué au malheur
III.3. Mal et modernité
Annexes
Conclusions
Chapitre I : La dualité – trait définitoire pour Baudelaire
Tout enfant, j’ai senti dans mon cœur deux sentiments
Contradictoires l’horreur de la vie et de l’extase de la vie
C’est bien le fait d’un paresseux nerveux.
La dualité peut être définie comme la coexistence de deux choses de nature différente, mais impossible de séparer du fait de leur relation étroite. L’un des exemples les plus claires est celui du Bien et du Mal, où chaque élément est compris souvent dans son opposition à l’autre.
La dualité est un trait caractéristique pour Charles Baudelaire l’homme, mais aussi pour Charles Baudelaire le poète. Tout le recueil Les Fleurs du Mal donne l’impression au lecteur d’un homme double tourmenté qui se cache derrière les vers. Le recueil est plein des oppositions de toute sorte. Nous avons là des anges et des démons, ciel et enfer, Dieu et Satan etc. Le poète se considère un être maudit. Il connaît sa nature, il sait qu’il a une âme sensible et il souffre pour toutes ces antithèses.
L’idée de dualité est suggérée même dans le titre du recueil : Les Fleurs du Mal. L’antithèse est utilisé par le poète avec l’intention de montrer qu’il peut trouver la beauté et qu’il peut l’extraire du mal.
I. 1. Le prêtre défroqué
Le drame de Baudelaire consiste principalement dans une dualité qui semble le suivre de sa naissance, toute sa vie. Son père avait 61 ans à sa naissance et il mourra d’une affection cérébrale, six ans après la naissance de Charles. La mort de celui-ci, avec lequel il avait de très bonnes relations, tourmenta le poète durant le reste de ces jours. Le remariage de sa mère, qui avait seulement 27 ans, avec le commandant Aupick n’est pardonné jamais par son fils.
Même si Baudelaire était plein d’admiration pour son père, l’existence de celui-ci est entourée du mystère, un mystère qui marque le futur poète, quand il comprend : son père a renoncé à la soutane et inévitablement, à Dieu, pour une vie qui lui donnait accès aux plaisirs du monde. Pour ce raison, Baudelaire a considéré toute sa vie qu’il était le fruit d’une profanation :
« Puisque tu m’as choisie entre toutes les femmes
Pour être le dégoût de mon triste mari,
Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,
Comme un billet d’amour, ce monstre rabougri. »
De plus, le péché n’était pas seulement de son père, mais aussi de sa mère qui a éprouvé l’orgueil de se sentir préféré à Dieu. Pour ce raison là, Baudelaire n’a pu voir sa naissance que comme le résultat d’une erreur, d’une faute impardonnable, d’où le sentiment de culpabilité sourd qui le poursuit tout sa vie : Il a senti le crime de son père comme s’il était présent dans lui-même, dans son sang, empoisonné à jamais.
Vu par les yeux de Baudelaire enfant, le crime de son père était la plus difficile à comprendre d’entre tous. Il était la plus grave parce qu’il n’était pas contre les hommes, leur lois ou leur règles, il était un crime contre Dieu même, un crime absolu. Il était un crime vraiment horrible parce que par tous les crimes des hommes il y a un système de punition bien établi, mais pour ce crime personne ne paraît avoir pensé proposer une punition. C’est ici qu’on retrouve la dualité du poète vers con père : il l’a aimé, mais il l’a vu aussi du point de vue de son crime – un homme qui a toué pas des autres hommes, mais Dieu même. Dans l’opinion du poète, une vie ne suffisait pas pour expier ce péché.
Bernard-Henry Lévy, dans son livre de fiction intitulé Ultimele zile ale lui Charles Baudelaire, s’imagine les tourments du poète vis-à-vis du crime de son père :
« Înfiorătoare este oare un cuvânt potrivit? Taina – dacă este o taină – să fi fost atât de tragică pe cât îi vine să creadă azi? Nu știe nici asta. Nu mai izbutește să își dea seama. Fiindcă povestea era cu siguranță îngrozitoare. Iar pe vremea aceea nu ar fi putut sa audă nimic mai șocant. Dar în însăși enormitatea crimei, în însăși necuviința ei, în ciudățenia cazului înfățișat de soartă, nu al vreounui erou de roman ci al propriului său tată, exista ceva care până la urmă a început să îl flateze. »
Il a tenté de trouver toute sorte d’explications pour justifier même si seulement pour lui même, le geste de son père. Probablement il fut un prètre avec des idées modernes, qui n’a pas reussi de mettre en accord sa raison avec une réligion duquel il n’était pas convaincu. Mais il y a aussi une autre hypothèse : une âme tourmentée par le doute, un prêtre tourmenté par le désir, par la tentation. Un âme qui a, en fait, cédé à la tentation et a compris que là où il était, dans le plus grand péché, n’existait plus de divinité ou foi. Dans le poème qui ouvre le volume Les Fleurs du Mal, l’auteur, en s’adressant aux lecteurs, parle de ses pêches qui pesse sur l’âme d’une personne :
« La sottise, l’erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nous aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine. »
Une autre idée qui lui provoquait dégoût était représentée par ce que disait le monde. C’est, de nouveau, dans l’imagination de Lévy, qu’on peut trouver ce que ; probablement, l’auteur pensait souvent :
« Glumele deocheate. Zvonurile. Bârfele. Rânjetele când îl vedeau apropiindu-se de o biserică. Privirile piezișe. Zâmbetele răutăcioase. Mulțimea de aiureli scornite de povestea cu veșmântul confiscat, care îl izola pe nefericit precum pe leproși sau nebuni odinioară. Mai era și teama nedeslușită când te aflai în fața lui, pusă de sufletul lui de copil pe seama prestanței și autorității lui de tată. Gândiți-vă! Un fost preot! Un om despre care se știa chiar, dar mai ales pentru a-l osândi, că ser apropiase de tainicul adevăr al sufletelor! »
Le mépris pour sa propre naissance, le réfus d’avoir lui même des enfants, sa manière de se comporter avec les femmes, ce phénomène de catholicisme qui se retrouve dans les Fleurs, dans le même temps avec un air de satanisme, la manière dont les deux se mêlent dans son œuvre, son impuissance dans certains périodes de sa vie d’entrer dans un église ou de regarder un prêtre dans ses yeux sont toutes expliqués par le crime du père du poète. Le paradoxe qui est devenu son obsession est qu’il a été un fis de prêtre :
Iată de ce tremura. Se bătea cu pumnii în piept cu mare râvnă. Își frângea mâinile a căință. Iată de ce, mai ales, nu înceta să se supună, din principiu și aproape dintr-o vocație, tutror autorităților în stare să îl facă să plătească o frântură din datoria imaginară. O viață remușcare. O viață ispășire.
I.2. « La femme » pour Baudelaire : La Venus Noire et la Blonde Madone
La femme apparaît dans Les Fleurs du Mal sous des aspects fort divers, souvent aussi divers qu’il est difficile de faire les connexions avec les femmes qui ont marqué sa vie. Elles traversent toute l’œuvre baudelairienne, cristallisant tour à tour émotions, angoisses, fascinations et répulsions. Quand la femme s’efforce de masquer sa nature par des artifices séducteurs ou même magiques (le parfum, les bijoux, le maquillage), elle devient « idole » d’une culture passionné.
On peut déceler chez Baudelaire une sorte de féminité diffuse qui n’implique pas nécessairement l’évocation directe de la femme. Nous pouvons identifier certains symboles, hautement féminins, qui apparaissent avec insistance, comme celui du chat, par exemple :
« Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux ;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-mois plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d’agate. »
Tout pareil à la femme, le chat est sensuel, plein de mystères. Mais quelle que soit la part de cette féminité diffuse, la présence de la femme dans e recueil est liée à des inspiratrices qu’on peut identifier dans la vie du poète.
La tragédie de l’homme double se manifeste toujours au niveau de la signification de la femme : spiritualité versus animalité. L’image féminine est ambiguë dans Les Fleurs du Mal : le cycle de Jeanne Duval célèbre et condamne à la fois l’amour sensuel et charnel, la femme satanique et séductrice et, dans le même temps, nous avons là le cycle de Madame Sabatier qui transfigure la femme en divinité, ange ou Madone.
Du ce point de vue, fleurs du mal, sans article, montre aussi la dualité de la femme : sensuelle d’une part, spirituelle d’autre part. Il faut également évoquer les deux thèmes essentiels de la chute et de l’ascension qui ont un rôle important non seulement dans le vie du poète, mais aussi dans son œuvre. La chute chez Baudelaire se caractérise par son attirance pour la femme, attirance qui est relié au Dieu ou Satan. Le poète même dit : « il y a dans tout homme à toute heure deux postulations simultanées, l’invocation vers Dieu ou spiritualité et l’invocation vers Satan ou l’animalité. »
I. 2. 1. Jeanne Duval
Jeanne Duval était une mulâtresse, figurante dans un petit théâtre. Elle entra dans la vie de Baudelaire quand il était jeun, 20 ans. Elle n’en sortit point. Elle a exercé sur Baudelaire un pouvoir tyrannique grâce à ses cheveux très noirs, ses grands yeux bruns et ses lèvres épaisses. Sur le plan intellectuel, elle était probablement illettrée, en tout cas d’une inculture totale. Son moralité était douteuse, cherchant toujours à obtenir de Baudelaire de l’argent, incapable de reconnaissance. Pour le poète, elle représentait un bel animal, à la fois coupable et irrésistible. Plusieurs fois, Baudelaire a voulu rompre leur liaison, mais puis il l’a reprit. Bien qu’elle soit devenue infirme après 1856 et ait cessé d’être désirable, le poète a continué à veiller sur elle. Depuis sa mort, elle survivra quelques années.
