L’instinct de la Vie Et de la Morte Dans Le Phedre Du Racine

L'instinct de la vie et de la mort dans « Phèdre » de Racine

Contenu

Introduction

Le théâtre à l'époque de Racine

Première partie: La tragédie et la comédie à l'époque classique

Deuxième partie: Racine et le théâtre au féminin

Phèdre ou l'instinct de la vie et de la mort

Chapitre I Les sources de Phèdre et son aspect tragique

Chapitre II Les héros romanesques

2.1. Thésée, le héros guerrier

2.2. Hippolyte, le prince charmant

2.3. Aricie, la princesse captive

Chapitre III Les multiples visages de Phèdre

3.1. La femme amoureuse

3.2. La reine incestueuse/ La femme adultère

3.3. L'héroïne tragique

Conclusion

L'intérêt de la pièce sur plusieurs aspects

1. Intérêt psychanalytique

1.1. Petite observation psychanalytique sur les caractères du trio amoureux

2. Intérêt philosophique

Bibliographie

Racine, Phèdre

Ovidiu Dramba, L'histoire du théâtre universel

Introduction

Le théâtre à l'époque de Racine

Première partie: La tragédie et la comédie à l'époque classique

Le théâtre classique français connaît ses débuts en même temps que la consolidation de l'absolutisme monarchique en France. C'est le XVIIe siècle, l'époque où le roi Louis XIV met son empreinte sur l'histoire de la France.

L'image fidèle de la réalité (sociale, politique et morale) du temps a été représentée essentiellement sur la scène et c'est pourquoi le théâtre est devenu, d'après Jean-Paul Sartre, la «tribune morale» de la petite bourgeoisie et de la population qui vivaient dans la misère.

Les problèmes de cette époque se retrouveront dans le création humaniste des artistes, avec une prépondérance dans la dramaturgie française qui trouve son apogée dans les ouvrages de ses trois magnifiques auteurs: Corneille, Racine et Molière.

Quoi que relativement forcés à respecter les canons imposés par le goût de la cour, les dramaturges de cette époque ont réussi à franchir ces limitations dictées par l'aristocratie qui voulait cacher la vérité et montrer seulement un visage souriant d'une réalité menteuse. Les auteurs qui s'y imposent ne vont pas aduler la royauté ni accepter le style précieux et conventionnel, mais ils imposeront leurs propres idées et règles dans la création théâtrale qui les rendent indispensables aujourd'hui dans le domaine humaniste et théâtral.

Celui qui mis les bases de la tragédie classique française c'est aussi le premier grand dramaturge français, Pierre Corneille. Pour lui, le théâtre représentait l'école des caractères et pour cela que ses personnages sont tous doués des qualités qui dépassent celles des gens normaux. Il s'agit des hommes extraordinaires, des caractères qui frisent parfois l'invraisemblable, car leurs traits, leurs pensées et leurs faits ressemblent à des héros de la mythologie.

Pour Corneille, les vertus les plus dignes de l'homme sont la raison et la volonté, et surtout la capacité du libre choix, du libre arbitre. Car le dramaturge pensait la tragédie comme capable de déclencher dans les âmes des spectateurs les sentiments les plus nobles, de l'admiration pour les caractères exceptionnels qu'ils voient sur la scène. Corneille apportait donc sur la scène des héros pleins de vertus, de noblesse et d'une capacité surhumaine d'agir et d'être dans des situations extraordinaires, qui soulignent leur caractère hors du commun.

Son premier chef d’œuvre c'était le Cid, où le héros vengeant son père qui avait été insulté par le père de son amante, tue ce dernier, rendant impossible son amriage avec la femme aimée. De la sorte, celle-ci doit demander que l'on venge la mort de son père, en tuant l'homme qu'elle aime plus que tout. Tous les deux se montrent ainsi dignes de leur nom et, en mettant leur devoir au-dessus de leur amour, franchissent les sentiments humains qui rendent faibles les gens. La fin de la tragédie leur rend justice, en montrant que leur sacrifice surhumain a fait en sorte que leur amour devienne possible à travers la force de caractère.

Corneille a composé ses tragédies en s'inspirant des époques lointaines et ses actions se passaient dans des pays étrangers. N'importe que les sujets qu'ils traitaient se référaient à ceux de son époque et de son pays. Ses tragédies étaient construites remarquablement, avec clarté et dynamisme, sue des caractères forts et des sujets attendrissants.

Dans une autre direction, d'une autre façon, mais avec un impact encore plus fort et résonant, se situe le remarquable Molière, son contemporain, mais qui joue un rôle d'autant plus comique que Pierre Corneille avait joué de tragique avec ses œuvres.

Les comédies de Molière, plus de trente, peignent un tableau très coloré et vivace de la France du XVIIe siècle. Il rejoint la cour de Louis XIV, à l'invitation de celui-ci et compose ses œuvres là-bas, en se moquant fort bien de la société de son époque, ce qui lui ont créé des conflits avec l'aristocratie et l'église et l'interdiction de représenter ses pièces pendant un temps, il est accusé d'impiété et même après sa mort, il est enterré furtivement, pendant la nuit.

Son œuvre a joué pourtant un rôle très important dans la vie théâtrale, sociale et politique de son époque et non seulement. Ses comédies se sont inspirés des vieux fabliaux et de Rabelais, tout en gardant l'influence de la commedia dell'arte. Pour lui, le but du théâtre c'était de représenter véridiquement la société, ce qu'il a fait avec beaucoup d'art et de talent.

Deuxième partie: Racine et le théâtre au féminin

Alors que la scène française voit jouer les caractères exceptionnels de Corneille et les satiriques de Molière, il apparaît un auteurs qui semble trouver le juste milieu, en apportant un quelque chose de nouveau et de sensible dans la vie théâtrale et la dramaturgie de XVIIe siècle. Le dramaturge s'appelle Jean Racine et son atout c'est la figure féminine de l'héroïne dans son théâtre.

Jean Racine, de son nom complet Jean-Baptiste Racine, est né en 1639 à la Ferté-Milon et mort à Paris en 1699. A cette époque l'absolutisme monarchique était déjà bien consolidé et la cour avait imposé des règles assez strictes dans la littérature. Néanmoins, ses créations dramatiques ne se limiteront pas à ces canons et ne vont pas imiter la préciosité dont la langue était habituée.

Son théâtre est différent de celui de Corneille. On a souligné que le but de ce dernier était de montrer des caractères forts, dominé par la raison et la volonté propre, qui réveillaient dans les âmes des spectateurs des sentiments d'admiration et de respect, tout en contrastant avec les qualités des gens normaux.

Racine, au contraire, veut émouvoir plutôt que d'épater. Il crée des personnage dominés par la passion dont il vont devenir victimes. Ses sujets sont plus simples que ceux de Corneille et surtout plus humains.

Ce qui caractérise ses tragédies c'est la figure féminine. La plupart de ses créations portent le nom de ses héroïnes: Andromaque, Béatrice, Athalie, et surtout celui de sa plus connue et appréciée tragédie, Phèdre. Il s'agit des femmes qui prend le rôle des mères, des épouses, des filles ou des amantes, figures pathétiques, car passionnées, entraînées dans des situations tragiques par leurs émotions et leurs faiblesses, leurs passions et leurs hésitations qui sont vouées à augmenter le sentiment de l'émotion dramatique et de la sorte, de saisir les âmes des spectateurs devant la création de l'art dramatique.

Phèdre ou l'instinct de la vie et de la mort

Son chef d’œuvre est, sans doute, Phèdre, la tragédie de la femme qui ne peut pas résister à la passion coupable et désastreuse pour son beau-fils, passion qui va détruire les vies des personnages. Racine déclare que «  le sujet est pris d'Euripide », de la légende de Phèdre et d'Hippolyte dans l'Antiquité. Mais pendant que la tragédie euripidienne vise le conflit de deux déesses, Aphrodite et Artémis, Phèdre met en avant l'amour, celui des êtres humains, compliqué et capable à rendre les gens à commettre des fautes et des actes reprochables.

La faute humaine dont on a affaire dans cette tragédie n'est pas la faute d'aimer, mais celle de parler, d'avouer le sentiment coupable, qui, une fois prononcé, attire la tragédie.

C'est la faute d'une femme qui, esclave de son amour, voit sa passion impossible prendre les contours les plus funestes, car il n'est pas réciproque, car elle a une rivale, car une fois avoué, il se transforme un en crime, car son mari qu'elle croyait mort est en vie et l'inceste est aussi présent.

Elle essaie de s 'échapper à son sentiment en persécutant Hippolyte, son beau fils.

«J'excitai mon courage à le persécuter.

Pour bannir l'ennemi dont j'étais idolâtre,

J'affectai les chagrins d'une injuste marâtre;

Je pressai son exil; et mes cris éternels

l'arrachèrent du sein et des bras paternels.

