Le Role de Think Tanks

Le rôle de think tanks

Table des matières

Introduction

I. Une notion à la mode

I.1. Problématique

I.2. Le rôle de think tanks

I.3. L’organisation et financement des think tanks

I.4. Les travaux des think tanks

II. L’émergence des think tanks européens

II.1. Le modèle américain Vs le modèle européen

II. 2. Le cas de l’Allemagne

II.3. Un modèle centralisé et élitiste : la France

II.4. Les think tanks en Grande-Bretagne

II.5. Les think tanks bruxellois

II.6. Une typologie des think tanks

III. Les think tanks et l’espace public européen

III. 1. C'est quoi un espace public communautaire?

III.2. Un espace public européen en construction

III.3. L’expertise comme un régulateur de l’espace politique

III.4. L'activité des think tanks dans la promotion de l'espace public européen

Conclusion

Annexes

Introduction

La complexité du processus décisionnel de l’Union européenne favorise les entreprises d’influence. En la matière, la recherche s’est principalement focalisée sur le rôle joué par des organismes spécifiques comme les O.N.G ou par les groupes d’intérêts, dans une perspective sociologique, historique et/ou politique. Pour de nombreux professionnels les think tanks doivent aujourd’hui être considérés comme des acteurs particulièrement importants dans la mise en oeuvre des politiques publiques. Si leur nombre croît fortement en Europe leur rôle et fonctionnement demeurent peu connus. C’est pourquoi il nous parait particulièrement intéressant d’analyser le rôle naissant de ces nouveaux acteurs nationaux et supranationaux dans le processus décisionnel de l’Union européenne. Sont-ils en capacité d’introduire et de soutenir des réflexions alternatives dans le champ politique européen ? Comment et dans quelle mesure contribuent-ils à la réalisation d’un espace commun ? Leurs travaux permettent-ils d’améliorer le processus démocratique de l’Union ?

Une première partie sera consacrée à une réalité nouvelle dans le fonctionnement européen: l'émergence de think tanks au niveau d'Europe. Nous chercherons à comprendre les différences entre le model américain et celui européen, leur typologie. Les dernières deux parties traiteront le rôle des think tanks européens et leur fonctionnement, l’existence des models différents des think tanks entre les pays européens avec la perspective d'anticiper sur le possible apparition d'un espace public européen.

Issus de la culture politique américaine, ils sont aussi une spécificité anglo-saxonne, et existent dans de très nombreux domaines. Ce sont des instituts privés, publics ou mixtes composés de chercheurs d'origine universitaire le plus souvent, qui sont chargés de travaux d'analyse, de réflexion, de prospective et d'étude en vue d'apporter des solutions à des problèmes politiques (militaires, économiques, sociaux…). Ils sont des lieux de foisonnement d'idées et étaient censés au départ donner une légitimité aux décisions du pouvoir politique. Si leurs  « clients » sont surtout les décideurs politiques et économiques, les think tanks travaillent aussi pour ou en direction du public et des médias. Ils accordent une place très importante à la communication sous toutes ses formes. Enfin, si de nombreux think tanks étaient et sont encore neutres idéologiquement, plusieurs parmi les plus influents sont orientés politiquement et diffusent à l'échelle planétaire des thèses dans les domaines militaires et économiques, qui sont souvent celles des « puissants ».

C'est difficile de transposer le modèle américain en Europe, compte tenu aux Etats-Unis de la philanthropie prive et de la puissance des fondations; partout le financement est un souci pour les think tanks européens. Ils restent assez élitistes, ils travaillent entre experts des questions européennes et s’adressent à d’autres experts des questions européennes. Donc il y a un réel décalage entre l’ambition de contribuer à combler le « déficit démocratique » et la capacité à pouvoir y faire quoi que ce soit. Potentiellement, les think tanks pourraient jouer un rôle, mais aujourd’hui ils renforcent plutôt l’impression d’une Europe d’experts, plutôt qu’ils ne la corrigent.

La construction institutionnelle de l’Europe suffit-elle a créer un espace public unifie, un espace de production de pouvoir politique et un espace de citoyenneté ?

Il faut distinguer l'espace commun, l'espace public et l'espace politique. L'espace commun est le premier espace. Il est symbolisé par les échanges commerciaux, avec l'équivalent universel de la monnaie comme moyen de compenser l'hétérogénéité des langues. Le mot « commun » apparaît au IX ème siècle, venant du latin communis, et il est lié à l'idée de communal et de communauté. Un espace commun est à la fois physique, défini par un territoire, et symbolique, défini par des réseaux de solidarité.

L’espace public est au départ un espace physique; celui de la rue, de la place, du commerce et des échanges. C'est seulement à partir des XVI ème et XVII ème siècles que cet espace physique devient symbolique avec la séparation du sacré et du temporel et la progressive reconnaissance du statut de la personne et de l'individu face à la monarchie et au clergé. Ce mouvement prend facilement deux siècles. C'est en effet la redéfinition du privé qui permet, en contrepoint, à l'Espace Public de se dessiner et de s'affirmer. Le mot public apparaît au XIV ème siècle, du latin publicus; ce qui concerne « tout le monde ». Public renvoie à « rendre public », à publier, du latin publicare. Cela suppose un élargissement de l'espace commun et l'attribution d'une valeur normative à ce qui est accessible à tous. Dans le passage du commun au public, se lit ce qui deviendra par la suite la caractéristique de la démocratie, à savoir la valorisation du nombre, le complément, en quelque sorte, du principe de liberté.

L’espace public est évidemment la condition de naissance de l'espace politique, qui est le plus « petit » des trois espaces au sens de ce qui y circule. Dans cet espace il ne s'agit ni de discuter ni de délibérer, mais de décider et d'agir. Il y a toujours eu un espace politique. Simplement, la spécificité de la politique moderne démocratique réside dans l'élargissement de l'espace politique, au fur et à mesure du mouvement de démocratisation. Le mot émerge entre le XIII ème et le XIV ème siècle, venant du latin politicus, et empruntant au mot grec politike, l'idée essentielle de l'art de gérer les affaires de la cité. Il existe alors non seulement un enjeu supplémentaire par rapport à l'Espace Public, qui est le pouvoir, mais aussi un principe de clôture plus strict lié aux limites territoriales sur lesquelles s'exercent la souveraineté et l'autorité.

Pour simplifier – l'espace commun concerne la circulation et l'expression ; l'espace public, la discussion; l'espace politique, la décision

De toute évidence, la coopération gouvernementale est marquée par le souci d’harmoniser les différences culturelles, politiques et juridiques dans les faits aboutit a une convergence, du moins dans certains domaines, entre les états. Le supranationalisme donne l’idée de la formation d’un espace politique unifie ou plutôt standardise. Mais dans quelle mesure les institutions supranationales peuvent-elles activer une volonté populaire, former un peuple européen, garantir sa participation, transformer la construction de l’Europe dans un projet démocratique ? La formation de think tanks impulse la création d'un espace européen au sein du monde politique et universitaire: des réseaux sont formes a travers l'Europe et mettent en rapport les chercheurs et les décideurs nationaux de différentes Etats membres.

Il n'existe pas de panacée pour rapprocher l'Europe de ses citoyens et ainsi créer une véritable conscience et mentalité européenne. La solution est dans le détail. Des plateformes journalistiques et informatives y participent autant que les think tanks qui, tous les deux, s'efforcent de rendre l'UE plus compréhensible (les questions de la transparence et de la compréhensibilité son intimement liées). Les Européens doivent comprendre que leur univers (national) ne s'arrête pas là où l'Europe commence.

Instrument de renouveau de la démocratie pour les uns, menace pour les autres, le propre des think tanks est non seulement de produire des idées originales mais aussi d’avoir d’influence auprès des décideurs politiques pour voir leurs idées appliquées. Les centres de réflexion politique sont le reflet de la vitalité de nos démocraties. S’intéresser aux think tanks, c’est s’interroger sur la santé de notre vie politique.

Le travail de recherche s'est articulé en différentes étapes: un travail d'observation lors d'une rencontre inter think tanks, l'exploitation des ouvrages théoriques, des supports de communication publiés par les think tanks, de textes communautaires officiels, d'articles de presse, etc.

Une notion à la mode

La production d’idées n’est pas un phénomène nouveau, elle est même au cœur de la dynamique de toute organisation, et s’est développée sous divers formes et structures en fonction des libertés de pensées et d’expression admises par différentes sociétés. En marge des traditionnels producteurs d’idées et réservoirs de pensées tels qu’entre autres, les universités, les cabinets de recherche et de consultants, on a vu émerger un nouveau groupe de pensée sous l’appellation « think tanks ». L’appellation « think tanks » est maintenant à la mode. La notion n'a pas encore trouve en français d'autres équivalents que sa traduction littérale « réservoir de pensées » ou « laboratoire d'idées ».

Après un développement majeur aux États-Unis, ce phénomène, d’origine anglo-saxonne, est apparu en Europe, et occupe actuellement une place significative dans le monde de la production et de la diffusion des idées. Les think tanks s'occupent avec la production de solutions de politiques publiques. Ils essaient de communiquer les résultats de leur recherche, qu'ils essaient de les faire passer dans le monde politique.

I.1. Problématique

Définir précisément la notion de « think tanks » est difficile dans la mesure où ses frontières avec certains groupes d’experts, de consultants, de groupes politiques, sont assez floues. Il est peu adéquat de définir un think tank avec trop de précision. Les fonctions que remplissent les think tanks, recherche pertinente quant aux politiques publiques, promotion du débat public, remise en question de la sagesse conventionnelle, la formulation et la dissémination de concepts alternatifs et de calendriers politiques, peuvent être remplies de façons très différentes, sous différentes contraintes.

Pourtant, trouver et appliquer une définition claire est crucial pour une analyse rigoureuse. Tandis que le monde des think tanks s’enrichit et se diversifie, il devient également sujet à des études et des discussions plus fréquentes. Le terme est utilisé de manière encore plus incertaine par les médias. Il est donc utile de rechercher une compréhension plus affinée de ce qui caractérise les think tanks dans le monde de la formation des politiques.

Un think tank peut faire néanmoins référence à un cercle de réflexion, lieu de recherche et d’analyse, qui prend la forme d’une organisation non lucrative et indépendante et le plus fréquemment d’une association. Ce sont des organismes permanents spécialisés dans la production de solutions à des politiques publiques grâce à un personnel propre dédié à la recherche. Ce groupe pluridisciplinaire rassemble divers experts, universitaires, chefs d’entreprises, journalistes et chercheurs politiques, qui se rassemblent afin de partager des idées et de réfléchir sur des thèmes et de nourrir par la même occasion le débat public.

Les think tanks réfléchissent en principe de façon non partisane. Le fruit de leurs recherches se traduit par des articles mis en ligne, des publications ponctuelles ou régulières dans des lettres ou des cahiers, des séminaires ou des petits-déjeuners éflexion, lieu de recherche et d’analyse, qui prend la forme d’une organisation non lucrative et indépendante et le plus fréquemment d’une association. Ce sont des organismes permanents spécialisés dans la production de solutions à des politiques publiques grâce à un personnel propre dédié à la recherche. Ce groupe pluridisciplinaire rassemble divers experts, universitaires, chefs d’entreprises, journalistes et chercheurs politiques, qui se rassemblent afin de partager des idées et de réfléchir sur des thèmes et de nourrir par la même occasion le débat public.

Les think tanks réfléchissent en principe de façon non partisane. Le fruit de leurs recherches se traduit par des articles mis en ligne, des publications ponctuelles ou régulières dans des lettres ou des cahiers, des séminaires ou des petits-déjeuners de présentation, dans le but avoué d’influer sur les politiques mises en œuvre et sur les réglementations en préparation

Philippa Sherrington les définit comme « des organisations relativement indépendantes, impliquées dans la recherche sur un large spectre d’intérêts. Leur objectif premier est de disséminer cette recherche aussi largement que possible avec l’intention d’influencer le processus de formation des politiques publiques ».

Les think tanks sont des vecteurs d’influence et de puissance, des contre-pouvoirs considérables tout comme les ONG et les médias. Ils contribuent à la vitalité des débats publics, combattent l’apathie politique et un certain conformisme des idées. Tout le challenge des think tanks est d’attirer les meilleurs penseurs qui pourront ainsi communiquer leurs réflexions aux décideurs.

Certains pays, comme les Etats-Unis, ont depuis longtemps compris la nécessité d’investir dans de tels organismes (qui leur offrent des grilles d’analyse originales sur les sujets de société) alors que l’Europe peine à comprendre que par cette réflexion et par cette influence se créeront les normes et les décisions de demain. Concernant l’Europe on regrette « le trop long monopole des hommes politiques dans le débat public » considérant « qu’il ne fallait plus que les programmes se construisent uniquement dans les partis ».

Stephen Boucher a défini les critères d'identification des think tanks : ils doivent être des organismes permanents qui se spécialisent dans la production de solutions de politique publique, grâce à un personnel propre dédié à la recherche. Ils fournissent une production originale de réflexion, d'analyse et de conseil, qui a vocation à être communiquée aux gouvernants et à l'opinion publique. Ces think tanks ne sont pas chargés d'accomplir des missions gouvernementales. Ils s'efforcent plus généralement de maintenir leur liberté de recherche et de ne pas être liés à des intérêts spécifiques. Ils n'ont pas non plus pour tâche principale de former ni d'accorder des diplômes. Enfin, leur travail a l'ambition, explicite ou implicite, d'oeuvrer au bien public, par opposition aux organes à but uniquement commercial et lucratif. 

Les think tanks préfèrent généralement intervenir en amont du processus décisionnel ou au stade d'initiation des politiques. Ils ont un parti pris clair pour les politiques prospectives et tentent généralement d'influencer les organes décisionnels avant l'élaboration de la législation ou l'intervention des parlements et des gouvernements nationaux.

Par ailleurs, le fait que les think thanks soient  non partisans, signifie seulement qu'ils ne sont pas rattachés à l'un des deux grands partis politiques : cela ne signifie aucunement que leurs travaux ne s'inscrivent pas dans une famille de pensée politique. La plupart des think tanks est ainsi plus ou moins politiquement connotés. Certains sont explicitement des institutions de promotion de certaines idées politiques.

De même l'indépendance des think tanks est parfois toute relative. Certains think tanks qui s'affichent « indépendants » sont largement financés par des organisations syndicales ou par des administrations publiques, dont elles constituent quasiment des démembrements.

I.2. Le rôle de think tanks

Longtemps assimilés par le grand public à des « cimetières diplomatiques » ou bien à des « tours d’ivoire » pour experts détachés de toute réalité, les think tanks se voient aujourd’hui attribuer, selon la formule de Nye une forme de « soft power ». Selon Wallace les think tanks obéissent à deux principes fondamentaux : « interroger la sagesse conventionnelle » et « formuler et diffuser des concepts et des programmes alternatifs ».

Précisément la mission donnée aux think tanks est obtenir des informations et des analyses d’actualité claires et fiables mais aussi accessibles à tous et utiles. Différentes techniques et savoirs s’attachent donc aujourd’hui à l’attention portée aux think tanks. Ces organismes indépendants de recherches sur les politiques publiques sont souvent spécialisés, par exemple sur l’économie, les relations internationales ou encore l’écologie. Ils se chargent de différentes missions destinées aux décideurs politiques mais aussi aux journalistes et au grand public.

La production d’une information utile, accessible et fiable dans un temps minimum devient donc une nécessité. C’est là une des raisons du succès grandissant des think tanks. Plus de 45000 think tanks sont aujourd’hui recensés dans le monde et leur nombre continue de croître. Ce chiffre doit cependant être nuancé : de très nombreux think tanks, en Asie et dans l’ensemble des pays émergeants émanent de think tanks américains. Ce sont donc sur ces structures que repose une attente forte : repérer les grandes tendances, les questions et les problèmes émergeants ; interpréter puis formuler de manière claire les présupposés et des réponses adaptées aux capacités politiques du moment, aux attentes des gouvernés, et selon l’idéologie dominante, tout en faisant œuvre d’une véritable capacité créatrice voire perturbatrice. Il peut aussi leur être demandé de mettre à disposition certains experts. Le think tank aurait donc à la fois une fonction régulatrice et une fonction créatrice.

Dans les Etats démocratiques, les think tanks associant idées et savoirs agissent dans le domaine de l’influence. Situés entre l’univers académique des sciences sociales et des études les plus sélectives d’un coté, et de l’autre du coté du gouvernement et des décisions politiques et partisanes, ces organismes du savoir traversent le corps politique et civil, se situant en même temps et dans le même mouvement dans la « tour d’ivoire » du savoir universitaire et dans l’univers, plus pragmatique, des décideurs politiques et des administrations : c’est pourquoi le travail et l’action des think tanks s’inscrivent à l’intérieur d’une dynamique née de ces deux dimensions opposées. L’un de leurs avantages est la rapidité avec laquelle ils peuvent soumettre une note et des conseils à des décideurs politiques. Pour ce faire, il leur faut réaliser de la prospective et travailler sur de multiples questions qui ne semblent pas encore d’actualité. C’est dans cette mesure que les think tanks peuvent effectivement encore être distingués comme dégagés des contingences politiciennes : il leur faut penser par anticipation, c’est-à-dire en sortant des schémas imposés par les champs médiatique et politique.

Il s’agit donc de s’imposer comme une institution de pouvoir au cœur du pouvoir, un média au creux des médias et enfin, un pont entre les pouvoirs (économiques, médiatiques, législatifs…) et le savoir universitaire.

Les think tanks se donnent deux grandes missions :

En premier lieu, ils sont très largement pluridisciplinaires. Les think tanks s'investissent ainsi conjointement dans la plupart des grands thèmes de débat public, notamment la politique étrangère et la défense nationale, la sécurité intérieure, les inégalités, la protection sociale et l'éducation, et ils combinent notamment les apports de l'économie, de la sociologie et des sciences politiques et administratives.

En second lieu, les think tanks s'efforcent de rendre leurs travaux intellectuellement accessibles aux décideurs publics et privés, et d'en assurer la diffusion la plus large possible dans les médias comme dans le grand public.

Les fonctions essentielles des think tanks se traduisent par un mode d’action en quatre points :

• Apporter des solutions

La principale raison d’être d’un think tank est d’apporter des solutions aux politiques publiques grâce à ses propositions et à ses recherches, tout en maintenant sa distance par rapport aux pratiques gouvernementales.

• Réunir la société civile

Son objectif est d’associer la société civile et ses attentes à la définition des politiques publiques par « le frottement entre acteurs ». « Les universitaires travaillent et cherchent mais ne parlent qu’à leurs pairs. Les entrepreneurs réfléchissent mais ils créent des clubs ad hoc souvent fermés. Les politiques aimeraient réfléchir plus mais, pressés par l’urgence, ils s’arrêtent au pied de la colline. Bref, chacun cherche son chat sans jamais le trouver. C’est pourtant par le frottement des cultures, des points de vue que peuvent se dégager des pistes nouvelles », estime Pierre-François Mourier,

• Sensibiliser et faire agir les décideurs

Lorsque les think tanks réussissent à formuler une proposition, ils effectuent un lobbying en profondeur auprès des responsables politiques. Selon certains experts, tout l’art et la crédibilité de ces clubs de réflexion résident dans leur capacité à combiner qualité de recherches et capacité d’influence. L’enjeu est de faire relayer leurs conclusions et leurs idées par les médias afin d’influencer les hommes politiques.

• Propager ses idées au sein de la société

Les think tanks formulent puis diffusent des solutions à des problèmes de société sous différentes formes : rapports publiés sur Internet ou imprimés dans des lettres, des livres, des notes et des revues qui seront envoyées aux décideurs publics, qu’ils soient parlementaires, conseillers politiques, hauts fonctionnaires, membres du gouvernement. La majorité des think tanks organisent également des conférences, des séminaires, des colloques, des ateliers et des petits-déjeuners d’échange pour diffuser leurs idées auprès de décideurs.

Richard Haas souligne aussi la dimension pédagogique des think tanks pour la classe politique. Selon lui, ils fournissent un réservoir d’experts prêts à l’emploi pour le gouvernement. C’est le cas d’Etats-Unis, ou chaque président renouvelle plusieurs milliers d’emplois de la haute fonction publique après son élection, entraînant des allers-retours fréquents de la classe politique entre fonctions étatiques de think tanks mais aussi lobbies, universités, ONG et entreprises. Le rôle pédagogique des think tanks ne se limite pas aux élites gouvernantes. Ils contribuent aussi à enrichir le débat public et à éduquer les citoyens aux affaires globales.

