La Famille Desunie Chez Herve Bazin

INTRODUCTION

Jean-Pierre Hervé-Bazin est né le 17 avril 1911 à Angers. Sa famille a compté parmi ses membres des hommes politiques et des écrivains. Son grand-père Ferdinand-Jacques Hervé, avocat et professeur à l'université catholique d'Angers, défend les idées légitimistes dans son journal angevin et il est un auteur à succès, sous le pseudonyme de Charles Saint-Martin. Sa grand-mère, Marie-Claire-Elisabeth Bazin – à laquelle Hervé Bazin, enfant, fut confié – sœur aînée de l’académicien René Bazin publia elle aussi des feuilletons sous le nom de Jacques Bret. René Bazin sera un collaborateur fervent du Journal des débats dans lequel il publie également ses relations de voyage qui fourniront la matière d’une dizaine de livres.

L’enfance d’Hervé Bazin est marquée par le départ de ses parents en Chine. Après la guerre de 1914 son père, Jacques Ferdinand Hervé Bazin (1882-1944), docteur en droit, professeur à l'université catholique d'Angers, entomologiste, juge au tribunal de la Seine, accepte un post à Shanghaï où il s’installe avec sa femme, Jeanne Geneviève Marie Paule (1890-1960). La mère d’Hervé Bazin était la fille de Jean Guilloteaux, député puis sénateur du Morbihan. Hervé Bazin et ses deux frères sont confiés à leur grand-mère paternelle. Du temps de sa grand-mère, il passe la belle saison dans la maison de famille, le Pâtis à Marans, dans le Maine-et-Loire, et le reste de l’année à Angers. Suite au décès de la grand-mère en 1919, les parents rentrent en France et doivent affronter des difficultés matérielles.

Très tôt rebelle et en rupture avec son milieu, Hervé Bazin a des expériences multiples. Enfant, il se heurte à sa mère, une femme autoritaire, qu’il a connu pour la première fois à son retour de Chine quand il avait 11 ans ; adolescent, il multiplie les fugues ; étudiant, inscrit contre son gré à la faculté catholique de droit d'Angers, il refuse de passer ses examens. Pour calmer ce révolté permanent, qui étudie en cachette la botanique, ses parents l'obligent s'inscrire au cours de préparation de l'Ecole Saint-Cyr. Au bout de six mois, il s'enfuit. Sur la route qui le conduit à Paris, au volant de la voiture de son père, un terrible accident le rend amnésique et le condamne à un long séjour dans une maison de santé. À sa sortie, Hervé Bazin mène une existence brouillonne et, souvent, misérable.

À la suite de violents démêlés avec sa famille, il se sépare d'elle et vient faire une licence de lettres en Sorbonne : à condition de travailler en même temps pour vivre, ce qui le contraint à exercer les métiers les plus divers, il est tour à tour marchand ambulant, garçon d'ascenseur, ferrailleur et même batteur de tapis. Il écrit de la poésie, une première quinzaine d'années mais sans éclats.

Malgré les souvenirs douloureux que lui évoquent les murs du Pâtis, manoir de ses parents, il reste toute sa vie très attaché à sa région natale où il situe bon nombre de ses romans.

Toujours rebelle et non-conformiste il essaye en 1942 de passer la ligne de démarcation. Il fut arrêté et enfermé à Fresnes ; il rejoignit ensuit la Résistance.

Il écrit de la poésie, une première quinzaine d'années mais sans éclats. Il fonda en 1946 avec une douzaine d'amis (dont Robert Sabatier) le groupe et une éphémère revue poétique La Coquille (huit volumes seulement). Il reçoit en 1947 le Prix Apollinaire pour son premier recueil « Jour » publié en Belgique. Les éditions Grasset publièrent en 1948 son roman autobiographique Vipère au poing. De cette date, Hervé Bazin – pseudonyme imposé par Grasset – se consacra entièrement à la littérature.

Grand Prix de Monaco en 1957, Grand Prix de l'Humour noir, Grand Prix international de Poésie, Hervé Bazin a été élu membre de l'Académie Goncourt en 1958. En 1973 Hervé Bazin, fut élu président de l’Académie Goncourt, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort. Dans cette fonction, il réoriente les missions de l’institution et, en un quart de siècle, prend une nouvelle place dans le paysage culturel français. Il prend des initiatives pour dynamiser l’Académie Goncourt, notamment la création de plusieurs bourses et il défend vigoureusement l’autorité du prix Goncourt menacé par la création de nouveaux prix organisés par de grands médias et les trop fortes influences des grandes maisons d’édition.

Hervé Bazin obtient en 1980 le prix Lénine de littérature (l’une des plus hautes distinctions accordées par l’Union soviétique). Il a été membre du Conseil d'administration du Centre National des Lettres et a été longtemps président de la Commission d'Aide à la Création. En 1985, le sondage de l'IFOP le classait en tête des « écrivains préférés » des Français. François Mitterrand, le président de la République Française lui remet en 1991 la cravate de commandeur de la Légion d'honneur.

Sa vie sentimentale a été aussi très mouvementée. Marié quatre fois (Odette Danigo, Jacqueline Dussolier, Monique Serre-Gray, Odile L’Hermitte), père de sept enfants issus de ses quatre unions et grand-père de onze petits-enfants, Hervé Bazin est naturellement à même de pouvoir aborder des sujets de société (mariage, divorce, relations adultes-enfants).

En 1995, Hervé Bazin a déposé ses manuscrits et sa correspondance aux archives municipales de la ville de Nancy, déjà en possession du fonds des frères Goncourt, originaires de la ville. Les six enfants de ses premiers mariages ont obtenu, contre l'avis de sa dernière épouse et de son dernier fils, la vente de ce fonds à l'hôtel Drouot, le 29 octobre 2004. Aidée par les collectivités locales, la bibliothèque universitaire d'Angers a réussi à préempter la quasi-totalité de ce patrimoine, soit 22 manuscrits et près de 9 000 lettres, remis à la disposition des chercheurs, comme le souhaitait l'auteur.

Ses observations minutieuses et son écriture incisive font de lui un écrivain en quête perpétuelle de fraternité à l'image de son engagement, depuis 1949, dans le mouvement qui lutte pour l'amélioration du sort des opprimés et des déshérités. Politiquement, Hervé Bazin a appartenu au Mouvement de la paix, en relation avec le parti communiste dont il était proche.

Longtemps critique littéraire (notamment à L'Information), Hervé Bazin collabore à de nombreux journaux et revues. Il leur a donné de grands reportages et des articles où l'on retrouve le style nerveux et les préoccupations majeures du romancier.

Hervé Bazin décède le 17 février 1996 à Angers, à 84 ans, des suites d'une attaque cérébrale.

Outre l'introduction et la conclusion notre étude La famille désunie chez Herve Bazin est composée de quatre chapitres. Le corpus d’étude concerne deux des romans d’Hervé Bazin : Au nom du fils et Madame Ex. Ces romans remarquables sont deux études de cas représentatifs des drames conjugales qui peuvent marquer à jamais une famille. Dans cette optique, la présente étude s’inscrit dans les travaux de recherche sur le roman français du XXe siècle, et se limitera à ces deux ouvrages, originaux par les particularités qu’ils présentent.

Nos recherches en bibliothèque nous ont renseignés sur les travaux de divers auteurs qui se sont penchés sur la vie et l’œuvre d’Hervé Bazin. Les livres consultés pour la rédaction de la présente étude sont présentés dans la bibliographie mentionnée à la fin de notre travail de recherche.

Le premier chapitre Hervé Bazin et la littérature française de la deuxième moitié du XXe siècle traite le parcours littéraire de l’écrivain qui à partir de 1948, connaît une véritable gloire qui durera jusqu’à sa mort. À l’époque de son premier succès littéraire, le style directe de Bazin, qui dénonce les conventions haïssables du milieu bourgeois angevin, énerve, bouscule la société catholique française. Cette société française passéiste ne digère pas si facilement quand quelqu’un ose traîner dans la boue la sainte institution de la famille surtout si elle est constituée des braves notables. Le premier chapitre passe en revue les principales œuvres d’Hervé Bazin, qui est un des auteurs français les plus lus de la deuxième moitié du XXe siècle. Sa création littéraire contient une cinquantaine d'ouvrages, pour la plupart des romans, renouvelant ainsi la veine autobiographique et intimiste dont se nourrit le roman français.

La famille, le thème central de l’œuvre bazinienne fait l’objet du deuxième chapitre. Hervé Bazin est considérée comme « un romancier de la famille », thème centrale de tous ses romans. Au cœur de son œuvre se trouve la famille ou plutôt le drame familial. La famille est la cellule de base de tout individu. Chaque homme est ainsi censé être le miroir de sa famille. Aussi celle-ci est-elle un des droits fondamentaux de toute personne humaine. En cela, elle joue un rôle irremplaçable dans la vie de tout individu. C'est le lieu, par excellence, de l'apprentissage de l'amour, de la justice, de la liberté et du bonheur, ou, à l'inverse, de toute valeur négative. Ses récits peignent des conflits psychosociologiques assez traditionnels et font de leur auteur un écrivain à succès. Pour Hervé Bazin, la famille est non seulement le lieu de la frustration, mais aussi de l'épanouissement, à condition que l'on soit déterminé à prendre en main sa vie, à travers ses études, son travail et ses relations humaines.

Le troisième chapitre La paternité dans le roman bazinien dépeint les relations père-enfants. Nous retrouvons ici le thème de l’enfant-roi, ayant sur ses parents tous les pouvoirs. Aussi nous nous penchons sur les diverses images du père présentés par Hervé Bazin : le père conscient de ses erreurs, de ses injustices et de ses excès ; le père trop maladroit, trop aimant qui entoure son fils d'un amour asphyxiant, trop inquiet, qui s’attache terriblement et lutte pour que ses sentiments ne soient pas trop envahissants ni exclusifs ; le père qui à mesure qu'il raconte la vie de ses enfants et la sienne se dévoile à lui-même.

Le quatrième chapitre La radiographie du divorce et de la déchirure familiale nous présente les traumatismes du divorce et les manières dont ses acteurs principaux cherchent de gérer la situation. Bazin synthétise magistralement les trois aspects du thème central du divorce : la femme divorcée, la réaction des enfants et la position difficile dans laquelle se trouve le père divorcé et remarié. Ce dernier chapitre analyse : le désespoir et parfois l’agressivité des conjoints, générés par la rage qu’un n’est plus qu’un Ex tandis que pour l’autre l'existence se révèle pleine de promesses et de réalisations ; la division des enfants en deux camps égaux (des papiens et des mamiens) ; le chantage affectif, où les enfants sont les premiers perdants et le parent manipulateur, le dernier.

Hervé Bazin, dans la continuité de Balzac et des grands réalistes du XIXe siècle reste dans la mémoire de la littérature française comme un grand romancier de mœurs, sensible aux mutations de son temps.

Chapitre I. Hervé Bazin et la littérature française

de la deuxième moitié du XXe siècle

Traduite en plus de quarante langues et considérée comme classique, l'œuvre d'Hervé Bazin – trente millions de livres vendus dans le monde – est utilisée pour l'enseignement du français tant à l'étranger qu'en France. Romancier d'abord révolté contre sa famille, Bazin est devenu le peintre des mœurs modernes. Sa modernité tient à son attention à la vie quotidienne, aux problèmes de la famille. 

Au début, Hervé Bazin se lance dans la journalistique. Il collabore avec des petites revues (La Bohème, 1932 ; L’œuvre latine, 1932 ; Parcelles, 1933 ; Visages, 1934) et il signe ses articles sous le nom de Jean Marbolivien.

À partir de 1934 il collabore avec l'Echo de Paris notamment à la « Page des jeunes » le samedi, où il faisait publier des interviews de poètes. Continuant la tradition journalistique de sa famille Hervé Bazin interviewa Louis Aragon, Paul Fort, Paul Claudel, Jean Royer, Michel Zamacoïs et Paul Valéry. Après la guerre, il travaille également pour l'Information ouvre latine, 1932 ; Parcelles, 1933 ; Visages, 1934) et il signe ses articles sous le nom de Jean Marbolivien.

À partir de 1934 il collabore avec l'Echo de Paris notamment à la « Page des jeunes » le samedi, où il faisait publier des interviews de poètes. Continuant la tradition journalistique de sa famille Hervé Bazin interviewa Louis Aragon, Paul Fort, Paul Claudel, Jean Royer, Michel Zamacoïs et Paul Valéry. Après la guerre, il travaille également pour l'Information où il assure la chronique littéraire, pour l'Intransigeant et pour France-Soir.

Après avoir fondé en 1946 la revue de poésie La Coquille dans l'angoisse d'être un raté, dans les souffrances d'un divorce et de liaisons malheureuses, il écrit des poèmes et des romans jamais publiés. En 1947 il collabore aussi avec le Journal des poètes où il signe sous le nom Nic Hervé Bazin.