Je respirais, Oenone; et, depuis son absence,

Mes jours moins agités coulaient dans l'innocence;»

C'est la faute d'une femme qui, esclave de son amour, voit sa passion impossible prendre les contours les plus funestes, car il n'est pas réciproque, car elle a une rivale, car une fois avoué, il se transforme un en crime, car son mari qu'elle croyait mort est en vie et l’inceste est aussi présent. En lui annonçant la mort supposé de son mari, Thésée, et en avouant le sentiment qui l'étouffait, la machine tragique est en route.

En proie à ses émotions qu'elle est maintenant incapable de cacher dans son âme, elle se conduit en femme amoureuse, prête à tout pour avoir l'homme qu'elle aime d'une manière incontrôlable.

Elle lui révèle son amour, en espérant pourtant dans une possible réciprocité, mais face au mépris de celui qu'elle adorait, est prête à en finir avec une vie dont elle ne voyait plus le sens, accablée par la gêne et le désespoir d'avoir commis une telle erreur, mais Oenone, sa nourrice, l'arrête.

Sa culpabilité s'accroît en apprenant que son mari n'était pas mort et qu'il venait d'arriver à Trézène. Une fois de plus, la faiblesse humaine est présente, car Phèdre accepte le mensonge d'Oenone, qui déclare à Thésée que son fils a tenté de séduire sa belle-mère, mais elle assaie de le faire changer d'avis quand son mari prie le dieu de la mer de venger une telle horreur.

La rivale qu'elle vient de découvrir la fait encore une fois réagir d'une façon honteuse, car la fureur de son amour rejeté la rend aveugle et renonce à sa démarche envers son mari.

La mort d'Hippolyte survenant, la vérité ne peut plus rester cachée. Phèdre, dans un soulagement qui lui donne la certitude de sa mort qui ne tardera pas, car elle avait pris du poison, fait l'aveu le plus terrible de tous:

« Non, Thésée, il faut rompre un injuste silence;

Il faut à votre fils rendre son innocence:

Il n'était point coupable.»

La passion amoureuse de l'héroïne, les étapes qu'elle suit dans son chemin psychologique dont elle est consciente donnent la force tragique de l’œuvre.

Tout commence au moment où elle dit la vérité et les paroles, une fois prononcées, ouvre la porte de la tragédie elle-même. De la même façon, la tragédie finit avec elle, avec ses mots qui éclairent l'intrigue.

Phèdre est l'amoureuse, la femme qui aime sans être aimée, pour qui la vie n'a plus de sens et pour qui la mort n'est même pas la réponse. La son mari.

La mort d'Hippolyte survenant, la vérité ne peut plus rester cachée. Phèdre, dans un soulagement qui lui donne la certitude de sa mort qui ne tardera pas, car elle avait pris du poison, fait l'aveu le plus terrible de tous:

« Non, Thésée, il faut rompre un injuste silence;

Il faut à votre fils rendre son innocence:

Il n'était point coupable.»

La passion amoureuse de l'héroïne, les étapes qu'elle suit dans son chemin psychologique dont elle est consciente donnent la force tragique de l’œuvre.

Tout commence au moment où elle dit la vérité et les paroles, une fois prononcées, ouvre la porte de la tragédie elle-même. De la même façon, la tragédie finit avec elle, avec ses mots qui éclairent l'intrigue.

Phèdre est l'amoureuse, la femme qui aime sans être aimée, pour qui la vie n'a plus de sens et pour qui la mort n'est même pas la réponse. La passion de l'amour non partagée et de la culpabilité qu'elle ressent se lient dans un tableau tragique qui suscite la pitié. L'idée chrétienne de Racine est visible dans les dernières paroles de Phèdre:

« Et le ciel et l'époux que ma présence outrage;

Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté,

Rend au jour qu'ils souillaient toute sa pureté.»

Mais les contraires ne peuvent point coexister car son amour est impossible, vu comme celui interdit de la belle-mère face à l'inceste ou comme celui de l'épouse face à la trahison envers son mari. Sa mort est la réponse de cette impossibilité et la jette dans l'obscurité de son action,

« si noire

Que ne peut avec elle expirer la mémoire!»

Phèdre a été composé en 1677. Elle est écrite en vers et comprend cinq actes.

L'acte premier, composé de cinq scènes, nous présente les personnages et l'intrigue. L'action se déroule dans la ville de Trézène, le roi de laquelle est Thésée. Celui-ci est absent depuis quelque temps et son fils, Hippolyte, décide d'aller à sa recherche. Il annonce sa décision à son précepteur, Théramène.

On apprend aussi que Hippolyte veut fuir Aricie, une jeune fille appartenant à la famille de Pallantides et seule survivante transformée en esclave du massacre de Thésée.

La scène suivante nous présente Phèdre, la seconde épouse de Thésée et sa nourrice et confidente, Oenone. L'on apprend après que Phèdre est atteinte d'un mal inconnu qui l’empêche de se nourrir et la pousse vers une mort lente, mais certaine. Oenone, qui s'inquiète pour sa maîtresse, réussit à arracher le secret de cette dernière. Elle avoue sa passion pour Hippolyte, son beau-fils, le fils de son mari, Thésée, que celui a eu de son premier mariage.

Elle avoue aussi tous ses essaies afin de s'arracher à cet amour coupable, pour ne pas céder à sa passion, l'écartement du jeune homme entre autres, mais tous les efforts ont été en vain, car le sentiment restait le même et Phèdre se laisser elle aussi mourir en conséquence de cet amour impossible et ignoble aux yeux de tous, même aux siens.

Dans la quatrième scène, la mort de Thésée, le mari de Phèdre nous est apporté par un messager. Le dilemme de Phèdre semble résolu, car la mort de son mari rend son amour moins coupable qu'il ne l'était.

A part cela, un autre problème se pose, celui de la succession sur le trône de Trézène et d'Athènes. Dans ce sens c'est Oenone qui convainc Phèdre de défendre les droits de ses enfants au trône et elle accepte.

L'acte deuxième commence par nous présenter Aricie, qui avoue son amour pour le fils du roi Thésée à sa confidente, Ismène. Hippolyte est reconnu roi à la place de son père que tout le monde croyait mort.

Dans la scène suivante Hippolyte fait preuve de son amour pour Aricie en lui offrant la couronne d'Athènes. Il songe à exiler Phèdre, sa belle-mère, et le fils de celle-ci en Crète, en gardant pour lui le trône de Trézène.

La scène troisième se déroule avec l'avoue d'Aricie, qui déclare son amour à Hippolyte et ce dernier apprend que Phèdre désire le voir.

Les scènes quatre et cinq comprennent la rencontre entre Phèdre et Hippolyte. Phèdre, tout en essayant de montrer l'amour qu'elle a pour son père, Thésée, finit par lui avouer la passion qu'elle ressent pour lui. Le jeune homme est accablé par l'horreur face à cette déclaration d'amour de la part de sa belle-mère et la repousse, mais Phèdre arrache son épée et essaie de se transpercer avec, mais elle est entraînée par Oenone, qui réussit à l'en empêcher.

Dans la dernière scène de l'acte deux le file de Phèdre est reconnu comme roi par la ville d'Athènes. En même temps il commence à courir le bruit que le roi Thésée n'est pas mort.

L'acte troisième débute dans la première scène par les pensées de Phèdre, qui n'a pas complètement perdu l'espoir et envisage de conquérir Hippolyte en lui offrant le trône d'Athènes. Elle se voit en droit d'aimer son beau-fils, droit donné par la disparition de son mari.

La scène suivante nous présente une Phèdre repentie, qui implore l'aide de la déesse Vénus.

La troisième scène vient nous annoncer la nouvelle qui pousse Phèdre encore une fois vers le désir de la mort. Elle apprend que son mari est vivant et dans son désespoir, Oenone vient avec l'idée de faire exiler Hippolyte, en l'accusant d'impiété envers elle, sa belle-mère. Phèdre accepte la suggestion de sa nourrice.

Les scènes quatre et cinq nous présente un Thésée désireux de montrer son affection envers sa femme, Phèdre, mais celle-ci refuse toute manifestation de tendresse. Le roi en est étonné et devient méfiant. En même temps, son fils, Hippolyte, lui annonce son intention de quitter Trézène, ce qui le rend encore plus méfiant.

La dernière scène de cet acte nous montre un Hippolyte troublé par la crainte de voir Phèdre avouer sa passion et le respect qu'il a pour son père.

L'acte suivant commence par la scène où Oenone, en ayant calomnié Hippolyte auprès de son père, pousse Thésée dans une colère affreuse et il finit par maudire son fils, en demandant à Neptune sa perdition.

