La thématique de ce de mémoire pour lobtention du grade I sinscrit dans la continuité de mes [628823]

INTRODUCTION
La thématique de ce de mémoire pour l'obtention du grade I s'inscrit dans la continuité de mes
réflexions pendant ces neuf ans d'expérience dans l'enseignement du FLE, durant lesquels j'ai constaté
que les élèves roumains rencontrent de réelles difficultés quand ils doivent poser des questions et ne
comprennent pas pourquoi en français la même question peut être posée de différentes façons.
Tout d'abord, cela pourrait s'expliquer par le fonctionnement très dynamique de la modalité
interrogative en français par rapport à d'autres langues, y compris par rapport au roumain. D'ailleurs, il
ne faut pas ignorer la diversité de la typologie discursive qu'engendre la communication dans toutes
ses formes : orales, écrites, audio-visuelles et multi-média.
Ce mémoire comprendra deux parties : une première partie théorique qui consiste à définir
l'interrogation et à l'analyser de plusieurs perspectives: pragmatique, sémantique, logico-argumentative
et syntaxique.
Je m'intéresserai dans un premier temps aux moyens de réalisation de l'interrogation étant donné
que du point de vue de la structure morphosyntaxique qui caractérise la modalité interrogative, on en
observe l'existence de plusieurs. De plus, tout changement grammatical peut être envisagé comme une
variable sociolinguistique soumise à des contraintes linguistiques et pragmatiques.
Si les grammaires enregistrent d'habitude trois moyens de réalisation : interrogation avec
inversion, interrogation avec intonation et interrogation avec est-ce que, les études de linguistique ont
fait l'inventaire de plus de dix, voire dix-huit variantes de la même question (Coveney 2011).
La partie méthodologique intègre deux volets : le cadre de l'étude avec la présentation du
terrain d'expérimentation et les propositions méthodologiques et didactiques avec sept unités
didactiques. Ces unités seront précédées par une brève analyse sur l'intérêt de l'utilisation des
dispositifs tactiles en classe de FLE. L'analyse se concentrera sur un corpus de 600 vidéos tirées sur la
chaîne 1jour1question qui fait partie du projet 1jour1actu et de quelques dizaines de chansons actuelles
où l'on retrouve des questions comme par exemple Papaoutai, À quoi ça sert l'amour , Pour aller où.
Après avoir étudié ce corpus de point de vue théorique, je me propose de didactiser les documents qui
peuvent s'avérer utiles pour travailler l'interrogation en classe de langue.
Cette partie sera consacrée aussi aux techniques de classe afin de rendre les élèves capables de

poser des questions. Mon étude de cas sera ciblée sur les élèves de la 9e à la terminale, ayant le français
comme deuxième langue étrangère.
La section dédiée aux unités didactiques a pour but de travailler l'interrogation à l'aide du
numérique. Je me propose de créer des activités pour les tableaux blancs interactifs et des dispositifs
mobiles qui mettent au premier plan la modalité interrogative. Pour ce faire j'utiliserai des logiciels
comme Notebook pour le TBI et Learningapps pour le travail interactif en ligne. Ce sera une
occasion de tester cet outil spectaculaire qu'est le tableau blanc interactif et d'élaborer moi même des
contenus numériques pour la classe.
Bref, par ce travail de recherche je ne me propose pas de réinventer la roue mais de tester de
nouveaux outils afin de motiver les élèves pour l'apprentissage du FLE partant du constat de McLuhan
d'il y a plus de 50 ans : « le médium, c'est le message ». Le moyen de transmission par lequel l'homme
reçoit le message, c'est-à-dire le média, exerce autant, sinon plus d'influence sur lui que le contenu lui-
même. C'est pourquoi, je me propose de tester au maximum les fonctionnalités des documents vidéo
et des activités conçues sur un support numérique adapté à l'écran tactile.
I . LE CADRE CONCEPTUEL

1.1 Qu'est-ce que la modalité interrogative en français?
La multitude des structures syntaxiques disponibles pour poser une question en français
constitue une difficulté pour les apprenants de français langue étrangère de Roumanie. Si les
francophones natifs font spontanément usage d’une grande variété de formes interrogatives dans leurs
interactions quotidiennes, pour les étrangers qui apprennent en milieu scolaire et non pas « en
immersion », cela peut sembler difficile. Pourtant, au moment de réfléchir sur l’emploi des différentes
formes de la question, il n’est pas facile, ni même pour le locuteur francophone, d’expliquer les raisons
de son choix d'une telle ou telle forme interrogative.
La Grammaire méthodique du français constate que la notion de modalité est étroitement liée
avec les différents types de phrases. La modalité exprime quel rapport le locuteur prend vis-à-vis de son
énoncé ou de son interlocuteur. Par la modalité, il exprime son attitude au moment de l’énoncé et sa
position par rapport à la réalité du contenu exprimé. Il peut s’agir de la volonté de déclarer un fait
(modalité déclarative), d’exprimer un ordre (modalité injonctive) ou d’une demande d’information
adressée à l’interlocuteur (modalité interrogative) (Riegel, Pellat et Rioul 2011 : 975). La phrase
interrogative est associée essentiellement avec l’acte de questionner, la modalité est alors interrogative,
le locuteur s’attend à une réponse explicite de la part de son interlocuteur
Compte tenu de la pluralité de réalisations morphosyntaxiques présentes au sein d’un paradigme
interrogatif :
[1] Je voudrais savoir où se trouve l'Université de Bucarest?
[2] Où est-ce que l'Université se trouve-t-elle ?
[3] L'Université, c’est où ?
[4] L'Université, où se trouve-t-elle ?
Commencer par traiter cette modalité permet aussi d'analyser les relations interpersonnelles sur
lesquelles se fonde l'interlocution. Hormis les questions rhétoriques, les questions constituent autant
d’appels à répondre ; elles demandent un rapport à l’autre immédiat.
Le domaine de la question a fait l’objet de nombreuses études en linguistique. Une certaine
partie d’entre elles s’intéressent aux différentes structures syntaxiques de l’interrogation et à ce qui peut
influencer leur usage. D'autres s'intéressent plutôt à la perspective sociolinguistique. Mais j'essaierai,
dans un premier temps de voir quelles ont été les définitions que les linguistes ont données à
l'interrogation.
Je commencerai par la définition la plus simple et peut-être la plus incomplète parce que selon
Le Bon usage :« Par la phrase interrogative, on demande une information à l'interlocuteur » (Grevisse