Hervé Bazin débuta réellement dans les lettres en 1947 et brisa l’anonymat quand il obtint le Prix Guillaume Apollinaire pour un recueil de poèmes, Jour. Une série de poèmes-croquis, de scènes de genre, de poèmes-anecdotes au ton satirique et d’une forme régulière pour la plupart qui semblait vouloir se faire l’écho d’une certaine vie rurale en son déroulement quotidien au-delà des conflits meurtriers du siècle. En 1948 suivra A la poursuite d'Iris, un recueil de 17 poèmes.

Toutefois, sur les conseils de Paul Valéry grand écrivain, poète, philosophe, épistémologue français, Hervé Bazin se tourne vers la prose.

Il acheva en 1948 la rédaction de son premier roman, son livre le plus célèbre, Vipère au poing, publié la même année par les éditions Grasset. Ce roman autobiographique, écrit en trois mois, reçoit le Prix des Lecteurs en 1948, et fut la grande révélation de l'année. Vipère au poing fut aussi l'un des plus gros best-sellers de l'après-guerre (plus de 5 millions d'exemplaires vendus en 1993).

Ce roman de la mauvaise mère suffit à faire d'Hervé Bazin le porte-parole de générations d'enfants maltraités, osant dire que toutes les mères n'étaient ni parfaites ni sacrées, même dans la bonne bourgeoisie catholique de province. Véritable dénonciation, vive et modérée, d'un certain modèle d'éducation, ce roman, a un style précis, rigoureux et acide. Mais il est aussi un hymne à la vie et à la nature, une réflexion sur la condition humaine, sur la création, sur l’écriture. Comme dans l'ensemble de son œuvre, Hervé Bazin y donne les raisons de sa haine et de son combat contre toutes les oppressions familiales et sociales.

Le roman rata de peu le Prix Goncourt mais fut un grand succès ; la presse se partagea entre lecteurs enthousiastes ou horrifiés qu’on puisse s’attaquer ainsi à sa propre mère. Folcoche, l’héroïne du roman, est devenue un authentique personnage-littéraire. Le succès et le scandale, tous deux énormes, qui suivent la parution de Vipère au poing, le lancent définitivement.

En 1950, il participe avec d’autres écrivains comme Marcelle Auclair, Jacques Audiberti, Émile Danoën, Maurice Druon et André Maurois, au numéro de la revue La Nef de Lucie Faure, intitulé « L’Amour est à réinventer ».

Hervé Bazin continua à être journaliste tout en donnant presque chaque année un roman où il décrit de multiples facettes de la vie des familles bourgeoises :

– La Tête contre les murs (1949)

L’histoire sur la destruction de la personnalité d’un jeune durant un long séjour en psychiatrie qui s’inspirait de son expérience d’une hospitalisation en hôpital psychiatrique. L'adolescence du fils d'un juge d'instruction austère ne fut que fugues, vagabondage, rapines. Le cambriolage effectué chez son père et la mise à sac de ses dossiers le conduit à l'asile d'aliénés. Dès lors, pris dans l'engrenage infernal : internements, évasions, il ne pourra plus échapper à son destin. Ce roman au style cinglant et imagé est aussi une peinture sans complaisance des maisons de santé et de détention. Le roman reçoit le Prix de la Presse latine.

– La Mort du petit cheval (1950)

Une suite de Vipère au poing, seconde partie de la trilogie autobiographique d’Hervé Bazin. On retrouve l’atmosphère particulièrement intense qu’Hervé Bazin a créée dans Vipère au poing, ainsi que la minutieuse description des personnages et leur caractère. L’écriture évite la fioriture, privilégiant une langue directe à l’ironie acérée. La cruauté de l'analyse, le cynisme émouvant du héros et l'acidité du style font du roman d'Hervé Bazin un des meilleurs réquisitoires contre un certain type d'oppression familiale.

– Le Bureau des Mariages (1951)

Pour Hervé Bazin, la nouvelle n'est pas un exercice littéraire périlleux et plus ou moins secondaire. Chacune de celles qu'il écrit présente un ou plusieurs personnages vrais, expose une situation, développe un drame humain et en épuise le sens. Elle atteint les êtres dans leur vérité secrète et profonde et éclaire un moment caractéristique de leur destin. Les huit récits du livre ont la même densité. Mais de l'un à l'autre, rien de plus vrai, de plus changeant, que les circonstances, le décor et les personnages. Hervé Bazin passe des bas-fonds de Paris à la lumière d'un paysage d'eau ou à la splendeur d'une forêt d'automne. Il évoque aussi bien l'atmosphère tragique d'une prison que la paix médiocre d'un intérieur de petit-bourgeois. Il entre dans les âmes enfantines des tragiques héros de Jeux de mains comme dans le cœur racorni  de quelque maniaque de village. On remarque dans le Bureau des mariages un style épuré, sans outrances, sans complaisances verbales. Hervé Bazin n'en garde que mieux ce sens de la vie et ce don de la rendre qui lui ont valu un exceptionnel succès.

– Lève-toi et marche (1952)

L’expérience tragique d’une femme handicapée. Dans ce roman tendre et sensible, il nous est raconté l’histoire bouleversante d’une jeune infirme, Constance Orglaise, qui a une maladie progressive. Ayant perdu ses parents pendant la guerre, elle vit chez sa tante. Elle n’accepte pas son état et a décidé de se battre envers et contre tout pour mener une vie ordinaire. Paralysée, elle aura une influence décisive sur les êtres qui l’entourent. Sincère et généreuse, Constance incarne le courage personnel. Elle invente des projets pour changer la vie des gens autour d'elle. Elle décide de s’occuper d’un garçon, Claude, atteint d‘une maladie semblable à la sienne. Mais le mal, dont elle est atteinte, empirera et, malgré sa volonté farouche, il ne lui sera même pas accordé de vivre par personnes interposées.

– Humeurs (1953), (recueil des poèmes)

– L’Huile sur le feu (1954)

L’image d’un père qui est aussi un pompier pyromane. Le roman dévoile la vie d’un village oppressé par une série d’incendies dramatiques. À la lueur des incendies, c'est toute l'existence d'un village qui nous apparaît, dans sa profondeur, avec ses passions et ses rancunes.

– Qui j’ose aimer (1956)

L’histoire d’une mère divorcée décide de se remarier. Depuis un demi-siècle, " La Fouve " est une maison de femmes où Isa, âgée de dix-huit ans, a toujours vécu heureuse et libre. Le remariage de sa mère va provoquer bien des drames. Dans ce roman amer et puissant qui se déroule dans la région nantaise, Hervé Bazin loue le courage féminin et décrit avec une grande poésie le charme de la vie à la campagne.

– La Fin des asiles (1959)

Hervé Bazin a fait une enquête dans toute l’Europe pour le compte de l'Office National de la Santé et il en a rapporté une série d'études dont une partie publiées en avril 1959 dans France-Soir sous le titre Le Tour d’Europe de la Folie. Pour conserver et de répandre ce document capital il a pris la forme d'un livre : La fin des asiles.

Mais si la folie fait des progrès, la psychiatrie va plus vite encore. Aujourd'hui les méthodes qui, naguère, faisaient des aliénés de véritables morts vivants, ont été complètement révisés. Des traitements révolutionnaires, chirurgicaux, médicaux et psychologiques attaquent le mal de partout. Dans La fin des asiles, nous découvrons la lutte passionnante des psychiatres. C’est un livre, lucide, généreux et documenté, que personne n'était aussi qualifié que le célèbre auteur de La tête contre les murs pour mener à bien.

– Au nom du fils (1960)

L'histoire d'un père de trois enfants qui, malgré la quasi-certitude que son dernier-né n'est pas de lui, s'y attache terriblement et lutte pour que ses sentiments ne soient pas trop envahissants ni exclusifs. Cela l'oblige sans cesse à se remettre en question, à se juger, et sa vie, quoique médiocre, se trouve éclairée par cet amour qui lui apporte à la fois peines et joies. Au nom du fils marque un tournant dans son œuvre puisque c’est le premier livre dans lequel l’auteur cesse de se venger de son passé. De 1959 à 1960 Hervé Bazin réside à Anetz dans la maison de l’Emeronce avec une vue imprenable sur la Loire et la rive opposée située en Anjou. C'est en ce lieu qu'il écrira le roman.

Nous observons une rupture dans l’écriture d’Hervé Basin qui se produit avec l’apparition du roman Au nom du fils en 1960, c’est l’époque choisie par l’écrivain pour publier un ouvrage mesuré de ton qui, par rapport aux précédents, semble dénué de toute agressivité mais non de passion. C’est la période également où il prend une conscience claire de lui-même et de ses passions qu’il prolonge par l’écriture en les transposant, objectivement cette fois, dans des personnages fictifs qui peuvent lui ressembler mais qui ne donnent plus l’impression de dépendre de lui. Il nous paraît indispensable de confronter cette interprétation à quelques donnés biographiques. Le 23 décembre 1959, alors qu’Hervé Bazin allait chercher sa mère en Anjou pour lui faire passer Noël en famille, sa voiture s’écrase contre un arbre. En 1960, Mme Hervé Bazin, mère seule dans la maison natale, mène une existence pitoyable partagée entre les souffrances physiques et les privations. Le romancier et sa femme la prennent chez eux où elle meurt au bout de quelques semaines. Nous constatons que deux événements graves sont advenus à notre auteur pendant qu’il écrivait Au Nom du fils, il frôle la mort et quelques mois plus tard sa mère meurt. Le décès de sa mère a certainement influé sur son caractère, son comportement d’homme et d’auteur. En tant qu’écrivain, Bazin tourne la page, il ne se venge plus sur le papier, il se tourne désormais vers le présent, autrement dit vers son propre âge. Il veut témoigner de son époque peuplée de personnages ordinaires. C’est à ce moment que nous pouvons conjecturer raisonnablement qu’Hervé Bazin s’est senti prêt pour l’élaboration d’une fresque. Cherchant à souligner les difficultés de la vie privée et à stigmatiser l’évolution galopante des mœurs familiales, il est devenu un des rares spécialistes-romanciers de la famille prenant le niveau du social au niveau du privé.

Au-delà de la valeur de témoignage qu’ambitionne l’œuvre romanesque bazinienne, la véritable étique du romancier est de raviver les consciences. Il semble évident qu’Hervé Bazin a voulu non seulement se détacher de l’autobiographie, l’objectif qu’il s’est fixé, est de susciter des réactions auprès des lecteurs.

Il délaissa le roman pour se consacrer à ses activités de critique littéraire tout en donnant un recueil de sept nouvelles Chapeau bas (1963) dont trois avaient déjà paru au Canada en 1959 dans La Clope. Chaque nouvelle est une leçon de morale, de droit et de respect de l’individu, de la vie privée, du bien et de la propriété. Le respect des sentiments, des joies, des peines. Il publie aussi un essai humoristique consacré à la réforme de l’orthographe Plumons l’oiseau (1966).

Il revint au roman avec :

– Le Matrimoine (1967)

Chronique des mœurs de province qui se passait à Angers. Hervé Bazin, romancier de la famille, complète son approche à travers cette chronique maritale où l’on découvre les mille et un problèmes d’un couple de la bourgeoisie enlisé dans son quotidien et son ennui.

Dans la langue familière, se marier est souvent pris comme synonyme de faire une fin, ce qui semble impliquer qu'a été conclue une association assurant au nouveau couple l'opulence et la paix jusqu'à son dernier jour. Or ce jour-là est lointain, ceux qui s'écoulent entre-temps onéreux et la fin est en réalité celle de la vie antérieure à la cérémonie : tel est le paradoxe du mariage dont le jeune avocat angevin Abel Bretaudeau mesure la vérité dès le retour du voyage de noces. Rien ne l'a préparé à l'existence à deux qui commence pour lui avec Mariette Guimarch, fille de bonnetiers prospères.

– Les Bienheureux de la Désolation (1970)

Roman inspiré par un fait divers, une fable sur la civilisation où un peuple déplacé d’une île du sud de l’Atlantique ne s’acclimate pas sur le sol anglais. Une éruption volcanique projette sans transition une petite communauté insulaire, du Moyen-Age au XXe siècle, de la vie la plus rude aux facilités de la société de consommation. Un roman sous forme de conte philosophique.

– Cri de la chouette (1972)

Ce roman acheva la trilogie des Rezeau. Cri de la chouette est un roman radicalement différent des deux premiers volets de la trilogie familiale écrite par Hervé Bazin. Vingt-quatre ans après Vipère au poing, l’écriture a quelque peu changé, le verbe est moins virulent. Mais Hervé Bazin n’a rien perdu de ses observations, de ses petits détails. L’auteur passe d'un humour féroce à la nostalgie, du pittoresque à la poésie, de la description de la bourgeoisie terrienne expirante à celle de ces êtres si différents d'elle : ses petits-enfants. Le plus humain, le plus tragique de ses romans.

