De la méthode en traduction et en traductologie [603294]

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De la méthode en traduction et en traductologie

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Sigla colectiei

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Georgiana Lungu Badea (éd.)
De la méthode en traduction et en traductologie

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Colec ția „Studii de limbă și stil”
Coordonator colecție: Prof. univ. dr. Dumitru Vlăduț
Coperta: Mihaela Gruber

Éditeur : Centre d’études ISTTRAROM -Translationes
Mise en page : Anne Poda

Timi șoara, Bd. Revolu ția din 1989, nr. 26
Tel./fax: 0256 -204816
E-mail: edituraeurostamp [anonimizat]
www.eurostampa.ro
Tiparul executat la Eurostampa Descrierea CIP a Bibliotecii Naționale a României

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Avant propos
Dans ce recueil, intitulé clairement De la méthode en traduction et en
traductologie , les contributeurs survolent la pratique, la théorie et l a
didactique qu’on déroule, enseigne et développe dans des cadres
professionnels, institutionnels et individuels, permettant de la sorte une
vue du phénomène quasi panoramique.
Sans prétendre à l’exhaustivité, les études réunies dans ce volume
s’articulent sur trois axes : 1) Approches théorique et descriptives des méthodes
et méthodologies d’enseignement de la/en traductologie ; 2) Description des
méthodes et méthodologies de recherche extra -, inter – et intra -institutionnelles ; 3)
Argumentation des méthod es spécifiques de traduction (travaux dirigés et/ou
pratiques professionnelles ). La variété des analyses et la variabilité des
points de vue sur les méthodes, illustrées par les contributions réunies
dans ce qui suit, témoignent d’une riche réflexion sur l a légitimité du
phénomène traductionnel dans un contexte international chaque jour
aussi bine plus interculturel et plus multilingue, que plus inter- et plus
trans -disciplinaire.
Les trois études qui constituent la première section, « Epistémologie
réalist e de la traductologie », de Michel Ballard, « Les méthodes
collaborative et coopérative dans l’enseignement de la traductologie »,
Antonio Bueno Garcia et « L’Analyse du discours spécialise dans le
processus de formation des traducteurs techniques », Natal ia Gavrilenko,
explorent le domaine de la didactique de la traduction (littéraire et/ou
spécialisée) et le domaine de l’enseignement de la traductologie.
La deuxième section, Description des méthodes et méthodologies de
recherche extra -, inter – et intra -institutionnelles , regroupe plusieurs
contributions où se croisent des conseils et renseignements théoriques et
des expériences didactiques (traductionnelles et traductologiques) : dans
« Traduire la traductologie. Sur la légitimité de la méthode en traducti on
à l’époque du cyberespace », nous illustrons la légitimité de la méthode
dans la pratique de la traduction sur des textes traductologiques ;
Isabelle Collombat propose une « Cartographie de l’avant -traduire » ;

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Tatiana Milliaressi expose des « Considéra tions théoriques et éthiques
sur la méthodologie de la traduction spécialisée » ; Thomas Lenzen
s’attarde sur le « Pluralisme des méthodes en traduction judiciaire » à la
recherche d’une « méthodologie cohérente » ; Diana Motoc revient à
« Une étude historique -comparative des traductions du catalan en
roumain » pour essayer d’en dégager une méthode.
À ces perspectives, s’ajoutent celles qui composent le troisième
volet du volume, Argumentation des méthodes spécifiques de tr aduction
(travaux dirigés et/ou pratiques professionnelles . Etienne Wolff montre « Les
spécificités de la traduction du latin » ; Gerardo Acerenza compare les
méthodes mises en œuvre dans « Les traductions italienne, espagnole,
roumaine et allemande de Maria Chapdelaine de Louis Hémon » ;
Emmanuel Le Vagueresse s’intéresse aux manières de « Traduire la
poésie contemporaine en 2012 : de l’espagnol au français, leçons de
sens, de son et de rythme », Alina Pelea examine le rapport s traducteurs
avec la« Méthod e et la subjectivité en traduction » ; Neli Ei ben s e
penche sur « Deux méthodes de se traduire : Tsepeneag et Mihali », et
Mariana Pitar présente « Une perspective terminologique dans la
traduction des textes de spécialité ».
Paradoxalement, c’est la varia bilité des approches, due non
seulement au statut des auteurs et à leur rapport avec les phénomènes
envisagés, mais aussi à la nature des démarches (procédurale,
rétrospective, prospective, etc.) qui fournit une vision d’ensemble ; bien
qu’apparemment, dis cursivement parlant, la réception et l’interprétation
de la traduction et de la traductologie soient atomisée. Les formateurs,
les traductologues, les traducteurs professionnels et les spécialistes des
domaines connexes partagent dans ce volume des idées e t des
expériences sur la théorie, la didactique et la pratique traductionnelles .

Georgiana Lungu Badea

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1e Section
Approches théorique et descriptives d es méthodes et
méthodologies d’enseignement de la/ en traductologie

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Epistémologie de la t raductologie réaliste

Michel BALLARD
Université d’Artois, Arras
France
Résumé : Cet article expose les fondements et les principes de la traductologie
réaliste. La première partie explique comment la traductologie réaliste s’est
développée par confrontati on avec diverses approches de la traduction telles
que la linguistique, la théorie interprétative, le skopos et les études descriptives.
La seconde partie propose un cadre général pour l’étude de la traduction sur la
base de l’observation et l’analyse de p roductions réelles réalisées par des
traducteurs professionnels. La troisième partie met l’accent sur la terminologie
comme instrument et élément structurant. La quatrième partie est une
application des principes et démarches précédemment exposés ; une étu de sur
corpus montre comment on peut faire prendre conscience aux étudiants des
différents niveaux de l’activité du traducteur : depuis l’utilisation d’équivalences
linguistiques jusqu’à la créativité via des degrés de paraphrase, des choix
multiples e t des décisions irrationnelles.

Mots -clés : Subjectivité des théories ; théories de l’injonction ; défense de
l’empirisme ; sphères d’existence ; observation ; analyse ; terminologies ; unité
de traduction ; études sur corpus ; équivalences systémiques ; créa tivité ; style et
écriture.

Abstract : This article puts forward the bases and principles of realistic
translatology. The first part shows how realistic translatology developed out of
a confrontation with various approaches of translation such as linguisti cs,
interpretative theory, skopos and descriptive translation studies. The second
part proposes a general framework for the study of translation on a basis of
observation and analysis of real productions by professional translators. The
third part lays the stress on the importance of terminology as a tool and
structuring element. The fourth part is an implementation of the principles and
devices previously expounded; a corpus based study shows how students can be
made aware of the various levels of the tran slator’s activity: from linguistics
equivalences to creativity via degrees of paraphrase, multiple choices and
erratic decisions.

Keywords : Subjectivity of theories; injunctive theories; a case for empiricism;
spheres of existence; observation; analysis; terminologies; unit of translation;
corpus studies; systemic equivalences; creativity; writing and style.

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1. Introduction

L’acte de nomination est un acte langagier majeur à visée
conceptuelle et communicationnelle, qui coïncide avec des actes de
création, de perception ou d’identification de phénomènes ou d’objets
nouveaux (qui peuvent être de nature physique ou intellectuelle).
La date de baptême officielle de la traductologie se situe en 1972
lors d’un colloque de linguistique au Canada à l’occasion duqu el Brian
Harris proposa d’utiliser ce terme dès lors que l’on analysait un
phénomène que des individus pratiquent de façon instinctive et qui a
pour nom : la traduction (Harris 1973).
Cette démarche établissait ou soulignait une distinction fondamentale
(simple mais nécessaire et qui n’a rien de discriminatoire ou de scalaire)
entre l’action et la réflexion. La traduction est un acte intelligent, qui
suppose de grandes compétences mais qui, a priori, ne comporte pas de
recherche en vue d’une analyse et d’u ne structuration de l’opération
effectuée de façon instinctive par le traducteur. Ce qui distingue la
traductologie de la traduction, c’est qu’elle est une métaopération alors
que la traduction est une opération : c’est le fait qu’elle occupe une
position de postériorité temporelle : il faut avoir traduit, avoir un texte
traduit, pour théoriser.
Conscient qu’à l’époque où il lançait ce terme, il le faisait sous
l’influence de la linguistique, Harris en redonna une définition plus large
en 1977, comme étant « l’analyse scientifique de la traduction » et il
précisait même en 1988 : « the objectively recorded observation and scientific
analysis of what translators do » (Harris 1988, 94).
De cette définition, je retiendrai un projet, auquel j’adhère,
« l’observat ion et l’analyse », et pour lequel, je vais faire ce qu’il n’a pas
fait à l’époque (et pour cause, on en était aux prémices) : tenter
d’exposer une méthode qui s’est élaborée de manière progressive dans
un contact constant avec les théories, la didactique, la réflexion sur e t la
pratique de la traduction.
L’épistémologie de la traductologie réaliste peut s’organiser,
entre autres, autour de deux axes (l’un dissociatif, l’autre dynamique et
constitutif), qui sous -tendent ma démarche et qui vont me permettre
d’ordonner mon exposé.
Il y a dans la méthode une part exogène, qui est l’apport des autres
théories et une part endogène , qui est l’élaboration d’une théorie
spécifique. Les autres théories peuvent être adoptées si on y adhère ou
servir temporairement. El les peuvent permettre de se définir par
opposition.
La méthode, si on la déduit des prémisses du projet de Harris, va
s’élaborer autour de comportements, d’opérations, qui sont
l’expérimentation, la conceptualisation, la réflexion, la synthèse, la mise

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en système et éventuellement, si nécessaire, l’ajustement du système ou
de ses composantes.
Je commencerai donc par évoquer le cheminement critique qui a
accompagné et peut -être motivé la mise en place de ma propre
démarche en traductologie.

2. Cheminement crit ique

2.1. L’objectivité des théorisations en question
L’étude des diverses théorisations amène très vite à prendre
conscience de leur absence d’objectivité, ce qui est normal. A partir du
moment où il y a réflexion, il faut s’attendre à une diversité de p oints de
vue et ce pour trois raisons au moins : en raison de la subjectivité du
théoricien ; en raison du terreau origine de la théorisation ; en raison des
outils conceptuels utilisés pour élaborer la réflexion.
La théorie interprétative, du moins dans ses formes premières,
est liée au support sur lequel Danica Seleskovitch a d’abord travaillé,
l’interprétation de conférence, qui requiert le détachement des formes
d’origine et accorde la primauté au message. Georges Mounin, devenu
linguiste, jette aux or ties, dans Les Problèmes théoriques , l’ensemble des
écrits qu’il avait utilisés dans Les Belles Infidèles , ce qui l’amène à occulter
ou à oublier bien des aspects de la traduction . Meschonnic part d’un
horizon littéraire et biblique et rejette la linguisti que comme voie d’accès
ou moyen d’investigation. La domination, et les excès, des approches
linguistiques au cours des années soixante et soixante dix ont provoqué
des réactions de toutes sortes ou, en tout cas, ont facilité l’expansion de
théories qui éca rtent « le linguistique » autant que la linguistique ou qui
tout au moins donnent la primauté à divers facteurs autres que le
linguistique : les aspects culturels, sociologiques, etc.

2.2. En quête de règles ou de justifications
La traduction n’est pas un obje t d’étude comme les autres parce
qu’elle entretient, même si c’est de manière occulte, une relation à
l’original dont elle est issue. Dans la mesure où elle est un produit de
consommation, il est normal ou naturel que l’on s’interroge sur sa
qualité, sur l es qualités de celui qui l’effectue.
Dès les origines, la réflexion sur la traduction est liée à un
phénomène de comparaison entre l’original et le texte traduit, résultant
en un constat de différence, qui génère la crainte d’avoir produit une
mauvaise tr aduction ou le besoin de se justifier ; il y a aussi le cas où la
comparaison génère les attaques et les critiques et où il faut répondre, ce
fut le cas de saint Jérôme. Dès les origines, la réflexion sur la traduction
est, de façon plus ou moins ouverte o u consciente, liée à la défense

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d’une manière de traduire ; elle sera par la suite liée à l’obtention d’un
brevet de qualité et à une demande quant à la façon de faire pour y
parvenir : « Comment faut -il traduire ? ». Cette interrogation, qui devint
le tit re d’un cours d’Edmond Cary, est également très révélatrice des
comportements d’attente de professionnels qui risquent de générer des
comportements de théorisation prescriptifs, parfois contradictoires :
traduisez sans vous laisser entraver par les formes de l’original ;
traduisez en respectant les formes de l’original, en les suivant même,
apportez -nous la saveur de l’étranger !
Dans le vaste champ de la traductologie dont je viens de décrire
un aspect auquel je n’ai pas adhéré, qui est l’injonction ; il y a aussi une
partialité et un déséquilibre, par rapport auxquels je me suis situé.

2.3. Des théories partiales et déséquilibrées
2.3.1. Mounin et les linguistes
La création d’un néologisme tel que « traductologie » donne le
sentiment de nommer une réalit é neuve et de participer à la naissance
ou à la mise en place d’un domaine d’étude nouveau et donc d’une
démarche inédite.
Alors que le terme n’existait pas, ce sentiment, un chercheur comme
Mounin l’avait eu au début des années soixante lorsque, élaboran t sa
thèse et la plaçant sous l’égide de la linguistique, il déclarait que :
« Jusqu'à ces dernières années […] la traduction restait un secteur
inexploré, voire ignoré. » (Mounin 1963 : 10). Cette déclaration peut
surprendre de la part d’un auteur, qui ci nq ans auparavant avait publié,
avec Les Belles Infidèles , un ouvrage qui était nourri de nombreuses
références à des écrits tirés de l’histoire de la traduction.
Cette rupture avec le passé, cette thèse quasi -négationniste de la
réflexion antérieure sur la traductologie, est dommageable à plus d’un
titre : elle tend à occulter les sources d’une réflexion qui n’est pas née
par miracle sous l’effet d’une science moderne telle que la linguistique ;
elle nous prive de repères et de points de comparaison et fa it dévier
l’analyse de la traduction ; elle permettait à Mounin comme à Vinay et
Darbelnet de placer la traduction sous la tutelle de la linguistique. Mais
le jugement que porte sur ces tentatives le linguiste Maurice Pergnier est
assez édifiant : il estim e que ces théories « sont en réalité bien plus des
théories de la langue appliquées à la compréhension des difficultés
inhérentes à tout acte de traduction que des prolégomènes à une science
de la traduction » (Pergnier 1978/1980 : 7).

2.3.2. La théorie i nterprétative
La rupture des linguistes avec les professionnels a été
consommée avec la création des écoles de traducteurs et la génération
de théories se démarquant de la linguistique et même de la prise en

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compte des langues pour une théorisation de la t raduction : il n’est que
de voir le tour qu’a pris la théorisation à l’ESIT en France.
Marianne Lederer, dans La Traduction aujourd’hui , déclare :
« Pour étudier le processus de la traduction sur le plan théorique, il est
important d’écarter les problèmes d’ordre linguistique et de postuler
une connaissance des deux langues telle que la traduction n’accuse pas
d’erreu rs sur ce plan » (Lederer 1994, 33, c’est moi qui souligne). Son
objet, exposé dans son avant -propos, est de produire : «un ouvrage
consacré au processus de la traduction et à son caractère universel
indépendant de la paire de langues concernées ou de l’ œuvre d’un
auteur particulier . Il s’agit de montrer que la démarche du bon
traducteur est fondamentalement la même, quelles que soient les
langues, quel que soit le texte en cause . La recherche du sens et sa
réexpression sont le dénominateur commun à toutes le s traductions. »
(Lederer 1994, 9, c’est moi qui souligne).
A cela on se sent obligé de répondre par des questions : traduit –
on de la même manière un roman et un film ? traduit -on de la même
manière un roman et une pièce de théâtre ? va-t-on parler de recherche
du sens pour un poème, une chanson ? va-t-on traduire de la même
manière un discours et une chanson ? etc. Edmond Cary, dont les
théoriciens de l’ESIT se recommandent parfois, avait bien perçu la
nécessité de prendre en compte la diversité des genres dans la
théorisation de la traduction (cf. Cary 1985)

2.3.3. Autres théories
La force centrifuge de la traductologie a également généré un
corps de doctrines qui se détachent des textes et des opérations pour ne
plus s’intéresser qu’aux conditions d’apparition ou de réception de la
traduction et nous faire perdre de vue que la traduction est une
opération motivée par l’ex istence de langue s différentes.
La théorie du Skopos , par exemple, estime que l’essentiel n’est
plus la fidélité absolue au texte de départ mais la distinction entre « les
éléments fonctionnels du texte qui devront être reproduits ‘tels quels’ [et]
ceux qui devront être ad aptés au savoir contextuel, aux attentes et aux
besoins communicationnels du destinataire » (Nord 2008: 86). Outre le
fait que cette théorisation revient à proposer sous un autre habillage les
principes des ‘belles infidèles’, position que l’on a le droit de défendre
mais que l’on ne saurait ériger en canon suprême, il est assez totalitaire
et irréaliste de jeter le discrédit sur la notion d’équivalence et le désir,
légitime, de comparer le texte traduit à l’original. La notion
d’équivalence, que l’on tente d’évacuer via le chantage de la désuétude,
est un élément fondamental de la traduction aussi bien au niveau de la
production que de l’évaluation.

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2.4. Défense du comparatisme et de l’empirisme
Dans le constat de prétendu vide traductologique qu’il établit dans
Les Problèmes théoriques , Mounin évoque, comme une longue palinodie, la
liste d’auteurs anciens tels que Cicéron, saint Jérôme, Etienne Dolet, pour
mieux les rejeter dans les ténèbres de l’empirisme : « […] dans le meilleur
des cas, ils proposent ou codifient des impressions générales, des
intuitions personnelles, des inventaires d'expériences et des recettes
artisanales. En rassemblant, chacun selon son gré, toute cette matière, on
obtient un empirisme de la traduction, jamais négligeable, certes , mais un
empirisme. » (Mounin 1963 ,12, c’est moi qui souligne).
Il y a dans Les Problèmes théoriques , une regrettable mise à l’index
de l’empirisme. Ce terme est polysémique et possède pour l’une de ses
acceptions des connotations négatives telles que l’appro ximation,
l’absence de hauteur et de rationalité. Je prends pour ma part l’empirisme
au sens de « méthode, réflexion qui s’appuie sur l’expérience ».
Cette méthodologie aujourd’hui revêt plusieurs formes : il y en a
une qui est en prise directe sur l’expér ience avec les TAPs, Think aloud
protocols , (cf. Lörscher 1991), le risque étant que la méthode soit lourde à
manier et risque d’interférer avec l’individu ou les groupes observés ou
sollicités pour l’analyse ; l’autre méthode, que je propose et pratique, est
fondée sur le comparatisme. Il s’agit de comparer les textes pour
remonter à la compétence du traducteur. Il s’agit d’une investigation de
la compétence sur pièces, a posteriori.
Il y a tout un passé de l’empirisme et du comparatisme de la
traductologi e, qui commence en fait avec saint Jérôme, je n’ai pas le
temps de l’exposer ici, mais il est très riche et instructif. J’évoquerai
simplement le fait que certains adeptes de la sociologie de la traduction,
comme Jean -Marc Gouanvic, soulignent la nécessité de travailler sur les
textes en les comparant : « si, pour des raisons de méthode, il est certes
possible dans un premier temps d’aborder les traits sociologiques liés à
l’institution de la traduction, on ne peut en rester là et considérer que le
sujet a été traité de façon complète ; la dimension textuelle de la
traduction fait indissolublement partie du phénomène » (Gouanvic
2007, 170, c’est moi qui souligne).
Chaque théorie, dans sa singularité, nous apporte quelque chose
pour notre connaissance de la t raduction ; mais elle risque de devenir un
prisme déformant à partir du moment où elle veut tout nous faire
appréhender par son canal. L’essence de la traduction, plurielle, la place
au carrefour de disciplines qui tendent à générer des théories exogènes
parce qu’elles apportent leurs propres méthodes, issues d’un champ
externe à la traduction et qui les appliquent parfois de façon aveugle, sans
discernement, au risque de faire dévier l’analyse ou d’étendre indûment
une méthode, valable pour un champ, à l’e nsemble de la discipline.

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La traduction est plurielle et il est normal qu’une certaine dose
de pluralisme apparaisse dans les études traductologiques, mais il
convient de ne pas perdre de vue que la traduction est une opération sui
generis et qu’en tant q ue telle elle requiert, ou devrait générer une
démarche sui generis pour son étude : au cœur de la traduction il y a le
travail du traducteur et celui -ci porte sur des langues, des textes. C’est ce
travail du traducteur, rattaché aux paramètres sociolingui stiques qui le
génèrent ou l’enserrent, qui me semble de façon naturelle être un objet
d’étude central pour la traductologie .
Ce que je voudrais donc tenter dans la suite de cet exposé c’est
proposer une démarche de recherche qui réconcilie la théorisatio n avec
l’action scripturale du traducteur, sans perdre de vue ces facteurs et ces
contextes mis à jour par des théories dont je n’ai fait qu’esquisser la
richesse.

3. Cadre d’étude et démarche

3.1. Les sphères d’existence
La traduction a besoin d’être décr ite par rapport à des sphères
d’existence, la notion de sphère reflétant une occupation plus généreuse de
l’espace que le cercle, bidimensionnel et plat. Ces sphères sont emboîtées les
unes dans les autres avec des zones de contact, d’influence et de réact ion.
C’est pourquoi je présenterai ces sphères en allant de l’extérieur vers
l’intérieur, au centre se trouvant l’agent de la traduction : le traducteur.