2011 : 506).
Si Grevisse se limite à définir l'interrogation comme une demande d'information, Martin Riegel
va plus loin en précisant qu'elle constitue « une question qui appelle normalement une réponse » et
correspond comme acte de langage direct à l'acte de questionner ou d'interroger. Elle connaît différents
degrés : de la question juridique contraignante à la question qu'on se pose à soi-même ( Riegel, Pellat et
Rioul 2011 : 668).
Dans la Grammaire du français classique et moderne , l'interrogation est définie en énumérant
ses 4 composantes : le style (direct, indirect, indirect libre), la portée (totale ou partielle), les marques
morphologiques et la valeur de ces marques (Robert Léon Wagner et Jacqueline Pinchon 1991 : 568).
Par contre, Charaudeau, développe une ample définition sur plus de 12 lignes en répartissant
des rôles précis au locuteur et à l'interlocuteur. Pour lui le locuteur pose, dans son énoncé, une
information à acquérir, demande à l’interlocuteur de dire ce qu'il sait, révèle son ignorance, impose à
l’interlocuteur le rôle de « répondeur », se donne le droit de questionner. L'interlocuteur est « supposé
avoir compétence » pour répondre et « se voit dans l'obligation de répondre ». (Charaudeau 1992 : 598)
1.1.1 La perspective pragmatique
Une approche pragmatique de l’interrogation en français pourrait nous fournir des éléments de
réponse et des pistes de réflexion complémentaires dans l'enseignement du FLE. Cela consisterait à
étudier non pas seulement la structure syntaxique des questions, mais les différentes valeurs de
l’interrogation et des questions. Il faudra établir pourquoi poser une question, et une fois l’objectif
défini, comment la poser en tenant compte du contexte. Je vais partir de ces deux exemples pour
soutenir l'intérêt d'une approche pragmatique en classe de FLE également :
[5] – Tu pourrais me prêter ton appareil photo professionnel demain ?
– Oui, bien sûr !
[6] – Dis, tu te sers de ton appareil photo professionnel demain ?
 – Euh, non, je ne crois pas !
 – Tu pourrais me le prêter ?
 Oui, d’accord, mais il faudra que tu passes chez moi pour le prendre.
Dans le premier exemple [5], le locuteur demande un service et son interlocuteur l' accepte.
Tout est normal du point de vue syntaxique et une approche traditionnelle de l'interrogation s'arrête en
général à cette étape. Mais les échanges quotidiens recouvrent des faits que la grammaire omet. Par

contre, dans l'exemple [6], commencer par une demande d'information :Dis, tu te sers de ton appareil
photo professionnel demain ? permet au locuteur d' introduire sa demande de service et de ne pas
s'exposer à un refus direct. Le but principal de la conversation n'apparaît qu'en deuxième plan. Une
troisième stratégie qui pourrait être mise en œuvre est la suivante :
[7] – Tu pourrais me prêter ton appareil photo professionnel un de ces jours ? Mon profil facebook
ressemble à un album photo de grands-parents avec mon appareil de 2Mégapixels !
– Oui, bien sûr. Quand ça ?
– Je ne sais pas, quand ça t'arrangerait ?
– Bof, ben, alors la semaine prochaine ou demain?
– D'accord pour demain!
Par l'intermédiaire de cet exemple, on observe tout une stratégie discursive qui se met en place
par des couples question- réponse qui s'avèrent très profitables à la fin. Mais, poser des questions
nuancées pour arriver à un but précis peut demander beaucoup d'effort dans la langue maternelle aussi.
Autrement dit, c’est seulement dans cette perspective que les apprenants apprennent à poser –
correctement et convenablement – une question, dans le plein sens du terme. Hormis ces problèmes
généraux, l’enseignement du FLE doit également tenir compte des problèmes spécifiques provenant
des particularités de l’interrogation dans les systèmes de la langue et de la culture maternelles des
apprenants1.
Si on se réfère à la typologie de l'interrogation du point de vue pragmatique, il faut distinguer :
La question d’appel d’information
La question d’appel de confirmation
L’interrogation dubitative
L’interrogation injonctive
L’interrogation hypothétique
L’interrogation délibérative
L’interrogation atténuante (de politesse)
En examinant les fonctions pragmatiques dans un discours authentique, on voit tout de suite
qu’il y n’y a pas de correspondance directe entre la forme et la fonction comme le montrent les manuels
de grammaire. Au contraire, les échanges naturels montrent qu’une même formule linguistique peut
servir à réaliser plusieurs fonctions pragmatiques selon les différents contextes d’énonciation et qu’une
1Nguyen Viet Tien, L’apport de la pragmatique à la didactique du FLE Le cas de l’interrogation en français pour un
public vietnamien dans Synergies Pays riverains du Mékong n°2 – 2010 pp. 141-146