I.3. L’organisation et financement des think tanks

L'organisation des thinks tanks est relativement alambiquée. En premier lieu, l'orientation et l'administration générale du think tanks sont généralement du ressort d'un conseil d'administration ou d'un Board of Trustees aussi excessif que prestigieux. Afin d'accroître leur notoriété scientifique et intellectuelle, certains think tanks rassemblent ainsi au sein d'un conseil d'administration élargi des responsables administratifs, des dirigeants politiques ou des chefs d'entreprise connus. Cependant, les conseils des think tanks sont généralement composés de leurs principaux contributeurs. Parfois relativement resserrés (une vingtaine de membres) lorsque ces contributeurs sont des personnes morales, ces conseils peuvent ainsi comprendre plusieurs centaines de membres pour les institutions financées en grande partie par des personnes physiques.

La direction exécutive de l'institution est alors exercée par un conseil restreint, parfois composé des donateurs les plus généreux. Par ailleurs, la quasi-totalité des think tanks disposent également d'un conseil scientifique, le plus souvent confondu avec le comité éditorial des revues de l'institution. Ce conseil scientifique comprend fréquemment des économistes de premier plan. Les conseils d'administration et les conseils scientifiques des think tanks comprennent également souvent les responsables d'autres think tanks. Ceux-ci sont en effet en relation étroite les uns avec les autres.

Il est difficile de réunir une information précise sur le financement des think tanks. En effet, nombre d'entre eux publient des données financières très agrégées et classent leurs ressources par type de financement (ressources propres, bourses d'étude, subventions, produit des publications et des manifestations, etc.), mais non par type de financeur (fondations privées, adhérents, mécènes, organisations syndicales, fondations publiques, administrations publiques, etc.). En particulier, les données publiées relatives à la part de leurs ressources qui proviennent d'une manière ou d'une autre des administrations publiques (subventions, abonnements, etc.) ne sont pas disponibles. Le financement sert souvent soit à des activités de base, soit à des projets de recherche précis. Les types de financement varient considérablement d’un pays à l’autre, avec différents modèles régionaux

Sous ces réserves, on peut toutefois souligner que les ressources des think tanks sont relativement diversifiées puisqu'elles proviennent, dans des proportions extrêmement variables d'une institution à l’autre :

– de subventions de recherche en provenance des administrations publiques, de fondations publiques ou d'organisations internationales. Notons que la plupart de ces subventions ne sont pas, en principe, des subventions de fonctionnement, mais des bourses de recherche attribuées sur la base d'appels à projet de recherche concurrentiels. Cependant, certains think tanks parmi les plus « politiques » ne sollicitent ni ne reçoivent de fonds publics ;

– plus rarement, de contrats publics, par exemple pour l'évaluation de politiques publiques ou pour la production de statistiques publiques. Néanmoins, la plupart des think tanks refuse d'offrir des prestations de conseil rémunérées, sous peine de perdre leur statut fiscal d'association sans but lucratif. Les évaluations de politiques publiques réalisées par l'Urban Institute sont ainsi le plus souvent financées comme des projets de recherche par des fondations privées ou parapubliques ;

– des revenus d'une fondation dédiée : la plupart des think tanks furent en effet adossés à une fondation lors de leur création.

– des contributions d'autres fondations philanthropiques (créées par des entreprises ou par des personnes privées).

– des contributions d'organisations professionnelles ou syndicales.

– des ressources tirées des adhésions.

– des ressources tirées de la vente des publications. Même si les ouvrages des think tanks sont des succès de librairie, leurs activités éditoriales ne sont toutefois par elles-mêmes guère rentables.

– des ressources tirées des colloques, de la publicité et de la vente de produits dérivés.

– enfin des dons d'entreprises.

– des dons de particuliers.

Le financement des think tanks est une question très délicate et représente l’un de leurs premiers défis. Beaucoup d’entre eux perçoivent des financements et aides publiques, ce qui pose fondamentalement la question de l’indépendance. Un think tank subventionné par le gouvernement, ne peut en effet, tenir des propos et publier des rédactions en profonde contradiction avec les opinions de ce dernier. Pourtant l’intérêt des pouvoirs publics est de conserver ces laboratoires de pensées, comme alimentation permanente du débat public.

En effet, si les think tanks se présentent comme des institutions sans but lucratif afin de bénéficier d'un régime fiscal privilégié, ils sont pour la plupart constamment en recherche de financements, et certains proposent pour ce faire à leurs adhérents une gamme étendue de « services » plus ou moins commerciaux, de sorte qu'ils seraient considérés, par exemple, en France comme des associations à but lucratif

Le financement représente le défi actuel le plus inquiétant du milieu dans lequel les think tanks opèrent, ce qui génère des problèmes d’indépendance et de compétition. Le financement est une préoccupation récurrente et majeure des think tanks hormis pour une petite minorité. Si elle affecte plus nettement les nouveaux États membres, elle semble concerner tant les grands que les petits organismes dans toute l'Union européenne. Les sources de financement semblent en effet insuffisantes et en diminution, qu'elles soient publiques, privées, nationales ou internationales, qu'il s'agisse de dons ou de contrats.

Les instituts indépendants de recherche se plaignent aussi du manque de pérennité des financements publics. Les allocations peuvent parfois être remises en cause au gré des changements de majorité et de priorités politiques, comme cela se dessine actuellement en France pour certains instituts réputés. Beaucoup d’instituts de recherche ont des difficultés à couvrir une grande partie de leurs dépenses avec la recherche sur contrat et les contributions des membres. Un autre problème essentiel lié au financement privé est qu’il est alloué pour chaque projet et donc à court terme, tandis que les think tanks apprécieraient un financement « continu » à long terme via des donations ou des projets sur plusieurs années. Les financements sont non seulement limités, mais ils sont également souvent difficiles d'accès.

Nombre des organismes se plaignent en effet de la complexité des règles en matière de donations et surtout d’appels d'offre de la Commission, qui découragent nombre d'initiatives. Un autre problème rapporté par de nombreux think tanks est la prédisposition de plus en plus marquée des gouvernements à encourager les financements pour des projets précis uniquement, plutôt que pour toutes les activités d’un think tank. Cela est potentiellement fatal pour leur future viabilité sur le long terme dans la mesure où cela pourrait les empêcher d’investir dans leur capacité organisationnelle, en particulier les équipes de chercheurs. Cela pourrait aussi pousser à une relation de client-financeur où ils poursuivraient à satisfaire les besoins du gouvernement plutôt qu’à établir leur propre calendrier.

Ce problème de financement affecte logiquement la capacité de recherche des instituts. Il compromet tout d’abord leur indépendance, une valeur essentielle pour les think tanks. Les contraintes financières limitent aussi leur capacité à recruter et à utiliser leur personnel de manière adéquate.

I.4. Les travaux des think tanks

L’influence des think tanks n’est ni tangible, ni facile à mesurer car les idées se diffusent par le biais de revues et d’articles, mais aussi de contacts personnels et de conférences. Les articles écrits par des « think tankers » ont plus de poids que les livres mais la rédaction d’un ouvrage (dans des maisons d’édition grand public, appartenant à des grands groupes industriels) est presque toujours précédée de celle d’un article paru dans revues intellectuelles non académiques proches des think tanks ou dans des publications spécialisées dans les affaires économiques ou militaires. L’obtention d’une tribune dans un grand journal national a un impact immense. En effet, discuter avec des officiels, des bureaucrates, des journalises, des groupes d’intérêt, des hommes d’affaires ou des financiers par le biais de séminaires, d’ateliers, de revues et, parfois, de livres n’empêche pas de prétendre présenter les résultats de travaux ou le fruit de réflexions sur divers sujets touchant aux affaires publiques à un public plus large, et la presse quotidienne est, avec la télévision, le médium le plus efficace. En retour, cela offre aux think tanks une visibilité et une légitimité pour parler des sujets politiques et sociaux, d’autant que les auteurs de tels articles sont alors placés en situation de concurrence avec des universitaires et des journalistes.

Les think tanks s'efforcent de présenter leurs travaux de manière simple, concise et conclusive.

Les lettres d'actualité et les revues des think tanks sont ainsi écrites de manière à ce que les responsables publics et la plupart des citoyens puissent aisément les comprendre. Leurs articles comportent ainsi rarement des développements mathématiques ou méthodologiques. Ils partent d'exemples concrets et sont écrits dans un langage relativement simple.

Les think tanks s'attachent à présenter leurs travaux de manière synthétique, en partant du principe que les principaux responsables politiques, les journalistes et les dirigeants d'entreprise sont relativement peu disponibles. Dès qu'ils dépassent quelques pages, leurs travaux font ainsi l'objet de résumés opérationnels adaptés au « temps » des décideurs. En outre, ces travaux sont souvent déclinés sous diverses formes, depuis l'ouvrage scientifique de référence, jusqu'à la lettre d'opinion dans un grand journal.

Les travaux des think tanks sont presque toujours conclusifs : non seulement, les think tanks se posent les questions que tout le mode se pose, mais il y répondent sans ambiguïtés. Au total, les travaux des think tanks sont directement opérationnels pour des responsables politiques : ils leur apportent en effet des arguments simples et clairs.

On peut appeler que la mission officielle des think tanks d'alimenter le débat public et de persuader les décideurs publics et privés. Pour ce faire, les think tanks doivent disperser leurs travaux le plus largement possible. La communication forme donc un objectif pour les think tanks.

Tous les think tanks poursuivent une activité éditoriale intense, en publiant ou en réalisant : des livres, si nous ne tenons pas compte dans cette catégorie des volumes de conférence et autres grands rapports, le nombre de livres publiés est en fait relativement faible ; des revues, comme le Cato Journal (quadrimestriel) et Regulation (trimestriel) pour le Cato Institute ; des documents de travail (Working papers), c'est à dire des versions préliminaires d'articles scientifiques diffusés afin de susciter un débat ; des annuaires ; de courts dossiers politiques sur l’actualité, destinés principalement aux politiciens et aux responsables gouvernementaux (et journalistes) qui ont peu de temps pour lire (ils sont généralement produits en grande quantité et souvent disponibles en ligne) ; des documents politiques plus longs, appelés « rapports de recherche », « articles de recherche », « documents hors-série », « livrets » et « brochures », qui présentent des résultats de recherche et donnent des recommandations pour les mesures à venir, des rapports de conférence et des comptes rendus de manifestations, souvent publiés sur une base ad hoc ; des points de vue et des articles, qui paraissent dans des journaux ou uniquement sur Internet, et sont rédigés par différents collaborateurs du think tank, à la fois internes et extérieurs ; des lettres d’information : elles ont tendance à être hebdomadaires ou mensuelles, et informent surtout les membres et autres abonnés des manifestations, publications et autres nouvelles politiques importantes.

Les think tanks encouragent et aident matériellement leurs chercheurs à publier des articles d'opinions ou des éditoriaux dans les grands journaux. Ces articles n'engagent en principe que les seuls chercheurs intéressés. Cependant, les think tanks leurs donnent souvent eux-mêmes un large écho, ce qui ne serait évidemment pas le cas d'une administration pour des éditoriaux publiés par certains de ses fonctionnaires.

Beaucoup de ces publications sont disponibles sur les sites Internet des think tanks, gratuitement ou avec des cotisations. Elles sont également usées comme « incitants » pour inciter les abonnés à s’inscrire. Certaines offrent des services d’information à d’autres institutions. Les publications de recherche sont la première étape de la stratégie pour influencer les décideurs. Les think tanks les plus réputés ont développé des stratégies de propagation sophistiquées, dont des communiqués de presse et des conférences de presse, des apparitions dans les médias et des manifestations pour lancer les publications.

II. L’émergence des think tanks européens

L'Union européenne telle que nous la expérimentons aujourd'hui est avant tout un assemblage intellectuelle. L'entreprise d'unifier les pays européens que l'histoire avait divisés et opposés à de si nombreuses reprises est née dans l'esprit de quelques visionnaires, a été soutenue par des organisations militantes, et mise en œuvre par des gouvernants déterminés.

Face aux défis politiques liés à l’élargissement, l’Europe se trouve confrontée à la nécessité de penser les limites et les frontières de ce nouvel espace politique à 25, à la nécessité également de donner une nouvelle impulsion au projet d’unification. Dans cette perspective, les think tanks apparaissent souvent comme un outil spécifique apte à penser et poser sa marque sur cette nouvelle structure. Ainsi en les développant et en les écoutant, l’Europe gagnerait en puissance, en performance et en influence.

Le développement très important dans l’ensemble du monde (Asie, Afrique) et particulièrement en Europe traduit des besoins en matières d’information, de mise en forme, de décisions et d’expertise. Ceux-ci dépassent largement le simple essaimage d’un outil américain. Les think tanks européens héritent des expériences et procédés initiés par leurs prédécesseurs américains : le marché hautement concurrentiel des idées se retrouve à l’identique en Europe.

Si des ressemblances et des relations étroites existent entre think tanks américains et européens, il existe toutefois des particularités propres à l’espace politique européen. Ces particularités pèsent nécessairement sur les modalités de fonctionnement et de positionnement des think tanks européens dans l’espace public. La complexité du processus décisionnel de l’Union européenne favorise les entreprises d’influence. Dans les années 1980, le Kangaroo Group joua un rôle décisif en appuyant la réalisation du livre blanc sur le marché intérieur (1985). De même, le Forward Looking Study Unit – structure interne de la Commission européenne – influença le Livre Blanc sur la croissance, la concurrence et l’emploi (1993). Jacques Delors initiateur de cette structure a crée en 1996 l’association Notre Europe. Ce think tank a réalisé en 2000 un rapport recensant quelques 625 « réservoirs à idées » dans les 25 pays membres de l’Union européenne et identifié 36 institutions partageant une même caractéristique : « l’action et l’intérêt prononcé pour des questions stratégiques sur l’Europe ». Son étude montre des disparités fortes en Europe, notamment entre la France –assez démunie en termes de think tanks – et des pays comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne, pour lesquels la tradition est ancienne et dont la grande majorité des structures est historiquement et politiquement intégrée.

Historiquement, les think tanks se sont créés par vagues, après les crises graves qui ont secoué les démocraties occidentales et que les gouvernements ne paraissaient pas capables de résoudre seuls. La Fabian Society, probablement le premier think tank du monde, a été fondée au Royaume-Uni en 1884, pour favoriser le changement social après la révolution industrielle. Une première vague s’est formée avant et pendant la Première Guerre mondiale. Apolitiques et généralistes, ces think tanks étaient plutôt tournés vers la politique étrangère. Après la Seconde Guerre mondiale, de nouveaux centres de réflexion politique ont émergé dans les pays anglo-saxons et en Allemagne. Les chocs pétroliers des années 70 ont déclenché une troisième vague de think tanks, qui a déferlé sur les États-Unis et l’Europe. Ceux-là étaient plus spécialisés que leurs aînés et répondaient davantage aux clivages politiques de la société. Ainsi, diverses structures ont été fondées en Grande-Bretagne pour diffuser la pensée économique de droite. Elles ont connu un grand succès à l’époque de Margaret Thatcher, dont elles ont inspiré la politique. La quatrième vague a suivi la fin de la guerre froide. La diplomatie intellectuelle a contribué à reconstruire le système des relations internationales. Les réservoirs d’idées se sont développés de manière fulgurante dans l’ex-empire soviétique, grâce notamment à des fonds américains, privés et publics. Ils sont nombreux à promouvoir le libre marché, la démocratie et les réformes.

Anciennes figures américaines et nouveaux acteurs en Europe, les think tanks sont-ils en capacité d’introduire et de soutenir des réflexions alternatives dans le champ politique européen ou bien incarnent-ils, ici aussi une vision identique de l’expertise, du savoir et du conseil politique? Afin de mieux mesurer les divergences et les congruences des think tanks américains et européens, il est important de rappeler que les fondations américaines jouèrent aussi un rôle non négligeable en Europe en soutenant des programmes scientifiques et en favorisant l’accueil de chercheurs européens dans de prestigieuses universités où ils purent développer leurs recherches.

II.1. Le modèle américain Vs le modèle européen

La définition des think tanks n'est pas simple à donner, et l'origine de ces écoles de pensées se noie facilement dans les méandres de la création des premiers gros lobbies, associations, et autres syndicats et groupes de pression. Cependant, ce qui est sûr aujourd'hui, c'est le rôle important que ces écoles de pensées jouent dans les pays anglo-saxons, et particulièrement aux Etats-Unis d'Amérique. Il est regrettable, il est vrai, que la seule image que l'on ait des think tanks américains en Europe soit mystérieusement liée à ces groupes extrêmement rétrogrades que sont les think tanks néo conservateurs qui entourent l'actuel président des Etats-Unis. Les think tanks font peur en Europe.

Les think tanks qui se sont récemment créés en Europe sont donc extrêmement différents de leurs modèles américains, que ce soit au niveau des thèmes abordés, des financements, ou bien même de leur influence.

L'origine des think tanks en Europe est sans aucun doute étasunienne. Les premiers think tanks voient le jour au début du siècle dernier outre-Atlantique. Le plus important think tank américain, Rand Corporation, naît à la fin des années 40, il fut donc créé en pleine Guerre Froide et se spécialisa essentiellement en stratégie militaire. Dans la course à l'armement, les Américains se voyaient alors distancés par les Soviétiques. Ils comprirent alors l'importance de la production de connaissances, bien avant la « société de l'information », en créant la Rand Corporation.

Les Américains ont une vraie culture du lobbying. Ainsi 6000 organisations et 25 000 lobbyistes sont ainsi enregistrés à Washington DC. Les think tanks ne sont pas juridiquement autorisés à faire du lobbying, en raison de leur statut d’organisation à but non lucratif. Mais leur influence auprès des médias et de l’administration est pourtant bien réelle. Ils constituent un pont entre la recherche universitaire et la prise de décision publique, disposant d’une capacité d’initiative et de la capacité à rassembler. Pour citer quelques exemples, les think tanks néo-conservateurs comme l’American Enterprise Institute ou la Heritage Foundation formulent depuis une trentaine d’années le programme du parti républicain. Ils ont gagné, à la faveur de la crise irakienne, une visibilité internationale. Le parti démocrate, traditionnellement moins bien représenté en ce domaine, ne s’y est pas trompé : les élections se gagnent sur des idées.

Le succès des think tanks aux Etats-Unis vient aussi d’une forte demande en recommandation politique. La nature fragmentée et décentralisée du système fédéral américain fait que de nombreux centres de pouvoirs et de décisions ont besoin de conseil en politique que prodiguent les think tanks. Il existe une plus grande marge de manœuvre pour le décideur de chercher son propre conseiller politique et sa propre légitimité idéologique. En Europe, les clivages politiques sont beaucoup plus nets.
Ainsi, on voit que l’environnement américain se prête plus au développement de ces think tanks, il est donc impératif que l’Europe cherche à faciliter le développement de ces derniers.

Il est difficile d’encercler avec certitude l’impact des think tanks dans le processus de décision. Cependant, il a été flagrant que de nombreux think tanks américains étaient à l’origine de l’intervention américaine en Irak, et que régulièrement les think tanks américains influencent les projets de loi, les normes et ont su faire évoluer la fiscalité. En Europe, l’influence des think tanks semble moins importante même si tous les grands décideurs (politique, industriel, média) y sont représentés.

Ce que David Ricci appelle le marché et le « marketing des idées » est au cœur du fonctionnement des think tanks américains : parce qu’à Washington, des milliers de journalistes, d’hommes d’affaires, de consultants, d’avocats et de lobbies tentent d’influencer les décisions politiques, il s’agit d’être le meilleur sur le marché des idées. Si le pouvoir politique prête tant d’attention aux think tanks, c’est d’abord parce qu’il a encouragé leur création, mais aussi parce qu’ils savent promouvoir leurs recherches auprès d’un public plus vaste et notamment par le biais de la presse.

Jusqu’en 1968, les politistes américains spéculaient bien comprendre la politique de leur pays : les institutions fonctionnaient sans heurt majeur, l’agenda était plus prévisible qu’aujourd’hui, les électeurs restaient fidèles à leur parti et les événements internationaux étaient visibles à travers des grilles d’analyse connues. Depuis, la vie politique américaine est devenue plus compliquée, en raison, particulièrement, de l’influence croissante de la télévision et du marketing politique, des progrès de la volatilité électorale, de la difficulté à comprendre le monde et la société, et des incertitudes internationales. Tout cela a mis en péril le « policy making » à Washington et les responsables politiques ont eu besoin d’y voir plus clair et mettre en place des politiques publiques efficaces. Une nouvelle élite intellectuelle, descendant d’autres lieux de socialisation que l’administration, l’armée et la bureaucratie, a donc fait son entrée dans les cercles du pouvoir. Leur activité met en lumière la perméabilité des frontières entre le champ universitaire et le champ politique, qui est spécifique aux Etats-Unis. A Washington, élus, politiciens nommés et bureaucrates sont ainsi devenus un public et un interlocuteur privilégiés pour les think tanks. Leur rôle et leur ambition sont de définir les problèmes politiques, sociaux et internationaux de l’Amérique et de les mettre sur l’agenda.