La sphère externe
La sphère externe est contextualisante, c’est là que se situent les
pouvoirs politi ques, économiques et intellectuels ; c’est de là que vient la
décision de traduire. L’idée que la décision de traduire puisse venir du
traducteur est à moduler car en fin de compte sa décision ne pourra
aboutir que s’il a l’aval des autorités qui lui perme ttront de publier sa
traduction. Le contexte de naissance d’une traduction est celui d’un
champ où il y a un besoin reconnu et attesté par une autorité
individuelle ou collective. La traduction est un service1 que demande
une entreprise, un individu social , le plus souvent en tant que
représentant d’un groupe.
La sphère externe, en tant que contexte de production
historiquement daté, fait évoluer la nature de la traduction ainsi que la
notion de qualité même si ce n’est que de manière parcellaire. Le coût
de la traduction ainsi que le prix que sont prêts à payer les donneurs
d’ordre influent sur la qualité.

1 Pour une étude plus com plète de cet aspect cf. Jean Peeters, La Médiation de l’Etranger ,
1999, pp. 98 -114

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La sphère externe ne contient pas que le pouvoir de décision,
elle contient la mémoire collective, les normes concernant l’écriture et
éventuellement l es manières de traduire. Le passé fonctionne, selon les
individus et les sociétés, comme autorité ou comme repoussoir.
Le traducteur, lorsqu’il aborde un texte, est pris au moins dans
deux contextes croisés : le type de texte auquel appartient l’objet de s a
traduction (roman, théâtre, etc.) et l’œuvre de l’auteur.

La sphère médiane
La sphère médiane est d’ordre phénoménologique, elle est celle
où se situent les langues et les textes.
Les langues constituent un donné, la matière dont sont faits les textes.
Le traducteur doit connaître les langues sur lesquelles il travaille. Elles
représentent un potentiel de dire que la théorisation peut explorer via la
linguistique contrastive. La linguistique contrastive ne va pas donner des
solutions toutes prêtes mais d es bases de travail. La langue figure dans
les textes sous forme actualisée en parole d’un point de vue scriptural,
comme écriture, comme style. Là aussi la théorisation peut constituer
une préparation à l’identification des styles et à leur reproduction.
Les textes figurent dans cette sphère à des degrés divers selon le
moment de réalisation de la traduction. Le texte de départ, l’original,
figure là (comme donnée) avec une valeur forte puisqu’il est la
référence ; l’autre texte, selon le moment, est en de venir ou achevé. Le
texte traduit est un aboutissement, et un aboutissement provisoire car
susceptible de retouches et de retraduction dans le cas des textes
littéraires, religieux, philosophiques.
C’est dans la sphère médiane que se situent les textes : l’original
auquel a accès le traducteur et sur lequel il va travailler ; la traduction
produite que le lecteur va lire.
Le traductologue réunit ou non ces textes selon son option de
traductologie ; la traductologie réaliste réunit et confronte les textes da ns
la mesure où l’un des textes est dérivé de l’autre, la traduction est en
relation d’hypertextualité avec son original , ne pas envisager la
nature de cette relation constitue une occultation de l’une des
caractéristiques fondamentales de la traduction.

La sphère nodale
La sphère nodale est celle où se situent les réseaux de capacités
humaines (émotions, raisonnements, mémoire, instincts, sensations) qui
président à l’exécution de l’acte de traduction (comme de tout acte,
d’ailleurs, à cette différence pr ès que la description de l’acte de traduction
fait intervenir la sphère médiane où se situent les langues et les textes).

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La sphère nodale est constituée par des savoirs dormants
dépendant de la mémoire et de leur convocation par le désir d’agir du
traduct eur.
Le comportement du traducteur est régi par la volonté, la
conscience et l’instinct. La rapidité d’action dépend de la réactivité et de
la capacité à mettre en œuvre une compétence, qui est un savoir -faire
intériorisé. L’intériorisation de ce savoir -faire dépend d’une expérience
qui est forcément limitée. La capacité à faire face à des situations
nouvelles dépend d’une faculté d’adaptation spécifique qui est celle de
trouver des solutions. Il est évident qu’un individu ne peut faire dans sa
vie professi onnelle l’expérience de toutes les situations : la formation
professionnelle, via la théorie, peut permettre d’intégrer des expériences
externes diverses et surtout elle peut permettre de le faire dans un cadre
global de description et d’explication où des liens sont établis entre les
expériences et les procédures.
La théorisation, pour être réaliste (et efficace) doit intégrer le fait
que l’intelligence n’est pas faite que de raisonnements et de rationalité :
il convient de tenir compte de l’inconscient, d u ‘travail de nuit’, de ces
trouvailles qui apparaissent au niveau de la conscience dans des phases
de ‘repos’ ou de latence.
La sphère nodale, où se situe la compétence du traducteur, est
un lieu de coexistence de qualités de nature presque contradictoir e qui
donnent à la traduction son caractère paradoxal : l’individualisme et le
conformisme.

Points de contact
Les sphères d’existence de la traduction ont des points de
contact : la sphère externe impose des directives de façon claire et
ouverte (conditi ons économiques, ordres du commanditaire), elle
imprime aussi des manières de penser ou de faire la traduction selon la
doxa, les normes ; cet ensemble de pratiques constitue l’ habitus du
traducteur, dont il est plus ou moins conscient.
Par ailleurs, en c ontrepoint des prises de position récentes en faveur de
la présence du traducteur au niveau de l’écriture, de la publication et
dans la théorie comme théoricien et comme objet d’étude, il faut être
conscient du fait que le contexte de la civilisation moder ne crée des
conditions pour un nouvel effacement du traducteur, danger qu’Antonio
Bueno a fort bien analysé dans son article sur « la traduction demain »:
« La dissolution du travail personnel dans le travail en équipe , sous les
ordres des entreprises de t raduction, accroît le caractère invisible de son
travail » (Bueno Garcia 2007: 273).

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3.2. Proposition de démarche théorique réaliste
Une démarche théorique réaliste se doit d’intégrer tous ces
éléments au risque de produire une vision déformée de l’objet d’étude.
Les perspectives herméneutiques, communicatives et
linguistiques proposent une vision essentiellement « interne » du
processus de traduction (saisie, interprétation et reformulation du sens),
alors que les perspectives culturelles et socio -sémiot iques se cantonnent
à une perspective « externe » (c’est -à-dire, de la traduction -processus en
tant que médiation socioculturelle, et de la traduction -produit en tant
qu’insertion dans une culture).
Dans le schéma global de la traduction, la sphère nodale et la
sphère d’influences et de patrons, sont des sphères communes à d’autres
activités que la traduction ; c’est dans la sphère phénoménologique que
se manifeste la spécificité de la traduction avec ses realia, c’est donc elle
qu’il faut prendre pour bas e d’étude du phénomène en sachant qu’il va
falloir faire intervenir les autres sphères dans l’étude du phénomène,
mais comme éléments constituants et non comme éléments centraux.
La traductologie que je pratique est fondée sur l’observation des
textes trad uits et de leurs originaux, elle constitue une interrogation sur
l’action du traducteur. L’étude de la traduction sur corpus part d’un
résultat : le texte traduit juxtaposé à l’original. Le texte traduit, qui,
d’extérieur et pour le lecteur moyen, se donne comme un texte à lire, au
même titre qu’un texte rédigé dans sa langue est en réalité un texte
stratifié qui renferme, pour le chercheur (et pour certains lecteurs
critiques), les traces du travail du traducteur. Ce travail est fait d’une
série d’opératio ns qui commence par la lecture et l’interprétation d’un
texte origine et qui se poursuit avec des opérations de transfert
linguistique et culturel auxquelles se mêlent ou se succèdent des
opérations de négociations et d’aménagement ; il convient enfin d’y
adjoindre des opérations d’écriture et de cré ativité plus ou moins
poussées.
Ce sont les traces de ce travail que le traductologue va devoir
identifier et interpréter ; il se pose en effet un problème d’identification car
ces traces sont un observable qui se donne de façon plus ou moins
directe : les différentes opérations ne sont pas identifiables forcément dans
l’ordre où elles ont été effectuées et requièrent un travail d’observation et
d’analyse qui vise à les reconstituer par déduction. Le travail du
traducteur peut se décomposer en unités de travail qui constituent des
unités de traduction mais en surface (dans les textes) l’observable en
traduction est constitué d’une mosaïque de ressemblances et de
différences dont les composantes, les faces signifia ntes, s’organisent en
schémas d’équivalence, base d’étude de la compétence traductive.

19
4. Terminologie

4.1. La terminologie comme expression de la conceptualisation
La réflexion débouche sur la conceptualisation et l’expression de
celle-ci à l’aide de terme s spécifiques. Le théoricien ne parle pas le
langage commun même si un fond demeure, il s’en démarque par la
néologie et l’individuation.
Dans La Poétique II , au cours de son entreprise de destruction de
l’emprise de la linguistique sur la théorie de la tr aduction (il n’utilise pas
le mot ‘traductologie’), Meschonnic est amené à introduire, sous forme
verbale, la notion de « langue -culture » :

La « langue » – la « littérature », — ou la langue -la culture, ou le sens –
la forme : il n’y a pas deux choses diss ociables, hétérogènes. Quand il
y a un texte, il y a un tout traduisible comme tout. La pratique et
l’histoire de la traduction le montrent. (Meschonnic 1973, 349).

C’est quelques pages après cette dénonciation de la stérilité des
« conceptualisations dua listes » pour théoriser la traduction qu’il reprend
la notion sous forme de terme : « le travail est différent selon chaque
rapport entre deux langues -cultures » (Ibid., 356). Meschonnic n’en dit
pas davantage sur ce qu’il met derrière ce néologisme et je trouve que le
commentai re qu’en fait Cordonnier (1995, 55), dans Traduction et culture ,
ne manque pas de pertinence : « le langage ne livre pas ses secrets sans la
clé de la culture ». Ce concept et son apparition sous la plume de
Meschonnic sont indubitab lement liés aux déclarations de Bakhtine sur
le langage : « le signe et la situation sociale où il s’insère sont indissolublement
liés. Le signe ne peut pas être séparé de la situation sociale sans voir
s’altérer sa nature sém iotique » (Bakhtine 1977, 63, souligné par
l’auteur). Conception qui va à l’encontre des vues de Saussure qui
envisage le système de la langue hors civilisation.
D’où l’importance que j’ai accordée à l’étude de la culture en
liaison avec les langues dans les programmes de recherche du CERTA
(cf. Ballard 2005 et 2006 : La Traduction, contact de Langues et de Cultures ,
1 & 2) et pour ce qui est de mes recherches personnelles à l’étude des
stratégies de traductio n des culturèmes (Ballard 2005 ; 125-151), qui
trouve sa contrepartie en Rouma nie dans les travaux de Georgiana
Lungu -Badea (2003 et 2009), Anda Rãdulescu (2010) et Alina Pelea
(2009).
4.2. Foisonnement de la terminologie et glossaires
Le développement exponentiel de la traductologie avec sa
diversité de points de vue a entraîné un foisonnement de la
terminologie, ce qui est un signe de richesse et de vitalité mais aussi
parfois source de perplexité pour les étudiants ou même les usagers.

20
Cette abondance a commencé d’être explorée et plus ou moins codifiée
dans la mesure où l’on est confronté à la naissance d’une langue ou de
plusieurs langues qui décrivent ou structurent le phénomène
« traduction », et l’on a assisté à l’élaboration de glossaires, qui eux –
mêmes se recoupent mais ne coïncident pas. On a eu en 1999 celui de
Jean Delis le chez Benjamins et en 2003 et 2008 ceux de Georgiana
Lungu -Badea et Maria Tenc hea aux éditions de l’Universitatea de Vest.
Je voudrais faire deux ou trois remarques en liaison avec cet
effort et le champ qu’il essaie de baliser. Tout d’abord la richesse;
Delisle dans son introduction indique un travail préliminaire qui lui
avait permis de dénombrer à partir d’une quinzaine de manuels « pas
moins de 1419 termes correspondant à 83 8 notions » (Delisle et al.1999,
2), ce qui semblerait indiquer par ailleurs q ue certains termes sont des
synonymes, mais la synonymie existe -t-elle ?
Sur ce total, Delisle dit avoir conservé « environ deux cents
notions qui nous ont semblé les plus utiles pour l’enseignement de la
traduction et son apprentissage » (Ibid.). Sans en avoir l’air, cette
conception est assez restrictive, voire réductrice ; quelques lignes plus
haut il est d’ailleurs indiqué que ce qui a servi de base à l’élaboration de
ce glossaire est celui du propre ouvrage de Delisle paru en 1993. Comme
on le voit la visée didactique sert en fait de prétexte à (ou en tout cas
génère) une forme de censure ; on ne peut pas dire que l’étudiant en
traductologie va trouver là les terminologies de la traductologie, une
image de la traductologie dans toute sa richesse mais un e image
tronquée de ce que les éditeurs du glossaire ont estimé « bon à savoir ».
J’en donnerai pour exemple le fait que le terme de « langue -culture »,
par lequel j’ai commencé ce développement, n’y figure pas, pas plus que
la notion de « décentrement », qui figure également dans Pour la poétique
II, où Meschonnic défend une pratique autre, « qui fait du traduire un
travail dans les ressources de la langue, par le ‘décentrement’ ve rs
l’autre » (Meschonnic 1973, 355). Ce à quoi certains répondront que
Mesch onnic traite de la traduction littéraire (ou/et religieuse), mais
Delisle ne nous dit pas que son glossaire est destiné aux seuls étudiants
que l’on prépare à la traduction de textes pragmatiques ; il est dommage
que le lien ne soit pas assuré avec une f ormation large en traductologie .
Il est également dommage que dans la rédaction des articles on n’ait pas
indiqué les sources pour certaines notions particulières, je pense par
exemple à la notion d’unité de traduction qui a droit à deux définitions
sans que ces définitions soient clairement rattachées aux théories d’où
elles sont issues ; il convient de contraster cette présentation avec celle
adoptée par Georgiana Lungu -Badea et Maria Tenchea qui donnent les
références des définitions selon les auteurs.

21
4.3. Caractère évolutif de la terminologie
J’évoquerai ensuite un point concernant la terminologie, qui est
son caractère évolutif . J’en donnerai pour exemple la manière dont j’ai
vécu mon rapport à un terme (et à une notion) introduit par Jean Delisle
dans son manuel de 1993 ; il s’agit du terme « report » servant à désigner
une opération minimale de traduction où n’intervient pas ou peu le
processus i nterprétatif (cf. Delisle 1993, 42 et 124).
J’ai réutilisé et retravaillé ce terme dans le domaine des
cultu rèmes et du nom propre en particulier afin de désigner un
phénomène distinct de l’emprunt, qui, lui, désigne l’intégration d’un
terme étranger dans une langue.
L’emprunt est un fait de société, généralement durable, qui
dépasse le temps et l’espace de la t raduction ; il fait partie des échanges
interlinguistiques ; toute langue emprunte des mots aux autres langues.
Le report est un acte individuel de traducteur, ponctuel, qui peut
recouper ou utiliser l’emprunt, mais à sa différence, le report ne
consacre p as l’intégration d’un terme dans la langue même s’il peut,
dans certains cas, en avoir la visée dans le cadre d’une option de
traduction qui cherche à faire connaître l’étranger.
J’évoquerai deux configurations : avec les noms communs
étrangers (qui peuven t être des cul turèmes) et avec le nom propre.

Report et nom commun
Le mot whare (d’origine maori) est attesté comme emprunt (sans
doute rare) en anglais par le Shorter Oxford Dictionary . Katherine
Mansfield l’utilise dans une de ses nouvelles (« At the Ba y ») :

And now they had passed the fisherman's hut, passed the charred –
looking, little whare2 where Leila the milk -girl lived with her old
Gran. (Mansfield 1922/1988, 17)

La première traductrice de cette nouvelle, Marthe Duproix (1929), en
pratiquant le report favorise l’exotisme de l’appellation, en comptant sur
le contexte (« où Leila, la petite laitière habitait avec sa vieille
grand’mère ») pour faire apparaître du sens, un sens hyperonymisé sans
doute, puisqu’on ne peut ne se faire une idée précise d e l’aspect de cette
habitation :

Et maintenant le troupeau avait dépassé la cabane du pêcheur, dépassé
le petit whare noirci et comme calciné où Leila, la petite laitière habitait
avec sa vieille grand’mère. (Duproix 1929/1977 , 211-212)

Une traductrice p lus récente, Magali Merle (1988) opte pour un
équivalent général et la note (dans un contexte d’édition bilingue):

22
Ils avaient maintenant dépassé la cabane du pêcheur, puis la petite
case à l’aspect carbonisé où Leila, la jeune laitière vivait avec sa
vieille Mamé.(Merle: 19) avec indication en note dans le texte
anglais: whare : habitation maori. (Merle 1988, 18)

Report et nom propre
Tout le monde en France maintenant utilise des termes comme
stock, stock -car, hot dog ; par contre, ce n’est pas parce que le nom d’un
personnage comme « Mrs Chetwyn » a été reporté dans la traduction
française d’un roman anglais qu’il fait partie du français, il est intégré
dans le texte traduit, c’est tout. En d’autres termes, l’emprunt est un
phénomène de langue, le report un phénomène de discours ou, plus
précisément encore, un phénomène lié à l’équivalence textuelle qu’est la
traduction. Par ailleurs, le fait d’utiliser le terme report, comme
opération élémentaire de traduction, signifie bien que l’on n’est pas en
situation d’échec face à un intraduisible, mais en situation de traduction
face à un élément qui ne peut être traité que de cette façon en raison de
sa nature. La raison pour laquelle on pratique le report avec un terme
comme le nom propre est liée à sa nature de dé signateur rigide qui ne
saurait varier de forme, parce qu’il renvoie à un référent unique et ce de
façon censée être stable. Le report du nom propre en traduction assure et
souligne sa fonction de désignateur universel et par là -même
transculturel.

4.4. N écessité de la motivation structurante de la terminologie
Le dernier point général que j’aborderai en liaison avec la
terminologie c’est sa nécessité d’être motivée et structurante.
Dans mes cours, j’ai commencé par utiliser la terminologie
courante de la traduction, celle des pédagogues surtout chargés de
traquer l’erreur : traduction littérale, faux amis, faux sens contresens,
impropriété, etc. Puis la ter minologie de Vinay & Darbelnet.
J’ai donc commencé par utiliser leur terminologie et aussi celle
de la linguistique et à construire un cours autour des erreurs à ne pas
faire et des compétences à acquérir. Mais progressivement les lectures
diverses et l’utilisation de leur terminologie m’ont amené à avoir une
attitude critique et à élaborer ma propre term inologie en contestant ou
en affinant la leur. Quand j’ai publié mon second manuel en 1987, La
Traduction de l’anglais , j’avais déjà des conceptualisations neuves : l’unité
de traduction, le paradigme de désignation, la différence de
concentration.
J’ai pu blié un article (Ballard 2006) critiquant la notion de
procédés de traduction et le caractère incohérent et confus de la
terminologie de Vinay et Darbelnet. Par exemple leur utilisation de
termes tels que « amplification, économie, dilution, concentration,

23
étoffement, dépouillement, qui se recoupent et se chevauchent de
façon assez anarchique. Je n’examinerai pas ici tous ces termes (ce
serait trop long).
En fait nous avons dans cet ensemble hétérogène et non identifié
comme tel la manifestation d’un phénom ène majeur en traduction : le fait
que le texte traduit a rarement la même longueur que le texte de départ et
que l’on est sans cesse amené à ajouter ou retrancher des mots. Ce
phénomène a été identifié dès Cicéron, il est repris par Luther et d’autres.
Je me contenterai d’évoquer brièvement ces deux grands auteurs car ce
qu’ils disent est important et révélateur de positions stratégiques en
traduction et en traductologie. Pour Cicéron, le nombre de mots n’a pas
d’importance, il en écarte avec dédain le com ptage, il est pour la liberté du
traducteur, on ne va pas s’arrêter aux détails. Pour Luther, le nombre de
mots est important puisque l’on attaque sa traduction parce qu’il a ajouté
un mot « allein » qui n’est pas dans l’original ; or ce qu’il dit est capi tal : il
dit que l’on a besoin de ce mot en allemand pour exprimer ce qui est dit
dans le texte de départ ; on voit avec Luther apparaître la notion d’usage
et de force de la langue d’arrivée, le traducteur a besoin d’être sensible à
cette force pour être efficace.
La notion que je suis en train d’évoquer est absente de l’ouvrage
de V&D comme concept, même si on en a des manifestations éparses et
dissociées, il s’agit de ce que j’ai appelé « la différence de concentration ».
Il s’agit pour moi d’une catégor ie, d’une composante de la traduction, qui
a besoin d’être identifiée, nommée, structurée. Sur le plan formel, elle se
joue au niveau des signes et de leur environnement, des énoncés et de leur
agencement, etc. Fondamentalement il y a deux grandes sous -catégories
qui se jouent autour des signes et de leur environnement : tout d’abord des
phénomènes symétriques au niveau du signe qui sont la réduction et le
développement (comme le passage d’un signe à une périphrase ou une
définition et vice -versa) et puis d es phénomènes symétriques qui
interviennent au niveau du signe et de son environnement, de sa relation
au texte : l’effacement et l’étoffement. Cette structuration permet
d’intégrer les actions fautives dans le cadre de la catégorie dégagée : un
étoffement fautif est un ajout ; un effacement fautif est une suppression,
ou un oubli (selon le cas, et ce n’est pas toujours facile à identifier).
Il est clair que V&D ont esquissé une description d’un
phénomène majeur en traduction, une catégorie que j’ai appelée « la
différence de concentration » (cf. Ballard 1994, chap. 4) qui regroupe un
certain nombre de phénomènes tels que l’étoffement et l’effacement, le
développement et la réduction. Or cette catégorie n’apparaît pas dans le
tableau général de leurs procédé s parce que celui -ci ne part pas d’une
vision globale de la traduction et que leurs procédés ne sont pas
rattachés de façon synthét ique au processus de traduction.