Dans les scènes deuxième et troisième Thésée interroge son fils. Hippolyte lui avoue son amour pour Aricie, mais Thésée refuse de le croire et l’abandonne aux fureurs de Neptune.

Dans la scène suivante Phèdre apprend l'amour de Hippolyte pour Aricie, et renonce à le défendre devant son père, rongée par la jalousie et la haine.

La dernière scène de cet acte nous montre encore une fois Phèdre en proie du désespoir et du désir de mourir. Oenone, sa confidente, essaie de la faire réagir, en lui disant de consentir à cet amour, ce qui détermine Phèdre à la maudire.

L'acte dernier de cette tragédie commence par la fuite d'Hippolyte. Il demande à Aricie de le suivre pour consacrer leurs fiançailles devant les dieux.

Dans la scène deuxième Aricie, avec l'aide d'Isemène, prépare sa fuite.

Le roi apprend par la bouche d'Aricie l'amour que son fils a pour celle-ci et ses doutes le poussent à l'insulter. Aricie, offensée par la conduite de Thésée, lui laisse deviner le mystère et le prévient contre l'injustice qu'il est en train de commettre.

Thésée cherche à revoir Oenone, mais elle s'est noyée. Phèdre veut encore une fois mourir.

Dans la sixième scène le roi apprend avec horreur la mort terrible de son fils, qui a été traîné par son attelage sur les rochers, dû au frayeur provoquée par un monstre marin.

La tragédie finit dans cette septième scène du cinquième acte où Phèdre, après s'être empoissonnée et dans l'attente de sa mort inévitable, avoue tout devant le roi, son mari. Celui-ci décide d'adopter Aricie.

Chapitre I Les sources de Phèdre et son aspect tragique

Dans la préface de sa pièce, Racine indiquait ce ou celui qui l'avait inspiré:

«Voici encore une tragédie dont le sujet est pris d'Euripide. Quoique j'aie suivi une route un peu différente de celle de cet auteur pour la conduite de I'action, je n'ai pas laissé d'enrichir ma pièce de tout ce qui m'a paru plus éclatant dans la sienne. Quand je ne lui devrais que la seule idée du caractère de Phèdre, je pourrais dire que je lui dois ce que j'ai peut-être mis de plus raisonnable sur le théâtre.»

L'inspiration grecque y est présente, en effet. Il ne faut pas pourtant ne pas remarquer des différences entre la pièce qu'Euripide avait composée avant Racine, notamment vis à vis du héros, Hippolyte, qui, dans la pièce du dramaturge grecque, est monté par une fierté agressive et qui chez Racine est beaucoup moins orgueilleux et plus sensible aux événements.

Aussi chez les dramaturges grecques, ici Euripide, un des éléments présents dans leurs créations c'était l'influence des dieux sur le destin des personnages. L'amour de Phèdre a été conçu ainsi, par une vengeance de la déesse Aphrodite qui condamne Phèdre à cette passion maudite dont elle n'arrivera pas à s'échapper et tombera victime.

Racine s'est inspiré de la tragédie grecque dans le sens où il a adapté celle-ci et il en a même reproduit des passages. Il y a des vers chez Racine qu'il a transcrits d'Euripide. Mais il a effectué des changements dans l'action et la conduite des personnages, notamment celle d'Hippolyte, car chez Racine il se tait par respect envers son père et non par la peommesse qu'il avait faite à Eonone, chez Euripide. Il a certainement placé les événements pour son époque et a traduit sa perspective à travers eux.

Le dramaturge s'est aussi inspiré d'autres auteurs, surtout Sénéque, pour les passages qui ne sont pas inspirés d'Euripide, car ce dernier avait adapté sa version plus dans le sens de la passion des humains que du sacré, ce qui convenait à Racine.

Ceci ne signifie pas que Racine se soit contenté d'imiter. Chez lui l'importance du personnage de Phèdre est plus que évident. Si, au début, il avait songé à un autre titre, «Phèdre et Hippolyte», il a fini pas laisser seulement le nom de l'héroïne, ce qui montre le poids de ce personnage et le fait qu'elle est analysée plus profondément. Racine l'a crée avec plus de crédibilité, déchirée entre sa conscience et sa passion incontrôlable et coupable, en lui attribuant une nouvelle complexité.

Il en résulte comme finalité un œuvre originale, car, à part l'inspiration, il a réussi à ajouter des dimensions inattendues. Sa Phèdre comprend à la fois son côté primitif et un autre de tendresse et ses inspirations sont imprégnées par sa vision personnelle sur l'être humain.

Dans sa pièce la passion et la conscience humaine s'affronte d'une façon violente et avec énormément d'intensité.

L'aspect tragique de l’œuvre est donné premièrement par rapport aux trois règles de la tragédie classique.

L'unité de l'action est respectée malgré la présence de l'intrigue politique, car celle-ci sombre dans la première. Un théoricien du théâtre du XVIIe siècle affirmait dans ce sens:

La seconde histoire ne doit pas être égale, en son sujet non plus qu’en sa nécessité, à celle qui sert de fondement à tout le poème, mais bien lui être subordonnée et en dépendre de telle sorte que les évènements du principal sujet fassent naître les passions de l’épisode et que la catastrophe du premier produise naturellement et de soi-même celle du second.» ( L'abbé d'Aubignac, ‘’Pratique du théâtre’’).

Tous les personnages transforment cette possible deuxième intrigue en une qui à affaire avec leurs sentiments, car Phèdre est prête à déposséder son fils du trône par l'amour qu'elle porte à Hippolyte et dans un essaie de conquérir son cœur, et Hippolyte, à son tour, veut offrir le trône d'Athènes à Aricie parce qu'il l'aime.

L'unité de temps est aussi bien respectée. Il s'agit de l'étendue de l'action qui devrait se rapprocher de la durée réelle de la représentation et qui ne dépasse pas vingt-quatre heures. L'intrigue avance vite, car la décision de Phèdre de mettre fin à ses jours se déroule avec quelques intermittences afin de se produire, car elle croit à la fausse nouvelle de la mort de son mari et en profite sur le champs, ne s'accordant pas le délai de faire son deuil.

Enfin, l'unité de lieu est respectée, car l'espace est bien limité, en donnant même l'impression d'enfermement. Il est précisé au début de la pièce que la scène se déroule à Trézène, ville de Péloponnèse. L'on se rend compte plus loin que l'action se passe, en fait, dans le palais de Trézène.

La tragédie mythologique est pourtant transformée en un drame humain, car les personnages se détestent par des raisons terrestres. Aricie déteste le tyran qui a massacré sa famille et l'a transformée en esclave. Elle est, à son tour, enviée par Phèdre pour sa jeunesse et son probable pouvoir pour 'instant détruit par Thésée, avant même d'avoir découvert en elle sa rivale. Hippolyte est, par son rang, l'ennemi qui menace les fils de Phèdre par sa succession au trône. Voilà donc des drames humains qui se déroule sous le toit du palais lugubre de Trézène..

D'après Fénelon, l'unité de l'intrigue ne serait pas respectée, car l'auteur a ajouté au personnage d'Hippolyte le côté amoureux. Mais ce couple, Hippolyte-Aricie s'oppose à la solitude de Phèdre, en mettant en valeur, par la pureté des sentiments, la monstruosité de ceux de Phèdre.

Le déroulement de la pièce soutient cette hypothèse, car pendant que Hippolyte avoue son amour tendre et normal, Phèdre avoue à sa nourrice une passion maladive et impossible.

Le personnage de Thésée rend plausible le spectacle, par son absence et par son retour qui suit. L'intrigue s'ordonne autour de lui, quand il est absent il rend possibles les aveux des amoureux. C'est donc la fausse nouvelle de sa mort qui fait progresser l'histoire. Hippolyte et Aricie se jure une affection mutuelle, tandis que Phèdre scandalise Hippolyte par son amour furieux et déplacé.

À la retour de Thésée, tout le dessin dramatique change radicalement. Oenone calomnie Hipployte, et Phèdre la laisse faire, ce qui déclenche la rage du roi et il maudit son fils, en le livrant à Neptune. L'action prend un nouveau tournant à la fin, quand Thésée apprendra la vérité, il accable Phèdre, réhabilite son fils et adopte Aricie.

Donc, la marche des événements est commandée par l'absence et le retour du roi. Les coups de théâtre, par contre, ont comme but la progression psychologique et la révélation de l'âme de Phèdre, graduellement.

Au début, se croyant veuve, Phèdre dévoile son amour désastreux pour son beau-fils. Au retour de son mari, elle devient passive et laisse agir Oenone. Un moment son équilibre semble retrouvé, ce qui la fait retrouver elle aussi le sens de l'honneur. Encore une fois, son équilibre psychique est secoué, quand son mari lui dévoile l'amour d'Hipplyte pour une autre femme et elle est prise par la jalousie. Après avoir appris la mort de sa nourrice et celle de celui qu'elle adore jusqu'à la folie, elle se repent et se tue. C'est donc l'évolution de sa folie amoureuse qui détermine la démarche tragique et donne du rythme et de la cohérence à l'ensemble.