même fonction peut être réalisée par plusieurs formules linguistiques2.
Par exemple, dans la pièce d'Eugène Ionesco, La cantatrice chauve, l e pompier souhaite qu’il y
ait un incendie chez les gens pour qu’il puisse gagner sa vie ; il semble mendier en posant cette
question :
[8] Le Pompier désolé : Rien du tout ? Vous n’auriez pas un petit feu de cheminée, quelque
chose qui brûle dans le grenier ou dans la cave ? Un petit début d’incendie au moins ?
Mme Smith : Écoutez, Je ne veux pas vous faire de la peine mais je pense qu’il n’y a rien chez
nous pour le moment. Je vous promets de vous avertir dès qu’il y aura quelque chose.
C'est évident que le pompier ne pose pas une question ou une demande d’information, mais il
supplie les gens de lui dire qu’ils ont le feu chez eux (le comique vient du fait qu’il souhaite qu’il y ait
un incendie chez les gens). En effet, il utilise les formules conventionnelles des requêtes avec le
conditionnel de verbe avoir ; on a l’impression qu’il souhaite quelque chose.
La réponse de Mme Smith comporte une promesse explicite avec la formule performative,
c’est-à-dire l’emploi de verbe promettre au présent de l’indicatif et à la première personne. Mme Smith
s’engage donc à l’aider.
Les enseignants de FLE pourraient utiliser des textes authentiques comme les conversations
naturelles, ou des pièces de théâtre contemporaines qui reflètent l’état actuel de la langue. Ils
proposeront une lecture et une discussion en classe. On discutera la situation et les relations entre les
personnages, par exemple qui est habilité à donner des ordres ? On attirera l’attention des apprenants
sur les formules linguistiques utilisées pour réaliser tel ou tel acte de langage, par exemple la phrase
interrogative pour formuler une requête, le conditionnel pour exprimer une proposition ou un conseil,
on insistera sur la politesse, on peut aussi demander aux apprenants de donner l’équivalent avec
d’autres formules linguistiques qu’ils ont déjà apprises et acquises au cours de leurs études ou lectures
et attirer leur attention sur les différences de sens et d’usage en classant les formules selon le degré de
politesse ou les niveaux de langue.
1.1.2 La perspective sémantique
Analyser la modalité interrogative dans la perspective sémantique est loin d'être une tâche facile
car « la très grande variété de formes interrogatives disponibles en français, contrairement à d’autres
2 Narjes Ennasser,Une question, est-ce toujours une demande d’information?, Jordan Journal of Modern Languages
and Literature V ol. 2 No.2, 2010, pp. 131-149, URL http://journals.yu.edu.jo/jjmll/Issues/V o2No2_2010PDF/2.pdf

langues européennes, ne cesse d’intriguer syntacticiens et sémanticiens du langage »3.
Deux notions ont retenu mon attention : équivalence sémantique des formes interrogatives et la
notion d'acceptabilité.
En ce qui concerne l'équivalence sémantique, j'ai pu remarquer deux cas de figures possibles.
D'une part, il n’est pas difficile de trouver des exemples où deux tours interrogatifs ne semblent pas
signifier la même chose, surtout si une des variantes convient beaucoup mieux à un contexte donné que
les autres. D'autre part, on peut rencontrer des occurrences de différentes variantes employées par un
même locuteur dans une même situation, où on doit conclure qu’il y a équivalence sémantico-
pragmatique entre ces occurrences4. Par exemple, même si au début ce phénomène a été un peu
intriguant pour moi, j'ai observé que dans les films doublés et sous-titrés (sur Netflix, TV5, filmfra.net),
c'est très fréquent d'entendre une structure interrogative et de lire une autre.
[9] – Qu'est-ce qui s'est passé ?
[10] – Que s'est-il passé ?
Ensuite, lorsque l’on évoque cette notion d’acceptabilité, on se positionne face à deux domaines
linguistiques distincts, la syntaxe d’une part, et la sémantique d’autre part. Un énoncé est déclaré
grammaticalement « acceptable » lorsqu’il satisfait aux exigences de sens et de construction. Cet
énoncé doit véhiculer une signification compréhensible par tout locuteur natif. Il doit en outre présenter
une construction syntaxique « correcte ». Lorsque ce n’est pas le cas, il est non seulement
agrammatical, mais également asémantique. Ne correspondant à aucune régularité langagière, il
s’écarte de la norme au point de ne plus s’accorder aux compétences des locuteurs et prend le risque
d’être désavoué. Il est alors précédé d’un astérisque, voire un point d’interrogation, pour marquer son
inadéquation avec ce que l’on peut et doit dire5.
Les valeurs sémantiques de l’interrogation sont très diverses allant de la valeur issue de la logique
de l’interrogation jusqu’aux valeurs qui se rapprochent de celles de l’injonction. Il ne faut pas oublier
que les demandes d'information peuvent porter sur différentes sortes «d'identification », demandes
d'assentiment, demandes de compréhension, demandes de point de vues. (Charaudeau 1992) Les
demandes d'identification peuvent porter sur plusieurs éléments:
la demande d'identification d'un actant (agent, patient, destinataire ou auxiliaire)
[11] C'est qui Stephen Hawking ? ( ép. 599 1jour1question)-identification de l'agent
3Paul Boucher, « L'interrogation partielle en français : l'interface syntaxe / sémantique », Syntaxe et sémantique 2010/1
(N° 11), p. 55-824 Coveney Aidan, « L'interrogation directe », Travaux de linguistique , 2011/2 (n°63), p. 112-145. DOI :
10.3917/tl.063.0112. URL : https://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2011-2-page-112.htm 5Carole Lailler. Morphosyntaxe de l’interrogation en conversation spontanée : modélisation et évaluations. Linguistique.
Université du Maine, 2011. Français. Page 75

[12] C'est quoi le ramadan ? (ép.614, 1jour1question)- identification du patient
[13] À qui sourire encore ? ( À qui.., Dalida, 1967)- identification du destinataire
[14] Avec qui tu vis ? ( Avec qui tu vis, Phil Barney, 1991)- identification de l'auxiliaire/ de l'allié
La demande d'identification d'une action :
[15] C'est quoi une cyberattaque ? 1jour1question)-identification de l'action
la demande d'identification d'une cause :
[16] Pourquoi la Coupe du Monde de foot a eu lieu en Russie? (ép.629, 1jour1question)
la demande d'identification d'un but :
[17] Pour quoi je ne veux pas savoir pourquoi ? (Pour qui, pour quoi, Dalida, 1971)
la demande d'identification de l'espace e du temps :
[18] C'est où la Russie ? (ép. 590, 1jour1question)
Depuis quand les femmes ont-elles le droit de voter ?
La demande d 'identification d'une qualification :
[19] Comment fait-on pour être candidat aux élections présidentielles ? (1jour1question)
la demande d'identification d'une quantité :
[20] Combien de murs se cachent derrière un mur qui tombe ? (Combien, Patrick Bruel, 1994)
Tous ces exemples d'interrogations [11]-[20] tirés soit de l'émission 1Jour1Question, soit des
titres des chansons françaises sont des demandes d'identification et leur utilisation en langue standard
est très répandue.
1.1.3 La perspective logico-argumentative
Selon Tutescu (2006 : 295), l'interrogation est la “cheville ouvrière” de l'argumentation; c'est
une stratégie argumentative essentielle. En même temps, l'interrogation est une modalité énonciative
allocutive et le couple question~réponse constitue le pivot de la cohérence textuelle. L'interrogation
signifie l'existence d'un vide de connaissances; c'est l'expression d'une incertitude épistémique du
locuteur/ énonciateur par rapport à une référence. L'interrogation représente un second mouvement par
rapport à l'assertion. Derrière toute interrogation il y a une assertion sous-jacente. "La phrase
interrogative – écrit R.Martin – présuppose la vérité de P dans quelque monde possible, et c'est à cette
assertion sous-jacente que renvoie l'anaphore. Mais elle pose la fausseté (de P) dans au moins un
monde possible, et c'est ce qui explique son cinétisme rhétoriquement orienté vers la négation.
L'hypothèse que la proposition interrogative est fausse dans au moins un monde possible la fait en tout

