Des héros ou des victimes de lamour [619394]

Chapitre 3
Des héros ou des victimes de l’amour ?
Pendant la seconde moitié du XVIIèmesiècle, on assiste à un changement en ce qui
concerne l’intérêt du public. Le goût de ce nouveau public ne tombe pas sur un héros de la
vertu, de l’honneur, comme celui de Corneille, mais sur un héros plus humanisé, capable de
susciter les larmes du publique. Pendant cette période dans laquelle ce public exige des sujets
amoureux, des émotions plus fortes et des personnages plus humains, Jean Racine va répondre
à ces besoins et va créer un nouveau type de tragédie où l’intérêt va tomber sur des passions
plus fortes et sur leurs effets sur la conscience des personnages.
On a parfois opposé Corneille et Racine, en faisant de l’un le poète de la politique, de
l’autre le poète de l’amour. Par rapport à la tragédie cornélienne, le théâtre de Racine marque
donc une évolution vers une intériorisation du confit tragique. Le moteur de la tragédie de
Corneille est la gloire, et les personnages y étaient engagés dans une suite d’actions pleines
d’énergie (meurtres, duels, etc.). Chez Racine, en revanche, l’amour-passion est la source de
tous les conflits, la cause du déclin des personnages et le responsable de leur perte. Les héros
présentés par le théâtre de Racine sont très complexes, ambigus, confus, et faibles à la fois,
mais c’est justement la faiblesse qui accentue leur aspect humain.
« Comme Corneille, il [Racine] peindra la vie de la cour, les ambitions et les ruses qui
animent cet univers, mais il voudra rendre ce tableau plus ‘ vivant’ et plus humain »1. On a vu
que le théâtre de Corneille met l’accent sur les problèmes qui concerne le principe de
l’honneur, la dévotion vers l’Etat et le problème de la foi. Tandis que la notion de l’amour
tombe sur le seconde plan chez Corneille, chez Racine elle joue un rôle primordial. L’amour
est au centre de tout changement personnel et psychique chez les héros raciniens.
Le tragique racinien prend naissance de ce conflit entre la passion (qui exerce son
pouvoir absolu sur les personnages) et la volonté. Les héros raciniens sont souvent dominés
par cette nécessité d’aimer et d’être aimé. L’amour est passion, mais aussi source de
souffrance, autant pour celui qui aime que pour celui qui est aimé. Chacun aime la personne
qui ne l’aime pas: Oreste aime Hermione, celle-ci aime Pyrrhus et ce dernier aime
Andromaque, mais celle-ci ne peut pas répondre à son amour, car elle reste fidèle à son mari
1Alain Niderst, Racine et la tragédie classique , Paris, Presses Universitaires de France, 1978, p. 6.

mort. Dans Phèdre nous avons la même situation : Phèdre aime Hyppolite, mais celui-ci aime
Aricie .
« L’amour racinien est ou partage, ou solitaire »2. D’une part nous avons des couples
d’amants que rien ne peut les séparer: c’est le cas d’Aricie et de Hippolyte, et d’autre part
nous avons les maudits, qui sont livrés à leurs passions malheureuse: dans cette situation on
peut surprendre Pyrrhus, Oreste, Hermione et Phèdre.
1.1. Oreste, un véritable héros ou seulement un pion entre l’amour et
la fatalité ?
Comme on sait le XVIIèmesiècle s'est efforcé de montrer la grandeur de l'homme.
Aucun autre auteur, mieux que Corneille, n'a pas su illustrer cette idée de liberté qui
caractérise ses héros, en leurs donnant l’occasion pour s'affirmer et triompher sur le destin.
Dans le théâtre de Racine, au contraire, la fatalité est sans cesse présente. Comme on sait la
vision du monde de Racine est plus pessimiste que celle de Corneille, et le destin trouve
souvent des victimes dans les personnages.
L’amour et la fatalité sont deux thèmes profondément liés chez Racine. Lorsque la
tragédie met l’accent sur l’idée de fatalité, elle transforme le héros en jouet du destin. Aucune
volonté humaine ne lui résiste et il est impossible de lui échapper. La fatalité s'impose comme
la négation même de la liberté humaine.
Dans cette situation se trouve Oreste, parce que de tous les personnages raciniens,
c’est sans doute celui qui est marque le plus souvent par l’idée de fatalité. Il devient un jouet
du destin, un instrument de vengeance dans les mains d’Hermione, et dans son désir obsessif
d’aimer et d’être aimé, il arrive à perdre la raison et de devenir fou.
Après la prise de Troie, Andromaque la veuve d’Hector et son fils Astyanax devient
prisonniers de Pyrrhus, roi d’Épire. Celui-ci fiancé d’Hermione, fille de Ménélas, retard son
mariage parce qu’il est amoureux de sa captive. Les grecs soient irrités d’apprendre que le roi
d’Épire songe à épouser Andromaque, envoient Oreste, fils d’Agamemnon, auprès de lui pour
réclamer la mort d’Astyanax. Oreste, qui aime Hermione, animé par l’idée que si Pyrrhus
refuse la mort de l’enfant, son fiance avec Hermione sera rompue, accepte cette mission avec
le désir qu’il pourra sans doute retrouver l’amour d’Hermione. Donc il accepte la charge
2Ibidem, p. 47.

d’ambassadeur auprès de Pyrrhus pour venir en réalité chercher Hermione, en s’assumant les
conséquences:
L’amour me fait ici chercher une inhumaine […] ( v. 26)
J’aime, je viens chercher Hermione en ces lieux,
La fléchir, l’enlever, ou mourir à ses yeux3. (v.99-100)
Dès le début de la pièce, à travers les mots de Pylade, on peut surprendre quelle est le
trait définitoire d’Oreste, c’est-à-dire la mélancolie:
Surtout je redoutais cette mélancolie
Où j’ai vu si longtemps votre âme ensevelie.
Je craignais que le ciel, par un cruel secours,
Ne vous offrit la mort, que vous cherchiez toujours.4(v. 17-20)
La mélancolie est pour la médicine du XVIIèmesiècle un état très grave, car l’être
mélancolique, menacée toujours par la folie, est le possesseur d’un tempérament oscillatoire.
Attrapé dans la mélancolie, il a le sentiment d’être condamné à souffrir, il se sent un
malheureux et se sent vaincu d'avance :
Puisqu'après tant d'efforts ma résistance est vaine,
Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne.5(v. 97-98).
Le mot « destin » fait ici référence a son fol amour pour Hermione qu’il poursuit sans
succès. Son amour est devenu « un état funeste», un état qui suivre partout « le déplorable »
Oreste, une «fureur» plus forte que sa volonté :
Je te vis à regret, en cet état funeste,
Prêt à suivre partout le déplorable Oreste,
Toujours de ma fureur interrompre le cours,
Et de moi-même enfin me sauver tous les jours.6(v. 45-48)
Ces vers indiquent une amplification de l’état la mélancolie qui tourne assez vite à la
folie. A travers ces mots Oreste reconnait dans une certaine mesure sa folie suicidaire.
Comme affirme Jean Rohou, Oreste est présenté comme « un homme voue au malheur ; son
nom rime avec funeste ; sa place, a l’extrémité de la chaine des amoureux, le met en situation
3Jean Racine, Andromaque (tragédie), op. cit., p. 26, p. 28.
4Ibidem, p. 25.
5Ibidem, p. 28.
6Ibidem, p.26.

