Les Masques Transparents Ou Le Jeu de L’amour Et Du Hasard
Les masques transparents ou Le Jeu de l'amour et du hasard
Contenu
Introduction
Masques visibles, masques théâtraux
Première partie: Le masque dans le théâtre européen et dans le théâtre nô
Deuxième partie: Le rococo des salons: Marivaux et le théâtre à l'époque des Lumières
Masques transparents ou Le jeu de l'amour et du hasard
Chapitre I Masques sociaux dans «Le jeu de l'amour et du hasard»: maîtres et serviteurs
Chapitre II Masques et individus
La soubrette sophistiquée
Les subtilités du valet
Les personnages adjuvants du jeu
Une femme à marier
Un homme à marier
Chapitre III Quand les masques tombent
Conclusion
L'intérêt de la pièce sur plusieurs aspects
Bibliographie
Pierre de Marivaux, Le jeu de l'amour de du hasard
Frédéric Deloffre, Marivaux, Théâtre complet, I
Le Mercure de France, 1730
Michel Deguy, La machine matrimoniale ou Marivaux, Paris, Gallimard
Ovidiu Dramba, L'histoire du théâtre universel
Introduction
Masques visibles, masques théâtraux
Le masque au théâtre européen
Du théâtre grecque à la commedia dell'arte
Au théâtre, les masques apparaissent en même temps que le théâtre lui-même. Les grecques, considérés comme les inventeurs de cet art, les utilisaient aux fêtes de Dionysos, où les chanteurs portaient des masques de bouc. Le bouc, en grec «tragos» a donné la nom de la tragédie, qui signifie à la base donc «le chant des boucs» .
Au début, les masques représentaient des êtres légendaires, des animaux fabuleux, des satyres, les amis du dieu Dionysos, et après, un peu plus tard, ils vont représenter des types humains. L'acteur portait toujours un masque qui mettait en évidence le personnage et qui couvrait entièrement son visage. Pour une tragédie on utilisait vingt-huit types de masques et la bouche était confectionnée en sorte qu'elle amplifie la voix de l'acteur.
Après les grecs, le théâtre va tomber en obscurité pendant le Moyen Âge. Cependant, les manifestations théâtrales, quoique toujours liées à la religion, ne manquaient pas de masque, utilisé à cette époque par exemple pour la représentation du diable. De même, les fêtes populaires se caractérisaient par deux traits: la danse et le masque.
Pendant la Renaissance, les masques continuent à être utilisés dans la «commedia dell'arte», où tous les personnages, sauf les «amoureux» portaient des masques faits pour exprimer le plus réellement possible le personnage qu'ils incarnaient.
Depuis, le masque a été utilisé de moins en moins. Son rôle a été pris par l'acteur et sa mimique. Ils continuent à servir plutôt d'artifice, mais ne détiennent plus l'importance du début de leur apparition.
Le nô
Au Japon, le théâtre trouvent ses origines dans les danses rituelles. C'est à peine à partir du XIIIe siècle que cet art atteint son apogée dans la forme du drame «nô».
Le théâtre nô, dont les créations se situent entre le XIVe et le XVe siècle, comprend des textes poétiques en vers ou en prose rimée et insiste plus sur les émotions des spectateurs que sur une intrigue.
Les acteurs portent le plus souvent un masque et jouent sur une estrade, sans décor ni rideau. Ce qui caractérise les masques nô c'est qu'ils sont rigides, sans que cela empêche de reconnaître de différentes expressions à travers eux. La perception des expressions varie selon l'inclinaison des masques par rapport au plan du visage et aussi selon la perception culturelle du spectateur. D'après l'inclinaison de la tête, l'expression change: la joie est le résultat du redressement du masque, et au contraire, l'inclinaison vers le bas exprime la tristesse.
Les masques nô sont peints de formes et de motifs qui renforcent la perception de différentes expressions, ayant les contours de la bouche très profonds et les cils bien marqués. Les acteurs laissent croire aux spectateurs par des petits mouvements de la tête que les muscles faciaux qui, en faite, n'existent pas, sont ceux responsables des changements de l'expressions du visage.
À partir des années 1800, quand l'époque médiévale japonaise est considérée comme finie, le théâtre japonais a commencé à représenter des auteurs européens et à emprunter à celui-ci des normes esthétiques du théâtre réaliste.
Le rococo des salons: Marivaux et le théâtre à l'époque des Lumières
Le XVIIIe siècle a préparé en France la révolution bourgeoise de 1789. Le mécontentement envers l’absolutisme monarchique installé par Louis XIV et continué par Louis XV et envers les privilèges de l'aristocratie a donné naissance à une idéologie révolutionnaire exprimée dans les œuvres des philosophes et des écrivains de l'époque. L'image fidèle de la réalité (sociale, politique et morale) du temps a été représentée essentiellement sur la scène et c'est pourquoi le théâtre est devenu, d'après Jean-Paul Sartre, la «tribune morale» de la petite bourgeoisie et de la population qui vivaient dans la misère.
Les deux écrivains qui s'imposent dans ce climat incertain et trouble sont Denis Diderot et Voltaire. Ce dernier, de son vrai nom Jean François Arouet, est considéré la personnalité la plus importante du siècle des Lumières. Même s'il préfère renouer avec la tragédie classique, ce n'est pas moins important le fait que ses tragédies ont été frénétiquement applaudies non seulement en France, mais partout en Europe. L'esprit révolutionnaire de ses œuvres atteignait les âmes inquiètes des gens qui trouvaient et acclamaient sur la scène leurs propres désirs et idées, les mots qui les étranglaient et que cet écrivain osait exprimer dans les répliques de ses personnages. L’immoralité, le despotisme, l'intolérance, le mysticisme, tous les problèmes d'un peuple torturé résonnaient dans l'atmosphère théâtrale qui devenait un appel à la révolte contre ces abus devenus insupportables. Malgré sa formation classique, Voltaire s'est inspiré aussi de l’œuvre de Shakespeare dont il a fait connaître son nom en France.
Denis Diderot, d'autre part, a mis les bases d'un nouveau genre, intitulé «le drame bourgeois», qui engendre le mélodrame du XIXe siècle. Il voulait inscrire les situations dramatiques dans leur contexte social et historique et libérer le théâtre des contraintes formelles, au contraire, montrer la vie prosaïque, apporter sur la scène des gens dans des situations de tous les jours. Ses gens faisaient pourtant partie notamment de la petite bourgeoisie, avec leur moral typique, leurs préoccupations et leurs troubles.
La comédie est, pourtant, le genre préféré du XVIIIe siècle. D'une part, parce que les thèmes favoris sont les abus des parvenus ou des financiers, la liberté des manières et l'apparition de la classe bourgeoise et d'autre part, parce que la comédie jouée dans les troupes régulières, échappe complètement à la censure officielle, ayant comme avantage l'audace, car elle se permet des libertés qui, dans les théâtres consacrés, étaient inconcevables.
Celui qui apportera sur la scène l'image «rococo» des salons sera Marivaux, dramaturge, auteurs des comédies dont la plus célèbres est «Le jeu de l'amour et du hasard», et qui inventera aussi un nouveau terme pour désigner les manœuvres amoureux: le marivaudage.
Le terme «rococo» vient du style qui porte le même nom et qui apparaît en France au début du XVIIIe siècle pour désigner la vie de la cour et celle de la haute bourgeoisie qui imitait la cour sans avoir la grandeur du style classique associé au roi Louis XIV.
Masques transparents ou Le jeu de l'amour et du hasard
Pierre Carlet de Chamblain Marivaux (né en 1688 à Paris et mort en 1763 à Paris) est le créateur de la comédie dite poétique, où l'action est construite sur des bases psychologiques. Il lance une formule nouvelle, très personnelle. Avant lui, la comédie française du XVIIe siècle était tout simplement sentimentale ou imitait le style de Molière.
Il écrit plusieurs comédies, L’Île des esclaves(1725), La seconde surprise de l'amour(1727), Les serments indiscrets(1732), Les fausses confidences(1737), mais Le jeu de l'amour et du hasard est la plus célèbre. Écrite en 1729, elle a été représentée à Paris pour la première fois au Nouveau Théâtre italien en 1730 et ensuite à la Comédie Française, où elle a été jouée plus de 1500 fois et jouée par la troupe des comédiens italiens, avec qui Marivaux a collaboré pendant vingt ans. Les acteurs étaient dans la tradition de la commedia dell'arte, où, comme l'on disait antérieurement, les personnages portaient des masques qui déguisaient leur personnage/ caractère. L'improvisation était privilégiée, les masques couvraient les visages, ce qui rendait impossible l'identification à leurs personnages et l'intériorisation.
Dans sa pièce, Marivaux ne cherche pas à développer une intrigue compliquée ou à être satirique. Il n'approfondit pas les caractères, et n'insiste point à peindre les mœurs. En échange, il s'intéresse à l'analyse des sentiments et aux conceptions et aux vices inoffensifs de la bonne société, en utilisant l'ironie et les effets comiques qui en émergent.
La pièce comprend trois actes, chacun formé de plusieurs scènes. Les personnages sont peu nombreux, ce qui permet une approche plus réelle et une analyse plus profonde de leurs sentiments.
L'acte premier comprend la rencontre entre Silvia et Dorante sous les masques des domestiques. Ils vont avoir un tête-à-tête dans la scène 7 où l'on découvre leurs sentiments malgré les situations qui leurs apparaissent invraisemblable. Les rencontres entre les deux couples déguisés, Silvia et Dorante qui mettent le masque des serviteurs et Lisette et Arlequin qui mettent celui des maîtres, représentent de vraies surprises de l'amour. Silvia croie qu'elle est amoureuse du valet, tandis que Dorante se croie amoureux de la servante.
Le deuxième acte se présente dramatiquement: les quatre jeunes sont amoureux, mais chacun a l'impression de ne pas comprendre l'objet de son amour, car il paraît peu semblable à celui établi par les normes sociales. Dans la scène 12 de l'acte II, Dorante se révèle à Silvia, mais celle-ci garde le sien.