24
Par ailleurs la traduction relève -t-elle de procédés ? Je pourrais faire
une réponse de norm and et dire oui et non, je préfère dire : qu’entendez –
vous par là ? Des trucs ? des recettes ? non merci, je n’y crois pas ! Certains
viennent chercher dans la traductologie ou dans la linguistique contrastive
des trucs infaillibles qui permettraient de ré ussir sa version ou de faire sa
traduction sans réfléchir ! Ce n’est pas cela l’objet. Je préfère pour ma part
parler d’opérations qui reflètent la triple démarche de la traduction à
savoir : des opérations d’interprétation, de paraphrase et d’ajustement.
L’observation de la traduction devrait nous permettre (et elle a permis) de
mieux accéder à la connaissance de la compétence du traducteur et donc à
une meilleure acquisition, une acquisition facilitée ou plus éclairée, de cette
compétence ; elle ne saurai t cependant se substituer à l’intelligence, au
talent, à une compétence innée, et surtout à la motivation. La traductologie
ne peut sécréter une machine qui dispenserait de penser et d’agir, pas plus
que la linguistique ou la textologie ; ces sciences perm ettent une meilleure
conceptualisation des problèmes, de meilleures analyses, des prises de
décision plus conscientes.
Une des failles de l’ouvrage de Vinay et Darbelnet est que les
procédés non seulement sont en nombre trop petit pour rendre compte
de l’opération mais aussi qu’ils ne sont pas assez explicitement rapportés
à l’opération elle -même ainsi qu’à l’outil conceptuel pouvant servir de
cadre à son analyse et à sa conceptualisation : l’unité de traduction.

4.5. L’unité de traduction
L’unité de trad uction est un élément constituant d’un tout qui a sa
source, ou base formelle, dans le texte de départ, son aboutissement dans le
texte d’arrivée, et qui passe pour sa réalisation par le cerveau du traducteur ;
il s’agit donc d’un ensemble à configuration variable selon l’individu qui le
construit ; ce qui signifie qu’il faut intégrer la subjectivité dans l’UT. A
partir de là on peut dire que l’objet étant le texte, il y a constitution d’une
unité de travail en traduction lorsque le traducteur, après interp rétation des
formes, met en rapport une unité constituante du texte de départ avec le
système de la langue d’arrivée en vue de produire une équivalence
acceptable, susceptible de contribuer à la réécriture d’un texte dont
l’équivalence globale par rapport au texte de départ doit s’accommoder
d’ajustements internes dictés par sa cohérence et sa lisibilité. Cela signifie
que sur le plan formel, il existe plusieurs types d’UT selon que leur base
apparente est dans le texte de départ (et c’est le plus souvent l e cas) ou
plutôt générée par la constitution du texte d’arrivée et les exigences
extralinguistiques de la culture d’accueil.
L’unité de traduction n’est donc pas une unité du TD, qui est
une unité à traduire, pas plus qu’une unité du texte d’arrivée, qui e st une
unité traduite. Le prédécoupage du TD (même en unités importantes
telles que la phrase) ne fait que donner des bases, à interpréter, dont on

25
ne peut affirmer avec certitude le devenir, mais ces bases constituent un
donné sémantico -stylistique que le traducteur réagence (ou non) en
opérant des choix de regroupement. En terme d’action du traducteur, je
conçois l’UT comme un balayage articulé qui part de la construction du
sens (opération fondamentale ou de base) pour produire des
équivalences (seconde phase de l’opération) visant à la réécriture d’un
texte, dont la cohérence et l’acceptabilité vont générer un troisième type
d’interventions de la part du traducteur, interventions qui souvent visent
à restituer le liant du texte et ses qualités pragmatiqu es. L’objet du
commentaire de traduction, et donc de la traductologie pragmatique,
doit être de rendre compte de la compétence du traducteur, qui se
manifeste dans les trois phases constitutives de l’opération.

5. Des correspondances systémiques à l’écri ture

Je vais maintenant donner un exemple de mise en œuvre de la
démarche de recherche que je prône via l’observation de corpus pour
essayer d’aboutir, par la réflexion, à une présentation structurée de
l’action du traducteur.
On verra que cette structur ation de la compétence traductive se
présente comme une interface entre démarche de recherche et formation.
L’objet d’étude que j’ai proposé lors d’un séminaire de maîtrise
est « la proposition relative » comme base de traduction de l’anglais au
français ; l’exercice est l’occasion d’une exploration débouchant sur une
synthèse incluant des types de travaux allant de la licence aux premiers
stades de la recherche.

5.1. Base d’étude
Je suis parti de ce que l’on trouve dans les livres de grammaire et les
ouvrages de linguistique : une description interne du système de la relative
anglaise assortie parfois de propositions d’équivalence pour le français.
Ce qui ressort de ce genre de cours, souvent agrémenté de
considérations de type comparatiste, c’est qu’il y a des équivalents dans
les deux sens et que la traduction d’une langue vers l’autre, si on analyse
correctement les éléments impliqués (ici les relatifs et les relatives),
donne lieu à des équivalences intersystémiques qui sont de l’ordre de la
traductio n littérale, ou presque . Sur le plan de l’application pédagogique
cela donne lieu à des exercices de thème où il faut savoir traduire des
pronoms aux fonctions diverses comme « dont », « ce qui, ce que », etc.

5.2. Prise de conscience
L’étudiant qui tradu it se rend compte (ou parfois ne se rend pas
compte) qu’il ne peut se contenter d’appliquer ses connaissances

26
grammaticales et que des relatives du texte anglais ne correspondent pas
forcément à des relatives dans le texte français . Mais la traduction, qui
demande un certain rythme et une concentration sur la production,
n’encourage pas la collecte immédiate de données de cette sorte ; c’est
pourquoi il faut pratiquer le commentaire de traduction pour prendre
conscience des équivalences indirectes que l’on est amené à établir et
remonter aux opérations de traduction qui les ont générées, autrement
dit il s’agit d’intellectualiser ses propres actes instinctifs ou ceux de
professionnels dont on observe les productions (Ballard 1988 & 2007b).
L’observation cumu lative amène à constater que les traductions
obliques ne s’effectuent pas de façon anarchique. Elles sont récurrentes :
participes, adjectifs, apposition, autres propositions ; cette récurrence est
l’indice de l’existence d’une motivation, d’une déductibil ité ; ces
traductions obliques relèvent donc de l’analyse.

5.3. Structuration de la déductibilité.
Il y a deux aspects(ou niveaux) dans la déductibilité : un
principe général, qui est celui de la paraphrase et un aspect contingent
qui est le degré de dédu ction formelle.

5.3.1. La paraphrase
La notion de paraphrase est diversement analysée et perçue
selon les points de vue : « 1. Développement explicatif d’un texte. – 2.
Développement verbeux et diffus » (Le Robert ).
C’est ce second sens qui est retenu po ur la traduction par Jean
Delisle dans son glossaire terminologique de la traduction : « faute de
traduction qui résulte d’un défaut de méthode et qui consiste à traduire
un segment du texte de départ par un énoncé inutilement long » et il
ajoute en note : « la paraphrase peut consister en des ajouts ou en
l’emploi abusif de circonlocutions et de périphrases qui alour dissent le
texte (Delisle 1999, 61).
J’envisage la notion de paraphrase de manière plus positive,
dans l’esprit des recherches menées en lingu istique par Harris aux Etats –
Unis et plus récemment par Catherine Fuchs en France. Elle en donne
la définition suivante :

On a coutume de dire qu’une phrase ou texte Y constitue une
paraphrase d’une autre phrase ou d’un autre texte X lorsque l’on
considèr e que Y reformule le contenu de X ; autrement dit , lorsque
X et Y peuvent être tenus pour des formulations différentes d’un
contenu identique, pour deux manières différentes de dire la même
chose . (Fuchs 1982, 7, c’est moi qui souligne)

27
Pour moi, en trad uction , la paraphrase est une variété de
reformulation visant à reproduire le sens d’un énoncé sous une forme
différente plus ou moins déduite de l’original sur le plan formel. La
distance formelle entre les énoncés en relation de paraphrase
constitue, en partie, un indice de la créativité du traducteur . La
traduction oblique analytique est une forme de paraphrase déductible
sur le plan formel.
L’observation de la traduction oblique analytique des relatives
permet de constater qu’elle s’opère selon deux gra ndes catégories de
schémas de paraphrase : une partie des transformations est
paradigmatique, l’autre syntagmatique (par exemple par segmentation2).
Pour d’évidentes raisons de temps, je ne ferai qu’évoquer le schéma de
paraphrase paradigmatique.
La généra tion de traductions de la relative par paraphrases
paradigmatiques (autre forme occupant la même fonction) revêt des
formes de surface diverses que l’on peut ramener à deux schémas
fondamentaux :
– l’un est d’ordre transformationnel
– l’autre est d’ordre s émasiologique et fait intervenir la relation
définition -terme.

5.3.2. Le schéma de paraphrase paradigmatique
Il est l’application à la traduction d’un schéma de paraphrase
observable au niveau intralinguistique, celui de l’expansion du SN.
Celle -ci peut p rendre la forme d’une relative, qui est la forme longue, la
forme d’insertion des formes plus courtes telle que l’apposition , le
syntagme adjectival ou un nom adjectivé, avec lesquelles elle peut
commuter tout comme les autres formes de l’expansion : le sy ntagme
prépositionnel, la proposition conjonctive, le génitif .
Cette transformation, en principe, préserve le sens mais produit
des éléments n’ayant pas la même valeur ou le même effet stylistique :
en français une relative pourra être perçue comme longue ou lourde
alors qu’une forme adjectivale ou participe pourra alléger le style.
Voici deux illustrations de ces traductions -transformations :
– participe passé :

At one end of the big barn, on a sort of raised platform, Major
was already ensconced on his bed of straw, under a lantern which
hung from a beam . (Orwell 1970, 5)

2 His answer to every problem, every s etback, was "I will work harder !" – which he had
adopted as his personal motto . (Orwell, Animal Farm , 27)//A tout problème et à tout
revers, il opposait sa conviction : « Je vais travailler plus dur. ». Ce fut là sa devise.
(Trad. Quéval, 35).

28
Lui-même était déjà confortablement installé à l'une des
extrémités de la grange, sur une sorte d'estrade (cette estrade
était son lit de paille éclairé par une lanterne suspendue à
une poutre ). (Quéval 1983, 8)

– adjectif juxtaposé :

A few people were gathered about the stalls which were still open .
(Joyce 1970, 32)
Quel ques personnes étaient réunies autour des boutiques
encore ouvertes . (Du Pasqu ier, 57)

5.3.3. Le schéma sémasiolog ique consiste à partir de la
description d’un contenu sémantique pour aboutir à son expression
linguistique sous forme de signe, en l’occurrence on passe d’une
proposition à un terme. Le schéma peut aller du simple au complexe :
– déduction simple (de la d éfinition au terme):

For the first time the magnitude of what he had undertaken came
home to him. (Orwell 1961 ,10)
Pour la première fois, l'ampleur de son entreprise lui apparut.
(Audiberti 1972, 19)

– déduction hyponymique , faisant davantage intervenir le
contexte (le traducteur implicite même une partie de l’information, à
savoir la localisation : on Animal Farm ) ; cet exemple est tiré du début du
chap. 4 de Animal Farm :

By the late summer the news of what had happened on Animal Farm
had spread acros s half the county . (Orwell 1970, 34)
A la fin de l’été, la nouvelle des événements avait gagné l a
moitié du pays. (Quéval 1983, 44)

L’étape suivante consiste à faire intervenir l’observation d’un
corpus.

5.4. Observation d’un corpus

5.4.1. Choix de l’o bjet et statistiques
J’ai proposé aux étudiants l’observation de la traduction des
relatives introduites par un pronom relatif courant, which, dans les
quatre premiers chapitres du roman d’Orwell, Animal Farm (traduction
de Jean Quéval, édition Folio) .

29
Tout d’abord il a fallu établir des statistiques dans le texte
anglais et dans la traduction, ce qui a donné les résultats suivants :
Occurrences de relatives introduites par which : 42
Traductions par relative: 17
Traductions obliques: 25
Ce qui signifie qu e plus de la moitié des relatives du texte anglais
ne sont pas traduites par des relatives ; l’analyse de ces résultats pose des
problèmes de terminologie et de méthode : on notera que je n’ai pas
utilisé l’appellation de traduction littérale (mais « Tradu ctions par
relative ») ; pourquoi ? parce que, on le verra, elle se révèle inadéquate
pour rendre compte véritablement du phénomène observé

5.4.2. Observation des traductions littérales et connexes
Voici un cas de traduction littérale (pure) :

Many year s ago, when I was a little pig, my mother and the other sows used
to sing an old song of which they knew only the tune and the first three words .
(Orwell, 12)
Il y a belle lurette, j’étais encore cochon de lait, ma mère et les autres
truies chantaient souv ent une chanson dont elles ne savaient que l’air
et les trois premiers mots. ( Quéval, 16-17)

Autour de la traduction littérale gravitent des traductions que je
qualifierai de ‘mimétiques’ , c’est -à-dire reproduisant la forme de la
relative mais avec des a ménagements divers :
– traduction mimétique aménagée a minima , pour des raisons
qui tiennent aux spécificités des langues, par exemple dans la phrase
suivante le passage du passif à l’actif à l’intérieur de la relative :

He took them up into a loft which could only be reached by a ladder.
(Orwell, 32)
Il les remisa dans un grenier où l’on n’accédai t que par une échelle.
(Quéval, 41)

– traduction mimétique aménagée pour des raisons stylistiques
diverses, elle s’éloigne davantage du littéralisme et fait in tervenir la
créativité :

You cows that I see before me, how many thousands of gallons of milk have
you given during this last year? And what has happened to that milk which
should have been breeding up sturdy calves? (Orwell, 9)
Vous, les vaches là devant moi, combien de centaines d’hectolitres de
lait n’avez -vous pas produit l’année dernière ? Et qu’est -il advenu de
ce lait qui vous aurait permis d’élever vos petits , de leur do nner force
et vigueur ? (Quéval, 13)

30
La traduction littérale (pratiquée par rap port à une traduction
aménagée ou oblique) est un auxiliaire d’évaluation en traductologie
réaliste, elle permet d’évaluer la nécessité des ‘écarts’ de la traduction
réalisée ; voici une proposition de traduction littérale :

Et qu’est -il advenu de ce lait qui aurait dû produire des veaux
vigoureux ?

Le choix du traducteur , ici a été de modifier l’écriture de la
relative en lui donnant un tour moins impersonnel qu’en anglais où le
procès (« élever ») est envisagé uniquement par rapport au « lait », qui es t
le sujet : en introduisant le pronom « vous » et le possessif « vos », Jean
Quéval accentue la fonction incitative de la question posée par Old
Major, en favorisant le point de vue des vaches comme mères.
Par ailleurs, certains trouveront que le traduct eur s’éloigne du
texte en disant : « vos petits, de leur donner force et vigueur », mais cette
traduction produit un texte plus efficace que la traduction littérale où j’ai
utilisé des termes plus proches du point de vue de l’ éleveur : « produire,
vigoureu x » ; le sémantisme de « vigoureux » est très avantageusement
réparti par le traducteur sur « leur donner force et vigueur » et si l’on
remplace « vos petits » par « vos veaux » on perçoit ce que l’écart a de
profitable sur le plan euphonique (allitération douteuse) et il n’est pas
inutile de souligner le caractère négatif des connotations culturelles de
« veau » en français.
Il faut noter qu’ à ce stade je fais intervenir une notion étrangère
à la linguistique, à savoir la notion d’écriture , qui est à la la ngue dans
l’écrit ce que la parole est à langue dans l’oral. L’écriture est l’action de
produire du discours écrit en vue de constituer un texte et en la matière
(qui est l’agencement des éléments de la langue), les choix personnels sont
aussi importants q ue les règles de la langue et du discours.

5.4.3. Des unités à reformulation non -mimétique
L’observation des traductions obliques permet de dégager
plusieurs cas de figure :

a – la traduction littérale peut être tout aussi acceptable et
l’utilisation de la traduction oblique ne semble motivée que par la
subjectivité du traducteur :

The dogs learned to read fairly well, but were not interested in reading
anything except the Seven Commandments . Muriel, the goat, could read
somewhat better than the dogs, a nd sometimes used to read to the others
in the evening from scraps of newspaper which she found on the rubbish
heap . (Orwell , 30)

31
Les chiens apprirent à lire à peu près couramment, mais ils ne
s’intéressaient qu’aux Sept Commandements. Edmée, la chèvre,
s'en tirait mieux qu'eux. Le soir, il lui arrivait de faire aux autres
la lecture de fragments de journaux découverts aux ordures .
(Quéval, 39)

Voici une traduction littérale : « à partir de bouts de journaux
qu’elle avait trouvés/récupérés sur le tas d’ord ures. ». La recherche ici
butte sur les motivations du traducteur : s’agit -il d’un choix personnel
conscient ou inconscient, d’un phénomène accidentel, d’un désir
délibéré d’éviter le littéralisme ? On ne sait pas.

b – la traduction littérale est acceptab le mais la traduction
oblique est prise dans un travail de réécriture plus vaste qui dénote un
choix marqué de la part du traducteur :

On Sundays there was no work. Breakfast was an hour later than usual and
after breakfast, there was a ceremony which was observed every week
without fail . (Orwell , 28)
Le dimanche, jour férié , on prenait le petit déjeuner une heure
plus tard que d’habitude. Puis, c'était une cérémonie renouvelée
sans faute chaque semaine. ( Quéval, 36)

Voici une traduction plus littérale:

Le dimanche, on ne travaillait pas. On prenait le petit déjeuner
une heure plus tard que d’habitude et après le petit déjeuner il y
avait/se déroulait une cérémonie qui revenait invariablement
chaque semaine.

Si on compare ces deux traductions, on consta te que le
traducteur resserre le texte :
– il supprime des répétitions lexicales ( le petit déjeuner) et
grammaticales ( there was /on)
– il enchâsse la proposition ( there was no work ) sous forme
d’apposition créative sur le plan lexical (« jour férié »)
– il enchâsse les deux premières propositions : On Sundays there
was no work. Breakfast was an hour later than usual . La première ( On
Sundays there was no work ) devient un repère temporel de la seconde qui
est transformée en proposition principale : « Le dim anche, jour férié ,
on prenait le petit déjeuner une heure plus tard que d’habitude ».

32
Quelles conclusions tirer de ce cheminement et de ces
observations ?

L’apport de la grammaire et de la linguistique sont indéniables
pour la pratique de la traduction , surtout dans les stades d’apprentissage
et de perfectionnement en langue : l’étudiant a besoin de connaître les
deux systèmes et de les comparer pour traduire. Mais la pratique
enseigne que ces correspondances systémiques ne suffisent pas pour
assurer to us les transferts que requiert la traduction. La traductologie
contrastive permet de baliser les transferts obliques et de les rationaliser
en partie. L’observation plus poussée de corpus étoffés, utilisant pour
cadre des unités de traduction englobant l’é lément d’étude concerné,
permet de s’interroger sur les motivations et le fonctionnement de
traductions obliques dont les formes se rattachent plus ou moins à
certains schémas de paraphrase. La traductologie textuelle permet alors
de faire apparaître les d éclencheurs des transformations observées et
intègre dans l’étude scientifique la prise en compte de l’écriture, de la
subjectivité du traducteur, c’est -à-dire l’élément humain.

Conclusion générale

Je suis parti de la déclaration de Brian Harris à la foi s comme
programme général et comme manifestation d’une époque. J’ai souligné
le fait qu’il s’agissait d’un acte de nomination qui impliquait une
nouvelle conscience de la traduction et de son étude. En même temps
j’ai voulu souligner la tonalité de sa form ulation et la part de
présomption collective qu’elle comportait. La réflexion sur la traduction
ne date pas d’aujourd’hui, et il est bon de s’en souvenir par modestie
tout autant que pour mettre en perspective ce qui se fait actuellement.
J’ai souligné le fait que, parmi les caractéristiques du passé, deux me
semblent avoir eu des prolongements ou des avatars fâcheux ou
discutables : la génération de systèmes exogènes et prescriptifs ; la mise
à l’écart de la démarche empirique comparatiste.
J’espère avoir montré que je ne souhaitais pas faire de cette
démarche empirique un absolu ou une pratique exclusive ; je la conçois
contextualisée et éclairée par les cercles d’existence de la traduction :
c’est là un des aspects de son réalisme. J’ai ensuite exposé les procédures
de ma démarche dont je décrirai les autres aspects de son réalisme en ces
termes : elle repose sur l’observation de textes réalisés par des
professionnels ; elle fait intervenir une terminologie motivée et
évolutive ; l’un des éléments de cette terminologie a un rôle exploratoire
essentiel dans le processus d’analyse de l’action du traducteur, il s’agit
de l’unité de traduction. Ensuite, j’ai montré l’effet structurant de cette
démarche cumulative qui peut permettre de décrire de manière

33
ordonné e les opérations de transfert qu’effectue le traducteur sans
négliger la part de subjectivité et d’aléas qui intervient toujours dans
l’opération. Enfin j’ai montré, par l’analyse de corpus de traduction, que
l’on peut compléter la paradigmatique ordonnée ou aléatoire de
l’équivalence par une étude de l’écriture et de la texture du texte
d’arrivée.