de quémandeur »7, et qui, par opposition à Hermione et a à Pyrrhus, « n’a pas de solution de
rechange en cas de refus : d’où cette alternance chez lui entre le dévouement et fureur
masochiste ».8
Son état mélancolique et sa condition d’amoureux « aveugle »9préparent Oreste au
fatalisme qui lui correspond. Oreste voit les signes du destin partout. Dès le début de la pièce,
la rencontre avec Pylade est pour lui un prémonition:
Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle,
Ma fortune va prendre une face nouvelle
Et déjà son courroux semble d’être adouci,10( v. 1-3)
Sa venue dans l’Épire comme ambassadeur il la considère comme une intervention
du sort qui le poursuit :
L’amour achèverait de sortir de mon cœur
Mais admire avec moi le sort dont la poursuite
Me fit courir alors au piège que j’évite. 11(v. 64-66)
Il ne cesse d’évoquer son existence comme un destin tragique. En venant dans l’
Epire, il est prêt à tout faire pour récupérer sa bien-aimée, mais le destin d’Oreste et
d’Hermione dépend de la relation de Pyrrhus et Andromaque. En plus, ils sont en effet
cousins et font partie les deux de la même famille maudite d’Atride, chose qui souligne dans
une certaine mesure leur amour impossible. Quand Andromaque décide d’épouser Pyrrhus,
Oreste reprend l’espoir de pouvoir avoir Hermione. Quant à Hermione, dans ce moment elle
déclare sa haine pour Pyrrhus et consent à partir avec Oreste :
Que l’ennemi des Grecs ne peut être son gendre.
Du Troyen ou de moi faites-le décider :
Qu’il songe qui des deux il veut rendre ou garder ;
Enfin qu’il me renvoie, ou bien qu’il vous le livre.
Adieu. S’il y consent, je suis prête à vous suivre.12(v. 586-590)
7Jean Rohou, Avez-vu lu Racine, op. cit., p. 81.
8Ibidem.
9« Tel est de mon amour l'aveuglement funeste.
Vous le savez, Madame, et le destin d'Oreste
Est de venir sans cesse adorer vos attraits. » (v. 481-483), Jean Racine , Andromaque, op.cit. p. 45.
10Ibidem , p. 25.
11Ibidem, p. 27.
12Ibidem , p. 50.

Après avoir été abandonnée par Pyrrhus, pour la deuxième fois, elle veut faire quelque
chose pour satisfaire son orgueil et récupérer sa dignité. Cette « amante insensée », qui ne sait
pas si elle aime ou hait Pyrrhus, profite de sa colère pour exécuter sa vengeance. Devant elle,
il n'y a qu'Oreste qui peut céder à ses supplices. Elle profite de l’amour d’Oreste et lui
demande de la venger. Mit en cette situation, Oreste se montre raisonnable :
Vengeons-nous, j’y consens, mais par d’autres chemins :
Soyons ses ennemis, et non ses assassins.
Faisons de sa ruine une juste conquête.13(v.1179-1181)
Mais Hermione n'écoute plus les conseils d'Oreste. Si elle attend, l’amour va la
dominer et l’empêcher à résoudre son plan14. Aveugle par ses sentiments, un jouet dans les
mains de la personne aimée, Oreste vit un conflit intérieur, car il oscille entre respecter le
désir d’Hermione et assassiner Pyrrhus et entre respecter son devoir comme ambassadeur et
de ne commettre pas le crime. Mais l’amour pour lui prime, et étant faible devant son amour,
il cède au plan d’Hermione15. Anna Ambroze surprend que devant la tache meurtrière exigée
par Hermione, Oreste « envisage avec horreur de tuer le fils d’Achille. Il voudrait se
soustraire à la souillure du sang verse. Mais, s’il craint la réaction de la Grèce, il se craint
encore plus lui-même connaissant sa faiblesse, conscient du destin qui le poursuit et du piège
qui lui est tendu »16. En plus elle ajoute que: «Sa fatalité [d’Oreste] est plus forte que sa raison
et que sa volonté; il est porté au crime malgré lui »17.
En achevant sa mission, il vient d’annoncer sa réussite chez Hermione18. Mais elle ne
réaction pas comme il désire, car elle, avec ses reproches, choque Oreste. Au lieu de recevoir
la reconnaissance et son amour, il reçoit seulement des insultes: aux yeux d’Hermione il
déviant un cruel, un perfide, un barbare qui lui provoque horreur:
Tais-toi, perfide,
Et n’impute qu’à toi ton lâche parricide.
Va ; je la désavoue, et tu me fais horreur.
Barbare, qu’as-tu fait ? Avec quelle furie
13Ibidem, p. 81.
14« S'il ne meurt aujourd'hui, je puis l'aimer demain » (v.1200), Ibidem, p. 83.
15« Vos ennemis par moi vont vous être immolés » (v. 1251), Ibidem, p. 85.
16Anna Ambroze, Racine poète du sacrifice, op. cit., p. 136.
17Ibidem .
18« Madame, c’en est fait, et vous êtes servie :
Pyrrhus rend à l’autel son infidèle vie. » (v.1493-1494), Jean Racine, Andromaque, op.cit., p. 95.

As-tu tranché le cours d’une si belle vie ?
Avez-vous pu, cruels, l’immoler aujourd’hui,19
« Ce n’est qu’après le crime que ses yeux s’ouvrent: les deux hommes qui sont en lui
ne se reconnaissent pas l’un l’autre : l’Oreste qui a commis le crime ne reconnait pas l’Oreste
qui ne voulait pas les commettre. »20. Dans un moment de lucidité il s’interroge sur son
identité, sur son statut d’assassin qu’il la reçu à cause d’une « ingrate » :
Je suis, si je l’en crois, un traître, un assassin.
Est-ce Pyrrhus qui meurt ? et suis-je Oreste enfin ? (v.1567-1568)
J’assassine à regret un roi que je révère,
Je viole en un jour les droits des souverains,
Ceux des ambassadeurs, et tous ceux des humains, (v. 1570-1573)
Je deviens parricide, assassin, sacrilège.
Pour qui ? Pour une ingrate à qui je le promets,21(v.1575-1576)
Il est donc au début une crise d'identité (« suis-je Oreste enfin »). « L’Oreste qui obéit
à ses impulsions a supplanté l’Oreste qui réfléchissait. Flottant entre ses deux personnalités
sur des sables mouvants, il perd son équilibre»22. Alain Nidrest affirme sur le crime de cet
héros maudit qu’il est « une sorte de sursaut, [et que] le dénouement le retrouve prolongé
dans son masochisme plus violent et plus irrémédiable : “Hé bien! je meurs content, et mon
sort est rempli.” »23. Il perd tout après son crime: son statut social, Hermione (car elle se
suicide), mais aussi sa raison, car il tombe dans la folie.
Oreste, descendant de la lignée maudite des Atrides, est poursuivi par la fureur des
Érinyes, (en latin les Furies- des divinités grecques qui vengent les victimes de sang en
harcelant les meurtriers qu’elles rendent fous), qui finissent par le plonger dans une sorte de
délire hallucinatoire où les « filles d’enfer », les démons et les serpents viennent l’enlever24.
Dans ce cas la fatalité s'abat sur le personnage à la suite d'un crime qui a déplu aux dieux.
L'homme ne sait pas comment échapper à leur haine. Cela explique, selon la pièce, la série
19Ibidem, p. 97.
20Anna Ambroze, Racine poète du sacrifice, op. cit., p. 136.
21Jean Racine, Andromaque, op.cit., p. 99-100.
22Anna Ambroze, Racine poète du sacrifice, op. cit., p. 136.
23Alain Niderst, Racine et la tragédie classique, op.cit., p. 56.
24« Quels démons, quels serpents traîne-t-elle après soi ?
Eh bien ! filles d’enfer, vos mains sont-elles prêtes ?
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? » (v.1636-1638), Jean Racine, Andromaque, op.cit.,
p.102-103.