Le troisième acte se développe d'une façon dynamique. Silvia, au courant maintenant du déguisement de Dorante et, donc, de son identité, continue son jeu, en profitant de l'ignorance de celui-ci. C'est le frère de Silvia qui se mêle du jeu et se présente comme prétendant et rival de Dorante, ce qui provoque des situation humiliantes pour ce dernier.
Dans la scène 8, il est sur le point de partir et de renoncer à celle qu'il aime face à tant de difficultés et de blessures dans son amour-propre, mais, devant ce risque, Silvia fait un demi-aveu, en annihilant son autre soit-disant prétendant. Enfin, en dépit des différences sociales, les sentiments de Dorante se manifestent et franchissent cette épreuve, en demandant la main de Silvia.
De cette façon, Silvia triomphe et les masques tombent en montrant les vrais visages et le fait que, même couverts, les gens savent se reconnaître comme appartenant au milieu social qui les destinent les uns aux autres.
Chapitre I
Masques sociaux dans «Le jeu de l'amour et du hasard»: maîtres et serviteurs
L'intrigue est fort banale et assez retrouvée dans les comédies à la mode. Mais, contrairement au théâtre de Molière, ici tout est plus nuancé. Le thème est toujours le même: monsieur Orgon, le père de famille, apparemment faisant partie de la petite bourgeoisie, projette de marier sa fille, Silvia, au fils d'un de ses amis, Dorante. Ptte façon, Silvia triomphe et les masques tombent en montrant les vrais visages et le fait que, même couverts, les gens savent se reconnaître comme appartenant au milieu social qui les destinent les uns aux autres.
Chapitre I
Masques sociaux dans «Le jeu de l'amour et du hasard»: maîtres et serviteurs
L'intrigue est fort banale et assez retrouvée dans les comédies à la mode. Mais, contrairement au théâtre de Molière, ici tout est plus nuancé. Le thème est toujours le même: monsieur Orgon, le père de famille, apparemment faisant partie de la petite bourgeoisie, projette de marier sa fille, Silvia, au fils d'un de ses amis, Dorante. Pourtant, même si, à première vue, il s'agissait d'un mariage forcé, le père, ici Orgon, est mieux construit que dans les pièces de Molière, un siècle auparavant, où le personnage du père ne s'intéressait qu'à l'argent et était prêt à vendre sa fille afin de renforcer des alliances.
Chez Marivaux, le père est tout à fait humain. Il compte marier sa fille, mais accepte la possibilité que celle-là n'aime pas son futur mari et, par conséquent, qu'elle refuse ce mariage. Silvia, à son tour, désire obéir et faire plaisir à son père, mais non pas au détriment de ses sentiments. Elle met en scène un jeu auquel son père est d'accord: changer de place avec sa femme de chambre, Lisette, pour mieux observer l'homme que son père voulait lui destiner. En changeant de place, elle change de rôle: elle devient Lisette, tout en restant au dessous de son masque, Silvia. Ce qu'elle ignore, c'est que, par pur hasard, Dorante, l'homme auquel elle est destinée, a mis en scène le même jeu, en changent d'identité avec son valet, Arlequin.
Les personnages font parties de deux catégories sociales: maîtres et serviteurs. Le père de famille c'est monsieur Orgon. Il apparaît, à première vue, en petit bourgeois soucieux de marier sa fille à quelqu'un qui a le même rang social que le sien. Même si ce n'est pas vraiment précisé, il a l'air de jouir d'une bonne situation financière, situation qu'il a envie de garder. Dans ce sens, il choisit pour sa fille, Silvia, le jeune Dorante, fils d'un bon ami, qu'il considère digne d'une telle alliance.
Comme l'on a précisé plus haut, le personnage n'est pas limité à cette apparence. Il détient moins d'autorité que l'on pouvait deviner, car, loin d'imposer à sa fille ce mariage, il a l'esprit assez ouvert pour accepter les conditions de Silvia, qui désire un mariage d'amour et non pas épouser quelqu'un qui lui serait imposé. Les perspectives du père auxquelles Molière nous avait habitués ne sont pas les mêmes. Ici il est plus proche de son enfant et plus intéressé à satisfaire ses désirs. Il accepte donc le jeu auquel sa fille a pensé et le fait même avec humour et une certaine curiosité. Car, l'on pourrait dire, il soupçonne, au fond de son cœur, que les choses vont s'arranger comme il le faut.
Le fils de monsieur Orgon, Mario, n'a pas un rôle essentiel dans la pièce. Il est le frère de Silvia et le témoin du jeu qui se joue sous ses yeux. Dans ce sens il est le complice de son père. Mais il ne reste pas un simple spectateur, il va y participer aussi en acteur, en poussant les autres acteurs à des réactions pour donner plus de vivacité à la petite pièce de théâtre qui se déroule, comme un personnage de la commedia dell'arte.
Silvia et Dorante, les deux protagonistes principaux de la pièce, apparaissent comme des acteurs dans leur propre pièce de théâtre.
Toujours contrairement au théâtre de Molière, qui avait fixé des personnages types, la fille est loin d'être faible et obéissante, celle qui laisse que son sort soit décidé par son père ou par le destin et qui attend que son amant prenne la situation entre ses mains. Car c'est elle qui prendra les décisions, et qui décidera qui elle va épouser. Bien éduquée et ayant ses propres opinions en ce qui concerne la vie et ses règles, elle fait preuve de volonté et de personnalité en voulant épouser un homme qu'elle aime. Et pour cela, elle doit connaître la personne avant de faire un pas si important. Avec tact, mais autorité, elle impose le jeu qui lui fera découvrir le caractère de celui qui pourrait devenir son mari. Il s'agit d'un stratagème bien rusé, mais tout à fait logique et audacieux. Devenir une autre pour analyser, à l'abri de son déguisement le futur mari, en utilisant des types qui s’appelleront dorénavant le marivaudage.
«Les termes «marivaudage» et «marivauder» se manifeste pour la première fois vers 1760. .. Dans un article d'histoire littéraire sur Marivaux, par exemple, Jean Fabre définit ainsi le marivaudage: «une façon de faire et de dire l'amour».( John Kristian Sanaker, Le discours mal apprivoisé, Esssai sur le Dialogue de Marivaux, Solum Vorlag, Oslo, 1978)
Dorante, d'autre part, n'est pas le personnage de l'amoureux typique, lui non plus. Car, pareil à sa future femme, à la base suggérée par le père, pour ne pas dire imposée, il est au dessus d'un simple jeune homme séduit par la beauté d'une femme. Issu d'une bonne famille lui aussi, bourgeois aisé, mais raisonnable et sage, il prétend la même chose que Silvia: connaître la femme qui lui est destinée afin de l'accepter.
«Dorante est une âme d'une juvénile clarté et spontanée: aussitôt qu'il a acquis une certitude sur ses sentiments, il cesse d'abuser Silvia, alors que celle-ci se détermine à pousser l'épreuve bien au-delà… Le spectateur du 20e siècle, que n'émeut plus l'idée de «mésalliance», doit bien prendre la mesure du sacrifice que Dorante consent à la jeune fille: épouser une soubrette représente, en 1730, une véritable déchéance». (Maurice Descotes, Les Grands rôles du théâtre de Marivaux)
Ces deux personnages imposeront un jeu de rôle, en créant le théâtre dans le théâtre.
Les autres deux personnages font parties d'une autre catégorie sociale: il s'agit des serviteurs. Valet et femme de chambre ou suivante, ils se trouvent séparés des autres dû à leur rang inférieur. Ce n'est pas le cas, pourtant, de déconsidérer ces personnages, car il détiennent bien des qualités.
Lisette n'est pas une simple bonniche. Elle est aussi la confidente de Silvia. Elle n'a pas peur d'exprimer ses convictions, et, par ses mots et sa façon d'agir, l'on voit bien quelqu'un qui désire dépasser son statut de simple serviteur. Elle va porter le masque de Silvia et encore avec grâce.
Arlequin, le valet de Dorante, porte le nom d'un personnage de la commedia dell'arte. Il incarne le valet maladroit et naïf, qui aime boire, manger et plaisanter. Un peu impertinent, mais loin d'être sot, il va porter le masque de son maître de la même façon que Lisette le fait de son côté.
Le déguisement de Lisette et d'Arlequin est un procédé en lui-même destiné à produire des effets comiques. Les situations qui en résultent sont drôles, les personnages ne se trouvant pas devant des essais qui mettent en danger leur amour-propre. L'écart entre leur apparence et leur langage provoque le rire, résultat naturel dans toutes les comédies de Marivaux.
Le double travestissement de deux couples trouve son origine dans le théâtre ancien. L'on peut prendre pour exemple Aristophane avec ses «Grenouilles» ou dans une autre pièce, peu connue, «Les amants déguisés», par l'Abbé Aunillon, d'où en voilà un extrait équivoque:
«Ils ont eu tous deux la même crainte qu'un mariage fait par procureur ne convînt pas à leurs inclinations!; et à vous dore vrai, c'est un coup de hasard que vous ayez si bien rencontré. Tous ces mariages qu'on fait sans se connaître ne réussissent pas si bien que celui-ci. Mais ils ont eu au moins cette obligation à leur déguisement d'être assurés du cœur l'un de l'autre. Ce n'a été ni le rang ni l'intérêt qui a donné naissance à leur passion.!».
La comédie, à la base, avait comme objectif le mariage. Même si le dénouement de la pièce laisse entrevoir la réalisation de ce but final, cela ne vient pas de soi. Les personnages n’acceptent pas cette évidence d'emblée. Au contraire, ils mettent le but apparent dans le doute, et à travers leurs actions, l'on a l'impression d'assister à des changements de situations qui annoncent une fin plus ou moins prévisible.