Vampirisée, diabolisée, Jeanne Duval représente la femme sensuelle, mais pas seulement. Elle est toujours tentatrice, dangereuse, infidèle et elle trouble l’âme du poète enchaîné par une passion charnelle, passion qui se transforme en une dépendance plus que forte. Cette maîtresse sensuelle inspira les poèmes les plus nombreux, où se cristallisent les fantasmes de l’amour fou et de l’amour satanique :
« Je préfère au constance, à l’opium, au nuits,
L’élixir de ta bouche où l’amour se pavane ; »
Comme nous pouvons voir, la bouche de la maîtresse devient élixir pour Baudelaire. Il mentionne aussi la drogue appelée opium. Ce mot n’est pas utilisé par hasard : Jeanne Duval est comme une drogue pour le poète. Il sait que la dépendance de la passion pour elle n’est bonne, mais il ne peut pas l’éviter.
L’un des plus forts sentiments inspirés par cette femme dans l’intérieur du poète, c’est le désir. Pour montrer cela, l’auteur utilise des images qui appartiennent au deux des cinq sens : le toucher et la vue.
« Que j’aime voir, chère indolente
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau ! »
Le trait caractéristique des poèmes dédiés à Jeanne est l’érotisme. Si nous pensons à quelques poésies appartenant à ce cycle, nous pouvons facilement voir qu’ils foisonnent d’érotisme. Par exemple, dans le poème Parfum exotique, l’auteur fait de nouveau appel aux sens (l’odorat, plus exactement) pour illustrer la passion et l’érotisme. En fait, il ne s’agit pas seulement du sens de l’odorat, mais d’un jeu de correspondances entre les sens, technique souvent utilisé par le poète. Nous avons donc un mélange des sensations : La sensation visuelle, la sensation olfactive et la sensation auditive. Dans ce poème on remarque deux des composantes de l’univers baudelairien don on parlera dans un autre chapitre : l’exotisme et la sensualité.
« Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,
Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
……………………………………………………………….
Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux. »
Quand nous parlons de l’idée de femme pour Baudelaire, la dualité de celui ne doit pas être comprise seulement par l’opposition entre Jeanne Duval et Madame Sabatier. L’auteur et plein de contradictions aussi dans le cas de la même femme. Si le Parfum exotique nous montre le paradis baudelairien, Le Vampire abonde d’une agressivité très forte. Il est un des poèmes les plus agressifs du cycle. Ici on peut voir la nature de la relation avec Jeanne. Le poète se sent lié comme un esclave et il semble souffrir. A ce point, la dépendance de Jeanne ressemble à une addiction aux drogues. La femme est identifiée avec un vampire :
« Tu n’est pas digne qu’on t’enlève
A ton esclavage maudit,
Imbécile ! – de son empire
Si nos efforts te délivraient,
Tes baisers ressusciteraient
Le cadavre de ton vampire ! »
Nous remarquons de nouveau la dépendance de cette femme. L’auteur n’est pas un amant pour elle, il se considère dans un esclavage maudit, duquel ne peut pas échapper. Il utilise aussi d’autres mots qui nous choquent par leur agressivité comme cadavre, par exemple. L’influence manifestée par Jeanne sur le poète est, sans aucun doute, maléfique.
Comme dans la situation du père du poète, Bernard-Henry Lévy dans le livre mentionné, s’imagine ce que Baudelaire pensait sur sa relation avec Jeanne : s’il devait nommer cette liaison, il était besoin d’un vieux mot qu’il a beaucoup utilisé, mais qui exprimait la nature de leur pacte – le mot mal, l’attraction que tous les deux manifestaient pour le mal, l’exploration du même mal. Dans sa livre, notamment Les Fleurs du Mal, il parlera de quelque chose, de ce désir démoniaque. Tout ce qu’il sait ce que ici est la vérité ou une partie de la vérité, la plus nuageuse, la plus difficile à accepter. Tout ce qu’il sent est que cette liaison n’aurait pas été jamais ce qu’il a été, sans leur fascination pour le mal, le péché, la torture et la faute, enracinée dans un contact maléfique. Sa Jeanne a été tout le temps avec lui, sa chère Jeanne, sa complice. Sa Jeanne n’a pas pu être sa muse que dans la mesure dont elle allait avec lui ou, parfois, avant lui, par ces lieux marécageux et faibles dont on trouvait sa poésie.
Comme nous avons déjà dit, Baudelaire a continué à veiller sur Jeanne, même quand il n’était pas plus désirable :
« Jeanne era bătrână acum. Terminată. Biruită de boală, căzută, distrusă dintr-o dată – așa cum se întâmplă deseori cu femeile preq frumoase care se frâng fără să se fi ofilit; se prăbușesc fără să fi îmbătrânit. Îi curgeau ochii. Avea fața cadaverică. Pielea ei, arămie odinioară, se uscase și se acoperise cu coji. Părea o vedenie în unele dimineți, cu un rictus de ură în colțul gurii și cu o sticlă de rom în mână, venind cu tămbălău să își ceară pensia. Ce mai găsea atunci la ea? Nimic în afară de gândul mizeriei. Imaginea decăderii. Nimic din ceea ce îi reține de obicei pe amanți – doar spectacolul unei distrugeri care era o ultimă mărturie a negoțului lor cu Răul. »
I. 2. 2. Madame Sabatier
Madame Sabatier représente exactement le contraire de Jeanne Duval pour Baudelaire. Quand nous pensons a ce que la femme signifie pour Baudelaire, il y a deux pôle parfaitement opposés l’un à l’autre que nous devons considérer. Sous l’influence de Jeanne, l’auteur manifeste une passion maléfique et, sur l’influence de Madame Sabatier, une affection pure, on peut dire qu’il fait d’elle son idole.
Adorée à partir de 1852, la « présidente » Sabatier s’oppose à Jeanne par ses grâces vertueuses. Elle se remarquait par de distinction intellectuelle, mais aussi par son charme physique. Elle était d’un naturel facile, mais libre de mœurs. Baudelaire lui adressait des poèmes anonymes, poèmes qui figurent dans les fleurs. Pour lui Madame Sabatier est « l’Ange gardien, la Muse et la Madone ».
À celle qui est trop gaie est un des poèmes consacrés à Apollonie Sabatier. Dès le premier vers, Baudelaire s’adresse à la femme en la tutoyant, ce qui donne l’impression d’une relation intime :
« Ta tête, ton geste, ton air,
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair. »
La description de la femme est accentuée par des correspondances sensorielles, auditives, tactiles et visuelles. Le poète insiste sur sa beauté et sa santé parfaites. L’image de la femme évoquée ici nous fait penser à l’optimisme que le printemps apporte. L’état de bien que la Madone apporte dans l’âme du poète semble se refléter à l’extérieur.
Mais dans les trois dernières strophes, le poète élabore l’image d’une vengeance contre la femme qui est trop gaie, trop parfaite, en utilisant un vocabulaire qui met en valeur son agressivité contre la femme (agressivité avec laquelle le poète nous a accommodé) :
« Et, vertigineuse douceur !
A travers de ces lèvres nouvelles
Plus éclatantes et plus belles,
T’infuser mon venin, ma sœur ! »
Un autre poème inspiré par Madame Sabatier, probablement un des plus célèbres, c’est Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire. Ces vers expriment le renoncement au désir sexuel pour l’adoration spirituelle. Le poème se constitue dans un dialogue imaginaire entre l’âme du poète et sa muse qui est devenue Ange pour lui :
« Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire,
Que diras-tu, mon cœur, cœur autrefois flétri
A la très belle, à la très bonne, à la très chère,
Dont le regard divin t’a soudain refleuri ? »
L’idéal féminin est situé au centre du poème. Il est très intéressant d’observer la désincarnation de la femme et, on pourrait dire, presque sa canonisation parce qu’il l’appelle Ange. Nous remarquerons l’utilisation des symboles religieux. Le poème peut être considéré comme une sorte de salut pour le poète à cause de cet amour. Pour le poète maudit, elle et le symbole de la pureté, du beau, de l’idéal. En quelque sorte, l’amour pour elle l’enlève vers son idéal :
« Parfois elle parle et dit : Je suis belle, et j’ordonne
Que pour l’amour de moi vous n’aimez que le Beau ;
Je suis l’Ange gardien, la Muse et la Madone. »
Probablement le plus optimiste poème dédié à Madame Sabatier, est Hymne. On ne peut pas trouver ici des traces de mélancolie et tristesse qui sont aussi spécifiques pour le poète. Nous ne pouvons pas trouver ni des antithèses, ni de plans de vengeance contre la perfection de la femme :
« A la très-chère, à la très-belle
Qui remplit mon cœur de clarté,
A l’ange, à l’idole immortelle,
Salut en l’immortalité ! »
Toutefois, nous n’oublions pas que ce ton optimiste n’est pas spécifique pour le poète. A notre avis, ce poème ne fait que renforcer la règle. Par des poèmes comme celui-ci, le poète ajoute de confusion pour le lecteur qui ne peut pas dire exactement où Baudelaire situe la femme.
Chapitre II : L’univers déchu des « fleurs »
Pour comprendre l’univers des fleurs, il est nécessaire de voire quel était le contexte culturel dans lequel le recueil Les fleurs du mal a été écrit.