Il est utile de signaler que les think tanks exercent une influence sur la politique des Etats-Unis en période électorale comme en période de « routine » : les hommes politiques, lucides que l’effritement du sentiment partisan ne garantit plus aux partis de façon automatique un succès électoral pour leurs leaders, sont entrés dans une campagne permanente. Leurs conseillers, au premier rang desquels figurent les think tanks, les aident à mettre l’accent sur les enjeux souhaités par l’opinion.

Les think tanks travaillent par le biais de contrats, ou bien – comme c’est de plus en plus le cas aujourd’hui – choisissent leurs sujets de recherche. Ils sont maintenant plus autonomes, alors que, dans les années 1970-80, ils servaient des objectifs plus précis. Ils sont, pour David Ricci, une expression populaire « qui désigne des institutions dont les buts peuvent varier dans le temps et dont les chercheurs peuvent s’associer de manière temporaire et selon leurs convenances personnelles. »

Stephen Boucher a rappelé l’importance quantitative du secteur en Europe, en termes d'organisations et de chercheurs, mais également sa forte dispersion, ainsi que les contraintes fortes auxquelles ces organismes sont confrontés : tension entre la préservation de leur indépendance et crédibilité intellectuelles face aux pressions financières subies par tous, et défi de la communication auprès des médias et des décideurs. Selon lui, le potentiel de ces « réservoirs d’idées » n’a pas encore été pleinement exploré et tel ne pourra être le cas que s’ils parviennent à concilier des objectifs parfois contradictoires : crédibilité et besoin de communiquer, crédibilité et accès aux décisionnaires, crédibilité et prise de position dans un contexte où le nombre « d'advocacy tanks » croît.

James McGann établit la comparaison suivante entre think tanks européens et américains :

Les think tanks européens s’occupant principalement de problématiques européennes, entrent selon lui dans le type général des think tanks européens, à ceci prêt que tous les traits sont accentués : ils sont trop orientés vers leur nation d’origine, ils ont peu d’influence sur les citoyens, ils manquent d’argent, de personnel et même de reconnaissance par les autorités, et enfin ils ne se concentrent pas assez sur la fonction de recommandation. Le professeur McGann s’arrête sur deux points essentiels : d’une part celui de la transparence financière et d’autre part celui de la relation aux médias : il maintient que la transparence des think tanks américains en matière financière était plus importante que celle de leurs homologues européens. Il reconnaît cependant que le système des fondations américaines peut avoir comme effet pervers de conduire les recherches qu’ils subventionnent dans le sens qui leur convient, d'autant plus que les financements accordés sont de plus en plus visés et de court terme, ce qui contraint fortement la capacité d'innover des think tanks. D’où, selon lui, l’importance de bénéficier de sources variées de financement. Sur le deuxième point, le professeur McGann loue la capacité des think tanks américains à peser sur le contenu de l’information communiquée par les médias. Que ce soit par le développement de pages Internet attractives ou par la participation à des débats télévisés, les think tanks américains les plus importants parvient à influencer l'opinion publique. Les médias imposent toutefois un rythme et un mode de fonctionnement très nuisible à l'effort d'analyse et de réflexion prospective et innovatrice des think tanks, danger qui, souligne-t-il, menace également leurs homologues européens.

Les think tanks doivent surmonter de nombreux écueils pour ne pas perdre leur âme. La question du financement est particulièrement épineuse. Pour Stephen Boucher et Martine Royo, l’idéal serait qu’ils ne dépendent pas d’un seul, mais de plusieurs bailleurs de fonds. A priori, l’équilibre entre financements publics et privés est un gage d’indépendance. D’autre part, les bailleurs de fonds ont tendance à soutenir des projets de manière ciblée, ce qui leur permet d’orienter les travaux dans le sens qui leur convient. Ils devraient plutôt favoriser des financements à long terme et structurels.

La proximité des centres de pouvoir n’est pas non plus sans danger. Les think tanks sont obligés d’interagir avec les décideurs pour être influents. Mais ils risquent d’être instrumentalisés par eux. Il s’agit aussi de maintenir un équilibre entre le court et le long terme. Soumis aux exigences des donateurs et au mode de fonctionnement des médias, les think tanks américains sont contraints de réagir dans l’urgence et de livrer des messages percutants. Cette approche nuit à l’effort d’analyse et de réflexion prospective. De leur côté, les centres européens conservent une démarche universitaire et n’atteignent de ce fait qu’un public restreint.

La carence d’originalité est une autre menace. Pas assez exigeants sur la qualité de la recherche ou trop conciliants vis-à-vis des donateurs, beaucoup de think tanks ne fait qu’encourager la pensée unique, le consensus général autour des thèses néolibérales. Ils produisent peu d’idées provocantes ou radicalement neuves. Ainsi, les think tanks s’intéressant à l’UE travaillent souvent sur les mêmes thèmes, décidés par les débats du moment. Il est important que les centres de réflexion s’imposent par la valeur de leurs recherches et leur créativité, soulignent les auteurs. En se fixant des règles rigoureuses de transparence financière, de gouvernance et d’éthique, les «vrais» pourront se démarquer des «faux».

L’étude de Notre Europe divulgue que les think tanks restent assez élitistes, qu’ils travaillent entre experts et s’adressent à d’autres experts des questions européennes. D’où un décalage entre l’ambition de combler le déficit démocratique et la capacité à y parvenir. On a plutôt l’impression, aujourd’hui, que les think tanks consolident l’impression d’une Europe d’experts plus qu’ils ne la corrigent.

II. 2. Le cas de l’Allemagne

Les effets des crises économiques et des Guerres Mondiales ouvrirent ensuite le pays aux fondations philanthropiques et leurs programmes, encourageant une tradition de soutien et d’attention aux structures, aux instituts et aux plateformes d’experts, d’universitaires et/ou d’acteurs politiques agissant soit dans un environnement compétitif soit en relation directe avec les structures universitaires. Là où la langue française reprend tel quel le terme anglo-saxon, l’allemand le traduit de trois façons : « Forschungsinstitut » (Institut de recherche), « Beratunsgsinstitut » (Institut de conseil) ou encore « Denkfabrik » (littéralement « fabrique de la pensée »).

L’Allemagne apparaît même comme le pays le plus riche en think tank en Europe, le second dans le monde après les Etats-Unis, avec un nombre évalué de 130 à 150. Ces instituts peuvent s’être spécialisés sur la dimension locale, régionale ou encore nationale ou encore travailler des questions très spécifiques. Ces variations d’angles de recherches, ces superpositions d’échelles, révèlent un rapport au think tank fort différent en Allemagne de celui connu en France. Cette richesse prend sa source, historiquement, dans l’une des particularités les plus marquantes de l’Allemagne : les fondations politiques nées de la démocratisation de ce pays et de la guerre froide. Instruments originaux et importants de la politique étrangère allemande, ces fondations se sont développées sous contrôle des alliés dans les années cinquante afin de déployer des organisations intermédiaires susceptibles d’engager des programmes de manière indépendante des contraintes diplomates. Leur capacité à relayer l’action publique a permit d’agir en faveur de l’Allemagne malgré la mauvaise posture internationale du pays puis le raidissement idéologique lié à la guerre froide.

Le dispositif de think tanks en Allemagne est très particulier et ne trouve d’équivalent dans aucun autre pays européen. En effet, leurs types sont très variés. On trouve tout d’abord un nombre élevé d’universités sans étudiants, dont l’activité principale est la recherche académique. Cette catégorie comprend les grands instituts qui s’occupent de politique extérieure, de paix et de sécurité comme la Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP) et la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP), à vocation internationale et dont une grande part des activités portent sur l’Europe.

La première, la Stiftung Wissenschaft und Politik est perçue comme la Mercedes des think tanks allemands. La SWP est quasiment à 100% financée par l’Etat. Depuis sa création, en 1962, elle a pour fonction de conseiller le gouvernement et le Parlement sur les questions internationales, tout en restant politiquement autonomes. Ses fonds proviennent du budget de la Chancellerie, ce qui assure une indépendance réelle par rapport au ministère des affaires étrangères. Ainsi dotée de 10 millions de budget annuel et riche de 70 chercheurs elle est le principal Institut de recherche d’Europe. Ses chercheurs ont accès à des dossiers classés secrets et à des questions clefs des Affaires étrangères. C’est pourquoi cette fondation est principalement considérée comme un instrument d’aide pour les responsables politiques que comme une arme dans la compétition que se livrent les appareils politiques.

La SWP entretient une approche très élitaire (publications à son nom et au tirage restreint) de son travail qui la mène directement au sommet de l’Etat. Elle s’adresse à un public spécifique : des décideurs disposant de peu de temps et éprouvant la nécessité d’une réaction rapide, la fondation doit définir ses sujets de recherche, grâce à ce que son directeur, Christoph Bertramm, nomme son « potentiel d’anticipation ».

A la différence de la SWP, dont la mission première est de conseiller le gouvernement fédéral, la DGAP est une organisation indépendante non partisane, similaire au Council for Foreign Relations à New York et au Royal Institute for International Affairs à Londres.

Il existe par ailleurs un autre groupe de think tanks caractéristiques de la structure politique de l’Allemagne : les « Stiftungen » ou fondations politiques. En effet, elles n’ont aucun équivalent dans le monde. Il s’agit là de laboratoires d’idées qui défendent des intérêts et des idéologies. On compte aujourd’hui sept fondations politiques, dont les deux principales sont la Friedrich-Ebert-Stiftung, proche du SPD, et la Konrad-Adenauer-Stiftung, proche de la CDU. Ces fondations ont été créées dans les années 1960, hormis deux plus récentes : la Heinrich-Böll-Stiftung (1996), proche des Verts, et la Rosa-Luxemburg-Stiftung (1998), proche des socialistes du PDS. Ces fondations ont des activités essentiellement à l’étranger, consistant par exemple à promouvoir la démocratie en Afrique et en Amérique Latine. Leurs activités de recherche ne représentent en fait que 20% maximum de l’ensemble de leurs activités. Elles ne sont donc que des think tanks « partiels ». Elles sont entièrement financées par l’État et sont toutes liées aux partis politiques représentés au Bundestag, mais ne sont en aucun cas des instruments du leadership de ces partis, ni des prolongations des départements de recherche internes des partis.

Jusqu’aux années 1970, le développement des think tanks était entièrement lié aux demandes de l’État ou des organisations corporatistes proches de celui-ci. Aujourd’hui encore, le gouvernement fédéral ou celui des Länder continue d’être la principale source de financement ou d’infrastructure de la majorité des think tanks. Ainsi, des instituts de recherche sur la paix ont été créés par des gouvernements socio-démocrates des Länder, comme la Hessische Stiftung Friedens- und Konfliktforschung (HFSK), créée en 1970 à Francfort et l’Institut für Friedensforschung und Sicherheitspolitik (IFSH), créé en 1971 à l’université de Hambourg, qui se concentre exclusivement sur la Politique étrangère et de sécurité commune de l’Union.

L’Allemagne étant de tradition universitaire, on trouve également un grand nombre de think tanks liés à des universités. De nombreux think tanks allemands sont ainsi affiliés à des universités ou agissent dans un environnement semi-académique, comme le Max-Planck- Institut für Gesellschaftsforschung, qui étudie les questions communautaires sous l’angle de l’intégration européenne. Dans les années 1990, certaines universités sont allées plus loin et ont créé des unités de recherche politique universitaires, comme le Zentrum für europäische Wirtschaftsforschung (ZEW) et le Centrum für angewandte Politikforschung (CAP), dont le principal sponsor est la Fondation Bertelsmann. L’un des plus récents think tanks universitaires est le Zentrum für Europäische Integrationsforschung (ZEI, créé en 1995) de l’université de Bonn.

Les think tanks allemands ont la prédisposition d’être importants par la taille de leur personnel et surtout par la variété de leurs activités. Il y a plusieurs tendances concernant le développement des think tanks en Allemagne. Ils deviennent, en général, de plus en plus visibles. Le fait que Berlin soit devenue la capitale leur offre une audience qui n’existait pas à Bonn. Les médias allemands font par ailleurs de plus en plus appel aux think tanks pour des commentaires d’experts, au détriment des professeurs d’université. Par ailleurs, de plus en plus d’acteurs et de financements privés s’y intéressent.

Les think tanks allemands ont aussi tendance à devenir moins idéologiques et plus pragmatiques, axés sur les réformes politiques. Les fondations politiques par exemple soulignent qu’elles ne soutiennent pas un seul point de vue ou une seule source d’idées en dépit de leurs liens avec un parti politique particulier. Enfin, les décideurs politiques n’attendent plus seulement d’un think tank qu’il leur apporte des idées novatrices au niveau politique, mais également qu’il les aide à définir une stratégie de communication de ses idées.

Aujourd’hui les fondations sont structurellement soumises au contrôle du Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung (BMZ : Ministère de l’économie et du développement) et de l’Auswärtiges Amt (AA : Ministère des Affaires Etrangères). Les principales forces politiques du pays possèdent chacune un interlocuteur privilégié avec qui elles partagent les ambitions idéologiques et souvent, aussi, des responsables et des administrateurs. Cette entente contribue à leur autonomie en leur conférant une certaine flexibilité, se rapprochant des partis ou de l’Etat selon leurs besoins. Elle garantit en outre aux fondations des financements publics réguliers – malgré de récentes réductions budgétaires – qui respectent assez précisément l’équilibre des forces partisanes, selon le soutien des députés membres de la Commission budgétaire.

L’article de Martin Thunert s’attache dans un premier temps à brosser le panorama des think tanks en Allemagne, qu’il divise en 5 catégories :

1. Les Instituts de recherche économique.

2. Les Instituts s’occupant de politique étrangère et de sécurité, ou encore de promotion de la paix.

3. Ceux spécialisés dans le domaine social, environnemental et les recherches scientifiques et techniques

4. Les « think tanks privés » ou à financement mixte (public – privé), parfois fondés par de grands groupes industriels allemands

5. La multitude des petits Instituts très spécialisés. À peu près deux douzaines de ces instituts sont entièrement financés par l’État allemand.

Mais le clivage le plus important se situe avant tout au niveau du mode de fonctionnement : en raison de leur taille modeste et leur faible structure, certains think tanks fonctionnent essentiellement au travers de grands réseaux d’experts externes auxquels ils font appel en fonction des problématiques traitées. Ils sont alors qualifiés « advokatischen Denkfabriken ». Ils se distinguent sur ce point des grandes structures de type académique. La totalité des travaux de recherche comparent évidemment la situation allemande avec celle des États-Unis et partent du constat que non seulement l’Allemagne comprend moins de think tanks (ce qui est normal vu la différence de proportions), mais surtout que la plupart des think tanks allemands sont beaucoup moins orientés vers la sphère publique (au sens Affaires publiques). De surcroît, ils sont en majorité trop dépendants de l’État en termes de financement et des partis politiques dans leurs orientations.

M. Thunert pointe d’une manière plus formalisée un déficit de conseil (traduction littérale de Beratungsdefizit) tant quantitatif que qualitatif, et surtout une asymétrie entre les Instituts à financements privés et ceux vivant sur fonds publics. Il préconise donc une diversification des sources de financement : un financement mixte assurerait à la fois une plus grande indépendance et une meilleure crédibilité aux think tanks allemands. On peut dire que même dans un système multipartiste comme le régime allemand, les think tanks trouvent leur utilité : ils permettraient de remédier à la perte de crédibilité des partis en dépassant les clivages partisans, et rendraient le processus de décision politique plus transparent. C’est encore dans cette optique que M. Thunert préconise une meilleure communication des think tanks, tant vers les politiques, que vers le public.

En dépit de leurs liens avec de nombreux instituts dans le monde et de leurs activités très internationales, les think tanks allemands restent ainsi typiques du parlementarisme et du fédéralisme allemands et profondément ancrés dans la culture et la structure de leur système politique national.

II.3. Un modèle centralisé et élitiste : la France

Absence d'intérêt de l'Etat, crise financière, éparpillement des forces : les centres français de recherche en géopolitique et en relation financière sont au plus mal. Alors que tous les grands pays soutiennent le développement de leurs organismes de recherche en défense et en relations internationales pour peser dans les grandes instances internationales, la France prend le chemin inverse.

Tous les grands pays, et de moins grands, favorisent le développement des think tanks, supposés apporter des éléments de réflexion pour le débat public et des aides à la décision pour les gouvernements et les instances internationales. Brookings Institution, CSIS (Center for Strategic and International Studies), Hoover Institute, Rand Corporation à Washington; IISS (International Institute for Strategic Studies) à Londres; SWP en Allemagne… En France, malgré la lucidité et la diversité de la recherche française en la matière, le secteur est en pleine décadence, à l'image de l'ensemble de la recherche en France. Une situation aggravée donc par l'absence d'intérêt de l'Etat pour ces centres. Les think tanks privés sont suspectés, a priori, de porter un jugement négatif sur l'Etat.

Diverses structures existent et se développent en France, sans jamais, malheureusement, atteindre l'envergure des instituts américains et européens, en raison du quasi-monopole de l'Etat sur la recherche économique, et de dispositions fiscales moins incitatives.

Aussi, le fait que tant de structures, notamment les cabinets ministériels, les clubs politiques, les instituts de recherche nationaux et les groupes de recherche en politique jouent un rôle semblable aux think tanks dans le paysage politique français, empêche aussi l’émergence de centres de recherche puissants. En général, on reconnaît que la France n’a pas une forte culture des think tanks. Gadault établit un lien entre cette situation et le sous investissement général dans la recherche en France.

La France illustre une tradition différente de celle de l’Allemagne et celle des pays latins, moins organisée et plus tournée vers des structures de réflexion où se retrouveraient essentiellement des acteurs professionnels de la politique et de l’économie. Depuis peu de nombreuses structures se revendiquent cependant de l’appellation de think tanks: l’Institut Choiseul (créé en 1999), EuropaNova (2002), l’Institut Montaigne (2000), Fondapol (Fondation pour l’innovation politique : 2004), Fondation Copernic (1998) ou encore la Fondation Prométhée (2004) qui regroupent universitaires, industriels, journalistes et les membres de la société civile désireux de s’investir sur différents thèmes de recherche, établissent des connections et collaborent l’intérieur de grands réseaux européens ou mondiaux.

Ces groupes et clubs sont globalement moins liés aux structures universitaires et opèrent de manière moins visible que les structures anglo-saxonnes. Par exemple les fondations apparues en France en 1992, avec les fondations Jean-Jaurès (PS) et Robert-Schuman (UDF), la fondation Gabriel-Péri (PC, 2005) sont encore bien loin de faire le poids face à leurs homologues allemandes : la Konrad-Adenauer, proche de la CDU (droite), fondée en 1956, et la Friedrich-Ebert, apparentée au SPD (gauche), créée en 1925, disposent d'environ 100 millions d'euros de budget.

Différentes causes concourent au particularisme ou à l’insularité française en la matière. La formation des élites et leurs concentrations géographiques tient un rôle capital. Les élites françaises sont géographiquement et socialement très proches. Paris concentre l’ensemble des grands pouvoirs. L’ensemble des dirigeants et des décideurs partage dans une très forte majorité une formation identique (Sciences Pô, ENA, Normale Sup. ou Polytechnique….). Aussi bien que ces structures s’attribuent traditionnellement des qualités de renouveau et d’innovation elles sont globalement formées sur un même modèle : elles sont essentiellement parisiennes. Des célébrités politiques et industrielles, parfois intellectuelles ou universitaires sont rassemblées dans le conseil d’administration, des étudiants peuvent travailler comme chargés de mission. Enfin, souffrant presque toutes de manques de moyen, la formule du bénévolat et des stages reste très majoritairement utilisée. Les études d’ampleur européenne, les travaux véritablement stratégique et prospectif sont donc rares. Dans cette mesure, étant donné les ressemblances de parcours, l’orientation politique joue un rôle non négligeable dans la distinction de l’expertise.