«On n'a jamais nommé à part une espèce qui serait la comédie d'amour, impliquant à la fois le ridicule (le rire) et l'identification ou la sympathie (l'humour): comédie où les codes de comportement et de discours se confrontent à l'insaisissable vérité des sentiments. Elle trouve ses origines dans le genre, romanesque et théâtral, de la pastorale, et a ses maître: Shakespeare, Corneille, Marivaux». (Richard Monod, in Daniel Couty et Alain Rey, Le Théâtre, Paris, 1989)
Dans son «Hommage à Marivaux, Jean Giraudoux écrivait:
«Le débat du héros et de l’héroïne n'est pas le jeu d'une coquetterie ou d'une crise, mais la recherche d'un assentiment puissant qui les liera pour une vie commune de levers, de repas et de repos. Pas d'ingénue. Aucune prude. Les femmes chez Marivaux sont les aînées, plus loyales, mais à peine moins averties des femmes de Laclos…» (lu sur la scène de la Comédie-Française le 4 février 1943)
L'analyse à laquelle les personnages soumettent l'autre est duale: en effet, à travers les déguisements et les épreuves qu'ils doivent dépasser, ils vont finir non seulement par connaître l'autre, celui destiné à être le partenaire de vie de chacun, mais ils arrivent aussi à se découvrir eux-mêmes et les sentiments naissants dans leurs cœurs.
Le masque dont les personnages vont se servir ne limite pas son rôle à couvrir les visages et à en donner un autre, mais aussi à découvrir la vérité. À travers leur masque, ils se sentent à l'abri et ont l'impression de maîtriser leur propre destin. Seulement ce n'est pas comme cela, car ils se trompent réciproquement.
En avril 1730, après la première représentation, la gazette littéraire qui jouait un rôle très important à l'époque, intitulée «Le Mercure», accusait:
«… il n'est pas vraisemblable que Silvia puisse se persuader qu'un butor tel qu'Arlequin soit… Dorante… La seule vue du faux Dorante ne doit-elle pas faire soupçonner du mystère?» (Le Mercure, avril 1730, 778)
Mais cette invraisemblance donnée par Molière a sa signification propre, car c'est elle qui sert à ses intentions. L'auteur décrivait l'amour né entre les personnages: «un amour incertain et indécis, un amour à demi-né», en montrant que, en effet, derrière les masques, les personnages restent les mêmes, et donc le déguisement est seulement à moitié, il ne peut pas cacher la vérité des caractères.
Frédéric Deloffre, critique littéraire français et spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle, affirmait lors de la représentation de 1730 où Arlequin portait un masque, réminiscence de la commedia dell'arte:
«Avec un Arlequin en masque noir sous la perruque poudrée, portant un bel habit à la française sur son pantalon trop large aux losanges multicolores, aucune équivoque ne peut naître dans l'esprit du spectateur. La fantaisie italienne est ainsi mise au service d'un souci de décence et de bon goût». (Marivaux, Théâtre complet, I, 786)
Toujours Frédéric Deloffre:
«Des ressorts psychologiques mis en œuvre ici, un, il est vrai, a été rencontré plusieurs fois: la peur de la femme ou de la jeune fille devant le prétendent inconnu, sa crainte à l'égard du mariage lui-même qui représente pour elle l'aliénation sans retour. Mais tous les prédécesseurs de Marivaux avaient esquivé le second, le conflit d'un amour naissant aux prises avec le préjugé». (Théâtre complet de Marivaux, Bordas, 1989)
Depuis la littérature courtoise, le thème de l'amour était particulièrement analysé et décrit sous tous les angles. L'idée qui avait demeuré toujours présentait les différences de rangs comme peu importantes pour mettre en danger le sentiment.
La discrimination sociale apparaît pourtant dans la pièce de Marivaux: devant la réalité «masquée» de son amour, Dorante hésite d'épouser une servante, malgré son amour. De son côté, Silvia est troublée et a du mal à accepter ses sentiments envers un simple valet. Pourtant, l'amour trouve tout seul ses correspondances en l'autre, car il reste dans son propre milieu.
L'échange des rôles sociaux gêne les deux maîtres, car ils se retrouvent devant des situations nouvelles pour eux. À la base fait afin de clarifier les sentiments, cet échange fait place à l’inattendu et bouleverse encore plus les âmes.
Le langage amoureux inventé par Marivaux est essentiellement important. Les personnages réagissent aux mots, ceux-ci servant de lien et dans la connaissance de soi-même et de ses sentiments.
En fait, ce qui a fait l'auteur c'était d'avoir osé à utiliser un langage non pas en vers, car presque toutes les autres comédies étaient écrites ainsi à l'époque, c'est à dire au XVIIIe siècle, mais encore d'utiliser la façon de parler que l'on utilise dans la vie, surtout celle des salons.
En parlant du langage dans la pièce et du rôle d'innovateur de Marivaux dans son Jeu de l'amour et du hasard, Michel Deguy, professeur émérite de lettres affirmait:
«L'innovation (relative) de Marivaux, de laisser parler «naturellement» le cœur, implique que le cœur parle. Les amants ne parle plus en alexandrins mais du ton de la «conversation», qu'elle soit aristocratique ou domestique, voire rustique- quelles que soient les variations phonétiques, morphologiques et syntaxiques de cette «langue des jardins» que Marivaux invente entre cour et jardin, elle est tout aussi homogène aux mouvements du cœur et de l'âme, elle «dit la même chose»… Cette nouveauté (relative) que le cœur soit lisible par les yeux et les traits comme un texte, et que les pensées soient si consubstantielles aux signifiants que l'attention aux mots et aux yeux de l'autre lise «naturellement» sa pensée – suggère qu'entre l'ordre du désir, le plus «naturel», et le plus culturel, celui du langage, la correspondance est telle, la parenté si proche et si heureuse, que les yeux du hasard dont les parties se jouent selon les règles du discours et de la conversation donnent à l'amour, jouant même à qui perd, ses meilleures chances de gain. Il faut jouer; nous sommes emportés; le refus est encore une manière d'être au jeu…» (La Machine matrimoniale ou Marivaux, Paris, Gallimard, 1981)
L'on a déjà souligné l’appartenance des personnages de cette pièce à ceux de la commedia dell'arte. Il faut ajouter que, à part cette ressemblance fort évidente, ils détiennent aussi une autre fonction. Plus précisément, ils représentent des types sociaux. Leur appartenance se manifeste à travers leurs attitudes, car ils parlent et agissent conformément à leur rang social et dans une ordre sociale où les maîtres commandent et les serviteurs obéissent.
Monsieur Orgon et ses enfants, Silvia et Mario, appartiennent à la noblesse, de même que Dorante. Mais cette classe sociale était à l'époque dans un déclin peu visible, pourtant réel. Les privilèges dont ils jouissaient commençaient à être contestés par la petite bourgeoisie en pleine croissance, mais étaient pourtant si bien établis par la naissance, qu'ils ignoraient complètement un autre aspect que celui de classe privilégiée par excellence.
Lisette et Arlequin appartenaient à la classe qui ne détenait pas de droits, et vivaient leur rôle dans la plus vive des sensations, en s'émerveillant à l'idée de pouvoir séduire quelqu'un qui faisait partie de la classe supérieure.
Le sujet de la condition sociale est évoqué partout dans la pièce, car c'est un des thèmes de Marivaux. D'une part, il est mis en avance par le langage. Parmi les mots utilisés par les personnages on retrouve assez souvent «maître» et «maîtresse», «valet» ou «serviteur», «femme de chambre», «suivante» ou «soubrette».
D'autre part, il est indiqué par la façon dont ils discutent entre eux et aussi par la fonction du vêtement spécifique surtout dans le cas d'Arlequin. Voilà quelques exemples d'utilisation de l'habit comme indication du rang:
ARLEQUIN
«Bon ! et je vais de ce pas prévenir cette généreuse personne sur mon habit de caractère, j'espère que ce ne sera pas un galon de couleur qui nous brouillera ensemble, et que son amour me fera passer à la table en dépit du sort qui ne m'a mis qu'au buffet».(acte III, scène1)
ARLEQUIN
«Par la ventrebleu, voulez-vous gager que je l'épouse avec la casaque sur le corps, avec une souguenille , si vous me fâchez ? Je veux bien que vous sachiez qu'un amour de ma façon, n'est point sujet à la casse, que je n'ai pas besoin de votre friperie pour pousser ma pointe, et que vous n'avez qu'à me rendre la mienne».(acte III, scène 7)
Néanmoins, le langage n'a pas de rôle déterminant, car si Arlequin fait preuve d'une façon plutôt particulière de parler, il ne s'agit pas de la même situation quand à Lisette. Dans son cas, Marivaux essaie de franchir la barrière entre maîtresse et servante et de décrire une situation où la rivalité se joue entre femmes et non pas entre deux classes sociales dont une a plus de droits et de bénéfices que l'autre.
Le déguisement renverse les rôles sociaux. Cette situation sociale imposée par les lois est bouleversée par le jeu des masques et par les personnages qui expriment des identités qu'ils ignoraient. La signification attachée à leur rang est mise en question et les valeurs attachées aussi. Marivaux ouvre la voie à une nouvelle réflexion vis à vis de l'ordre sociale qui se trouve en train d'un changement dans les circonstances de son époque.
Les deux personnages qui font partie de la noblesse, Silvia et Dorante, se retrouvent dans des situations fort peu agréables qu'ils doivent affronter. Silvia est confrontée à l'humiliation de ne pas être acceptée par celui qu'elle aime car elle porte le masque d'une domestique, et Dorante se confronte à celle de se trouver mis à la porte par les «maîtres», sans pouvoir réagir, contraint de ne pas pouvoir réagir sous son masque de «domestique».
MONSIEUR ORGON
«Vous vous convenez parfaitement bien tous deux ; mais j'ai à te dire un mot, Lisette, et vous reprendrez votre conversation quand nous serons partis : vous le voulez bien, Bourguignon ?
DORANTE
Je me retire, Monsieur.
MONSIEUR ORGON
Allez, et tâchez de parler de votre maître avec un peu plus de ménagement que vous ne faites.
DORANTE
Moi, Monsieur ?
MARIO
Vous-même, mons. Bourguignon ; vous ne brillez pas trop dans le respect que vous avez pour votre maître, dit-on.