Les premiers à être mentionnés sont les Parnassiens. Il s’agit d’un groupe littéraire français de la seconde moitié du XIXème siècle. Ils succèdent à la période romantique où ils trouvaient que le lyrisme abondait. Les parnassiens refusaient une poésie de l’expression, de l’effusion des sentiments et privilégiaient le travail sur la prosodie. Ils missent l’accent sur la recherche de la perfection technique. Leur thèmes favorites étaient l’érudition, le savant, l’étrange, l’exotique ou l’antique. Ce mouvement n’a pas eu un grand succès car les poèmes étaient trop compliqués et obscurs.
Le symbolisme fut un mouvement littéraire de la fin du XIXème siècle qui lit l’accent sur les valeurs suggestives du langage. Les symbolistes se considéraient leurs mêmes les seul aptes à déchiffrer l’univers considéré les symboles d’autres mondes. Ils proclamaient l’existence d’une correspondance étroite entre l’homme et l’univers. Le symbolisme s’oppose au monde matériel et proclame la suprématie de la sensibilité, du plaisir des sensations. Une caractéristique importante des poèmes symbolistes et la musicalité des vers.
Le dandysme représente un culte de soi-même, un désir de distinction fondé sur l’idée d’originalité personnelle. L’individu qui est un dandy soigne sa parure, sa parole et il pratique la transgression. Le dandy ne crée pas son œuvre, son œuvre est la vie même. Le dandysme c’est l’élégance de la vie.
La figure dominante du recueil est celle du poète maudit. Il se distingue du reste des autres hommes par la supériorité de son esprit. A l’image de Baudelaire, le poète signe son verbe, son image et recourt à l’art de la transgression. Dans la vie réelle, la vérité est que le poète demeure incompris du grand public et meurt dans l’indifférence. Comme son Albatros, le poète aspire à l’élévation, mais demeure incompris du reste de l’humanité et ridiculisé par ses contemporains. Il connaitra un succès d’estime posthume.
II. 1. Les thèmes
Nous pouvons dire que le recueil est d’une grande complexité du point de vue thématique. Les thèmes abordés sont diversifiées. Il est souvent difficile de trouver l’unité du recueil et très souvent, en le lisant, il ne fait penser « Mais qu’est-ce que Baudelaire a voulu nous faire comprendre par ce recueil ? »
Un premier thème est celle de l’enfance. À la différence de Proust, qui a aussi abordé ce thème et pour qui la perte de l’enfance est définitive et irrémédiable, Baudelaire garde le pouvoir de s’étonner comme un enfant. Proust a le privilège de rappeler par la mémoire l’enfant qu’il était, mais l’adulte perd à jamais le pouvoir de s’étonner. Du point de vue du Baudelaire, l’artiste dispose encore de ce pouvoir. A ce pouvoir, il ajoute les dons d’analyse et d’organisation de l’âge adulte.
Le poète évoque le souvenir de son enfance heureuse, c’est-à-dire la période de temps avant le remariage de sa mère :
« Je n’ai pas oublié, voisine de la vile,
Notre blanche maison, petite mais tranquille ; »
Ce poème abonde d’une émotion très vive, en particulier quand le poète faite référence à Mariette, la servante de la famille. Il garde le souvenir de la vieille servante qui l’avait élevé jusqu'à l’âge de dix ans et il l’associe chaque soir à ses prières. La maison de Neuilly et son chère Mariette font partie d’univers plein de joie, l’univers d’avant la faute.
A notre avis, la thématique de la femme est évidente. La femme est présente sous divers formes chez Baudelaire et son attitude selon la femme n’est pas constante. La présence ou l’absence de la femme lui inspire des sentiments divers et, très souvent, contradictoires. Même quand Baudelaire ne mentionne pas la présence de la femme, il utilise des symboles qui nous font penser qu’il a eu une femme comme source d’inspiration pour certains poèmes où elle / elles semblent être absentes. Mais sur la dualité du Baudelaire vis-à-vis de l’idée de femme, nous avons parlé déjà.
Un thème indissociable de cet de la femme, est le thème de la beauté. Chez Baudelaire, la beauté comporte une zone d’ombre, quelque chose d’inquiétant. Tour à tour sensuelle et inaccessible, la beauté féminine est aussi éphémère et périssable. Le poème où ce thème est le plus évident est La Beauté, mais la solennité du poème suggère un amour impossible.
Le dualisme du monde est un autre thème que nous avons déjà mentionné. L’utilisation de ce thème est suggérée du commencement, par le titre du poème et il a une constance étonnante. Un autre exemple est le titre de la partie Spleen et idéal, qui expose de nouveau la contradiction de l’homme.
Le poète à le sentiment de « déjà vu ». Le thème de la vie antérieure se traduit par une certitude confuse d’une participation personnelle antérieure. Ici on peut voir l’influence des parnassiens. Le poète a une mémoire libérée de la chronologie. Le seconde poème intitulé Spleen commence par le vers « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans ». Cette abondance des souvenirs n’est pas convenable, que dans la mesure où le poète a vécu d’autres existences. Ce qu’on doit mentionner c’est que la réminiscence baudelairienne est liée à l’idée d’un bonheur ancien, qu’il veut retrouver de nouveau. L’âme avide d’infini garde la nostalgie d’un autre monde.
De cette recherche d’un ailleurs, est lié le thème de l’exil. L’exil est un thème complexe qui se traduit par divers formes d’évasion. Au XIXe siècle les voyages n’étaient pas accessibles à tous et nourrissaient l’imaginaire de nombreux écrivains. Les contrées lointaines étaient encore pleines de mystère et incitaient à l’évasion spirituelle. Mais pour Baudelaire, grâce au voyage qu’il a fait, ce thème est accessible et il choisie de la mettre en valeur dans ses poèmes.
Une première forme d’évasion, c’est l’évasion par les sens. L’amour sensuel est représenté dans le cycle de Jeanne Duval. Cet amour inspire au poète des divers sentiments comme le reproche, les remords, la colère, mais les poésies de ce cycle ont quelque chose semblable à un éclat, en particulier Parfum exotique :
« Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,
Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu’éblouissent les feux d’un soleil monotone ;
………………………………………………..
Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts »
Le paradis sensuel baudelairien foisonne de toutes les voluptés possibles, du corps et de l’amour : la femme, ses caresses et la nature féconde et abondante. Le grand originalité de Baudelaire c’est de faire partir son imagination du sens de l’odorat, sur lequel il met beaucoup l’accent. La prédominance de l’odorat favorise la fusion de tous les sens, conformément à la doctrine des correspondances.
Une autre forme d’évasion est celle à travers du vin. Mais Les Fleurs du Mal ne prennent pas la forme traditionnelle de la chanson à boire : boire c’est chercher à oublier. Il est évident que chez Baudelaire le vin signifie évasion. Chez lui, nous ne parlons pas de l’ivresse vulgaire, mais d’une exaltation dionysiaque. A travers du vin il peut évader du monde réel. Même si ce thème n’est pas beaucoup abordé dans le recueil, il est représenté dans quelques poèmes, groupés dans le cycle intitulé Le Vin :
« Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles :
Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité ! »
Le vin est vu comme un être humain, il a même son propre âme. Il est un camarade et il attrait le poète. A notre avis, le vin utilisé comme thème d’une poésie montre aussi l’idée de misère du poète. Une personne qui est heureux ne cherche pas l’évasion à travers le vin. Boire a été toujours un symbole d’inadaptation a une situation. Boire nous fait penser à un état tourmenté, troublé de l’âme.
Comme nous pouvons voir, même s’il prend des formes différentes, le vin est un moyen d’évader du monde réel, de la réalité difficile à supporter pour le poète.
Une autre solution trouvé par le poète pour évader, c’est le « rêve parisien ». Comme nous sommes en train de voir dans le chapitre suivant, Baudelaire est un poète moderne grâce à sa perception sur la ville. Il utilise le thème de la ville (Paris) dans quelques poèmes, mais la ville finisse par être seulement un autre environnement où le poète se sent seul. Une capitale nous fait penser à un état d’agitation, on peut faire plein de choses dans une ville, mais Baudelaire met l’accent sur la solitude qui l’entoure ici. Le « rêve parisien » finisse par être une illusion.
Pour Baudelaire, le mérite de l’art est de s’évader de la nature. Loin d’être quelque chose de beau, la nature représente pour le poète un mal. Loin de se fondre en elle, comme le font les romantiques (et non seulement eux), il cherche d’en sortir et trouver réfugie dans la ville. Il ne saura se définir que contre la nature.
La solution finale, depuis constater l’échec de toutes formes d’évasion, c’est l’évasion par la mort. En lisant les poésies du recueil, nous avons constaté que l’attitude de Baudelaire sur la mort est contradictoire. La mort, comme thème finale, est placé à la fin du recueil. Cela nous fait penser que le poète attende la mort et l’accepte comme s’il était une forme supérieur d’évasion, pour cela dire. Mais il y a des vers où la mort est présentée comme s’il était un autre ennemi de l’être humain :
« Et quand nous respirons, la Mort dans nos poumons,
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes. »
Chez Baudelaire la vie et la mort ne sont pas séparées par quelque cloison étanche, elles communiquent et s’impliquent réciproquement. D’une Manière presque occulte, la mort accompagne la vie, elle s’insinue en elle et l’habite. Comme nous pouvons voir ci-dessous, le poème introductif des Fleurs du Mal associe l’acte de la respiration à la mort. Notre vie est située dans la perspective de la mort, qui nous étreint, sans que nous percevions nécessairement sa présence. L’universalité de la mort, fait que l’homme soit soumis à la terreur du mystère et au tourment de l’inconnu.