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traduction et notes de Magali Merle, Paris, Livre de Poche (Les langues
modernes (Bilingue), 1988.
« Sur la Baie », traduction de Marthe Duproix (192 9), in Katherine Mansfield,
Oeuvre Romanesque, Paris, Stock, 1977, pp. 209 -256.

ORWELL George
Animal Farm : a fairy story (1945), Harmondsworth, Penguin, 1970.
La Ferme des animaux , traduit de l’anglais par Jean Quéval (1981), Paris, Folio,
1983.
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1984, traduction française d'Amélie Audiberti (1950), Paris, Gallimard (Folio)
1972.

36

Les méthodes collaborative et coopérative dans l’enseignement
de la traductologie

Antonio BUENO GARCÍ A
Université de Valladolid
Espagne
Résumé : La crise du système éducatif de l’entre -siècle, à laquelle la traduction
n’a pas pu échapper, est surmontée peu à peu grâce à de nouvelles expériences
capables de vaincre les échecs d’une formation qui sentait le divorce entre
l’université et la société ou le déséquilibre entre le rôle de l’enseignant et celui de
l’étudiant. L’apprentissage se trouve voué à de nouvelles perspectives, visant à
garantir la participation active des étudiants. Dans cet état de choses, la
méthodologie collaborative et coopérative dans l’enseignement compte
énormément. Dans cet article on montrera quelques exemples de l’utilisation des
méthodes traductologiques basées sur le web dans l’enseignement de la
traduction .

Mots -clés : Espace e uropéen de l’enseignement supérieur, mondialisation,
traduction, traductologie, collaboration, coopération, compétences, plateforme,
Web 2.0, e-learning , wiki.

Abstract : The crisis of the educational system between the twentieth and
twenty -first centuries , which had to be dealt with also in translation studies, has
been overcome gradually thanks to the launch of new strategies aimed at
overcoming the failure of training methods, the divide between university and
society and the imbalance between the role o f teachers and students in the
teaching -learning process. From this new dimension, learning is geared towards
new methodological perspectives which promote active participation of
students and favor their cognitive independence. Within this framework,
collaborative and cooperative approaches play an important role. This article
will show some examples of using web -based methodological tools in the
teaching of translation.

Keywords : European Higher Education Area, globalization, translation,
translatology, collaboration, cooperation, skill, platform, Web 2.0, e -learning,
wiki.
À l’occasion de l’hommage offert en 2007 à notre collège Michel
Ballard, et publié sous le titre La traductologie dans tous ses états, je me
posais la question « Que sera la traduction demain ? » et comment la
profession, la formation et la théorie allaient -elles agir ? Eh bien, la

37
distance de ces années nous a permis de vérifier que nous sommes bel et
bien passés du traducteur artisanal et solitaire au professionnel
technique et coopér atif, de l’université magistrale et renfermée en soi –
même à l’université collaborative et coopérative.
À l’intérieur de l’espace européen, un nouveau type de
formation s’est installé qui agit sur la base d’une homogénéisation des
contenus et des méthodes d ans les pays qui en font partie. Cela passe à
la fois par l’implication de l’étudiant dans le processus d’apprentissage et
par une transformation de l’université elle -même comme centre
d’expérimentation et de recherche. La perspective de cette action est
visible dans des programmes comme celui du master européen (réseau
EMT), projet de partenariat entre la Commission européenne et les
établissements d'enseignement supérieur proposant des formations en
traduction de niveau master ou dans des réseaux académiq ues comme
OPTIMALE (Optimising Professional Translator Training in a
Multilingual Europe), réseau de promotion de la formation au métier de
traducteur. Ces réseaux permettent aux universités partenaires et à celles
qui souhaitent le devenir de se rencontre r, d'échanger les bonnes
pratiques en matière d'enseignement de la traduction et de débattre des
perspectives d'évolution. Le profil de compétences , établi avec l'aide des
experts européens, définit les compétences nécessaires pour réussir
aujourd'hui sur le marché de la traduction. L'objectif final à long terme
de l'EMT est de valoriser le métier de traducteur dans l'Union
européenne.
Dans le domaine de l’éducation, la mondialisation -ou
l’européisation si l’on veut – apporte, certes, de nouveaux défis et e lle
nous introduit dans une dynamique, aussi inquiétante que passionnante,
qui va déterminer nos actions dans l’enseignement de la traduction
(autant dans sa théorie que dans sa pratique) et le comportement des
traducteurs dans l’avenir, un avenir qui est déjà présent.
Enfin, compte tenu de cet état de choses, de la mondialisation en
cours, de l’envergure de l’Espace européen de l’éducation, et des
mesures visant à favoriser les relations avec d’autres pays de notre
entourage, les conséquences sont visibles dans l’éducation internationale
et plus précisément dans la traduction. Dans le nouvel état, le monde est
ressenti comme unité de coopération, de responsabilité et de
développement. Éduquer une société, c’est dorénavant éduquer le
monde, éduquer tous les individus. Et c’est précisément cet état de
l’enseignement de la traduction à l’ère de la mondialisation et des
phénomènes annexes que nous souhaitons décrire dans cet article.
Le nouveau modèle éducatif, fondé sur les compétences de
l’étudiant et l’acqui sition des connaissances, doit compter nécessairement
sur l’appui des télécommunications, véritable outil de l’internalisation, qui

38
ne serait envisageable s’il y avait un moyen de communication capable de
vaincre Babel. Celui -ci est bien l’Internet, quoiqu ’il ne soit pas le seul.
Les dernières statistiques montrent bien le développement du
réseau dans le monde. Mais quel est le comportement mondial vis -à-vis
de l’utilisation de l’Internet ? À vrai dire, il existe encore une différence
remarquable d’un cont inent à l’autre : si l’Asie, l’Europe et l’Amérique
du Nord présentent un chiffre considérable d’utilisateurs, ce chiffre reste
encore épisodique dans le reste de la planète (voir ci -dessous la
statistique de l’année 2011), ce qui aura des conséquences dan s les
résultats de nombre d’actions de développement, y compris ceux relatifs
à la formation. La mondialisation, enfin, ne sera un phénomène
équitable que si les enjeux de l’information et de la communication
avaient les mêmes possibilités de développement partout.
Pour ce qui est de la pénétration de l’Internet nous assistons à
une croissance en l’Amérique du Nord, l’Australie et l’Europe face à
l’Asie ou l’Afrique. Mais centrons -nous sur l’état de développement de
la formation, de la profession et de la r echerche à travers le réseau. Le
web apporte un système de formation basé sur l’information généralisée
(de la théorie et de l’histoire de la traduction, de sa bibliographie, etc.) et
les aides documentaires et terminologiques. La didactique n’y est pas
absente : à travers internet, on peut suivre des cours de traduction
incluant des exercices, avec correction automatique ou personnalisée ;
on peut discuter avec quelqu’un ou participer à des forums – pour poser
des questions, pour exprimer des doutes, pour partager des
informations, etc. Il y a quelques semaines, par exemple, l’université de
l’Ouest de Timisoara était connectée avec le Campus de Soria de
l’Université de Valladolid pour le suivi d’un cours de terminographie qui
fera possible le travail conjoi nt dans un projet d’élaboration d’un
dictionnaire terminologique multilingue de génétique. Cela se passait à
travers une plateforme de Moodle et d’une connexion de streaming .
Enfin, à travers le web on peut évidemment traduire (à travers les
systèmes de tr aduction automatique et de traduction assistée par
ordinateur) et on peut vendre également ses propres services de
traduction.
Mais si la formation et l’exercice professionnel de la traduction
sont déjà des réalités à travers internet une réalité importan te est aussi le
travail de recherche à travers le réseau.
L’expérience faite par certaines initiatives ne laisse pas de
doutes. Un projet comme celui de l’étude des traductions faites par des
franciscains espagnols, géré par l’Université de Valladolid (Esp agne)3 et

3 Projet Catalogación y estudio de las traducciones de los franciscanos españoles , Ref. : FFI2008 –
00719/FILO, financé par le Ministère espagnol de la Science et de l’Innovation.

39
montrant ses avances à travers internet, a été suivi par des milliers de
chercheurs du monde entier (5.742 visites dans 70 pays).

Illustration du nombre d’utilisateurs du site web du projet et des visites par
régions mondiales. [Source : Goo gle Analytics]

L’organisation de colloques et de congrès à travers le réseau où
des chercheurs du monde entier participent en temps réel ou différé en
suit la même expérience. La quarantaine de chercheurs présents à Assise
(Italie) dans l’été 2011 pour le sujet ci -dessus cité s’est enrichie de
quelques centaines des suiveurs du monde entier, participant d’une
manière gratuite des conférences ou des vidéoconférences (voir ci –
dessous) et dans les débats organisés à travers le site web.

40

Illustration d’une c onnexion de vidéoconférence dans le colloque.

Le web nous rapproche du monde, certes, et nous rapproche
également des langues et des cultures ; par son entremise tout est vu de
plus près. L’éducation se ressent de cette proximité et trouve de
nouvelles fo rmules de coopération et de collaboration.
Le but d’une e -éducation, ou e-learnig , est d’apprendre aux gens à
se mouvoir, à intervenir, à agir et à se mettre en rapport dans l’espace
électronique. Le but le plus important de l’espace électronique, européen
ou autre, est précisément d’adapter les systèmes d’éducation et de
formation à la société des connaissances et, en cela, il coïncide avec le
but de l’enseignement en général. Les e -bibliothèques, les e -musées, etc.,
constituent des infrastructures remarqu ables pour réussir cette mission.
Les outils télématiques liés à l’enseignement de la traduction
sont de plus en plus nombreux. Les nouvelles technologies appliquées à
l’enseignement de la traduction peuvent être utilisées dans un système
de communication à travers la toile ( on line ) ou en dehors de celle -ci.
Les systèmes d’aide on line permettent au traducteur d’utiliser
une grande panoplie de ressources dans son travail quotidien, comme la
traduction assistée ou automatique, l’aide terminologique, la
docu mentation, etc., qui comportent aussi une capacité formative.
Dans le processus de convergence dans lequel l'université est en
cours à l'heure actuelle , il est nécessaire d'envisager l'adoption de
nouvelles méthodes pédagogiques axées sur l'apprentissage , d'une part ,
qui donnent la priorité à la participation des apprenants dans le
processus d'enseignement -apprentissage et d'autre part , d'établir une
relation différente entre les enseignants et les étudiants . Dans ce scénario
de réforme de l'enseignement universitaire , il est de plus en plus
important le travail coopératif, est de plus en plus entendu comme

41
« l'ensemble des méthodes d'enseignement et de formation ainsi que des
stratégies visant à promouvoir le développement des capacités mixtes
(apprentissag e et développement personnel et social ), où chaque
membre du groupe est responsable à la fois de son propre apprentissage
et de celui des autres membres du groupe . » (Jorrín et Gomez 2005).
L’installation d’un espace virtuel d’apprentissage technique de
formation, qui se développe de plus en plus dans les salles de classe de
nos universités, permet de gérer aussi les ressources et les activités
collaboratives et coopératives du cours. Le système d’enseignement
semi -présentiel est une solution qui n’entre p as en conflit avec
l’université classique et qui permet de consolider la formation directe. Il
existe à l’heure actuelle des plateformes d’appui à l’enseignement de
libre accès et d’accès privé. Un exemple très connu des premières est
bien sûr Moodle, qui permet de gérer des cours avec toute une panoplie
de possibilités, de ressources et d’activités.
L’utilisation des ressources télématiques dans l’enseignement
(plateformes de téléformation, mémoires de traduction, ressources en
ligne…) a une signification profonde dans le monde de la traduction : on
est en train non seulement de transmettre des connaissances pratiques et
technologiques sur notre spécialité mais aussi de créer un espace
didactique privilégié, voué à la participation ; et ce qui est encore pl us
important : on est en train de changer l’esprit de travail du traducteur.

Le Web 2.0
Dans ce contexte éducatif et technologique de l’utilisation des
TIC, on a commencé à parler depuis un certain temps du Web 2.0 et des
outils d’ e-learning liés à celles -ci, comme d’une deuxième génération de
services basés sur le web. En fait, l’ e-learning 2.0 n’est pas un contexte
très bien défini à l’heure actuelle, il s’agit plutôt d’un domaine en
constante évolution et qui est fondé sur l’appui actif des participants
dans le web et du software social, entre autres.
A la différence du Web 1.0, le Web 2.0 permet aux usagers
d’intervenir et non seulement pour récupérer de l’information mais aussi
pour exécuter des applications complètes dans le navigateur, faisant en
sorte que le réseau apparaisse comme une plateforme. Les usagers
peuvent déposer de l’information dans un site et contrôler celui -ci (dans
le Web 1.0 cette possibilité était seulement dans les mains de l’auteur).
Du côté social, la participation, enfin, est d emandée dans le but
d’ajouter de la valeur à l’application.
Les principaux outils du web 2.0 sont : les blogs, les wikis, le
RSS, le forum, l’édition collaborative et les systèmes de gestion des
contenus web. Analysons brièvement certains d’entre eux dans les
circonstances de la formation des traducteurs.

42
Le blog est un espace de communication et aussi un lieu de
conversation dont le format est souple, rapide et fonctionnel, qui se
renouvelle au fur et à mesure. Son intérêt paraît hors de question dans
une formation où les points de vue des intervenants (étudiants,
formateurs ou professionnels), sont bien enrichissants. Le blog peut être
axé sur l’expérience d’un individu (professionnel de la traduction,
chercheur, etc.) qui veut être partagée, ou sur un que stion ou problème
dont le développement est d’intérêt à être suivi par une communauté. La
traduction comporte beaucoup de problèmes intéressants pour être
discutés en groupe qui feraient le sujet d’un blog. Le texte à lui seul,
original ou méta, ressenti c omme un polyèdre à nombreux visages, peut
se présenter comme une excellente occasion de discussion dans un blog.
Et que dire de la classe ? Le cours de traduction est un motif intéressant
à se présenter dans l’agenda quotidien d’un blog. La stimulation qui
procure sur le/s constructeur/s et la clarification sur les points de vue
sont d’excellents atouts. Les expériences faites sur la construction et
l’utilisation des blogs dans les cours de traduction sont très positives ;
elles permettent aux étudiants de recréer d’une manière personnelle leur
vision de la traduction d’une manière plus dynamique et plastique.
Le forum est un espace de participation à travers le web qui
permet la discussion sur un problème quelconque. Il constitue un
complément d’information sur les contenus, par exemple, du cours. Le
débat est toujours modéré par un coordinateur (habituellement le
professeur) qui introduit un sujet, pose la première question, conduit le
débat et ferme la discussion. À différence du wiki, il ne permet pas la
modification des apports des autres, sauf s’il a le permis de
l’administrateur ou du modérateur. Si l’on compare avec les blogs, le
chiffre des participants est ici beaucoup plus considérable. Le participant
d’un forum a toujours la possibilité d’ouvrir au ssi un nouveau débat.
Le wiki est un site web collaboratif qui peut être édité par
plusieurs personnes. À différence du blog, le wiki est organisé en pages
et non pas en entrées ; son caractère est dynamique et non pas statique ;
son organisation est intem porelle et non pas chronologique ; il est
orienté à la collaboration et non pas au travail personnel.
Le wiki permet d’éditer et de modifier des contenus d’intérêt
théorique, pratique, didactique et autres, à travers le web. La possibilité
de créer des lie ns dans de différents mots -clés de notre contenu textuel
assure la cohérence terminologique et l’élaboration d’un ordre naturel
dans le web. L’application la plus intéressante est sans doute la
construction de l’encyclopédie (wikipédie) mais il y a d’autre s d’intérêt
didactique, comme la mise en commun des connaissances ou la création
d’un historique sur nos avances en formation. Dans le contexte de
l’apprentissage traductologique, nous assistons dernièrement à des

43
expériences très intéressantes de collabor ation dans le réseau4. Le wiki
peut être créé à travers des sites web mais elle peut faire aussi l’objet
d’une activité dans la plateforme de téléformation (voir ci -dessous) qui
permet la possibilité de travailler dans un cercle restreint de formation
ou de publier les résultats
L’expérience faite à la faculté de Traduction et d’Interprétation
de Soria (Espagne) n’est pas négligeable. Mes étudiants de Théorie de la
traduction élaborent depuis 2010, et comme travail pratique dans le
cours, un wiki ouvert à la communauté internationale qui présente des
notes de lecture et critiques de livres sur l’histoire et la théorie de la
traduction. Le but est de servir d’appui documentaire à tous ceux qui se
montrent intéressés par la traductologie. Le chiffre d’entrées a augmenté
depuis ces derniers temps (il s’accroît de 80 nouveaux travaux tous les
ans) et donne maintenant un chiffre de 230 ouvrages répertoriés dont
quelques uns appartenant à certaines d’entre vous. L’activité
coordonnée par l’enseignant suit le procé dé collaboratif suivant :
-Les étudiants élaborent une note de lecture d’un ouvrage de leur choix
concernant l’histoire ou la théorie de la traduction, qui sera évalué par le
prof et qui sera placé après correction en Wikispaces .
-Les acteurs impliqués dan s cette mission partagent leur travail suivant
un plan préétabli à l’avance : Au début du cours, l'enseignant organise
deux équipes: celle des rédacteurs, qui s’occupera d’écrire la note après
des indications de contenu et de style, et celle d’édition qui aura la
responsabilité de la mise en page des travaux et de leur emplacement
dans Wikispaces. Le temps accordé aux étudiants pour la lecture et
l’écriture du compte rendu est de huit semaines, au bout desquelles
l’enseignant procède à la correction et nota tion avant que l’équipe
d’édition accomplisse sa tâche.
Les ouvres contenus dans le wiki (presque trois cent à l’heure
actuelle) peuvent être consultées sur la colonne de gauche de l’écran en
cliquant sur leur nom d’auteur. Si la langue majoritaire de réd action est
l’espagnol, on compte aussi parfois d’autres, élaborés par des étudiants
étrangers. Les ouvrages notés sont d’une grande diversité, recouvrant
l’histoire de la traduction dans toutes les époques, la théorie de la
traduction ainsi que les différe nts problèmes traductologiques et
professionnels (la formation des traducteurs -interprètes , la traduction
audiovisuelle, l’interprétation, la traduction judiciaire, économique,
etc.). Le wiki « Obras de traductología » (Œuvres de traductologie) est
placé d ans les premières positions de Google.

4 La Faculté de traduction et Interprétation de Soria (Université de Valladolid -Espagne)
travaille depuis un certain temps dans la diffusion à travers wikipédie de l’histoire de la
traduction et des courants traductologiques.

44

Illustration de la première page du wiki « Obras de traductología »

Le rôle de l’enseignant
Le système d’interaction éducative présente sans doute une
nouvelle forme de relation en classe où l’enseignant traditionn el ouvre le
pas à un autre, dont le rôle ressemble plutôt à celui du tuteur, moniteur,
modérateur, évaluateur, guide et aussi chercheur, chef de projet et
programmeur. Dans cet état de choses, il est important d’analyser le
comportement vis -à-vis de l’empl oi des technologies d’ e-learning 2.0 dans
la didactique de la théorie et de la pratique de la traduction.
L’un des objectifs de la nouvelle dynamique formative est de
transformer les étudiants en générateurs des contenus. Cela ne va pas
sans conséquences s ur le système traditionnel d’enseignement du prof
qui doit changer la méthode d’action sur le groupe : devant provoquer
sans dire, suivre le développement sans intervenir ou presque, mener à
bout un programme avec la participation de toute la classe.
L’emp loi des nouvelles technologies de l’information et de la
communication dans l’enseignement exige une préparation préalable de
la part des formateurs, qui n’est pas toujours aussi évident. La formation
continue des formateurs est une exigence pour mener cet te entreprise à
bon terme. La maîtrise des outils informatiques et des ressources
d’Internet s’avèrent enfin indispensable pour un formateur du nouveau
siècle.
La collaboration n’est seulement entendue dans le domaine
restreint de la classe, mais dans un e ntourage opérationnel. En effet, les
nouvelles technologies et la nouvelle didactique exigent des formes de
collaboration locale, nationale et internationale à différents reprises :

45
entre les étudiants, entre les enseignants, entre les chercheurs, entre le s
projets… Le modèle d’échange Erasmus et ses variétés internationales
prévoit déjà cette circonstance et favorise cet échange.

Les résultats
Dans ce nouveau panorama où s’installe l’enseignement de la
traduction, il peut être intéressant de constater qu elques résultats sur
l’emploi des nouvelles technologies.
L’expérience faite par notre groupe de recherche ITNT5 sur la
plateforme Moodle 1.8, administrée par nos soins et avec le soutien du
groupe ITAST (collaborateur de ITNT)6, nous a permis de constater
certains résultats de la part des étudiants et aussi des enseignants.
Du côté des étudiants, leur intérêt pour les nouvelles
technologies est bien palpable. La sensation de se sentir protagonistes
dans la recherche d’information provoque sans doute un sti mulus dans
leur formation et constitue un atout dans le processus. Le rôle actif et
dynamique de l’apprentissage a été ressenti comme un aspect positif
mais il présente aussi des inconvénients. Les étudiants considèrent
néanmoins que l’effort demandé est c onsidérable, surtout quand on
s’approche des examens. L’emploi des nouvelles technologies provoque
aussi le stress si on n’en mesure pas l’ampleur. Les étudiants considèrent
en général que l’attention au système demande un effort supplémentaire
mais suppor table.
Quant à la participation des étudiants dans les différentes
expériences de web 2.0 menées à bout l’année dernière, notamment le
wiki, le blog et le forum, elle présente des résultats inégaux. En effet,
après une utilisation en classe de différentes ressources et activités, il
s’avère que le forum constitue l’outil préféré et le plus utilisé par les
étudiants face aux wikis ou aux blogs, dans cet ordre. Le forum donne
certes la sensation du plaisir intellectuel immédiat mais le wiki est vu
sans doute comme la ressource ayant le plus de valeur pour la
communauté d’apprentissage.
L’impression des enseignants (Bueno et alii , in Cristina Guilarte
(coord..), 53 -64) était aussi que les étudiants préféraient participer à des
activités concrètes et commencées à l’avance et non pas à celles qui
exigeaient d’être créées ou qui seraient le fruit de l’innovation. Cette
attitude change dans les niveaux supérieurs d’apprentissage. Une

5 Groupe de Recherche Intersémiotique, Groupe de Recherche Intersémiotique,
Traduction et Nouvelles Technologies (ITNT), formé à l’Université de Valladolid
(Espagne) par un nombre important de chercheurs de différentes filières.
6 Le site ici décrit ( Servicio de teleformación ) occupe les premiers postes dans des moteurs
de recherche comme Google ou Yahoo.