Les activités littéraires d’Hervé Bazin ne freinèrent pas sa production de romans :

– Madame Ex (1975)

Après les maternités, les paternités difficiles, les révoltes adolescentes, les embarras conjugaux, Bazin écrit le roman d’un divorce.

Un récit consternant de fidélité à ce qu'est un divorce quand un des conjoints, ulcéré en profondeur, décide de mener la vie dure à l'infâme qui veut reprendre sa liberté et que ce dernier exaspéré finit par contrattaquer. Un divorce n'est pas que le temps d'une séparation : c'est toute une vie, quand il y a des enfants.

A travers une rupture conjugale, Hervé Bazin décrit dans ce roman la longue guérilla que se livre un couple qui refuse mutuellement de se séparer de ses enfants. Cette longue guérilla, Hervé Bazin la raconte avec la verve, le mordant, l'art du détail qui font de Madame Ex un de ses meilleurs romans et des plus poignants.

Le succès de ce roman bazinien, depuis longtemps assuré auprès du public par la célébrité de l’auteur et l’immense popularité de son style, était doublé cette fois de l’approbation unanime des critiques. Pierre de Boisdeffre, par exemple, bien qu’il condamne ce qu’il nomme la « constante misogynie » de Bazin, approuve le choix du sujet et le style de Madame Ex.

Madame Ex, par le ton, le trait, le mouvement, la précision du détail, est un roman typique d’Hervé Bazin et sans doute l’un des plus émouvants dans l’évocation de ce tragique quotidien où se meuvent comme nous ses personnages.

– Ce que je crois (1977)

Roman écrit sur le ton modeste, mais dans le style nerveux propre à l'auteur de Vipère au poing et de Madame Ex. L'écrivain, ici, disparaît derrière l'homme qui ne se contente pas de dire ce qu'il pense des grands problèmes existentiels (la religion, l'origine de la vie, la mort, l'amour, le choix de société), mais se complète par l'exposé très vif de ses "croyances pratiques" concernant la libération de la femme, le malaise de la jeunesse et de la famille, l'avenir de l'Europe ou l'aventure spatiale. On découvre chez Hervé Bazin une culture philosophique et scientifique, que ses romans n'affichaient pas.

– Un Feu dévore un autre feu (1978)

L’histoire d’amour romanesque sur fond de soulèvement insurrectionnel en Amérique du Sud. Dans un pays non identifié d'Amérique latine, l'armée passe à l'attaque pour renverser le gouvernement socialiste, pourtant légitimement élu. La junte réussit à prendre le pouvoir et la répression est sanglante. Manuel, leader militant, une des figures les plus recherchées, ne peut s'y rendre. Il trouve refuge chez un employé de l'ambassade française, mais il devra vivre dans la plus complète clandestinité, sans alarmer les voisins, les patrouilles, les sentinelles ni même le fils de la famille. De plus, le fugitif n'est pas seul: Maria l'accompagne. Ce couple ne se connaît que depuis peu, les sentiments amoureux sont frais, mais forts. Ils devront apprendre à se connaître, forcés de vivre dans la promiscuité et l'angoisse. Les beaux sentiments sont mis à l'épreuve par les événements.

– L’Église verte (1981)

Une réflexion sur la nature et la civilisation, une ode à la nature qui pose une réflexion originale sur le besoin d’un nom pour vivre en société. Dans un village de France, on découvre un homme qui vient de nulle part : un homme sans nom, sans famille, sans passé, ou du moins, se prétendant comme tel. Il semble avoir vécu un certain temps caché au cœur de la forêt, cette "église verte", ultime refuge pour ceux qui veulent fuir leurs semblables ou eux-mêmes.

– Abécédaire (1984)

Entre l'enfant penché sur l'alphabet, dans la nursery de la rue du Temple à Angers et les différents êtres en qui différents âges l'ont transformé, voici Hervé Bazin avec ses idées, ses humeurs, ses émotions, ses aveux, ses silences, ses contradictions, ses traits de caractère – et maintes anecdotes. Ses Mémoires, en quelque sorte, sois une forme un peu spéciale. En effet n'ayant jamais tenu de journal, au sens strict et seulement depuis des années jeté des notes dans un cartonnier, l'auteur a estimé qu'elles ne relevaient pas du calendrier, mais d'un classement alphabétique.

– Le Démon de minuit (1988)

C'est l'histoire d’un septuagénaire écrivain à succès qui décide de se refaire une santé, après un infarctus, et une vie. Il décide de changer de vie, balayant les infidélités de sa deuxième épouse dont il va divorcer et refait sa vie avec une jeunette, trentenaire, qui voudra un enfant de lui. Avec la violence du trait, avec la précision cruelle – et parfois crue – qui masquent chez lui la tendresse comme la souffrance et ont fait le succès de tous ses romans, Hervé Bazin nous offre le portrait d'un homme qui refuse les tabous ainsi que les usures et les humiliations de l'âge. Le héros du Démon de minuit, entend vivre et mourir debout et heureux si possible. C’est un roman confession très autobiographique, à l’écriture sèche, nerveuse, saccadée, semblable à celle de Vipère au Poing.

– L’École des Pères (1991)

Deuxième volet du cycle angevin des Bretaudeau, commencé avec le Matrimoine qui nous a proposé le portrait d'un homme en mari. Voici brossé celui du même homme en père. Bien que L'École des pères ne relève aucunement de l'autobiographie, Hervé Bazin anime à sa façon cet Abel qui, apprend la compréhension, l'indulgence et raconte sa paternité sur un ton tour à tour amusé, vengeur, ironique ou tendre, transfigurant des situations que nous connaissons tous.

– Le Neuvième Jour (1994)

Une fable scientifique sur les dangers possibles de la recherche et les risques de la génétique, un cri d’alarme sur les dangers inhérents à la science. Manipulations génétiques, laboratoires ultrasecrets, arcanes des politiques sanitaires, course à l'argent et aux honneurs. Au fil d'une intrigue qui ne laisse nul répit, nous découvrons ce neuvième jour de la Création, où l’Homo sapiens maîtrise tous les moyens d'autodestruction. Avec ce roman – à peine une anticipation – d'un temps où le virus se propage à la vitesse des avions, et la terreur à la vitesse des médias, Hervé Bazin révélait une passion inentamée de comprendre le monde.

Toute l’œuvre d’Hervé Bazin est bâtie sur un cheminement personnel, ce qui donne une vraie force aux situations qu'il décrit. Bazin s’est constamment inspiré de ses expériences personnelles pour écrire ses romans. Pour autant, il a soigneusement déguisé cette expérience au gré de ses convenances, mêlant le fictif et le réel avec une habileté qui laisse ouvertes de nombreuses questions sur l'homme qu'il était vraiment. Il était à la fois l’un des plus grands représentants du roman autobiographique, mais aussi un excellent auteur de nouvelles.

Trois mouvements essentiels caractérisent l’œuvre d’Hervé Bazin :

– une écriture très efficace et percutante, dont la force est à la mesure de la personnalité de l’auteur. Hervé Bazin recourt à la perspective interne, dans l’autobiographie comme dans la fiction. Ce procédé repose surtout sur l’utilisation des instances de première personne, de présents d’énonciation et de certains glissements sur l’imparfait qui entretiennent la confusion entre le système du récit et celui du discours

– une refonde des mots et des expressions avilies de la langue française. Hervé Bazin plaît par ses originalités, avec sa façon bien à lui de faire naître des métaphores neuves de métaphores usées, aussi modérées qu’efficaces, de marquer par la personnification les personnages de ses romans du poids du hasard et de la résistance de la nature

– une certaine pudeur, paradoxale chez quelqu’un qui redoute l’indifférence et l’anonymat, et cependant bien manifeste dans un travail de camouflage des mots. Il livre de l’humain à l’état pur, comme le lecteur en rencontre rarement dans ses lectures, un être vrai et pudique à la fois, entièrement soucieux des autres.

Hervé Bazin sait jouer avec les chocs rythmiques en fonction de l’effet à produire, créant ici la surprise par un contraste entre phrases longues et phrases courtes, là le comique et l’ironie dans une accélération, là encore des bouffées d’angoisse dans une progression par paliers, ayant comme but ultime le plaisir du lecteur. Il possède aussi un incontestable sens de l’humour, un vocabulaire spécifique, des expressions remarquables qui savent exprimer précisément la façon de penser, les valeurs et les raisons de comportement des personnages de ses livres. Ses romans passent avec habilitée de l’humour féroce à la nostalgie, du pittoresque à la poésie.

Chapitre II. La famille, le thème central de l’œuvre bazinienne

La famille est à la fois une institution sociale, juridique et économique, qui a toujours existé au sein des différentes civilisations.

Dans ses romans, Hervé Bazin décrit en détail tous les types des familles françaises :

– La famille traditionnelle composée des parents et des enfants, vivant sous un même toit. Cette forme de famille reste le modèle dominant, dans celle-ci on identifie clairement les rôles des uns et des autres.

– La famille monoparentale composée d'un adulte vivant sans conjoint et avec son ou ses enfants de moins de 25 ans. Ces familles se développent sous l'effet de l'augmentation des divorces quoique, plus nombreuses aujourd'hui elles ne sont pas toujours bien admises. Le modèle de la famille traditionnelle, le modèle dominant reste tout de même un idéal à atteindre pour les familles monoparentales.

– La famille recomposée formée d'un couple vivant avec au moins un enfant dont un seul des conjoints est parent de ce dernier. Cette forme de famille se développe aussi également mais il nécessite des aménagements, car chacun doit être capable d’accepter au quotidien l’existence de l’autre alors qu’il n'est pas habitué à partager son parent.

Vipère au poing est le roman utilisé par la critique littéraire comme référence pour définir Hervé Bazin en tant que le « romancier de la famille », le peintre des mœurs de province et de la bourgeoisie étouffante et oppressive. Dans ce roman il raconte la relation de haine entre une mère cruelle (surnommée Folcoche, contraction de « folle » et « cochonne ») et son fils, Jean Rezeau, surnommé Brasse-Bouillon. Vipère au poing, La Mort du petit cheval, et Cri de la chouette forment le « cycle Rezeau ». Autour de ces deux personnages principaux il y a d’autres personnages secondaires : père, frères, oncles, tantes et d’autres. Les personnages sont constitués de deux facettes, sur le modèle du narrateur, partagés entre un rôle de façade bourgeois, et une personnalité dont les particularités propres à tout un chacun ont du mal à se plier à des règles communes. Dans ces romans, la famille est fondée sur l’autorité, le manque de dialogue où les parents ont un très faible intérêt pour leurs enfants. La famille est un lieu étouffant pour ceux qui la composent.

Quand la grand-mère vient à décéder, Madame Rezeau et son mari rentrent de Chine où M. Rezeau avait un poste de professeur à l’Université de l’Aurore à Shanghaï. Jean et son frère Ferdinand découvrent leur mère qui au lieu de les accueillir à bras ouverts, leur colle une gifle pour les maintenir à distance et leur montrer à qui ils ont affaire. À cette occasion encore, ils rencontrent leur petit frère, Marcel, né en Chine. Très vite, les relations sont exécrables entre la mère et les enfants. Par économie, alors que Madame Rezeau est fortunée, ils ne mangeront à leur faim, seront mal fagotés et surtout n’auront pas le droit d’aller à l’école, un curé leur dispensera les cours. Or, au-delà de cette révolte des enfants, un des thèmes forts de ce roman est l’enfermement. Tout se passe à la « Belle Angerie », domaine familial, sous la surveillance de Folcoche et du précepteur. Les enfants ne peuvent circuler dehors comme ils le souhaitent. La mère a réduit les espaces de liberté au maximum. Par deux fois, grâce à la mauvaise santé de Folcoche, les enfants échappent au joug maternel. Le père, lâche mais plein de bonté, les laissent profiter de ces quelques jours de liberté. Ils ne grattent plus la terre du jardin (corvée quotidienne), font pousser leurs cheveux tondus par Folcoche elle-même, mangent à leur faim et en profitent pour cacher de la nourriture. Mais cette liberté est de courte durée. Dès son retour Madame Rezeau sépare les enfants. Jean est envoyé avec son frère aîné dans le Gers où ils dorment et mangent comme des princes. Pourtant cette totale liberté dans un climat serein lasse Jean qui éprouve un sentiment de manque à l’égard de sa mère. Mais encore une fois, le séjour prend fin et les deux frères retrouvent la Belle Angerie et ses conventions. Brasse-Bouillon (Jean) continue d’alimenter une haine sans bornes pour sa mère qui le lui rend bien. C’est sur ce sentiment de haine et de fureur que se clôt ce roman.