Probablement le plus significatif poème pour ce thème, c’est Voyage. Toute évasion qui n’est pas un départ hors de ce monde est illusoire. Il est en vain de chercher des différences : toutes les civilisations, tous les régimes politiques, toutes les religions font une humanité corrompue. Tout voyage terrestre n’est qu’agitation et divertissement, exister c’est un péché. La seule évasion possible est la mort : « l’esprit du poète est habité par la nostalgie de la mort qui signifie, indépendamment de l’espérance de la résurrection, la seule chance de salut et d’affranchissement, ainsi que l’éclatement des frontières de l’espace et du temps. »
Le thème dominante et, dans le même temps, le thème qui donne de la modernité au recueil, c’est le spleen. On pourrait décrire l’enfer baudelairien comme une correspondance parfaite, mais inversée du paradis :
« délimitation précise d’un décor envahi d’objets (la ville le plus souvent), temps qui tantôt égrène ses minutes fatales, tantôt se fige dans l’ennui, espace clos, étouffant, dont l’image symbole est celle du gouffre, prédominance du noir, sensations horribles d’enlisement, d’étouffement et d’agonie, souffrances de l’âme soumise au mal. »
Nous avons constaté que dans le titre du premier partie des fleurs – Spleen et Idéal, la conjonction et prend une valeur d’opposition : le spleen et l’idéal représentent des notions contraires. Le spleen peut être considéré la retombée de l’idéal. Le spleen se traduit par la difficulté à vivre dans ce monde.
Le terme spleen, d’origine anglaise a été importé en France au milieu du XVIIIe siècle, par Diderot. Comme nous pouvons voir dans la définition, le terme désigne un ennui sans cause et un dégoût généralisé de la vie. Chez Baudelaire le terme prend une dimension un peu plus philosophique. Pour lui, le spleen représente l’état physique, psychologique et moral qui résulte précisément de la prise de la conscience de la « malédiction » éternelle de la nature et de l’homme. Pour échapper le spleen, le poète tente de s’évader vers les sphères de l’idéal. Le seul problème est que le réel avec son médiocrité vient arrêter ces élans.
La conscience de notre misère (parce que nous avons vu plusieurs fois que Baudelaire généralise sa situation sur tout l’humanité) est liée du thème double du temps : la hantise des précieux seconds qui nous laissons fuir et la lassitude qu’on devra vivre encore une existence désolé par l’Ennui. L’exploration de la misère humaine conduit à un écrasement de l’être qui représente l’état de spleen : sentiment incurable d’ennui, sensation d’impuissance, solitude morale, pensées macabres et cruelles.
Il est plus qu’évident pour nous que le spleen est le ton général du recueil. Cette maladie de l’âme tourmente le poète. Il a tant utilisé ce thème, qu’il sera pour toujours lié à son nom.
Le spleen va au-delà de la simple mélancolie sans cause, comme le mot est défini : pour Baudelaire, il est l’épreuve même du mal. On peut observer chez Baudelaire des formes douces du spleen, prés de la mélancolie lamartinienne et des formes aiguës, plus conformes, sans aucun doute, à l’idée qu’on se fait des Fleurs du Mal. Le recueil a quatre poèmes qui portent le titre « spleen ».
Le premier Spleen incorpore des ingrédients attendus : pluie, froid, cimetière. Le poème donne l’impression d’une mélancolie pénétrante :
« Pluviôse, irrité contre la ville entière,
De son urne à grands flots vers un froid ténébreux
Aux pâles habitants du voisin cimetière
Et la mortalité sur les faubourgs brumeux. »
Le « spleen » qui suive montre les la profondeur du sentiment qui presse sur le poète, en utilisant des mots qui font part du champ lexical de la mort.
Le troisième « spleen » commence par un ton d’une mélancolie douce. Il s’agit d’une forme de mélancolie qui persiste, mais nous pouvons l’associer avec une sorte de tristesse comme celle induite par quelque chose qui n’est pas très important pour nous, comme les conditions météo, par exemple.
Le quatrième poème du même titre, le plus célèbre d’entre eux, est le poème qui montre le spleen sous sa forme aiguë. Dans ce poème, Baudelaire évoque le spleen sous sa forme nettement pathologique. Le spleen a ici le plus dramatique caractère. Avec chaque strophe, nous assistons à la montrée vers la crise nerveuse violente et désordonnée. L’Angoisse règne sur l’âme vaincu qui abandonne ses aspirations vers l’Idéal. Dans ces strophes l’auteur utilise le jeu des correspondances parce que, par le pouvoir de la suggestion, il peut donner au lecteur une idée de ces états morbides :
« Et de longs corbillards sans tambours ni musique
Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incline plante son drapeau noir. »
Nous pouvons voir comme l’Espoir et l’Angoisse prennent des formes personnifiées dans leur champ de bataille, qui est l’âme même du poète. Celle qui gagne est, bien sûr, l’Angoisse qui se montre atroce vers l’Espoir qui pleure. Les mots, les images et le rythme utilisés ont crée un style qui définisse Baudelaire à jamais.
Enfin, il y a un autre thème qui n’est pas abordé souvent dans le recueil, mais nous devons la mentionner : il s’agit du thème de la décomposition universelle. Le poème représentatif pour ce thème est Le Squelette laboureur :
« Dans les planches d’anatomie
Qui traînent sur ces quais poudreux
Où maint livre cadavéreux
Dort comme une antique momie, »
Dans ce poème, avec beaucoup de réalisme, Baudelaire décrit la chair en décomposition. L’inspiration macabre s’inscrit dans la pensée générale du recueil, en fait. Baudelaire n’évoque pas la vie dans sa plénitude : son obsession est celle d »un monde qui se détruit.
II. 2. La structure
« … le seul éloge que je sollicite pour ce livre est qu’on reconnaisse qu’il n’est pas un pur album et qu’il a un commencement et une fin. »
Nous avons constaté qu’il est souvent difficile d’identifier un sort d’unité dans un recueil poétique. Chaque poème est un texte clos et séparé des autres. Mais nous considérons que Les Fleurs du Mal n’est pas une simple addition des poèmes, que en fait Baudelaire même y a voulu un ordre. La plupart des romantiques ne font pas un secret de leur sources d’inspiration, même quand il s’agit de personnes réels. Baudelaire, tout au contraire, est discret.
Pourtant, l’impression générale du recueil est qu’il y a un rapport intime et profond entre Baudelaire et son œuvre. Lui-même a écrit à Ancelle, le 28 février 1866 :
« Faut-il vous dire à vous qui ne l’avez pas plus deviné que les autres que dans ce livre atroce, j’ai mis tout mon cœur, toute ma tendresse, toute ma religion (travestie), toute ma haine ? Il est vrai que j’écrirai le contraire, que je jurerai me grands dieux que c’est un livre d’art pur, de singerie, de jonglerie ; et je le mentirai comme un arracheur de dents. »
Cet aveu apporte la propre contribution du poète à une ambiguïté qui est fondamentale à l’œuvre (à voir le premier chapitre). Avec ce témoignage, le poète nous met en garde : l’affirmation d’art pur n’est pas vraie, elle est un masque. L’œuvre donc exprime la vérité de la vie.
L’idée d’ordre chronologique ne peut pas être considérée : les fleurs ne sont pas des mémoires. L’édition définitive des Fleurs du Mal (1861) est structurée en six parties : Spleen et Idéal, Tableaux Parisiens, Le Vin, Fleurs du Mal, Révolte et La Mort. Chaque group de poèmes participe à l’anti-univers baudelairien.
Des plusieurs avis sur l’unité du recueil, nous considérons celle de George Bonneville. Selon lui, le poème qui ouvre le recueil, Au lecteur, représente la dimension métaphysique du livre où l’homme est enfoncé dans le péché et Satan triomphe en ce bas monde. Spleen et Idéal, la première partie, représente le plan véritable et assurément l’inverse, idéal et spleen. Les deux postulations de l’homme sont ici affirmées. A la question Comment échapper au mal ? Bonneville trouve deux solutions proposés par Baudelaire dans cette première partie : par l’art et par l’amour.
Echapper par l’art c’est pour Baudelaire la voie plus sûre. On peut identifier trois positions du poète : grandeur du poète (de I à VI), misère du poète (de VI à XIV), et son idéal de beauté (XVII à XIX).
Bien sûr qu’on ne peut pas trop systématiser. Pour faire les choses plus déroutant, Baudelaire y met des poèmes qui n’ont rien à faire avec la mission du poète (il s’agit des poèmes comme Don Juan aux Enfers ou Châtiment de l’orgueil). De plus, certains détails de chaque poème font les choses plus compliqués : La Vie antérieure n’exprime pas la « misère » du poète mais, au passé et ailleurs il est vrai, un monde de beauté. Mais, en général, la première partie du Spleen et Idéal est dédié au thème du poète et de la poésie.