DORANTE
Je ne sais ce qu'on veut dire.
MONSIEUR ORGON
Adieu, adieu ; vous vous justifierez une autre fois».(acte II, scène 10)
En tant que rival d'un aristocrate, il est congédié sans pitié par Mario:
MARIO
«Je ne saurais empêcher qu'il ne t'aime belle Lisette, mais je ne veux pas qu'il te le dise.
SILVIA
Il ne me le dit plus, il ne fait que me le répéter.
MARIO
Du moins ne te le répétera-t-il pas quand je serai présent ; retirez-vous Bourguignon.
DORANTE
J'attends qu'elle me l'ordonne.
MARIO
Encore ?
SILVIA
Il dit qu'il attend, ayez donc patience.
DORANTE
Avez-vous de l'inclination pour Monsieur ?
SILVIA
Quoi de l'amour ? Oh je crois qu'il ne sera pas nécessaire qu'on me le défende.
DORANTE
Ne me trompez-vous pas ?
MARIO
En vérité, je joue ici un joli personnage ! Qu'il sorte donc ! À qui est-ce que je parle ?
DORANTE
À Bourguignon, voilà tout.
MARIO
Eh bien, qu'il s'en aille».(acte III, scène 3)
Arlequin et Lisette, de leur côté, se retrouvent sous le masque des «maîtres», libres de réagir et de parler, en jouissant de cette liberté avec enthousiasme. En même temps, ils en profitent pour prendre une revanche en se mauquant de cette ordre sociale qui les limitent, et dont ils voient les failles. Ainsi Lisette parle librement avec Silvia et se moque de la mettre en colère et Arlequin ne tarde pas de faire une caricature du personnage social qui représente le «maître».
LISETTE
« Je dis, Madame, que je ne vous ai jamais vue comme vous êtes, et que je ne conçois rien à votre aigreur.
Eh bien si ce valet n'a rien dit, à la bonne heure, il ne faut pas vous emporter pour le justifier, je vous crois, voilà qui est fini, je ne m'oppose pas à la bonne opinion que vous en avez, moi.
SILVIA
Voyez-vous le mauvais esprit ! Comme elle tourne les choses, je me sens dans une indignation… qui… va jusqu'aux larmes.
LISETTE
En quoi donc, Madame ? Quelle finesse entendez-vous à ce que je dis ?
SILVIA
Moi, j'y entends finesse ! Moi, je vous querelle pour lui ! J'ai bonne opinion de lui ! Vous me manquez de respect jusque-là, bonne opinion, juste ciel ! Bonne opinion ! Que faut-il que je réponde à cela ? Qu'est-ce que cela veut dire, à qui parlez-vous ? Qui est-ce qui est à l'abri de ce qui m'arrive, où en sommes-nous ?
LISETTE
Je n'en sais rien ! Mais je ne reviendrai de longtemps de la surprise où vous me jetez.
SILVIA
Elle a des façons de parler qui me mettent hors de moi ; retirez-vous, vous m'êtes insupportable, laissez-moi, je prendrai d'autres mesures».(acte II, scène 7)
DORANTE
«Quel extravagant ! As-tu vu Lisette ?
ARLEQUIN
Lisette ! Non ; peut-être a-t-elle passé devant mes yeux, mais un honnête homme ne prend pas garde à une chambrière : je vous cède ma part de cette attention-là.
DORANTE
Va-t'en, la tête te tourne.
ARLEQUIN
Vos petites manières sont un peu aisées, mais c'est la grande habitude qui fait cela. Adieu, quand j'aurai épousé, nous vivrons but à but ; votre soubrette arrive. Bonjour, Lisette, je vous recommande Bourguignon, c'est un garçon qui a quelque mérite».(acte III, scène 7)
Le jeu des masques dévoile à travers le langage utilisé par les «serviteurs» déguisés en «maîtres» leurs ressentiments, car ils utilisent des termes destinés à déprécier les gens faisant partie de leur classe sociale, en effet. Les deux, Arlequin et Lisette aussi, emploient un langage qui, d'après l'intention de Marivaux, exprime la façon dont les serviteurs étaient traités par leurs maîtres. Il y a des scènes comiques où cette intention de l'auteur est tout à fait évidente, c'est à dire de faire entendre au public la manière de traiter les domestiques à l'époque qui était parfaitement réelle.
Il s'agit des scènes drôles à première vue, mais qui cachent une vérité qui n'était pas exprimée avec tant d'audace par d'autres auteurs de comédies.
MONSIEUR ORGON
«Bourguignon, ayez soin de vous, mon garçon.
ARLEQUIN
Le gaillard est gourmet, il boira du meilleur.
MONSIEUR ORGON
Qu'il ne l'épargne pas».(acte I, scène 9)
MONSIEUR ORGON
« Eh, d'où vient qu'il ne voudrait plus de ma fille, quand il la connaîtra, te défies-tu de ses charmes ?
LISETTE
Non ; mais vous ne vous méfiez pas assez des miens, je vous avertis qu'ils vont leur train, et que je ne vous conseille pas de les laisser faire.
MONSIEUR ORGON
Je vous en fais mes compliments, Lisette. (Il rit.) Ah, ah, ah !
LISETTE
Nous y voilà ; vous plaisantez, Monsieur, vous vous moquez de moi. J'en suis fâchée, car vous y serez pris».(acte II, scène 1)
Paradoxalement, sous ce jeu à la fois comique et critique, car sous le masque de la comédie, Marivaux n'hésite pas de dire la vérité sur la discrimination sociale, on découvre une autre vérité qui rétablie, dans un sens, cette ordre bouleversée. Il s'agit du fait que l'on ne peut pas échapper à son rôle social établi à l'avance.
Silvia et Dorante, malgré leur déguisement, sous leurs masques de domestiques, ne perdent pas les attributs qui les confirment comme faisant partie de la classe noble. La manière de parler, de se conduire, les manières qu'ils ne réussissent pas à cacher sous les vêtements qui les imposent un rang inférieur, tout garde l'évidence de l'aristocratie.
En se trouvant face à face, ils traversent des sentiments contradictoires. D'une part, il leur est impossible de ne pas se sentir attirés par la façon d'être de l'autre, en appréciant les mêmes qualités qui les caractérisent, mais en étant marqués par la stupeur et même l'irritation de se découvrir ce sentiment qui les poussait l'un vers l'autre.
Ils se confrontent à des questions qu'ils auraient ignorées si le jeu des masques n'avait pas été mis en place. À travers lui, ils se confrontent à la question de l'identité sociale, de rang. Comment tomber amoureux de quelqu'un qui n'a pas le même rang social? Voilà un premier problème posé par Marivaux.
Celui-ci attire un deuxième, celui de la mésalliance. Si l'on tombe amoureux d'une personne inférieure du point de vue social, dans cette situation singulière en elle-même pourtant, comment épouser cette personne et franchir les limites imposées par les lois de la société? Car en affrontant ces obstacles, l'on se met dans la situation d'être déconsidéré par les gens faisant partie de la même classe supérieure à laquelle l'on appartient par naissance!
Les valeurs aristocratiques imposées par cette société représente la note dramatique de la pièce. L'on est devant un choix masqué, bien entendu, mais un choix quand-même, celui entre l'amour et le rang social.
La décision de Dorante met en avance une idée nouvelle et audacieuse, celle de changer le point de vue sur une personne de celui qui la prend en considération à travers son rang social en celui qui la prend en considération à travers son âme. Le moral gagne de cette manière sur le social, la barrière a été franchie et l'ordre renversée.
Les sentiments de Dorante ont ainsi évolué le long de la pièce. Si, au début, il voyait impossible la possibilité d'épouser une fille qui ne détenait pas le même rang social que lui, à la fin de la pièce, après avoir traversé et éprouvé des situations et des sentiments inconnus pour lui, il est prêt à assumer son amour au delà de l'éducation inoculée, au delà de tout instinct qui, lui, ne se prononçait pas car le masque le couvrait, mais ce n'est pas la réalité qui n'a pas en effet changé qui compte, mais la résolution de Dorante qui menace en fait un ordre sociale bien établie depuis des siècles.
DORANTE
«Ne consentez-vous pas d'être à moi ?
SILVIA
Quoi, vous m'épouserez malgré ce que vous êtes, malgré la colère d'un père, malgré votre fortune ?
DORANTE
Mon père me pardonnera dès qu'il vous aura vue, ma fortune nous suffit à tous deux, et le mérite vaut bien la naissance : ne disputons point, car je ne changerai jamais.
SILVIA
Il ne changera jamais ! Savez-vous bien que vous me charmez, Dorante ?
DORANTE
Ne gênez donc plus votre tendresse, et laissez-la répondre…
SILVIA
Enfin, j'en suis venue à bout ; vous, vous ne changerez jamais ?
DORANTE
Non, ma chère Lisette.
SILVIA
Que d'amour !»(acte III, scène 8)
L'on ne peut pas s’empêcher à remarquer la situation qui met en place aussi un autre problème de l'époque de Marivaux. Et celui-ci n'a pas été résolu.
En effet, Dorante, qui est un aristocrate, finit par prendre une décision audacieuse, celle d'épouser la fille qu'il aimait et qu'il croyait servante.
Ce n'est pas le cas de Silvia, car elle n'est pas apportée au point de décider d'accepter un «valet» comme époux.
Voilà que nous nous retrouvons devant une autre situation peu traitée par Marivaux, mais qui est celle de la différence des sexes. Un aristocrate pouvait épouser une servante, mais une dame faisant partie de la haute bourgeoisie ne pouvait même pas rêver d'épouser un valet!
Chapitre II Masques et individus
2.1. La soubrette sophistiquée
A première vue, Lisette est un personnage typique de la comédie. Elle représente l'image de la suivante qui participe à l'intrigue amoureuse de sa maîtresse. Mais en même temps, elle dépasse les limites de la simple servante, car il y a une complicité entre les deux qui la place dans un rôle de confidente et de complice.