des malheurs subis par Oreste. Oreste est conscient de cette malédiction et l'accepte, car il se
livre en aveugle au destin qui l'entraîne.
Une héroïne, symbole de la fidélité ?
Amour, manipulation, coquetterie ne sont que quelques-uns des mots-clés de l’œuvre
de Racine. Cependant, la problématique de l’amour telle qu’elle est traitée dans Andromaque,
n’entre pas ni dans la catégorie de l’amour réciproque, ni dans celle de l’amour tender.
L’amour se trouve au centre des tentatives de domination et de chantage de l’autrui, chose
qu’on peut observer surtout chez Pyrrhus et Andromaque.
Pour comprendre mieux la relation de Pyrrhus et Andromaque, il faut comprendre les
circonstances dans lesquelles elle est devenue « captive » de celui-ci. Andromaque est la
veuve du meilleur des guerriers troyens, Hector, fils du roi Priam, tué par Achille en combat.
Après la prise de Troie, elle fait partie du butin que se partagent les vainqueurs et devient la
prisonnière du Pyrrhus. Après la chute de Troie, Ménélas offre sa fille Hermione comme
épouse à Pyrrhus, fils d’Achille, pour le récompenser qu’il avait prise part à la défaite de la
ville. Il devient amoureux de sa captive Andromaque, rejette le mariage et décide de ne
respecter pas son devoir politique vers son Etat en avoir l’intention à épouser la veuve
d’Hector. A partir de ce moment-là, cette femme sera partagée entre sa fidélité à la mémoire
de son mari et son désir de sauver son fils, également prisonnier de Pyrrhus. Andromaque est
partagée entre sa fidélité à la mémoire de son mari et son désir de sauver son fils, Astyanax,
également prisonnier. Au cours de la pièce on peut surprendre des tensions entre Pyrrhus et
Andromaque, dans leurs rapports de vainqueur à vaincue (ordre du pouvoir) et dans les liens
amoureux, le maître éprouvant souvent un désir amoureux pour sa captive (ordre du
sentiment).
Racine, dans la préface de la pièce, dépeinte Andromaque comme le symbole de la
fidélité, de l’exclusivité : elle est la veuve d’un homme et la mère d’un enfant25. Pyrrhus
abandonne en vaine Hermione pour Andromaque. Il la supplie et la menace en vain, comme
affirme Rohou, car « elle ne vit que pour Astyanax et pour le souvenir d’Hector »26. Elle
25Andromaque ne connait point d’autre marie qu’Hector ni d’autre fils qu’Astyanax […] On ne croit point
qu’elle doive aimer ni un autre mari, ni un autre fils.” Jean Racine, Andromaque, op. cit., p. 21.
26Jean Rohou, Avez-vu lu Racine, op. cit., p. 238.

éprouve des sentiments contradictoires à l’amour pour son bourreau , chose qu’on peut
observer dès la première scène de l’acte 1, dans les mots de Pylade :
Pour la veuve d’Hector ses feux ont éclaté ;
Il l’aime. Mais enfin cette veuve inhumaine
N’a payé jusqu’ici son amour que de haine;27(v. 108-110)
Cette « veuve inhumaine » prouve seulement de la haine pour le fils de l’assassin de
son époux. Racine présente ici un couple où l’amour reste non partagé. Même si Pyrrhus aime
Andromaque, elle ne l’aime pas, chose qui déclenche la jalousie ou le désir de vengeance de
l’autrui. Face à cet amour tumultueux, l’état intérieur de Pyrrhus connait des contradictions.
C’est Pylade, qui résume en quelques vers au premier acte tout la relation de Pyrrhus et
d’Andromaque. Il décrit à Oreste le déchirement de Pyrrhus à propos d’Andromaque :
Vous répondre d’un cœur, si peu maitre de lui :
Il peut, seigneur, il peut, dans ce désordre extrême,
Épouser ce qu’il hait et punir ce qu’il aime.28(v. 120-123)
En plus, tout grâce aux mots de Pylade on peut rendre compte de la tentative de
Pyrrhus pour faire que Andromaque l’aime, mais aussi de la lutte intérieure permanente que
« cet amant irrité » ressent à l’égard du refus de la part de la veuve :
Et chaque jour encore on lui voit tout tenter
Pour fléchir sa captive, ou pour l’épouvanter.
De son fils, qu’il lui cache, il menace la tête,
Et fait couler des pleurs, qu’aussitôt il arrête.
Hermione elle-même a vu plus de cent fois
Cet amant irrite revenir sous ses lois,
Et, de ses vœux troublés lui rapportant l’hommage,
Soupirer a ses poids moins d’amour que de rage.29(v.111-118)
Lors de la Scène 4 (acte 1) Pyrrhus commence une stratégie pour la conquérir: il
annonce Andromaque de la volonté des Grecs de faire périr son fils, mais sans lui mentionner
qu’il a refusé à livrer son fils, en ne respectant pas ainsi son devoir politique. « C’est une
véritable chute qui fait passer Pyrrhus de la plénitude héroïque à la réprobation de ses exploits
par sa conscience»30écrit Rohou. En plus il ajoute qu’il passe aussi « à une frustration morale
27Jean Racine, Andromaque, op. cit ., p. 28.
28Ibidem , p. 29.
29Ibidem
30Jean Rohou, Avez-vu lu Racine, op. cit., p. 325.

à laquelle il espère mettre fin en prenant la place d’Hector, en se faisant reconnaître et aimer
par sa veuve »31. Donc, avec sa stratégie il espère qu’ainsi Andromaque, désespérée, le
suppliera de le défendre et va finir d’accepter à l’épouser. Pyrrhus, conduit par sa passion, il lui
offre une alliance défensive: il s’offre comme le gardien ou le protecteur de son fils en échange de
son amour :
Je ne balance point, je vole à son secours :
Je défendrai sa vie aux dépens de mes jours. » […] (v. 287-288).
Je vous offre mon bras. Puis-je espérer encore
Que vous accepterez un cœur qui vous adore ?32(v. 294-295)
Comme affirme Rohou, Andromaque représente l’incarnation exemplaire de la fidélité
parce que « malgré toutes les pressions, elle est fidèle à son mari, à sa patrie, dévoue à son
fils, prête à se sacrifier pour eux. Et cette constance détermine une opposition irréductible
entre la veuve d’Hector et le fils d’Achille »33.
Tout comme Pyrrhus se sert de son fils comme moyen de chantage, pour se défendre
elle fait appel à sa fierté de guerrier, descendant d’Achille, fierté qui pourrait être affectée par
son « esprit amoureux » :
Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce?
Faut-il qu’un si grand cœur montre tant de faiblesse!
Voulez-vous qu’un dessein si beau, si généreux,
Passe pour le transport d’un esprit amoureux?34(v.297-200)
Entre soupirs et larmes, les personnages utilisent souvent la métaphore du « combat »
amoureux. Ainsi Pyrrhus est-il las de « combattre » les « cruautés » d’Andromaque. Pyrrhus
se montre comme un chevalier servant, mais elle « le dédaigne, elle le remet dans sa fonction
de geôlier, l’accuse de tyrannie mesquine, le ravale au néant par la majesté du style et par
l’évocation de Troie qu’il a détruit »35, de son fils et d’Hector, les seuls objets de son amour.
Elle continue à mettre en évidence sa situation, car elle est captive et triste36, et qu’elle ne peut
31Ibidem.
32Jean Racine, Andromaque, op. cit., p. 37.
33Jean Rohou, Avez-vu lu Racine, op. cit., p.87.
34Jean Racine, Andromaque, op.cit., p. 37.
35Jean Rohou, Avez-vu lu Racine, op. cit., p. 164.
36« Captive, toujours triste, importune à moi-même,
– Pouvez-vous souhaiter qu’Andromaque vous aime ? » (v. 301-302), Ibidem , p. 39.