Chapitre II Les héros romanesques

2.1. Thésée, le héros guerrier

L'image de Thésée est construite par Racine avec beaucoup de délicatesse. Son fils Hippolyte le vénère pour se exploits et aussi le juge pour ses dérèglements. On retrouve plusieurs aspects de ce personnage. Il est en même temps un dompteurs de monstres et un bourreau des cœurs, un époux éloigné de sa femme, un père offensé et puis repentant.

Il n'est point parfait, pourtant. L'image qui s'impose est aussi celle de l'amant qui séduit et abandonne des princesses, ce qui n'empêche pas son fils de l'aimer et apprécier.

«HIPPOLYTE

Cher Théramène, arrête ; et respecte Thésée.

De ses jeunes erreurs désormais revenu,

Par un indigne obstacle il n’est point retenu ;

Et, fixant de ses voeux l’inconstance fatale,

Phèdre depuis longtemps ne craint plus de rivale.»

(acte premier)

Il s'est enfin reposé sur la fidélité et c'est alors, d'après un schéma comique traditionnelle, qu'il se retrouve mari trompé.

Thésée n'est point ridicule ou odieux, malgré ses défauts, car l'image du guerrier dépasse celle de l'homme imparfait. Il plaît car il est audacieux et parce qu'il a tellement besoin de tendresse. Après des aventures guerrières, il est de retour, un héros devenu homme, content de retrouver sa famille, sa femme, son fils et son foyer.

Son retour est celui d'un vrai héros. Mais sa chute en est pareil. Conscient des faiblesse humaines, car lui aussi il les a ressenties, il croit les calomnies d'Oenone et cède à ses impulsion de père autoritaire, trahi par son propre fils.

« THÉSÉE

Ah ! qu’est-ce que j’entends ? Un traître, un téméraire

Préparait cet outrage à l’honneur de son père ?

Avec quelle rigueur, Destin, tu me poursuis !

Je ne sais où je vais, je ne sais où je suis.

O tendresse ! ô bonté trop mal récompensée !

Projet audacieux ! détestable pensée !

Pour parvenir au but de ses noires amours,

L’insolent de la force empruntait le secours.

J’ai reconnu le fer, instrument de sa rage,

Ce fer dont je l’armai pour un plus noble usage.

Tous les liens du sang n’ont pu le retenir !

Et Phèdre différait à le faire punir !

Le silence de Phèdre épargnait le coupable !»

(acte IV, scène première)

La douleur de Thésée est sans mesure quand il se croit trahi, lorsqu'il voit sa tranquillité ruinée. À l'époque, en 1677, l'image de guerrier invincible plaisait aux spectateurs, une image de l'amant comblé qui aspire au repos et juste à ce moment-là il tombe dans le malheur et le désespoir suite à la volonté des dieux, ici Vénus.

Ses actes sont terribles. Il veut sauver son honneur, mais en revanche il le compromet à jamais. Il veut faire justice, mais il commet une grave injustice, en maudissant son fils et demandant son dépérissement.

«THÉSÉE

Perfide, oses-tu bien te montrer devant moi ?

Monstre, qu’a trop longtemps épargné le tonnerre,

Reste impur des brigands dont j’ai purgé la terre.

Après que le transport d’un amour plein d’horreur

Jusqu’au lit de ton père a porté ta fureur,

Tu m’oses présenter une tête ennemie,

Tu parais dans des lieux pleins de ton infamie,

Et ne vas pas chercher, sous un ciel inconnu,

Des pays où mon nomme soit point parvenu.

Fuis, traître. Ne viens point braver ici ma haine,

Et tenter un courroux que je retiens à peine.

C’est bien assez pour moi de l’opprobre éternel

D’avoir pu mettre au jour un fils si criminel,

Sans que ta mort encor, honteuse à ma mémoire,

De mes nobles travaux vienne souiller la gloire.

Fuis ; et, si tu ne veux qu’un châtiment soudain

T’ajoute aux scélérats qu’a punis cette main,

Prends garde que jamais l’astre qui nous éclaire

Ne te voie en ces lieux mettre un pied téméraire.

Fuis, dis-je ; et sans retour précipitant tes pas,

De ton horrible aspect purge tous mes Etats.

Et toi, Neptune, et toi, si jadis mon courage

D’infâmes assassins nettoya ton rivage

Souviens-toi que, pour prix de mes efforts heureux,

Tu promis d’exaucer le premier de mes vœux.

Dans les longues rigueurs d’une prison cruelle

Je n’ai point imploré ta puissance immortelle ;

Avare du secours que j’attends de tes soins,

Mes vœux t’ont réservé pour de plus grands besoins :

Je t’implore aujourd’hui. Venge un malheureux père ;

J’abandonne ce traître à toute ta colère ;

Etouffe dans son sang ses désirs effrontés :

Thésée à tes fureurs connaîtra tes bontés.»

(acte IV, scène 2)

Malgré ses erreurs plus que évidentes, personne ne lui reproche rien après la mort d'Hippolyte. Il s'en accuse lui-même, pourtant, tout en exhalant sa douleur de victime de Phèdre et des dieux. En effet, la seconde partie du texte présente ses deux derniers comme coupables de la mort d'Hipployte, un innocent.

Ainsi Thésée, le héros par définition, le père de famille, l'amant irrésistible, devient la victime de se propres actes, un peu comme Œdipe. Toujours comme lui, il se découvre criminel au terme de son entreprise justicière.

Pour la fin, Racine reste fidèle à Euripide. Celui-ci montrait la réconciliation du père et du fils mourant qui lui pardonnait. En apprenant la mort d'Hippolyte, il crie sa douleur, même si cela tient la place d'un soulagement et d'une consolation morale destinée au public. Pourtant les derniers vers lui confèrent l'image du père protecteur, en adoptant Aricie.

« THÉSÉE

O mon fils ! cher espoir que je me suis ravi !

Inexorables dieux, qui m’avez trop servi !

A quels mortels regrets ma vie est réservée !

………………………………………………………………

D’une action si noire

Que ne peut avec elle expirer la mémoire !

Allons, de mon erreur, hélas ! trop éclaircis,

Mêler nos pleurs au sang de mon malheureux fils

Allons de ce cher fils embrasser ce qui reste,

Expier la fureur d’un vœu que je déteste :

Rendons-lui les honneurs qu’il a trop mérités ;

Et, pour mieux apaiser ses mânes irrités,

Que, malgré les complots d’une injuste famille,

Son amante aujourd’hui me tienne lieu de fille ! »

(acte V, scène finale)

2.2. Hippolyte, le prince charmant

« PHÈDRE

Tu connais ce fils de l’Amazone,

Ce prince si longtemps par moi-même opprimé ? »

(acte I, scène 3)

« Racine nous donne à la place du véritable Hippolyte un prince fort bien élevé, fort poli, observant toutes les convenances, rempli de sentiments honnêtes, respectueusement amoureux, mais du reste insignifiant, sans élan, sans originalité». Voilà ce qu'écrivait A.W. Schlegel dans son œuvre « Comparaison entre la Phèdre de Racine et celle d'Euripide» en 1807.

Cela n'a pas empêché les spectateurs d’apprécier et d'aimer ce personnage. Car l'Hippolyte de Racine était premièrement l'amoureux, ce qui plaît aux spectateurs, surtout à ceux de la cour. Il représentait l'homme qui met au-dessus de tout son amour pour une femme qui lui était, en fait, interdite. Cela était un peu l'histoire de Roméo et Juliette.

D'un côté, l'on peut dire qu'Hippolyte est un jeune homme modeste et respectueux, un peu timide même. Mais il est en même temps fier et orgueilleux, trop pur en apparence pour être l'esclave de l'amour.

« ARICIE

L’insensible Hippolyte est-il connu de toi ?

Sur quel frivole espoir penses-tu qu’il me plaigne,

Et respecte en moi seule un sexe qu’il dédaigne ?

Tu vois depuis quel temps il évite nos pas,

Et cherche tous les lieux où nous ne sommes pas. »

(acte II, scène première)

Il est pourtant séduit par Aricie, celle qui lui était interdite et devant laquelle il devient l'esclave de ses sentiments. Il prend son amour par une punition des dieux contre sa fierté et son orgueil.

« HIPPOLYTE

Moi, vous haïr, madame!

Avec quelques couleurs qu’on ait peint ma fierté,

Croit-on que dans ses flancs un monstrem’ait porté ?

Quelles sauvages moeurs, quelle haine endurcie

Pourrait, en vous voyant, n’être point adoucie ?