Dans la première scène, le dialogue entre Lisette et Silvia nous montre la soubrette qui ne se gêne pas à dire les choses d'une manière extrêmement libre.
SILVIA
« Le non n'est pas naturel ; quelle sotte naïveté ! Le mariage aurait donc de grands charmes pour vous ?
LISETTE
Eh bien, c'est encore oui, par exemple.
SILVIA
Taisez-vous, allez répondre vos impertinences ailleurs, et sachez que ce n'est pas à vous à juger de mon coeur par le vôtre.
LISETTE
Mon coeur est fait comme celui de tout le monde ; de quoi le vôtre s'avise-t-il de n'être fait comme celui de personne ? SILVIA
Je vous dis que si elle osait, elle m'appellerait une originale.
LISETTE
Si j'étais votre égale, nous verrions».(acte I, scène 1)
Silvia ne va pourtant pas tarder à lui donner une leçon d'avoir osé à se mettre au pied d'égalité avec sa maîtresse, d'avoir revendique son égalité à l'égard des sentiments avec elle-même.
Lisette accepte de participer au stratagème de sa maîtresse, mais ce n'est pas tout à fait par dévotion. Elle avoue ne pas avoir les mêmes idées vis à vis du mariage, en devenant quand-même sa complice. Cela cache en même temps la soumission de la servante et la différence entre elles.
En mettant ainsi le masque de la maîtresse, Lisette gagne de l'autonomie. Mais au cours de l'intrigue, elle devient aussi la victime de son déguisement, en tombant amoureuse de celui qu'elle prend pour un aristocrate.
Sous le masque, qui est, en fait, le prétexte, elle devient, de la suivante complice de sa maîtresse, la rivale de cette dernière. Les armes utilisés sont celles de la séduction féminine et de la coquetterie. Cela fait discordance avec le changement de rôles entre Arlequin et son maître, Dorante. Les rapports entre les femmes sont moins démarqués par le statut social. Déjà sans le masque, sur le terrain du rang, la ligne était extrêmement fine, mais dans le jeu elle disparaît complètement.
Armée de son nouveau pouvoir, Lisette en profite avec délice. Elle joue l'aristocrate devant Silvia, et jouit de la possibilité issue en entrant bien dans son rôle.
LISETTE
«Que voulez-vous, Lisette ?
SILVIA
J'aurais à vous parler, Madame.
ARLEQUIN
Ne voilà-t-il pas ! Eh ma mie revenez dans un quart d'heure, allez, les femmes de chambre de mon pays n'entrent point qu'on ne les appelle.
SILVIA
Monsieur, il faut que je parle à Madame.
ARLEQUIN
Mais voyez l'opiniâtre soubrette ! Reine de ma vie renvoyez-la. Retournez-vous-en, ma fille, nous avons ordre de nous aimer avant qu'on nous marie, n'interrompez point nos fonctions.
LISETTE
Ne pouvez-vous pas revenir dans un moment, Lisette ?
SILVIA
Mais, Madame…»
(acte II, scène 6)
De la même manière, quand les deux se retrouvent seules et que Silvia lui demande de jeter le masque pour un instant et elle reprend son rôle de maîtresse, Lisette ne renonce pas à discuter sur un pied d'égalité et, si l'on n'entendait pas le mot qui fasse la différence entre elles, «madame», l'on croirait qu'il s'agissait d'une discussion entre deux amies qui ont des opinions différentes à l'égard d'un sujet.
SILVIA
«Fort bien ; mais puisqu'il n'y est plus, écoutez-moi comme votre Maîtresse : vous voyez bien que cet homme-là ne me convient point.
LISETTE
Vous n'avez pas eu le temps de l'examiner beaucoup.
………………………………………………………………………………….
SILVIA
Il me déplaît vous dis-je, et votre peu de zèle aussi.
LISETTE
Donnez-vous le temps de voir ce qu'il est, voilà tout ce qu'on vous demande.
SILVIA
Je le hais assez sans prendre du temps pour le haïr davantage».(acte II, scène 7)
Avec ou sons masque, mais un peu plus à l'abri du masque qui l'avait mise dans la position de se voir non pas femme de chambre, mais femme tout simplement à qui l'intérêt d'un jeune homme de monde plaisait à la folie, Lisette n'est simplement que celle qui dépasse son niveau de servante, même si, à la fin, elle reste servante et épouse un valet.
SILVIA
«Voyez-vous le mauvais esprit ! Comme elle tourne les choses, je me sens dans une indignation… qui… va jusqu'aux larmes.
LISETTE
En quoi donc, Madame ? Quelle finesse entendez-vous à ce que je dis ?
SILVIA
Moi, j'y entends finesse ! Moi, je vous querelle pour lui ! J'ai bonne opinion de lui ! Vous me manquez de respect jusque-là, bonne opinion, juste ciel ! Bonne opinion ! Que faut-il que je réponde à cela ? Qu'est-ce que cela veut dire, à qui parlez-vous ? Qui est-ce qui est à l'abri de ce qui m'arrive, où en sommes-nous ?
LISETTE
Je n'en sais rien ! Mais je ne reviendrai de longtemps de la surprise où vous me jetez.
SILVIA
Elle a des façons de parler qui me mettent hors de moi ; retirez-vous, vous m'êtes insupportable, laissez-moi, je prendrai d'autres mesures».(acte II, scène 7)
2.2. Les subtilités du valet
Arlequin est, à la base, un personnage de la commedia dell'arte. Il représente le valet un peu impertinent, débrouillard, qui est, par excellence, au service de son maître, et doit l'aider dans ses jeux amoureux.
Ici, il apparaît dès le commencement sous le masque de Dorante. Il ne porte pas son habit et joue son rôle jusqu'à la fin. Son déguisement lui permet de découvrir des plaisirs nouveaux et il l'utilise afin de gagner son bonheur. Il n'a pas de scrupules en s'introduisant dans la maison de monsieur Orgon ou pour traiter Silvia comme une servante.
MONSIEUR ORGON
«Mon cher Monsieur, je vous demande mille pardons de vous avoir fait attendre ; mais ce n'est que de cet instant que j'apprends que vous êtes ici.
ARLEQUIN
Monsieur, mille pardons, c'est beaucoup trop, et il n'en faut qu'un quand on n'a fait qu'une faute ; au surplus tous mes pardons sont à votre service.
………………………………………………………………………………
SILVIA
J'aurais à vous parler, Madame.
ARLEQUIN
Ne voilà-t-il pas ! Eh ma mie revenez dans un quart d'heure, allez, les femmes de chambre de mon pays n'entrent point qu'on ne les appelle.
SILVIA
Monsieur, il faut que je parle à Madame.
ARLEQUIN
Mais voyez l'opiniâtre soubrette ! Reine de ma vie renvoyez-la. Retournez-vous-en, ma fille, nous avons ordre de nous aimer avant qu'on nous marie, n'interrompez point nos fonctions».( acte II, scène 6)
Pris d'amour pour celle qu'il croit la maîtresse, Arlequin courtise Lisette de la façon d'un monsieur qui se moque un peu de son valet.
ARLEQUIN
« Ah, je vous retrouve ! Merveilleuse Dame, je vous demandais à tout le monde ; serviteur, cher beau-père ou peu s'en faut.
MONSIEUR ORGON
Serviteur. Adieu, mes enfants, je vous laisse ensemble ; il est bon que vous vous aimiez un peu avant que de vous marier.
ARLEQUIN
Je ferais bien ces deux besognes-là à la fois, moi.
MONSIEUR ORGON
Point d'impatience, adieu».(acte II, scène 2)
Mais pour Arlequin ce jeu est plus transparent que pour les autres. Certes, aucun personnage ne perd pas son essence sous le masque affiché, car ils gardent tous les manières, le langage et la façon d'être ce qu'ils sont réellement. Mais pour ce personnage typique, il est plus évident que chez les autres qu'il est ce qu'il est: le «zanni» de la commedia dell'arte!
Son caractère se manifeste dans plusieurs circonstances. En prenant Silvia pour la soubrette, il lui adresse des galanteries. En même temps, il est extrêmement pressé de conclure le mariage avant de faire la connaissance de sa promise, et saute les étapes de la conquête amoureuse avec une vitesse extraordinaire.
ARLEQUIN
«Madame, il dit que je ne m'impatiente pas ; il en parle bien à son aise le bonhomme.
LISETTE
J'ai de la peine à croire qu'il vous en coûte tant d'attendre, Monsieur, c'est par galanterie que vous faites l'impatient, à peine êtes-vous arrivé ! Votre amour ne saurait être bien fort, ce n'est tout au plus qu'un amour naissant.
ARLEQUIN
Vous vous trompez, prodige de nos jours, un amour de votre façon ne reste pas longtemps au berceau ; votre premier coup d' il a fait naître le mien, le second lui a donné des forces, et le troisième l'a rendu grand garçon ; tâchons de l'établir au plus vite, ayez soin de lui puisque vous êtes sa mère». (acte II, scène 3)
Arlequin agit d'une manière précipité, il y une hâte terrible dans toutes des démarches, car il essaie de profiter de son rôle de maître pour obtenir ce qu'il veut.
À part le comique illustré par son attitude, cela met aussi en évidence la différence entre les maîtres et les serviteurs. Les uns prennent leur temps afin d'atteindre une finalité dans leurs buts, et les autres agissent précipitamment, ce qui est inscrit dans leur caractère.
DORANTE
«Quel extravagant ! As-tu vu Lisette ?
ARLEQUIN
Lisette ! Non ; peut-être a-t-elle passé devant mes yeux, mais un honnête homme ne prend pas garde à une chambrière : je vous cède ma part de cette attention-là.
DORANTE
Va-t'en, la tête te tourne.