De fait dans le contexte français il existe peu de think tanks clairement identifiables comme véritable structure d’expertise indépendante. Les fondations évoluant dans le domaine de la réflexion politique et du bien public oeuvrent le plus souvent pour un parti politique particulier et ne possèdent pas d’intérêt marqué pour l’Europe. Des noms très différents (club, forum, cercle, association, alliance, institut, convention, groupe de réflexions ou d’études…) recouvrent ces travaux. Ces raisons sont cependant autant historiques et politiques que sociologiques. L’approche de la sphère publique, intellectuelle, et la distinction entre Etat et sphère publique sont différentes en France de celles existant dans les pays anglo-saxons. La notion de République sous-tend en effet une relation particulière entre Etat et l’individu. Si en Allemagne, pour le grand public, les subventions étatiques favorisent l’indépendance de la recherche, en France, pour ces mêmes personnes, des subventions de l’Etat risqueraient de peser sur les conclusions de la recherche. La principale difficulté à l’émergence d’une culture de think tanks en France tient à la tradition d’un Etat fort, organisant et employant la plus grande partie des structures d’expertises : c’est ainsi le cas à l’intérieur des gouvernements, par le recours aux cabinets ministériels. Ces organismes restreints et formés de collaborateurs personnels choisis par les ministres ont pour fonction de les conseiller et de les assister dans la réalisation de l'ensemble de leurs missions. A la différence de l'administration centrale, le cabinet n'est donc pas un organisme permanent. Et son existence prend fin avec les fonctions du ministre.

Dans le domaine exclusif des Affaires internationales il est très instructif de découvrir sur le site Internet du Ministère des Affaires Etrangères un lien nommé « La pensée française sur les relations internationales », lien qui revoir à cinq centres enregistrés par le Ministère :

– Le Centre d’études et de recherches internationales (CERI), fondé en 1952, est ainsi illustré pour son rattachement à une Fondation Nationale (la Fondation Nationale de Sciences Politiques : FNSP) et la centaine de chercheurs travaillant en son sein.

– L’Institut Français de Recherches Internationales (IFRI), « premier centre pluridisciplinaire créé en 1979 en France sur le modèle des think tanks américains ».

– Le troisième, crée en 1990 et dirigé depuis par Pascal Boniface, l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), présente un profil différent. Sous le slogan: « l’expertise stratégique en toute indépendance », il entend principalement vanter sa réactivité à l’actualité.

– Créée en 1992, la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) est, elle aussi, une fondation reconnue d'utilité publique. Institut indépendant la FRS se définit comme au service de la communauté de défense, situé entre les structures relevant de l’Etat et les centres, instituts, privés ou publics intéressés par les questions de sécurité et de défense. Elle regroupe 40 personnes et conduit des recherches et des études et publie des ouvrages relatifs à la pensée stratégique et la diffusion des études sur les problèmes de défense.

– Enfin le Cercle Thucydide, centre de recherches académiques de l’Université Paris Sorbonne.

La France est en sous représentation, que ce soit en effectif (de chercheurs, universitaires et divers collaborateurs) ou en nombre. Ce n'est pas une culture vraiment ancrée et on préfère s'adresser directement à la presse et médias plutôt que de former de tels groupes de réflexions susceptibles de travailler sur des projets et de filtrer l'information destinée au grand public. Certes, quelques think tanks français sont influents grâce aux personnalités (comme Claude Bébéar) qui y participent, mais ils ne permettent pas réellement de s’inscrire dans une stratégie de puissance et d’influence de l’économie française. L’Institut Montaigne est sans doute le « think tank » français le plus connu. Il a été créé par Claude Bébéar et il est aujourd’hui dirigé par Philippe Manière. Il a essentiellement pour but de participer au débat public, par l’organisation de conférences et par la publication de rapports rédigés par divers groupes de travail temporaires.

Le premier vrai problème vient du fait qu’il n’existe pas en France une culture de la philanthropie et un statut juridique et fiscal avantageux contrairement aux Etats-Unis. La loi de 1901 est un frein législatif lourd, il faut d’urgence simplifier les régimes fiscaux et les réglementations sur les dons pour encourager le secteur privé à soutenir les think tanks (les adhésions et les contributions sont non déductibles des impôts). Le manque de moyens affecte la capacité à attirer les meilleurs éléments et la capacité d’agir. On assiste, par-là, à une fuite des cerveaux et à une diminution de l’influence française dans le monde. Ainsi, les think tanks français sont peu influents à Bruxelles, et même quand ils ont de bonnes idées, ils n’ont pas vraiment les moyens d’être présents et d'agir. Le deuxième problème majeur des think tanks français est qu’il y a plus d’abstraction que d’action, notamment parce que les think tanks sont trop élitistes, technocratiques. Or, les think tanks doivent gagner en transversalité et en pluridisciplinarité pour mieux toucher l’opinion publique.

Les premiers think tanks se sont généralisés en France au début des années 90, même si certains existaient déjà dans les années 80, comme l’IFRAP (Institut français de recherche sur les administrations publiques). Comme aux Etats-Unis, où sont nés les think tanks au début du XXe siècle, ils sont apparus à un moment où devenait évidente l’incapacité des partis politiques à réfléchir à long terme sur des solutions nouvelles pour répondre aux problèmes auxquels est confrontée la société française. Chefs d'entreprise et experts français s'associent pour créer leur "club", le plus souvent sous la forme d'une association, la législation française ne permettant pas l'existence d'institutions privées à l'américaine. Aux côtés des think tanks économiques et sociaux, reflets de la société civile et de ses préoccupations, existent aussi les clubs de réflexion et les fondations politiques, qui sont des émanations des partis politiques. Concentrés sur la conquête du pouvoir et les échéances électorales, les partis politiques semblent aujourd’hui incapables de faire émerger de nouvelles idées pour résoudre les problèmes et les questions auxquels est confrontée la société française. Ce qui explique qu’ils avaient créé leur propre boite à idées au travers de fondations politiques, par exemple la Fondation pour l’innovation politique, proche de l’UMP, la Fondation Robert Schuman, proche du PS ou la Fondation Gabriel-Péri, attachée au PC. Il existe aussi des groupes plus informels rassemblant des parlementaires et des experts, tels La Boussole et le Club du Nouveau siècle, proches de l’UMP, le Club des Vigilants (UDF), A Gauche en Europe, et Fraternité, composés notamment d’élus socialistes.

Il y a un manque chronique de moyens accordés aux think tanks français. «  C'est un miracle d'arriver à ne pas paraître totalement ridicule à l'extérieur » constate François Heisbourg, le directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), en comparant les moyens dont disposent les centres privés français avec ceux de leurs confrères étrangers. La Brookings Institution, le principal centre indépendant américain, dispose ainsi d'un budget annuel supérieur à 35 millions de dollars (plus de 28 millions d'euros), et le CSIS, le moins riche, de 18 millions de dollars. En Allemagne, le SWP dispose d'un socle de subventions publiques de 9,8 millions d'euros par an. Rien de tel en France. Le budget du principal centre, l'Ifri, est inférieur à 5 millions d'euros.

A l'inverse des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et même de l'Italie où les nombreuses fondations privées ont un rôle actif dans le financement de la recherche, le secteur philanthropique français n'existe quasiment pas. Quelques progrès ont bien été faits avec la loi sur le mécénat d'août 2003, qui permet maintenant aux entreprises de défiscaliser 60% des dons versés à des œuvres d'intérêt général (catégorie qui s'applique aux centres de recherche). Néanmoins il est trop tôt pour savoir si ces nouvelles règles se traduisent par une augmentation des aides versées par les entreprises. Et les chercheurs français aimeraient bien que les systèmes étrangers de fondations privées totalement défiscalisées s'appliquent aussi en France. Ce que refuse le ministère de l'Economie par crainte de voir diminuer trop fortement ses ressources fiscales.

En attendant, la faiblesse de ces moyens financiers empêche aussi les think tanks français de disposer de moyens humains importants. Là où la Brookings Institution fait travailleur plus de 150 chercheurs, la FRS emploie une petite quarantaine de chercheurs, dont la moitié seulement bénéficie d'un contrat à plein temps. Si la baisse des aides publiques se poursuit ou n'est pas compensée par un relèvement de l'effort privé, c'est donc la capacité des think tanks français à intervenir dans les débats internationaux qui est ainsi menacée.

Pour conclure, on reproche en effet aux think tanks français, de publier trop souvent uniquement en français, de n’établir de programmes solides qu’avec les institutions françaises et allemandes, un manque de présence sur le terrain et un manque de visibilité dans les débats européens. L’impact de la France sur la scène européenne semble être insuffisant pour certains spécialistes. Les think tanks français manquent cruellement de moyens et doivent encore parcourir un long chemin pour accroître leur notoriété.

II.4. Les think tanks en Grande-Bretagne

C’est difficile de transposer le modèle américain en Europe, compte tenu aux Etats-Unis de la philanthropie privée et de la puissance des fondations ; partout le financement est un souci pour les « think tanks » européens. C’est la Grande-Bretagne pourtant qui s’en sort le mieux. Pour être efficace, un think tank  doit gérer plusieurs tensions, son financement de différentes sources, tout en conservant son indépendance intellectuelle et une certaine crédibilité qui vont conditionner son impact ; il va à la fois réfléchir et pondre des idées complexes, et encore en même temps, chercher à avoir un impact médiatique suffisant. Sur différents plans, notamment avoir une capacité d’innovation et d’influence auprès des décideurs, les Anglais s’imposent sur les autres pays européens.

Comme aux Etats-Unis, le rôle le plus important dans les réformes économiques et sociétales en Grande-Bretagne a été joué par les think tanks, ces organisations privées et indépendantes qui font des enquêtes, des propositions de réforme et du lobbying afin d’influencer les gouvernements, les fondations et les associations. Les think-tanks les plus influents naissent au Royaume Uni entre les années 50 et 70, selon K.Dixon, auteur de Les évangélistes du marché. « Ils sont des forums de réflexion, des vecteurs privilégiés de l’activisme politique de certains intellectuels, des points d’appui essentiels pour influer sur les champs économique et politique ».

Les think tanks appartiennent généralement aux trois types organisationnels : association caritative, compagnie à but non lucratif limitée par garantie ou société enregistrée. Ils peuvent parfois être à la fois une association caritative et une compagnie limitée par garantie (CLG). La majorité sont des organisations qui proposent des adhésions et comportent un large éventail de membres allant des entreprises aux particuliers.

Il en existe des dizaines, parmi ceux-ci certains ont eu un rôle déterminant. Adam Smith Institute, fondé en 1977 et dirigé par Madsen Pirie, ancien conseiller de Margaret Thatcher, a contribué à la privatisation des services publics, à la réduction des impôts et des dépenses publiques. L’IEA (Institut for Economic Affairs), fondé en 1955 par sir Anthony Fisher, publie tous les ans des dizaines d’articles et de livres dans lesquels il développe des propositions pour limiter les pouvoirs du gouvernement et de l’Etat et encourager aussi l’apparition des think tanks dans les autres pays. Le Centre for Policy Studies, fondé en 1974 par Keith Joseph et Margaret Thatcher, est un think tank spécialisé dans les politiques publiques et les comparaisons internationales. A la fin des années 1970, le CPS a publié plusieurs études chiffrées montrant l’énorme retard pris par l’économie britannique par rapport à ses voisins européens. Ces études rendues publiques ont largement contribué à la victoire des conservateurs en 1979.

Le Centre for Economic Policy Research en est un bon exemple de think tank britannique : il opère dans la sphère de la recherche de la politique économique. Créé en 1983, il diffère d’un think tank traditionnel en cela qu’il ne dispose pas de chercheurs en interne. En revanche, sa capacité de recherche s’appuie sur un ample réseau de 650 économistes basés dans des universités à travers l’Europe. En dépit d’avoir été fondé par des organes britanniques, sa perspective est néanmoins essentiellement internationale et la majeure partie de ses travaux porte sur la macroéconomie au niveau communautaire. D’autres exemples de think tanks seraient le British Institute of International Comparative Law (droit communautaire et international), le European Policy Forum (politiques régulatrices) ou l’IEEP (politique environnementale communautaire).

En ce qui concerne le financement, aucun des think tanks anglais n’est majoritairement subventionné par l’État. D’autre part, nombreux sont ceux qui reçoivent des fonds de la part de certains départements gouvernementaux et de la Commission européenne pour financer des projets spécifiques. Malgré une forte dépendance à ce type de financement, tous les think tanks affirment que leur indépendance éditoriale ne s’en trouve pas affectée. Cependant, même si les financeurs sont conscients de la nécessité de garder leurs distances par rapport à leurs think tanks, beaucoup de think tanks accepte aussi des fonds d’origine privée pour des projets spécifiques. Le gouvernement britannique et la Commission européenne financent les think tanks britanniques uniquement dans le cadre de projets bien précis. Dans les deux cas, un think tank aura alors tendance à élaborer un projet pour satisfaire, partiellement au moins, aux critères d’un financeur. Cela soulève la question de l’autonomie de recherche à long terme des think tanks anglais. En fait, on peut penser que les think tanks se transformaient de plus en plus en agences de conseil fournissant des conseils ou des conclusions désagréables, ce qui évite au gouvernement d’avoir à le faire. L’influence qu’exercent ces think tanks varie en fonction de nombreux facteurs, l’un d’eux étant l’apparente proximité d’un think tank vis-à-vis du gouvernement.

Toutefois, il ne s’agit pas là de l’unique facteur permettant de déterminer l’influence. Une stratégie médiatique efficace, le pragmatisme des propositions politiques et la qualité de la recherche produite semblent être des facteurs d’influence tout aussi importants.

Deux autres observations peuvent être formulées au sujet des think tanks britanniques. La première est la tendance, particulièrement visible chez certains grands think tanks de politique nationale, à une meilleure couverture des thèmes européens et internationaux. Par exemple, l’Institute for Public Policy Research est actuellement engagé dans l’élaboration d’un nouveau programme international. Cela pourrait s’expliquer par l’européanisation de plus en plus poussée du débat politique national au Royaume-Uni : de plus en plus de secteurs politiques se trouvent influencés par la législation communautaire et les think tanks nationaux sont probablement en train d’adapter leurs travaux afin de refléter ce phénomène. Ensuite, les think tanks sont aussi touchés par la polarisation du débat politique sur l’Europe en Grande Bretagne. Le débat qui agite les médias et les partis politiques suit souvent le clivage « pro/anti-UE », ce qui limite la capacité des think tanks à s’engager dans un débat plus nuancé sur les thèmes européens avec d’autres acteurs politiques. A cause, par exemple, de l’approche très prudente du gouvernement en public sur certaines questions sensibles comme l’euro ou le projet de Constitution, il a été difficile pour les think tanks de gagner le soutien du gouvernement pour une plateforme politique proeuropéenne. Plusieurs groupes et organisations eurosceptiques catégoriquement opposées à ce que la Grande Bretagne fasse partie de l’UE ont émergé sur la scène politique ces dernières années, souvent financés par des politiciens conservateurs ou des hommes d’affaires fortunés.

Quelques think tanks anglais influents

IISS (International Institute for Strategic Studies) – Centre indépendant pour la recherche, l'information et le débat sur les problèmes de conflit. Son travail vise à mettre en évidence les différents problèmes politiques, économiques et sociaux qui peuvent mener à l'instabilité, et vise à la recherche de facteurs pouvant permettre la coopération internationale.

CER (Centre for European Reform) – Groupe de réflexion consacrée l'amélioration de la qualité du débat sur le futur de l'Union européenne.

FPC (Foreign Policy Centre) – Centre de Politique Etrangère avec une équipe internationalement renommée de chercheurs internes, avec des compétences à travers toute une gamme de disciplines, comme l'éthique des affaires, la gestion de l'identité, les droits de l'homme et l'économie internationale.

The Federal Trust – Un groupe de réflexion apolitique qui s’est donné pour mission d’éclairer le débat sur la bonne gouvernance.

Demos – Un think tank autonome et un institut de recherché base à Londres. Lancé en 1993, son rôle est d'aider à régénérer la politique publique et la réflexion politique, ainsi que de développer des solutions radicales aux problèmes de long terme.

CPS (Centre for Policy Studies) – Un centre de réflexion indépendant de centre-droit qui développe et publie des propositions de politique publiques. Il arrange des séminaires et des conférences sur les questions d'actualité politique, partie intégrante de sa mission d'influencer la politique partout dans le monde.

Royal Institute of International Affairs – L'Institut Royal d'Affaires Internationales, aussi connu sous le nom de Chatham House, est un des principaux centres au niveau mondial travaillant sur l'analyse des questions internationales.

II.5. Les think tanks bruxellois

La complexité du processus décisionnel de l’Union européenne encourage les entreprises d’influence. En la matière, la recherche s’est principalement concentrée sur le rôle joué par des organismes spécifiques comme les O.N.G ou par les groupes d’intérêts, dans une perspective sociologique, historique et/ou politique. Pour de nombreux professionnels les think tanks doivent aujourd’hui être considérés comme des acteurs particulièrement importants dans la mise en oeuvre des politiques publiques.

Les think tanks européens présents à Bruxelles sont nombreux et actifs car la capitale belge est devenue un centre névralgique où s’élaborent les concepts nouveaux en matière européenne, mais ils ne semblent pas suffisamment aptes à combler le déficit démocratique dont souffre l’Europe de manière chronique.

Selon l’étude de 149 think tanks menée par Notre Europe, les think tanks consacrés aux politiques européennes expliquent qu'ils ont été créés à l'origine : 

Pour aider un pays à préparer son adhésion à l'UE.

Sur initiative du gouvernement, pour améliorer le niveau d'analyse de la politique de l'UE dans un pays.

Pour proposer un forum pour l'analyse de la position d'un pays au sein de l'UE (et/ou sa relation avec ses voisins dans la région).

Pour examiner un domaine particulier de la politique de l'UE (par ex. la politique sociale ou environnementale).

Pour améliorer la qualité du débat sur les questions européennes.

Pour créer une plateforme où les chercheurs et les étudiants peuvent exprimer leurs points de vue sur l'Europe.

Pour soutenir l'intégration européenne (ou, plus rarement, pour s'y opposer).

Pour encourager les réformes économiques dans l'UE.

Pour accroître l'intérêt des entreprises pour les affaires politiques de l'UE. 

Parmi les think tanks les plus établis à Bruxelles figurent le Centre for European Policy Studies (CEPS), le European Policy Centre (EPC) et Friends of Europe. De nombreux think tanks ont été créés récemment, dont un certain nombre en dehors de Bruxelles.

L'étude de Notre Europe indique que les think tanks européens n'ont pas encore « trouvé complètement leur place dans la politique européenne ». Leur valeur ajoutée n'est pas toujours clairement distinguée par les décideurs, qui les considèrent souvent comme d'une utilité modérée, et même parfois comme élitistes. En général, leur impact sur les politiques et l'opinion publique est relativement limité. L'un des problèmes essentiels soulignés par l'étude est leur manque de visibilité et l'absence de communication efficace sur leurs positions. 

Le principal défi récurrent pour les think tanks est de s'assurer un niveau de financement suffisant, qu'il s'agisse de fonds publics, privés, nationaux ou internationaux. La plupart des think tanks est en permanence en crise budgétaire.

En raison du niveau de concurrence élevé à Bruxelles, les think tanks européens s'efforcent souvent de trouver un créneau particulier, ce qui explique pourquoi les think tanks tentent aussi souvent de proposer diverses approches aux questions européennes. L'EPC, par exemple, se targue d'être « une plateforme pour des débats équilibrés », tandis que CEPS propose « de la recherche stratégique pertinente » (sound policy research) et « d'atteindre un niveau élevé d'excellence académique ». Ils mènent des activités différentes, comme le forum « Ideas Factory » de l'EPC ou les groupes de travail (task forces) du CEPS.

Par conséquent, Bruxelles présente un mélange de trois types de think tank: universitaires, « advocacy » et recherche sous contrat. L'influence qu'un think tank peut exercer dépend d'un certain nombre de facteurs, comme sa relation avec le gouvernement et le poids politique de ses membres. 

L'UE présente de nombreux dilemmes stratégiques qui mettent en cause l'efficacité et la crédibilité futures des think tanks existants. Notre Europe les divise en deux catégories principales : la nécessité de conserver son indépendance et sa crédibilité intellectuelle face à l'éventuelle prédominance de « l'advocacy » et le souhait de communiquer aussi bien avec les autorités publiques qu'avec le grand public alors que le déficit démocratique européen est dénoncé.  

Selon Stephen Boucher, auteur du rapport de Notre Europe sur les think tanks, le potentiel des think tans européens sera inaccompli tant qu'ils ne parviendront pas à trouver un équilibre entre leur crédibilité du point de vue académique et la nécessité de communiquer efficacement et d'établir des relations avec les décideurs politiques. 