Dans La Mort du petit cheval, Jean a quitté le collège. Confié à des connaissances des parents, il commence, sans conviction des études de droit. Mais très vite, il les abandonne pour s’inscrire en lettres. Parallèlement, pour avoir une certaine indépendance financière, il multiplie les petits boulots, ce qui rend furieux ses parents qui aimeraient récupérer une part de la paie. Comme ils ne parviennent pas à le priver de ses gains, « Folcoche », surnommée désormais « la Vieille » puis « la Douairière », décide de mettre fin à la « vie de patachon » de Jean en le plaçant en pension. Furieux, son fils coupe les ponts avec sa famille et prend sa liberté.

Malgré son espoir d’être autonome, indépendant, Jean est toujours sous la coupe de la Vieille qui rôde, le surveille, le dénigre. Elle continue d’imposer sa toute puissance. Alors que Jean trouve un emploi puis se marie, sa mère le poursuit de ses vindictes. À la mort de son mari, elle parvient à spolier ses deux fils aînés au profit de Marcel qui empoche l’héritage entier. Bien sûr, comme dans Vipère au poing, Ferdinand et Jean piègent leur mère et parviennent à l’humilier à leur tour.

Si Jean Rezeau a réussi à fonder sa propre famille, il demeure pourtant lié à sa mère qui n’accepte pas qu’il puisse être heureux, état qu’elle juge ridicule. Lui-même peine à trouver sa place : élevé au sein d’une famille pleine de préjugés, il cherche sa propre voie, soucieux de ne pas se fondre dans un moule ni de se ranger définitivement.

Comme à la fin de Vipère au poing, Jean se débarrasse de la Vieille qui n’éprouve aucun sentiment maternel à l’égard de ses aînés. Pourtant, le narrateur est toujours aussi révolté, cherchant, en vain, la liberté.  

Même si ce volet me semble moins original et peut-être moins convainquant que le premier, La Mort du petit cheval ne manque pas de caractère. En effet, Hervé Bazin semble chercher une nouvelle voix, ayant régulièrement recours aux affirmations incisives, présentant un narrateur au caractère bien trempé, sévère avec sa famille comme avec son entourage. A ce moment, Jean semble avoir pris sa revanche, d’où le titre du roman. Madame mère a perdu : « c’est la mort du petit cheval ». Mais, un dernier volet nous attend : la Vieille n’a pas dit son dernier mot !

Cri de la chouette est un roman radicalement différent des deux premiers volets de la trilogie familiale écrite par Hervé Bazin. Nous retrouvons Jean Rezeau à l’âge de 48 ans. Il habite désormais au bord de la Marne (Gournay) entouré de ses enfants et de sa seconde épouse (la première étant décédée). Il a coupé les ponts avec les différents membres de sa famille et semble s’être fait une nouvelle existence avec ses propres valeurs, loin de celles inculquées pendant son enfance et qu’il haïssait tant.

Mais cet équilibre, narré en quelques pages seulement, est rompu lorsque Folcoche, c’est-à-dire, Madame mère refait surface sous un prétexte douteux : le décès de sa mère. En réalité, il est bien évidemment très vite question d’héritage. Alors que son fils préféré, Marcel, le seul auquel elle tient vraiment, la trahit en la spoliant, elle décide de se rapprocher de Brasse-Bouillon, dans l’espoir d’être moins seule et de créer une nouvelle alliance.

Grâce à ce nouveau problème d’héritage, le narrateur se rend une nouvelle fois à la Belle Angerie. Tous ses souvenirs d’enfance lui reviennent en pleine figure, tandis qu’il retrouve un lieu dépeuplé, désolé. La Belle Angerie a perdu de sa superbe, même si à l’époque déjà, les lieux étaient médiocrement entretenus. Mais pour ne rien arranger, Madame mère l’a quasi laissée à l’abandon.

Tandis que Folcoche vit parmi la famille de son fils Jean, elle découvre un sentiment qu’elle méconnaissait jusqu’alors : la passion pour la fille de Bertille (sa belle-fille) : Salomé. Mais au lieu de lui témoigner une affection sincère, c’est avec l’argent qu’elle compte l’appâter. N’ayant que peu d’intérêt pour cela, Salomé se tient à distance d’elle pour rester auprès de son amant au grand dam de Madame Mère qui s’effondre.

Elle s’effondre comme s’est effondrée la grande bourgeoisie que Bazin décrivait dans Vipère au poing. La grande bourgeoisie n’existe plus. Il ne reste que des ruines de la Belle Angerie et l’héritage n’est rien d’autre que de nouvelles trahisons. Quant à l’autorité, elle aussi a complètement disparu. Les valeurs prônées par Madame Mère n’ont pas lieu d’être chez son fils libertaire. L’époque a changé depuis Vipère au poing. Salomé par exemple vit librement et sans pudeur sa relation avec son amant, ce que ne supporte pas Madame Rezeau, attachée à ses principes, à une certaine France qu’elle voit disparaître.

Il ne pouvait y avoir de suite à cette histoire familiale. Avec la mort du père et de Folcoche, l’histoire prend fin. Chacun des frères trace sa route, se crée sa propre famille. Bazin dans ce dernier volet semble moins révolté, beaucoup plus apaisé. Il dépeint aussi une mère moins acariâtre, plus humaine que dans Vipère au poing. Certes, elle n’est guère un personnage sympathique, mais pitoyable car seule, abandonnée, flouée par son fils. Surtout, l’on sent que le temps a passé et avec lui les colères et les rancunes. Avec ce livre, Bazin en a définitivement fini avec sa mère. Il peut désormais s’attaquer à d’autres sujets comme la paternité, le mariage, le divorce. 

Madame Ex et Au nom du fils décrivent des situations familiales différentes en élargissant ainsi l’horizon des études de cas offertes par les romans d’Hervé Bazin.

Les deux romans présentent des familles bourgeoises de la classe moyenne qui font partie de la catégorie des familles respectables. Mais au fur et à mesure que la lecture avance nous observons que leur stabilité est secouée par des drames cachés.

Dans le roman Au nom du fils nous plongeons dans l’histoire de la famille du professeur de lettre Daniel Astin. La narration est assurée par Daniel, à la première personne. Mais Daniel, sans cesse dans la contemplation et la rectification de lui-même, parle parfois de lui à la troisième personne, il se sépare d’un M. Astin trop rigide. Daniel est lucide sur ses travers :

« J'ai été longtemps, je le crains, un de ces hommes qui économisent leur chaleur, qui vivent ensevelis dans leurs paupières, sans rien connaître d'autrui ni d'eux-mêmes. Ma profession ne m'avait pas appris la perspicacité ; elle m'avait donné l'habitude des règles, elle m'avait rallongé le sang à l'encre rouge. Ma seule chance aura été d'en tenir le goût des scrupules ».

Daniel Astin habite à Chelles en bord de Marne. Il est un homme réservé, fils unique élevé par une mère veuve de la première guerre mondiale. Il est modeste sans effort de composition. Il doute de lui-même et se juge sévèrement, mais sans masochisme. Il réprouve sa tiédeur passée : « À ma tiédeur, suivie de trop de flamme, je ne cherche pas d’excuses ». Mme Astin, sur le point de mourir, s’est dépêchée de marier son fils avec la petite secrétaire d’en face pour lui donner « une remplaçante ». L’attitude autoritaire de sa mère l’a marqué pour toujours et il ne réussit pas s’imposer en tant qu’homme devant sa femme Gisèle. Cette fraîche épousée, avide d’attentions, de sorties, ne s’accommode pas avec Daniel qui n’offrait qu’une continuité, calquée sur la précédente dont se satisfaisait sa mère. La belle-mère, Mme Hombourg finit par s’en mêler :

« Vous êtes désespérément sage, Daniel, me souffla-t-elle à brûle-pourpoint. Nul n’a rien à vous reprocher, c’est sûr. Mais vraiment, est-ce que vous ne voyez pas que votre femme, n’en peut plus, qu’elle s’ennuie à mourir ? »

L’apparition des jumeaux Michel et Louise ne changent pas la monotonie de leur vie. Pour sortir de cet état Gisèle reprend le travail et redevint secrétaire auprès d’un homme politique retrouvant ainsi sa gaieté et sa vivacité perdues. La guerre et la période quand Daniel a été prisonnier retardent une fin prévisible de leur relation. La nouvelle qu’elle attendait un nouvel enfant laisse planer une suspicion sur l’identité du père. Mais un bombardement tue Gisèle et Daniel rentre à la maison en 1945 où il trouve Bruno qui avait cinq ans et les jumeaux Michel et Louise qui avaient huit ans.

Mais Daniel a beaucoup aimé Gisèle et il ne peut pas l’oublier facilement :

« Mais vraiment, telle qu’elle était, j’ai beaucoup aimé Gisèle ; et comme ma mère je l’oublie difficilement ».

Le récit de Daniel court sur de nombreuses années et l'on fait à ses côtés le chemin d'un homme vers son âge d'or. À mesure qu'il raconte la vie de ses enfants et la sienne, Daniel se dévoile à lui-même, il ose s'avouer ses sentiments et ses rancœurs, mais toujours à mots couverts.

Veuf, il élève ses trois enfants avec l'aide de la jeune sœur de sa défunte épouse, Laure Hombourg, « Laure, notre perle, Laure, notre merle blanc », grillon du foyer qui donne à ses neveux tout l'amour d'une mère sans attendre de retour :

« Ainsi débuta la navette. Je ne parle pas de celle, commune à tous les banlieusards, qui les pousse chaque matin sur Paris pour les ramener entre sept et huit au dortoir. Mais de notre seule originalité : ce va-et-vient de Laure, deux fois maîtresse de maison ou, plutôt, deux fois femme de journée, ballottée d’une cuisine à l’autre, sans cesse repartie pour une tisane sans cesse revenue pour un coup de balais, jusqu’à la dernière traversée qui lui permettait enfin d’aller décemment se coucher chez sa mère. »

Il reconnaît toutefois que Gisèle avait ce grain qui manque à Laure. Mais Laure s’est identifiée à la maison, accrochée aux enfants. Au départ Laure est un personnage stéréotypé, insignifiant en apparence mais elle finit par nous surprendre et nous attacher à force de nuances.

Daniel est toutefois dans une situation confortable. De l'autre côté de la rue, « au 27 côté mair comme disent les enfants, pour l’opposer au 14, côté pair », Laure vit chez sa mère, Mamette, vieille femme prompte au jugement cinglant et qui répète à l'envi ce sarcasme pétri de tendresse :

« Quand on m'aura attaché la mentonnière, alors seulement mes agneaux, je cesserai de vous servir vos vérités. »

Et pourtant, de l'au-delà, Mamette saura assener une dernière vérité, encore plus foudroyante parce que déjà connue :

« Elle ne m'apprenait rien, la défunte pythonisse. Elle me laissait deux enfants dont je m'étais mal occupé, un troisième dont je m'étais trop occupé. Et Laure sur les bras, à défaut d'avoir pu la pousser dedans. »

Homme à qui le veuvage donne la possibilité de se remarier, notamment pour élever ses enfants et tenir sa maison, il tergiverse et ne sait choisir entre la fidèle et patiente Laure et la pétillante Marie, collègue de travail et premier amour reconduit par sa mère :

« Et je me souviens de l’entrevue que je lui avais ménagée avec Maman, quinze ans plus tôt, alors que j’espérai en faire ma fiancée. Refusant de tricher, elle était arrivée, clopant de toute sa jambe. Par loyauté, je pense. Et ma mère, après son départ, avait murmuré : « Quel dommage ! La fille est remarquable et deux traitements de professeur, au lieu d’un, c’était à considérer. Mais vraiment elle boite trop, nous ne pouvons pas. »

Mais là encore, Daniel est maladroit, indécis et ses élans de cœur. Finalement, il sacrifie les femmes à ses enfants et avant tout à Bruno, ce fils dont il veut tant gagner l'affection, afin de se l'attacher plus solidement que par le lien du sang :

« J'étais moins délivré d'elle que de moi, du souci d'être un homme quand l'avenir devenait celui d'un père. »

Le mariage de Bruno et Odile, génère la nécessité d’une certaine indépendance pour le jeune ménage. Daniel décide d’installer le jeune couple au 14 côté pair. Ainsi, cette situation inattendue déterminera Daniel de prendre la décision de se marier avec Laure et de s’installer ensemble au 27 côté mair.

Le mérite d’Hervé Bazin est d’avoir élevé Daniel Astin, homme ordinaire, individu quelconque, à la hauteur d’un cas limite qui, par son exemplarité intéresse tous les hommes.

Dans Madame Ex la famille est présentée aux moments les plus dures de la vie conjugale. La famille désunie offre ici le tableau le plus éloquent.

Si dans Au nom du fils nous avons trouvé le mari trompé dans Madame Ex, Bazin nous décrit les sentiments d’une femme trompée et abandonnée par son mari attiré par une femme plus jeune.