ARLEQUIN
Vos petites manières sont un peu aisées, mais c'est la grande habitude qui fait cela. Adieu, quand j'aurai épousé, nous vivrons but à but ; votre soubrette arrive. Bonjour, Lisette, je vous recommande Bourguignon, c'est un garçon qui a quelque mérite».(acte III, scène 7)
Il n'hésite pas de se moquer de son maître. Cela fait partie de son jeu. Il laisse dans l'erreur Dorante quant il apprend la vérité avant lui vis à vis du déguisement de Silvia et Lisette. Car il est, au fond, un valet, même si pour un petit moment devient le rival de son maître.
2.3. Les personnages adjuvants du jeu
Il s'agit de monsieur Orgon et de son fils, Mario. Les deux participent au jeu masqué en tant que spectateurs, mais aussi en tant qu'agents provocateurs, car ils sont au courant des déguisements et ravis d'y faire partie et de s'amuser à propos de la pièce de théâtre qui se déroule sous leurs yeux.
Le père de Silvia, monsieur Orgon, c'est le seigneur de la maison et l'action de la pièce se passe entièrement chez lui. L'on se trouve devant un homme qui désire remplir son rôle de père de famille, en mariant sa fille convenablement, au fils d'un de ses amis, bien aisé, un peu comme lui.
Le début de la pièce le présente, mais vite fait, en père autoritaire. C'est la toute première impression, qui va pourtant être rapidement effacée, celle d'un personnage typique des pièces de Molière. En fait, même cette impression est imprégnée de l'évidence que dans le désire du père de marier sa fille se mêlent quelques réserves qui attendent l'acceptation sa fille. L'on apprend premièrement à travers Lisette et après de la bouche même de monsieur Orgon.
LISETTE
«C'est que j'ai cru que dans cette occasion-ci, vos sentiments ressembleraient à ceux de tout le monde ; Monsieur votre père me demande si vous êtes bien aise qu'il vous marie, si vous en avez quelque joie ; moi je lui réponds qu'oui ; cela va tout de suite ; et il n'y a peut-être que vous de fille au monde, pour qui ce oui-là ne soit pas vrai, le non n'est pas naturel».(acte I, scène première)
Mais, et l'on a souligné plus haut dans cette analyse, il ne fait pas partie des pères présentés dans les pièces de l'époque, limités, avares et cons. Il ne détient pas une autorité classique, mais a des traits libéraux, c'est un père de fille moderne, fille qui appelle les futures féministes.
MONSIEUR ORGON
«Allons, allons, il n'est pas question de tout cela ; tiens, ma chère enfant, tu sais combien je t'aime. Dorante vient pour t'épouser ; dans le dernier voyage que je fis en province, j'arrêtai ce mariage-là avec son père, qui est mon intime et mon ancien ami, mais ce fut à condition que vous vous plairiez à tous deux, et que vous auriez entière liberté de vous expliquer là-dessus ; je te défends toute complaisance à mon égard, si Dorante ne te convient point, tu n'as qu'à le dire, et il repart ; si tu ne lui convenais pas, il repart de même».(acte II, scène première)
C'est un bonhomme généreux et un père pareil, car il s'intéresse au bonheur de sa fille. Il est prêt à accepter les conditions que celle-ci impose vis à vis de son mariage. En plus, il prend l'idée du déguisement comme étant quelque chose de normal, rien de particulier, en mettant en scène une petite pièce de théâtre dans sa maison parisienne. D'autant plus que tout cela l'amuse, car au fond de lui, il est convaincu que les masques ne pourront pas cacher la vraie identité des personnages.
MONSIEUR ORGON
«Explique-toi, ma fille.
SILVIA
Dorante arrive ici aujourd'hui, si je pouvais le voir, l'examiner un peu sans qu'il me connût ; Lisette a de l'esprit, Monsieur, elle pourrait prendre ma place pour un peu de temps, et je prendrais la sienne.
MONSIEUR ORGON, à part.
Son idée est plaisante. (Haut.) Laisse-moi rêver un peu à ce que tu me dis là. (A part.)
Si je la laisse faire, il doit arriver quelque chose de bien singulier, elle ne s'y attend pas elle-même… (Haut.) Soit, ma fille, je te permets le déguisement». (acte I, scène 2)
Mario, le frère de Silvia et le fils de monsieur Orgon, est un jeune aristocrate, gai et plein de joie de vivre, mais il n'a pas l'air d'être un superficiel. Il participe, comme son père, au jeu de masque, tout en étant au courant des déguisements, en prenant le plaisir du jeu et de l'ironie.
MARIO
«C'est une aventure qui ne saurait manquer de nous divertir, je veux me trouver au début, et les agacer tous deux».(acte I, scène 3)
DORANTE
«Va donc pour Lisette, je n'en serai pas moins votre serviteur.
MARIO
Votre serviteur, ce n'est point encore là votre jargon, c'est ton serviteur qu'il faut dire.
MONSIEUR ORGON
Ah, ah, ah, ah !
SILVIA, bas à Mario.
Vous me jouez, mon frère». (acte I, scène 5)
Mario va encore plus loin, car il va jouer le rôle de rival de Dorante, l'équivalent de celui de second amoureux de la comédie italienne, prétendant de la fausse Lisette. Il prolonge le jeu masqué et ajoute du dramatisme dans le jeu des masques, en soumettant le vrai amoureux aux tortures et aux épreuves de ses sentiments.
MARIO
«Il prendra patience.
DORANTE
Il faudra bien ; mais Monsieur, vous l'aimez donc beaucoup ?
MARIO
Assez pour m'attacher sérieusement à elle, dès que j'aurai pris de certaines mesures ; comprends-tu ce que cela signifie» ?(acte III, scène 2)
Dans l'acte final, il prend vraiment le rôle d'un metteur en scène mélangé au Cupidon, dirigeant le jeu presque à son gré!
2.4. Une femme à marier
Silvia, la fille de monsieur Orgon, est le personnage principal de la pièce. Elle apparaît dans presque toutes les scènes et c'est elle qui dicte, avant tous les autres personnages, le fil conducteur de l'intrigue.
Elle fait partie de la haute bourgeoisie et jouit de tous les avantages qui en découlent. L'on comprend sans avoir besoin de trop de précisions qu'elle détient les qualités d'une jeune fille de son rang et position. Mais le moment où elle est surprise constitue le facteur déclencheur de la pièce et dessine le trame maurivaudien.
Il s'agit du moment où son père décide la marier. Alors que l'on s'attend à une soumission facile de sa part à l'égard de son père, l'on se retrouve devant une personnalité bien ferme et à des opinions personnels qui trahissent un caractère fort et une volonté atypique aux personnages féminins du théâtre de l'époque.
Le personnage de Silvia s'introduit dans la pièce avec fermeté. Elle affirme sans problèmes ses convictions, en faisant preuve d'être bien dans sa peau et de ne pas être pressée à épouser quelqu'un, surtout quelqu'un qui ne lui conviendrait pas.
Ferdinand Brunetière, historien et critique de la littérature se demandait vis à vis des héroïnes de Marivaux:
«Toutes les héroïnes de Marivaux, en particulier cette Silvia du ‘’Jeu’’, ne semblent-elles pas trop décidées, trop clairvoyantes, trop entendues pour des jeunes filles?»
Même si elle a des opinions bien fermes et c'est une bonne observatrice, il nous est évident qu'elle se trouve encore à la recherche de soi-même dans un moment de sa vie où elle n'est plus un petite fille, mais une femme en devenir.
Et son ambition c'est d'apprendre à se connaître et de connaître surtout l'homme avec qui elle est censée de passer le reste de sa vie.
SILVIA
«Premièrement, c'est que tu n'as pas dit vrai, je ne m'ennuie pas d'être fille.
LISETTE
Cela est encore tout neuf.
SILVIA
C'est qu'il n'est pas nécessaire que mon père croie me faire tant de plaisir en me mariant, parce que cela le fait agir avec une confiance qui ne servira peut-être de rien.
LISETTE
Quoi, vous n'épouserez pas celui qu'il vous destine ?
SILVIA
Que sais-je ? Peut-être ne me conviendra-t-il point, et cela m'inquiète.
……………………………………………………………………………………………………………………..
SILVIA
Oui, Tersandre ! Il venait l'autre jour de s'emporter contre sa femme, j'arrive, on m'annonce, je vois un homme qui vient à moi les bras ouverts, d'un air serein, dégagé, vous auriez dit qu'il sortait de la conversation la plus badine ; sa bouche et ses yeux riaient encore ; le fourbe ! Voilà ce que c'est que les hommes, qui est-ce qui croit que sa femme est à lui ? Je la trouvai toute abattue, le teint plombé, avec des yeux qui venaient de pleurer, je la trouvai, comme je serai peut-être, voilà mon portrait à venir, je vais du moins risquer d'en être une copie ; elle me fit pitié, Lisette : si j'allais te faire pitié aussi : cela est terrible, qu'en dis-tu ? Songe à ce que c'est qu'un mari». (acte I, scène 1)
Elle se prouve méfiante vis à vis du mariage et ne semble pas croire à trouver l'amour dans cette institution pour laquelle elle éprouve plutôt de l'hostilité. Comment connaître ce sentiment profond si le mariage est arrangé et devient un simple contrat? Le fait d'avoir vu de ses propres yeux des femmes sacrifiées dans de telles situations, dont les maris les rendent malheureuses, elle a décidé de ne pas commettre une faute pareille.
C'est pour cela que, au moment où son père lui annonce sa volonté et le mariage qu'il avait arrangé pour sa fille, son réaction est prompte. Sans dépasser les limites du bon-sens et sans être une mauvaise fille, elle propose le jeu des masques à son père qui, heureusement, est ouvert de l'esprit et accorde à Silvia la liberté dont elle a besoin.
SILVIA
«Je suis pénétrée de vos bontés, mon père, vous me défendez toute complaisance, et je vous obéirai.
MONSIEUR ORGON
Je te l'ordonne.
SILVIA
Mais si j'osais, je vous proposerais sur une idée qui me vient, de m'accorder une grâce qui me tranquilliserait tout à fait.
MONSIEUR ORGON
Parle, si la chose est faisable je te l'accorde.
SILVIA
Elle est très faisable ; mais je crains que ce ne soit abuser de vos bontés.