46
constatation généralisée c’est aussi que les étudiants se montrent
réticents à part iciper s’ils ne sont pas face à des activités obligatoires.
En ce qui concerne les enseignants, ils ont la sensation que cette
nouvelle didactique exige un effort supplémentaire de leur part.
L’utilisation de ces ressources exige, certes, un travail préala ble
d’entraînement des élèves et de planification des outils. Mais pour le
formateur en traduction, l’emploi des nouvelles technologies de web 2.0
permet d’agrandir les perspectives de son travail. La découverte de
nouvelles valeurs , au fur et à mesure que son activité progresse ,
représente aussi un stimulus dans son processus d’autoformation.
Du point de vue opérationnel, l’enseignement à travers le réseau
apporte des solutions très pratiques au problème de l’espace et du
temps : la possibilité reste ouver te de travailler et de se former depuis
n’importe quel lieu (non seulement depuis l’école ou le laboratoire) et
sans tenir compte de la pression horaire (les activités peuvent être
organisées à un moment choisi).
De nombreuses actions d'innovation pédagog iques ont été mises
en place dans les universités , afin de surmonter les systèmes
d'enseignement traditionnels et d'atteindre une éducation de qualité
(objectifs fondamentaux du processus de convergence européenne qui
est vécu aujourd'hui). Telle qu’on l’a vait déjà exprimé dans un travail
sur la situation de notre groupe d’enseignants à l’Université de
Valladolid, « Le succès de ces initiatives , beaucoup d'entre elles
appuyées dans les technologies de l'information et de la communication
(TIC) dépend d'une part, de l'attitude et de l'engagement des enseignants
avec la modification de la méthodologie et, d'autre part, du soutien
fourni p ar l'université pour répondre à leurs besoins de formation et de
faciliter ainsi l'intégration de ces nouvelles ressources d ans
l'enseignement et l’apprentissage » (Bueno et alii , 2011).
Les données tirées des enquêtes montrent que les enseignants
sont conscients que les TIC sont une réalité à tenir en compte. Elles sont
conçues comme un défi devant être abordé progressivement , car ils
reconnaissent le potentiel que celles -ci fournissent au processus de
formation . En outre, comme on pouvait s'y attendre , et de bon augure
pour l'avenir, ils ont tous été prêts à faire un effort pour mettre à jour le
potentiel de tous ces outils te chnologiques. En outre , il est nécessaire de
promouvoir l'amélioration de l'infrastructure des TIC dans les écoles ,
car leur intégration est également liée à des ressources technologiques
disponibles pour les enseignants dans leur travail quotidien .

47

Illustration du comportement des enseignants face à l’emploi des nouvelles technologies

Conclusion
L’emploi des technologies d’ e-learning 2.0 dans la didactique de
la théorie et de la pratique de la traduction représente un nouveau pas
dans l’histoire de l’en seignement en traduction, ainsi qu’un défi. Ce
programme de travail nous a permis de tester le degré d’efficacité de ce
système de collaboration et d’avoir une vision beaucoup plus claire de la
perception de la nouvelle relation d’enseignement ainsi que du
fonctionnement et de l’adaptabilité de ces ressources dans la formation
des traducteurs.
Le travail avec les TIC permet de répondre aux critères des
nouvelles formes d’évaluation comme celle que réclame l’espace
européen de l’éducation supérieure (EEES) e t son système de transfert
de crédits ECTS.
Le travail sur les textes devient sans doute plus performant avec
cette possibilité d’approche dans toutes les directions et avec la
contribution de différentes ressources technologiques. L’emploi des TIC
modifie certes la relation du traducteur avec le texte mais aussi des
traducteurs entre eux. En rendant possible le contact entre les gens, la
technologie contribue à transformer peu à peu cette profession solitaire
en un métier de communication interconnectée et plurielle.
Dans le contexte traductologique, l’emploi des TIC permet
d’approfondir des problèmes et de familiariser les étudiants avec les
différents courants. La dissémination de la théorie de la traduction à
travers l’ e-learning 2.0 se fait normalement dans un esprit de coopération
et collaboration. En facilitant la diffusion des idées, le réseau facilite

48
aussi le débat et l’enrichissement intellectuel. Les nouveaux outils
permettent de travailler avec un avantage réel du point de vue de la
documentation et de l’expression. En ce moment pédagogique, un
constat s’impose du point de vue formatif : les barrières technologiques
auparavant si évidentes entre les études (ou filières) des humanités ou
celles des sciences sont bel et bien finies. La traduction s’ étudie avec les
mêmes outils informatiques que les matières scientifiques, et les outils
télématiques développés paraissent très adéquats pour l’évaluation de
l’étudiant de l’un ou de l’autre côté.
Enfin, les possibilités réelles offertes par cet outil son t
considérables et restent inexplorées dans beaucoup de cas. L’emploi du
e-learning a sans doute des inconvénients mais aussi des avantages. À
l’heure actuelle un débat s’impose pour trouver des formules d’intérêt
collectif sur l’enseignement des futurs tr aducteurs, pour tirer profit des
nouvelles technologies et pour ne pas manquer le défi. Il nous paraît
intéressant de faire bénéficier le monde académique des nouveaux
acquis et de les utiliser dans des actions conjointes avec d’autres
établissements unive rsitaires nationaux ou internationaux.
L’heureux résultat de tout cela devrait être la résolution
harmonieuse du conflit entre l’apprentissage passif qui produit une
surinformation, et la communication active ; entre la théorie des
connaissances et la pra tique de celles -ci, tout comme en traduction. Les
polémiques entre écoles prônant telle théorie ou tel modèle
d’apprentissage devraient céder le pas au rendement communicationnel.
Un souci pragmatique déterminé par le rôle qu’est appelée jouer la
traductio n et les traducteurs au sein du monde actuel. L’objectif premier
de l’apprentissage ne serait donc pas d’apprendre, sans nul autre intérêt,
mais de montrer qu’il peut être mis en œuvre. Conformément à la
philosophie pragmatique, les temps nouveaux sont à l a recherche de
l’efficacité et du rendement et ils font appel à la collaboration et à la
coopération.

Références bibliographiques
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La traducción: de la teoría a la práctica , A. Buen o García & García -Medall, J.
(eds.), Valladolid, Servicio de Apoyo a la Enseñanza, Univ ersidad de
Valladolid, 1998: 9-26.
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d’une société mondialisée » : In : META , 50e anniver saire, n° spécial:
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49
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BUENO GARCÍA, Antonio, et ali. « Aplicación de metodologías colaborativas
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metodológicas basadas e n Web 2.0 en asignaturas de la Licenciatura en
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metodológicas en el aula de traducción ”, Libro de Actas. Inece’09. III Jornada
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BUENO GARCÍA, Antonio, et alii . “Actitudes de los profesores ante la
integración de las TIC en la práctica docente. Estudio de un grupo de la
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educational use of ICTS: The case stydy at the University of Valladolid”), in
Edutec -e. Revista Electrónica de Tecnología Educa tiva, Núm. 35/Marzo 2011, 19
pp. URL: Véase:http://edutec.rediris.es/Revelec2/Revelec35/pdf/Edutec –
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JORRÍN ABELLÁN, I. y GÓMEZ SÁNCHEZ. “Desarrollo de actitudes y
procesos colaborativos en un aula con apoyo tecnológico", Curso de Formación
en el marco de la Convergencia al Espacio Europeo de Educación Superior ,
Universidad de Valladolid, 13 y 14 de junio de 2005.

50

L’Analyse du discours spécialise dans le processus de formation des
traducteurs techniques

Nataliya GAVRILENKO

Université de Russie de l’Amitié des Peuples
Russie
Résumé : L’une des étapes fondamentales de la f ormation des traducteurs
techniques est l’analyse du sens du message et le choix de la stratégie de
traduction. Elle dépend pour beaucoup de la spécificité du texte à traduire et
des caractéristiques du destinataire. Les facteurs signifiants pour la traduc tion
spécialisée ont leurs particularités et varient en fonction du texte à traduire.
Nous proposons d’effectuer la formation des traducteurs techniques à la base
des genres de discours spécialisé qui sont typiques pour son travail. L’analyse
de ces genres nous a permis de présenter les genres dans l’ordre décroissant de
leur difficulté. L’ analysé traductionnelle s’effectue d’après le modèle élaboré.
Une telle analyse est la phase préparatoire de la traduction et peut servir de base
à l’évaluation des étud iants travaillant sur la compréhension du texte en langue
de départ.

Mots -clés : traduction technique, approche discursive, analyse traductionnelle,
genres de discours spécialisés , perception, compréhension et interprétation de
discours spécialisé

Abstra ct: Going beyond the text, the analysis of historical, social, cultural and
situational context in which the original text was created and where the
translated text will be used make it necessary for the translation of text analysis
from discursive positio ns. This approach has allowed to include a specific
discourse, which is created in the process of communicating in professional
scientific and technical field, and its subspecies into instructional content of
translation comprehension of professionally ori ented texts. It is reasonable to
analyze these texts from the discursive positions. The proposed sequence of
translation analysis will contribute to the perception, comprehension and
interpretation of a foreign professionally oriented text to its translati on into the
native language.

Key words : special translation, discursive approach, translation text analysis,
subspecies of a specific discourse, perception, comprehension and interpretation
of types the text.

51
Introduction

La traductologie se consacra lo ngtemps au système des relations
qui s’établissent entre deux langues lors du processus de traduction. De ce
fait, la question des correspondances entre les langues et des critères
d’évaluation appliqués à la traduction scientifique et technique est une de s
plus explorées. S’il considère l’aspect linguistique du processus de
traduction, ce système ignore les facteurs psychologiques, pragmatiques et
autres qui influent sur le développement et le résultat de ce processus dans
différentes situations. La capaci té à mesurer et à prendre en compte les
facteurs linguistiques et extralinguistiques, qui interagissent étroitement
dans le processus de traduction, témoigne du professionnalisme du
traducteur.
Comment définir l’activité professionnelle du traducteur ? Cet te
question fait l’objet de nombreuses études de traductologie. Les travaux
de V. A. Iovenko sont parmi les plus complets. Il considère que l’activité
du traducteur est principalement conditionnée par les facteurs qui
régissent la communication dans son en semble. Dans le domaine de la
traduction, elles présentent toutefois certaines particularités. Soulignant
le caractère cognitif des conditions de la traduction, V. A. Iovenko
distingue les déterminants suivants de l’activité de traducteur :
1. conceptuels (l ’objectif communicatif et la pragmatique de l’auteur et
du destinataire) ;
2. culturologiques (les potentialités socioculturelles des communautés
linguistiques en contact – les réalités culturelles, historiques, sociales
des locuteurs de la LD [langue de dépa rt] et de la LA [langue
d’accueil], et les aspects nationaux et psychologiques de la
communication bilingue) ;
3. linguistiques (les systèmes linguistiques, les normes linguistiques et
les normes discursives et usuelles des LD et LA) ;
4. textuels (les paramètre s de contenu et de composition de textes en
LD et LA, la stylistique des textes en langues différentes, le volume
des textes, etc.) ( Иовенко 1992, 131 -138).
Il faut malheureusement constater que la question de la
détermination des composantes de la traduction scientifique et
technique demeure peu explorée. Pourtant, les facteurs signifiants pour
la traduction spécialisée ont leurs parti cularités et varient en fonction du
texte à traduire. C’est précisément sur eux que repose le choix de la
stratégie de traduction. Le traducteur doit rendre le sens et les intentions
communicatives concrètes des communicants, en les formulant selon les
règles de sa langue maternelle. Après avoir compris le sens du message
en langue étrangère, le traducteur choisit sa stratégie de traduction. Elle

52
dépend pour beaucoup de la spécificité du texte à traduire et des
caractéristiques du destinataire.
Aborder un t exte sous cet angle est possible du point de vue du
discours. Ce concept, associé à celui de texte, est actuellement appliqué
en linguistique, mais n’a pas encore de définition univoque. Quoi qu’il
en soit, par discours la majorité des chercheurs comprenne nt le
processus de création/compréhension d’un texte dans des contextes
historique, social et culturel précis, qui prend en compte les objectifs
communicatifs et les particularités sociolinguistiques des communicants.
Par texte, ils entendent le résultat ( l’actualisation), dont la construction
est établie, du processus de l’activité discursive.

Analyse du discours comme méthode de traduction

Le concept de discours ouvre de nombreuses perspectives pour
la didactique de la traduction. En effet, pour le trad ucteur scientifique et
technique, tous les aspects considérés du point de vue de la
création/compréhension du discours sont signifiants. Au concept de
discours peut s’adjoindre celui d’adéquation de la traduction qui, selon
A. D. Schveitzer, « considère la traduction sous son aspect de processus,
en se concentrant principalement sur la correspondance de la stratégie
de traduction à la situation de communication » (Швейцер 1989, 52 -53).
Selon toute vraisemblance, c’est précisément l’analyse des
composantes d u discours qui donnera au traducteur la possibilité de
comprendre au mieux et de transférer en LA le sens du message, dans la
mesure où son véritable sens est lié à l’appartenance professionnelle,
sociale et de groupe de l’auteur ( Леонтьев 1975) et où il n e peut être
révélé et compris qu’en ayant recours à une analyse largement
contextuelle et qu’en prenant en considération la situation de
communication ( Кожина 1980).
De notre point de vue, il en découle que l’une des étapes
fondamentales de la formation de s traducteurs scientifiques et
techniques est l’analyse du sens du message et le choix de la stratégie
idoine de traduction. Au cours de leur formation, les étudiants doivent
apprendre à analyser le discours spécialisé (auquel de nombreux
chercheurs rattac hent les textes scientifiques et techniques). La volonté
de décrire le plus exhaustivement possible les facteurs influençant la
création/compréhension du discours spécialisé et le tableau inachevé de
ces particularités nous ont poussée à étudier et analyse r 350 textes
scientifiques et techniques français qui abordent les sujets suivants :
écologie, physique, mathématiques, informatique, ingénierie, architecture,
construction (quand il s’agissait de textes oraux, nous avons utilisé les
transcriptions).

53
Lors de l’analyse « traductologique » du discours, il convient de
prendre en considération les facteurs qui conditionnent sa
création/compréhension, à savoir :
la déterminante institutionnelle du discours ;
la sphère de communication ;
les fonctions de la commu nication ;
la structure logique et sémantique du discours ;
le moyen de la communication ;
l’intertextualité ;
les caractéristiques des communicants :
le registre de langue et le style ;
le genre.
Nous ne pouvons ici décrire en détail toutes les caractéris tiques
listées du discours spécialisé. Pour cette raison, nous nous limiterons à
certaines d’entre elles. La question de la déterminante institutionnelle du
discours spécialisé en Russie et en France et les genres caractéristiques
pour l’activité du traduc teur scientifique et technique sont l’objet de
deux de nos articles (Гавриленко 1999, 2003).
Pour la sociologie, la communication dans la sphère scientifique
et technique, comme toute autre activité, sert ses propres objectifs. La
majorité des chercheurs s ouligne que le discours scientifique a une triple
finalité. Il transmet :
des thèses scientifiques et techniques ;
des informations scientifiques et techniques ;
des connaissances destinées à l’enseignement, scientifiques,
etc.
Les chercheurs français con sidèrent que le discours spécialisé
repose sur des données objectives et vise la transmission de
connaissances ( Винье , Мартен 1981; Pelage 2001; Rousseau 1984;
Durieux 1988).
Les fonctions informatives servent à communiquer et à
transmettre l’héritage de l’expérience que l’individu et l’humanité ont de
la pratique sociale et du travail. Dans le processus de la commu nication,
la fonction informative se réalise dans une union avec la fonction
communicative. Par ailleurs, l’information transmise pour répondre aux
objectifs de la communication se divise en information informative,
régulatrice et émotionnelle. L’informati on acquiert une signification
informative quand seuls sont transmis des renseignements sur l’objet. Si
le message est destiné à inciter son destinataire à agir d’une manière
concrète, alors cette information possède une charge régulatrice.
L’information re vêt un caractère émotionnel si elle est orientée vers des
sentiments humains et est capable de les éveiller chez son récepteur

54
(Панферов 2000). Notre analyse du discours spécialisé a montré qu’il
présente les trois types d’information : informative, régula trice et
émotionnelle. Il semble que la fonction et les buts du discours spécialisé
déterminent l’apparition des différents genres. Par exemple, la fonction
du mode d’emploi d’une machine -outil ou d’un brevet est tout aussi
communicative qu’informative. Ce tte charge informative conditionne la
construction du discours et l’utilisation des moyens linguistiques,
stylistiques, etc. qui le servent.
En outre, le discours spécialisé (et ses différents genres) peut
remplir des fonctions communicatives complémentair es : présentation,
résumé/synthèse, évaluation, popularisation, instruction ( Троянская
1989, 28) et explication « qui concentre non seulement la fixation du
processus de connaissance et l’exposition des résultats de la
connaissance, mais aussi la fixation des moyens d’application de ces
résultats . » (Брандес 1999, 59).
S’il faut, pour transposer le but principal du discours spécialisé
(l’informatif), choisir avec rigueur les moyens linguistiques et
stylistiques, pour agir sur le destinataire du discours on peut faire appel
des figures stylistiques et des tropes différents.
Le choix de la stratégie de traduction dépend en grande partie de
la fonction du discours spécialisé et de ses buts principaux qu’il est
impératif de transférer. Si son unique raison d’êtr e est d’informer le
destinataire, la transmission fidèle des faits, des données, des chiffres, etc.
prime dans la traduction. Dans le discours dont le but est d’informer et
d’agir sur le destinataire, il est capital d’élucider les procédés mis en
œuvre par l’auteur pour agir sur le destinataire. Le traducteur doit alors
recréer avec les moyens de la LA l’information, la régulation et l’émotion.
Notre analyse a mis en évidence que le discours spécialisé français abonde
en éléments émotionnels. Nous en voulon s pour preuve la présence dans
les monographies et les thèses françaises de nombreux remerciements à
ceux qui, par leurs recommandations, leurs conseils ou leur simple
soutien moral, ont permis à l’auteur d’aboutir. En voici un exemple.
Ce livre a bénéfici é des critiques du Professeur W. E. Burcham,
F.R.S., et en particulier des étudiants. Ma gratitude va à Marion
Middelton pour sa préparation précise et expérimentée du manuscrit et
des éditions antérieurs. Je dois aussi une grande reconnaissance à ma
femme pour sa patience infinie.
Ces remerciements, longs et ampoulés, ne sont pas
caractéristiques du discours spécialisé russe. Leur traduction littérale, sans
adaptation, en russe peut être déplacée. Il convient toutefois de noter
depuis une dizaine d’années des entorses aux règles strictes du discours
scientifique et technique russe. L’influence des pays d’Europe occidentale
se fait particulièrement sentir dans la communication par internet.