Aline, n’accepte pas si facilement la relation de Louis avec Odile Milobert. Même si au début elle semble tolérer les absences fréquentes de Louis en espérant que ça lui passera, elle craque quand elle se rend compte que cette relation devient de plus en plus sérieuse :

« J’en ai assez, je pars. Débrouillez-vous avec votre père ! […] L’empoignade du retour, la vraie crise de nerfs qu’Aline s’est offerte, les larmes d’Agathe, l’embarras de Guy, les réticences de Rose aggravées par l’imprudence de sa mère décidant d’aller coucher chez les filles pour les saouler toute une nuit de jérémiades, la ruine des absences laborieuses de papa – ainsi devenues découchages – […] »

Tous ces espoirs s’écrasent au moment quand son mari quitte définitivement le domicile conjugal et après deux mois elle reçoit le papier bleu apporté par l’huissier qui lui annonce que Louis a déposé à l’encontre de son épouse une demande en divorce :

« À la requête de M. Davermelle Louis Georges Philippe, demeurant à Fontenay, 36, rue Nestor … et en vertu d’une ordonnance rendue sur requête par M. le président du tribunal … l’huissier soussigné, commis à cet effet, donne sous pli fermé, conformément à la loi, citation à ci-après nommée, qualifiée et domiciliée, à comparaître en personne, pour répondre devant lui aux griefs exposés … »

Après cinq ans d’attente Odile n’en pouvait plus d’être en marge, comme Louis n’en pouvait plus d’être bigame. Mais Louis était bloqué par un acte de mariage et quatre actes de naissance. Louis brisait son foyer pour une autre femme parce qu’au-delà du plaisir il s’était rendu compte que lui était impossible de ne pas vivre avec cette femme. Il avait rencontré cette petite provinciale égarée dans une exposition des meubles. Huit jours plus tard ils ont commencé une relation et faute de finance pour l’entretenir il lui a trouvé un poste de stagiaire dans une maison d’édition.

Les beaux-parents font aussi partie du grand tableau de la famille.

Les Davermelles n’ont pas beaucoup aimé Aline, cette pie-grièche et ils ne la défendaient guère. Le père de Louis n’accusait pas trop son fils ni pour aller roucouler ailleurs ni pour le divorce. Mais la situation des enfants inquiétait beaucoup Fernand Davermelle : « Désormais Louise, on ne les aura pas souvent ». Au début les parents de Louis étaient un peu inquiétés par la nouvelle relation de leur fils avec la jeune Odile mais après un certain temps ils ont accepté ce nouveau couple.

Les Rebusteau n’étaient pas d’accord avec le divorce. Léon Rebusteau reproche à sa fille : « Tu aurais dû au contraire saisir l’occasion pour essayer, loin de sa maîtresse, de te rabibocher avec lui. » Il est déçu par les échecs sentimentaux de ses trois filles : Aline, Ginette et Annette. Lucie Rebusteau est sidérée par le fait que Louis n’a pas laissé tout à sa fille et qu’après le divorce il va y avoir partage. Elle avait déjà fait part à sa fille de l’effet produit à Chazé par son divorce. Comme son mari, elle lui reproche de ne pas avoir réussi empêcher le divorce.

Annette, qui a dépassée la trentaine sans trouver un mari, représente, parmi sa mère (bientôt veuve) et sa sœur Aline (divorcée), la vieille fille. Annette lui avait dit par rapport à ses beaux-parents : « Ils l’ont sur le cœur ton mariage express. »

Ginette, qui est une épouse dominatrice, lui avait dénoncé déjà il y a plus de dix ans, les signes avant-coureurs de Louis :

« l’irritation facile, le baiser rare et parfois furtivement essuyé, une certaine façon de ne plus voir, de ne plus entendre, de ne plus toucher, d’être absent dans la maison même, une inattention entrecoupée de fleurs, de cadeaux- excuses, un souci de maigrir, d’adopter des pulls, une allure, une coiffure, un langage de garçon. »

Aline est consciente que la famille sera à ses côtés, qu’elle se remettra contre le gendre. Mais elle est aussi consciente que son statut de fille, qui s’était jadis un peu aventurée, qui s’était bien placée, va en prendre un bon coup.

Dans les chapitre III et IV de la présente étude nous découvrons plus de détails concernant les luttes intestines de tous ces personnages du roman Madame Ex.

Pour Hervé Bazin la famille est comme la société, un microcosme où on expérimente des codes, des clés, des pertes, des gains, des rôles, et où l’affection reste un piège permanent. Cependant, l'institution familiale dépeinte par cet auteur traverse une profonde crise et en appelle à une refondation. Outre le problème de l'autorité parentale, il se pose le problème du divorce, de la monoparentalité, de la chaleur affective, quand tous les deux parents sont trop absorbés par leur travail. C’est dans la famille que les personnages d’Hervé Bazin trouvent leurs dimensions et rencontrent leurs limites. Une grande partie de ses personnages sont marqués par sa propre révolte : celle qu’il avait vécue pendant son enfance douloureuse et privée du climat émotionnel nécessaire à une croissance équilibrée.

Chapitre III. La paternité dans le roman bazinien

Le thème de la paternité présente depuis le début de l’œuvre bazinienne, trouve sa pleine expression dans Au nom du fils. Le thème corollaire : celui qui met en évidence l’enfant-roi, ayant sur ses parents tous les pouvoirs, devient encore plus important dans la deuxième moitié du roman et aussi dans Le Matrimoine et Madame Ex. Le thème de la paternité est doublé, de celui de l’enfant « adoptif », du bâtard qui remplace les enfants légitimes dans les affections de leur père. Le thème de l’enfant adoptif, apparaîtra dans Au nom du fils (Bruno), dans Cri de la chouette (Salomé) et encore dans L’Eglise verte (Léonard).

Dans Au nom du fils, Bazin a voulu créer une situation préalablement circonscrite : pas d’épouse, pour isoler le thème de la paternité ; enfant bâtard, pour souligner l’importance de l’affection paternelle plutôt que du sang paternel.

Nous avons vu que Daniel Astin, est un petit professeur de banlieue exerçant au collège de Villemomble. Il a trois enfants : Michel, le premier de ses enfants, est un garçon brillant ; Louise, le second est une fille, câline, gentille ; Bruno, le troisième est un petit garçon pas très brillant qui lui donne du fil à retordre. Moins doué que Michel et sans les attraits évidents de Louise, il devient pourtant l’enfant préféré de Daniel Astin, et le co-protagoniste de cette étude de la paternité.

Bruno est un enfant farouche qui a tendances à faire des fugues quand son père lui reproche d’avoir des erreurs de conduite ou mauvaises notes. Grondé pour un zéro en composition l’enfant s'est enfui dans les rues de Chelles et son père donne aux voisins le spectacle du respectable professeur s'époumonant à rattraper son fils rebelle.

Daniel s'en étonne et s'en agace, ne comprenant pas cette réaction d'animal apeuré :

« Est-ce ma faute si cet enfant réagit comme un lièvre et, dès la moindre scène, répond aux reproches avec ses genoux ? »

À l'agacement succède la pitié pour ce gamin qu'il sait si mal prendre, de l'aveu de tous et du sien propre.

Dans la première scène du roman on voit le fils sidérer le père parce qu’au moment où il lui demande bourru pour sauver la face : « Veux-tu donc faire croire à tout le monde que je te brutalise, que je n’aime pas mes enfants ? », l'enfant assène à son père une évidence que celui-ci tentera toute sa vie de combattre : « Tu m'aimes, bien sûr, mais tu m'aimes moins. »

Moins, cela veut dire moins que les autres, moins que les deux aînés. Le père est marqué par ce terrible euphémisme d’enfant. Il est écrasé par ce moins, tout court. Il suppose que cela signifie moins qu’un fils.

Ce reproche sera une obsession pour Daniel. Il va s’intéresser à ce fils, il va le découvrir petit à petit au long d’une série de petites scènes et un jour alors qu’il croît d’ailleurs encore l’aimer moins que les autres dans un accident de bateau d’ailleurs assez banal il se jettera sur lui plutôt que sur sa fille pour les sorti de l’eau :

« Et plouf, fils et fille se sont portés de mon côté sans réfléchir, si vivement que, cul par-dessus tête, avec un bel ensemble, nous voilà dans l’eau. J’émerge le premier, en riant. Michel rit aussi, qui, déjà, sans s’inquiéter, fonce vers la rive pour montrer que de nous tous il est de loin le meilleur nageur. Mais Louise et Bruno ne rient guère, eux. Si j’ai de l’eau jusqu’aux épaules, Louise en a jusqu’au menton ; elle se débat, affolée, parmi ses cheveux flottants. Quant à Bruno il n’a pas pied du tout et pointe un menton serré en esquissant, il est vrai une espèce de grenouillade qui ressemble d’assez loin à la brasse. Foncer sur lui, l’empoigner, c’est l’affaire d’un instant. Cinq mètres plus loin la profondeur est moindre.

– Et Louise ! souffle Bruno, qui peut maintenant gagner la berge tout seul.

Je n’ai plus qu’à me rejeter très vite vers sa sœur qui vraiment se maintient à peine, boit la tasse, crachouille en criant de plus belle. J’aurais plus de mal à l’amener, pâlotte, ravalant des hoquets, jusqu’à la cale … »

La douce Laure lui trouve une excuse : il a pris le plus près. Mais Daniel sait qu’il l’aime mieux, qu’il le préfère maintenant :

« Quant à moi, ridicule, j’enfile ma chemise comme si je revêtais la pourpre. Je sais maintenant. C’est clair. Ça devrait crever les yeux de tout le monde. Bruno, je ne l’aime pas moins. Le signe est renversé : je le préfère. Qu’il n’en sache rien, lui, qu’il n’y réponde pas, cela n’a aucune importance. »

Ainsi commence pour lui une période relativement heureuse qui serait tout à fait s’il n’arrivait pas un ennui. C’est qu’il veut se marier. Comme il élève ses enfants avec sa belle-sœur et sa belle-mère, les enfants ne veulent pas entendre parler d’une belle-mère, d’une nouvelle mère et Bruno notamment se met entre son père et Marie Germin et il casse :

«- Si tu pouvais, Papa …

– Si je pouvais quoi, Bruno ?

Il hésite, il a honte, il souffle :

– Si tu pouvais laisser tomber …

Ma main se crispe un peu sur son épaule.

– Bien, Bruno. »

Daniel va se mettre à aimer avec rage et passion ce fils qui n'est peut-être pas de lui. De ce presque inconnu, il fait son propre enfant, son enfant choisi. Mais il lui faut aussi devenir père et éviter les pièges de l'attachement. Il fait difficilement la part entre le père et le professeur. Et il sait encore moins bien disposer de la tendresse que tout père doit à ses enfants. Sans cesse, il les catégorise : « Louise est mon sirop, comme Michel est mon vin d'honneur et Bruno mon vinaigre. » Incapable de les aimer d'une même affection, il détaille ce qu'il leur porte et tient des comptes farouches, craignant de léser Bruno.

Le cheminement de ce père putatif est bouleversant. Pour mieux aimer son vilain petit canard, il en délaisse ses propres enfants. Michel réussit de brillantes études qui le mènent vers une carrière glorieuse. Louise, éblouissante à sa manière, goûte au succès. Michel et Louise n'ont plus vraiment besoin de lui. Ils sont armés suffisamment, l’un d’égoïsme et d’intelligence, l’autre de beauté et d’égoïsme, pour n’avoir trop besoin de lui ; c’est au Bruno que va sa tendresse. Pour briller, Bruno n'a besoin que de se frotter à son père qui n'a de cesse de faire reluire l'image de ce fils adoré. Conscient de ses erreurs en tant que père, de ses injustices et de ses excès, Daniel tente des efforts qui ne sont que futiles. Il entoure Bruno d'un amour asphyxiant et dont lui-même étouffe.

Jamais aigri contre son épouse décédée, il fait de Bruno l'ultime cadeau qu'elle lui aurait laissé. Daniel transcende la fonction de père : pélican moderne, il s'arrache le cœur pour le donner à ce fils qu'il n'aimera jamais assez.

Il peut jouir en toute propriété de son bonheur paternel, sans autre témoin que Laure qui est la discrétion même. Ce bonheur ne sera pas entamé quand il recevra la preuve irréfutable que Bruno n’est pas son fils. Rien n’ébranlera la vocation paternelle de Daniel Astin, pas même la découverte d’une fiche de groupe sanguin, prouvant de façon certaine que Bruno, n’a aucun lien charnel avec lui :

« Ne jetez pas ça, dit Laure, c’est la fiche de donneur de sang de Bruno. Il l’a oublié sur la table.

… Mais une main rapide a griffonné en travers, à l’encre rouge : groupe O, donneur universel. Une main rapide, une main terrible !