pas partager l’amour, non seulement parce qu’elle aime encore Hector, mais parce qu’ils sont
en effet des ennemies:
Aurait-elle oublié vos services passés ?
Troie, Hector, contre vous, révoltent-ils son âme ?
Aux cendres d’un époux doit-elle enfin sa flamme ?
Et quel époux encore ! Ah ! Souvenir cruel !
Sa mort seule a rendu votre père immortel ;
Il doit au sang d’Hector tout l’éclat de ses armes,
Et vous n’êtes tous deux connus que par mes larmes.37(v. 355-362)
Le souvenir de son époux reste toujours vif dans sa mémoire. Andromaque aime son
fils, mais à travers lui, elle voit Troie, son père, et surtout elle retrouve, son époux38, car pour
elle Astyanax est « l’image d’Hector »39.Cette identification du fils avec l’époux crée une
confusion dans la conscience d’Andromaque, une confusion qui est parfois entière, comme le
souligne Pyrrhus en répétant les paroles d’Andromaque :
Cent fois le nom d’Hector est sorti de sa bouche.
Vainement à son fils j’assurais mon secours :
« C’est Hector, disait-elle, en l’embrassant toujours ;
Voilà ses yeux, sa bouche, et déjà son audace ;
C’est lui-même ; c’est toi, cher époux, que j’embrasse. ».40(v. 650-654)
Cette association indique sans doute que l’amour pour Hector est toujours vivant et
qu’il s’identifie dans une certaine mesure avec celui qu’elle éprouve pour son fils. En résistant
à Pyrrhus, notre héroïne ne défend seulement la fidélité conjugale, mais surtout la fidélité
amoureuse. Elle est l’unique héroïne qui réclame le droit et la liberté d’aimer un mort.
Rohou écrit que « lorsqu’Andromaque s’indigne, devant Céphise, à l’idée d’épouser le
destructeur de sa patrie, elle exprime certes sa répulsion, sa “haine” pour ce “barbare” qui
menace son fils après avoir massacré presque toute sa famille »41. Donc sa première réaction,
vis à vis de son offre est violente :
Hélas ! il mourra donc. Il n’a pour sa défense
Que les pleurs de sa mère et que son innocence.
37Ibidem, p. 39.
38« Le seul bien qui me reste et d’Hector et de Troie, » (v. 262), Ibidem , p. 35.
« Il m’aurait tenu lieu d’un père et d’un époux; » (v. 279), Ibidem, p. 36.
39« Ce fils, ma seule joie, et l’image d’Hector ? » (v. 1016), Ibidem, p. 73.
40Ibidem, p. 53.
41Jean Rohou, Avez-vu lu Racine, op. cit., p. 122.

Et peut-être après tout, en l’état où je suis,
Sa mort avancera la fin de mes ennuis.42(v. 372-375)
Mais après cette réaction rapide, elle se trouve devant une « véritable dilemme de fait,
non de jugement; l’alternative ou la contraint Pyrrhus la met en face du réel ; en un mot, et se
aliène qu’elle soit, elle détient une responsabilité qui engage autrui, c’est à dire le monde»43.
Épouser Pyrrhus et sauver son fils, cela signifie à trahir la fidélité qu’elle s’est jurée à
son époux défunt. Renoncer à cette solution, qui lui provoque horreur, ne peut qu’entraîner la
mort de son fils et d’elle-même :
Non, je ne serai point complice de ses crimes ;
Qu’il nous prenne, s’il veut, pour dernières victimes. […] (v. 1009-1010)
Mais cependant, mon fils, tu meurs, si je n’arrête
Le fer que le cruel tient levé sur ta tête.44(v. 1033-1034)
Tout au long de la pièce Andromaque nous a « accoutumés à la présence comme
vivante d’Hector »45et a fait cette chose « non seulement par la fréquence des allusions
qu’elle y fait, et par cette survivance de l’amour conjugal dans l’amour maternel, mais par
l’intensité de certains évocations de l’époux défunt […] finit par s’adresser à Hector »46. Elle
prétend « revoir » et « rejoindre [son] époux », tout comme s’il était une présence réelle. Il y
a aussi des passages où Andromaque s’adresse directement à Hector47, et aussi des passages
où elle fait entendre la voix de son époux48. A la fin de l’acte III, Pyrrhus pose un ultimatum :
si Andromaque ne l’épouse pas tout à l’heure, son fils mourra sur ses yeux. En se trouvant
face au dilemme d’épouser ou non Pyrrhus, elle prend la décision de consulter Hector49.
Rolande Barthes affirme à propos du tombeau d’Hector, qu’il est pour Andromaque «
42Jean Racine, Andromaque, op.cit., p. 40.
43Roland Barthes, Sur Racine , Paris, Editions du Seuil, 1963, p. 82.
44Jean Racine, Andromaque, op.cit., 73.
45Maurice Delcroix, Le sacré dans les tragédies profanes de Racine, Paris, Editions A.-G. Nizet, 1970, p. 309.
46Ibidem.
47« Pardonne, cher Hector, à ma crédulité ! […] » (v. 940-946) Jean Racine, Andromaque, op.cit., p. 69.
48« Chère épouse, dit-il en essuyant mes larmes,
J’ignore quel succès le sort garde à mes armes ;
Je te laisse mon fils pour gage de ma foi :
S’il me perd, je prétends qu’il me retrouve en toi. » (v.1021-1025), Ibidem , p. 73.
49« Allons sur son tombeau consulter mon époux ». (v. 1048). Ibidem , p 74