55
Le traducteur doit s’imprégner du sens du discours qui lui est
confi é. Le degré de son imprégnation dépend pour beaucoup de sa
compréhension de l’objectif poursuivi par l’auteur qui n’est presque pas
ouvertement formulé et qui se réalise par le choix pertinent des moyens
linguistiques et extralinguistiques. Ainsi que le re marque T.M. Dridze,
« si le destinataire a assimilé le but (dessein) dans lequel le texte a été
créé, ce que précisément (principalement, en premier lieu) a voulu
exprimer son auteur grâce à tous les moyens utilisés, nous pouvons
conclure qu’il a correctem ent interprété le texte » (Дридзе 1976, 48).
Le but du discours spécialisé explique en partie la variation des
choix de traduction. Un même texte peut, dans des situations
différentes, répondre à des objectifs différents ( Иовенко 1992, 115). La
connaissance de la structure logique e t sémantique, conditionnée par la
fonction communicative et le but du discours spécialisé, peut aider le
traducteur à choisir sa stratégie de traduction.
Dans le discours spécialisé, on utilise principalement trois types
d’exposé : la narration, le raisonn ement et la description. Ils peuvent se
combiner différemment, mais l’un domine toujours les deux autres qui
lui servent d’auxiliaires. Notre analyse a montré que dans les discours
spécialisés français et russe, le raisonnement et la description dominent.
Le raisonnement permet d’exposer les connaissances acquises et le
processus de leur acquisition.
Comment sont composés les textes dans lesquels le discours
spécialisé prend la forme de la narration, du raisonnement et de la
description ?
Lorsque l’on abord e cette question, il faut immédiatement
souligner les exigences extrêmement rigides auxquelles est soumis le
discours spécialisé en France. Les Français s’enorgueillissent de leur
« logique cartésienne » : construire son exposé selon les règles strictes de la
logique s’apprend durant tout le cycle des études secondaires. Au XVIème
siècle, René Descartes formula dans le Discours de la Méthode les règles
de l’analyse et de la synthèse de la logique mathématique du point de vue
de la philosophie. Par la suite, ces règles furent appliquées à la
composition et à l’analyse de tous types de discours. Pour un Français, la
moindre conversation professionnelle avec un partenaire doit être
introduite par l’exposé précis des actions et des tâches à réaliser classées
dans l’ordre d’importance. S’il ne présente aucun plan, le partenaire ne
pourra être considéré comme crédible par le Français. Pour illustrer la
« logique nationale » française, le sociologue Claude Hagège cite
l’exemple de la formulation d’une des lois fonda mentales de la physique
des gaz : pV = C = const., connue comme celle de Boyle et Mariotte.
Boyle formula cette loi après avoir procédé à de nombreuses expériences
(ce qui, selon C. Hagège, témoigne du caractère pragmatique des

56
Anglais) ; Mariotte parvint au même résultat après avoir longuement
enchaîné les réflexions logiques ce qui lui permit de n’effectuer qu’une
seule expérience concluante (C. Hagège voit ici l’expression de la
« logiq ue cartésienne » des Français ; Hagège 1987, 234).
Tant à l’écrit qu’ à l’oral, la « logique française » s’exprime dans
une division du discours spécialisé en parties bien distinctes. C’est
précisément pour cette raison qu’en fin d’année les revues scientifiques
françaises publient les exigences strictes de composition des a rticles
soumis à leur comité de rédaction. Leur lecture doit aider le traducteur
dans son travail. Au cours de leur formation il est indispensable
d’apprendre aux futurs traducteurs à établir le plan du texte à traduire
pour révéler la logique de l’exposé.
Dans le discours spécialisé français, on distingue une
introduction, un développement et une conclusion. Chaque partie du
développement reprend cette même structure :
1. Introduction
2. Développement
2.1 Première partie : transition, introduction, développement,
conclusion.
2.2 Seconde partie : transition, introduction, développement,
conclusion.
3. Conclusion
3.1 Synthèse
3.2 Transition vers la partie suivante.
Les chercheurs français nomment les mots -liens utilisés entre les
parties du discours les opérateurs discursifs logiques (Kocourek 1991 ;
Поппер 1983 ; Канке 2000). L’analyse du discours spécialisé met en
lumière leur rôle déterminant et distingue plusieurs types principaux
d’opérateurs logiques auxquels les chercheurs rattachent les prépositions,
les conjonctions, les verbes, les adverbes, les substantifs. Une attention
particulière doit être accordée à la ponctuation dans le discours spécialisé
écrit. La maîtrise que le traducteur a des moyens d’expression des liens
logiques du discours spécialisé en facilite la compréhension et la
transpos ition en LA du sens, de la logique et de la structure.
La spécificité de la structure logique et sémantique du discours
spécialisé français apparaît également dans les exigences relatives à
certains genres écrits. Ainsi, dans les articles, on trouve fréque mment
des annotations (parfois en anglais) et des listes de mots -clefs placées
immédiatement après le titre.
Dans l’introduction est formulé le thème principal du discours.
Dans l’introduction du discours spécialisé oral, l’adresse à l’auditoire joue
un rô le important : elle n’est pas une simple formalité, mais un moyen
d’établir le contact, d’activer la réception de l’intervention à venir. Les

57
orateurs français disposent d’une large gamme de formules d’adresse
(Mesdames, Messieurs, Distingués délégués, Che rs collègues, etc.). La
formule est choisie en fonction de l’atmosphère, de la composition du
public et du but de l’intervention. Par conséquent, il est important pour le
traducteur de connaître la composition de l’auditoire de la
conférence/rencontre pour bien choisir les formules d’adresse en LA.
Dans la partie principale du discours spécialisé est développé le
thème, sont débattues les positions générales et concrètes : apporter des
informations précises, exposer ses conceptions, donner des
recommandatio ns, démontrer, etc. Pour répondre à ces objectifs,
l’auteur fait souvent appel au moyen logique qu’est la démonstration.
Elle se décompose en trois éléments interdépendants : la thèse, les
arguments et le moyen lui -même (la démonstration). La thèse est la
position qu’il est impératif de démontrer. Il est très fréquent que le but
de tout l’exposé prenne la forme d’une thèse. En fonction du but et de la
méthode choisie pour l’exposer, l’auteur peut formuler la thèse
immédiatement ou la rejeter à la fin. Les a rguments sont les points dont
la véracité est déjà démontrée. Le moyen de la démonstration est la
forme que prennent les liens logiques existant entre les arguments et la
thèse. L’auteur doit mettre en évidence que sa thèse repose sur des
arguments et est, de ce fait, vraie. La démonstration est souvent présente
dans le discours spécialisé. Dans le discours spécialisé français, pour
exposer la démonstration on se sert d’opérateurs discursifs spécifiques
(Balmet et de Legge 1992) .
Il est indubitable que la m ission essentielle du traducteur est de
comprendre pleinement et précisément la thèse, qui présente l’essence
de la question, et de la rendre en LA. La compréhension des arguments
s’avère tout aussi primordiale pour transmettre de manière convaincante
l’idée exposée. Pour cela, l’auteur du discours spécialisé a souvent
recours à des données chiffrées, des citations, des renvois à des sources
faisant autorité, des faits concrets connus de son destinataire. L’auteur
du discours et son destinataire comprennent évidemment les arguments.
Mais, souvent, tel n’est pas le cas du traducteur. La compréhension et la
traduction de ces parties du discours présentent presque toujours pour le
traducteur de grandes difficultés : leur degré dépend étroitement de l’état
de se s connaissances sur la question, de sa préparation, de sa maîtrise
des particularités structurelles du discours français.
L’introduction et le développement du thème facilitent bien sûr
la traduction correcte et entière. Mais, la fin du discours spécialisé n’est
pas moins importante. Le but de la conclusion est de souligner et de
renforcer l’impression produite par l’exposé. C’est pourquoi elle se
compose d’une brève redite ou synthèse des principaux points du
discours. La traduction orale d’une conclusion est toujours un exercice
difficile. La réception auditive d’un texte exige une concentration

58
intense, d’autant plus de la part d’un interprète. A la fin d’une
traduction apparaît souvent un épuisement qui complique la réception
du texte. Mais, du fait de l ’importance de la conclusion de l’exposé, les
omissions dans la traduction sont inacceptables. Pour pallier sa fatigue,
le traducteur doit alors s’aider de la prise de notes.
Les objectifs du discours spécialisé conditionnent les méthodes
choisies pour pré senter l’exposé. Parmi elles, l’induction et la déduction.
Le discours spécialisé scientifique fait le plus souvent appel à
l’induction. C. Popper l’explique par le fait qu’«à l’origine de la science
sont les questionnements. Ensuite, sur leur fondement, l a science évolue
en théories concurrentes qui sont soumises à la critique » (Поппер 1983,
443).
V. A. Kanke, quant à lui, pense que la science utilise non
seulement la déduction et l’induction, mais aussi l’abduction qui
remonte des faits vers les théories (lois, hypothèses, concepts). Les
relations qui s’établissent à l’intérieur de l’induction, de la déduction et
de l’abduction peuvent être schématisées de la manière suivante :
– Abduction : faits → hypothèse (découverte de nouvelles connaissances)
– Inductio n (élargissante) : faits → faits (élargissement des connaissances)
– Déduction : hypothèse → faits (démonstration des connaissances)
(Канке 2000, 220).
L’analyse des discours spécialisés français et russe a également
mis en évidence que l’utilisation de l’i nduction incomplète est
caractéristique du discours spécialisé oral. Cela signifie que la
conclusion peut être présentée alors que seuls quelques faits relatifs à la
question examinée ont été exposés.
Les plus grandes difficultés que le traducteur peut re ncontrer
sont celles liées à l’utilisation dans le discours de l’abduction et de
l’induction. Dans la mesure où la présentation de l’idée principale est
rejetée après l’exposition des faits, son repérage et donc sa traduction
sont nettement compliqués.

Conclusion

L’analyse « traductologique » du texte doit être menée du point
de vue des positions discursives qui permettent d’examiner un texte
scientifique ou technique dans son contexte socioculturel, dans le
contexte de la situation de communication qui a conditionné la création
du discours. Il faut également considérer la position du destinataire
supposé du texte en LA. L’analyse aide l’étudiant à discerner la
structure logique du texte, les idées primaires et secondaires,
l’enchaînement de l’argumentatio n, l’emploi des connecteurs et à
comprendre le sens et le but du message. A cette étape de sa formation,

59
il est indispensable d’apprendre à l’étudiant à se servir de la littérature de
référence pour parvenir à une compréhension plus profonde et complète
du sens. Au cours de son activité professionnelle, le traducteur
rencontrera des textes relatifs à différents domaines de la science et des
techniques qui sortiront souvent du cadre de la formation
professionnelle qu’il aura reçue. Pour cette raison, apprend re à utiliser la
littérature de référence fait partie intégrante de la préparation à la
traduction scientifique et technique. Lorsqu’il a compris le texte, le
traducteur doit l’analyser plus en profondeur. A cette étape de son
travail, il doit analyser les difficultés terminologiques, les figures de
styles, les abréviations, etc. Une telle analyse est la phase préparatoire de
la traduction et peut servir de base à l’évaluation des étudiants
travaillant sur la compréhension du texte en LD .

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61
2e Section

Description des méthodes et méthodologies de recherche
extra -, inter- et intra -institutionnelles

62

63

Tradui re la traductologie. Sur la légitimité de la méthode en
traduction à l’époque du cyberespace

Georgiana LUNGU -BADEA
Université de l’Ouest de Timisoara
Roumanie
Résumé : Nous nous proposons de décrire les méthode s de traduction mise s en
œuvre lors du déroul ement des projets de traduction collective dirigés de 2006 –
2008 et de 2009 -2011. Nous montrerons comment on a entamé la traduction et,
notamment, comment les outils du cyberespace ont aidé (– ou non) les
traducteurs . À ces occasions, nous avons pu constate r que la méthode (l’anti –
méthode, aussi) et la méthodologie dans la recherche, la critique et l’étude de la
traduction sont tantôt rentables et fructueuses, tantôt encombrantes et
ruineuses. Une nuance raffinée, une frontière floue. Se fier aux méthodes
traditionnelles et nouvelles aussi bien que méthodes mixtes ou, plutôt, aux
outils informatiques, logiciels de traduction ? Il paraît que la voie juste soit à
trouver, décider par chaque traducteur.

Mots -clés : méthode et méthodologie de la traduction, éval uation et critique de
la traduction, outil de traduction

Abstract : The aim of this paper is to describe the translation methods used in the
collective translation projects carried out between 2006 -2008 and 2009 -2011. We
will show how we approached the tra nslation process and, specifically, how the
tools of the cyberspace have helped the translators (or not). Thus, we have had
the opportunity to observe that the method (also the anti -method) and
methodology of the research, critique, and study of translatio n can be sometimes
profitable and fruitful, and sometimes obstructing and damaging. A fine nuance,
a fuzzy frontier. Should one rely on new and traditional methods, as well as
mixed methods, or, rather, on translation software? It seems that it is up to ea ch
individual translator to find the right path.

Key words : translation method and methodology, translation evaluation and
critique, translation tool
1. Introduction . Au carrefour de différentes méthodologies

Absence ou foisonnement des méthodologies ? Faute d’une
méthodologie générale de la traductologie, il est bien difficile d’entrevoir
l’utilité des règles de la globalisation traductologique. Cependant,
l’élaboration d’une méthodologie générale de la traductologie pourrait
servir aussi bien aux intérêts des traductologues qu’à ceux des

64
formateurs et traducteurs. Ce n’est pas que l a méthodologie scientifique
mais aussi l’évolution des outils informatiques dont disposent et le
traducteur et le traductologue qu’il conviendrait de prendre en compte et
de mettre au service de l’enseignement ; de la critique et de la recherche
traductologique . Afin de f ocaliser leur mise en œuvre dans la pratique
traductionnelle, n ous abordons u ne perspective triangulaire – de la
métho dologie traductologique, des méthodes tradu ctionnelles et des
investigations prétraductionnelles (informatiques et traditionnelles) –,
visant aussi de remet tre en discussion, compte tenu de la donne
informatique, l’approche traditionnelle du phénomène de pratique et de
critique de la traduction.
À l’heure de la globalisation informatique et du plurilinguisme, la
méthodologie de la traductologie prône une réflexion correspondant à des
domaine s de prédilection différents – relativement aux objectifs ,
hypothèses, éthique (s), protocole s, et à l’applica tion des méthod es de
recherche, des techn iques et des procédés de traduction – ; et aux étapes et
méthodes de préparer la prétraduction par le biais d’une documentation
thématique et /ou terminologique ( compréhension) . Cet ensemble
(réflexion et méthodes) influe manifestement sur l’ organisation et le
traitement des données (interprétati on, reformulation, rédaction), auto –
révision et révision. La globalisation et le plurilinguisme menacent -ils la
traduction, l’évolution de la science et de ses méth odes d’inve stigation ?
Bien que ce contexte soi t susceptible d’ébranler l’existence, la concrétude
de la traduction , elle ne disparaitra pas ; d’une manière ou d’une autre ,
elle préservera sont statut de nécessité stricte1 dans un monde multi – et
pluri – lingue . D’où l’obligation de repenser les termes et les conditions
d’enseignement de la traduction et de formation des traducteurs capables
d’exploiter l’offre généreuse d’outils de traduction (logiciels, bases de
données, dictionnaires en ligne, etc.) au profit d’une réception estimée à
être faite par un public -cible correctement identifié. Cet enchaînement de
causes et d’effets – qui confirment l’utilité d’une méthode et infirment son
échec2 – attire l’attention sur le risque que l’anti -méthode court lorsqu’elle
est mise en œuvre systématique ment ( « méthodique ment ») : elle devient
une méthode. De pleine évidence, on ne peut pas étudier un domaine de
manière méthodiquement chaotique. Où est -on pour ce qui est de la
traduction ? Pourrait -on l’entamer en dehors des métho des (soient -elles
traditionne lles ou nouvelles, fondées sur d es outils informatiques , logiciels
de traduction, etc .) ?

1 Plusieurs catégories socioprofessionnelles (traducteur, réviseur, formateur, théoricien,
critique de traduction, etc.) en dépendent.
2 Quoique le fiasc o de la méthode soit notoire en littérature, à savoir dans l’écriture
littéraire selon des schémas, recettes, contraintes, modèles de succès, etc.

65
C’est dans ce cadre que nous situons l’objectif de notre
recherche . Interdisciplinaire, transdisciplinaire et pragmatiste (visant
l’inser tion des traducteurs débutants sur le marché de travail) , celui -ci
est de montrer comment on peut conjuguer l’assimilation de
connaissances spécifiques à un domaine (en l’occurrence, l’histoire de la
traduction et la traduction du nom propre, notre co rpus étant formé par
deux ouvrages, appartenant au même domaine, voir la section 3.
Description des projets de traduction expérimentaux ) et l’acquisition
des compéten ces purement traductionnelles. Si n ous essayons de jeter
un pont entre deux visées pédagogiques ayant, certes, des objectifs
différents, mais comptant sur des données thématiques communes , c’est
pour éviter aux apprentis traducteurs de se faire piéger. D ans un premier
temps , il s’agit de les aider à distinguer entre connaissance et
information ; ens uite, à saisir les différences caractérisant l es éléments
qui composent des clivages rebattus tels que : tradition et innovation
(internautique, surtout) ; méthode avant et après l’Internet ; talent et
technique et/ou révélation et apprentissage, impressio nnisme et
technicisme, etc.

2. Traduire à l’époque du cyberespace

Les envolées et les retombées du développement de l’Internet
produisent de forts effets sur l’activité de traduction. L’Internet a donné
l’occasion de sortir du système traditionnel d’écritur e et de
documentation, mais également de se confront er à de nouveaux
problèmes traductionnels, dus à une maîtrise affaiblie des langues,
provoquée par une diminution de contrôle et par une confiance absolue
dans les logiciels (ceux de correction automatiqu es, par exemple, dont le
perfectionnement est à attendre lorsqu’il s’agit du traitement des
données contextuel). Bien qu’indispensable, l’accès aux logiciels, à
l’infrastructure informatique et électronique, n’exclut pas pour autant la
révision humaine de la traduction. Celle -ci en constitue toujours l’une
des tâches les plus urgentes. La traduction reste encore un moyen
d’appréhender un mode de penser, un mode de se renseigner.
L’informatisation est à tort vue comme une solution aux différences qui
caracté risent les langues. Elle est, toujours à tort, confondue avec un
outil de globalisation garantissant tout genre de communication. Il
s’impose de distinguer les informations, les outils et le savoir -faire pour
y accéder d es connaissances et de l’usage qu’on en peut faire, en dehors
de tout contexte informatisé – ou pas.
En rappelant la convergence entre la traduction et la technologie
informatique, nous nous contentons de réaffirmer (un lieu commun) le

66
rôle irremplaçable qui revient au traducteur humain. Nou s avons
réfléchi sur cette question de convergence à partir de quatre points :

1) La mise en œuvre lors des travaux dirigés d’une méthode
d’enseigner la traduction à l’aide des outils de traduction ;
2) La création d’une méthodologie générale applicable aux
textes, tout genre et toute finalité confondus ;
3) La méthodologie de l’évaluation ;
4) La production d’une méthodologie spécifique.

3. Description des projets de traduction expérimentaux

Il serait déraisonnable d’envisager la méthodologie et
l’enseignement de la t raduction sans définir les finalités multiples d’une
telle entreprise (Delisle et Lee -Jahnke 1998, 3). Notre étude est centrée
sur deux projet s de traduction expérimentaux , déroulés
consécutivement, de 2006 à 2008 et de 2008 à 2010, à la réalisation
desque ls plusieurs étudiants en master de traduction, thésards et
enseignants -chercheurs ont participé. Le premier concerne la traduction
de l’ouvrage Les Traducteurs dans l’histoire (volume dirigé par Jean Delis le
et Judith Woodsworth, [1995] 2007 ) ; le second , la traduction de
l’ouvrage de Michel Ballard, Le Nom propre en traduction (2001) .
Pour faire paraître la nécessité de la méthode, n ous nous
intéressons à des aspects concernant la didactique de la traduction
spécialisée et aux difficultés d e traduction – références historiques,
géographiques et culturelles ; éléments l exicaux datés ; noms propres
(Npr ), rendus par des procédés de traduction variés ; réagencements
syntaxiques, imposés par la langue -cible ( LC), par le style du texte –
source ( TS), etc. – auxq uelles se sont confrontées les traducteurs lors du
transfert interlingual des ouvrage s cités.
Notre intention a été de démontrer, aux traducteurs et au x
formateurs des traducteurs, qu’il est conseillé de réconcilier, en théorie
comme en pratique , deux disc ours : celui du domaine de spécialit é et
celui de la traductologie ; et cela, aussi bien pour dépasser le cadre étroit
que la traduction à l’université propose que pour donner aux
étudiant (e)s l’occasion traduire « à la professionnelle ». Notons que cette
pratique de la traduction universitaire n’a que secondairement pour but
le perfectionnement linguistique – qui doit être continu ; sa fin première,
souveraine, est l’apprentissage de la traduction. L’acquis du
métalangage et du commentaire de traduction n’est qu’une cause
seconde, mais indéniablement lié à « la cause des causes ». Il s’ est agi
donc de faire intervenir dans la triade enseignant (traducteur,
traductologue), apprenants en traduction , savoir à acquérir , un élément

67
d’authenticité, l’imminence de la publication de la traduction , qui rend
responsables les apprentis traducteurs.
Il nous a semblé utile d’approfondir la réflexion sur le rôle de
l’exercice universitaire de traduction et de lui assigner des finalités sinon
nouvelles, du moins profitable s au développement des aptitud es
traductionnelles spécifiques : évaluation, correction, révision, critique de
traduction.
Compte tenu de l’environnement électronique, il se pose la
question de revisiter l’évaluation pédagogique des stratégies
d’apprentissa ge et l’évaluation sommative des compétences acquises
(Oddone 2006). Sans en faire un distinguo net, d ans notre étude de cas,
nous avons marié l’enseignement de la traduction, l’apprentissage par
habitude et l’entraînement à la traduction. Par l’ expérience réelle et
authentique de traduction, nous avons responsabilisé les traducteurs et
évité, ainsi, une mentalist view, qui aurait pu instituer la prééminence de
la traduction -création au détriment du contenu et de la signification des
textes traduits. En con trepartie, nous avons favorisé aussi bien
l’approche fonctionnaliste de la traduction, pour assurer la qualité de la
traduction, que l’approche fondée sur le texte et le discours. La dernière
nous a permis de valoriser les textes à traduire à l’intérieur d e la langue
et de la culture roumaines, tout en accommodant convenablement les
équivalences stylistiques et linguistiques entre les langues en rapport de
traduction.
Le poids de l’informatique dans le déroulement des projets a été
primordial. Toute proport ion gardée, la collaboration des traducteurs
des TDH et du NPT rappelle les traducteurs de l’école de Tolède et le
réseau épistolaire de ceux -ci. Ils n’ont pas travaillé dans un même
endroit, mais sous l’égide d’une même institution, l’Université de
l’Oues t de Timisoara et ils ont constitué un « réseau » internautique pour
mener à bon terme leur activité .