Ai-je pu résister au charme décevant…

………………………………………………………..

Aux fers de ses captifs ai longtemps insulté ;

Qui, des faibles mortels déplorant les naufrages,

Pensais toujours du bord contempler les orages ;

Asservi maintenant sous la commune loi,

Par quel troubleme vois-je emporté loin de moi ;

Unmoment a vaincu mon audace imprudente,

Cette âme si superbe est efin dépendante.

Depuis près de six mois, honteux, désespéré,

Portant partout le trait dont je suis déchiré,

Contre vous, contre moi, vainement jem’éprouve :

Présente, je vous fuis ; absente, je vous trouve ;

Dans le fond des forêts votre image me suit ;

………………………………………………………

D’un coeur qui s’offre à vous quel farouche entretien !

Quel étrange captif pour un si beau lien !

Mais l’offrande à vos yeux en doit être plus chère :

Songez que je vous parle une langue étrangère,

Et ne rejetez pas des voeux mal exprimés,

Qu’Hippolyte sans vous n’aurait jamais formés. »

(acte II, scène 2)

Si son amour pour Aricie est admirable et que son âme reste pur, il est confronté à une autre passion, celle de Phèdre, qui, totalement opposé à ce qu'il ressent pour Aricie par la violence et la scandaleuse circonstance dont il est né. Il est forcé d'apprendre la puissance du sentiment amoureux et en tombe victime, car il va être calomnié et maudit par son propre père et il va lui coûter sa vie.

Racine avait avoué à propos du personnage d'Hippolyte dans sa préface: « J'ai cru devoir lui donner quelque faiblesse qui le rendait un peu coupable envers son père». Il l'avait donc rendu amoureux d'Aricie, celle qui avait été condamnée par Thésée au célibat, car seule survivante d'une famille dont il avait juré l'extinction et parce que la mort d'un jeune homme « exempt de toute imperfection » aurait causé « beaucoup plus d'indignation que de pitié ».

Dans le texte, cet interdit est expliqué une seule fois et même Thésée n'insiste pas sur cet aspect quand il apprend la liaison de son fils avec Aricie.

L'amour d'Hippolyte pour elle, loin de le montrer dans une lumière de faiblesse, le rend plus humain. Ce qui ne gâche pas son grandeur d'âme, car il n'est pas capable d'accepter une conduite qui soit contraire son devoir. Pour cela, devant la passion de Phèdre pour lui, il n'est même pas pour un instant fier d'avoir éveiller dans le cœur d'une femme un tel amour, même coupable ou d'autant plus impossible, mais il oppose une attitude inflexible et dégoûtée par le sentiment que sa belle-mère éprouve envers lui.

« HIPPOLYTE

Madame, pardonnez ; j’avoue, en rougissant,

Que j’accusais à tort un discours innocent.

Ma honte ne peut plus soutenir votre vue ;

Et je vais…

…………………………………

HIPPOLYTE

Théramène, fuyons.Ma surprise est extrême.

Je ne puis sans horreur me regarder moi-même.

Phèdre…Mais non, grands dieux ! qu’en un profond oubli

Cet horrible secret demeure enseveli ! »

(acte II, scène 5 et 6)

Aussi bien que la fin de la pièce ne change rien et lui apporte le mérite d'un être pur et fort. Car il tombe victime de son inflexibilité et de son fort caractère, conséquence de la passion criminelle de Phèdre et des calomnies inventées par elle et par sa nourrice pour essayer de la cacher. Dans ce sens, Jean-Louis Barrault avait affirmé: « chassé et maudit par son père, il ne s'abandonne pas, ne songe pas au suicide. Le monde est là, qui va lui appartenir. Il va enlever Aricie. C'est un homme » .

Il accepte l'exil et même la malédiction paternelle et demande à la femme qu'il aime de faire pareil. Il fait confiance aux dieux pour défendre l'innocence et la vérité. Il veut que son union avec Aricie soit légitime devant eux:

« Fuyez vos ennemis, et suivez votre époux.

Libres dans nos malheurs, puisque le ciel l’ordonne,

Le don de notre foi ne dépend de personne.

L’hymen n’est point toujours entouré de flambeaux.

Aux portes de Trézène et parmi ces tombeaux,

Des princes de ma race, antiques sépultures,

Est un temple sacré formidable aux parjures.

C’est là que les mortels n’osent jurer en vain :

Le perfide y reçoit un châtiment soudain ;

Et, craignant d’y trouver la mort inévitable,

Le mensonge n’a point de frein plus redoutable.

Là, si vous m’en croyez, d’un amour éternel

Nous irons confirmer le serment solennel ;

Nous prendrons à témoin le dieu qu’on y revère ;

Nous le prierons tous deux de nous servir de père.

Des dieux les plus sacrés j’attesterai le nom,

Et la chaste Diane, et l’auguste Junon,

Et tous les dieux enfin, témoins de mes tendresses,

Garantiront la foi de mes saintes promesses. »

(Hippolyte, acte V, scène première)

En tant que fils d'un héros, il se prouve digne de ce titre, car il affronte seul, en une lutte terrible, le monstre marin que Neptune lui avait destiné. Mais il devient la victime de cette tragédie, en être noble qui voit sa fin comme conséquence de la volonté des dieux, oubliant pourtant les responsabilités de Phèdre et de son père dans sa mort.

La situation d'Hippolyte montre quand-même la puissance du sentiment amoureux contre lequel la volonté humaine ne peut rien et dont il tombe victime. Car lui aussi avait cédé à l'amour interdit, en tombant amoureux d'Aricie. Il est le complémentaire de Phèdre, et c'est pour cela que Racine avait hésité au début vis à vis du titre de son tragédie, songeant à « Phèdre et Hippolyte » comme intitulée.

2.3. Aricie, la princesse captive

Aricie a été crée par Racine lui-même. D'habitude chez lui l'amour n'était pas partagé, mais ici, quoique possible entre les deux jeunes gens, il est empêché par un obstacle extérieur, voire par Phèdre.

Il s'agit d'une princesse appartenant à une branche condamnée de la famille régnante, qui, d'abord rebelle à l'amour, y cède, en tombant amoureuse d'Hippolyte, le fils de celui qui l'avait rendue orpheline, en la condamnant aussi au célibat.

Aricie est une jeune fille innocente, vouée à un amour en apparence impossible, mais rendu réel par l'amour d'Hippolyte pour elle. Cet amour chaste et pur vient contraster avec la passion violente de Phèdre, l'amour destructrice par définition.

Il y a bien des critiques qui voyaient en Aricie un personnage pâle et peu intéressant. Dans « Les deux visages de Racine », Thierry Maulnier la décrit d'une manière sévère, en affirmant qu'elle est une « chaste victime du parfait mélodrame », et que, en proposant la fuite à Hippolyte, elle débite des « niaiseries » que aucun autre personnage féminin du théâtre racinien n'a jamais exprimées. Elle est vu aussi par d'autres critiques dans une lumière peu favorable.

Voltaire, dans son « Dictionnaire philosophique », écrivait vis à vis du personnage d'Aricie: « Croirait-on qu'on peut, entre une reine incestueuse et un père qui devient parricide, introduire une jeune amoureuse (…) mettant sa gloire à triompher de l'austérité d'un homme qui n'a jamais aimé »?

Leur amour se manifeste au début timidement, par des aveux faits à leurs confidents, Hippolyte à Théramène, Aricie à Ismène. En fait, c'est Ismène qui dévoile les regards d'Hippolyte pour Aricie et ce qu'ils pourraient cacher:

« Dés vos premiers regards je l'ai vu se confondre.

Ses yeux, qui vainement voulaient vous éviter,

Déjà pleins de langueur, ne pouvaient vous quitter.

Le nom d'amant peut-être offense son courage;

Mais il en les yeux, s'il n'en a le langage ».

(acte II, scène première)

Malgré les apparences, Aricie n'est pas tout simplement une poupée sensible et fragile. Elle sait ce qu'elle veut et n'a pas peur de dire les choses.

« Mes yeux alors, mes yeux n'avait pas vu son fils.

Non que par les yeux seuls lâchement enchantée,

J'aime en lui sa beauté, sa grâce tant vantée,

Présents dont la nature a voulu l'honorer,

Qu'il méprise lui-même, et qu'il semble ignorer.

J'aime, je prise en lui de plus nobles richesses,

Les vertus de son père, et non point les faiblesses.

J'aime, je l'avoûrai, cet orgueil généreux

Qui jamais n'a fléchi sous je joug amoureux.

Phèdre en vain s'honorait des soupirs de Thésée :

Pour moi, je suis plus fière, et fuis la gloire aisée

D'arracher un hommage à mille autres offert,

Et d'entrer dans un cœur de toutes parts ouvert.