cas échapper à l'indécidable, défini comme la non-appartenance à l'univers de croyance"6.
L'interrogation dans la perspective de la logique est censée être une opération discursive
suspensive de vérité7 puisqu'il ne faut pas perdre de vue que l’interrogation a été toujours opposée à
l’assertion en vertu de son caractère dialectique. Les questions, à la différence des assertions, ne
peuvent pas être vérifiées par le test de vérité, n’étant ni vraies ni fausses. Cela a entraîné la mise en
place d’une logique différente de la logique classique, la logique de la question ou la logique érotétique
(du grec érotesis “interrogation”). « La construction d’une pareille logique soulève des problèmes
concernant les rapports qui s’instaurent entre la logique comme instrument général du savoir et le
langage comme système linguistique et comme pratique sociale. Il est évident donc que la logique peut
intervenir dans l’analyse des phénomènes du langage, en offrant au linguiste des principes
organisateurs indispensables au traitement systématique des données empiriques. En formulant
l’hypothèse de l’isomorphisme entre la sémantique logique et la sémantique des langues naturelles, la
linguistique a jeté les bases d’une logique naturelle qui articule la logique avec le langage » 8.
Teodora Cristea rappelle qu'il est important de mentionner les opérateurs de la logique
érotétique qui s 'associent : l'opérateur de la demande et l'opérateur de la connaissance. D'ailleurs, pour
certains logiciens et linguistes, la logique érotétique se réduirait à cette combinaison de l'opérateur
impératif à l'opérateur épistémique9.
Dans cette perspective logico-philosophique, on constate que pour parler de l’interrogation il
faut avoir toujours en vue que derrière toute question il y a une assertion sous-jacente ayant10:
-une composante impérative – réalisateur: impératif du verbe locutoire:
[21] Dites-moi s’il est chez lui.
une composante de la demande – réalisateur: performatif interrogatif:
[22] Je vous demande s’il est chez lui.
une composante désidérative épistémique – réalisateur: verbe modal désidératif + verbe
épistémique ou verbe locutoire (au subjonctif):
[23] Je voudrais / j’aimerais savoir s’il est chez lui. Je voudrais que vous me disiez s’il est chez
6R. Martin apud Mariana Tuțescu. "Question et pertinence argumentative. À propos de l'essai d'Umberto
ECO: Comment répondre à la question «Comment ça va» ". Recherches ACLIF: Actes du
Séminaire de Didactique Universitaire 03:295-302.
https://www.ceeol.com/search/article-detail?id=269357Notes de cours de préparation pour le grade II, juillet 2015, professeur Sonia Berbinski8Teodora Cristea,Carmen Stefania Stoean, Modalités d'énonciation, cours en ligne sur : http://www.biblioteca-
digitala.ase.ro/biblioteca/carte2.asp?id=3089 ACQVIST (1982: 87) apud Teodora Cristea,Carmen Stefania Stoean , Modalités d'énonciation, cours en ligne sur :
http://www.biblioteca-digitala.ase.ro/biblioteca/carte2.asp?id=308
10Idem 6

lui.
une composante impérative-optative épistémique – réalisateur synthétique (question directe):
[24] Est-ce qu’il est chez lui ? Est-il chez lui ?
En ce qui concerne le domaine de l'argumentation, il est essentiel qu'on distingue la valeur
argumentative et l' acte ď argumenter. Une question Est-ce que p ? peut avoir une valeur
argumentative, coorientée à ~ p. Mais cela ne veut pas dire que le locuteur l'utilise pour imposer une
conclusion, un point de vue, c'est-à-dire pour accomplir un acte d'argumenter. C'est seulement dans le
cas d'interrogations rhétoriques que la valeur argumentative intrinsèque de la question est utilisée pour
accomplir l' acte d'argumenter11. Les interrogations rhétoriques ont une haute vertu argumentative. J.-
Cl. Anscombre et O. Ducrot (1981) affirment que toute question rhétorique possède un aspect
argumentatif négatif, l'inverse est en revanche faux. Et il arrive même que des interrogations
rhétoriques partielles soient des réponses, subjectives, certes, mais qui confèrent aux énoncés une
orientation argumentative positive (Tutescu 1998 : 121).
Les questions rhétoriques sont à l'origine des actes d'argumenter parce que d ans l'interrogation
rhétorique, le locuteur fait comme si la réponse à la question allait de soi, aussi bien pour lui que pour
l'allocutaire. La question n'est là que pour rappeler cette réponse; elle joue alors à peu près le rôle de
l'assertion de cette dernière, présentée comme une vérité admise. Les rhétoriciens ont souligné à
plusieurs reprises le fait que ce type de question a toujours une valeur négative par rapport au contenu
constituant le thème de la question (Tutescu 1998 : 121). Prenons ces deux exemples :
[25] Est-ce que je pourrais agir autrement ?
[26] Comment pourrais-je agir autrement ?
Soit qu'il s'agit d'une interrogation totale ou soit qu'il s'agit d'une interrogation partielle, on peut
remarquer que le sens donné par la lecture rhétorique nous conduit à une négation : Je ne pourrais pas
agir autrement.
La question totale, l'interrogation rhétorique mais aussi certaines questions partielles
représentent une stratégie discursive de nature argumentative. L'interrogation suspend la valeur de
vérité de la proposition qu'elle exprime car elle y va au de-là par rapport au vrai ou au faux (Tutescu
1998 : 118) . Ce phénomène s'explique par l'anaphore qui s'établit à la question :
[27] Sera-t-il content ?
[28] Je me LE demande. ( Je me demande : Sera-t-il content?).
L'indétermination de la question quant à sa valeur de vérité tient aussi au fait que la différence
11Anscombre Jean-Claude, Ducrot Oswald. Interrogation et argumentation. In: Langue française, n°52, 1981.
L'interrogation. pp. 5-22;