Dans ce rapport de Notre Europe, Jacques Delors partage également ce point de vue sur le rôle des think tanks dans l'élaboration des politiques européennes : « Avec dix nouveaux Etats membres et la perspective d'autres adhésions, l'Union européenne vit sans doute la plus grande mutation de son histoire et devra plus que jamais puiser dans son réservoir de pensées ».

Le Corporate Europe Observatory (CEO) se montre très critique à l'égard de certains think tanks européens : « Cette [nouvelle génération de think tanks] est soutenue financièrement par des entreprises et sert en fait de façade aux  entreprises ». Les think tanks très libéraux bénéficient de plus en plus de fonds privés provenant de grands groupes influents, dont certaines multinationales américaines. Une autre étude menée récemment par le CEO constate que les think tanks européens sont en général réticents à révéler leurs sources de financement. La plupart des think tanks européens ne fasse pas de lobbying direct auprès des décideurs, l'objectif de leurs activités est d'influencer les politiques européennes. Les parlementaires, les médias et le grand public doivent donc avoir accès aux informations nécessaires concernant les intérêts derrière ces think tanks, et a fortiori qui les financent.

A Bruxelles, les think tanks organisent régulièrement des conférences et des séminaires pour développer des réseaux et débattre d'opinions politiques avec d'autres acteurs européens, permettant ainsi aux participants du secteur privé, des médias, du monde académique et de la société civile de rencontrer des représentants institutionnels dans un environnement neutre. Selon le think tank de Jacques Delors, Notre Europe, les think tanks visent principalement les décideurs, suivis de près par les médias. Viennent ensuite les ONG, les groupes de la société civile et les fédérations professionnelles.

C’est à Bruxelles, au coeur de la machine à élaborer les politiques européennes, qu’on trouve quelques-uns des think tanks transnationaux les plus influents et renommés se concentrant sur des questions européennes. Bruxelles abrite deux parmi les plus réputés think tanks européens : CEPS (Centre for European Policy Studies) et l’EPC (European Policy Centre), ainsi que de nombreuses organisations qui assurent des fonctions semblables. Un premier groupe s’est formé au début de l’intégration européenne (comme l’European Trade Union Institute en 1978). La plupart, dont l’EPC (1996) sont récents. Leur nombre risque probablement d’augmenter à l’avenir. Certains think tanks ont été créés en fait très récemment (ex : le Lisbon Council for Economic Competitiveness, lancé durant l’été 2003). Tandis que certains pourraient disparaître, il est probable que d’autres seraient créés dans les années à venir.

Fondé en 1983, CEPS (Center for European Policy Studies) est l’un des premiers exemples à Bruxelles d’un think tank visant exclusivement les décideurs de l’UE. Le nombre de ce nouveau type de think tanks n’a cessé d’augmenter au cours des années 1990. Parce que les structures de pouvoirs de l’UE sont diffuses (Commission européenne, parlement européen, conseil des ministres…), il existe de multiples portes d’entrée pour les think tanks souhaitant influencer les décideurs. De plus, la consultation politique et la participation de la société civile font de plus en plus partie de la stratégie de la Commission européenne, ce qui a contribué à donner une légitimité aux think tanks.

Les think tanks à Bruxelles ont plus tendance à suivre le modèle anglo-américain que leurs pairs dans les Etats membres. Presque tous sont établis sous la loi belge en tant qu’associations indépendantes à but non lucratif et proposent des services semblables. Les conférences, séminaires et groupes de travail en particulier sont d’importantes plates-formes pour travailler en réseau avec d’autres acteurs et débattre d’alternatives de politiques publiques. Ils permettent aux participants du secteur privé de se rencontrer et de réfléchir avec des personnes venant des institutions européennes dans un environnement neutre. Beaucoup à Bruxelles ont des membres et cherchent en particulier les affiliations d’entreprises. Leurs publics sont également très semblables, étant donné que le travail de tous ces think tanks est destiné aux décideurs européens, à la Commission en premier lieu, de plus en plus au Parlement européen, puis aux gouvernements nationaux et aux médias. Tous ont un programme neutre ou de plus en plus souvent pro-européen, hormis le Centre for The New Europe, qui est eurosceptique. Tous, d’une façon ou d’une autre, ont l’ambition de contribuer à combler le déficit démocratique entre l’UE et ses citoyens. Tous cherchent à diversifier leur base de financement pour préserver leur indépendance et certaines organisations à Bruxelles ont des mécanismes de financement très sophistiqués.

L’EPC et CEPS ont particulièrement bien réussi à cet égard, avec des fonds relativement importants provenant de cotisations, de revenus liés à des services, de contrats et de subventions. D’autres ont des stratégies différentes, allant de fonds personnels dans le cas du Lisbon Council, à des abonnements des Etats et associations membres dans le cas du futur European Centre for International Economics. Cependant, au-delà de ces ressemblances générales, la concurrence est forte à Bruxelles. Tandis que les plus grands think tanks ont tendance à être multidisciplinaires, le domaine de recherche des Euro-think tanks peut être spécialisé, comme les questions de défense pour l’International Security Information Service (ISIS Europe), l’Asie pour l’European Institute for Asian Studies et les « implications sociales de la construction européenne » pour l’Observatoire Social Européen. Les think tanks tentent également de proposer différentes approches aux questions européennes. L’EPC, par exemple, est fier d’être tout d’abord « une plate-forme accueillante pour un débat équilibré », tandis que CEPS cherche à produire « de la recherche stratégique solide » et « d’atteindre un haut niveau d’excellence universitaire ». Ils proposent des activités différentes, comme les forums de l’EPC.

La concurrence à Bruxelles est bien évidemment accrûe par le grand nombre d’organisations qui n’ont peut-être pas d’équipes de chercheurs internes, mais assurent les mêmes fonctions que celles des think tanks. Proposer une liste exhaustive serait une tâche considérable. Il faut cependant citer des forums de débat comme Friends of Europe et Forum Europe, ainsi que des concepts novateurs qui enrichissent le secteur comme The Centre, hybride entre le think tank et le cabinet-conseil, créé début 2004. The Centre est le premier « think-do-tank » à Bruxelles, agissant comme une interface entre la mise en place des politiques publiques et leur communication en Europe et dans le monde. The Centre a mis en place deux sphères d’activités complémentaires : un forum pour développer, échanger et promouvoir l’émergence de nouvelles réflexions sur l’Europe et les sujets de politique globale ; une activité de conseil pour une « Communication intelligente », qui constitue leur branche commerciale. Ce type d’organisation joue un rôle important en tant « qu’incubateur d’idées, en proposant des séminaires, des tables rondes, des lancements de livre, des débats et une variété de manifestations sociales » et en tant « qu’instigateur d’idées, en collaborant avec des think tanks, des fondations et d’autres communautés de pensée en Europe ».

Les organisations bruxelloises comprennent également des réseaux comme TEPSA (Trans-European Policy Association), EPIN (European Policy Institutes Network) et l’European Ideas Network (« un processus ouvert de think tanks pan-européens sponsorisé par le groupe [conservateur] PPE-DE, le plus grand groupe politique du Parlement européen. ») Créé en 1998, la Fondation Européenne Madariaga réunit également les anciens élèves du Collège d’Europe « pour mettre la capacité de recherche du Collège au service du débat européen ». Bruxelles abrite bien sûr également des dizaines de groupes variés, capables de produire des propositions de politiques publiques alternatives. La Commission a son propre « cerveau » sous la forme du Groupe des conseillers politiques, créé en 1992 par Jacques Delors, ancien président de la Commission. Il existe également des dizaines de groupes de lobbying, d’hybrides de think tanks qui contribuent à l’élaboration des politiques européennes, comme le « European Round Table of Industrialists » (ERT), le Bureau Européen de l’Environnement (BEE), « l’International Crisis Group » (ICG), la « European Federation for Transport and Environment » (T&E), et le « European Citizen Action Service » (ECAS), pour n’en nommer que certains.

Il faut également citer les bureaux européens de think tanks américains situés à Bruxelles ou dans l’UE, comme « RAND Europe », « l’East West Institute » (EWI) et « l’Aspen Institute ». Il s’agit là d’organisations puissantes, et qui le sont de plus en plus. L’EWI, qui a un bureau à Bruxelles, est « une institution euro-américaine indépendante et à but non lucratif dont les activités visent à identifier les écueils les plus dangereux du 21ème siècle et à contribuer à créer des sociétés civiles justes, prospères et pacifiques dans ces zones. » Elle réalise « des projets sur le long terme qui créent la confiance et la compréhension et cherchent à réduire les tensions depuis l’Eurasie jusqu’à la région transatlantique, en utilisant son réseau unique de dirigeants des secteurs public et privé dans plus de 40 pays ». RAND Europe, qui fait surtout de la recherche sous contrat, ne compte pas moins de 56 chercheurs à plein temps au total à Leiden, Cambridge et Berlin, qui aident « les gouvernements européens, les institutions et les entreprises grâce à une analyse impartiale et rigoureuse des problèmes les plus sérieux auxquels ils sont confrontés ». L’Aspen Institute, qui a des bureaux à Lyon, Berlin et en Italie (Milan), agissent particulièrement pour encourager les relations régionales et transatlantiques, en examinant le rôle des pays où ils sont établis en Europe et en abordant d’importants problèmes éthiques, économiques et politiques.

Deux types de think tanks coexistent dans la capitale belge : les représentations de think tanks nationaux et les euro-think tanks. Ces derniers, structures transnationales, sont de plus en plus fréquents en raison de la disponibilité de fonds européens pour établir des partenariats de recherches entre think tanks dans les états membres, en raison aussi de la demande accrue par les gouvernements d’informations sur l’Europe et de la collaboration qui s’avère nécessaire avec les think tanks d’autres pays pour avancer sur des sujets communs. Enfin, les think tanks sont engagés dans une sorte de compétition : leur statut sera d’autant mieux reconnu sur la scène politique nationale qu’ils s’engageront auprès des élites politiques internationales.

Dans leur mission de soutien auprès des décideurs politiques, les think tanks s'appuient en priorité sur trois grandes cibles : leur gouvernement national, les institutions européennes et leur parlement national. En dehors des décideurs politiques, les think tanks visent quatre autres familles dans leurs actions : les médias, le grand public, le monde des affaires et le monde universitaire. Leurs domaines de recherche sont la politique économique et financière (35 % travaillent sur ce domaine) et les relations extérieures (30 %). Le domaine de la sécurité et de la défense arrive, à la différence avec les Etats- Unis, au second plan (18 %). Enfin le social et l'environnemental, malgré leur forte exposition médiatique actuelle, séduisent moins de 15 % des think tanks européens.

Les think tanks européens ont réellement un potentiel à faire émerger des idées de la société civile, à faire passer aussi des notions complexes auprès d’un public plus large, et certainement ils en ont l’ambition. La question du « déficit démocratique » préside à beaucoup de leurs réflexions, mais à ce stade, surtout pour des questions de moyens, ils n’ont pas cette capacité là. Et aussi pour des raisons de culture, pour parler simple, ils restent assez élitistes, ils travaillent entre experts des questions européennes et s’adressent à d’autres experts des questions européennes.

Donc il y a un réel décalage entre l’ambition de contribuer à combler le « déficit démocratique » et la capacité à pouvoir y faire quoi que ce soit. Sur les 4500 think tanks recensés dans le monde, plus de 1500 opèrent aux États-Unis. Ils sont financés par des fonds publics, des fondations, des entreprises ou des privés comme le mécène milliardaire George Soros. Une forte proportion de think tanks américains est orientée idéologiquement au centre ou à droite. Ils utilisent toutes les plates-formes médiatiques pour diffuser leurs idées. Dans un pays où chaque président renouvelle les échelons supérieurs de l’administration, les think tanks, conservateurs ou libéraux, constituent également un réservoir d’experts. De nombreux fonctionnaires sont recrutés dans ces «boîtes à idées». Ils y retournent au prochain changement de majorité.

Face à la suprématie américaine dans la «guerre des idées», l’Union européenne (UE) est bien mal armée. Elle manque de structures capables de penser l’avenir commun des 25 pays membres. L’Europe compte environ 700 think tanks, dont 149 s’intéressent aux questions européennes. Les autres sont tournés vers des problèmes nationaux. Pourtant, l’UE a un urgent besoin d’idées neuves pour renforcer sa cohésion. La plupart des think tanks présents à Bruxelles sont plutôt des clubs de réflexion ou des réseaux d’influence. Ceux qui font vraiment de la recherche se comptent sur les doigts d’une main. Une centaine de think tanks sont basés dans d’autres capitales de l’UE et participent aux débats menés à Bruxelles. Les Britanniques sont les plus influents auprès des institutions européennes. En comparaison avec leurs homologues américains, les think tanks européens ont moins d’impact dans les médias et l’opinion publique. Leurs budgets sont plus modestes. Ils reçoivent peu de dons privés et restent largement dépendants de fonds publics. Enfin, ils se situent idéologiquement plus à gauche. L’Angleterre et l’Allemagne sont les seuls pays européens à disposer de think tanks puissants. En France, le phénomène a pris de l’ampleur dans les années 80. Plusieurs organismes à financement mixte ou privé ont été mis sur pied. Mais leurs moyens sont limités, ils manquent de connexions avec le monde politique et sont plus doués pour la recherche que pour l’influence.

II.6. Une typologie des think tanks

La typologie des think tanks doit par conséquent s’enrichir de nouvelles grilles de lecture. Locaux, nationaux ou transnationaux, les think tanks qui ne sont pas d’office de pures structures de recherches, s’inscrivent majoritairement à l’intérieur de grandes familles comme : les néo-libéraux (conservateurs), les progressistes, les centristes (ou politiquement non identifiés) et enfin l’extrême gauche. Cette exposée dépasse donc le cas des seuls think tanks américains. Jusqu’à une période très récente, les think tanks fondés dans d’autres pays n’étaient considérés que comme de pâles copies. De fait, le terme n’est présent que dans des dictionnaires américains. Il n’est, par exemple, pas reconnu par les dictionnaires français. En raison de la spécificité du système politique fédéraliste américain, la figure du think tank américain est unique.

Sous la dénomination « think tank » se retrouvent des think tanks orientés politiquement, des fondations d’entreprises, des fondations reconnues d’utilité publique, des instituts de recherche spécialisés dans les relations internationales et la défense, des think tanks généralistes et bien d’autres encore.

Il est également utile de définir une typologie des think tanks pour analyser le secteur, tout en reconnaissant que la réalité ne correspond jamais parfaitement à des catégories générales. Les analystes distinguent habituellement quatre catégories de think tanks :

1. Les think tanks universitaires / universités sans étudiants ou ce que Weiss appelle des « organisations analytiques », qui mettent un point d’honneur à ce que leurs équipes de chercheurs produisent de la recherche universitaire de haute qualité. Ils « examinent l’ensemble des éléments probants disponibles, et pas uniquement ce qui est compatible avec des conclusions privilégiées en politique. De plus, ils vérifient systématiquement les éléments qu’ils avancent, appliquant des méthodes logiques ».

2. Les instituts de recherche sous contrat sont semblables aux think tanks universitaires, mais sont surtout différents en raison de leurs sources de financement, qui proviennent essentiellement de contrats avec des agences gouvernementales.

3. Les « advocacy » tanks produisent des idées et des recommandations qui adhèrent de façon logique à un ensemble précis d’opinions et de valeurs de base. Ils ont tendance à envisager leur rôle dans le processus d’élaboration des politiques comme s’il s’agissait de gagner la guerre des idées plutôt que de chercher les meilleures politiques de façon désintéressée.

4. Les thinks tanks de partis politiques sont organisés autour des débats et du thème d’un parti politique et ont souvent un personnel composé d’employés, de politiciens et de membres du parti anciens ou actuels. Il est fréquent que leur programme soit très influencé par les besoins du parti.

James McGann, qui a publié abondamment sur le sujet et a lui-même travaillé au sein de think tanks à deux reprises, est un des principaux spécialistes mondiaux de l’étude comparée de ces organisations. En cette qualité le professeur McGann dégage la typologie suivante des think tanks. Il distingue entre ceux qui se limitent à la recherche fondamentale (« policy research organisation »), ceux qui recherchent et émettent des recommandations (« think and do tanks ») et enfin ceux qui ne font que prendre position (« do tanks »). Cette classification repose en fait selon lui sur une capacité différenciée à réaliser quatre fonctions principales :

la recherche sur le court et le long terme

la production de livres et de publications courtes orientées sur l'action et la prise de décision politique

l'interpellation des élites politiques, des médias, et de l'opinion publique

le soutien régulier à l’activité gouvernementale de production de politiques publiques.

Or, selon le professeur McGann, la réalisation de ces quatre fonctions est liée à quatre variables :

la possibilité de disposer d'une base financière diversifiée

la capacité à recruter et conserver des chercheurs compétents sur le fond et capables de communiquer leurs travaux auprès des médias (une denrée rare selon lui)

la production d'idées réellement innovatrices, à même de remettre en question les politiques établies et susceptibles d'apporter des solutions efficaces aux problèmes politiques soulevés

enfin la capacité à influencer les politiques publiques mises en oeuvre

Les think tanks et l’espace public européen

Malgré l'adoption réussie de l'euro dans beaucoup de pays, l'européanisation des identités, des modes de vie et des cadres de référence – ou l'avènement d'un espace public commun – semble encore un rêve éloigné. En l'absence d'une identité commune, il ne peut exister de communauté européenne digne de ce nom ni durable. Et une telle identité repose avant tout sur l'existence d'un espace public paneuropéen. Ce dernier pourrait représenter un domaine dans lequel des valeurs et des principes transnationaux – ou des pratiques transnationales – seront définis, concrétisés et évalués, et grâce auxquels les institutions politiques transnationales peuvent gagner une légitimité.

III. 1. C'est quoi un espace public communautaire?

L'espace public est, trop souvent, un concept valise employé à définir tout ce qui n'est pas du ressort de la sphère domestique. L'espace public s'oppose alors à l'espace privé. L'espace privé est celui de l'intime, de la vie familiale, l'espace public est celui de l'exposition au regard d'autrui. En bref toute la vie sociale, politique et économique fait, dans le langage courant, partie de l'espace public qui ne serait, en définitive, qu'un espace non privé.

Cependant, il existe une acception beaucoup plus restreinte de ce terme, puisque, c'est Immanuel Kant qui, en 1784, inventa le concept d'espace public. Dans l’« Idée d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique », il explique que la raison ne peut se développer entièrement dans un seul individu, elle ne peut développer sa puissance bienfaisante que dans l'espèce.

L'espace public est l'espace où les citoyens débattent librement de questions politiques.

Le philosophe qui, au vingtième siècle, a repris et popularisé la notion d'espace public est Jürgen Habermas. Selon lui, l'espace public est le fondement de nos démocraties. C'est un espace de conciliation entre les individus et l'Etat. L'Etat n'agit plus dans le secret, il rend public ses décisions. Mieux, il ne prend une décision qu'après un débat public. L'espace public est donc le lieu de légitimation du politique. C'est par l'espace public que les citoyens sont, non seulement destinataires du droit, mais aussi auteur de ce droit. C'est seulement parce qu'il existe un espace public vivant où les gens peuvent parlementer des questions politiques et mener des actions de protestation ou de soutien que les décisions politiques sont, aux yeux des citoyens, légitimes.

Hannah Arendt considère que l’espace public se crée au delà de la reconnaissance commune du litige et « qu’indépendamment de toutes différences de position et de la multiplicité des aspects en résultant il s’avère clairement que tout le monde parle du même sujet ». L’espace public n’est ni manipulation par des élites politiques ni un théâtre de marionnettes mises en scène d’après le goût du public. L’espace public n’est pas un espace homogène pour une opinion publique unique. L’espace public se décompose selon les sujets de discours des citoyens.

L’espace public est un espace communicationnel consacré aux questions politiques qui permet un débat démocratique tout à la fois intégrateur et conflictuel. C’est donc un espace de communication politique ou des acteurs institutionnels, des acteurs économiques et des acteurs issus de la société civile traitent des questions d’intérêt général. Ces acteurs sont individuels ou collectifs et la forme de leurs échanges est plus ou moins consensuelle, plus ou moins rationnelle. Autrement dit, l’espace public est bien plus qu’un espace délibératif où des individus échangent des arguments rationnels en respectant les consignes éthiques de la démocratie.

Un espace public est :

Un  espace de médiation qui réunit des acteurs appartenant à des sphères différentes : société civile, système étatique et système économique.

Un espace ouvert au public (sans restriction d'appartenance communautaire ou organisationnelle).

Un espace où la critique peut librement s'exercer.

Un espace d'échanges symboliques (de communication rationnelle, de persuasion, d'émotion, etc.) où les acteurs partageant un minimum de codes communs se saisissent des questions d'intérêt général.