[un] refuge, réconfort, espoir, oracle aussi ; par une sorte d’érotisme funèbre, elle veut
l’habiter, s’y enfermer avec son fils, vivre dans la mort une sorte de ménage à trois […] »50.
Pour sauver son fils Andromaque accepte épouser Pyrrhus. Elle reconnait le fait que
même s’il est « violent », il est aussi « sincère », étant convaincue qu’il va faire ce qu’il a
promis de faire, c’est-à-dire protéger Astyanax. Mais elle confie à Chépise qu’elle se tuera
juste après le mariage, car elle ne peut pas vivre dans l'infidélité :
Je vais donc, puisqu’il faut que je me sacrifie,
Assurer à Pyrrhus le reste de ma vie ;
Je vais, en recevant sa foi sur les autels,
L’engager à mon fils par des nœuds immortels.
Mais aussitôt ma main, à moi seule funeste,
D’une infidèle vie abrégera le reste,
Et sauvant ma vertu, rendra ce que je dois
À Pyrrhus, à mon fils, à mon époux, à moi.51(v.1089-1096)
C’est la « stratagème qu’elle doit accomplir, un stratagème auquel elle affirme qu’elle
a été condamné par son époux. Ce suicide d’Andromaque est pour Barthes « un sacrifice,
[car] il contient en germe un avenir accepté, et ce sacrifice concerne l’être même
d’Andromaque : elle consente à se séparer d’une partie d’Hector (Astyanax), à imputer sa
fonction de gardienne amoureuse, elle consent à une fidélité incomplète »52. En plus il
affirme que « sa mort signifie qu’Astyanax n’est plus tout à fait pour elle Hector seul; pour la
première fois elle découvre l’existence d’un Astyanax II, vivant par lui-même, et non comme
pur reflet du mort : son fils existe enfin comme enfant, comme promesse »53.
Donc, après le mariage, Andromaque se prépare pour se donner la mort, tandis que
Pyrrhus est impatient de commencer une vie avec celle qu’il aime54. Mais aucun d'eux
n'atteint son but, parce que Pyrrhus avec son attitude imprudente, résultat de l’état
d’aveuglement dans lequel le met sa passion, est assassiné par Oreste. Le cas heureux est celui
d’Andromaque qui en lieu de trouver la mort elle devient la reine d’un royaume55. En
devenant maintenant la veuve de Pyrrhus, Andromaque remplit, vis à vis de lui, tous les
devoirs d'une veuve fidèle à son mari mort :
50Roland Barthes, Sur Racine, op. cit., p. 82.
51Jean Racine, Andromaque, op.cit., p. 76.
52Roland Barthes, Sur Racine, op. cit., p. 83.
53Ibidem.
54«Andromaque m’attend. Phœnix, garde son fils. » (v. 1392), Jean Racine, Andromaque, op.cit., p. 90.
55« Andromaque, régnez sur l’Épire […] » (v. 1508), Ibidem, p. 96.

Andromaque elle-même, à Pyrrhus si rebelle,
Lui rend tous les devoirs d’une veuve fidèle,
Commande qu’on le venge, et peut-être sur nous
Veut venger Troie encore et son premier époux.56(v. 1589-1593)
Jacques Morel affirme qu’à la fin de la pièce tous le autres héros principaux arrivent à
être soit morts, soit fou, marqués par leur amour malheureuse. Seulement Andromaque
« suivit seule avec son fils, promis lui-même a la succession de Pyrrhus sur le trône de
l’Epire. Le peu de liberté que Racine s’est, dit-il, accorde […] consiste en fait en la
métamorphose totale d’une captive en triomphatrice […] »57. La vie d'Andromaque passe par
des changements radicaux : elle passe du statut d’une mère souffrante, d’une captive
malheureuse menacée par la mort de son fils, à une « souveraine impitoyable » . Elle reste
fidèle à Hector et à son peuple, mais en même temps, en assumant la royauté, elle gagne sa
liberté.
Phèdre et Pauline- des véritables héroïnes ?
Si on a vu qu’Andromaque incarne le prototype d’une femme fidèle, une véritable
héroïne qui a réussi à dépasser sa condition de prisonnière en arrivant à devenir la reine d’un
royaume, maintenant voyons qu’est-ce que nous pouvons dire sur Pauline et Phèdre.
Les deux femmes sont épouses et les deux ont connaît le pouvoir du sentiment
amoureux, mais semble qu’elle ressent différemment son effet.
Pauline représente la figure d’une fille obéissante. Avant de son mariage, elle aimait
Sévère, son amour de jeunesse. Mais son choix n’était pas libre. N’ayant le même statut
social, elle doit renoncer à son amour pour suivre la volonté paternelle et épouser Polyeucte,
dont la fortune et le rang social semblent plus conformes aux ambitions de Felix. Prigent écrit
que « c’est Felix qui choisira son gendre pour consolider sa position en Arménie »58. Leur
mariage est considère « le premier mariage politique du théâtre de Corneille. »59. Elle a suivi
son devoir en épousant le chevalier arménien.
56Ibidem, p. 100.
57Jacques Morel, Racine en toutes lettres, op.cit ., p. 87.
58Michel Prigent, Le héros et l’Etat dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 107.
59Ibidem.

Polyeucte est une pièce chrétienne, dominée par la grâce, qui accompagne le héros
jusqu’au sa mort. Mais au-delà de l’ide de la loi, on peut observer que la pièce est centrée sur
l’amour conjugal, sur le mariage, mais aussi sur l’amour estime.
« Corneille a mis en scène avec Chimène, Camille, Emilie et Pauline des figures de la
féminité qui témoignent, au cote d’un héros sacrificiel et exemplaire, du triomphe de la
sensibilité »60. En plus Prigent affirme que « Pauline reconnait la force de la sensibilité. Cette
jeune épousé admet que Sévère a précède Polyeucte dans son Cœur. […] Pauline a une
expérience amoureuse: elle n’est plus au premier temps de la “surprise des sens”, elle est déjà
au moment où l’institution conjugale succède à l’inclination affective »61.
Si on analyse le récit d’amour de Pauline, on va voir qu’il y a un contraste entre les
mots qu’elle utilise quand parle de l’idylle avec Sévère et quand parle du mariage avec
Polyeucte. Quand elle parle de Sévère le langage est celui d’un amour qui vient du cœur, un
amour estime: tout est rapporté à son cœur, au souvenir de ce « amant parfait », qui lui
provoque encore des soupirs :
Dans Rome, où je naquis, ce malheureux visage
D'un chevalier romain captiva le courage ;
Il s'appelait Sévère : excuse les soupirs
Qu'arrache encore un nom trop cher à mes désirs.62(v. 169-172)
Elle estime cet homme cher à ses désirs, le voit comme un « grand cœur » et un
« honnête homme». Elle déclare à sa confidente qu’elle aime Sévère et que lui aussi mérite
son amour, mais elle affirme aussi avec le regret et la nostalgie d’une femme qui a perdu ce
qu’elle aimait, que le mérite ne sert à rien, là ou manque la fortune. Et c’est surtout cet
obstacle que l’a séparée de son aimé :
Je l'aimai, Stratonice : il le méritait bien ;
Mais que sert le mérite où manque la fortune ?
L'un était grand en lui, l'autre faible et commune ;
Trop invincible obstacle, et dont trop rarement
Triomphe auprès d'un père un vertueux amant !63(v. 184-188)
60Ibidem, p. 81.
61Ibidem, p. 106
62Pierre Corneille, Polyeucte martyr, op. cit., p. 25.
63Ibidem.