entre question positive et question négative semble être effacée (Tutescu 1998 : 119).
L'interrogation positive oriente vers une réponse négative; l'interrogation négative vers une
réponse positive. Il existe une évidente ressemblance entre la négation et l'interrogation, les deux
représentant un second pas du jugement par rapport à l'assertion.
Toutes ces considérations amènent R. Martin à conclure que l'interrogation « présuppose la
vérité de P dans quelque monde possible, et c'est à cette assertion sous-jacente que renvoie l'anaphore.
Mais elle pose la fausseté dans au moins un monde possible, et c'est ce qui explique son cinétisme
rhétoriquement orienté vers la négation. L'hypothèse que la proposition interrogative est fausse dans au
moins un monde possible la fait en tout cas échapper à l'indécidable, défini comme la non-appartenance
à l'univers de croyance » (R. Martin apud Tutescu 1998 : 119).
Pour conclure cette section, j'ajouterais l'idée suivante : « l'interrogation en tant qu'action n'est
pas (…) essentiellement une activité linguistique, bien qu'elle s'exprime fréquemment par le langage. Si
elle s'exprime par le langage, elle s'exprime dans le langage naturel, qui est le médium dont nous
faisons usage pour exprimer nos tentatives d'augmentation de notre savoir et de notre pouvoir »12.
1.1.4 La perspective syntaxique
J'ai cru opportun de traiter tout d'abord les perspectives pragmatique, sémantique et logico-
argumentative avant d'arriver à l'analyse syntaxique parce que : « Interroger quelqu'un n'est pas
seulement produire des énoncés qui ont une certaine forme syntaxique. Nous savons tous que la phrase
interrogative tantôt fonctionne comme expression d'un commandement :
[29] Voudrais-tu être tranquille?
tantôt comme expression d'une affirmation :
[30] Qui ne sait que l'intérêt nous sépare tandis que l'intelligence nous unit ?
Une théorie purement syntaxique de l'interrogation n'est donc pas possible ».13 Mais, en général,
pour l'enseignant de français langue maternelle, seconde ou étrangère le côté syntaxique est le plus
exploité. Mais pourquoi cet « engouement » pour la syntaxe de l'interrogation ? Tout d'abord, parce
que l'interrogation en français présente une variété de formes et des particularités d'emploi.
La syntaxe de la modalité interrogative en français repose sur sur une double distinction : l'une
de l'ordre des structures, l'autre de l'ordre des significations14.
12Apostel Leo. De l'interrogation en tant qu'action. In: Langue française, n°52, 1981. L'interrogation. pp. 23-43; doi :
https://doi.org/10.3406/lfr.1981.5104 https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1981_num_52_1_5104 13Idem 1114Mazaleyrat Jean. Syntaxe et stylistique de l'interrogation dans un dialogue de théâtre ( Lorenzaccio , II, 3). In:

La distinction de structure définit le « type » de l'interrogation (construction directe/indirecte).
La distinction de sens définit la « portée » de l'interrogation (totale/partielle). D'autres grammairiens
font la distinction entre le style (direct/ indirect) et la portée.(Robert Léon Wagner et Jacqueline
Pinchon 1991 : 568).
Cette dichotomie établie par toutes les grammaires entre interrogatives directe et indirectes
repose aussi sur la distinction entre propositions indépendantes et propositions subordonnées. Pour les
subordonnées, le terme « enchâssée» est de plus en plus utilisé à la différence de la phrase
« matricielle » ou directe qui est moins répandue. L'autre distinction concerne la portée de
l'interrogation (totale/partielle), les interrogations totales ont été nommées également globales ou
polaires et les interrogations partielles, particulières, constituantes, à variable ou à information 15.
Dans certaines langues, l'interrogation alternative prend une forme à part, mais en français, il
s'agit plutôt d'interrogation totales juxtaposées et coordonnées. Je la traiterai dans un sous-chapitre
séparé.
De point du vue structural, un grand nombre de linguistes ont employé une représentation
abrégée des différentes phrases interrogatives. Je vous présenterai, ci-dessous le tableau des
représentations abrégées envisagé par Coveney (2011) :
Tableau. 1 Représentations abrégées des interrogations (Coveney 2011)
C'est facile de constater dans la liste du tableau de Coveney que l’exemple de chaque structure
est précédé par sa forme abrégée et un nom possible16.
L'Information Grammaticale, N. 48, 1991. pp. 25-28, http://www.persee.fr/doc/igram_0222-
9838_1991_num_48_1_190715Coveney (A.), 2011, « L’interrogation directe », in Encyclopédie Grammaticale du Français, en ligne :
http://encyclogram.fr16 Légende : S = sujet (clitique ou nominal) ; V = verbe ; ? = intonation finale montante ; E = est-ce que ; CL = sujet clitique