… En une seconde grâce à ce bout de papier, un vieux problème que personne ne tenait beaucoup à éclaircir vient d’être liquidé, résolu. Vous avez appris par hasard, jadis, dans un hôpital allemand, quel était votre propre groupe sanguin, et vous avez lu pour savoir que jamais, un père AB n’a pu engendrer d’enfant O. »

Après une longue période que Daniel appelle sa belle époque, le fils prend ses ailes, il commence vouloir avoir une certaine liberté une certaine indépendance, il y a une lutte, une influence entre le père et tous les gens qui prennent son fils. Daniel c’est un homme extrêmement scrupuleux qui revient constamment sur lui-même et le pire pour lui sera évidemment le moment où le fils aimera une jeune femme. Daniel craint et souffre d'être abandonné quand Bruno, enfin adulte, décide d’épouser la douce Odile, une jeune fille plutôt insignifiante. Bruno refuse de poursuivre ses études, et il accepte une situation subalterne dans les P.T.T. pour se marier plus vite à dix-huit ans.

L’attitude de Daniel s’adoucit cependant, quand il parvient à surmonter sa jalousie et se met à souhaiter avant tout le bonheur de Bruno. Par exemple, dans la scène où Odile, enceinte, doit faire face à ses propres parents.

La scène où les parents d’Odile viennent voir Daniel Astin est traitée de manière satirique et devance la scène analogue dans Cri de la chouette, ainsi que la scène du mariage dont nous retrouvons la réplique douze ans plus tard lorsque Jeannet Rezeau épouse Marie Bioni.

Au point de leur attitude envers la religion, Astin, comme Bazin, est incroyant mais sans vouloir imposer ses opinions, ni a ses enfants, ni aux autres, et ils s’élèvent tous deux contre l’hypocrisie sociale. Ainsi, nous entendons très clairement la voix de Bazin lorsque son narrateur commente, par exemple, l’hypocrisie du père d’Odile qui, le jour du mariage de sa fille, lui déconseille de boire du vin parce qu’elle est enceinte :

« M. Lebleye, d’une lèvre grasse, conseillait à sa fille de boire très peu de vin :

– A cause de … tu me comprends ? (L’anneau passé, le cher petit fœtus, il n’était plus une faute !) »

C’est au sujet d’Odile, aussi, que Bazin introduit vers la fin d’Au nom du fils certaines idées qu’il reprend, en les exploitant de fond en comble dans le Matrimoine.

Il faudra finalement que Daniel se décide à reprendre sa vie là où il l'avait laissée, qu'il cesse de vouloir accompagner Bruno dans chacun de ses gestes, qu'enfin il libère l'oisillon qu'il avait recueilli.

Le roman Madame Ex parut 15 ans après Au nom du fils, présente l’image du père divorcé qui doit surmonter les difficultés de l’adaptation de ses quatre enfants à la séparation de leurs parents. Aussi il se trouve divisé par son amour pour Odile et ses sentiments paternels.

Louis Davermelle, 44 ans, peintre mais qui travaille comme décorateur, doit lutter contre les stratagèmes de son ex femme Aline, pour lui éloigner les enfants : Léon, dix-sept ans, Agathe quinze ans, Rose treize ans et demi, Guy neuf ans. Louis peut avoir les enfants un dimanche sur deux et chaque fois il exige ses droits à la minute près. Toute de suite après le divorce il se présente à son ancien domicile pour emmener ses enfants chez leurs grands-parents. Aline, qui ne s’attendait pas qu’il arrive et en plus qu’il est si ponctuel, fait une crise devant les enfants. Agathe qui s’était alliée avec sa mère attendait la permission de partir mais Rose et les garçons galopaient déjà vers leurs chambres.

Le minuscule studio qu’il habitait avec Odile, ne lui permettait pas d’emmener les enfants chez lui. Pour l’instant il était content d’avoir ses parents proches et disponibles parce qu’il ne pouvait pas traîner les enfants toute la journée dans Paris sans laisser entendre que son domicile était inavouable. Ainsi les enfants se sentaient à l’aise et en même temps il pouvait maintenir la continuité des droits de visité légaux.

Petit à petit Louis se rendra compte que les aînés seront les partisans de leur mère et les cadets seront ses fidèles alliés. Il constate qu’Agathe est en état quasi permanent de non-représentation, Léon manque une fois sur deux, mais Rose est toujours proche de lui et Guy s’évadait une fois de sa mère pour arriver à pied chez ses grands-parents au rue Vaneau. Rose et Guy, à l’improviste étaient passés chez son travail mais aussi font des incursions à Nogent certains jours où ils n’ont aucun droit d’y être. Louis se pose la question :

« Pourquoi les deux plus jeunes, pourquoi pas les deux grands ? Si on a les enfants que l’on mérite, pourquoi méritait-il ceux-ci pas ceux-là. »

La visite que Louis reçut de la part d’un représentant du Comité de vigilance lui apprend du partage en papiens et mamiens qu’on inventé les enfants. Même s’il n’était pour rien dans les démarches que Rose et Guy avaient entrepris, Louis ne voulait pas lui avouer qu’il avait parlé à Rose de l’existence du Comité. Les cadets ont contacté à plusieurs reprises le Comité de vigilance pour demander le droit de vivre chez leur père. Guy a été vu par un pédo-psychiatre et la conclusion était : image maternelle dévalorisée et appel au père pour identification.

Une nouvelle question travaille Louis :

« Encore une fois, pourquoi l’aimaient-ils donc au point de ne pouvoir guérir que par celui qui les avait blessés ? »

Le représentant du Comité de vigilance a demandé aux cadets d’éviter les incidents et de fournir la preuve qu’ils n’en sont pas la source. Aussi trois mois de réflexion leur a été imposé. En même temps Louis reçoit l’information que l’affaire relève de la justice et lui seul peut intenter une action en changement de garde. En plus la décision concerne aussi sa nouvelle femme qui venait de lui offrir encore un bébé. Odile n’avait d’obligations qu’envers Félix, son bébé, et ce serait tout à fait son droit de ne pas vouloir en assumer d’autres enfants. Elle est totalement à côté de Louis et elle se réjouit d’accueillir Rose et Guy. Mais elle reconnaît : « Car je le dis franchement, je ferais piteuse main s’il fallait accueillir les aînés. »

La fugue des cadets du domicile de leur mère précipite les démarches juridiques envisagées de Louis. La lettre envoyée à leur mère explique clairement la situation :

« Ma chère maman, nous quittons la maison pour aller demander aux juges notre transfert chez papa. Tu ne t’étonneras pas : il y a assez longtemps que nous le réclamons. Nous t’aimons bien, nous regrettons de te faire de la peine, nous souhaitons te voir ensuite régulièrement. Mais nous voulons plus vivre avec toi et tu sais pourquoi … »

Louis Davermelle pourra dire ainsi que sa vie commençait prendre une belle tournure. Après la vente de la maison de Fontenay qu’il avait habitée avec Aline et les Quatre il avait acheté avec sa part une autre maison à Nogent pour lui et pour Odile. Cette nouvelle maison accueillera aussi Félix, le nouveau né et les cadets Rose et Guy qui ont été confiés par la justice à leur père. Même s’il n’est pas un maître, ses toiles attirent de plus en plus les acheteurs. Les galeries aussi acceptent d’accrocher ses tableaux. Le petit Félix semble avoir le même talent que son père parce qu’il dessine avec « ardeur sur le mur avec un crayon gras ».

Bazin choisi des fins heureuses pour les pères de ses deux romans Au nom du fils et Madame Ex. Entouré par sa famille, Louis Davermelle assiste victorieux au mariage de Léon et Solange, comme Daniel Astin assistait aussi au mariage de Bruno et Odile.

Chapitre IV. La radiographie du divorce et de la déchirure familiale

La vie de famille en France a changé en l’espace de plusieurs décennies. Alors qu’avant le divorce était rare, les mères célibataires étaient considérées comme des moins que rien, le mari avait l’entière autorité sur sa femme et ses enfants. De nos jours toutes ces principes qui faisaient alors la famille nous paraissent dépassés, en effet l’image que l’on se fait de la famille évolue rapidement au fil des années ainsi que la situation de l’homme et de la femme dans notre société.

La conséquence la plus directe à l’augmentation du divorce est la hausse de la famille monoparentale. Le plus souvent se sont les mères qui ont la garde des enfants, donc dans le taux de famille monoparentale se sont les mères qui y sont majoritairement représentées.

Dans la majorité des cas, les situations vécues par les familles déchirées par le divorce génèrent les facteurs dont les enfants sont victimes, lors des divorces ils sont malmenés dans leurs sentiments, partagés entre leurs parents. L’enfant de nos jours doit savoir s’adapter aux désirs des parents, il doit savoir vivre dans une société ou les couples se font et se défont.

Hervé Bazin débute le roman Madame Ex d’une manière directe en nous mettant toute de suite en pleine crise familiale. Les salles du Palais de Justice de Paris montent l’angoisse d’Aline qui était encore Mme Davermelle mais qui redeviendra bientôt Mme Rebusteau. Ses espoirs de réconciliation avec son mari sont vite anéantis par la détermination de celui-ci pour retrouver le plus vite possible sa liberté :

« Suit encore un solennel quart de minute de silence, pour réflexion. Puis sur le demandeur tombe un nouveau coup d’œil, aussi bref, aussi discret, accompagné d’un murmure :

– Vous persistez ?

La tête d’Aline, tout de même, a viré d’un quart de tour. Celle de Louis, nez en étrave, n’a pas bougé. Il persiste. D’un simple battement de cils, il persiste. »

Louis Davermelle, quant à lui, essaie de négocier le mieux possible la garde des enfants, le partage et les pensions d’Aline et des enfants, mais les menaces d’un procès qui durera des années le font accepter toutes les conditions imposés par l’avocat de sa femme :

« Maintien dans la villa et onze cents francs pour la mère, quatre cents francs pour chacun des enfants dont Aline aura la garde en concédant deux dimanches par mois – le deuxième et le quatrième – de 9 à 21 heures au titre du droit de visite, plus la seconde moitié des vacances. »

Le 11 juillet 1975 le président de la République Française Valéry Giscard d’Estaing promulgue la loi no 75-617, qui est une réforme profonde du divorce.

L’idée du législateur de 1975, lorsqu’il a réformé le divorce, a été d’offrir à tout couple voulant divorcer le choix de la voie la plus adaptée. D’où le passage d’une législation ne comportant qu’un seul type de divorce (le divorce pour faute) à une législation en comportant cinq (le divorce pour faute, le divorce sur requête conjointe, le divorce demandé par l’un et accepté par l’autre, le divorce pour séparation de fait, le divorce pour altération des facultés mentales de l’autre conjoint). Au titre de l’influence de la loi sur les mœurs, on relèvera deux choses notables. Premièrement, il s’est confirmé que les divorces qui, sous la législation en vigueur de 1884 à 1975, étaient prononcés pour faute correspondaient en réalité, dans la moitié des cas, à une volonté conjointe des époux : ceux-ci ont donc pu désormais saisir la justice de leur demande de divorce sans plus de simulation. Mais le plus remarquable est l’introduction du divorce demandé par l’un et accepté par l’autre, dont le régime emprunte à la fois à celui du divorce pour faute et à celui du divorce sur requête conjointe. 

La parution de Madame Ex, la même année que cette célèbre loi donne plus d’actualité au sujet du roman. L’histoire du roman qui est en fait l’histoire d’un divorce pour faute montre qu’Hervé Bazin métrise bien le sujet.

Il présente les phases de la procédure pour le divorce, dans notre cas le divorce pour faute :

– l'époux ou l'épouse dépose par l’intermédiaire de son avocat une demande (une requête) au juge pour lui faire part de son souhait de divorcer sans préciser le cas de divorce choisi, ni les motifs ou les griefs.

– les deux époux sont ensuite convoqués à une audience de tentative de conciliation devant le Juge aux affaires familiales, phase obligatoire, ce n'est pas une audience pour une réconciliation des époux, il s'agit simplement d'amener les deux époux à accepter de divorcer.

– lors de la conciliation, le juge peut inciter les époux à présenter un projet de règlement à l'amiable des conséquences de leur divorce ; désigner un professionnel qualifié pour dresser un inventaire estimatif des biens, ou faire des propositions pour régler les intérêts pécuniaires des époux, ou désigner un notaire ou un professionnel qualifié pour établir un projet de liquidation de leur régime matrimonial et de partage de leurs biens. C'est au cours de cette audience qui a lieu en chambre du conseil que sont décidées les mesures provisoires, c’est-à-dire les règles qui régiront les rapports entre les époux pendant la durée de la procédure de divorce, et notamment les mesures vis à vis des enfants. Ces mesures concernent aussi bien la résidence habituelle des enfants, l'autorité parentale, le droit de visite, la pension éventuelle pour l'un des époux, la contribution à l'éducation et à l'entretien des enfants etc.

– ensuite l’avocat de l’un ou l’autre des époux fait délivrer une assignation en divorce qui doit, sous peine d'irrecevabilité, contenir une proposition de règlement des intérêts patrimoniaux et pécuniaires.

– les parties vont échanger des pièces et des conclusions dans lesquelles elles exposent leurs demandes quant aux causes et conséquences du divorce.