La mémoire de Sévère, qu’elle croyait mort, possède son cœur et lui provoque de
soupirs. Pour eux toutes espérances sont perdues. Le fait qu’elle a épousé Polyeucte, n’a pas
était son choix. Mais malgré ces soupirs, elle a fait seulement son devoir de fille et a été
obéissante à l’ordre de son père. Elle a dû « sacrifier les valeurs amoureuses aux valeurs
familiales ou, plus exactement, à une interprétation politique des valeurs familiales »64, chose
qu’on peut voir dans sa résignation :
Mais au lieu d'espérance, il n'avait que des pleurs ;
Et malgré des soupirs si doux, si favorables,
Mon père et mon devoir étaient inexorables.
Enfin je quittai Rome et ce parfait amant,
Pour suivre ici mon père en son gouvernement;65(v. 200-204)
Quand elle parle du début du mariage avec Polyeucte, son langage est plus froid, est
celui de la raison. Elle affirme que dans le moment où elle était « destinée à son lit », a donné
à Polyeucte par devoir à. son affection, tout ce que l’autre avait par inclination. Prigent
souligne lui-même que « Pauline était attache à son mari par devoir. »66et il s’explique par le
fait que « Le devoir est la valeur qui aidera Pauline a éprouver pour Polyeucte une véritable
inclination : tel est l’originalité proprement cornélienne du personnage »67. Pour lui le devoir
devient comme une sorte de guide vers la découverte d’une nouvelle sensibilité, comme une
sorte d’étape entre l’amour humain et l’amour divin.
Avec Pauline les personnages féminines de Corneille ont connu une évolution. Pauline
est la première qui, en qualité d’épouse, revendique ses droits et attaque Polyeucte :
Où ta mort va laisser ta femme inconsolable;
Je croyais que l'amour t'en parlerait assez,
Et je ne voulais pas de sentiments forcés ;
Mais cet amour si ferme et si bien méritée
Que tu m'avais promise, et que je t'ai portée,
Quand tu me veux quitter, quand tu me fais mourir,
Te peut-elle arracher une larme, un soupir ?
Tu me quittes, ingrat, et le fais avec joie ;[…]
C'est donc là le dégoût qu'apporte l'hyménée ?
Je te suis odieuse après m'être donnée !68(v. 1240-1252)
64Michel Prigent, Le héros et l’Etat dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 107.
65Pierre Corneille, Polyeucte martyr, op. cit., p. 26.
66Michel Prigent, Le héros et l’Etat dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 109.
67Ibidem.
68Pierre Corneille, Polyeucte martyr, op. cit., p. 66

Avec les deux derniers vers, Pauline passe de la sensualité à la sexualité. Prigent
affirme que « jamais une héroïne cornélienne n’avait eu l’audace d’évoquer en ce termes
l’amour physique »69. On peut voir une évolution de l’amour qu’elle ressent pour son époux.
Les liens entre les deux époux ont changé, car même s’elle l’aimait au début par devoir, elle
l’aime maintenant d’amour et elle évidente cette chose souvent : elle déclare à Polyeucte son
amour au vers 193 : « mais enfin je vous aime », puis au vers 461 elle dit à Sévère : « oui, je
l’aime seigneur, et n’en fais point d’excuse ». Au verse 793 elle confie a Stratonice que : « Je
l’aimerai encore, quand il m’auroit trahie / et si de tant d’amour tu peux être ébahie […]. Tout
devant a Sévère elle nome son époux « Mon Polyeucte ». Dans une dialogue avec Polyeucte,
elle lui prie de « Ne désespère pas une âme qui t'adore. »
Elle vit cet amour et de ce point de vue la pièce n’est pour Pauline qu’une longue
angoisse: elle lutte désespérément pour ne pas perdre Polyeucte. Elle combat Felix, Sévère,
Polyeucte lui-même ; et voit accomplir malgré elle ce qu’elle craint depuis le début : la
réalisation du rêve de la mort.
Même Polyeucte oscille entre sa foi et cet « juste et saint » amour. Mais celui-ci dans
l’enthousiasme de la conversion, il semble oublier pour un instant Pauline et la confie à
Sévère. Mais l’amour conjugal et le fait qu’il l’aime encore le fait vouloir partager son
bonheur avec elle, dans la gloire de Dieu. Toute la portée spirituelle de la pièce est inscrite
dans sa prière à Pauline :
Mais si, dans ce séjour de gloire et de lumière,
Ce dieu tout juste et bon peut souffrir ma prière,
S'il y daigne écouter un conjugal amour,
Sur votre aveuglement il répandra le jour.
Seigneur, de vos bontés il faut que je l'obtienne ;
Elle a trop de vertu pour n’être pas chrétienne.70(v. 1263-1268)
Mais en dépit de ses éprouves, Polyeucte fini par mourir en martyr. Le couple, séparé
sur terre, va se retrouver en Dieu, après la mort. Les mérites de Polyeucte assurent la
conversion de Pauline. Prigent affirme que « Pauline aime son père et mari en Dieu. Elle se
retrouve fille et femme en Dieu »71. Il met en évidence aussi le fait que la féminité amoureuse
69Michel Prigent, Le héros et l’Etat dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 110.
70Pierre Corneille, Polyeucte martyr, op. cit., p. 66.
71Michel Prigent, Le héros et l’Etat dans la tragédie de Pierre Corneille, op. cit., p. 112.

de Pauline s’exprime dans le martyre : « Polyeucte m’appelle à cet heureux trépas » (v.
1733)72.
Pauline est le prototype de la femme irréprochable : elle est une fille obéissante, est
une épouse parfaite. Elle devient la victime de sa perfection. Elle a respecté la loi du sang et
aussi la loi du cœur, mais elle se trouve condamne par l’une et par l’autre. Comme tous les
personnages de Corneille elle a une conscience claire de son devoir : pour elle au-dessus de la
fortune c’est le mérite, mais au-dessus du mérite il y a le respecte du a la décision de son père.
Les personnages cornéliens s’affirment comme libres, chose qu’on ne peut pas dire des
personnages de Racine. Phèdre est la pièce plus illustrative pour évidentier le tragique
racinien. Racine « renouvelle, dans Phèdre, le thème des amants malheureux qu’il avait
souvent exploité »73. L’amour est aussi dans ce cas le moteur essentiel de l’action: Thésée
aime Phèdre, qui aime Hippolyte qui aime Aricie. De ce triangle amoureux naît le drame. La
force de la passion est féroce et inadmissible et domine notre héroïne Phèdre.
Elle est la fille de Minos et de Pasiphaé (qui a été dominé par un amour désastreux
pour un taureau), descendent de Jupiter et du Soleil. Elle est poursuivie par la malédiction de
Venus comme elle affirme à un moment donne74. Elle est la descendent d’une race maudite :
« il suffit de savoir que toute la race est frappée par la colère des dieux, et qu’ainsi Phèdre
obéit à une fatalité non seulement intérieure, mais aussi surnaturelle».75
Tout comme Pauline, elle est une épouse, mais qui ne partage avec son époux l’amour
qui caractérise le couple Polyeucte – Pauline, un amour pur, qui peut-être résiste même après
la mort. Elle est l’épouse de Thésée, mais en l’absence de son marie, elle se voit libre de vivre
sa passion et avue l’amour pour le fils de son époux, qu’il a eu avec une autre femme,
Hippolyte. Donc, elle incarne le prototype de la femme incestueuse et adultère, qui aime
obsessionnellement Hippolyte, mais qui ne correspond pas à son amour.
72Pierre Corneille, Polyeucte martyr, op. cit., p. 82.
73Philippe Thenot, Racine-Phèdre. , Paris, Ellipses, 1996, p. 15.
74« C'est Vénus tout entière à sa proie attachée. », (V. 306), Jean Racine, Phèdre, tragédie , Paris, Larousse
(Édition présentée et commentée par Philippe Drouillard et Denis A. Canal), 1990, p. 56. Toutes les références
ultérieures à cette pièce se rapporteront à cette édition.
75Revel Elliot, Mythe et légende dans le théâtre de Racine, “Situation” n019, Paris, Lettres Modernes Minard,
1969, p. 193. ???? nu stiu cum sa notez aici