Ce système de représentations abrégées quelque simpliste qu'il puisse paraître, a le grand mérite
de pouvoir être utilisé par des chercheurs qui analysent l'interrogation dans des perspectives
différentes.
1.1.5 Conclusions
En français, les phrases interrogatives posent un problème de description et de définition, même
si elles sont identifiées intuitivement par tous les natifs. En effet, les différentes marques sont
polyvalentes et apparaissent dans d'autres types de phrases. D'autre part, il faut noter que le système
interrogatif du français actuel se caractérise surtout par l'abondance des constructions interrogatives qui
offrent à l'utilisateur toute une gamme de nuances. Ce système est assez complexe parce qu'il faut tenir
compte de trois niveaux différents: langue littéraire, langue familière et langue populaire. Cette
complexité est accrue du fait que des interférences sont inévitables entre ces trois niveaux.
Bref, l’interrogation est l’un des concepts grammaticaux les plus anciens, mais les analyses
linguistiques auxquelles elle a donné lieu, ont été, depuis plus d’un demi-siècle, fortement innovées,
sous l’influence, notamment de la pragmatique, de la sociolinguistique et de l’analyse du discours. Plus
récemment, le développement de l’argumentation, de la linguistique textuelle et la réappropriation
renouvelée de la rhétorique, ont également contribué à enrichir les approches de l’interrogation.
Cette analyse des quatre perspectives ne se veut ni exhaustive , ni complète, étant seulement un
passage en revue de différentes approches de l'interrogation. Quoique mentionnée très brièvement au
début, la perspective sociolinguistique n'a pas fait l'objet d'une de ces sections faute de données issues
d'une expérience réelle en immersion.
Cela ne veut pas dire que la perspective sociolinguistique est sans valeur scientifiques, par
contre : « La sociolinguistique existe, la grammaire aussi : peuvent-elles être complémentaires ?
L'objectif de cet article est de montrer l'intérêt d'une approche sociolinguistique — le variationnisme —
pour l'étude de la variation grammaticale, et spécialement de l'interrogation directe en français »
(Coveney 1997:88). Le linguiste Coveney a analysé comment des grammairiens ont traité la variation
dans ce domaine, de plus, il a présenté l'approche variationniste comme développement d'études
quantitatives antérieuresen montrant comment la notion de variable linguistique a été étendue de la
phonologie à la grammaire, et nous considérerons certains phénomènes qui indiquent la nécessité de
postposé ; GN = Groupe Nominal ; Q = mot ou groupe interrogatif qu- ; se = c'est ; k = que/qui ; ‘Q=S’ = le sujet est un
syntagme qu-.

reconnaître l'équivalence de formes variantes au niveau grammatical.
Il est possible que, vu la grande diversité de structures, les grammaires du français fassent
allusion aux dimensions sociale et stylistique de variation, ainsi qu'aux fréquences globales des
différentes structures. Autrement dit, les grammaires indiquent que certaines structures tendent à se
rencontrer dans l'usage de certaines catégories de personnes et à certains niveaux de langue. En fait,
elles indiquent souvent les origines sociales des locuteurs ou des écrivains qui utilisent une structure
donnée par le biais de l'étiquette « populaire » , et deuxièmement le niveau de langue où figure la
structure, en utilisant des termes tels que « vulgaire », « relâché » ou « soigné ».
2. Typologie de l'interrogation
L‘étude des structures interrogatives du français a retenu depuis longtemps l‘attention des
linguistes, de par la variété des formes interrogatives à disposition : trois structures pour les questions
totales, et jusqu‘à 18 formes (Gadet) pour les questions partielles. Pour la question totale, les
structures de base sont les suivantes : maintien de l‘ordre Sujet Verbe et marquage exclusivement
intonatif ; inversion du clitique sujet, simple ou « complexe » et la particule est-ce que.
Les problématique qui en découlent sont les suivantes : À quelles causes faut-il attribuer la
variété des formes interrogatives en français ? Les structures en concurrence sont-elles à considérer
comme des variantes fonctionnellement interchangeables, renfermant le même contenu propositionnel,
ou faut-il au contraire y voir des structures particulières, dotées chacune d‘une fonction propre ? Y-a-t-
il des corrélations à l‘œuvre entre certains facteurs externes et l‘occurrence de telle ou telle variante ?
Les structures dont je vais m'occuper ont donné lieu à trois grands types d‘approches comme
j'ai mentionné un peu plus haut, chacune d‘entre elle se centrant sur l‘aspect privilégié par son domaine
d'étude.
Or, les études de Coveney (2002) et de Quillard (2000) ont montré que le cas des structures
interrogatives relève d‘une analyse multifactorielle. Les premiers résultats de recherche vont dans le
même sens et confirment que plusieurs paramètres sont en jeu. Dans le cadre de ce mémoire, j'ai essayé
d'examiner aussi l‘influence des contraintes communicatives et des facteurs externes sur l‘emploi des
trois structures interrogatives totales et partielles, sur la base du corpus tiré de l'émission
1Jour1Question que j'analyserais de façon plus détaillée dans la partie méthodologique.
Comme je l'ai déjà mentionné précédemment, syntaxiquement parlant, il faut discriminer entre
l’interrogation directe et l’interrogation indirecte selon leur forme phrastique. L’interrogation directe
peut ensuite être subdivisée en deux catégories : l’interrogation totale (ou globale) et partielle (Riegel,

Pellat et Rioul 2014 : 669). J'aborderai la question de différence entre ces deux types d’interrogation
dans les sections suivantes. On va voir dans ce qui suit que le système se construit sur les points de
rencontre de ces deux coordonnées, à considérer donc selon les signes caractéristiques attachés à
chacune d'elles.
2.1 L'interrogation directe
Interrogation directe est l’interrogation qui prend la forme d’une phrase indépendante (Coveney
2011 : 113), à l’écrit démarquée par un point d’interrogation et à l’oral par une intonation interrogative
(Riegel, Pellat et Rioul 2014 : 670) si la phrase interrogative directe est insérée dans un contexte
narratif on la fait précéder de deux points et de guillements, se fermant par des guillements (Wagner et
Pinchon 1991 : 568). Dans les sections suivantes j'analyserai la typologie de l'interrogation directe en
distinguant entre interrogation directe totale/alternative/partielle et en présentant brièvement leurs
réalisateurs.
2.1.1. L'interrogation totale
L'interrogation est totale quand elle porte sur l'ensemble de la phrase, thème ou sujet et prédicat
(Wagner et Pinchon 1991 : 568). Elle assortit le sujet nominal de l'assertion d'un pronom personnel
inversé (Wilmet 2010 : 629). L'interrogation globale appelle une réponse par oui ou par non (si) et elle
peut porter sur le verbe ou sur le verbe en relation avec un autre élément (Grevisse 2011: 510).
[31] Danse-t-il ?; Danse-t-il souvent ? Danse-t-il avec sa femme ?
L'interrogation totale est réalisée par trois types de marqueurs qui ne sont pas toujours
interchangeables: l’intonation, l’inversion clitique et complexe et la périphrase préfixale est-ce que
(Cristea 1976 : 335).
2.1.1.1 L'intonation
En ce qui concerne les phrases interrogatives totales, on peut distinguer l'interrogation
incantatoire à ordre assertif, c'est-à-dire la construction qui présente l'ordre syntaxique SVO typique
des déclaratives. Ce type d'interrogation est typique du français familier. L'interrogation marquée par la