La vocation du divorce pour faute était de répondre aux cas de fautes particulièrement graves, principalement lors de violences conjugales, d’injures, diffamations ou défaut de participation à la vie familiale.

Le divorce pour faute peut être prononcé quand l'un des époux est condamné à une peine infamante (bien qu'en toute logique ce ne soit jamais la peine qui soit infamante, mais bien le crime qui a motivé la condamnation. Le divorce pour faute n'a plus d'intérêt pour grand monde depuis 1974, date à partir de laquelle la tendance a été de confier la résidence de l'enfant à la mère indépendamment de toute question de faute. La pension alimentaire ne dépend pas du fait qu'il y ait faute ou non (puisque c'est aux enfants qu'elle est destinée), et le partage de la communauté non plus. La seule chose qui fasse la différence entre le conjoint fautif et l'autre serait dans les conditions de paiement des frais de procès et tous les frais annexes y compris ceux du relogement. C'est la raison pour laquelle il avait été envisagé de supprimer le divorce pour faute.

Les enfants peuvent aussi faire l'objet de graves pressions et être complètement coupés d'un des parents qui ne respecte pas le droit de visite et d'hébergement de l'autre parent.

Les opérations de liquidation et de partage seront réglées après le divorce, soit devant un notaire, soit par un formulaire à remplir auprès de l'administration fiscale.

Comme d’habitude dans des situations pareilles, Louis et Aline ont leurs propres alliés qui essaient les conseiller pendant leur guérilla. Louis, 42 ans, est soutenu par ses parents (Louise et Fernand Davermelle), par sa nouvelle jeune épouse Odile, 25 ans, soutenue aussi par sa famille (ses parents, les Milobert, qu’elle appelle les M, et son frère Raymond Milobert), et par son avocat maître Grancart. Aline, 42 ans, compte sur sa famille (ses parents Léon et Lucie Rebusteau, ses sœurs Annette et Ginette), sur son avocat maître Lheureux, sur son amie Emma Valdoux, et sur les Agars (un groupe mixte de mères célibataires et de femmes séparés). Gabriel Beaumonge, le parrain de Léon, reste équidistant.

Le problème de la culpabilité de l’autre a une importance psychologique pour les acteurs d’un divorce, importance démesurée pour une femme comme Aline qui se considère victime de l’affaire :

« Elle n’avait pas voulu le divorce. Il avait divorcé, lui. Elle était divorcée, elle. Nuance ! Elle n’acceptait pas de se sentir coupable. »

La lutte pour influencer les enfants commence dès que le divorce est prononcé. Aline se laisse emportée par la haine contre son ex mari et tisse petit à petit le voile de la manipulation :

« Les enfants, c’est tout ce qui lui reste, mais Aline les a, Aline les tient : dans ce cadre familier où leurs habitudes, leurs horaires comptent autant, sinon plus, que les grands-parents, les tantes, les amis, les voisins (qu’on triera soigneusement). »

Les enfants sont marqués par ce qu’ils voient autour d’eux. Le texte d’Agathe écrit dans son journal est édifiant :

« Rien ne sera plus comme avant. Une maison à quatre murs et un toit a deux pantes. Nous quatre, nous étions les murs : papa et maman, c’était le toit. La moitié du toit vient de tomber et le soir, quand je rentre, j’ai honte, comme si j’habitais une ruine, comme si le trou se voyait. »

La guerre d’usure débute bientôt et les positions sont vite occupés par les Quatre, bousculés dans leurs affections filiales et divisés en deux camps égaux : d’un côté Agathe et Léon et de l’autre côté Rose et Guy. Selon Guy, ils sont devenus maintenant des papiens (les cadets) et des mamiens (les aînés). Agathe se solidarise avec sa mère mais Rose reste attachée à son père. Le rôle joué par les filles Davermelle, qui réagissent très différemment l’une de l’autre au divorce de leurs parents, est essentiel au déroulement du récit de Madame Ex.

Les chicanes des parents divorcés semblent ne s’arrêter plus. L’avocat Grancart, le cousin de Louis remarque :

« Vous avez trop bien raté votre ménage pour ne pas rater votre divorce. Vous êtes aussi emmerdants l’un que l’autre. Ma parole ! La guérilla conjugale vous manque. Vous la continuez sur le dos des gosses … ».

Aline refuse d’accepter le fait que la jeune Odile Milobert va devenir à sa place « Madame Davermelle » et, agressive et rancunière, elle essaie d’utiliser les enfants comme une arme contre leur père. Elle refuse souvent à Louis ses droits de visite et s’efforce de le démolir aux yeux de Léon, Agathe, Rose et Guy.

L’ex Mme Davermelle fait tout le possible pour empêcher les enfants de passer leur temps avec leur père en essayant par ce moyen de les éloigner de leur père et de sa famille. Louis répond par des lettres recommandés et des déclarations d’absence au commissariat. Aussi il informe son avocat que les enfants sont obligés d’entendre des injures, calomnies, malédictions proférées à son égard par son ex femme. Aline refuse de lui rendre des papiers qui manquent, elle brûle le courrier de Louis, ou elle déclare ignorer la nouvelle adresse de celui-ci quand un client le cherche à son ancien domicile.

Il y a des moments où Aline craque et comme réponse à la sympathie que les enfants montrent pour leur père elle réagit imprévisiblement en se vengeant de l’absent sur n’importe qui :

« Droite, gauche, ça part, ça claque, ça donne du cramoisi sur deux joues innocentes. Aline elle-même, ses bras et sa colère aussitôt retombés, en reste médusée. Guy se sauve en piaulant, incapable de comprendre que ce n’est pas lui, mais son père qui par procuration vient d’être giflé. »

Malgré quelques ressemblances intéressantes entre Aline et Folcoche, il est évident que ceux qui espéraient trouver en Louis Davermelle un Brasse-Bouillon vieilli qui mène contre son ex-épouse la même révolte que menait Jean Rezeau contre sa mère, ont été quelque peu déçus.

Cependant, le spectre de Folcoche, dont nous trouvons des reflets déconcertants dans le personnage d’Aline, semble faire dans Madame Ex une ultime réapparition.

Dans Madame Ex Bazin insiste davantage sur la limite très fine qui existe entre une affection maternelle saine et le dévouement excessif ; et sur les conséquences possibles lorsque cette frontière est franchie.

Louis Davermelle est comblé de voir Odile heureuse de l’avoir maintenant seulement pour elle. Il est en train de refaire sa vie avec une femme qui l’aime et qui veut lui offrir encore un enfant. Odile Milobert fait partie d’une série des personnages baziniens comme Maria Pachéco, Claire Godion et Yveline Darne, caractérisés par la franchise et la lucidité de la nouvelle génération de femmes plus équilibrées. Odile est une femme courageuse, intelligente, arrangeante, sans pour autant être trop altruiste.

Pendant la petite vacance à Combloux elle se réjouit d’être une bonne hôtesse pour les enfants de Louis devenus aussi ses enfants. Elle réussit même s’attirer une certaine sympathie de la part de Rose, Léon et Guy. Mais elle s’approche surtout de Rose et Guy. Guy, le petit bougre, avoue en croquant une tartelette aux myrtilles : « Ben, dis donc, à ce qu’on disait de toi, je ne te voyais pas comme ça. » Fernand Davermelle, le grand-père paternel, remarque :

« Ce n’était pas tellement sur les joues de Louis, vite suçoté, que Guy insistait, mai autour d’Odile … ».

Agathe reste fidèle à sa mère et elle essaye toutes les recettes d’opposition pour se montrer insolente, insupportable : le mutisme, le bâillement, la sécheresse de ton, la politesse excessive, le sourire à claques, le retard, l’inertie. Elle a boudé le plat, le paysage, les yeux.

Selon Aline, Léon qui vient de passer son bac et commence la pharmacie et Agathe qui est en terminale, sont des jeunes gens capables de comprendre.

Les problèmes des parents influencent la situation scolaire des enfants. Notamment Guy, 11 ans, semble attirer l’attention de ses professeurs, qui en plus de ses résultats négatifs s’inquiètent pour le signal d’alarme tiré par un de ses devoirs. La conclusion générale des professeurs est qu’il faudra surement l’envoyer au centre psychopédagogique. Accompagné de sa mère il passera quelques tests chez dr. Trainel.

Rose, 15 ans et demi, est la seule qui garde un certain équilibre : elle tient la moyenne douze ou plus, elle aide Aline à la maison, elle balaie, épluche les légumes, monte les œufs en neige, met la table (tandis que les autres ne font rien) et en cachet elle écrit des lettres à son père.

L’union de Louis et d’Odile, en plus de la bénédiction de Rose et Guy, est aussi bénie par Fernand et Louise Davermelle (appelés avant les D par Odile). Les Davermelle étaient un peu désespérés par leur fils qui avait refusé la pharmacie pour faire les Beaux-arts, et :

« qui court, qui contraint et forcé épouse une dactylo sans le sou, qui s’empêtre d’une famille nombreuse, qui se remet à courir, qui s’entiche d’une jeune fille, qui casse tout pour recommencer avec elle. »

Maintenant ils sont contents pour leur fils et ils veulent que Louis et Odile serrent leur relation par un enfant :

« Louis, Odile, Rose, Guy, les parents Davermelle, les parents Milobert, tous autant qu’ils sont, alliés de seconde main, ils ne le seront vraiment que par un nouvel enfant. »

Mais cette joie commune n’inclue pas Aline. Elle est sidérée en apprenant que son ex mari deviendra encore une fois père. Elle essaie de manipuler sans succès Guy :

« J’ai beau lui dire que cet enfant ne sera pas son frère ou sa sœur, pas vraiment, puisqu’il a été fait dans un autre ventre, il ose me répondre : Ça ne change pas la graine ! ».

Bien que Rose paraisse plus intelligente que sa sœur et peut-être plus sympathique aux yeux du lecteur, nous avons l’impression de mieux connaître et comprendre Agathe, parce que celle-ci se confie à son journal « son fameux cahier à couverture de moleskine rouge » :

« Qu’y a-t-il dans le ventre d’Odile ?

Un gosse qui aura un père, une mère, quatre grands-parents, deux familles, tout en double et accordé comme les bras et les jambes.

Bref, ce qui nous était dû.

Si je suis mal à l’aise chez papa, c’est que je m’y sens infirme. Comme à Fontenay d’ailleurs, de plus en plus. Maman ne fait rien pour nous faire oublier. Au contraire, Léon, qui se confie si peu, me l’avouait l’autre jour : Au moins, avec Solange, j’efface tout ça.

Discret Léon ! En fait de chiffre deux, je crains que pour longtemps, moi, j’aie envie à la fois de m’additionner, sans cesser de pouvoir me soustraire. »

Félix, le nouveau-né de la famille Davermelle, six livres et demie, « débarque à minuit pile » le jour de la saint Félix.

Le drame d’Aline se poursuit avec la décision des cadets de demander aux juges leur transfert chez leur père. Aline retrouve le monde rigide du Palais de justice où maître Grainde lui fait part de la situation : quinze lettres de Rose et de Guy qui réclames toutes un changement de garde, sept attestations de professeurs allant dans le même sens, un témoignage du président du Comité de vigilance qui a reçu les enfants, un compte rendu d’une assistante sociale. La garde de Rose et Guy sera ainsi confiée à leur père, laissant à Aline le droit de visite et d’hébergement les deuxième et quatrième dimanches de chaque mois.

Les deux aînés donnent rendez-vous à Rose au café de la Poste afin de tenter une conciliation entre « mamiens » et « papiens ». Rose a maintenant dix-sept ans, son tailleur brun, à jupe sage faisant contraste avec les éternels jeans délavés d’Agathe. Agathe, qui entre temps avait quitté la maison de sa mère, explique à sa sœur la cause : elle était enceinte et elle ne voulait pas que leur mère le sache. Même si elle n’a pas gardé l’enfant, elle n’était pas revenue à la maison. Léon et Agathe proposent à Rose se réunir une fois par mois, en terrain neutre, un restaurant par exemple. Ensuite ils inviteraient les parents, d’abord séparément, puis ensemble.

Décidément toute la pression psychique accumulée durant cette période des luttes extérieures mais aussi intérieures a marqué profondément Aline. La remarque de Gabriel est édifiante :

« Vraiment, tu ne t’es pas rendu compte que, depuis son divorce, Aline est parfois au bord du délire ? Les névroses d’abandon, ça existe. Et le choc n’a rien changé ».

Le manque d’attention suite à un besoin maladif de s’expliquer sans cesse pourquoi tout cela lui arrive l’amène dans un lit d’hôpital, transformée dans un monument de plâtre et des pansements. Le bilan de l’accident de voiture n’est pas du tout rassurant : les deux jambes fracturés, aussi qu’un bras et quatre côtes.