Un lieu physique où ces acteurs agissent, c'est-à-dire manifestent publiquement leur soutien ou leur contestation des systèmes (politiques et/ou économiques).

Les conditions de la naissance d’un espace public nécessaire à l’apparition d’une opinion publique dans la société d’un Etat Nation moderne sont notamment – en plus de l’existence de citoyens formés :

– l’existence d’un Etat de droit au sein duquel une Constitution garantit la liberté et l’égalité ainsi que les droits fondamentaux l’existence de formes et structures démocratiques dans la société

– l’existence et l’activité d’institutions étatiques établies de manière démocratique (pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire) auxquelles on peut réagir

– une langue ou des langues (cas de la Belgique par exemple), par laquelle les citoyens peuvent communiquer

– l’existence d’associations et de partis politiques au sein desquels des citoyens de mêmes idées peuvent se réunir pour délibérer et articuler leur opinion commune

– l’existence de mass media qui rend publique l’opinion des citoyens : le livre, l’université et l’école, des mass media publiques, des mass media privées

A l'heure actuelle, l'espace public s'ouvre à des questions internationales, mais reste national et fortement structuré par les médias de masse. Ces deux caractéristiques ne signifient pas que l'espace public national non médiatique est moribond et ne sont pas contradictoires avec la lente internationalisation des mouvements sociaux. Elles communiquent simplement que, vu la construction rapide de l'Union européenne et la faible audience des médias transeuropéens, il n'existe pas, aujourd'hui, un espace public européen large et populaire.

Au sens le plus large, l'espace public prend ses racines à la fois dans les vieux mouvements populaires et dans les nouvelles organisations non gouvernementales (ONG) qui poussent aussi vertigineusement que les institutions établies se révèlent incapables de remplir leurs missions d'origine.

Les vecteurs principaux pour la création d’un tel espace public sont toujours la radio, la télévision, les journaux et les magazines – électroniques ou autres. Mais, malgré tout ça, on a beaucoup des exemples qui preuves encore une fois l’insuccès d’une telle aspiration. On peut donner comme exemple The European, un projet naufragé lancé par le magnat Robert Maxwell en 1990, avec pour slogan « Le premier journal national d'Europe ». À son apogée, le journal avait une circulation de 180 000 exemplaires, dont plus de la moitié au Royaume-Uni. Sa diffusion en Suède – l'un des pays où il attira le plus d'attention – n'a jamais atteint plus de 5 000 exemplaires. Au milieu des années 1990, Andrew Neil a transformé The European en un hebdomadaire qui aurait tout aussi bien pu s'appeler « L'Anti-Européen ». Finalement, il fut totalement modifié, faisant son deuil de la vision originale d'un magazine d'information paneuropéen conçu pour un large lectorat. L'escapade, qui a duré à peine une décennie, a englouti quelque 70 millions de £ (103,351 millions d'euros).

Lorsque l'éminente télévision bilingue français-allemand ARTE a célébré son dixième anniversaire, elle pouvait se réjouir d'avoir engrangé moins de 1 260 récompenses. Mais elle était encore très loin de son objectif : ramasser un maigre 1 % de part de marché. Bien que le fier slogan d'ARTE soit « l'Europe regarde la télévision », sa recherche pour trouver un troisième partenaire important – en dehors de l'Allemagne et de la France – est restée lettre morte. La chaîne n'a pas réussi même dans ces deux pays à imposer un profil ou une marque suffisamment forte et attirante pour semer les graines d'un espace public européen.

C'est à peine une coïncidence si les revues culturelles et politiques ont décidé de traduire les articles d'Habermas et consorts en suédois, turc, slovène et polonais. Ces publications correspondent au segment médiatique qui s'approche le plus de l'idéal d'un espace public européen. Elles diffusent les idées politiques, philosophiques, esthétiques et culturelles d'une langue à l'autre, dans et hors des réseaux de publication transnationaux. Le Monde diplomatique qui est largement diffusé en France, a des éditions en vingt langues différentes. Quoique moins synchronisée, La Lettre internationale est aussi un bon exemple. Le réseau Eurozine réunit quelque cinquante partenaires de publication, ainsi que soixante autres, de façon plus intermittente, pour l'échange d'articles et d'idées. Mais même si les articles qui sont traduits et distribués dans et hors du réseau Eurozine atteignent une circulation totale de plus d'un million d'exemplaires, le cosmopolitisme de la revue reste à petite échelle.

Ces articles représentent peut-être un espace public partisan et contradictoire mais leur envergure est beaucoup trop limitée pour alimenter un forum qui puisse influencer l'opinion publique et renforcer les désirs des peuples, pour constituer un endroit où des issues stratégiques soient structurées et discutées de façon sérieuse. Un espace public dans et par lequel une identité commune européenne émergente contribuerait à légitimer les nouvelles politiques transnationales, requiert beaucoup plus d'ampleur.

III.2. Un espace public européen en construction

Une conception aussi ample et aussi fluide de l’espace public pose cependant un problème : celui des limites. Qu’appelle-t-on au juste « espace public » ? Tous les espaces non domestiques d’interlocutions et d’interactions sont-ils des espaces publics ? Aujourd’hui, l’espace public est devenu une idée tellement extensive que l’on arrive plus à comprendre ce qu’il revêt, d’où la multiplication des adjectifs accolés à ce terme. Ainsi on peut découvrir des termes comme : espace public « délibératif », espace public « international », espace public en « archipel », espace public « conflictuel », etc. Il convient donc de fournir des éléments permettant de marquer une limite claire entre ce qui forme et ce qui n’est pas un espace public.

Corrélativement, il apparaît nécessaire d’élaborer un vocabulaire permettant de qualifier ces multiples entités que l’on range trop facilement sous l’étiquette parapluie « d’espace public ». Par exemple, des auteurs comme Dominique Wolton et Alain Cotterau ont accentué la nécessite d’utiliser des noms distincts pour dissocier des phénomènes démocratiques proches mais de nature distincte. Le premier en proposant une différenciation entre espace commun, espace public et espace politique, le second en séparant, espace d’expression, espace public et espace politique. Les réflexions de ces auteurs invitent à ne pas simplifier le politique à l’espace public. Comme l’indiquait Habermas, l’opinion que chacun peut se forger des problèmes de la société, se forge aussi, dans l’espace domestique via, aujourd’hui, les mass media. Vu sous cet angle, l’espace domestique constitue le soubassement de l’espace public. Symétriquement, l’espace du pouvoir légitime – l’espace politique – celui où se prend, dans le secret des cabinets, la décision définitive, forme l’entablement de l’espace public.

« Malgré ces réussites, de nombreux européens se sentent coupés de l’action de L’Union. Ce sentiment ne se limite pas aux institutions européennes. Elle touche la politique et les institutions politiques dans le monde entier. Dans le cas de l’Union, elle est cependant le reflet de tensions spécifiques et de l’incertitude au sujet de la nature et du projet d’avenir de l’Union, de ses limites géographiques, de ses objectifs politiques et de la façon dont les pouvoirs sont partagés avec les Etats membres ».

Cette phrase que l’on trouve dans le troisième paragraphe de l’introduction du Livre blanc sur la gouvernance européenne amplifie la réelle nature, politique, du problème. En effet, pour que la communication politique puisse «jeter un pont entre l’Europe et ses citoyens », il faut que les deux côtés soient stabilisés. Tel n’est pas le cas. L’Union européenne est à la recherche d’un nouveau système institutionnel et les citoyens européens sont déroutés par la complexité d’un monde globalisé. Il convient donc, non pas d’offrir de nouvelles stratégies (ou de développer de nouveaux outils) visant à « rapprocher l’Europe des citoyens », mais d’assigner à la politique de communication européenne un autre objectif : redynamiser la démocratie européenne.

Plus l'Europe devient concrète, moins le processus politique d'unification rencontre de soutien. Paradoxe qui, dans une démocratie, ne peut se maintenir durablement. Ce paradoxe, tous les acteurs le soulignent, est lié à la faible légitimité des instances européennes. Cette faible légitimité est soulevée par des chercheurs qui rappellent que la construction politique de l'Europe fut un processus élitiste dont furent, plus ou moins consciemment, exclus les citoyens. Ils soulèvent les problèmes liés à l'absence de partis politiques dignes de ce nom, à l'illisibilité juridique de l'Europe ou au manque d'imagination des élites européennes enfermées dans un débat stérile entre fédération et confédération. L'absence de légitimité du processus européen est aussi acté par des responsables politiques qui, soit pensent que seul le cadre national est légitime, soit considèrent qu'il faut absolument associer la société civile au processus européen. Enfin, les instances européennes elles-mêmes reconnaissent cette faible légitimité qui est due, selon le Parlement européen, au peu de poids institutionnel de la seule institution européenne élue au suffrage européen ou, selon la Commission, au fait que les Etats tardent à donner au concept de « citoyenneté européenne » un contenu concret. Toutes les explications avancées trouvent leur origine dans une caractéristique essentielle de la construction politique de l'Europe : l'absence d'un espace public de taille européenne.

Le débat montre qu'il n'existe pas de panacée pour rapprocher l'Europe de ses citoyens et ainsi créer une véritable conscience et mentalité européenne. La solution est dans le détail. Des plateformes journalistiques et informatives y participent autant que les think tanks qui, tous les deux, s'efforcent de rendre l'UE plus compréhensible (les questions de la transparence et de la compréhensibilité son intimement liées). D'autres mesures concrètes attachées dans la formation scolaire et dans les entreprises (introduction à l'Europe, mais aussi des cours de langue et des échanges) ainsi qu'une carte d'identité et une carte d'électeur européen pourraient faire avancer les choses. Les Européens doivent comprendre que leur univers (national) ne s'arrête pas là où l'Europe commence.

Aujourd'hui avec l'avortement probable du traité constitutionnel, l'Europe est «en crise». Il est temps de constituer un véritable espace public européen. Un espace où la citoyenneté serait liée à la résidence et non pas à l'origine et où les populations européennes pourraient jouir de droits civiques complets (le droit de référendum pour abroger ou adopter une loi et le droit d'initiative pour proposer une loi). Les partis politiques européens devraient également acquérir plus d'importance et être élus dans des circonscriptions européennes, afin que leur programme soit créé sur la base d'enjeux européens et non nationaux.

La source principale de la crise de légitimité de l’Union européenne est donc due à des éléments politiques fondamentaux parmi quel l’absence d’un espace public européen. Toutes les études concordent un espace public, large, populaire où l’on débat de questions européennes sous un angle européen, n’existe pas à l’heure actuelle. Or, l’espace public est le lieu de légitimation du politique. La faible légitimité de l’Union européenne provient donc, en partie, de l’absence d’un espace public européen visible.

Quelques prémisses de l’espace public avec les structures nécessaires telles qu’elles étaient énumérées pour les Etats nationaux restent aussi valables dans le cas de l’UE, d’autres prémisses nouvelles s’avèrent nécessaires du fait que ces structures européennes sont morcelées et ne sont pas comparables à « l’harmonie » d’une société nationale caractérisée notamment par une langue, une histoire et une hiérarchie étatique. Une exigence minimum à un espace public européen s’avère donc nécessaire : il faut qu’il contribue à dépasser le morcellement des espaces publics des Etats membres et au minimum savoir pourquoi il vaut la peine de régler un conflit commun.

Une première manifestation de l’espace public européen en train de naître est par conséquent la constatation que les différents espaces publics partiels nationaux mais aussi fonctionnels ne s’isolent pas mais se recouvrent davantage lors des conflits. La naissance d’un espace public au sein de l’Union européenne s’appuiera donc sur les espaces publics nationaux préexistants. La formation d’un espace public au sein de l’Union européenne qui d’après le droit international possède le statut d’une organisation internationale gouvernementale exige aussi d’autres conditions bien particulières:

– au sein de l’Union européenne la liberté, l’égalité ainsi que les droits fondamentaux du citoyen doivent être garanties par des Traités ou par une Constitution; il faut aussi présenter une citoyenneté commune. Il s’avère donc nécessaire – comme dans les Etats Nations –d’établir « l’Etat de droit » ou « l’Union de droit ».

-des formes et structures démocratiques sont nécessaires pour caractériser la vie de la société européenne. Il faut que le citoyen puisse réagir à l’action des institutions législative, exécutive et judiciaire (le Conseil des ministres, le Conseil européen, la Commission européenne, la Cour de Justice européenne).

– l’Union européenne doit disposer des compétences qui lui sont accordées par les Etats-membres à l’égard de certaines politiques communautaires.

– l’existence d’associations (ONG) et de partis politiques offrant aux citoyens ayant la même conception des choses la possibilité de dialoguer et d’articuler une opinion commune.

Jean-Marc Ferry soutien que l’Europe se construit bien à partir acquis des cultures politiques nationales ayant intègre les implications normatives de la démocratie et de l’Etat de droit que l’on retrouve dans les Constitutions et dans leur conception des droits de l’Homme. Mais la condition d’un espace public européen réside, selon lui, dans l’articulation de trois principes : de civilité, de légalité, de publicité. Ces principes constituent « le patrimoine de la civilisation européenne dans la mesure ou la légalité conditionne la structure de base, la civilité en assure la continuité dans l’exercice concret des pratiques concertatives quotidiennes, dont les résultats sont rendus opposables aux parties prenantes par la publicité des débats, en vertu de la force de contrainte non violente représentée par l’opinion publique ».

L'espace public, dans sa dimension politique, est l'espace du débat démocratique et le lieu de l'action politique. C’est par l’espace public que les citoyens ont accès aux informations politiques, qu’ils peuvent débattre et se forger une opinion et qu’ils peuvent choisir les personnes qui exerceront le pouvoir politique. C’est par l’espace public que les citoyens se sentent non seulement destinataires du droit, mais aussi auteurs de ce droit. Sans espace public toute construction politique démocratique est vouée à la défiance des citoyens ! Certes, il existe, dans l'Union européenne, un certain nombre de lieux où se développent des débats européens comme le Parlement européen ou les colloques académiques. Mais ces lieux restent réservés à une élite très restreinte. La plupart du temps, les questions européennes restent abordées sous un angle national ou régional. Le premier problème de l’Union européenne est donc l’absence d’un espace public large et populaire qui viendrait : donner une légitimité politique à la construction européenne ; alimenter un débat public européen; favoriser la démocratie participative ; fonder une identité politique commune (et non unique). Pourtant, théoriquement, rien ne s'oppose à ce que naisse, un jour, un espace public européen qui ne soit plus élitiste, mais, au contraire, large et populaire. C’est en tout cas ce que soutient Jürgen Habermas. Prenant acte de l'effondrement de l'Etat-nation, mais reconnaissant la vitalité de la société civile européenne, Habermas prédit l'avènement d'une démocratie délibérative où l'espace public européen se fonderait sur une identité politique, « un patriotisme constitutionnel », distinct de l'identité culturelle : les identités culturelles resteraient différentes, mais les identités politiques convergeraient peu à peu permettant aux différents espaces publics nationaux de se fondre dans un espace public européen.

L’Union européenne forme aujourd’hui un réseau dense de relations institutionnelles, sociales et politiques qui est appelé à se complexifier encore dans le contexte d’une Union élargie et des futurs élargissements. Cette Union a besoin de dépasser sa dimension économique pour réaliser l’Europe des citoyens et de la diversité qu’elle est appelée à devenir. Les récentes analyses des médias, des centres de recherche et des organismes de statistiques (notamment Eurobaromètre) font le constat d’une distance établie entre les citoyens et les institutions européennes. Le faible taux de participation aux dernières élections du Parlement européen en est un exemple récent. Ce constat est d’autant plus visible que l’incidence croissante des compétences de l’Union européenne dans le quotidien des citoyens alimente leurs attentes. Or, à l’heure actuelle, l’Union ne s’est pas encore dotée des instruments adaptés. En effet, le programme actuel, malgré ses qualités, souffre d’un manque de cohérence. Dès lors, la confiance des citoyens à l’égard des institutions européennes et de l’avenir de l’Europe en souffre. Dans cette perspective, il semble essentiel de promouvoir une participation transnationale active des citoyens de manière à les impliquer dans la construction européenne. Dans le même temps, il importe de valoriser la compréhension mutuelle et la solidarité afin de contribuer au développement du dialogue interculturel au sein de l’Union. Pour cela, l’Union doit offrir les instruments permettant aux citoyens européens, acteurs incontournables de la construction européenne, de s’engager dans ce chantier.

La coopération gouvernementale est marquée par le souci d’harmoniser les différences culturelles, politiques et juridiques, qui dans les faits aboutit à une convergence, du moins dans certains domaines, entre les Etats. Le supranationalisme donne l’idée de la formation d’un espace politique unifie ou plutôt standardise.

L’Union européenne a, donc besoin, d’un programme qui place les citoyens au centre de ses perspectives et qui réponde à leur aspiration de mieux participer à l’avenir de l’Europe. Ce programme permettrait aux citoyens de différents pays de se rencontrer, d’agir ensemble, de confronter leurs idées, et de développer leur propre réflexion dans un espace public européen, qui dépasse leurs visions nationales dans le respect de leur diversité. La compréhension mutuelle, la solidarité et le sentiment d’appartenance à l’Europe sont autant de préalables indispensables à l’engagement des citoyens.

L’espace public européen a besoin d’être organisé par des évènements notables autour des concepts de citoyenneté active et de dialogue interculturel, qui bénéficient d’une grande clarté auprès des citoyens européens. Il a également besoin d’être alimenté par de multiples initiatives citoyennes transnationales, telles que les jumelages de villes et les nombreuses activités de la société civile (volontariat, projets, actions…). Par ailleurs, l’existence d’un large tissu d’activités culturelles et associatives, généralement désigné sous le terme de société civile, pourrait être un champ d’action adéquat pour la Commission, dans la perspective de développer des rapports de confiance et de coopération avec les citoyens. En effet, de nombreux représentants européens de la société civile expriment une volonté progressive de participer au projet européen. Ils ont notamment largement contribué à l’introduction du principe de démocratie participative dans le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe. Cette volonté de développer la participation et l’engagement des citoyens à l’intégration européenne ne peut rester sans réponse.

Cette obligation d’agir est d’autant plus fondée que ces organisations de la société civile regroupent les organisations syndicales, patronales, les ONG, les euro think tanks, les organisations représentatives des différents cultes et courants de pensée qui sont sans conteste un mode d’intervention structurée des citoyens au niveau politique. Enfin, il convient de noter que les autorités locales devront également être associées à ce projet européen. Si des mécanismes existent à cet effet au niveau des politiques sectorielles (ex : environnement, emploi, développement, commerce), en revanche il n’existe aucun outil pour mettre en œuvre des projets transnationaux permettant le développement d’une participation active des citoyens sur des questions d’intérêt général européen et sur les valeurs qui fondent et guident l’Union.

Les instances européennes pensent, également, faire émerger un espace public européen. Toutefois, elles n’ont pas tranché entre trois scénarios. Le premier est inclus dans le projet de « Société de l’information » qui constituait un chapitre entier du livre blanc intitulé « Croissance, compétitivité, emploi ». Pour la Commission, les technologies de communication représentaient, dans les années quatre-vingt-dix, l'avenir économique de l'Union européenne, mais aussi la possibilité de créer un «espace d'information commune » susceptible, entre autre, de changer « les relations entre l'Etat et le citoyen d'une manière fondamentale ». Dix ans plus tard, malgré les difficultés de la nouvelle économie et le faible pourcentage de la population européenne connectée à Internet, le discours emprunt de déterminisme technologique ne change pas. Cette foi dans la toute puissance de la communication électronique se traduit, au niveau politique, par la croyance selon laquelle le renouveau du projet politique européen passe par l'utilisation des nouvelles technologies : «En tant que vecteurs d'éducation civique et de responsabilisation, les nouveaux médias peuvent contribuer utilement à la maturation de la pratique citoyenne et donc encourager la participation de tous les acteurs intéressés au processus politique. Par leur caractère interactif, ils peuvent soutenir la politique de dialogue et susciter l'émergence d'un nouvel espace public médiatique. […] Nous devons démêler ce qui relève du mythe et de la réalité, du possible et de l'impossible. La société de l'information n'introduit pas une révolution comme beaucoup le disent, mais une évolution rapide et profonde ». Cette vision les conduit à prendre en compte une deuxième stratégie, celle préconisée par le Parlement européen et le Comité économique et social européen : «[…], le nouvel espace public ne saurait toutefois se réduire au système médiatique. La revitalisation de nos démocraties représentatives, la formation et l'exercice de l'opinion, la qualité du débat public passent aussi par l'institutionnalisation d'un dialogue politique fort ». En effet, le Parlement européen et le Comité économique et social européen cherchent à combler le déficit politique de l'Europe, non pas en renforçant le contrôle direct des citoyens sur les instances communautaires, mais en favorisant un dialogue (civil et social) avec les organisations intermédiaires : syndicats, associations, ONG, etc. Il s'agit de faire de ces organisations de la société civile des médiateurs entre l'Europe et les instances européennes.