MONSIEUR ORGON
Eh bien, abuse, va, dans ce monde il faut être un peu trop bon pour l'être assez».
(acte I, scène 2)
La société du XVIIIe siècle se montrait très égoïste à l'égard des femmes. Elles n'avaient pas de pouvoir de décision, point d'autorité sur quoi que se soit.
Silvia veut affronter cette situation humiliante et la dépasser. Elle croit de toutes ses forces que le mariage doit se construire sur le sentiment amoureux et que ce dernier doit être exploré en explorant la personne capable à l'offrir, à l'analyser, à l'observer sur toutes les facettes.
Elle s'assure une force étrangère aux femmes de son époque, mais elle n'oublie pas d'être, avant tout, une femme qui désire plaire.
SILVIA
«Franchement, je ne haïrais pas de lui plaire sous le personnage que je joue, je ne serais pas fâchée de subjuguer sa raison, de l'étourdir un peu sur la distance qu'il y aura de lui à moi ; si mes charmes font ce coup-là, ils me feront plaisir, je les estimerai, d'ailleurs cela m'aiderait à démêler Dorante. à l'égard de son valet, je ne crains pas ses soupirs, ils n'oseront m'aborder, il y aura quelque chose dans ma physionomie qui inspirera plus de respect que d'amour à ce faquin-là».
(acte I, scène 4)
Elle a la chance d'avoir un père qui se montre soucieux de la rendre heureuse et non pas d'imposer sa propre volonté. Silvia est donc une féministe parce qu'elle peut l'être. Et pour cela, le jeu des masques est mis en place. Les déguisements vont cacher les visages et les identités des personnages, mais il n'est pourtant pas capable à cacher les caractères.
Ce jeu va lui causer des problèmes, car au début, contrairement à son intention, c'est elle qui va se retrouver dans des situations peu favorables. D'une part, en portant l'habit de domestique, elle est sous les ordres des maîtres, donc le contrôle ne lui appartient pas. D'autre part, elle tombe amoureuse d'un jeune homme qui, lui aussi, se cache sous des vêtements de valet, elle est donc piégée à son tour et ne peut assumer ses propres sentiments.
Silvia va pourtant être confrontée à ses propres démons. Celui de l'amour naissant et celui de l'amour propre qui refuse cet amour. Elle doit subir l'incroyable événement de tomber amoureuse d'un serviteur et supporter les situations dont elle se trouve. De cette façon elle va connaître une expérience inédite, celle de faire partie de la classe des serviteurs et voir ce que cela signifie.
Les tortures sentimentales se mêlent aux épreuves humiliantes auxquelles elle est mise: être traitée en femme de chambre par Arlequin déguisé en Dorante, d'une manière moqueuse et ironique, se trouver compromise devant son père et son frère à cause des avances d'un «domestique» et surtout de se voir forcer à admettre son propre sentiment vis à vis de ce valet!
C'est une véritable lutte que va se livrer en elle-même et qui va lui dévoiler une palette énorme de sentiments qu'elle ignorait jusqu'alors: le malaise, la surprise, l'humiliation, l'orgueil, l'étonnement, et enfin la crainte et l'émotion de l'amour.
Ce qui peut nous paraître étonnant à première vue c'est la décision de Silvia de continuer le jeu de son déguisement après l'aveu de Dorante et de sa véritable identité. Mais c'est parfaitement logique et surtout dans le sens du texte ce que Silvia fait dans le dernier acte de la pièce, en continuant à jouer la suivante. C'est à peine en ce moment-là qu'elle a un véritable contrôle de la situation, malgré sa «position sociale», car, en forçant Dorante à la demander en mariage sous le masque de la servante, elle va non seulement s'assurer des sentiments de celui qu'elle aime, mais elle s'assurera aussi une position de femme forte et non pas celle de soumise à son mari, qui pourra l'abuser à son gré et la traiter de la manière dont les femmes l'étaient aux temps de Marivaux!
2.5. Un homme à marier
Pour Dorante, son portrait le précède. Il est tracé par Lisette dès le commencement de la pièce.
LISETTE
«On dit que votre futur est un des plus honnêtes du monde, qu'il est bien fait, aimable, de bonne mine, qu'on ne peut pas avoir plus d'esprit, qu'on ne saurait être d'un meilleur caractère..» (acte I, scène 1)
Dorante nous apparaît donc sous tous les auspices que son rang pourrait offrir. De même que Silvia, c'est un jeune aristocrate qui jouit des qualités et des avantages préservés à cette catégorie sociale.
L'on apprend pourtant que, pareil à la femme que son père lui avait destiné, il pense et agit exactement au même stratagème, celui du jeu des masques. Cela veut dire qu'il ne s'agit pas d'un fanfaron ou un jeune homme riche et superficiel, mais de quelqu'un de profond et qui accorde de l'importance au sentiment amoureux.
Il y a une situation parallèle entre les deux jeunes gens. De même que Silvia, qui se fait avoir par Lisette et devient victime de son propre jeu, Dorante devient victime de son déguisement et se fait avoir par Arlequin, par monsieur Orgon et son fils, Mario et bien-sûr par Silvia, à la fin.
Au début, il a l'air de prendre l'amour à la légère, car, de suite tombé sous les charmes de Silvia, déguisée en suivante, il lui parle sur un ton suave, en jouant le cavalier sous son habit de domestique, qui ne l'empêche pas d'être aussi galant que d'habitude.
SILVIA
« Oui, le prenez-vous sur ce ton-là, et moi je veux que Bourguignon m'aime.
DORANTE
Tu te fais tort de dire je veux, belle Lisette, tu n'as pas besoin d'ordonner pour être servie.
MARIO
Mon Bourguignon, vous avez pillé cette galanterie-là quelque part.
DORANTE
Vous avez raison Monsieur, c'est dans ses yeux que je l'ai prise.
MARIO
Tais-toi, c'est encore pis, je te défends d'avoir tant d'esprit.
SILVIA
Il ne l'a pas à vos dépens, et s'il en trouve dans mes yeux, il n'a qu'à prendre».
(acte I, scène 5)
Voilà que ses manières impressionnent Mario et monsieur Orgon, qui en profitent pour se moquer, car ils sont au courant avec le déguisement du faux domestique qui fait déjà la cour à Silvia. Ils se moquent en même temps de Silvia, qui ne paraît pas insensible aux charmes du jeune homme et ainsi, les deux spectateurs du déguisement prévoient la suite du jeu masqué.
Il est évident que, quoi que ce n'est jamais dit, tant monsieur Orgon que Mario sont convaincus au fond de leur esprit que la véritable appartenance va se faire sentir et entendre par Silvia et Dorante. Pour eux, il n'y a aucun danger que la jeune fille tombe amoureuse du valet déguisé en maître, mais il n'est pas tout aussi évident que le faux valet ne tombe amoureux de Lisette déguisée en maîtresse.
Pourtant, le cœur de Dorante est atteint d'amour pour Silvia, la fausse femme de chambre. Ce sentiment s'accroît au parcours de la pièce jusqu'à ce qu'il atteigne le climax, le moment où Dorante avoue son identité à Silvia. Le chemin qu'il fait et les situations dont il se retrouve sous le masque du serviteur ne sont pas commodes. Mais il tient le coup avec dignité, malgré les humiliations auxquelles il aurait pu céder.
En fait, la chose la plus difficile pour lui à endurer c'est l'amour qu'il ressent pour la suivante/ la bonniche/ la servante/ la femme de chambre/ Silvia.
Dans l'acte premier, son attitude était tout simplement galante, mais en arrivant au dernier acte, il est tellement bouleversé par la force et la profondeur de ses sentiments qu'il est prêt à céder. Et il le fait, en dépassant toute convention sociale le moment où il avoue son amour pour celle qu'il prenait pour une simple servante. Il fait le geste incroyable de la demander en mariage, l’ultime preuve d'un amour véritable, plus forte que tout rang et toute appartenance aristocratique.
DORANTE
«Ne consentez-vous pas d'être à moi ?
SILVIA
Quoi, vous m'épouserez malgré ce que vous êtes, malgré la colère d'un père, malgré votre fortune ?
DORANTE
Mon père me pardonnera dès qu'il vous aura vue, ma fortune nous suffit à tous deux, et le mérite vaut bien la naissance : ne disputons point, car je ne changerai jamais.
SILVIA
Il ne changera jamais ! Savez-vous bien que vous me charmez, Dorante ?
DORANTE
Ne gênez donc plus votre tendresse, et laissez-la répondre…
SILVIA
Enfin, j'en suis venue à bout ; vous, vous ne changerez jamais ?
DORANTE
Non, ma chère Lisette.
SILVIA
Que d'amour» ! (acte III, scène 8)
Les deux jeunes maîtres, Silvia et Dorante, forment le couple qui suscite l’intérêt de ce jeu de l'amour et du hasard. Ils partent à la découverte de l'autre et finissent par se découvrir eux-mêmes le sentiment de l'amour, en traversant une aventure sur laquelle se fonde la trame de l'action de la pièce.
Ils désirent et croient tester l'autre, mais en fait c'est chacun d'entre eux qui se fait tester par l'autre et par les autres, par leurs propres sentiments et par la force de l'assumer et d'admettre leur individualité en même temps face aux conventions sociales, mais surtout face à leur propre conscience.
Chapitre III Quand les masques tombent
Le théâtre utilise, depuis sa naissance, le masque. L'on a déjà souligné cela dans la première partie de ce travail, en montrant l'usage des masques dans cet art chez plusieurs peuples à travers le temps. Le masque c'est le symbole du déguisement, qui est l'essence du théâtre et qui devient, par son utilisation, une dénoncée vis à vis des masques quotidiens, que l'on utilise dans la vie.
Dans le «Jeu de l'amour et du hasard», quatre personnages sur six utilisent le déguisement. Dans l'acte premier les masques sont mis et ils tombent seulement à la fin du troisième acte, qui est l'acte finale de la pièce.