Deuxièmement, le poète tente échapper par l’amour. Les poèmes semblent être répartis en quatre cycles et ils constituent l’ensemble le plus cohérent et le plus nombreux (plus de la moitié du Spleen et Idéal) :
« On a pu ainsi déceler un cycle de Jeanne Duval (de Parfum exotique à Je te donne ces vers…) ; un cycle de Madame Sabatier (de Semper eadem au Flacon) ; un cycle de Marie Daubrun (du Poison au poème A une madone) ; enfin le cycle de « femmes diverses », aussi nombreuses qu’il y a des poèmes, et partiellement identifiées : de Chanson d’après-midi à Sonnet d’automne. »
Toutes les deux tentatives d’échapper le mal finissent dans l’échec, l’échec de l’idéal et la rencontre du spleen. Cet ensemble (de LXV à LXXXV) de poèmes ne présente pas une cohésion très rigoureuse. Les Chats, par exemple, ne semblent pas inspirés par le désespoir. Toutefois, le thème de spleen ne tarde d’apparaître vite dans les quatre poèmes qui portent le nom même de Spleen. Les pièces de la fin (Obsession, L’Héautontimorouménos, L’Irrémédiable et L’Horloge) apparaissent sous les formes les plus désespérées : « de la sorte l’aspect métaphysique du triomphe du mal, qu’annonçait l’avis Au lecteur, trouve ici son illustration éclatante. »
La deuxième partie, les Tableaux parisiens, représente la tentative, et dans le même temps l’échec de la communion humaine dans le cadre de la ville. Les sentiments qui triomphent ici sont la solitude et la misère des hommes, dans l’illusoire communauté urbaine. Le sentiment de misère des hommes et doublé par la misère du poète. Il trouve dans ces tableaux le miroir multiplié de sa laideur et de son propre mal :
« Et mon cœur s’effraya d’envier maint pauvre homme
Courant avec sa ferveur à l’abîme béant,
Et qui, soûl de son sang, préférerait en somme
La douleur à la mort et l’enfer au néant !
La troisième partie intitulée comme le thème dominante d’ici, Le Vin, représente une autre solution proposée par l’auteur pour échapper le réel, pour se cacher du sentiment d’inutilité de la vie. L’ivresse est une réponse éphémère au désir de voyage ou de néant. Le vin est associé à la catégorie des paradis artificiels, un effort condamnable de l’homme pour échapper aux exigences imposées par sa condition :
«Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles :
Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité ! »
La quatrième partie c’est la partie qui porte le titre même du recueil : Fleurs du Mal. Il s’agit d’un florilège des vices et des péchés, qui marqueraient « non l’aboutissement d’une logique intérieure, mais les jeux d’un artiste se plaisant à pousser jusqu’à l’excès les audaces d’un certain romantisme scandaleux. » Dans cette partie damnée se trouvaient en effet, dans la première édition (celle de 1857), la plupart des pièces qui furent condamnées lors du procès. On peut y voir l’influence de Théophile Gautier sous les formes du romantisme macabre et du vampirisme qui témoignent, de la part de Baudelaire, d’une forte dose de provocation. Dans cette partie les femmes damnées voisinent avec les Béatrice et les Venus et l’être du poète est dégoûté par son cœur et son corps :
« O vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres,
De la réalité grands esprits contempteurs,
Chercheuses d’infini, dévotes et satyres,
Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs »
La cinquième partie c’est la Révolte, qui peut être interprété sur le plan symbolique comme être le moment de la compromission avec Satan et la colère contre Dieu. Pendant le procès que l’auteur a eu pour con œuvre, il a été accusé de blasphème. La révolte est suggérée comme un moyen offert à l’homme de dépasser sa condition misérable. Il est possible que Baudelaire n’exprime pas sa propre révolte, mais une révolte générale, la révolte de l’humanité entière, et qu’il ne pose pas seulement le problème de sa légitimité, mais aussi de son efficacité.
Placée juste avant La Mort, la Révolte prend dans l’ordonnance de l’ensemble une très grande importance : elle est en somme présentée comme une fausse sortie. Par cette partie, l’auteur semble se demander lui-même Qu’est-ce qui se passerait si… ? Mais la seule solution qui nous est offerte pour échapper à un monde voué au mal, c’est la mort.
La Mort, la sixième et dernier partie des Fleurs du Mal est donc, comme nous avons déjà anticipé, le seul salut possible qui nous reste. La mort représente un dernier voyage pour le « pauvre », l’ « amant » et l’ « artiste » qui ont l’espérance d’une réconciliation et d’un salut, en fond une expression ultime et tragique de leur recherche d’un ailleurs.
Nous retrouvons dans le dernier poème du chapitre et du livre, Le Voyage, toutes les formes du spleen et « Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché » Le poète reproduit dans ce partie finale, les thèmes majeurs de la symphonie où toutes les étapes du voyage se révèlent aussi vaines que les motivations qui l’ont provoqué, toute tentatives d’échapper le spleen se prouvent être en vain : seule la mort délivre de l’ennui.
La conclusion du volume est magistrale parce que le poème final, Le Voyage, semble écrit pour apporter au terme du recueil l’expression la plus complète de la pensée baudelairienne : l’inutilité de nos voyages pour échapper au spleen. Quelles qu’en soient les causes, blessures de la vie, besoin d’infini, nostalgie du changement, nous sommes sortis à l’échec car notre âme est la même et le mal est en nous.
« O Mort, vieux capitaine, il est le temps ! levons l’ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,
Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !
Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! »
D’après Georges Bonneville, telle est la structure voulue par Charles Baudelaire. Certes, les contradictions abondent, mais, dans l’univers du poète, qu’il a voulu lui-même créer des confusions concernant son recueil, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Le poète est béni, mais dans le même temps il est maudit ; l’homme est captif entre spleen et idéal ; la femme est animal et ange. Selon Baudelaire, il y a dans l’homme, dans les mêmes temps, deux postulations, l’une vers Dieu, l’une vers Satan, affirmation qui éclaire beaucoup de problèmes en ce qui concerne le volume. La seule traite qui est constante pour le poète et pour le recueil, c’est la dualité.
Apres avoir lu le recueil, la structure proposé par Georges Bonneville nous semble être en concordance (bien sur, son avis est interprétable) avec la structure que Baudelaire a voulu pour son recueil. Son dualité, sa discrétion, sa préférence déclaré pour bizarreries rendent ce procès d’essayer systématiser son œuvre très difficile.
II. 3. L’Anti-univers des Fleurs du Mal
II. 3. 1. La nature chez Baudelaire
La nature n’est pas un thème proprement dit dans Les Fleurs de Mal. Il se remarque justement par son absence. Cela est parce que Baudelaire ne l’aime pas. La seule qui semble faire exception, c’est la mer. La mer semble être associée avec une correspondance heureuse :
« Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans ce déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. »
Après Bonneville le processus de dégradation est manifeste. Mais la nature n’est pas réellement présente. La mer n’est pour Baudelaire qu’un mouvement de l’âme. Elle n’est pas vue comme un paysage. Même si nous savons que l’auteur a fait des voyages dans sa vie, les tableaux exotiques qu’il introduit dans ses poèmes sont le produit de son imagination, pas nécessairement de l’observation. Les forêts de Baudelaire sont des forêts des symboles, non des arbres de la nature. Nous pouvons aller encore plus loin : il ne suffit pas de dire que Baudelaire déteste la nature, il la nie.
Il y a une lettre que Baudelaire adresse en 1853 à Fernand Desnoyers, où il fait référence aux sentiments négatifs qu’il manifeste pour la nature et surtout pour l’idée d’écrire des vers sur la nature :
« Mon cher Desnoyers, vous me demandez des vers pour votre petit volume, des vers sur la Nature, n’est-ce pas ? sur les bois, les grands chênes, la verdure, les insectes, – le soleil, sans doute ? Mais vous savez bien que je suis incapable de m’attendrir sur les végétaux […] Je ne croirai jamais que l’âme des Dieux habite dans les plantes, et, quand même elle y habiterait, je m’en soucierais médiocrement, et considérais la mienne comme d’un bien plus haut prix que celle des légumes sanctifiés. J’ai même toujours pensé qu’il y avait dans la Nature, florissante et rajeunie, quelque chose d’affligeant, de dur, de cruel, – un je-ne-sais-quoi qui frise l’impudence. »
II. 3. 2. La ville
Tournant le dos à la nature, Baudelaire retrouve la ville. La donnée de la ville s’inscrit dans son art. Mais le poète n’est pas intéressé de ce que la ville montre, mais plutôt de ce que la ville cache – décor et gens. S’il y a un paysage décrit dans les fleurs, il s’agit d’un paysage urbain.
Baudelaire dédie l’un de ses six parties du recueil à la ville (Tableaux parisiens), en particulier à Paris. Le poème qui ouvre cette partie est vu comme un oint de départ pour l’évasion :
« Les deux mains au menton, du haute de ma mansarde,
Je verrai l’atelier qui chante et qui bavarde ;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d’éternité. »
Comme nous avons déjà dit, Baudelaire manifeste d’intérêt aussi pour les personnes qui habitent la ville. Il manifeste des sentiments comme solidarité et charité pour eux. Sa sympathie va, en certains situations, à des êtres plus individualisés : « il y a une particulière sollicitude, dans le Paris en pleine transformation, pour les laissés-pour-compte du progrès : vieillards, vieilles femmes, aveugles, prostituées. »
Comme nous avons déjà anticipé Le Cygne est exactement le poème qui exprime l’exil dans la grande ville. On peut considérer le bel oiseau comme le frère de l’albatros. Ce poème devient le symbole de tous les exilés, des blessés de la vie, de ceux qui ont la nostalgie d’une patrie idéale. Le grand mérite de Baudelaire c’est d’avoir évoqué ce sentiment paradoxal de solitude au milieu des foules de la ville. Il avait lui-même nommé ce sentiment « le spleen de Paris ».
II. 3. 3. L’univers esthétique
De notre point de vue, en parlant de l’univers baudelairien, il est absolument nécessaire de mentionner également l’univers esthétique, non seulement celui social et naturel. Quand nous parlons de l’univers esthétique de Baudelaire, nous faisons référence aux éléments suivants : le rôle du poète dans le monde, l’inspiration, la notion de dandysme qui a beaucoup influencé le poète, la perception de la beauté, le rôle de l’art, et ainsi de suite.
La thématique du rôle du poète dans ce monde a vivement sollicité l’attention de Baudelaire. Dans l’ordre des Fleurs du Mal, c’est même le premier thème évoqué, à travers du poème qui ouvre le recueil.