Ces deux stratégies ne sont pas sans arrières pensés institutionnels et paraissent éloignées l’une de l’autre. Pourtant, conscient de la nécessité d’un soutien actif de la population, le Livre blanc sur la gouvernance tente de concilier ces deux approches. En effet, une lecture attentive du Livre blanc sur la gouvernance, montre que, selon la Commission, l’instauration d’un dialogue européen doit s’appuyer sur trois éléments :

a-. Les nouvelles technologies d’information et de communication. Elles ont un «Rôle important à jouer » parce que, selon la Commission, elles permettent tout à la fois, de répondre directement aux interrogations des européens, de diminuer l’opacité du processus de décision, de diffuser rapidement une information ciblée à moindre coût et de développer des débats politiques européens grâce à des forums interactifs.

b-.Un renforcement des liens avec les députés nationaux et européens. Les députés nationaux et européens sont les représentants des citoyens européens. Leur appui et leur participation active aux débats et donc fondamentale pour légitimer les décisions prises comme pour sortir les débats européens du cercle nébuleux des 700 comités d’experts que gère la Commission.

c- L’établissement d’un dialogue institutionnalisé entre les institutions européennes et les organisations de la société civile organisées au niveau européen (ONG, réseaux associatifs, fondations). Il s’agit d’élargir la base de concertation des décisions prises et donc de légitimer les décisions européennes qui ne seront plus des décisions unilatérales, mais des décisions résultant d’un débat avec la société civile. Pour le dire d’un mot, le Livre blanc sur la gouvernance donne à penser que l’on peut remédier à l’absence d’espace public européen en créant des espaces de débats. Pourtant, si l’Europe manque de débats, elle souffre, d’abord et avant tout, du manque de désir de participer à ces discussions. L’Union européenne, ne fait plus rêver, elle manque de projets collectifs mobilisateurs, en un mot, l’Union européenne est en panne d’utopie.

Décidée à aider les citoyens engagés à surmonter les obstacles naturels de l’Union (ex : distance, barrière des langues, taille), la Commission offre le troisième voie, d’introduire un nouveau programme en vue d’exploiter le plein potentiel de ces résolutions citoyennes. Par ailleurs, il apparaît approprié d’accentuer que l’importance politique de ces questions a été abordée à diverses reprises par les institutions et organes européens.

L’ambition de ce programme est de développer un espace public européen de dialogue qui créé les conditions du développement d’un sentiment d’appartenance à l’Europe et d’une pleine participation des citoyens à la vie démocratique de l’Union. La valeur ajoutée européenne de ce programme réside dans son approche transnationale, favorable à la mobilité des citoyens, et privilégiant l’effet multiplicateur de ses actions. La spécificité de ce programme est de favoriser le développement de la citoyenneté en donnant aux citoyens européens l’opportunité d’agir ensemble.

A travers les objectifs suivants, ce nouveau programme escompte :

• Favoriser la compréhension mutuelle entre les citoyens européens et leur sentiment d’appartenance à l’Union européenne ;

• Rendre les citoyens plus solidaires et conscients des valeurs de l’Union ;

• Stimuler le développement d’une citoyenneté active et participative au plan européen, en vue d’associer les citoyens à la construction de l’Europe ;

• Soutenir la réflexion, la confrontation d’idées et le débat concernant le devenir de l’Europe.

Concrètement, le programme accordera un soutien tant à des initiatives connues comme l’organisation de jumelages de villes, qu’à des actions nouvelles comme le développement de projets de recherche-action, de panels des citoyens et de mise en réseau entre associations, instituts, fondations, communautés locales et villes ou encore à de grands évènements qui accorderaient une visibilité accrue à la citoyenneté européenne active et au dialogue interculturel. En outre, ce programme présente l’avantage de combiner deux niveaux d’approche. Une première dimension soutient le développement d’une vie démocratique européenne en offrant l’opportunité aux citoyens et communautés locales d’échanger leurs idées et de participer au développement d’un dialogue interculturel. La seconde dimension concerne le niveau structuré de la société civile et tend à impliquer les organisations et les associations européennes dans la construction européenne. Ces objectifs seront détaillés, complétés et affinés au cours de l’analyse d’impact et à la lumière des résultats des consultations publiques.

Un espace public européen se dessine. Il se qualifie de transnational. La logique de la supranationalité produit une société civile européenne ou concurrent des réseaux transnationaux qui font de l’espace européen un espace communicationnel, pour reprendre l’expression de habermas. Des réseaux d’échanges d’informations et de medias, des réseaux d’institutions et des réseaux de solidarités et d’intérêts – politiques, culturels ou identitaires – constituent les fils de la toile couvrant l’espace public européen.

Encourages par les institutions supranationales, les acteurs impliques dans la mise en place de tels réseaux cherchent d’agir directement auprès de la Commission a Bruxelles, par conséquent au-delà des Etats – nations. Apparaît ainsi un nouveau mode de participation politique dans un espace ouvert a revendication des intérêts et des identités de ses citoyens comme des résidents. Cela leur permet d’affirmer une autonomie par rapport aux systèmes étatiques territorialement définis.

III.3. L’expertise comme un régulateur de l’espace politique

L’Union européenne constitue aussi un terrain privilégié de développement de l’expertise. Celle-ci irrigue largement le processus communautaire sous des formes multiples : think tanks, comités d’experts indépendants, advisory boards, consultation de lobbies.

Dépourvue des fondements électifs de la légitimité politique, la Commission européenne doit trouver d’autres moyens pour exercer un pouvoir normatif face à la concurrence des autres acteurs communautaires. Par ailleurs, elle s’appuie sur une administration inégalement développée selon ses directions générales. Plus encore, dans un certain nombre de secteurs (agriculture, pêche, etc.), elle doit faire face à la structuration principalement nationale des intérêts. Dans ces cas, elle semble éprouver des difficultés à s’appuyer sur la médiation des forces sociales organisées, peu socialisées aux enjeux européens, pour définir et mettre en œuvre des politiques principalement réglementaires et régulatrices. Pour toutes ces raisons, l’expertise apparaît comme une ressource décisive pour la Commission afin de s’imposer dans la sphère publique et institutionnelle par l’efficience de ses politiques. Les multiples procédures de consultation d’experts lui offrent en effet la possibilité de s’appuyer sur des réseaux de compétences adjacents aux filières et aux circuits constitués, mais aussi de diffuser des normes tout en contournant les voies représentatives. C’est dans cette perspective que la Commission s’est par exemple attachée à collaborer avec des ONG (organisations non gouvernementales) dans le secteur de la pêche, compensant l’assise principalement nationale des représentants professionnels.

La Commission s’appuie sur un régime d’expertise structuré, de manière schématique, à trois niveaux. Elle s’est d’abord entourée de compétences internes par la structuration de ses directions générales et par la création de groupes d’experts scientifiques placés auprès du BEPA (Bureau of European Policy Advisers). Elle a également favorisé la construction et l’européanisation d’un marché externe de l’expertise en suscitant la création de boîtes à idées et de bureaux d’études. Dans d’autres cas, à défaut de disposer directement d’experts, elle recourt à l’expertise fournie par des groupes d’intérêt. Les secteurs les moins organisés et les plus intergouvernementaux semblent particulièrement propices à cette recherche externe d’expertise.

À l’échelle communautaire, l’expertise fonctionne comme un régulateur de l’espace politique, c’est-à-dire comme un ensemble de règles à même d’en structurer le fonctionnement. En retour, l’expertise exerce des effets réels de formatage des pratiques. Pour de nombreux prétendants aux processus de fabrication des normes (groupes d’intérêt, associations, syndicats), elle devient une clé d’accès aux arènes de débat et un moyen de faire prévaloir une position auprès des services de la Commission. En contrepoint, elle joue un rôle sélectif tant l’expertise n’est sans doute pas une pratique partagée par tous les acteurs et contraste avec les logiques représentatives. Le pluralisme des expertises est plus induit par des effets institutionnels. De plus, si elle joue un rôle structurant dans ce régime, la Commission européenne ne peut prétendre, à la différence d’une administration nationale, à un monopole de l’expertise.

Les expériences américaine et communautaire confirment que l’expertise est autant un enjeu de rationalisation des politiques publiques qu’un enjeu de pouvoir. Elle est un moyen de se faire entendre dans des processus d’action publique où s’intensifient les négociations. Elle participe, dans le même temps, à redistribuer les positions et les rapports de force dans les espaces politiques en concourant notamment à valoriser la figure de l’expert sachant manier le registre savant et argumenter ses positions au détriment de celui qui s’en tient à l’expression de son vécu.

Devenue un registre d’action particulièrement valorisé, l’expertise se diffuse. Même si elle conserve un lien fort avec les autorités centrales, notamment dans un pays comme la France où l’État conserve le contrôle des politiques scientifiques, l’expertise n’est plus monopolisée par un acteur. Elle tend à essaimer et à s’externaliser. À côté des outils gouvernementaux nationaux, l’expertise s’étend aux échelles européenne et territoriale (cellules de prospective, observatoires, centres de ressources…). Concurrençant les ressources militantes, elle devient également un mode d’action privilégié par des organisations sociopolitiques pour se positionner dans l’espace public et contrer, sur son propre terrain, l’expertise d’État. En témoigne la mise en place de multiples structures (Fondations Jean Jaurès, Copernic, Robert Schuman) destinées à alimenter en propositions ces forces collectives et revendiquant souvent l’appellation de think tank. Ne se réduisant plus aux seules commandes étatiques et aux sphères ministérielles, elle est investie par des mouvements contestataires qui trouvent là un moyen de redéfinir leurs liens aux pouvoirs représentatifs et de rapprocher militants et scientifiques. De plus, sous l’effet de la globalisation et d’évolutions technologiques, on assiste à la montée de réseaux internationaux d’expertise qu’atteste d’ores et déjà la constitution de filiales européennes des think tanks américains.

III.4. L'activité des think tanks dans la promotion de l'espace public européen

Les think tanks peuvent-elles contribuer à l’émergence d’un espace public européen ? Les valeurs, les objectifs et les projets de ces organisations permettent-ils de créer un relais entre institutions européennes et peuples européens ? Tout d’abord les think tanks européens font-ils remonter au niveau des institutions et des grands décideurs politiques les idées des citoyens ? Les questions peuvent surprendre. D’une part, les esprits européens sont accaparés par le passage à l’Euro, d’autre part, le think tank est souvent vue comme un acteur social pouvant lutter efficacement contre l’exclusion, plus rarement comme un des éléments moteurs de la démocratie. Il est un élément de contre-pouvoir, puisqu’il se constitue souvent pour pallier certaines faiblesses de l'action étatique ou pour protester contre telle ou telle décision administrative. En d'autres termes, si l'on considère, comme Dominique Wolton, que la communication politique est le vecteur du débat démocratique, les think tanks, par leurs critiques publiques, sont des animateurs de cette communication politique. De plus, ces associations sont aussi des acteurs contribuant à définir l'intérêt général et les institutions qui le portent.

L’absence d'un espace public européen n'a pas empêché un certain nombre d'acteurs de mener des actions politiques en faveur de la construction européenne. Parmi ces derniers figurent, les instances européennes, bien sûr, mais aussi les think tanks. Pour ces acteurs, l'Europe sociale et l'Europe politique sont complémentaires et indissociables.

Ces associations européennes – définies comme étant des organisations non lucratives, portant un projet d'intérêt général, initiées par des citoyens et constituant ou appartenant à des réseaux centrés sur l'Union européenne – sont des acteurs sociopolitiques de premier plan qui, comme l'ont bien compris les instances européennes, constituent des relais entre les citoyens et les institutions de l'Union. Mais ce sont, également, des acteurs politiques qui déploient des actions et des communications politiques dans les espaces publics nationaux et qui développent, en leur sein, des espaces publics européens. Ils mettent en place des outils comme le « Forum européen de la société civile » qui sont des instruments de lobbying politique et des espaces publics où l'on tente d'instaurer un débat européen sur des questions européennes. Elles pèsent sur les décisions politiques (lobbying institutionnel), sont de plus en plus consultées par les instances européennes (notion de « dialogue civil ») et organisent des manifestations dans lesquelles ont peut voir se développer un débat européen sur des questions européennes. Cependant, ces manifestations sont soumises à un double contraint : soit-elles restent autonomes (pas de soutien financier ou logistique des instances européennes) et les débats restent élitaires puisqu'ils impliquent des personnes plurilingues possédant le temps et l'argent pour se déplacer, soit-elles privilégient l'accès du plus grand nombre (en faisant appel, notamment, à des traducteurs) et dépendent alors des financeurs. De plus, ces manifestations prouvent que la volonté de nouer un dialogue européen et la maîtrise des questions institutionnelles ne suffisent pas à créer un débat politique.

Il faut un temps d'apprentissage pour passer de l'expression revendicative à l'échange d'idées. Temps d'apprentissage d'autant plus long que les espaces publics européens suscités par l'Union (les grands colloques européens) sont des espaces d'expression soumis à de lourdes conventions. De plus, les mêmes mots (citoyenneté, par exemple) renvoient à des réalités différentes d'un pays à l'autre. De même, la façon nationale de poser une question est si prégnante qu'elle fait souvent obstacle à un véritable débat européen sur le sujet donné. Enfin, la culture organisationnelle des participants est un frein supplémentaire dans la mesure où, par exemple, de petites associations participatives qui élaborent par consensus leurs principales décisions n'acceptent pas de voter, à la majorité, paragraphe par paragraphe, un texte rédigé par un seul intervenant.

Il est intéressant de mettre en perspective les missions allouées aux think tanks à la création d’un espace public communautaire. Ce rôle installerait en effet une nouvelle forme d’exercice démocratique au sein de l’UE, en donnant la possibilité aux européens de participer à l’élaboration de cet espace partagée. On peut nous demander si les think tanks construisent une relation d’interaction entre les citoyens et les institutions, en donnant la capacité aux premiers de faire connaître leurs revendications et en diffusant les décisions politiques prises par les seconds au niveau des peuples européens. L’ambition est de pouvoir introduire de nouveaux sujets sur l’agenda politique. Par exemple le réseau AEGEE valorise le rôle qu’il a eu dans la mise en place du programme Erasmus, en faisant pression pour son implémentation.

Tout d’abord, les think tanks sont avant tous des forces de proposition, des lieux de production d’idées innovantes et de conseils pour les décideurs politiques. Au niveau de l’UE, ces raisons d’être se traduit par un soutien à la construction européenne et une intervention en amont du processus décisionnel, principalement auprès de la Commission.

Les think tanks veulent encourager une meilleure élaboration des politiques, contribuer à insuffler les reformes nécessaires et participer au développement et a l’avenir de l’Europe. Ce rôle amène donc a la création de plates-formes de rencontres et de débats entre les experts et les décideurs politiques. Un autre exemple est Confrontations Europe qui organise des réunions mensuelles dans son bureau de Bruxelles avec des représentants de la Commission. Ces mêmes think tanks ont le devoir d’élargir le débat au plus grand nombre, de représenter l’intérêt général. Cette hypothèse est développe par Guillaume Soulez, qui parle plus généralement d’une vocation propre des associations axées sur les problématiques d’intérêt général. D’après lui, c’est donc par l’intermédiaire de ces associations que le cadre de l’espace public national peut être dépasse.

La spécialisation d’une partie de l’action des think tanks est vers la démocratisation du débat politique. Des actions ciblent spécifiquement la société civile et visent à diffuser l’information sur les enjeux européens ainsi qu’à mobiliser un maximum de citoyens. Par conséquent, cette mission se situe à la fois au-dessous des sphères politiques de décision, en ciblant les citoyens, et au-delà des espaces politiques nationaux, qu’elle transcende. Les think tanks prônent le rôle d’interface qu’ils jouent entre les institutions communautaires et une société civile européenne émergente. Ils veulent tisser des liens solides entre les peuples ou encore d’accroître la conscience et l’engagement des citoyens.

Toutefois, la prépondérance accordée à la mission d’expertise et de force de proposition peut se faire au détriment de celle de médiation et de démocratisation. Stephen Boucher parle en effet d’une « position ambiguë » des think tanks dans leur engagement auprès du grand public. Ce chercheur souligne l’existence d’une dichotomie entre d’une cote les déclarations de bonne intention, et l’autre la réalité, qui montre la portée limitée des activités tournées vers les citoyens. De plus, si la volonté de promouvoir la participation et l’information des citoyens est incontestablement présente parmi les think tanks, la concrétisation de ce principe à valeur déclaratoire reste à prouver.

Les think tanks européens veulent atteindre différents publics dans leurs actions : les décideurs politiques, le grand public, les medias, le monde universitaire et le monde des affaires. Une fois le travail de recherche effectue, il est en effet nécessaire de le faire connaître dans la sphère publique. Trois principales activités semblent se dégager des différentes initiatives entreprises par les think tanks à cette fin. Pour rendre concret leur rôle d’expertise, un travail de pression doit être effectue auprès des différents décideurs politiques. La réalisation d’une médiation effective et efficace nécessite une diffusion de l’information et une démocratisation des débats.

La consultation des think tanks en Europe n’est pas un comportement intègre au processus de décision politique, comme c’est le cas aux Etats-Unis. Une forme de lobbying est donc nécessaire, dans le sens d’une pression exercée sur les décideurs politiques. Le potentiel d’influence offre d’autant plus d’opportunités au sein de l’Union européenne : comme les lieux de prise de décision sont diffus, de nombreux « points d’entrée » existent donc pour essayer de peser sur les décisions européennes. De plus, la Commission développe une stratégie de consultation politique ouverte et participative. La prise en compte des idées des think tanks est d’autant plus importante parce qu’elle permet à une partie de la société civile de se faire entendre, de se sentir active. L’influence des think tanks sur les décisions communautaires élargit le champ d’acteurs contribuant à la formulation de l’intégration européenne.

Les différents think tanks nationaux spécialistes des questions européennes coopèrent de plus en plus entre eux. Ils participent à la formation d’une société civile européenne de réseaux transnationaux, faisant de l’espace européen une forme d’ « espace communicationnel », pour utiliser les termes de Habermas. C’est ce que met en évidence l’étude réalisée par Notre Europe, qui évoque un « nombre impressionnant des liens » tisses et entretenus différentes à occasions. Les rencontres et les partenariats internationaux sont d’autant plus recherches que chaque think tank apporte une connaissance de son terrain national et des spécificités culturelles, politiques et administratives de son pays. La coopération apporte alors une valeur ajoutée au travail respectif de chaque think tank concerne. Les contacts se font aussi à travers le partage d’idées, la création de forums communs ou le financement direct d’un think tank par un de ses homologues. Des réseaux de plus en plus denses s’organisent donc dans l’ensemble de l’Union européenne, selon le simple critère de la spécialisation dans les questions européennes ou selon le critère plus sélectif du type d’orientation politique. Certains réseaux européens s’inscrivent également dans un réseau mondial d’instituts de recherche.

L’espace public européen est actuellement en voie d’émergence. S’il reste pour l’instant surtout limite au contact entre chercheurs et acteurs politiques, il semble que cet espace soit en voie d’ouverture, comme le témoignent l’émergence de think tanks transnationaux et de forums citoyens. La création de cet espace est d’ailleurs l’un des buts affiches par les think tanks européens, qui pensent pouvoir contribuer à l’émergence d’un espace public européen, par la promotion d’un projet européen démocratique et par une diffusion large de ses travaux et de ses idées via Internet et les medias.

La coopération entre les acteurs politiques, medias et think tanks est encore fragile et mal définie. Pourtant une forme d’interdépendance apparaît entre ces acteurs. Le think tanks ont la capacité de mobiliser les medias nationaux, en utilisant les habitudes de communication propres à chaque état. Ils peuvent donc renforcer la visibilité de la Commission en diffusant les messages, sans pour autant être directement lies au discours institutionnel. Inversement, ils ont besoin des subventions accordées par les institutions européennes pour exister et se développer. Une collaboration positive entre think tanks, décideurs politiques et medias peut donc aider à promouvoir l’image de l’UE auprès des peuples européens. Chaque acteur légitime également l’action de l’autre, à différents niveaux : la participation des think tanks apporte davantage de légitimité aux décisions européennes ; c’est par son interaction avec les instances européennes que les think tanks légitiment leur existence. Mais parallèlement, se pose le problème de l’indépendance des think tanks, vis-à-vis des pouvoirs publics.