La passion chez Phèdre éclate comme un coup de foudre. L’amour pour Hippolyte naît
brusquement à travers le regard, et ses effets sont immédiats. Un seul regard suffit pour que
le trouble se créé dans le corps et l’âme de la femme désormais captive de sa passion :
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue.
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue.
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler,
Je sentis tout mon corps et transir, et brûler.
Je reconnus Vénus, et ses feux redoutables, 76(v. 271-277)
Tout au long de la pièce, Phèdre semble être dominée par des forces qui la dépassent.
L’amour se présent ici comme une force incontrôlable, devant laquelle la raison ne peut pas
lutter. Elle tente de fuir, de ne se laisser pas dominée par cette passion, mais en vain77. Son
innocence se manifeste lors sa première apparition sur la scène : elle désire mourir en raison
de son amour coupable qu’elle fait connaître à Œnone. La mort est pour Phèdre la seule
solution de cacher la passion à laquelle elle ne peut pas échapper.78
Racine introduit dans la conscience morale, la dualité de la faute et de la pureté grâce
au thème de la culpabilité. Jean Rohou affirme que « Racine veut nous présenter une héroïne
qui ne soit ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente ». Or, sa culpabilité est évidente.
D’où l’idée de la montrer déterminée à mourir »79. L’amour ressenti par Phèdre est à la fois
incestueux et adultère. Les mots « honte ». « rougeur » « coupable » sont des mots qui relevé
cette coulabilité du quelle Phèdre est consciente. Dès qu’elle avoue à Oneone l’amour pour
son beau-fils, ce qui était jusqu’là seulement de culpabilité devient une culpabilité réelle :
Quand tu sauras mon crime, et le sort qui m'accable,
Je n'en mourrai pas moins, j'en mourrai plus coupable.80(v. 241-242)
Tandis que l’amour de Pauline et Sévère était impossible de point de vue social, il ne
correspondait pas aux intérêts politiques du Felix, l’amour de Phèdre est impossible non
seulement de point de vue éthique, car il est le fils de Thésée, mais aussi de point de vu
76Jean Racine, Phèdre, op. cit., p. 56.
77« D'un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l'encens. » (v. 283-284), Ibidem.
78« Je meurs pour ne point faire un aveu si funeste » (v. 226), Ibidem, p. 53.
79Jean Rohou, Avez-vous lu Racine?, op. cit. p. 78.
80Jean Racine, Phèdre, op. cit., p. 54.

affectif, car Hippolyte aime Aricie. L’angoisse produite de sa culpabilité est redoublée par
celle de n’être pas aimée à son tour d’Hippolyte. Phèdre est donc le prototype de femme qui
aime sans être aimée, dans ce cas étant « l’amoureuse » et non « l’amante », chose qu’on ne
peut pas dire de Pauline, car elle bénéficie d’un amour partagé. Contrairement au théâtre
cornélien, celui racinien se fonde sur le pathétique, sur les plaisirs des larmes, sur la violence
du sentiment amoureux, sur la cruauté du destin.
Roland Barthes affirme que « dès le début Phèdre se sait coupable, et ce n’est pas sa
culpabilité qui fait problème, c’est son silence : c’est là qu’est sa liberté »81. Mais ce désir de
garder le silence ne sauve pas Phèdre. En effet sa passion est si forte qu’elle ne peut pas taire.
« C’est pourquoi la pièce est aussi une tragédie de la parole, d’une parole qu’il ne faudrait pas
prononcer et qui sera pourtant formulée »82. Dans le cas de Pauline on a vu qu’elle n’a pas des
problèmes à déclarer son amour soit face à sa confidente, soit face à Sévère, soit face à
Polyeucte lui-même. Elle n’oscille pas entre parler ou garder son silence, chose qu’on a pu
voir surtout quand elle invoque face à Polyeucte ses droits comme épouse. Au contraire,
Phèdre ne peut pas confesser son amour, car parler, signifie s'exposer, c'est devenir
vulnérable. « La Parole, une fois prononcée, emprisonne celui qui l'énonce […], elle est
indestructible et irrécupérable»83. Phèdre incarne l'image d'une parole qui refuse de se dire.
Prononcer le nom de son aime signifie s’exposer. C’est pourquoi n’est pas Phèdre qui le
prononce mais Œnone.84
C’est en effet l’annoncée de la mort de Thésée qui permet au désordre de s’instaurer
par les déclarations d’amour de Phèdre. Elle rompe ce silence trois fois : une fois face à
Œnone, l’autre fois face à Hippolyte quand elle déclare sa passion pour lui et une autre fois
face à Thésée quand elle reconnait la vérité, après de se donner de la mort. « Ces trois
ruptures ont une gravite croissante ; de l’une à l’autre, Phèdre approche d’un état toujours plus
pur de la parole. »85
81Roland Barthes, Sur Racine, op. cit., p. 115.
82Mathé Roger et Alain Couprie, Phèdre [de] Racine : résumé, personnages, thèmes, Paris, Hatier , Série : profil
d’une œuvre, 1996 , p. 34.
83Jean-Pierre Dens, La Parole de Phèdre, [dans la] Revue Romane, Bind 11 (1976) 2, Los Angeles, URL :
https://tidsskrift.dk/index.php/revue_romane/article/view/11447/21734, consulté le 28. 04. 2017. ??????- nu stiu
cum sa trec aici
84«Malheureuse, quel nom est sorti de ta bouche» (v. 208). Jean Racine, Phèdre, op. cit., p.52.
85Roland Barthes, Sur Racine, op. cit., p. 115-116.

Si on analyse l’aveu fait àHippolyte, on peut constater il n'y a dans la déclaration de
Phèdre ni séduction ni espérance. En parlant elle se condamne et semble rejeter loin d'elle
toutes les précautions. Cet aveu est plus ou moins le résultat d'un égarement qui limite la
volonté et la lucidité de Phèdre. La confusion des sentiments est si grande qu’elle ne parvient
pas à distinguer le père du fils :
Que dis-je ? Il n'est point mort, puisqu'il respire en vous.
Toujours devant mes yeux je crois voir mon époux.
Je le vois, je lui parle, et mon cœur… Je m'égare,
Seigneur, ma folle ardeur malgré moi se déclare.86(v. 627-630)
Dans ses hallucinations elle revoit l'image d'un Thésée rajeuni, charmant « traînant
tous les cœurs après soi »87, une confusion qui nous invite à nous demander si Phèdre n’aime,
à travers Hippolyte, un Thésée idéal.
Ce n'est qu'à la fin du récit de la descente au labyrinthe88, symbole d'une passion qui se
cherche mais ne se trouve pas, que Hippolyte se rendre compte que cet aveu lui concerne,
chose qui lui provoque l’étonnement et l’indignation : il invoque l’ordre du sang et celui du
mariage pour rendre plus visible la nature de cet amour adultère et incestueux:
Dieux ! Qu'est-ce que j'entends ? Madame, oubliez-vous
Que Thésée est mon père, et qu'il est votre époux ?89(v. 663-664)
Comme il croit d’avoir mal entendu les paroles de Phèdre, elle se déclare enfin plus
explicitement : elle change le registre et passe à la deuxième personne du singulier « tu » pour
faire sa déclaration « du fol amour », qui trouble sa raison plus personnelle: « je t’aime » (v.
673), « Je m'abhorre encore plus que tu ne me détestes. » (v. 678), « Tu me haïssais plus, je ne
t'aimais pas moins » (v. 687). Lors de sa déclaration, elle souligne même le caractère
incontrôlable de cet aveu :
Que dis-je ? Cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ? 90(v. 693-694)
86Jean Racine, Phèdre, op. cit., p. 78.
87«II avait votre port, vos yeux, votre langage
Cette noble pudeur colorait son visage » (v. 641-642), Jean Racine, Phèdre, op. cit., p. 78-79.
88« Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue,
Se serait avec vous retrouvée, ou perdue. » (v. 661-662), Ibidem, p. 79.
89Ibidem.