Mais de faire fléchir un courage inflexible,

De porter la douleur dans une âme insensible,

D'enchaîner un captif de ses fers étonné…»

(acte II, scène première)

Elle méprise donc les amours trop faciles et possède bien de l'ambition, en aspirant à conquérir un cœur rebelle. Il y a deux côtés dans ce personnage en apparence simple, mais complexe en essence. Car si Aricie est une vierge pure et fragile, elle est en même temps ambitieuse et prête à des gestes audacieux afin d'obtenir ce qu'elle veut. Dans le dialogue qu'elle a avec Thésée, elle lui tient tête, en démontrant son côté fier, digne d'une fille de la famille des Pallantides.

Elle se rebelle devant l'injustice et ose défier les dieux. Fière d'avoir pu toucher le héros insensible, elle aime cependant les situations claires, accepte l'enlèvement à condition qu'il finisse dans un mariage.

La passion d'Hippolyte et d'Aricie ressemble des fois à l'amour courtois, car elle est partagée et impérieuse, mais s'impose des contraintes. L'on retrouve aussi de petits jeux à la Marivaux, entre deux amoureux timides qui n'osent pas vraiment s'avouer le sentiment, mais qui découvrent avec étonnement l'amour qui naît presque à leur insu. Mais cette passion prend une dimension tragique et aboutit dans la mort, mais seulement de l'un d'entre eux. Car Aricie en sort victorieuse à la fin, devenant la pupille du roi et libre, mais en perdant l'homme qu'elle aimait.

Malgré l'avis plutôt négatif des critiques vis à vis de la figure d'Aricie, le public a aimé le couple de jeunes gens amoureux. Les deux séduisent par leur pureté et leur innocence, car ils s'aiment en dépit de l'hostilité des hommes et des dieux.

Chapitre III

Les multiples visages de Phèdre

Dès son apparition sur la scène, Phèdre représente la femme. Avant de la juger et de découvrir ses multiples visages, sa culpabilité et ses torts, l'on voit tout simplement en femme amoureuse, dévastée par la puissance de son sentiment. Ses apparitions dans la pièce ne sont pas nombreuses, mais constituent tout le drame.

Paul Valéry écrivait dans « Variété »: « Tous ne vivent que le temps d'exciter les ardeurs et les fureurs, les remords et les transes d'une femme » à propos des autres personnages qui, auprès de Phèdre, semblent insipides.

Il s'agit d'un être complexe et ambigu, qui nous provoque des réactions diverses. Car on la plaint, en la voyant déchirée par une passion à laquelle elle ne peut pas s'arracher, femme malheureuse car coupable d'un amour envers son beau-fils, victime de ses passions au-dessus de sa volonté et l'on n'est même pas sûrs de devoir la haïr ou la plaindre, car si les dieux sont ceux qui l'empêchent d'apaiser son ressenti, qui a-t-il à juger?

L'on va s'occuper des aspects complexes de ce personnage, en analysant aussi du point de vue psychologique de ses traits dans trois sous-chapitres qui vont la dévisager en tant que femme amoureuse, reine adultère et personnage tragique.

3.1. La femme amoureuse

Chaque apparition nous montre un visage différent de Phèdre. L'on sait qu'il s'agit de la femme du roi, donc de la reine. Elle est située clairement dans un rang qui impose et qui demande d'elle une conduite ferme et digne. En même temps, son rang signifie l'omnipotence, car elle peut disposer des vies de ceux qui l'entourent. Elle détient donc le pouvoir. L'on apprend après la nouvelle de la mort de son mari, ce qui provoque un sentiment de sympathie envers la veuve du roi. Elle est mère, elle a aussi eu le privilège d'avoir connu et développé l'instinct maternel.

L'on se trouve devant une femme accomplie et mûre, pleine de qualités, car aimée par Thésée, le roi qui avait été un Don Juan dans ses années de jeunesse. Voilà un petit portait initial qui aurait pu suffir pour dresser l'image d'un personnage féminin dans une pièce.

Dans la troisième scène du premier acte, Phèdre fait une apparition incandescente. Elle se dévoile en malade, au bout de souffle. La cause ne tarde pas de nous être expliquée, car poussée par sa nourrice et confidente, elle crache les mots comme s'ils n'attendaient qu'à sortir pour expliquer le mal qui la dévore. Car elle semble vivre dans un délire, ses paroles n'ayant pas de sens devant quelqu'un qui ignore ce que se passe dans son âme.

« Noble et brillant auteur d'une triste famille,

Toi, dont ma mère osait se vanter d'être fille,

Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois,

Soleil, je te viens voir pour la dernière fois. »

(acte premier, scène 3)

Ses ressentis la poussent envers la mort, un désir qui ne paraît pas avoir d'explication. Elle met en scène ce désir devant les spectateurs éblouis, en cachant la raison de cette fatalité annoncée par sa propre bouche déjà au début de la pièce qui représente la mis en scène de la tragédie, de la fin inévitable, car il semble peu probable que cette histoire qui commence aussi terriblement aboutissent à une fin heureuse.

D'après la description de sa rencontre avec Hippolyte, dans le dialogue avec Oenone où elle avoue sa passion, le coup de foudre ressenti l'avait bouleversée entièrement, dans son corps et dans son esprit.

« PHÈDRE

Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;

Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;

Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;

Je sentis tout mon corps et transir et brûler ;

(acte premier, scène 5)

Dans cette description de ses sensations les plus fortes et profondes, au delà d'un aveu, il s'agit d'un récit spectaculaire d'un amour d'exception, car dans ses mots passionnés l'on retrouve une folle fierté de pouvoir aimer à un point qui dépasse toute limite, imposée par les gens ou par leurs lois.

Dans le sens le plus ironique, la ferveur de son sentiment ne l'empêche pas à déchiffrer l'amour et d'en être lucide. Assez lucide pour savoir qu'il n'est pas possible ou permis et de supplier Vénus de l'épargner ou d'essayer, en vain, d'éloigner Hippolyte de la cour pour éloigner avec lui l'amour qui la dévorer.

Elle s'arrache donc ce terrible aveu, le criminel aveu de sa passion interdite et honteuse. Dans son cauchemar où elle semble perdue, ses hallucinations prennent vie et le contour de la vérité.

Phèdre sait qu'elle doit dire la vérité et pourtant prolonge le moment car en est consciente du drame que cela va provoquer. Une fois prononcées, les paroles et tout ce qu'elles apportent de funeste sont le déclencheur de la tragédie.

L'incohérence de ses états aboutit dans l'émouvante description de son amour pour Hippolyte, la passion terrible où elle assombrit depuis que les dieux, ici Vénus, l'avait punie. Sa conscience est toujours présente, car il ne s'agit pas de céder à cet amour affreux par la liaison de parenté entre elle et l'objet de son désir, mais de se repentir devant la force qui l'aveugle et l'empêche de vivre avec elle-même et ses remords.

« D’un incurable amour remèdes impuissants !

En vain sur les autels ma main brûlait l’encens :

Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,

J’adorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse,

Même au pied des autels que je faisais fumer,

J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer.

Je l’évitais partout. O comble de misère !

Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.

Contre moi-même enfin j’osai me révolter :

J’excitai mon courage à le persécuter.

Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,

J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;

Je pressai son exil ; et mes cris éternels

L’arrachèrent du sein et des bras paternels.

Je respirais, OEnone ; et, depuis son absence,

Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence ;

Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,

De son fatal hymen je cultivais les fruits.

Vaines précautions ! Cruelle destinée !

Par mon époux lui-même à Trézène amenée,

J’ai revu l’ennemi que j’avais éloigné :

Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.

Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :

C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.

J’ai conçu pour mon crime une juste terreur :

J’ai pris la vie en haine et ma flamme en horreur ;

Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire,

Et dérober au jour une flamme si noire :

Je n’ai pu soutenir tes larmes, tes combats :

Je t’ai tout avoué ; je ne m’en repens pas,

Pourvu que, de ma mort respectant les approches,

Tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches,

Et que tes vains secours cessent de rappeler

Un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler. »

(acte premier, scène 3)

La fausse nouvelle de la mort de Thésée, son mari, la ranime et, dans un délire plus réel cette fois, car elle devient consciente de la possibilité de vivre son amour moins odieux puisque son époux n'était plus vivant, elle se jette dans l'aveu envers Hippolyte, mais celui-ci la rejette, horripilé.

Encore une fois, Phèdre est dévastée par le désir de mourir par la main de celui qu'elle aime et qui ne l'aime point.

« Venge-toi, punis-moi d’un odieux amour :

Digne fils du héros qui t’a donné le jour,

Délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.

La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte !

Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t’échapper ;

Voilà mon cœur : c’est là que ta main doit frapper.

Impatient déjà d’expier son offense,

Au-devant de ton bras je le sens qui s’avance.