4. Traduire av ec et sans outils informatiques, électroniques .
Difficultés de tradu ction sémantique et pragmatique

Lors de la coordination de la traduction collective de s TDH,
nous avons pu recueillir d e différentes erreurs de traduction que l’accès
aux outils de traduction électronique, informatique et traditionnel peut
résoudre de manière satisfaisante si ceux -ci sont consultés à bon escient.
L’emploi insa tisfaisant de ces outils n’est pas que la conséquence d’une
compétence linguistique et traductionnelle insuffisamment cultivée,
mais, notamment, d’une irresponsabilité traductive. Des faux sens dus à
des équivalences de traduction prématurées, à des équiva lences
sémantiques impro pres (Annexe 1. A.) , des f aux sens, issu d’une

68
méconnaissance lexicale (Annexe 1. B.), ou à des contresens, qu’une
attention continuelle et une connais sance plus solide la grammaire
eussent préservé les traducteurs d’en se mer dans la traduction (Annexe
1. C.) . Il n’ est pas à ignorer l’effet qu’éveille un r éagencement
syntaxique maladroit , les solécismes, etc. (Annexe 1. D.), ni les effets
produits par des r apports déterminants déterminés impropre s qui
produisent des non -sens, rallong ent la version ou la rendent
difficilement compréhensible (Annexe 1. E.). La m éconnaissance de la
référence culturelle et l’entropie sémantique, informationnelle et
stylistique influent sur le sens qui est altéré dans le transfert interlingual
en TC (Annex e 1. F.).
Outre ces difficultés linguistiques et culturelles, esquissées d’une
manière générique ici et que les outils de traduction sont susceptib les
d’en résoudre certaines , les apprentis traducteurs se sont confrontés à de
multiples difficultés d’équiva loir les Npr mentionnés dans les TDH.

4.1. Difficultés d’équivaloir en roumain les Npr utilisés dans la
traduction de l’ouvrage TDH
Dans la traduction des TDH, l’une des difficultés significatives a
été représentée par l’équivalence des Npr (voir Annexe 2, des Npr – tirés
des ouvrages TDH et TII – sont mis en miroir ). La comparaison des
index du TS et du TC offre l’image nette d’un immense travail de
recherche qui a été déployé pour mener à bon terme et dans des
conditions optimales le projet de traduction. La traduction roumaine
automatique des Npr étrangers n’est pas (pas encore, en tout cas) une
solution. L’élaboration des dictionnaires de Npr étrangers bi – ou
plurilingues pourrait mettre fin à l’instabilité normative qui caractérise la
traduction des Npr (Lu ngu-Badea, 2009, 2011) et qui a ébranlé la
confiance quasi aveugle dans leur savoir -faire. Insistant sur l’application
du « doute systématique » (Descartes via Delisle), nous rappelons
quelques traits de cette instabilité :

1) l’orthographe (phonétique) hist orique, de moins en moins
utilisée, cependant standardisée, n’a point simplifié leur travail ,
augmenté par la référence historique non saisie :

TS: Augustin (354 -430), évêque d’Hippone en Numidie (l’Algérie
actuelle), était opposé à toute traduction en la tin des textes
canoniques (TDH)
TC: Augustin (354 –430), episcop de Hippone în Numidi a [correct :
Hippo Regius în Numidia ] (Algeria actual ă), se opunea oric ărei
traduceri în latin ă a textelor canonice (copie d’étudiant).

69
2) La confusion des endonymes et des exonymes, augmentée par
d’autres facteurs (références historiques, culturelles, non
saisies, homophonie, homographie, polysémie, etc.) :

TS: La Vulgate fut néanmoins utilisée pendant des siècles par l’Église
catholique romaine et, en 1546, le concile de Trente la proclama version
officielle de l’Église (TDH)
TC: Vulgata a fost totu și folosită timp de secole de c ătre Biserica
catolică romană și, în 1546, consiliul celor 30 a proclamat -o versiunea
oficială a Bisericii (copie d’étudiant)

Trente , exonyme français de Trento et numéral ordinal 30, est à l’origine
d’une erreur grossière. Celle -ci concerne la localisation et la
compréhension : le « Concilium Tridentinum Sanctae S edi, de Trento,
1546 », rendu fautivement, dans une première étape de traduction, par
« *consiliul celor 30 » [« le *conseil des *trente clercs »]. Au lieu de cette
version -là, il faut traduire par : Conciliul ecumenic din Tr ento ;

3) la coexistence roumaine des formes parallèles pour un même
Npr (Tacit, Tacitus, Ovidiu, Ovidius, etc.) a déterminé elle aussi des
discussions sur le choix de la forme appropriée. Vu qu’il s’agit d’un texte
historique, de vulgarisation, nous avon s décidé (cf. Lungu -Badea 2011)
d’employer l’équivalence (texte) normative adéquate pour les textes
généraux3 (Ovidiu/ Ovide, Tacit/ Tacite) .

La traduction roumaine des TDH nous a déterminée à nous
interroger sur les raisons des choix traductionnels tels qu ’ils se sont
présentés à notre analyse d ans les textes -source et -cible et de conclure
que des dictionnaires historiques de l’é change et du transfert des Npr
pourrai ent contribuer à fixer et à normaliser l’orthographe des Npr
étrangers et à faciliter par l eur recensement la tâche des traducteu rs.
(Voir Annexe 2 : Tableau comparatif des index TDH français et roumain ).

4.2. Quelques difficultés de traduire le NPT

4.2.1. Traduire le métalangage
Ce n’est pas sur la recherche des équivalences, quasi
standardisées, que nou s souhaitons insister, mais sur les aspects
traductionnels liés au métalangage traductologique . À plusieurs reprises,
ces équivalences ont soulevé des questionnements et des débats.

3 Dans les textes de spécialité, il est conseillé de faire appel à l’équivalence savante et
historique (latin e ou latinisée) pour les Npr des personnalités de l’antiquité gréco –
romaine ( Ovidius Publius Naso, Gaius/Publius Cornelius Tacitus, etc.).

70
Focalisons la traduction du titre original : Le Nom propre en
traduction . Pour s a restitution , l’appel aux logiciels en ligne ou aux
mémoires de traduction n’a point été satisfaisant . En roumain, selon les
attentes du domaine (grammaire, linguistique, onomasiologie, etc. , cf.
Leroy 2004, 30) , on emploie les syntagmes de « substa ntiv propriu » ou de
« nume propriu », sans que l’un soit plus pertinent que l’autre . Deux
précisions s’imposent : la première concerne le statut du titre, Npr lui –
même, prototypique, ergonyme ; la seconde met en discussion l’intention
traductive (cf. D. Tomescu 1998, 3 -15). Dans la terminologie
grammaticale roumaine, les deux t ermes (« substantive proprii » et « nume
proprii ») sont employés inégalement . Nous avons préféré l’équivalent
lexical et sémantique, le terme « nume », consacré dans l’onomasiologie ,
au détriment du terme plus véhicule dans les grammaires, « substantiv »,
bien que l’un ne soit pas plus propre que l’autre.4 Étant donné que, dans la
langue roumaine , certains Npr français deviennent de noms communs,
nous avons conseillé l’emploi de l’éq uivalence de traduction convenable
au contexte, à savoir le terme « substantiv propriu » (par exemple : un
Français , un francez). De même , nous avons utilisé le syntagme
« substantiv propriu -nume de persoan ă », non seulement pour marquer
l’opposition avec l e nom commun, mais aussi pour attirer l’attention sur
le risque qu’on court lorsqu’on n’identifie pas correctement le sta tut du
Npr étranger écrit avec majuscule ( engl. Pursewarden [Pursewarden],
restitué en fr. Le gardien du trésor [Paznicul comorii] ou l es dénominations
des groupes sociaux, ethniques, religieux, etc., Chinamen, Chinois , par
rapport au roum. „chinezi”) .
Nous voudrions nous arrêter sur un autre aspect terminologique
non-négligeable, relevant du métalangage traductologique et dont la
signifi cation est irréfutable : le terme d’ étrangéité . De la paraphrase
explicative à l’emprunt, que des solutions impropres. Nous avons décidé
d’opter, dans un premier temps pour la restitution par calque lexical
*strănietate , mettant à profit la « création réac tive » du traducteur . Ce
n’est que sa sonorité vétuste et apprêtée qui nous a détermin és à
chercher ailleurs, au -delà des frontières du domaine linguistique et
traductologique. Traduire par un quasi calque sémantique, le fr.
extranéité (terme de droit, « qualité de l’étranger ; extranéité du
comparant », cf. Littré) que, il y a belle lurette , le roumain a emprunté5

4 Voir Lungu -Badea, « Cuvant înainte ». In : Michel Ballard, Numele proprii în traducere ,
2011: 13 -18.
5 Le roumain extraneitate est un terme juridique dont la première acception retenue dans
le Dictionnaire explicatif de la langue roumaine est la suivante: « caracter str ăin al unui
element cuprins într -un raport juridic, necesitând aplicarea unei legi nena ționale„ »
[caractère étranger d’un élément inclus dans un rapport juridique qui exige la mise en
œuvre d’une loi non nationale].

71
au français , nous a paru la solution optimale. La signification que le
terme extranéité acquiert dans le domaine du droit fut extrapolée dans le
domaine traductologique, pour désigner le caractère étranger d’un texte
qui ne peut pas être rendu en LC par acclimatation, naturalisation ou
adaptation (Lungu Badea 2012) .
Nous souhaitons souligner l’intention traductionnelle de
respecter l’idiomaticité de l’auteur. Donc, aux équivalents fonctionnels :
transposition (transpoziției/transpunerii ) et modulation (modulare ), hérités de
Vinay et Darbelnet, plus connus aux étudiants, nous avons pré féré la
restitution d es termes changement de catégorie , recatégorisation directe et
paradigme de désignation par leur s équivalents sémantiq ues roumains
(schimbarea categoriei gramaticale , recategorizare gramatical ă et paradigm ă de
desemnare ). De la sorte, nous avons sauvegardé les nuances
terminologiques propres à l’auteur. La même stratégie de respect de
l’étrangéité fut mise en œuvre pour d ’autres termes tels que :
incrément ialisation, comparaison implicite exemplaire (incrementare ,
comparație implicita prototipica , etc.) ou déclencheur , rendu par declanșator
(v. la fonction pragmatique ou référentielle , cf. Reboule și Moeschler,
année, page , en bibliographie + titre original Dicționarului enciclopedic de
pragmatic ă, 144) au détriment de la solution provisoire factor declanșator
[facteur décle ncheur].
Sans poser de s difficulté s de compréhension, d’autres termes ont
suscité de vifs échanges en tre les membres de l’équipe de traduction , à
cause, notamment, de la coh abitation des doublets ou de sy nonymes
scientifiques: rupture d'isoglossie (discontinuitate a unei izoglose, p. 27),
translitté ration – rendu en roum. tantôt par translitera ție (p. 27) , pour
désigner le processus de tra nsfert d’un alphabet à l’autre, tantôt par
transliterare pour désigner le résultat, langue réceptrice – limba -țintă (p.
28), le peignage inhérent à la traduction, faux amis , traduit sémantiquement
et fautivement par prieteni falși, ignorant la possibilité de choisir l’un d es
emplois usités , prieteni perfizi (Levitchi) ou asociatii false (Lungu -Badea) ,
et de le préserver dans tout le texte pour assurer l’homogénéité
terminologique et la cohérence du métalangage, etc.
Grâce aux analogies, aux dictionnaires spécialisés et aux textes
parallèles, nous avons décidé sur d’autres solutions traductionnelles
(hyponyme maximal6), éliminé des confusions telles que référent –

6 Dans le Dicționar de științe ale limbii [Dictionnaire des sciences de la langue ; DSL dans ce
qui suit], les auteurs utilisent des syntagm es tels que iteme minimale (2001, 278).
L’existence du syntagme roumain hiperonime maximale , en fait des patonime , des unités
lexicales susceptibles de référer aussi bine à des êtres humains et des objets qu’à des
notions abstraites ( ceva, chestie, lucru, chose, machin, truc, etc.), nous a déterminés d’utiliser
ce syntagme.

72
semnificat7 ; sémantisme – (semantism8) sens ; expansion ou extension9 ; bloc
lexicalisé10- colocație, sintagma ; aménagement syntaxique , *amenajare
lingvistică, pour îmbinare sintaxic ă ; groupe , sintagmă11 ; motivation
etymologique, motivare12 etimologic ă. Preuve él émentaire de déontologie,
tous les choix traductionnels furent confrontés au métalangage roumain
en usage.

7 Sans tarder sur la multitude des perspectives théoriques de définir le référent , ni sur
l’ontologie de la référence, nous avons attiré l’attention sur le côté disharmonique par
lequel se caractérise le cadre définitionnel du terme référent , sur son absence d’unité – pour
ne pas dire de cohérence –, tout en soulignant que ce sont des causes de doute,
d’hésitation. Le référent représente la chose comme objet pensé (désigné ou signifié par des mots ),
non pas en tant qu’ objet réel (le pronom, comme référent, est un exemple très suggestif
parce qu’à chaque fois qu’il est utilisé, il désigne un autre). Le référent est donc
contextualisé, le signifié ne l’est pas. Si l’on accepte ce point de vu e (J. Lyons), on peut
considérer la relation d’hyponymie comme une relation de référence (la relation entre les
mots et les objets ou leurs référents). A l’hyperonyme de fleur ne correspondent pas
d’hyponymes comme la rose, la tulipe , etc. ; c’est le signi fiant qui est la représentation
analogique du référent. Son signifié – fréquemment utilisé pour désigner le sens, la
signification – ne désigne non plus l’objet, la chose concrète (le signifié de blé, n’est pas un
grain de blé concret, même pas un champ de blé, mais le concept de blé ).
8 Contenu sémantique d’une unité linguistique (morphème ou énoncé) . Cf. DSL 2001, 462.
9 Il nous a fallu distinguer le terme d’ expansion , roum. expansiune , du terme extension , roum.
extensiune. L’expansion (antonyme contracti on) est une technique d’obtenir des structures
syntaxiques synonymes, équivalentes ( Cf. DSL 2001, 208); alors que l’ extension –
s’opposant à l’intension et à la compréhension (voir aussi le clivage frégéen de sens –
dénotation) – est un concept logique usité peur décrire le sens ou la définition ( Cf. DSL
2001, 210).
10 Vu que dans des ouvrages de référence roumains l’équivalent lexical n’est pas attesté, on
lui a préféré le terme de syntagme . L’option est légitime par le fait qu’en français aussi ce
syntagme es t relativement peu répandu. Les didacticiens et les enseignants l’emploient
pour dénommer des phénomènes locutoires (Chini. 1998). Peu de textes offrent une
définition, le plus souvent ce terme est considéré synonyme de « structures complexes »,
des instan ces d’emploi prêt -à porter, dépendantes du contexte d’utilisation (Demaiziere et
Narcy -Combes 2005, cités par Schaffer -Lacroix 2008, 47, 48, voir aussi Cf. DSL 2001,
110).
11 Dans la terminologie roumaine, le terme de grup (« groupe ») prévaut face aux term es de
syntagme et de phrases. Base du groupe, le syntagme concerne l’organisation
inévitablement binaire et correspond à un type particulier de groupe (celui formé d’un
noyau et d’un déterminant unique (cf. DSL 2001, 485). Même si, dans certaines
grammaire s, des syntagmes verbaux, nominaux, etc . représentent des occurrences fréquentes,
dans ce contexte de traduction il est préférable de traduire par grup (op.cit , 247), terme qui,
dans la syntaxe moderne renvoie à l’un des éléments composant la structure de la
proposition.
12 Motivare externa, motivare intern ă, motivare absolut ă, etc.; ce sont des syntagmes consacrés
en roumain. D’où la décision d’utiliser motivare etimologică (Graur, Mic tratat de ortografie ,
1974, 169), parente éloignée de la motivation (M. Benaben, Manuel de linguistique espagnole ,
p. 299, 302, 303).

73
4.2.2. Traduire les Npr des NPT
À l’instar des traductrices des TDH, les traducteurs du NPT ont
aussi buté sur la difficulté de rendre en roumain les Npr. En outre, leur
travail de documentation consista dans la recherche des solutions
confirmé es par des traductions publiées, peu nombreux étant les cas de
reconstruction « re-créative » de la part des traducteurs. Le traducteur
automatique de Npr Proper name translator, qui exploite les syntagmes
enregistrés dans l’encyclopédie Wikipédia , ne fonc tionne pas encore pour
le roumain (nous l’avons signalé en 2009, 2011) . Cet état de lieux n’as
pas pour mérite d’améliorer ni de faciliter la recherche des traducteurs.
La situation traductionnelle du NPT est relativement différente
de la restitution des N pr des TDH. Nous retenons trois cas : un cas de
recherche documentaire d’équivalence traductionnelle , consacrée par la
publication, donc un status quo de la créativité (similaire aux TDH) , un
autre où la créativité est sollicitée au quotidien des traducteu rs du NPT ,
et le troisième, celui de traduction dans la traduction . Dans un texte, on
évalue « ce qui peut être perçu », dans une traduction, « on peut évaluer
la matière sémantique du texte, son contenu sémantique dégagé de
l’interprétation » (Larose 1998 , 14 – l’auteur souligne). Dans une
traduction qui est déjà la traduction d’un texte, si l’on ne peut pas
trouver des versions traduites en langue -cible, on se confronte à la
difficulté de choisir le texte à partir duquel on procède à la traduction :
le TS (en anglais) ou le TC (un TS intermédiaire, car version française).
Révi ser et évaluer ces fragments, ce sont des tâche s bien compliquée s.
Ayant recours à la comparaison plurilingue ( un TS et deux TC ),
nous a vons pu remarquer l’ingéniosité –ou non – des t raducteurs
français et roumain s :

TS: […] but tell me your name and your business.’
‘My name is Alice, but –’
‘It’s a stupid name enough!’ Humpty Dumpty interrupted impatiently.
‘What does it mean?’
‘Must a name mean something?’Alice asked doubtfully.
‘Of course it must,’ Humpty Dumpty said with a short laugh: ‘ my name
means the shape I am – and a good handsome shape it is too. With a
name like yours, you might be any shape, almost’. (Through the Looking –
glass, Lewis Carroll [1871] 1964: 181)

TC (1)„Fai tes-moi plutôt connaître votre nom et le genre d’affaire
qui vous amène ici.”
„Mon nom est Alice , mais…”
„Que voilà donc un nom idiot! intervint avec impatience Heumpty
Deumpty . Qu’est -ce qu'il signifie?”
„Est-il absolument nécessaire qu’un nom signifie quelque chose?”
s’enquit, dubitative, Alice.

74
Evidemment que c’est nécessaire, répondit, avec un bref rire,
Heumpty Deumpty; mon nom à moi signifie cette forme qui est la
mienne, et qui est, du reste, une très belle forme. Avec un nom
comme le vôtre, vous p ourriez avoir à peu près n’importe quelle
forme. (Parisot: 151)

TC (2): Mai bine spune -mi care ți-e numele și ce treab ă ai pe -aici.
– Numele meu e Alisa , dar…
– E un nume destul de nerod – o întrerupse ner ăbdător Coco -Cocou . Ce
înseamnă?
– Oare un nume trebuie să însemne ceva? întreb ă cu îndoial ă Alisa.
– Firește că trebuie – spuse Coco -Cocou rîzîn d scurt. Numele meu
înseamnă forma mea – și e o form ă foarte bun ă și plăcută. Cu un nume
ca al tău poți să ai aproape orice form ă. Carroll/Papadache 1971: 109 –
110. NdT – A. P.]

Nous avons choisi cet exemple parce qu’il représente aussi bien
une synthèse d e la théorie des noms propres qu’une variété de
traductions possibles des Npr sémantique s et asémantique s. Il est certes
que l’informatique ne nous a pas aidés à trouver les équivalences
traductionnelles publiées, cependant elle nous a permis d’autres
confrontations qui nous ont convaincus que les choix faits ne sont pas
douteux .
Le second exemple de restitu tion de Npr exige que la créativité
s’oppose au status quo et qu’elle soit manifeste :

TS: There was a Young Lady of Portugal ,
Whose ideas were excessi vely nautical ; […]
But declared she would never leave Portugal . (Lear 1974: 150)

TC (1): Il était une jeune dame, à Saint -Hilaire ,
Qui s’intéressait fort aux choses de la mer;[…]
Mais déclarait vouloir rester à Saint -Hilaire . (Parisot 1974: 150)

TC (2): A fost odat ă o tânără domniță din Portugalia
Căreia tare îi pl ăcea cu marea a se alia ; […]
Dar spunea c ă vrea mereu s ă stea în Portugalia . (NdT – A.Po.)

Les remarques que Michel Ballard fait à partir de ce type de
traduction sont toujours pertinent es et, nous ne po uvons faire autrement
que y renvoyer (2001, 2011).