Les romantiques ont considéré le poète comme un être exceptionnel, marqué d’un signe à la fois faste et néfaste. L’orgueil d’être choisi est lié à la nécessité de souffrir davantage et d’être incompris par les hommes. En ce qui concerne Baudelaire, il accepte le schéma romantique et, de plus, il amplifie tous les termes. Le poète est maudit par sa mère et son père avant de l’être par la société. Mais cette malédiction a des bénéfices, car la souffrance imposée en ce monde est le signe d’une élection dans le Ciel. Le poète exprime sur la terre les beautés éternelles dont les hommes n’entrevoient qu’un pâle reflet. Par « Bénédiction » le poète est plein de confiance en la Providence qui est garante du prix que le génie doit payer :
« Vers le Ciel, où son œil voit un trône splendide,
Le Poète serein lève ses bras pieux,
Et les vastes éclairs de son esprit lucide
Lui dérobent l’aspect des peuples furieux : »
En ce qui concerne l’inspiration, Baudelaire s’accorde avec Edgar Poe pour proclamer que la création est affaire de volonté et de savoir-faire. L’art poétique est une science, n’a rien à faire avec le hasard. Toutefois, le poète des muses qui l’inspirent dans ses poésies. Il s’agit des femmes dont nous avons parlé dans la première partie de ce mémoire.
Toujours lié à son idéal esthétique, Baudelaire utilise le dandysme, qui a été expliqué dans la partie introductive de ce chapitre. Le dandy est un être oisif, donc socialement inutile. Il réprime le naturel soignant le paraître plutôt que l’être. Le dandy cultive le beau au lieu du vrai, du bien et d’utile. Ne nous étonnons pas donc que l’univers esthétique de Baudelaire soit dominé par la présence du dandy.
La beauté occupe une place spéciale dans l’univers poétique de Baudelaire. Cette notion s’inscrit dans le titre même : les « fleurs » du « mal » représentent la beauté que le poète extrait du péché et de la souffrance. La beauté devient pour Baudelaire la matière première pour la poésie. Elle est la forme privilégiée de l’idéal et correspond aux moments heureux où le poète échappe au spleen. Le poète est celui qui comprend les symboles cachés de la nature et la beauté devienne une fête de l’esprit. Elle est étrangère à ce monde et dans les mêmes temps, une valeur suprême. Elle est au-delà du bien et du mal.
Le poète s’adresse donc à la beauté avec beaucoup de ferveur. On pourrait dire que c’est d’elle qu’il attend le salut. Il voit dans la beauté une sorte de consolation qu’il veut non seulement pour lui-même, mais pour tous les hommes. Dans Les Phrases (en faisant référence aux œuvres de plusieurs artistes comme Delacroix, Goya, Watteau), il la compare avec un divin opium pour les cœurs mortels :
« Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C’est pour les cœurs mortels un divin opium ! »
En ce qui concerne la relation entre le beau et l’utile, on pourrait affirmer que chez Baudelaire le culte de la beauté est incompatible avec la notion d’utilité. Le paradis terrestre dont il rêve est à l’abri de toute notion de productivité, c’est-à-dire une vie disponible pour la méditation et création. Son aversion pour la productivité est particulière et porte sur le lien établi par le capitalisme entre l’argent et les temps : « Time is money » c’est pour lui l’horreur absolue, d’ici le rêve d’un monde où le temps est délivré de toute idée de productivité. L’ordre, le luxe (souvent inutile) et la volupté sont les composantes d’un monde orienté vers la beauté.
En ce qui concerne le rôle de l’art, elle est par sa propre nature inutile, sans autre finalité qu’en soi même. Cela veut dire que l’art n’a pas aucun lien avec la morale. Mais d’ici résulte une problématique un peu difficile : quelle doit être la morale de l’artiste ? Le dandy organise sa vie selon des critères esthétiques, il serra donc un modèle à suivre, mais le poète ira plus loin, car sa vie serra convertie en poèmes. Si l’on est poète, la vie ne serra pas vécue pour elle-même, mais pour l’œuvre qu’il fera. La femme aimée ne sera plus aimée pour elle-même, mais en tant que promesse de création. Pour le poète une expérience morale est celle qui est féconde du point de vue esthétique, la vie est mise en service de l’art et s’est pour cela que l’œuvre devienne une sorte de justification. L’artiste a donc une morale qui lui est propre car la recherche de la beauté exclut tout abandon aux joies simples de l’existence. Pour Baudelaire, la beauté doit être extraite du mal, de la souffrance et du péché, lesquels existent dans le monde indépendamment de sa volonté : c’est l’idée fondamentale qui se retrouve à la base de son anti-univers poétique.
Dans le cadre d’une exposition de peinture qui a eu lieu dans l’année 1855, l’auteur a exprimé quelques idées en stricte relation avec son art, qui nous aident à comprendre son univers esthétique. Ses mots étaient : « Le beau est toujours bizarre. Je ne veux pas dire qu’il soit volontairement, froidement bizarre, car dans ce cas il serait un monstre sorti des rails de la vie. Je dise qu’il contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie naïve, non voulue, inconsciente, et que c’est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le Beau. »
Ce qui est spécifique au bizarre, est qu’il s’oppose au naturel. Encore une foi, nous pouvons voir l’hostilité du poète manifesté envers la nature. La nature représente ce qui est inné, l’art, tout au contraire, ce qui est acquis. En ce qui concerne son goût pour la parure, le poète considère que la beauté d’une femme réside davantage dans son maquillage, fard et parfum, que dans la grâce naturelle du corps. Il est séduit par le détail qui provoque, et non par l’harmonie générale. Baudelaire opte pour ce qui relève du particulier, du rare, de l’exceptionnel. Il est émerveillé par ce qu’on n’attend pas, ce qui n’est pas habituel, qui étonne ou même choque. Il rejette ce qui constitue l’essentiel de la doctrine classique : une sorte de consensus appelé décence, bon goût. Ce rejet est provocateur, mais il ne cultive pas spécialement les « bons sentiments ». Pour lui, le mal produit de plus belles « fleurs ». Le bizarre est donc ce qui échappe à la norme et l’esthétique du bizarre est ce que Baudelaire appelle indifféremment « l’art romantique » ou « l’art moderne ». Mais nous aurons l’occasion d’analyser les éléments qui font de l’art de Baudelaire un art moderne dans le chapitre qui suive.
II. 3. 4. L’univers religieux
Etre le fils d’un prêtre défroqué a marqué Baudelaire à jamais. Nous ne devons pas être étonnés de la présence abondante des éléments religieux qui se retrouvent dans ses poésies. La seule question qu’on doit se poser est quelle est vraiment la position du Baudelaire vis-à-vis de la religion. Il est aussi important à savoir que, dans le processus qu’il a eu pour Les fleurs du mal, quelques poésies ont été accusées d’être des blasphèmes.
Le problème du christianisme des Fleurs du Mal s’est posé donc dès la parution du livre. Les opinions ont été différentes grâce à l’esprit paradoxal du poète : pour des uns son œuvre devait être une condamnation sans appel, pour des autres le christianisme très tonique des Fleurs était évident. Le romancier catholique Barbey d’Aurevilly, par exemple, était de cette opinion. Plus tard deux arguments très convaincants ont été avancés par Jean Massin. L’un d’eux est le sens de la charité qui est présent dans le recueil. L’autre argument est tiré de l’attitude de Baudelaire face à la douleur :
« Je sais que la douleur est la noblesse unique
Où ne mordront jamais la terre et les enfers…»
Cette idée de douleur régénératrice ne peut s’expliquer que dans un contexte chrétien. Il est vrai que Baudelaire n’y associe pas le sacrifice du Christ et on peut douter le christianisme sans Rédemption. Le poète affirme que Dieu est utile, même s’il n’existe pas, qu’il est le support nécessaire de l’ordre social. Nous pouvons parler d’un catholicisme théorique chez Baudelaire grâce à ses motivations négatives : il pense que le catholicisme est une arme pour combattre la foi en la science, en la démocratie, dans le progrès.
Nous proposons une sorte d’inventaire des éléments religieux qui se retrouvent dans les fleurs, pour montrer que ceux-ci sont vraiment nombreux :
Dieu (L’Horloge, Le vin du solitaire, le Voyage) ;
Ève (Les Petites Vieilles) ;
Le paradis terrestre (Les litanies de Satan) ;
L’arbre de science (Les litanies de Satan) ;
Le prophète Moïse (L’Héautontimorouménos) ;
Le roi David (Réversibilité) ;
Son fils Salomon (Le Monstre) ;
Le juif errant (Le Voyage) ;
Jésus-Christ (Les Phrases, Le Mauvais Moine, Le Rebelle etc.) ;
La Vierge Marie (A Une Madone) ;
Trois saints (Pierre – Le Reniement de Saint-Pierre, Antoine – Femmes Damnées, et Lazare – Le Flacon) ;
La figure de l’ange (Bénédiction) ;
Le Diable (Au Lecteur, Tout entière, Hymne à la Beauté, Le Vin de l’assassin) ;
L’Enfer (Bénédiction, Horreur Sympathique, Le Jeu) ;
Des éléments qui sont liées à la liturgie (messe, génuflexion, enfant de chœur, cierge, crucifix, autel, Saint Table, communier, ciboire, Te Deum, orgue etc.) ;
Des édifices religieux (cloître – Le Mauvais Moine, église – Le Parfum, cathédrale – Obsession) ;
D’autres croyances non judéo-chrétiennes (la foi mahométane – Allégorie, l’hindouisme – Le Voyage, le paganisme – La Prière d’un Païen).