Nous remarquons que les deux romans, Madame Ex comme Au nom du fils finissent par une cérémonie de mariage. Dans le deux cas Bazin finit les romans par des mariages de jeunes couples. Dans Madame Ex il décrit le mariage de Léon et Solange et dans Au nom du fils, le mariage de Bruno et Odile. Hervé Bazin veut laisser le message que la vie continue avec des nouveaux couples qui s’unissent par l’amour et qu’après la pluie il y a toujours un rayon de soleil.

Mais contrairement à la fin heureuse de l’histoire du roman Au nom du fils, l’histoire de Madame Ex garde jusqu’à la fin une note triste. Aline ne réussit pas se débarrasser de la haine et de la jalousie qui l’ont poursuivi tout au long du roman, mais elle commence se résigner et accepter l’idée que le temps guérira toutes ses blessures. 

CONCLUSION

Hervé Bazin est l’historien de l’évolution des mœurs dans la seconde moitié du vingtième siècle. Il porte un regard sur le modèle familial d’essence bourgeoise, la routine abrasive de la vie conjugale ainsi que l’attention des parents focalisée vers les enfants.

Mais, une situation paradoxale de la vie d’Hervé Bain nous attire l’attention. Ce grand écrivain français, auteur à succès, qu’on nomme déjà parmi les classiques de la littérature française semble inconnu sur ses terres. Hormis un fonds de manuscrits et de correspondance il n’y a pas de trace de l’écrivain à Angers. Pas une rue, un square, voire une impasse à son nom, dans cette ville où il est né, où il est revenu habiter dans les dernières années de sa vie. Pas un lieu culturel, non plus. Les Angevins auraient-ils été vexés par la manière dont il les a dépeints ? Même si son propos était universel il semble que les angevins ont ramené ça à eux.

L'auteur avait proposé gracieusement à la Ville d'Angers, à la fin des années 80, un fond qui contenait les vingt-deux manuscrits de l'écrivain assortis de croquis, de plans, de notes, ses milliers de lettres reçues de personnalités comme Cendras, De Gaulle, Mauriac, Mitterrand, sa documentation personnelle. Mais la Ville d’Angers avait décliné l'offre. Seulement en 2004 le fonds sera rapatrié sur les bords de la Maine grâce à Olivier Tacheau, le directeur de la bibliothèque universitaire qui a acheté le fonds vendu aux enchères à Drouot, à Paris.

On peut tout reprocher au romancier Hervé Bazin, sauf l’inertie. Son œuvre est la moins statique qui soit, toujours prête à se dresser contre la routine.

L’aventure d’Hervé Bazin, c’est le mouvement d’un auteur qui n’a jamais cessé de lutter contre lui-même pour s’affranchir.

Les thèmes auxquels l’écrivain témoigne de l’importance n’étonneront aucun de ses lecteurs. Nous trouvons parmi les thèmes significatifs dans les ouvrages celui qui se réfère au temps, à l’abondance des informations sur la vie quotidienne, aux éléments de la nature et il s’avère en fin que le thème de prédilection que les critiques traditionnels associent à l’œuvre bazinienne est la famille.

Le quotidien pour Hervé Bazin se traduit par l’addition d’éléments mineurs de tous les jours qui, par leur accumulation, forment le tissu des habitudes. De tels éléments l’auteur prend un plaisir évident à dresser des listes copieuses, à faire de véritables inventaires représentatifs de notre époque.

Bazin souligne au cours de son écriture le témoignage des effusions, des émotions sans pour autant étouffer la tendresse et les doux sentiments. Il a parfois la vraie audace qui consiste à tout dire sans intention néanmoins de nous scandaliser.

Pour Hervé Bazin, l’obsession est le mot clé de la création. Le temps est aussi nécessaire dans l’alchimie créatrice : il faut du temps pour que les personnages investissent de façon quasi obsessionnelle l’univers de l’écrivain.

Le travail d’écriture nécessite trois étapes :

– la constitution d’un dossier documentaire où les articles journalistiques voisinent avec les notes de carnet prises sur le vif dans le métro, dans la rue, le taxi, etc. La documentation a une position clé dans le processus de structuration de l’œuvre bazinienne. Base essentielle à la création, possibilité de rendre vraisemblable une fiction, elle est aussi levain de la création elle-même puisque ce sont ses suggestions qui font naître les univers. Le dossier est déclaré plein lorsque des personnages peuvent en surgir avec assez de crédibilité pour être dits « incarnés » ;

– la deuxième étape est celle de l’écriture proprement dite. Pour Bazin, elle dure entre quatre mois et plus d’un an. L’écriture de Vipère au poing (1948) a par exemple duré quarante-cinq jours ;

– la troisième et dernière phase est consacrée au travail sur le premier jet : suppression des longueurs, découpage, corrections, etc. Cette phase ne peut exister qu’après trois ou quatre mois de repos : le manuscrit prend sa distance par rapport à l’auteur qui peut alors le voir d’un autre oeil, celui d’un semi-lecteur.

Le style de Bazin a été associé à l’idée de révolte parce qu’il manifeste sa propre révolte sous l’apparence d’une fiction.

Vipère au poing est un cri de révolte arraché au cœur d’un enfant bafoué et saignant, Au nom du fils est le cri d’amour d’un père également bafoué, mais qui a consenti.

Beaucoup des lecteurs se sont demandé quel est le rapport entre l’histoire racontée dans le roman Au nom du fils et l’expérience paternelle de Bazin, puisqu’au moment de la parution du roman il avait déjà cinq enfants ?

Bazin a exploité comme tous les écrivains son expérience personnelle, mais il l’a exploité à une certaine distance. Dans les premiers livres cette distance était courte mais ensuite elle s’est allongée. Dans une interview accordée à Pierre Dumayet il a avoué qu’il a utilisé ses enfants pour ses personnages.

Au moment de la rédaction du roman il avait cinq enfants (Jacques, Jean-Paul, Maryvonne, Catherine, Dominique). Il croit que Bruno c’est à la fois l’aîné, son second fils et le dernier. Il a fait un personnage avec les trois. Bazin a conscience de ne pas avoir tellement réussi son rôle de père tout le temps. Il avait été deux fois marié et les enfants de son premier ménage et de son second ménage ne sont pas aussi près de loi. Il a voulu faire un personnage avec ces deux sortes d’enfants.

Avec la parution d’Au nom du fils c’est la première fois que son héros principal n’est pas à l’adolescence. Cela semble tout naturel. Il a d’abord été longtemps adolescent. En fin, il a mis du temps à se former. Il a donc parlé des adolescents alors qu’il ne l’était plus ou qu’il voulait encore l’être pour réussir chez autrui une adolescence manquée. Maintenant évidement il est de l’autre côté, il est celui qui les observe chez lui dans sa maison. C’est pour cela que son personnage essentiel d’Au nom du fils est un cas originaire et que les enfants sont de l’autre côté de la barrière.

Il n’y a pas de mère dans ce roman. Bazin considérait qu’on exprime peut-être difficilement ce qu’on a mal connu. Dans la plus parts de ses romans ou elles sont mortes ou elles sont des personnages secondaires. Il y a une exception toutefois dans L’huile sur le feu et dans le Vipère au poing. Mais enfin évidement c’est l’autre côté du volet. Il a exprimé la tendresse maternelle à travers cette tendresse paternelle. Daniel Astin c’est un père qui est un peu une mère pour ses enfants.

En ce qui concerne Madame Ex, il existe une certaine ressemblance entre Hervé Bazin et son personnage Louis Davermelle. Bazin lui-même a attendu neuf ans avant de quitter sa deuxième femme, c’est à cause des quatre enfants qu’elle lui avait donnés, et que lorsqu’il s’est enfin décidé à partir, il a demandé d’abord l’avis des « Quatre » (Jean-Paul, Maryvonne, Catherine, Dominique) – comme Louis dans Madame Ex.

Les thèmes abordés par Hervé Bazin dans Madame Ex sont : l’angoisse, la dépression nerveuse, le désir, le divorce, l’enfance, l’éducation, le féminisme, la fugue, la jalousie, le mariage, la mère abusive, l’orgueil, le scandale, la séparation, le soupçon, le souvenir.

La saga de ses mariages a été pour Hervé Bazin une source dont il a puisé nombreuses scènes utilisés au long de ses romans. Nous ferons une courte synthèse de sa vie conjugale. Malgré l’opposition de ses parents, Bazin se maria en 1934 avec une jeune femme, Odette Danigo, dont il eut un fils. En 1936, les deux époux se séparent. En 1945, Hervé Bazin épousa en deuxièmes noces Jacqueline Dussolier dont il eut quatre enfants. 1967 fut l’année de son divorce et de son troisième mariage avec Monique Serre-Gray, qui lui donna un enfant.

En 1986 sa quatrième et dernière épouse Odile L’Hermitte, quarante ans de moins que Bazin, lui offre un fils. Nicolas, son dernier fils, ne l’aura connu que dix ans.

Le personnage d’Aline Davermelle est fondé sur Jaqueline Dussolier, la seconde épouse de l’auteur, tandis que le personnage d’Odile Milobert est calqué sur sa troisième femme, Monique Serre-Gray. Bazin s’est peut-être laissé emporté par le goût de la revanche contre sa deuxième femme lorsqu’il a fait intervenir le destin vers la fin du roman et a infligé à Aline un accident de voiture qui, dans le contexte de l’action, paraît plutôt injustifié.

Les 7 ans de « guérilla » des Davermelles accumulent une série d’attaques et des contre-attaques juridiques et psychologiques en nous offrant une vraie étude de cas sur la manière dont peuvent réagir les couples divorcés pour aboutir à leurs fins et les changements irréversibles provoqués à leurs enfants.

La recherche de l’originalité et d’une certaine dynamique, combinés à celle de la simplicité et de la clarté ne sont pas autrement motivés que par le souci altruiste d’Hervé Bazin d’expliquer le monde dans lequel on vit. Son style est vif, naturel, toujours dans le caractère de ceux qui écrivent.

Par notre étude nous espérons que nous sommes parvenus à démontrer, en restant au plus près du texte, les caractéristiques essentielles de l’oeuvre bazinienne, et que nous avons apporté notre petite contribution à la recherche universitaire sur Hervé Bazin.

Nous souhaitons continuer les recherches sur la littérature française du XXe siècle, notamment sur les implications de la vie sociale dans les romans des grands écrivains du XXe siècle.

BIBLIOGRAPHIE

Anne-Simone Dufief, Hervé Bazin, connu et inconnu, Presses de l'Université d'Angers, 2009.

Catherine Macé, Marie Paule Séité, Hervé Bazin, Presses universitaires de Bretagne, 1971.

Hervé Bazin, Au nom du fils, Éditions du Seuil, 1960.

Hervé Bazin, Madame Ex, Éditions du Seuil, 1975.

Jean Anglade, Hervé Bazin : par Jean Anglade (Extraits d’Hervé Bazin), Gallimard, 1962.

Keith John Goesch, Hervé Bazin : essai de bibliographie des oeuvres d'Hervé Bazin, Minard, 1985.

Philippe Nédélec, Catherine Nédélec, Dans les pas de Hervé Bazin : une vie, une oeuvre, un terroir, Éditions du Petit Pavé, 2008.

Pierre Moustiers, Hervé Bazin ou le romancier en mouvement, Éditions du Seuil, 1973.

Zoë Boyer, La femme dans les romans d’Hervé Bazin, P. Lang, 1990.

SOMMAIRE

Introduction ……………………………………………………………………..1

Chapitre I. Hervé Bazin et la littérature française de la deuxième moitié du XXe siècle …………………………………………………………………………….7

Chapitre II. La famille, le thème central de l’œuvre bazinienne ………………20

Chapitre III. La paternité dans le roman bazinien ……………………………..33

Chapitre IV. La radiographie du divorce et de la déchirure familiale …………42

Conclusions ……………………………………………………………………54

Bibliographie …………………………………………………………………..59

BIBLIOGRAPHIE

Anne-Simone Dufief, Hervé Bazin, connu et inconnu, Presses de l'Université d'Angers, 2009.

Catherine Macé, Marie Paule Séité, Hervé Bazin, Presses universitaires de Bretagne, 1971.

Hervé Bazin, Au nom du fils, Éditions du Seuil, 1960.

Hervé Bazin, Madame Ex, Éditions du Seuil, 1975.

Jean Anglade, Hervé Bazin : par Jean Anglade (Extraits d’Hervé Bazin), Gallimard, 1962.

Keith John Goesch, Hervé Bazin : essai de bibliographie des oeuvres d'Hervé Bazin, Minard, 1985.

Philippe Nédélec, Catherine Nédélec, Dans les pas de Hervé Bazin : une vie, une oeuvre, un terroir, Éditions du Petit Pavé, 2008.

Pierre Moustiers, Hervé Bazin ou le romancier en mouvement, Éditions du Seuil, 1973.

Zoë Boyer, La femme dans les romans d’Hervé Bazin, P. Lang, 1990.

Similar Posts