À travers leur déguisement, les personnages cachent leurs visages, leurs identités et leurs pensées. Ils essaient d'exprimer ce qu'ils pensent et ressentent vraiment, mais le masque les empêchent, et ils finissent par ne plus se comprendre eux-mêmes.
Pour Silvia et Dorante, le jeu des masques signifie se cacher derrière une identité, en assumer une autre, ce qui leur offre la liberté de se découvrir. Mais elle est temporaire, cette liberté et créatrice d'illusions pour les autres. En même temps, ils l'utilisent afin de tromper l'autre et d'avoir de l’ascendent sur lui. À partir de ce moment le masque devient le porteur de liberté et de pouvoir, mais ce qu'il cache sous ces apparentes qualités c'est qu'il peut devenir un instrument de perdition d'identité.
Le double effet du masque se fait voir dans ce jeu. Car il est un instrument ambigu, créateur de vérité à travers le mensonge. En effet, les personnages arrivent au but de leurs intentions, mais en utilisant le mensonge. C'est le rôle même du masque, qui, par excellence, joue avec les deux facettes, en laissant de l'hésitation sur l'idée de moralité.
La pièce nous offre un régal comique dans son acte final, où les masques des quatre personnages tombent, commençant par ceux des domestiques. Les répliques sont d'autant plus effervescentes que les deux paraissent brusquement réduits à une modestie qui leur était étrangère dans les scènes d'avant. En effet, contraints par leurs maîtres à se dévoiler la véritable identité, ils craignent de perdre l'affection de l'autre et essaient de s'assurer son affection avant tout.
ARLEQUIN, à part.
«Je n'ai pu éviter la rime.
LISETTE
Mais voyez ce magot ; tenez !
ARLEQUIN, à part.
La jolie culbute que je fais là !
LISETTE
Il y a une heure que je lui demande grâce, et que je m'épuise en humilités pour cet animal-là !
ARLEQUIN
Hélas, Madame, si vous préfériez l'amour à la gloire, je vous ferais bien autant de profit qu'un Monsieur.
LISETTE, riant.
Ah, ah, ah, je ne saurais pourtant m'empêcher d'en rire avec sa gloire ; et il n'y a plus que ce parti-là à prendre… Va, va, ma gloire te pardonne, elle est de bonne composition.
ARLEQUIN
Tout de bon, charitable Dame, ah, que mon amour vous promet de reconnaissance !
LISETTE
Touche là Arlequin ; je suis prise pour dupe : le soldat d'antichambre de Monsieur vaut bien la coiffeuse de Madame.
ARLEQUIN
La coiffeuse de Madame !
(acte III, scène 6)
Si les masques de Lisette et Arlequin tombent d'une manière hilare, ceux de Dorante et Silvia apportent un peu plus de dramatisme et d’inquiétude, car l'on n'est pas sûrs de la tournure que la pièce prendra.
Dorante fait tomber son masque le premier. En ignorant le fait que celle qu'il aime porte un masque elle aussi, il renonce à son déguisement en ouvrant son cœur, à la fin du deuxième acte.
DORANTE
«C'est moi qui suis Dorante
SILVIA, à part.
Ah ! je vois clair dans mon coeur».
Silvia, au contraire, tarde à enlever son masque. Après avoir appris la vrai identité de celui qu'elle aimait, qui n'était pas un serviteur, mais Dorante lui-même, le jeune aristocrate que son père lui avait destiné, elle arrive à assumer ses sentiments et à en profiter pour se convaincre de ceux de Dorante. Son pouvoir atteint à peine maintenant son maximum, car Silvia est à l'abri de son déguisement et le jeu peut continuer jusqu'à ce qu'elle se déclare satisfaite de la victoire qu'elle obtient dans le jeu de l'amour mis en scène par elle-même, par Dorante et par le hasard.
SILVIA
«Oui, Dorante, la même idée de nous connaître nous est venue à tous deux, après cela, je n'ai plus rien à vous dire, vous m'aimez, je n'en saurais douter, mais à votre tour, jugez de mes sentiments pour vous, jugez du cas que j'ai fait de votre coeur par la délicatesse avec laquelle j'ai tâché de l'acquérir.
MONSIEUR ORGON
Connaissez-vous cette lettre-là ? Voilà par où j'ai appris votre déguisement, qu'elle n'a pourtant su que par vous.
DORANTE
Je ne saurais vous exprimer mon bonheur, Madame ; mais ce qui m'enchante le plus, ce sont les preuves que je vous ai données de ma tendresse».(acte III, scène finale)
Conclusion
L'intérêt de la pièce sur plusieurs aspects
Marivaux dresse un tableau bien coloré de l'époque respective. C'est les années 1700, la période la plus agitée de l'histoire de la France, car elle prépare la plus grande révolution qui ait jamais existé. De ce point de vue, les esprits des gens étaient prêts à recevoir les influences des grands hommes, dont les lettrés ont joué un rôle déterminant, surtout sur la scène. Car c'est là où les choses étaient démasquées d'une façon brute, sans pitié ou restrictions.
Les dramaturges et les philosophes ont constitué le cœur de cette géante institution qui a renversé l'ordre sociale. À travers leurs écrits, ils ont mis en scène la vérité et démasqué les misères bien cachées sous les tapis élégants des aristocrates. L'on a déjà souligné dans la première partie de ce travail deux noms de philosophes qui faisaient partie de l'élite. L'on va procéder à mettre en avant quelques thèmes dont Marivaux s'est occupés dans ses comédies, mais surtout dans son «Jeu de l'amour et du hasard» .
Aspect social
Un premier thème que l'on peut retrouver et analyser dans sa pièce et qui est plus que évident c'est la discrimination sociale et le mariage dans les conditions d'une hiérarchie bien établie.
La classe des nobles, dont font partie monsieur Orgon et ses enfants ainsi que Dorante, menait une vie légère et sans souci. Ils s'occupaient le temps à se divertir et à jouir des privilèges qu'ils avaient gagnés par le simple fait d'être nés. L'on remarque la fréquence des mots «naissance» et «mérite» dans la pièce.
SILVIA
«Ce qui lui en coûte à se déterminer, ne me le rend que plus estimable : il pense qu'il chagrinera son père en m'épousant, il croit trahir sa fortune et sa naissance, voilà de grands sujets de réflexion ; je serai charmée de triompher ; mais il faut que j'arrache ma victoire, et non pas qu'il me la donne : je veux un combat entre l'amour et la raison».
(acte III, scène 4)
DORANTE
«Mon père me pardonnera dès qu'il vous aura vue, ma fortune nous suffit à tous deux, et le mérite vaut bien la naissance : ne disputons point, car je ne changerai jamais».
(acte III, scène 8)
Aspect philosophique
Beaumarchais a été le dramaturge le plus osé et le plus radicale dans sa manière de se moquer des mœurs de l'époque. Mais un peu avant lui, même si moins radicalement, Marivaux a fait la même chose: il a dévoilé le fonctionnement de la société, en inversant les rapports maîtres-serviteurs et en parlant par la voix d'Arlequin dans «Le Jeu de l'amour et du hasard», d'une manière caricaturale pour désigner le dérisoire des règles et de ceux qui en tirent l'avantage. Ses expressions comme «Maudite soit la valetaille», «Ah ! les sottes gens que nos gens» ne tardent pas de choquer la «haute société» de se faire traiter de cette manière par un personnage qui représentait les serviteurs!
Aspect littéraire
L'on a remarqué le langage utilisé par Marivaux dans la pièce. C'est celui du XVIIIe siècle, avec des inflexions qui ne sont plus utilisées de nos jours, mais auxquelles il a apporté des traits qui lui sont propres. Déjà le fait qu'il a écrit la pièce en prose et non pas en vers, comme il était à la mode et puis il a fait parler ses personnages différemment, d'après la réalité de la vie. C'est à dire qu'Arlequin parle d'une façon, peu importe son habit et les maîtres aussi. Voilà un beau exemple de dialogue où les rangs sociaux parlent pour eux-mêmes à travers la bouche du masque.
ARLEQUIN
«Ah, te voilà, Bourguignon ; mon porte-manteau et toi, avez-vous été bien reçus ici ?
DORANTE
Il n'était pas possible qu'on nous reçût mal, Monsieur.
ARLEQUIN
Un Domestique là-bas m'a dit d'entrer ici, et qu'on allait avertir mon beau-père qui était avec ma femme.
SILVIA
Vous voulez dire Monsieur Orgon et sa fille, sans doute, Monsieur ?
ARLEQUIN
Eh oui, mon beau-père et ma femme, autant vaut ; je viens pour épouser, et ils m'attendent pour être mariés, cela est convenu, il ne manque plus que la cérémonie, qui est une bagatelle.
SILVIA
C'est une bagatelle qui vaut bien la peine qu'on y pense.
ARLEQUIN
Oui, mais quand on y a pensé on n'y pense plus.
SILVIA, bas à Dorante.
Bourguignon, on est homme de mérite à bon marché chez vous, ce me semble ?
ARLEQUIN
Que dites-vous là à mon valet, la belle» ?
(acte I, scène 7)
Le déguisement qui joue un rôle presque palpable dans la pièce c'en est un transparent. Il faut se méfier de ce que l'on voit sur la scène, car rien et personne n'est ce qu'il paraît. Il est mis en avant par la physionomie des visages et toujours en antithèse avec l'aspect physique. Si ce dernier est donné par le vêtement, celui du visage se transmet par les termes utilisés.
Le hasard joue un autre rôle important, car les personnages semblent être à la merci des imprévus de l'existence. Les deux premiers actes en sont la preuve, moins l'acte final où la volonté de Silvia semble prendre et diriger les fils de l'intrigue, mais pas entièrement.
L'on ressent, en lisant où en regardant sur la scène cette merveilleuse pièce de Marivaux, un véritable plaisir. Il se doit au talent du dramaturge d'avoir construit une intrigue éclatante, soutenue par un humour issu du comique du langage et des situations. À ces qualités il ne faut pas oublié le dénouement qui provoque l'accomplissent désiré aussi par les personnages que par les spectateurs ou lecteurs.
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