Notre conclusion est que les éléments religieux sont plus que nombreux. Apparemment la religion n’est pas un thème prédominant pour Baudelaire. Toutefois, l’utilisation fréquente de la terminologie religieuse et des motifs religieux nous indique que Baudelaire n’a pas accidentellement impliqué la problématique de la religion dans ses fleurs.
Chapitre III : Modernité dans Les Fleurs du Mal
Les Fleurs du Mal foisonnent de ces tensions et de la dynamique spécifique à la modernité. On y trouve la volonté d’explorer d’autres espaces de création et d’expression. Le recueil n’a pas, comme les œuvres écrites par Hugo, par exemple, une architecture fondée sur un principe chronologique ; Baudelaire opte pour une architecture subtile, faite des ruptures et oppositions.
III. 1. Le poète est un « voyant » : Evasion du réel
« Ainsi, qu’il soit peinture, sculpture, poésie ou musique, l’art n’a d’autre objet que d’écarter les symboles pratiquement utiles, les généralités conventionnellement et socialement acceptées, enfin tout ce qui nous masque la réalité, pour nous mettre face à face avec la réalité même. »
Même si Baudelaire ne s’inscrit pas dans le courant que nous appelons modernisme, sa poésie a, toutefois, des éléments modernistes. Comme nous sommes en train de voir, il est un véritable précurseur des auteurs modernistes.
Pour commencer, l’idée que le poète est un voyant, que son bout est d’arriver à l’inconnu par sa poésie, est une idée moderne :
« Atteindre l’inconnu en se libérant totalement des entraves de la raison, c’était une direction que Baudelaire n’avait pas expressément prévue et qu’il n’eût pas nécessairement approuvée. Mais peut-on nier qu’il en soit, pour une part, à l’origine ? »
La plus représentative poésie en ce sens est Correspondances. On peut considérer cette poésie un ars poétique parce que ici Baudelaire annonce la théorie qu’il utilise beaucoup, c’est-à-dire la théorie des correspondances : pour lui, la réalité qui l’entoure est composée de « symboles » que seul le poète peut déchiffrer et qui lui permettent d’entrevoir le monde invisible et immatériel de l’Idéal. Il existerait ainsi une communication secrète entre le monde matériel visible et le monde invisible de l’Idéal. Cette théorie est la base même de l’idée que le poète est un voyant. Après Baudelaire
« La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers. »
Nous pouvons être tentées de dire « Mais Baudelaire n’aime pas la nature, pour quoi l’appelle-t-il un temple ? » Mais la nature pour Baudelaire ici n’est qu’un décor d’un monde qu’il veut trouver. Les paroles de la nature sont confuses, c’est-à-dire, il n’est pas facile de les interpréter. Il est difficile même pour le poète. Les forêts ne sont pas des arbres, ils sont des forêts de symboles, symboles cachées, symboles qui se montrent seulement au poète qui sait les interpréter, faire des correspondances entre eux pour trouver son Idéal.
« Le poète en tant que voyant et prophète peut au moyen de son intuition, accéder au Verbe et le suggérer. C’est au moyen de symboles que selon Baudelaire l’homme peut correspondre avec le monde des sensations et avec le monde suprasensible. A la fin du sonnet, c’est au moyen des sens, que l’homme peut accéder à la réintégration de son âme et de son corps en une unité indissociable qui met en valeur la complémentarité des contraires. »
En ce qui concerne l’idée d’évasion, les vers finals sont les plus illustratives :
« Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens. »
Ici, le poète mentionne vraiment le transport de l’esprit. Pour faire cela, il fait appel aux sens, notamment aux sens olfactif. L’idée que le sens olfactif a le pouvoir de transporter l’esprit dans d’autres mondes va être utilisé plus tard dans la littérature par Marcel Proust.
III. 2. Le poète est voué au malheur
Une autre idée moderne, en quelque sorte, est celle que le poète est voué au malheur. Selon Bonneville, un tel choix ne peut être innocent, mais il appartint à Baudelaire de montrer que la malédiction subie par le poète, loin d’être un accident, était dans la logique même de son choix. Il apparut clairement à Baudelaire comme incompatible avec une conception paisible de l’existence. Les Fleurs du Mal soutiennent l’idée qu’on ne peut concevoir un type de beauté où il n’y ait du malheur, mais l’idée n’était pas nouvelle puisque la plupart des romantiques l’avaient accréditée. Tant Verlaine, que Rimbaud ont été marginalisés par la société et ont accepté délibérément de se voir marginalisés. Ils furent le type même des « poètes maudits », la rupture avec l’ordre social était pour eux un choix fondamental.
Des tous les malheurs qui sont attirés sur le poète, la plus presseur c’est probablement le temps. L’idée de temps obsède Baudelaire parce qu’il le vue comme un ennemi. Le temps est un poids, démesurément long quand le poète s’ennuie, le temps est un supplice.
En lisant le recueil et les théories de Georges Bonneville, notre avis est que Baudelaire manifeste une sorte de reconnaissance pour ces malheurs auxquels il est soumis. Ces malheurs (l’inadaptation au monde, le spleen, l’ennui, le temps en qualité d’ennemi, l’infortune) sont la source même de l’inspiration. L’un des poèmes qui nous a beaucoup marqué – le quatrième Spleen (et qui va être analysé dans la partie qui suive) est probablement la preuve la plus claire. Cet état d’ennui, de spleen, a été la source d’inspiration pour un poème exceptionnel.
III. 2. Mal et modernité
« Beaucoup de gens se sont pressés, avec une curiosité de badauds, autour de l’auteur des Fleurs du Mal. L’auteur des Fleurs en question ne pouvait être qu’un monstrueux excentrique. Toutes ces canailles-là m’ont pris pour un monstre, et quand ils ont vu que j’étais froid, modéré et poli, – et que j’avais horreur des libres-penseurs, du progrès et e toute la sottise moderne, – ils ont décrété (je le suppose) que je n’étais pas l’auteur de mon livre… Quelle confusion comique entre l’auteur et le sujet ! Ce maudit livre (dont je suis si fier) est donc bien obscur, bien inintelligible ! Je porterai longtemps la peine d’avoir osé peindre le mal avec quelque talent. »
L’idée qui a dominé le XIXe siècle a été ma confiance dans le progrès. Nous avons beaucoup d’exemples des auteurs de cette vision optimiste. Mais sur ce point, Baudelaire tourne délibérément le dos à son siècle. Cette attitude, loin de l’éloigner de la modernité, lui permet de l’assumer.
Baudelaire a exprimé un mal métaphysique qui touche la condition de l’homme, manifesté sous la forme de spleen ou de l’ennui. Cette idée a été explorée intensivement par la postérité de Baudelaire : Dostoïevksi et puis Camus et Sartre, qui nous ont apporté leur vision d’une humanité tourmentée, sous le décor d’un monde absurde.
Dans sa perception sur le mal, Baudelaire semble s’inspirer de philosophe Plotin qui, dans Les Ennéades, définisse le mal physique comme « descente de l’âme dans le corps, où le corps subit le mal et la souffrance et vit dans le chagrin, le désir et la crainte dans tous les maux. » Ce que Baudelaire fait, c’est d’assigner une valeur esthétique idéalisée au mal. Par le titre de son recueil, Baudelaire suggère que le mal a une origine terrestre. Paul Arnould considère que « il est désormais clair que pour Baudelaire, comme pour l’hermétisme, c’est l’état brut ou naturel de l’être humain qui équivaut au mal. »
On peut voir chez Baudelaire sa nature mélancolique dans son inclination vers le vide. Il écrit dans son journal intime, sur lui même : « Au morale comme au physique, j’ai toujours eu la sensation du gouffre, non seulement du gouffre du sommeil, mais du gouffre de l’action, du rêve, du souvenir, du désir, du regret, du remords, du beau, du nombre etc. » Dans l’interprétation de Roudaut, ce gouffre peut être expliqué en relation avec la perception du temps pour Baudelaire :
« Le temps, pour Baudelaire, ne peut être figuré ni par un cercle, ni par une ligne ; il l’est par une spirale ; chutant dans le temps, l’être est emporté dans un tourbillon qui l’étouffe progressivement comme si sa poitrine était entourée des cordes humides. Béant, le gouffre est sans fond. »
Mais cet aspect significatif de la modernité ne se limite pas seulement à la forme métaphysique du mal – spleen, ennui, gouffre – il se manifeste aussi dans la dimension sociale. Aristote disait que « l’homme est un animal social », mais Baudelaire a été l’auteur qui a découvert la solitude de l’homme au cœur de la ville. L’idée a été plus tard la base même des œuvres de quelques auteurs (Steinbeck et Fitzgerald, par exemple, qui ont été marqués par la crise des années trente).
Annexes
I. Au Lecteur
« La sottise, l’erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.
Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiment dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.
Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.
C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !
Aux objets répugnants nous trouvons des appas ;
Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.
Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d’une antique catin,
Nous voulons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme un vieille orange.
Serré, fourmillant, comme un million d’helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.
Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie,
N’ont pas encore brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie.
Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,
Il est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris,
Et dans un bâillement avalerait le monde ;
C’est l’Ennui ! – l’œil chargé d’un pleur involontaire,
Il rêve d’échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
– Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère ! »
Au Lecteur représente le mot qui Baudelaire adresse au lecteur, la préface on peut dire, avant qui celui-ci commence lire le recueil. En lisant ce poésie, le lecteur plonge dans un abîme de vices et corruption. C’est exactement le sentiment que le poète veut transmettre, en sentiment en parfait harmonie avec le titre même du recueil : Les Fleurs du Mal. A travers de ce poème, l’auteur évoque des images décadents de l’être humain, en général.