Frappe : ou si tu le crois indigne de tes coups,

Si ta haine m’envie un supplice si doux,

Ou si d’un sang trop vil ta main serait trempée,

Au défaut de ton bras prête-moi ton épée ;

Donne. »

(acte II, scène 5)

La reine incestueuse/ La femme adultère

Phèdre est sans doute, l'une des belles-mères les plus célèbres de la littérature, car en vouant à son beau-fils une adoration sans limite dans des circonstances épouvantables, elle devient la femme partagée entre deux hommes, père et fils, et cela fait la tragédie.

Elle est décrite comme la fille de Minos et de Pasiphaé. De ce point, l'en comprend déjà la dualité du personnage, situé entre les enfers et le soleil, et donc le déchirement entre l'honneur d'une souveraine, d'une reine et la passion d'une femme adultère est ainsi encore plus clairement mis en avant.

Sans doute, Phèdre est présentée surtout en femme amoureuse. En décrivant à Oenone sa rencontre avec Hippolyte et son amour pour lui, l'on remarque qu'il s'agit d'un coup de foudre. Mais Racine insistait sur l’inceste, en la présentant dans sa préface comme « engagée par sa destinée, et par la colère des dieux, dans une passion illégitime ».

Car sa passion a pour objet son beau-fils. Il s'agit donc non seulement d'un adultère, mais de quelque chose de plus grave encore, d'un interdit universel vis à vis des lois de la morale et de la civilisation. Même si il n'y a pas de parenté naturelle entre Phèdre et Hippolyte, le fait qu'il soit le fils de son mari impose sur tout autre chose.

Aussi dans le texte, les rapports entre Phèdre et Hippolyte sont présentés comme incestueux, ce qui s'impose comme fait réel, au delà de la liaison de sang inexistante, mais la culpabilité ne s'efface pas, car la loi universelle le dit ainsi.

« THÉSÉE

Pour parvenir au but de ses noires amours,

L’insolent de la force empruntait le secours.

J’ai reconnu le fer, instrument de sa rage,

Ce fer dont je l’armai pour un plus noble usage.

Tous les liens du sang n’ont pu le retenir !

(acte IV, scène première)

………………………………………………..

Faut-il que sur le front d’un profane adultère

Brille de la vertu le sacré caractère ?

Et ne devrait-on pas à des signes certains

Reconnaître le coeur des perfides humains ?

(acte IV, scène 2)

………………………….

HIPPOLYTE

Un jour seul ne fait point d’un mortel vertueux

Un perfide assassin, un lâche incestueux.

Elevé dans le sein d’une chaste héroïne

(acte IV, scène 2)

Madame de La Fayette avait raconté l'aveu que Racine avait fait à propos de sa démarche: « Dans une conversation, il soutint qu’un bon poète pouvait faire excuser les plus grands crimes. Il ajouta qu’il ne fallait que de la délicatesse d’esprit pour diminuer tellement l’horreur des crimes de Médée ou de Phèdre qu’on les rendrait aimables aux spectateurs. Comme on voulut le tourner en ridicule sur une opinion si extraordinaire, le dépit qu’il en eut le fit résoudre à entreprendre la tragédie de ‘’Phèdre’’».

Phèdre est, en effet, moins odieuse dans la version de Racine que dans les autres. Dans celle d'Euripide, elle accusait Hippolyte de viol, ce qui la rendait peu aimable au public et faisait d'elle un personnage plutôt à détester. Ici, au contraire, elle apparaît en femme tout simplement amoureuse, avec sa passion qui la rend coupable aux yeux de la loi et des gens, mais pour les lecteurs/ spectateurs elle suscite la pitié, car malgré l'objet de son amour, il s'agit pourtant d'une femme amoureuse et malheureuse que d'une odieuse prête à se venger pour ses propres caprices.

En tant que reine, l'aveu qu'elle fait à Hippolyte est d'autant plus terrible. Elle oublie son devoir et se laisse aller par la passion, une humiliation qu'elle accepte au nom de l'amour. C'est pour cela que le rejet qu'elle reçoit de la part d'Hippolyte la montre non seulement détestable, mais aussi ayant perdues les attributs de son rangs qu'elle regagnera plus jamais.

Séductrice repoussée par l'homme qu'elle désirait de tout son être, elle devient folle de jalousie et même si elle ne commet pas le crime absolu d'accuser Hippolyte de viol, comme chez Euripide, l'accusation mensongère d'avoir été la victime de ses désirs est aussi dangereuse pour la vie du jeune homme.

L'on peut affirmer que Phèdre est moins coupable de ne pas accuser Hippolyte de viol, mais seulement d'avoir oser la séduire, elle, la femme de son père, mais cela aux yeux des spectateurs, car pour le dénouement rien n'est changé. Hippolyte serait mort dans les deux cas, peut-être directement par la main de son père dans un premier cas, plus grave, mais il est toujours mort par sa colère, à l'aide du dieu Neptune.

C'est dans la dernière scène que Phèdre regagne sa fierté et se montre digne de son rang, en avouant ses torts et en se suicidant, en faisant ainsi preuve d'un courage absolu. Avec ce geste, la femme indigne qu'elle s'était montrée en tant qu'amoureuse est sauvée par son acte sublime qui lui accorde la rédemption.

L'héroïne tragique

L'on va analyser les étapes des états d'âme de Phèdre et le délire que les événements génère dans sa conduite.

« PHÈDRE

Eh bien ! à tes conseils je me laisse entraîner.

Vivons, si vers la vie on peut me ramener,

Et si l’amour d’un fils, en ce moment funeste,

De mes faibles esprits peut ranimer le reste.

(acte premier, dernière scène)

La fausse nouvelle de la mort de Thésée déclenche l'inévitable. Phèdre ne voit plus son amour comme interdit, car l'obstacle représenté par son mari n'existe plus. Son désir de mourir se transforme en un désir de vivre et pas seule, mais avec l'homme qu'elle aime. Animée par cette poussée d'envie de vivre, elle commet l’erreur fatal, celui d'avouer son amour à Hippolyte.

Après l'aveu et l’essaie de se tuer devant Hippolyte avec son épée, ce qui donne une dimension phallique à la scène, les sentiments de Phèdre changent encore une fois et, d'une façon singulière et explicable seulement par la force de la passion, Phèdre ne semble pas avoir perdu toute espoir. Elle s'explique à elle-même, en essayant de trouver des excuses pour la réaction de terrible rejet de la part d'Hippolyte dans le dialogue avec Oenone:

« PHÈDRE

Il n’est plus temps : il sait mes ardeurs insensées.

De l’austère pudeur les bornes sont passées :

J’ai déclaré ma honte aux yeux de mon vainqueur,

Et l’espoir malgré moi s’est glissé dans mon coeur.

Toi-même, rappelant ma force défaillante,

Et mon âme déjà sur mes lèvres errante,

Par tes conseils flatteurs tu m’as su ranimer :

Tu m’as fait entrevoir que je pouvais l’aimer.

OENONE

Hélas ! de vos malheurs innocente ou coupable,

De quoi pour vous sauver n’étais-je point capable ?

Mais si jamais l’offense irrita vos esprits,

Pouvez-vous d’un superbe oublier les mépris ?

Avec quels yeux cruels sa rigueur obstinée

Vous laissait à ses pieds peu s’en faut prosternée !

Que son farouche orgueil le rendait odieux !

Que Phèdre en ce moment n’avait-elle mes yeux ?

PHÈDRE

OEnone, il peut quitter cet orgueil qui te blesse ;

Nourri dans les forêts, il en a la rudesse.

Hippolyte, endurci par de sauvages lois,

Entend parler d’amour pour la première fois :

Peut-être sa surprise a causé son silence ;

Et nos plaintes peut-être ont trop de violence.

OENONE

Songez qu’une barbare en son sein l’a formé.

PHÈDRE

Quoique Scythe et barbare, elle a pourtant aimé.

OENONE

Il a pour tout le sexe une haine fatale. »

(acte II, scène première)

La nouvelle du retour de Thésée déclenche une vague de sensations en Phèdre à laquelle elle a du mal à tenir. Son amour-propre blessé par le refus dégoûté d'Hippolyte se trouve à l'égalité avec sa conscience coupable, d'autant plus qu'elle n'est pas sûre du silence du jeune homme.

Oenone arrive à la persuader de la nécessité d'un mensonge horrible afin d'éviter l'humiliation d'affronter les possibles accuses d'Hippolyte. L'amour de soi est tellement fort qu'il dépasse le sursaut de conscience et décide de calomnier l'objet de son désir pour s'en sortir de la situation crée par son propre aveu.

« PHÈDRE

Ah ! je vois Hippolyte ;

Dans ses yeux insolents, je vois ma perte écrite.