seule intonation est la plus simple surtout pour les locuteurs roumains. Seule l'intonation la distingue de
la phrase déclarative dont elle garde l'ordre des constituants ( Riegel, Pellat et Rioul 2011 : 670).
Le ton comme marque de l'interrogation consiste à prononcer sur une note plus haute la dernière
syllabe tonique du mot qui termine une interrogation totale.
Exemple : Vous serez présent ?
Le rôle de l'intonation est déterminant dans l'interrogation totale (globale) dans deux situations :
quand l'ordre des mots est celui de la phrase énonciative et quand les phrases averbales ce qui exclut les
autres procédés de l'interrogation -inversion ou emploi de est-ce que (Grevissse 2011 : 515).
Le contour intonatoire montant peut apparaître comme marque suffisante, ce procédé qui vise à
une économie de moyens est très fréquent à l'oral, mais il peut se rencontrer aussi dans la littérature
classique (Riegel, Pellat et Rioul 2011 : 670).
C'est évident que le ton n'est une marque pertinente de l'interrogation que lorsqu'il est seul à
différencier un énoncé interrogatif d'un énoncé assertif. Hormis ce cas, on va voir que le ton se
combine avec les deux autres marques.
2.1.1.2. L'inversion
L'interrogation totale peut être réalisée par l'inversion simple ou complexe du sujet (groupe
nominal 1) s'il s'agit d'un pronom personnel( y compris il impersonnel), ce ou on (Grevisse, 2011 :
516).
[32] Êtes-vous contents ? Pleut-il ? Est-ce vrai ?
La postposition du pronom personnel est obligatoire dans les interrogations totales quand il est
le seul sujet ou quand il sert à reprendre un sujet nominal, placé en tête de la phrase (inversion
complexe) (Wagner et Pinchon 1991 : 572).
[33] a) Irez-vous au concert ? Avez-vous regardé le dernier film sur HBO ?
b) Les enfants feront-ils tous leurs devoirs ?
L'inversion est simple si le sujet est un pronom; en effet, cette stratégie est possible seulement si le
sujet est un clitique :
[34] a) Arrivait-il?

b) Parlez-vous français?
c) As-tu parlé à Luc? (Tellier 1997: 126) (16)
d) *Est Pierre arrivé?
Le sujet clitique crée une seule unité syntaxique avec le verbe :
[35] a) Arrivait-il?
b) Voit-elle?
Il est impossible que le pronom soit dissocié du verbe par un élément quelconque: [36] a)
*N'arrivait pas il?
b) *Ne voit-elle pas?
Quand les interrogatives avec inversion simple sont précédées par un sujet l'inversion se dit «
complexe ».
[37] a. Michel est-il arrivé?
b. Les autres vont-ils en taxi?
Étant donné que l'élément qui suit le verbe est toujours un sujet clitique, on utilise l'expression
inversion sujet-clitique (simple ou complexe) pour indiquer la processus impliqué. L'inversion sujet-
clitique caractérise les styles formelles du discours et n'est pas admise dans les questions indirectes:
[38] a. *Je me demande [quand ton frère est-il arrivé]
L'inversion de je se rencontre souvent avec des verbes courants (ai-je, vais-je, dois-je, etc. ), au
futur ou au conditionnel. Pour les verbes du premier groupe au présent de l'indicatif le -e final muet se
prononce [ε]. Mais cette forme est censée être « énigmatique » ( Riegel, Pellat et Rioul 2011 : 670) ou
« pédante » (Cristea 1979 : 337) de nos jours.
[39] Parlé-je assez fort?
Le linguiste Bernard Cerquiglini consacre toute une émission à cette forme interrogative en
montrant que ceux qui emploient « Me trompé-je ? » à l'oral en insistant à prononcer le e accent aigu
« ont tort » parce que le e qui précède le pronom je est toujours ouvert [ε] comme dans collège,
manège etc. Mais ce sont les grammairiens du XVII-e siècle qui ont imposé cette graphie « aberrante »
qu'il faudrait corriger en employant un e accent grave. Cela éviterai à ce qui se lancent dans un
« tonitruant : Me trompé-je ? »de commencer en se trompant de prononciation17.
Le pronom démonstratif ce est inversé, avec le verbe être surtout, dans l'emploi du présentatif
c'est ou dans le terme interrogatif est-ce que.
17Émission Merci professeur suivie sur : http://www.tv5monde.com/cms/chaine-francophone/lf/Merci-Professeur/p-
17081-Me-trompe-je.htm?episode=123