Dans les premiers quatre strophes de la poésie l’auteur décrit toute sorte des vices auxquels l’être humain est exposé : l’erreur, le péché, la lésine. Le péché est associé avec l’impossibilité des hommes de penser. Les derniers deux vers de la première strophe choquent par l’agressivité poétique avec laquelle Baudelaire compare les remords avec l’image des mendiants nourrissant leur vermine. Mais il ne s’agit pas d’un simple comparaison : par cette image, l’auteur généralise la dégradation de tous les hommes, n’important leur condition sociale. Tous les hommes sont sales, physiquement ou spirituellement.
La deuxième strophe montre l’inutilité des repentirs. L’homme se perd dans se péchés et il ne peut pas trouver des moyens pour se sauver. A la fin du chemin de la vie, c’est Satan qui attend nos esprits corrompus. Satan est celui qui, dans la troisième strophe, commande notre vie. Il est associé avec un savant chimiste. Cela veut dire que nous ne sommes pas que de substances chimiques mets à sa disposition. La capacité de penser qui est normalement spécifique pour les êtres humains et entièrement annulé par le pouvoir du « Satan Trismégiste ».
En utilisant des images dégoûtants, dans les strophes cinq et six montre le chemin des hommes devenus des poupées dans les mains de Satan. L’être humain est ici dépourvu de tous caractéristiques qui le font humain. Il a un peule de Démons habitant son cerveaux, mais il n’est pas conscient et donc, il ne peut rien faire.
Jusqu’ici la lecture du poème nous faire demander qu’est-ce que le poète a voulu dire avec ces dégoûtantes scènes qu’il a évoqué. Est-il possible que le poète a voulu seulement montrer la dégradation extrême de l’âme de l’être humain ? Comme nous pouvons voir, du premier poème du recueil, l’idée d’anti-univers est plus que visible.
La septième strophe est intéressante parce qu’ici le poète offre une solution bizarre pour éviter la tentation du péché : la lâcheté. Nous nous demandons comment cela peut être ? Mais cette idée ne fait que renforcer l’incapacité de l’être humain de penser, de faire ses propres décisions, la faille de control sur son propre destinée.
Dans la partie finale du poème, le poète révèle le plus mal est le plus méchant des péchés. Dans sa collection des monstres, il introduit l’Ennui. L’Ennui est devenu un état d’esprit pour le poète. Il le tourmente. Dans les derniers deux vers du poème, Baudelaire s’adresse directement au lecteur en utilisant le prénom personnel tu. Ce qu’il veut est de sympathiser avec le lecteur qui est familier avec ce mal, même s’il l’admet ou pas (Hypocrite lecteur). La relation que le poète veut construire avec le lecteur va au-delà de la relation simple écrivain – lecteur. Il nomme son lecteur mon semblable, – mon frère.
Ma modernité de Baudelaire se manifeste dans ce poème par sa violence poétique. Il donne des images crues en utilisant des mots qui appartiennent au champ lexical de la pourriture, des vices, du spleen. Il y a un mélange de plusieurs genres de langage. Il utilise le vocabulaire courant (vieille orange), mais aussi des mots qui tient du vocabulaire ancien, par exemple Trismégiste.
Pour conclure, Au Lecteur est une véritable préface à l’entreprise des Fleurs du Mal. Le poème annonce non seulement les thèmes qui seront abordés dans la suite du recueil (mal, spleen, péchés, vices), mais aussi la vision que le poète à vis-à-vis de ce monde, sa position dans son anti-univers. Cette préface propose, sans aucun doute, une vision pessimiste de l’homme. Les fleurs qui celui-ci accueille dans cette vie, ne sont pas des roses, ils sont des fleurs du mal.
II. L’Albatros
« Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !
Le poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »
Le poème L’Albatros se retrouve dans la partie intitulé Spleen et Idéal, la deuxième partie du recueil. Comme nous avons vu dans l’analyse de la structure du recueil, cette partie montre l’homme déchiré entre l’aspiration à l’élévation et l’attirance pour la chute. Ce déchirement se trouve à l’origine du spleen, indissociable de la condition humaine, même dominant sur la condition humaine, on peut dire.
Les références à la mer et aux navires nous font penser que ce poème a été inspiré à Baudelaire par son voyage. L’albatros signifie chez Baudelaire la conscience d’être différent des autres. L’image de l’albatros capturé nous suggère l’idée d’un être totalement étranger au monde qui l’entoure. Cela se lie avec la thématique du poète maudit, c’est-à-dire non copris par les gens de son époque.
Ce que nous observons c’est ce le poème L’Albatros est fondé sur une double comparaison : le poète est l’albatros, et l’albatros, par un réseau de personnification, est le poète. L’albatros, c’est-à-dire le poète, est comparé avec un roi déchu, un voyageur ailé tombé du ciel. La quatrième strophe du poème explicite le symbole de l’oiseau, à travers d’une métaphore – un prince des nuées aux ailes de géant. Exilé parmi les hommes, l’existence de l’albatros semble être l’existence même du poète. Dans ces termes, si l’oiseau est le poète, les hommes équipage deviennent le théâtre social.
Il y a un contraste verticalité – horizontalité dans la poésie. La verticalité est représentée par l’aspect aérien. L’évocation de l’albatros dans toute sa grandeur suggère l’immensité et l’ouverture grande des espaces qui celui-ci a à parcourir dans son envol. L’horizontalité est représentée par le navire, et dans un sens plus général, par la société. Dans l’horizontalité médiocre l’albatros est gauche et veule. Il y a dont le monde d’en haut et le monde d’en bas et la communication entre les deux est difficile, certain temps impossible.
Pour renforcer ce contraste, Baudelaire construit ce poème sur un jeu d’antithèses : l’oiseau en vol est un oiseau majestueux, mais lorsqu’il se pose il paraît ridicule et la beauté (naguère si beau) se retrouve dans la proximité de la laideur (qu’il est comique et laid), le roi de l’azur se transforme dans l’infirme qui volait. Ces antithèses peuvent symboliser le contraste entre l’âme voyant du poète et l’échec de trouver son place dans ce monde : le poète ne se mêle pas au public vulgaire. Leurs cultures sont trop éloignées. La seule solution qui reste au poète est de s’exiler, d’être seul. Cette singularité se retrouve dans le symbole de l’albatros.
Pour finir, la place du poète dans la société est comparée, comme nous avons déjà vu, à un albatros : majestueux dans le ciel où est son élément, mais ridicule sur la terre où il entre en contact direct avec les hommes. Le poète se considère au-dessus du commun des hommes même par ses poèmes, mais quand il se mêle aux hommes, il n’est rien et il devient ridicule. Etre un poète maudit est part de son anti-univers poétique.
III. Spleen (LXXXVIII)
« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées,
D’une vaste prison imite les barreaux,
Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées,
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
– Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir,
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. »
Le Spleen LXXXVIII est le dernier des quatre poèmes qui portent le nom de Spleen. Il est le plus angoissant. La première strophe nous introduit dans une atmosphère clos, mélancolique. Le ciel qui dans L’Albatros était associé avec l’Idéal, avec un autre monde, ici est bas et lourd et il pèse sur le poète. De plus, c’est il (l’horizon) qui verse un jour noir plus triste que les nuits. L’auteur utilise un oxymore – jour noir – qui est inquiétante et qu’il a des nuances hyperboliques. Le pessimisme domine dans ce poème.
Dans la deuxième strophe, la crise ne fait que s’accentuer. La terre est changée dans un cachot humide. Par cette métaphore, Baudelaire crée une atmosphère où l’air est rendu irrespirable. Un cachot est une cellule de prison, étroite, base et obscure où l’on enfermait les criminels ou les condamnées au mort. L’image prend des nuances claustrophobes. L’humidité du cachot ne fait qu’accentuer cet état du poète.
Dans la troisième strophe la crise du poète prend des nuances de plus en plus hyperboliques. Ici, l’atmosphère n’est pas seulement humide, nous avons une pluie destructive qui couvre toute la terre. Le cachot est devenu une vaste prison.
Si ce poème était une œuvre narratif, la quatrième strophe serrait le climax. Jusqu’ici nous avons eu une sorte de léthargie. Mais maintenant, le poète utilise des images auditives qui suggèrent un état de désespoir : les cloches sautent avec furie et ils lancent vers le ciel un affreux hurlement. Le poète ne parle pas seulement de lui-même. Il généralise sur les esprits qui se mettent à geindre. Le tableau crée nous fait penser vraiment à douleur physique.
La strophe finale représente la capitulation du poète. Il sent dans son âme des corbillards, symboles de la mort. La lutte d’entre Espoir et Angoisse, qui sont personnifiés, est gagné par l’Angoisse qui se mont atroce et despotique, tandis que L’Espoir vaincu, pleure. Il y a deux autres symboles forts dans cette strophe finale : le crâne incliné qui est le symbole même de la capitulation dans chaque lutte, et le drapeau noir qui est le symbole que les pirates utilisent quand ils conquièrent un autre navire. Mais c’est l’agressivité de l’image qui nous frappe : l’Angoisse plante son drapeau noir sur le crâne incliné du poète.
Le Spleen LXXXVIII est un poème dramatique, cela c’est sur, qui dépeint la montrée de la crise et puis la défaite finale. Le spleen se manifeste ici sous formes multiples : le mauvais temps, sur le plan moral et psychologique et sur un plan métaphysique. Nous considérons que ce poème est un des plus représentatifs pour l’anti-univers que Baudelaire a voulu créer par son recueil, grâce à son agressivité et les images dures évoqués.
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