Fais ce que tu voudras, je m’abandonne à toi.

Dans le trouble où je suis, je ne puis rien pour moi.

…………………………………………

Seigneur, je viens à vous, pleine d’un juste effroi ;

Votre voix redoutable a passé jusqu’à moi :

Je crains qu’un prompt effet n’ait suivi la menace.

S’il en est temps encore, épargnez votre race,

Respectez votre sang ; j’ose vous en prier

Sauvez-moi de l’horreur de l’entendre crier ;

Ne me préparez point la douleur éternelle

De l’avoir fait répandre à la main paternelle. »

Car elle voit maintenant en Hippolyte non celui qu'elle aimait à un point où elle était capable de commettre la faute la plus grandes de toutes, mais celui qui pourrait attirer sa perdition. C'est pour cela que son jugement est aveuglé et sa conscience devient esclave de son amour-propre.

La voilà commettre un autre crime, poussée par la faiblesse et la crainte de tout perdre après avoir déjà perdu ce qui comptait pour elle, l'instinct de la vie et de sa propre défense est plus fort que ses remords.

Le dernier coup de grâce pour Phèdre, en qui le désir d'épargner Hippolyte se mêlait à celui de sa propre perte, au moment où elle essayait de sauver la vie du jeune homme sans pour cela se mettre elle dans la position de menteuse et adultérine, est représenté par la nouvelle de l'amour d'Hippolyte pour Aricie. Cela déclenche en elle une jalousie féroce, celle d'une femme qui préfère tuer l'homme qu'elle aimait plutôt que de le perdre.

En ce moment Phèdre devient entièrement l'héroïne coupable, mais cette culpabilité n'élimine point la pitié qu'elle suscite, sinon même le pardon. Car, en plus d'avoir été rejetée avec répulsion par l'homme qu'elle adorait à la folie, elle se voit devant une rivale qui detient cet amour pour lequel elle s'était perdue elle-même.

La réaction qu'elle a c'est celle de la femme éblouie par la douleur, qui faire faire souffrir ceux qui l'ont faite souffrir elle. Et sa torture continue, car Phèdre s'imagine le bonheur qui lui avait été refusé, celui d'Hippolyte et de celle qu'il aime.

« PHÈDRE

Ils s’aimeront toujours !

Au moment que je parle, ah !mortelle pensée !

Ils bravent la fureur d’une amante insensée !

Malgré ce même exil qui va les écarter,

Ils font mille serments de ne se point quitter

Non, je ne puis souffrir un bonheur qui m’outrage,

OEnone, prends pitié de ma jalouse rage.

Il faut perdre Aricie ; il faut de mon époux

Contre un sang odieux réveiller le courroux :

Qu’il ne se borne pas à des peines légères !

Le crime de la soeur passe celui des frères.

Dans mes jaloux transports je le veux implorer.

Que fais-je ? Où ma raison se va-t-elle égarer ?

Moi jalouse ! Et Thésée est celui que j’implore !

Mon époux est vivant, et moi je brûle encore !

Pour qui ? Quel est le coeur où prétendent mes voeux ?

Chaque mot sur mon front fait dresser mes cheveux.

Mes crimes désormais ont comblé la mesure :

Je respire à la fois l’inceste et l’imposture

Mes homicides mains, promptes à me venger

Dans le sang innocent brûlent de se plonger.

Misérable ! et je vis ! et je soutiens la vue

De ce sacré soleil dont je suis descendue !

…………………………………………………………

Lorsqu’il verra sa fille à ses yeux présentée,

Contrainte d’avouer tant de forfaits divers,

Et des crimes peut-être inconnus aux enfers !

Que diras-tu, mon père, à ce spectacle horrible ?

Je crois voir de ta main tomber l’urne terrible,

Je crois te voir, cherchant un supplice nouveau,

Toi-même de ton sang devenir le bourreau.

Pardonne : un dieu cruel a perdu ta famille ;

Reconnais sa vengeance aux fureurs de ta fille.

Hélas ! du crime affreux dont la honte me suit,

Jamais mon triste coeur n’a recueilli le fruit :

Jusqu’au dernier soupir de malheurs poursuivie

Je rends dans les tourments une pénible vie. »

(acte IV, dernière scène)

Phèdre, en amoureuse jalouse et cruelle, représente parfaitement la notion d'amour-haine, la coexistence de deux attitudes équivalentes, en illustrant la conception racinienne de l'amour.

Elle mène un combat inutile contre cette passion dévastatrice, contre le besoin de posséder totalement. Ce personnage représente la dualité humaine en elle-même, la lutte perpétuelle entre deux forces antinomiques qui gisent dans tout être humain. La réponse c'en est est la mort, seule à pouvoir épurer la coupable de ses torts par le sacrifice de soi. Phèdre le dit elle-même, mourante, en avouant ses crimes et en implorant le pardon :

« PHÈDRE

Les moments me sont chers écoutez-moi, Thésée :

C’est moi qui sur ce fils chaste et respectueux

Osai jeter un œil profane, incestueux.

………………………………………………………..

J’ai voulu, devant vous, exposant mes remords,

Par un chemin plus lent descendre chez les morts.

J’ai pris, j’ai fait couler dans mes brûlantes veines

Un poison que Médée apporta dans Athènes.

Déjà jusqu’à mon cœur le venin parvenu

Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu ;

Déjà je ne vois plus qu’à travers un nuage

Et le ciel et l’époux que ma présence outrage ;

Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté

Rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté.

(acte V, scène finale)

Conclusion

L'intérêt de la pièce sur plusieurs aspects

Intérêt psychologique

Petite observation psychanalytique sur les caractères du trio amoureux

« La prédilection de Racine pour le mot sang est le signe d'une intuition scientifique confirmée par la génétique moderne: les marques concrètes de notre hérédité sont littéralement dans notre sang. La métaphore du sang marque aussi l'acceptation d'une détermination biologique et donc inéluctable». (Georges May, Revue d'histoire littéraire, 1972).

D'après une thèse très intéressante d'un auteur qui s'appelle Charles Mauron, intitulée « L'inconscient dans la vie et l’œuvre de Racine », le personnage d'Hippolyte ressentirait pour Phèdre, au niveau de l'inconscient, un désir incestueux, dans le sens psychanalytique du complexe d’Oedipe. Toujours conformément aux lois de la psychanalyse, ce désir serait refoulé et écrasé par le surmoi, incarné par Thésée, le père, qui représenterait l'obstacle à l'aboutissement de l'instinct. Comme une conséquence, Hippolyte se tourne vers Aricie, avec qui se serait possible de former un couple. Mais là aussi il y a un interdit paternel, pourtant cet amour est acceptable et tout à fait possible et acceptable.

Si l'on suit donc ce chemin psychanalytique, l'on se retrouve devant un phénomène d'inversion, c'est à dire que le désir que Hippolyte ressentirait pour Phèdre, ne pouvant pas être satisfait, se transforme en haine, provoquée par la faute qu'il signifie. Ce désir est transférée de la reine sur Aricie et devient en même temps conscient.

De la sorte, Aricie prend la place du côté positif d'Hippolyte, le conscient tout à fait honorable, et Phèdre de celui négatif, noir et criminel, l'image dépravée opposée au conscient saint d'Hippolyte.

De là, ses sentiments envers les deux femmes sont le résultat de ce conflit intérieur. Pour Aricie, l'amour sain et acceptable qui le rend paisible et heureux et de l'autre part celui pour Phèdre, monstrueux et coupbale, qui le rend détestable pour lui-même. C'est la lutte qui génère le drame d'Hippolyte, en essayant de trouver l'accord avec son surmoi représenté par le père, Thésée.

Intérêt philosophique

Pareil que les tragédies grecques, dans Phèdre l'on retrouve l'idée de fatalité, de destinée à laquelle nul ne peut échapper. Ici c'est les dieux, et dans le cas de Phèdre Vénus, qui décide son sort et elle ne parvient pas à l'affronter ou à le fuir.

Racine a produit la tragédie classique par excellence où l'on retrouve un rapport au mythe et au sacré. Elle en est, en même temps, une chrétienne à travers la transcendance qui y est présente, dans ce cas Phèdre, qui ressent le besoin de purgation et le désir d'expiation avant le jugement final.

Pour finir et pour mieux comprendre ce chef d’œuvre, voilà l'aveu que Racine avait marqué dans la préface sur Phèdre et sur ses créations, en général : «Ce que je puis assurer, c'est que je n'en ai point fait [de tragédies] où la vertu soit plus mise en jour que dans celle-ci. Les moindres fautes y sont sévèrement punies. La seule pensée du crime y est regardée avec autant d'horreur que le crime même. Les faiblesses de l'amour y passent pour de vraies faiblesses : les passions n'y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause ; et le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font connaître et haïr la difformité. »

Similar Posts