[40] a) Est-ce bien ma faute ?
b) Est-ce lui ?
Pour le pronom démonstratif ça l'inversion n'est pas possible :
[41] a) Ça va ?
b)* Va- ça ?
À la troisième personne un -t de liaison « euphonique » a été inséré à partir du XVI-e siècle
pour éviter l'hiatus par analogie avec les formes verbales terminées par un -t (fait-il, doit-il). Dans son
style tout à fait charmant le linguiste Bernard Cerquiglini explique que l'orthographe française fait un
emploi « subtil » de la lettre t suivi d'un trait d'union. Jusqu'au XVII-e siècle la langue ne faisait pas un
emploi systématique de ce t analogique. C'est le grammairien Vaugelas qui en a fixé l'emploi entre deux
traits d'union, condamnant Aime-il ? Et Aime-t'il ? (avec apostrophe) car t suivi d'un apostrophe a un
tout autre usage en étant la forme élidée d'un pronom complément.Aussi faut-il faire la distinction entre
l'interrogation : Va-t-on … ? et l'exclamatif Va-t'en !18
[42] a) Partira-t-il avec toi ?
b) A-t-il bien mangé ?
J'ai
je suis
je doisAi-je… ?
Suis-je… ?
Dois-je.. ?OUI
OUI inversion possible dans le cas de verbes très courants
OUI
Je peuxPuis-je ?OUI l'inversion impose le choix d'une « variante » de la forme
verbale
Je prends
je prenais
je prendraiPrends-je ?
Prenais-je ?
Prendrai-je ?? Difficilement acceptable avec un verbe au présent.
NON…impossibles à d'autres temps.
OUI… l'inversion est possible si le verbe est au futur ou au
conditionnel.
Je cours
je courraiCours-je ?
Courrai-je ?NON… caractère incongru de la séquence.
?… qui disparaît à d'autres temps.
Je chanteChanté-je ?OUI mais rare ; la voyelle finale du verbe /é/ change de timbre
Tableau 2 Restrictions de l'inversion avec le pronom personnel de première personne (Tomassone 2002 : 124)
18Émission Merci professeur suivie sur : http://www.tv5monde.com/cms/chaine-francophone/lf/Merci-Professeur/p-17081-
T-ecoute-t-il-.htm?episode=57&page=10

L'inversion complexe se réalise quand le sujet est un groupe nominal ou un pronom -autre que
le pronom personnel, on ou ce- qui reste placé avant le verbe, mais il est repris après le verbe par un
pronom personnel sujet :
[43] a) Quelqu'un a-t-il une question à me poser ?
b) Cette insolence n'était-elle la pire des erreurs ?
Inversion complexe – quand le sujet n'est pas un pronom personnel :
Pierre vient-il ? Le sujet reste devant le verbe et il est repris par
un pronom personnel après le verbe (noter le trait
d'union)
Les enfants sont-ils sortis ?Si le verbe est à un temps composé, le pronom de
reprise est placé entre l'auxiliaire et le verbe
Pierre viendra-t-il demain ?Si la forme verbale se termine par une voyelle, on
intercale un /t/, à l'écrit -t-
Quelqu'un a-t-il quelque chose à dire ?Mêmes remarques si le sujet est un pronom autre
que personnel
Tableau 3. L'inversion complexe (Tomassone 2002 : 124)
Mais certains linguistiques croient que parler de l'inversion verbe-sujet n'a de sens qu'en
fonction d'un ordre S-V présupposé basique. Dans l'exemple Michel parle-t-il ? Le sujet est il, le nom
de Michel étant apposition au pronom (Wilmet 2010 : 629).
2.1.1.3. L'interrogation avec est-ce que
Dans l'interrogation totale l'introducteur est-ce que est mis en tête de la phrase suivi par le sujet
et le verbe (Grevisse 2011 : 522). « Ce terme complexe » qui constitue la version interrogative avec
inversion de c'est que est très fréquent en français actuellement, même s'il était considéré comme
familier au XVII-e siècle. De nos jours, il est employé à l'oral aussi bien qu' à l'écrit puisqu'il présente
deux avantages : d'un côté, en l'utilisant on aura dès le début de la phrase, une marque de l'interrogation
et de l'autre côté, il permet de maintenir l'ordre standard Sujet-Verbe (Riegel, Pellat et Rioul 2011 :
672).
La particule est-ce que peut être nommée de façons bien diversifiées, comme en témoignent ses
différentes appellations dans les grammaires françaises : particule, tour interrogatif, introducteur,
périphrase interrogative, focalisateur c'est que inversé (Wilmet 2010 : 629) et même morphème (Salins

1996 : 85).
Peu importe le nom que les grammairiens donnent à cette structure, du point de vue contrastif
les professeurs de langues ont pu constater que pour les apprenants roumanophones ce n'est pas très
naturel de l'utiliser, en roumain est-ce que pourrait se traduire comme Este că…?, Nu-i așa că…?
Oare..? mis au début de chaque interrogation totale.
2.1.2 L'interrogation alternative
Considérées comme une sous-catégorie des interrogations totales (Coveney 2011) ou comme
des intermédiaires entre l'interrogation totale et l'interrogation partielle (Riegel, Pellat et Rioul 2011 :
680), la théorie des questions alternatives a été développée par Cornulier (1982) :
« La théorie alternative des QT a le charme suspect des réductions syntaxiques : on s'imagine
décrire le sens des QT simplement parce qu'on les ramène aux QA, dont on croit le sens transparent.
Pourtant cette réduction, qui a d'abord l'air d'une simplification, n'en est pas vraiment une sur le plan
syntaxique, puisqu'elle assigne une forme sous-jacente complexe à une phrase apparemment simple :
elle ramène le simple au complexe. On pourrait craindre qu'il n'en aille de même sur le plan du sens :
car à quoi servirait cette réduction si le sens des QA était en fait une combinaison plus complexe que
celui des simples QT ? »19.
La Grammaire méthodique classifie l'interrogation alternative en deux types : simple et polaire.
[44] Est-ce un étourneau ou (est-ce) une merle ? – interrogation alternative simple
[45] Est-ce un étourneau ou ce n'est pas un étourneau ?/ ou non ?/ou pas?- interrogation
alternative polaire
Dans l'interrogation alternative polaire les deux termes sont antithétiques. Dans les deux cas, le
deuxième terme peut être abrégé par la perte de son élément verbal (est-ce) ou le remplacement global
par un terme unique (non/pas) (Riegel, Pellat et Rioul 2011 : 680).
J'ai choisi de traiter l'interrogation alternative dans une section à part parce qu'elle ne peut pas
être considérée une interrogation totale si on tient compte que dans ce cas on ne peut pas s'attendre à
une réponse par oui/non, dans l'interrogation alternative les valeurs possibles sont a priori réduites à
deux termes alternatifs, ce qui restreint aussi la réponse attendue ( Riegel, Pellat et Rioul 2011 : 680).
19De Cornulier Benoît. Sur le sens des questions totales et alternatives. I n: Langages, 16ᵉ année, n°67, 1982. La
signalisation du discours. pp. 55-57;

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