« Si Phèdre parle, ce n’est pas pour communiquer ses sentiments, mais parce qu’une
force irrépressible l’emporte. Elle ne peut pas contenir les mots qui jaillissent de sa bouche,
mais elle les regrette dans le temps même où elle les prononce »91, note Philippe Thenot. Elle
accuse les dieux de lui avoir inspiré cet amour92, qui est en effet source d’une souffrance
physique et morale intense : et pour ça nous avons le champ lexical du corps humain (« mon
sang », mon flanc ») et celui de la souffrance (« feu », « fatal », « larmes », « tremblante »
C’est en fait cet aveu qui comporte sa propre condamnation, pour cet « odieux amour » :
Faibles projets d'un cœur trop plein de ce qu'il aime !
Hélas ! je ne t'ai pu parler que de toi-même.
Venge-toi, punis-moi d'un odieux amour.
Digne fils du héros qui t'a donné le jour,
Délivre l'univers d'un monstre qui t'irrite.93(v. 697-701)
Consciente de sa faiblesse et de ses paroles d’amour monstrueuses, elle implore
Hippolyte de tuer « ce monstre affreux», comme elle s’auto intitule. Ce serait pour elle le seul
moyen d’échapper au scandale.
Aveugle par amour, elle interprète faussement l’attitude d’Hippolyte, qui la rejette.
Pour consolider son illusion et son espérance, elle cherche à trouver une excuse. Pour elle, le
fait qu’il a réagi si hostilement à son aveu, c’est parce qu’il « entend parler d’amour pour la
première fois »94.
Le retour de Thésée détruit toutes espérances. « Il [l’époux] représentait l’ordre autour
duquel tout s’organisait ; brutalement, il cristallise le sentiment de culpabilité de chacun »95.
La confidente, pour sauver la reine des possibles accusations d’Hippolyte, fait que Phèdre, en
recourant à une mensonge, accuse injustement Hippolyte qu’il a tenté de la séduire , chose
qui provoque la colère de Thésée, qui veut tuer son fils. Le stratagème est de consiste donc à
relater les faits en inversant les rôles. De ce moment-là tout est « baigné » dans un climat de
mensonge et de suspicion, jusqu’au moment où Phèdre fait l’aveu final de son « crime ».
90Ibidem, p. 81.
91Philippe Thenot, Racine Phèdre, op. cit., p. 58.
92« Les dieux m'en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang, » (v. 679-680), Jean Racine, Phèdre, op. cit., p. 81.
93Ibidem.
94Ibidem , (v. 784), p. 90.
95Philippe Thenot, Racine Phèdre , op. cit., p. 34.

A l’acte 4, scène 6, Œnone, en jouant le rôle d’une conseillère, suggère à Phèdre que
l’amour est un « charme fatale », une fatalité à laquelle personne ne peut échapper et que sa
culpabilité est moindre qu’elle ne le croit. Les paroles de Œnone dévoilent la conception
pessimiste qui a Racine sur l’homme : « La faiblesse aux humains n’est que trop naturelle »96.
Même Phèdre « admet que la nature humaine est faible, mais ne croit pas que cette
insuffisance doive nécessairement conduire à la faute. Au contraire, Phèdre conçoit qu’on
puisse lutter contre ses impulsions »97, mais si elle a failli « ce n’est que parce qu’elle a suivi
les conseils de sa nourrice qui l’a empêchée de fuir en se donnant la mort »98.
Consciente de « son crime », elle plaide comme innocente, en refusant la
responsabilité, car elle rejette d’abord la faute sur Vénus, puis sur Œnone:
Le Ciel mit dans mon sein une flamme funeste
La détestable Œnone a conduit tout le reste. 99(v. 1625-1626)
Elle meurt dans la honte après avoir fait un troisième aveu: elle dit la vérité à Thésée
dans son ultime sursaut de raison et de dignité, qui consacrera sa défaite. Elle croit que son
ultime aveu suffira à rétablir l’ordre originel un moment perturbé :
Et la mort, à mes yeux, dérobant la clarté
Rend au jour, qu’ils souillaient, toute sa pureté100(v. 1643-1644)
Phèdre éprouve un amour-passion qui est né dès le premier regard qu’elle a pote sur
Hippolyte. Elle semble dominée par cette passion malheureuse, qui la fait perdre la raison et
le fait osciller entre avuer ou non cet amour, entre vivre ou mourir. Elle semble subir son
destin, elle semble suivre cet amour qui est le résultat de la malédiction de Venus, et qui la
conduit finalement à la mort. Il n’y a rien de transcendantal dans cette pièce, comme on a vu
dans la pièce Polyeucte .
Dans sa vision négative (qui ressent de l’influence janséniste), la passion est, chez
Racine, une force incontrôlable face à laquelle l’homme est condamné et ne peut pas faire rien
96Jean Racine, Phèdre, op. cit., (v. 1301), p. 121.
97Philippe Thenot, Racine Phèdre , op. cit., p. 41.
98Ibidem.
99Jean Racine, Phèdre, op. cit., 114.
100Ibidem.

pour échapper. Toute force de liberté est annihilée. Tandis que dans les cas des héros de
Corneille c’est la raison qui l’emporte sur la passion, l’amour étant fonde sur l’estime et
l’honneur, dans les cas des héros de Racine c’est la passion qui l’emporte sur la raison. Dans
ce cas l’amour, comme force destructrice se fonde sur la passion et la jalousie extrêmes. En
fonction de leurs attitudes envers la passion destructrice, les héros raciniens peuvent être
appelés soit héros tendres, victimes de la passion d’autrui, qui sont prêts à se sacrifier et à
céder devant la violence avec le but d’éviter le mal (c’est le cas d’Andromaque et
d’Hippolyte), soit des héros maudits- victimes de leur propre passion (c’est le cas d’Oreste,
d’Hermione, Pyrrhus et Phèdre), parce qu’ils tentent a tout prix de satisfaire leur propre désir
violent qui les conduit à la mort ou à la folie. L’homme racinien est victime de la fatalité ou
de la malédiction divine contre laquelle il ne peut faire rien, tandis que l’homme cornélien est
libre, peut maîtriser ses sentiments et renverser le destin. Du point de vue de la force de la
passion qui domine les héros et du pouvoir qu’ils exercent sur la personne aimée, on peut
affirmer que le théâtre de Racine est un théâtre de la violence.

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