La nature des relations dépende beaucoup des think tanks : certains disent n’avoir aucun contact avec les institutions européennes. La plupart d’entre eux entretiennent un lien plus étroit avec la Commission qu’avec le Parlement, car ils veulent avoir une influence avant et pendant la formulation des propositions législatives. De plus, la frontière entre activité politique et engagement dans un think tank est poreuse et facilement franchissable. L’émergence d’un espace public s’observe également dans les relations qui se tissent entre medias et think tanks. Un partenariat a été crée, par exemple entre la Fondation Robert Schuman et la chaîne LCI pour diffuser « Le journal des européens ». Cette émission montre des reportages sur l’UE, des entretiens avec des hauts responsables européens, ainsi que l’étude comparée des opinions publiques européennes à travers des sondages. Dans ce cas particulier, le support médiatique est donc utilise par un think tank pour atteindre le grand public ; le media profite de sa part de l’expertise du think tank pour réaliser une émission de qualité, qui soit plus crédible aux yeux des téléspectateurs. De façon plus classique, les journalistes sont généralement invites lors des forums et des conférences organises par les think tanks. Ces derniers luttent en effet pour capter l’attention des medias. Pour cela, il leur est nécessaire de se construire une légitimité discursive et de se faire accepter comme acteur indispensable dans cet espace public européen. Cette attention de la part de medias et le lien crée avec les think tanks se fait surtout auprès de la presse spécialisée.

Un lien formel s’établit donc progressivement entre les décideurs politiques, les medias et les think tanks. Mais, d’après Georges Bossuat l’espace public est encore trop peu existant pour que le citoyen européen y ait un véritable rôle et, par conséquent, q’une identité européenne émerge au sein de la population : « L’espace public européen n’existe pas assez pour que les citoyens européens puissent mettre en scène leur volonté de vivre ensemble. Or l’identité européenne se construit volontairement par un mouvement de citoyens ». L’idée de société civile organisée n’a été formalise que très récemment dans le corpus communautaire : c’est l’une des nouveautés introduites dans le Traite de Nice. Ce concept doit être cependant distingue de celui plus général de « Société civile ». Elle se limite à la partie active et organisée de la société européenne. L’idée de participation civique a été re-affirmée et élargie dans le projet constitutionnel : ce dernier introduit le concept de démocratie participative comme nouveau principe communautaire. L’idée d’un rôle actif des citoyens dans le processus européen reste donc malgré toute récente et limitée au niveau conceptuel. Au niveau pratique, cette participation civique doit être développe. Face à ce constat, l’idée d’un espace public européen effectif n’en est qu’a ses tout premiers pas. Les think tanks peuvent être considères comme des acteurs indispensables à son épanouissement.

Le développement d’un véritable espace public européen exige l‘intégration réelle de la société civile aux débats politiques et au processus de décision. Au niveau des citoyens, cet espace public doit s’articuler en une série d’acteurs offrant d’accès a une série de mondes, ouverts, permettant aux gens de se grouper autour de projets et jouant un rôle plus ou moins fort dans le débat politique selon leurs mérites, leur pertinence. Or les think tanks sont reconnus pour leur contribution à l’exercice démocratique au niveau européen, agissant comme facilitateurs d’idées. Ils revendiquent eux-mêmes leur volonté d’impulser un débat qui s’articule entre le grand public, les experts et les institutions et l’importance de leur action dans ce domaine.

Comme certaines analyses ont mis en valeur, faire prendre conscience de la dimension européenne de certains enjeux, contribuer a la création d’une opinion qui transcende les frontières, revient a poser les premières pierres a l’édifice de cet espace public. La formation de think tanks impulse la création d’un espace au sein du monde universitaire et politique : des réseaux sont formes a travers l’Europe et mettent en rapport les chercheurs et les décideurs nationaux de différents Etats membres. Ces structures ont un certain impact sur le problème de déficit démocratique. Souvent évoque au niveau européen. Ils jouent en effet un rôle important d’information du grand public et ils ont également un impact sur la formation d’une démocratie participative, base potentielle d’un élan civique européen.

C’est donc par l’action de think tanks qu’un espace public véritablement européen a des chances d’émerger. L’espace public européen est un espace en construction réclament une action militante des instances européennes : les mobilisations sont impulsées avec des relais d’acteurs nationaux ayant une vocation internationale au préalable.

Pour le dire autrement, le think tank peut être un lieu démocratique qui instaure un espace public permettant le développement d’une communauté politique. Ils proposent de « nouvelles réalités possibles », puisqu’ils militent pour une Europe plus démocratique et tentent de faire avenir cet espace public interculturel qu'ils appellent de leurs voeux. Reste que l'influence et l'importance réelle des ces organisations ne tient sans doute pas dans leur capacité réelle à peser sur le processus institutionnel, ou à incarner une société civile dont elles ne sont guère représentatives.

Non, les think tanks peuvent avoir un rôle fondamental dans la construction européenne pour les raisons suivantes. Les think tanks, comme les autres associations sociales sont des acteurs centraux de l'espace public national. Tout d'abord, par construction, l'association est, en général, un acteur participant à la construction de l'intérêt général. Cette participation s'effectue par le biais d'actions et de communications qui, dans nos démocraties, se déroulent dans l'espace public. De plus, les associations (incluant aussi les think tanks) sont des organismes de la société civile qui, selon Habermas, sont capables d'instituer des espaces publics autonomes venant alimenter l'espace public central. Ce qui évite une sclérose de ce dernier et permet de maintenir un contre pouvoir face à la toute puissance du système étatique.

Les think tanks nationaux et locaux, membres des réseaux européens peuvent alors constituer des médiateurs entre les différentes organisations de la société civile non encore sensibilisée aux enjeux européens (associations sportives, syndicats, clubs politiques etc.), interpeller l'opinion publique et les pouvoirs politiques sur les problèmes de la construction européenne et faire pénétrer une vision pro européenne critique dans un espace médiatique tendant à penser le débat européen de manière pour ou contre la construction européenne.

Conclusion

Il y a de bonnes chances pour que les think tanks européens n’égalent jamais en taille et en influence leurs homologues américains, pour des raisons structurelles autant que culturelles – notamment une insistance plus forte sur l’innovation, une vigilance traditionnelle par rapport à la séparation des pouvoirs, et une vision critique du rôle de l’état. Ce nouveau type d’organisation de la vie politique est pourtant appelé à se développer en chaque pays d’Europe. Il est révélateur des bouleversements de la démocratie moderne : les enjeux deviennent de plus en plus complexes, les problèmes et les solutions politiques sautent les frontières, le monde universitaire se transforme. Les gouvernements ont plus que jamais besoin d’informations claires, adaptées, qui les aident à interpréter la complexité de leur environnement et à tracer une voie pour l’action. Face à ces enjeux, l’important est que les think tanks s’imposent par la qualité de leur recherche, leur créativité, et leur capacité à faire passer leurs messages. Entre réflexion académique et nouvelles formes de pensée, les think tanks doivent sortir de leur tour d’ivoire, ce qui implique de problématiser les enjeux et de développer des méthodes d’investigation qui complètent celles des chercheurs universitaires.

L’Europe paraît être cet impératif qui permet de surmonter les différences nationales en se présentant comme une forme d’action collective : l’exemple du terrorisme et du communautarisme nous en fournissait la preuve la plus explicite. Mais l’Europe n’est pas en elle-même un langage politique capable d’abriter les différences identitaires. L’Europe n’est pas non plus ordonnée par des positionnements politiques. L’action européenne relève enfin plutôt du devoir que du vouloir. Ce devoir faire européen est néanmoins une caractéristique contextuelle car la construction d’un espace public européen est toujours en cours. Nombreuses sont les voix qui considèrent la « crise » survenue lors de la guerre en Irak comme un tournant pour le développement de cet espace.

Notion souvent ignorée des dictionnaires, l'espace public est pourtant au cœur du fonctionnement démocratique. Habermas l'a repris à I. Kant qui en est probablement l'auteur, et en a popularisé l'usage dans l'analyse politique depuis les années 70. Il le définit comme la sphère intermédiaire qui s’est constituée historiquement, au moment des Lumières, entre la société civile et l'État. C'est le lieu, accessible à tous les citoyens, où un public s'assemble pour formuler une opinion publique. L’espace public ne relève pas de l'ordre de la volonté. Il symbolise simplement la réalité d'une démocratie en action, ou l'expression contradictoire des informations, des opinions, des intérêts et des idéologies. Il constitue le lien politique reliant des millions de citoyens anonymes, en leur donnant le sentiment de participer effectivement à la politique. Si l'on peut volontairement instituer la liberté d'opinion, la liberté de la presse, la publicité des décisions politiques, cela ne suffit pas à créer un espace public.

L’espace public européen est également segmenté horizontalement par des clivages sociologiques et politiques. Les débats politiques sur l’Europe et l’intégration européenne sont trop techniques et lointains pour des citoyens par ailleurs mal informés et dont le stock de connaissance est faible.

Les think tanks européens ont un certain impact sur le problème de déficit démocratique, souvent évoque au niveau européen. Ils jouent en effet un rôle important d’information du grand public. Par certaines de leurs actions, ils ont également un impact sur la formation d’une démocratie participative, base potentielle d’un élan civique européen. C’est donc par l’action de think tanks qu’un espace public véritablement européen a des chances d’émerger. Mais pour l’instant, l’espace public reste prisonnier du carcan national : les logiques partisanes des partis politiques nationaux l’emportent et c’est a travers la grille de lecture national que sont perçus les débats politiques européens. Plus qu’un véritable espace de débat public, l’espace européen se limite à la publicisation de l’expertise des think tanks. Les associations européennes doivent donc poursuivre leur travail pour redonner une légitimité au projet européen et transcender les frontières nationales.

Les think tanks devraient se poser en sources essentielles d’information pour les décideurs sur des questions clefs de leur choix, qu’il s’agisse des relations UE-Russie ou des politiques communautaires sur le changement climatique. A l’avenir, les think tanks devraient devenir des références « incontournables », vers lesquelles les décideurs de toute l’Europe sauront qu’ils peuvent se tourner pour obtenir des informations et des analyses mises à jour. Les think tanks doivent travailler à utiliser plus activement les medias afin de cultiver des liens indirects avec les décideurs politiques.

Les think tanks européens sont utiles au processus d’intégration européenne et aux décideurs politiques européens en général. En effet, à divers échelons, ils mènent des recherches de base sur des problèmes et des solutions de politique ; ils fournissent des recommandations pour les problèmes de politique immédiats dont débattent les responsables des gouvernements ; ils évaluent les programmes gouvernementaux et servent à faciliter la création de réseaux et l’échange d’idées ; ils servent de fournisseurs de personnel au gouvernement ; et ils aident à interpréter les politiques et les événements de l’actualité pour les médias écrits et électroniques. Ils contribuent à faire de la démocratie européenne une réalité, en agissant comme incubateurs et facilitateurs d’idées.

Les think tanks font face à de nouveaux dilemmes, tandis que leurs activités et la politique communautaire deviennent plus partisanes, et qu’ils doivent lutter pour capter l’attention des médias. Les utilisateurs potentiels de leurs travaux, les décideurs, les journalistes, les universitaires, ne perçoivent pas pleinement la valeur que les think tanks existants apportent aux politiques publiques. Dans beaucoup de pays, il leur reste même à apprendre ce qu’une communauté de think tanks forte peut apporter à la décision politique et à la démocratie.

Annexes

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http://www.corporateeurope.org/aboutceo.html.

http://www.ceps.be/wAbout.php?article_id=1

http://www.ewi.info/

http://www.rand.org/randeurope/

http://www.aspeninstitute.org/

http://www.forum-civil-society.org/forumf/

http://aegee.free.fr/

http://www.confrontations.org/index.php

http://www.robert-schuman.org/

Annexe no. 1

TYPOLOGY FOR AUTONOMOUS AND AFFILIATED PUBLIC POLICY THINK TANKS

Annexe no.2

Cinq propositions pour construire une Europe politique

Il n’existe pas d’espace public européen où puisse se développer une délibération démocratique sur la politique de l’Union européenne. En effet, l’Europe d’aujourd’hui n’est pas une Europe politique. Malgré des élections européennes au suffrage universel, un Parlement et même une Convention, l’Europe laisse peu de place au débat, à la participation des citoyens, à la formation d’un espace solidaire et à l’élaboration d’un vrai projet de société.

C’est à cette tâche que nous devons nous atteler, car l’Europe politique est encore à inventer. Voici donc 5 propositions, premières mesures symboles qui pourraient contribuer à la constitution d’un espace public européen, pour construire une Europe qui pèse vraiment sur la mondialisation.

1- Instaurer l’alternance au niveau européen

C’est au niveau européen que se trouvent les marges de manœuvre les plus importantes, il est temps de mettre fin aux méthodes de compromis, de consensus, de « gouvernance complexe » qui règlent le fonctionnement de l’Union européenne.

C’est pourquoi il faut désormais organiser les institutions de façon à rendre possible une alternance politique offrant aux citoyens une alternative entre différents projets pour l’Union.

La composition du Parlement (issue des élections européennes) pourrait ainsi permettre la formation d’une équipe politiquement homogène pour la Commission, autour d’un programme de législature incarnant des orientations politiques précises. A terme, un véritable gouvernement européen, contrôlé par le Parlement, mènerait les grands travaux de l’UE.

Un tel fonctionnement permettra de structurer davantage le débat autour des grands points de clivages droite /gauche, de donner plus d’envergure aux partis européens et d’inciter au décloisonnement des débats politiques nationaux.

2- Définir un statut européen des associations

Parce que la démocratie suppose d’abord la participation, l’UE doit pouvoir assurer la représentation de ses composantes collectives. Il faut ainsi donner aux associations un vrai statut européen, afin d’encourager la création d’un espace d’engagement, de discussion, commun aux peuples d’Europe.

Il s’agit de lever tous les obstacles à une vie citoyenne transnationale, et d’encourager les formes d’expression européennes. Associations, partis politiques et syndicats doivent ainsi pouvoir mieux s’emparer des enjeux européens.

3- Adopter une charte fondamentale des droits civiques et sociaux qui porte notre projet de civilisation

S’il existe bel et bien une identité commune européenne, il importe de la faire vivre. Aussi, l’adoption d’une Constitution européenne pourrait-elle contribuer à la prise de conscience chez tous les Européens de leur appartenance à une communauté de valeurs, et à la construction de notre identité autour d’un projet de civilisation. Cette charte doit ainsi porter un modèle de société connu et partagé par chacun.

Ce texte, au contenu social fort, dont l’application sera garantie par une valeur juridique suprême, doit imposer des critères de convergence sociale, porter le combat pour l’environnement, ainsi que des exigences claires en matière de politique extérieure, de développement durable, de solidarité Nord/Sud, …

4- Mettre en place un véritable impôt européen versé par chaque citoyen

Un impôt payé par chaque citoyen de l’Europe constitue un symbole clair d’appartenance à la communauté des Européens. Il est en outre une étape indispensable pour faire de l’Europe un véritable espace de solidarité.

Cet impôt à vocation redistributive pourrait contribuer à la mise en place de services publics européens, et ainsi construire une véritable puissance publique européenne, garante de la solidarité entre citoyens européens.

5- S’assurer que l’Union européenne parle d’une seule voix dans les institutions internationales pour faire de l’Europe un acteur politique au niveau mondial

Sur la scène internationale, l’UE doit permettre l’émergence d’une voix qui puisse faire contrepoids à celle des Etats-Unis. Il importe donc que l’Europe ait un représentant et un vote unique dans les instances internationales. Comme pour la politique commerciale, la Commission doit être dotée de la compétence de négociation pour toutes les questions relatives à la régulation de la mondialisation : FMI, Banque mondiale, FAO (org. pour l’alimentation et l’agriculture), GAFI (Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux), … Par conséquent, la politique extérieure de l’Union doit être confiée au Président de la Commission ou au commissaire européen aux affaires étrangères, afin de clarifier et de renforcer les responsabilités.

Annexe no.3

Schémas et tableaux du rôle des Think Tanks

Annexe no.4

Figure 1

BIBLIOGRAPHIE

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http://www.confrontations.org/index.php

http://www.robert-schuman.org/

Annexe no. 1

TYPOLOGY FOR AUTONOMOUS AND AFFILIATED PUBLIC POLICY THINK TANKS

Annexe no.2

Cinq propositions pour construire une Europe politique

Il n’existe pas d’espace public européen où puisse se développer une délibération démocratique sur la politique de l’Union européenne. En effet, l’Europe d’aujourd’hui n’est pas une Europe politique. Malgré des élections européennes au suffrage universel, un Parlement et même une Convention, l’Europe laisse peu de place au débat, à la participation des citoyens, à la formation d’un espace solidaire et à l’élaboration d’un vrai projet de société.

C’est à cette tâche que nous devons nous atteler, car l’Europe politique est encore à inventer. Voici donc 5 propositions, premières mesures symboles qui pourraient contribuer à la constitution d’un espace public européen, pour construire une Europe qui pèse vraiment sur la mondialisation.

1- Instaurer l’alternance au niveau européen

C’est au niveau européen que se trouvent les marges de manœuvre les plus importantes, il est temps de mettre fin aux méthodes de compromis, de consensus, de « gouvernance complexe » qui règlent le fonctionnement de l’Union européenne.

C’est pourquoi il faut désormais organiser les institutions de façon à rendre possible une alternance politique offrant aux citoyens une alternative entre différents projets pour l’Union.

La composition du Parlement (issue des élections européennes) pourrait ainsi permettre la formation d’une équipe politiquement homogène pour la Commission, autour d’un programme de législature incarnant des orientations politiques précises. A terme, un véritable gouvernement européen, contrôlé par le Parlement, mènerait les grands travaux de l’UE.

Un tel fonctionnement permettra de structurer davantage le débat autour des grands points de clivages droite /gauche, de donner plus d’envergure aux partis européens et d’inciter au décloisonnement des débats politiques nationaux.

2- Définir un statut européen des associations

Parce que la démocratie suppose d’abord la participation, l’UE doit pouvoir assurer la représentation de ses composantes collectives. Il faut ainsi donner aux associations un vrai statut européen, afin d’encourager la création d’un espace d’engagement, de discussion, commun aux peuples d’Europe.

Il s’agit de lever tous les obstacles à une vie citoyenne transnationale, et d’encourager les formes d’expression européennes. Associations, partis politiques et syndicats doivent ainsi pouvoir mieux s’emparer des enjeux européens.

3- Adopter une charte fondamentale des droits civiques et sociaux qui porte notre projet de civilisation

S’il existe bel et bien une identité commune européenne, il importe de la faire vivre. Aussi, l’adoption d’une Constitution européenne pourrait-elle contribuer à la prise de conscience chez tous les Européens de leur appartenance à une communauté de valeurs, et à la construction de notre identité autour d’un projet de civilisation. Cette charte doit ainsi porter un modèle de société connu et partagé par chacun.

Ce texte, au contenu social fort, dont l’application sera garantie par une valeur juridique suprême, doit imposer des critères de convergence sociale, porter le combat pour l’environnement, ainsi que des exigences claires en matière de politique extérieure, de développement durable, de solidarité Nord/Sud, …

4- Mettre en place un véritable impôt européen versé par chaque citoyen

Un impôt payé par chaque citoyen de l’Europe constitue un symbole clair d’appartenance à la communauté des Européens. Il est en outre une étape indispensable pour faire de l’Europe un véritable espace de solidarité.

Cet impôt à vocation redistributive pourrait contribuer à la mise en place de services publics européens, et ainsi construire une véritable puissance publique européenne, garante de la solidarité entre citoyens européens.

5- S’assurer que l’Union européenne parle d’une seule voix dans les institutions internationales pour faire de l’Europe un acteur politique au niveau mondial

Sur la scène internationale, l’UE doit permettre l’émergence d’une voix qui puisse faire contrepoids à celle des Etats-Unis. Il importe donc que l’Europe ait un représentant et un vote unique dans les instances internationales. Comme pour la politique commerciale, la Commission doit être dotée de la compétence de négociation pour toutes les questions relatives à la régulation de la mondialisation : FMI, Banque mondiale, FAO (org. pour l’alimentation et l’agriculture), GAFI (Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux), … Par conséquent, la politique extérieure de l’Union doit être confiée au Président de la Commission ou au commissaire européen aux affaires étrangères, afin de clarifier et de renforcer les responsabilités.

Annexe no.3

Schémas et tableaux du rôle des Think Tanks

Annexe no.4

Figure 1

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