75
5. La méthodologie d’évaluation de la traduction

L’évaluation de la traduction se réalise au moins à deux degrés,
les deux liés à la finalité des textes à traduire et traduits (cf. Reiss) :
révision et con trôle de qualité (Larose 1998, 16) . En milieu
professionnel, par exemple, la méthodologie de l’évaluation traductive
est assujettie au critère de productivité (Larose 1998, 2). Nous récusons
ce critère selon lequel la priorité du fond sur la forme est une garantie de
qualité. Dans la traduction à l’université, la méthodologie de
l’évaluation est fondée sur le critère de qualité, exigeant aussi bien de
l’exactitude sémantique (transfert) que de la qualité de la réexpression
en langue -cible. C’est la raison p our laquelle nous avons opté pour l a
révision et non pas pour le contrôle de qualité (plus rapide, centré sur le
message et sur la communicabilité pragmalinguistique, appliqué e aux
textes destinés à un usage limité). Des exigences caractéristique s au
milie u professionnel nous en avons préservé les principes de produire
une traduction sans fautes, dont la présentation est conforme à
l’original, et de respecter les délais.
Lors de la révision (que nous distinguons de l’évaluation , car elle
intervient au stade de produit semi fini ) nous avons pu constater que la
qualité des textes traduits était variable et, par conséquent, réclamer leur
amélioration . Nous avons reçu des textes révisables (un défaut grave, de
13 à 18 erreurs mineures), mais aussi des fragments pleinement
acceptables (zéro défaut grave, 7 à 12 erreurs mineures)13 qui nous ont
sensiblement facilité la tâche. Ensuite, nous avons sollicité une révision
linguistique en langue -cible (le roumain, en l’occurrence), pour revenir
ensuite sur l’ensemble du texte et revoir la terminologie, l’uniformiser et
respecter l’authenticité de l’auteur. Ce n’est qu’après avoir conclu toutes
ces révisions que nous avons procédé à l’évaluation à plusieurs niveaux :
linguistique, traductologique, terminologique, etc.
La q ualité de la traduction des TDH et du NPT découle de la
fidélité à l’original , de la simplicité et de la clarté de la réexpression
assurée par les tours naturels, la cohérence terminologique, la correction
grammaticale. Nous n’avons pas envisagé de traduir e de manière
instrumentaliste, mettant l’accent sur la communicabilité, bien que
l’insertion des équivalents roumains et des citations restituées dans la
version roumaine puisse créer l’impression que nous manipulons le texte
à traduire, notamment le NPT, pour faciliter l’accès au texte. Nous
considérons qu’il s’agit moins d’une acclimatation ou d’une
naturalisation que d’un élargissement des catégories de public visé et,
surtout, une manière d’offrir des modèles contextuels d’envisager la
traduction du tex te de spécialité et la traduction des Npr.

13 Nous empruntons cette classificat ion des textes traduits à R. Larose (1998, 17).

76
Conclusion

Nous avons insisté sur cette description des projets auxquels ont
participé les étudiants en traduction (master et doctorat), non pas pour
souligner le rôle de l’enseignant dans ces travaux dirigés, m ais pour
accentuer le poids que la pratique de traduction est susceptible d’avoir
sur leur formation à la traduction. Grâce à un tel exercice traductionnel ,
les traducteurs débutants se rendent compte de l’utilité de la re –
contextualisation (notamment, dans la traduction du livre Le Nom propre
en traduction ), du respect de la langue, du registre (Les Traducteurs dans
l’histoire ) et du genre, sans qu’ils ignorent le public -cible (l’insertion des
versions roumaines , dans le NPT, correspondant aux exemples fran çais
et anglais, le prouve et élargit les catégories potentielles du public visé).
Nous avons sensibilisé et encouragé certains des étudiants à rédiger des
commentaires de traduction qu’ils ont développés dans leurs mémoires
de licence ou de dissertation, mettant à profit l’évaluation formative et
l’autoévaluation sommative, introspective et argumentée. La réussite de
ces projets n’est pas due à un côté novateur de la méthode d’enseigner la
traduction et de concevoir la méthodologie de la traduction et de l a
traductologie ; elle découle tout simplement de l’imbrication des facteurs
situationnels simulant l’activité de traduction authentique et
l’environnement informatique et électronique, et des outils de traduction
en ligne, de l’exploit des fichiers de cor rection, de l’espace « forum » qui
a permis des débats sur les solutions de traduction à choisir. Nous
considérons que, par ces expériences traductionnelles authentiques,
nous avons réussi à éveiller chez les apprentis traducteurs la prise de
conscience qu e la réflex ion sur la traduction et l’auto évaluation
représentent non seulement des outils de traduction, mais notamment
une manière de légitimer leur travail et de se légitimer en tant que
traducteurs.

Annexe 1 : De différentes erreurs de traduction (TDH ). Des sens altérés :

A. Equivalence sémantique impropre

TS: Impact d’une pensée traduite en Chine
TC: Impactul unei idei traduse în China [« idée »]

B. Faux sens, issu d’une méconnaissance lexicale :

TS: Oui, à condition aussi qu’on n’en reste pas à une prospective,
préliminaire d’une appropriation pure et simple, d’une conversion qui
reviendrait au même.
TC: Da, de asemenea cu condi ția de a nu s ă nu se reduc ă la o cercetare ,
preliminar ă unei simple însu șiri, convertiri care ar duce la acela și lucru. [Da, de

77
asemenea cu condi ția de a nu se reduce la o anticipare , preludiu al unei banale
apropieri, al unei convertiri care ar duce la aceea și asimilare]

TS: Augustin […] s’était opposé à toute traduction en latin des textes
canoniques, sinon sous forme d’édition s critiques signalant les écarts entre la
version de la Septante et l’hébreu.
TC: Augustin […] se opunea oric ărei traduceri în latin ă a textelor
canonice, prin intermediul unor ediții critice care semnalau diferen țele dintre
versiunea Septuagintei și cea e braică.

C. Des contresens:

TS: Malgré ses répétitions et ses imperfections (littéralisme excessif),
cette première traduction intégrale [de la Bible] n’en a pas moins jeté les fondements
de la langue biblique anglaise et contribué au développement de la pro se.
TC: În ciuda repeti țiilor și a imperfec țiunilor (literalism excesiv),
această primă traducere integral ă a nu a înlăturat mai pu țin fundamentele limbii
engleze biblice și a contribuit mai pu țin la dezvoltarea prozei. [Correct en
roumain: a stabilit/pus bazele]

TS: La multiplication des traductions religieuses à l’époque médiévale
est attribuable à l’apparition d’une nouvelle classe de lecteurs […], composée en
majeure partie de religieuses ou de laïques pieuses .
TC: Înmul țirea traducerilor religioase me dievale s -ar fi datorat apari ției
unei noi categorii de cititori, […], compuse în cea mai mare parte din religioși
sau din laici pioși [religieux, laïcs pieux]

TS: Les révisions ultérieures de la Bible reprirent la formule du travail
en équipe. La premièr e en date fut celle qui aboutit à la « Version révisée »
TC: Revizuirile anterioare ale Bibliei au reluat formula muncii în echip ă.
Prima vizată a fost cea care a condus la „Versiunea revizuit ă” (Noul Testament
1881; Vechiul Testament 1884). [la modulation oblige! La restitution correct e en
roumain: Prima revizuire , cronologic vorbind ]

D. Réagencement syntaxique maladroit :

TS : Modeste sans doute , ce mouvement de traduction témoigne
néanmoins d’un intérêt certain et d’une volonté d’aller au -delà des légende s et
des préjugés populaires
TC : Fără îndoială, această mișcare de traducere modestă dovedește
totuși un anumit interes și o voință de a merge dincolo de legende și de
prejudecățile populare. [ Fără îndoială modestă, această mișcare de traducere]

E. Rapports déterminants déterminés impropre q ui produisent des non -sens :

TS : Mais son activité de traducteur, soutenue par ses éditions, de Racine entre
autres, et par ses propres œuvres , notamment L’Histoire du Prince de Condé (1693),

78
n’a pas été à sens unique : il introduisit en Angleterre Monta igne, La Bruyère et
La Fontaine.
TC: În ceea ce prive ște activitatea sa de traduc ător însă, bazată pe
traducerile sale din Racine printre al ții dar și pe propriile sale lucr ări, îndeosebi
L’Histoire du Prince de Condé (Povestea Prin țului de Condé , 1693), putem afirma c ă
aceasta nu s -a desfășurat în sens unic : el l-a introdus în Anglia pe Montaigne,
pe La Bruyère și pe La Fontaine. [non pas l’équivalent du COD le, mais du les
correct: i-a]

TS: Au-delà de ce qu’en disent Vian, Queneau et Pilotin, en quoi consiste
la modernité de la SF américaine?
TC: Mai presu s de ce se spune despre Vian, Queneau și Pilotin, în ce
constă modernitatea SF -ului american? [correct en roumain : Dincolo de ceea
ce afirma – despre acest lucru – Vian]

TS: Par-delà les décideurs ( commanditaires , éditeurs, etc.), […], il brouille
les c artes, en l’occurrence ces cultures , ces valeurs, celles de l’autre comme les
siennes propres qu’on voudrait délimitées, alors qu’elles sont fluides,
mouvantes.
TC: În afară de cei care decid ( comanditarii , editorii etc.), […], el creeaz ă
confuzie în împre jurarea în care aceste culturi, aceste valori, cele ale altuia ca și
ale sale, pe care am vrea s ă le delimit ăm, sunt fluide, dinamice.

TS : Pendant près d’une cinquantaine d’années , jusqu’en 1830 environ, le
genre va à la fois s’imposer sur le marché fran çais de la librairie et marquer
durablement l’esthétique romanesque.
TC: În aproape cei cincizeci de ani, până în jurul anului 1830, genul se va
impune simultan pe piața francez ă a librăriilor și va marca în mod durabil
estetica romanului [Mai bine de cin cizeci de ani, pân ă în jurul anului 1830,
genul s -a impus pe pia ța francez ă a librăriilor și a marcat vreme îndelungat ă
estetica romanului]

F. Méconnaissance de la référence culturelle et ses effets sur le TC ( entropie s
sémantique, informationnelle et styli stique ) :

TS : Dans la SF, on retrouve le même « esprit de la frontière » que chez
les Pères fondateurs, mais cette fois ce n’est pas l’inconnu situé au-delà des
montagnes de l’Ouest,
TC: În SF, reg ăsim acela și „spirit de frontier ă” ca și la fondatori , dar de
această dată nu mai este necunoscutul situat deasupra munților din vest

79
Annexe 2 : Tableau comparatif des index TDH français et TII roumain .

Index TDH Index TII
ALONPHOSE X, LE SAGE,
ALPHRED LE GRAND,
AULU – GELLE,

BARTHELEMY L’ANGLAIS,

BÈDE L e VENERABLE,
BOCCACE,
BOURGOGNE, duchesse
CHARLES LE CHAUVE, ALONSO X, CEL ÎN ȚELEPT, xxvi,
131, 132, 134, 152 -154, 174
ALFRED CEL MARE, 23 -25, 33, 153,
AULUS GELLIUS, 263, 291,
BALBI(US), Giovanni, 255, 256, 266,
267
BALBUS, Johanes,
v. BALBI(US), Giovanni
BARTHOLOMEUS ANGLICUS
(BARTOLOMEU ENGLEZUL), 266,
BEDA VENERABILUL, 23, 24, 99
BOCCACCIO, Giovanni, 26, 69, 153,
275
BURGUNDIA, Margareta duces ă de,
172,
CAROL CEL PLE ȘUV, 63, 152
CATON L’ANCIEN,
CATULLE,
CYRILLE, saint,
CLÉMENT D’OKHRIDE,
DAMAS E Ier, pape,
DÉMÉTRIOS DE PHALÈRE,
ÉRASME DIDIER, CATO CEL B ĂTRÂN, 174, 263,
CATULLUS, 75,
CHIRIL, sfânt, 2, 9 -12, 17, 20, 330
CLEMENT din OHRIDA, 10, 12, 330
DAMASUS I, pap ă, 172, 192
DEMETRIOS DIN FALER, 183
ERASMUS, Didier,
v. ERASMUS din Rotterd am
ERASMUS din Rotterdam, 29, 31, 38,
43, 159, 170, 192, 195, 329
PHÔTIOS
v. PHOTHIUS, patriarche
PHOTHIUS, patriarche
GERMAIN, Dominique
HYERONIMUS
v. JERÔME, saint
HOUTSPITH HAMETOUGUEMANE
JEAN LE BON
JEAN DE SÉVILLE
JONAS
JOSEPH, personnage bibliqu e
ISIDORE DE SÉVILLE
JUDE, saint FOTIE, patriarh
v. PHOTIUS, patriarh

GERMANUS, Dominicus, 223
HIERONIMUS,
v. IERONIM, sfânt
HUTZPIT HAMETURGUEMAN, 300,
326
IOAN II CEL BUN, rege, 34, 35, 273
JUAN DIN SEVILIA
IONA, 187
IOSIF, personaj biblic, 76
ISIDOR DIN SEVILLA, 265
IUDA, sfânt, 5
JUSTIN, saint
JUVENAL […]
KUBLA KHAN
LOBO JÉRÔME
MARGUERITE DE NAVARRE
MACHTOTS, Mesrop
MÉTHODE, saint
MÖNGKE, grand khan IUSTIN, sfânt, 189
IUVENAL, 270 […]
KUBILAI, han, 301
LOBO, Ieronimo, 270
MARGARETA DE NAVARRE, 160
MAȘDOȚ, Mesrop [Mesrob], xv, 2, 5 -8,
METODIU, sfânt, 9 -12, 20, 330
MONGU, mare han, 301,

80
NOTKER LABEO
v. NOTKER L’ALLEMAND,
NOTKER L’ALLEMAN D
NOTKER II I
v. NOTKER L’ALLEMAND
PAMMAQUE, sénateur
PIC DE LA MIRANDOLE
SÉRAPION, Le Jeune, Jean

ULFILA, ULFI LAS, ULPHILAS, 16
WULFILA, 2 -4, 9, 11, 16, 95, 181
VIRGILE
VRAM -CHAPOUH, roi, 5, 8, 318 NOTKER III,
v. NOTKER TEUTONICUS

PAMMACHIUS, senator, 191,
PICO DELLA MIRANDOLA, 249, 250
SERAPION, Junior, Johannes,
v. YAHYÂ IBN SARAFIYUN
ULFILA, 2 -4, 10, 12, 17, 99, 189

VERGILIUS
VRAMSABUH, rege, 5, 8, 329

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83

Cartographie de l’avant -traduire : idées reçues sur la traduction

Isabelle COLLOMBAT
Centre interdisciplinaire de rech erche sur les activités langagières
(CIRAL)
Département de langues, linguistique et traduction
Université Laval, Québec
Canada
Résumé : Dans le présent article, nous nous proposons de dresser un panorama
des principales idées reçues sur la traduction qui p euvent être ancrées chez les
nouveaux admis dans les programmes de traduction. Nous fondons notre
réflexion sur un sondage mené auprès d’étudiants de premier et deuxième
cycles en traduction de l’Université Laval (environ 220 répondants). Notre
propos est de montrer que, la plupart de ces idées reçues allant à l’encontre de
la réalité du métier de traducteur, il est indispensable que les enseignants en
tiennent compte dans leur approche pédagogique initiale afin de favoriser
l’apprentissage des futurs tradu cteurs.

Mots -clés : Idées reçues sur la traduction; didactique de la traduction

Abstract : This paper proposes an overview of the main preconceived ideas on
translation which may be widespread among incoming first -year students in
translation curriculums. These reflections are based on a survey of a total of 220
undergraduate and graduate translation students in Université Laval and intend
to show that, as most of these common ideas go against the realities of the
profession, teachers should take these bia ses into account in their initial
instructional approaches in order to successfully foster future translators
learning.

Keywords : Common ideas on translation; translation didactics
Il est communément admis que la traduction est essentiellement
une activit é de résolution de problèmes (voir notamment Kaiser -Cooke
1994, 137 et Wilss 1996, 46) et qu’à ce titre, l’acquisition par l’apprenti
traducteur d’une méthodologie de résolution de problèmes doit être au
cœur de la didactique de la traduction ; toutefois, cette optique
s’applique généralement soit aux processus précédant immédiatement la
traduction même – collecte d’indices visant à déterminer le postulat
traductif en fonction des paramètres textuels et paratextuels – soit à
l’acte même de traduire, et conc erne la résolution des problèmes de
traduction propres à un mandat donné au moment où ils se présentent.

84
Si ces éléments de méthodologie préparatoire à la traduction sont
intégrés dans la démarche adopté par certains manuels de traduction – La
traduction r aisonnée de Jean Delisle ou Initiation à la traduction générale , de
Maurice Rouleau, par exemple –, ils sont par contre absents d’autres
manuels, qui se concentrent davantage sur les aspects linguistiques du
passage de l’anglais au français – La pratique d e la traduction d’anglais en
français , de René Meertens, ou encore La traduction de l’anglais au français ,
de Michel Ballard. En revanche, il est un ouvrage exclusivement consacré
aux questions tant cognitives que méthodologiques de l’avant -traduire et
qui, ce faisant, marque un tournant important dans l’approche de l’acte de
traduire et ses implications didactiques : il s’agit de Lire pour traduire , de
Freddie Plassard, qui part du constat « d’une incapacité à traduire faute
d’avoir su lire » (2007, 13).
Si cette démarche est fondamentale, elle doit aussi à notre avis
être complétée par l’acquisition de compétences située en amont de
l’activité de traduction elle -même, que nous décrirons ici sous la forme
d’une cartographie de l’avant -traduire englobant tro is principaux aspects
préalables, sur lesquels se sont déjà penchés des didacticiens de la
traduction comme Christine Durieux (1995) Jean Delisle (2005) et
Daniel Gile (2005), notamment. Ces préalables sont indispensables à la
réalisation optimale d’un man dat de traduction : il s’agit de la
consolidation des compétences langagières, de la consolidation de la
culture générale (compléments cognitifs) et de l’acquisition d’une
posture de traduction fondée sur ce que nous nommerons « empathie
rationnelle » (voi r Collombat 2010), en vertu de laquelle le traducteur
effectuera de manière rationnelle et objective une « mise en contexte,
voire […] un conditionnement, […] afin d’analyser les indices dont il
dispose sur le texte et la situation de communication dans la quelle celui –
ci s’incorpore, et ce, de manière à restituer dans la langue d’arrivée un
texte présentant une équivalence fonctionnelle avec le texte d’origine »
(Collombat 2010, 58).
Nous nous attarderons toutefois ici à l’avant -avant -traduire, en
nous penc hant sur un travail en amont essentiel à l’acquisition de trois
compétences et habiletés que nous venons de nommer – qui peut
s’effectuer d’ailleurs simultanément ou préalablement –, un travail sur
les idées reçues que les apprenants peuvent avoir sur la p ratique de la
traduction avant de commencer leur formation, et qui peuvent parfois
nuire à leur apprentissage car elles créent parfois des attentes qui
diffèrent de la réalité.
En effet, si des auteurs de plus en plus nombreux soulignent, par
exemple, l’im portance de la consolidation des compétences langagières –
tout en différenciant les compétences requises dans la langue de départ et

85
dans la langue d’arrivée14 –, la perception qu’ont les apprenants débutants
de leurs propres compétences langagières peut s ingulièrement différer des
compétences de départ réellement indispensables, d’où le risque d’un
hiatus potentiel entre leurs attentes, leurs prédispositions et l’arsenal
didactique mis en œuvre dans leur formation par les enseignants.

Les idées reçues sur la traduction

Activité aussi invisible qu’universelle, la traduction fait l’objet
d’un certain nombre d’idées reçues de la part du public, à la
contamination desquelles n’échappent pas les aspirants au métier de
traducteur et qui les hantent souvent lors qu’ils parviennent dans
l’antichambre de leur formation professionnelle.
Les enseignants œuvrant dans les cours de première année – plus
spécifiquement de première session – sont particulièrement conscients
de la nécessité de combattre certaines idées reçu es allant à l’encontre de
la réalité. Ce travail sur les préjugés prévalant à l’égard de la traduction
est en effet une condition préalable indispensable à l’instauration d’un
état d’esprit favorable à l’apprentissage : en effet, certaines idées reçues
vont à l’encontre de la méthodologie de résolution de problèmes
traductionnels, et il est essentiel de les vaincre pour favoriser
l’acquisition de bons réflexes.
Pour documenter notre réflexion, nous avons adressé aux
étudiants de traduction de l’Université L aval un sondage visant à dresser
un portrait de la perception qu’ils avaient de l’activité de traduction
avant le début de leur formation. Sur les 313 destinataires du courriel
d’invitation à participer (236 étudiants de premier cycle et 77 étudiants
de de uxième cycle), 160 étudiants ont répondu au sondage, soit un peu
plus de la moitié (51 %) : nous considérons ce taux de réponse très
satisfaisant, car la liste d’envoi comprend des étudiants dont le dossier
n’est pas actif (mais pas fermé), qui peuvent se sentir moins concernés.
À la session d’hiver 201115, 195 étudiants de premier cycle étaient
effectivement inscrits, et environ 25 étudiants de maîtrise, pour un total
d’étudiants actifs d’environ 220, ce qui porte le taux effectif de
participation à plus de 70 %.
Ce sondage comprenait les questions suivantes, auxquelles
s’ajoutait une question sur la répartition des répondants par
programme :

14 Voir notamment Durieux (1995, 15 -24)
15 En Amérique du Nord, une session s’étend sur quinze semaines : la session d’automne
couvre les mois de septembre à décemb re, et la session d’hiver, les mois de janvier à
avril.

86
Avant de commen cer ma formation en traduction,

1. je pensais qu’il suffisait d’être bilingue (ou trilingue) pour être
traducteur.
2. je lisais surtout en anglais ou dans une langue autre que ma langue
maternelle.
3. je pensais que le dictionnaire bilingue allait être mon meilleur ami.
4. je pensais que la traduction était essentiellement un travail solitaire.
5. je pensais que tradui re était facile.
6. je me croyais meilleur(e) en français que je ne le pense aujourd’hui.
7. je ne pensais pas que les recherches documentaires et
terminologiques allaient prendre autant de temps dans le processus
de traduction.
8. je ne pensais pas devoir passer a utant de temps à vérifier des mots
dans des dictionnaires unilingues.
9. je ne pensais pas devoir me soucier d’autant de détails, tels que les
majuscules et les guillemets.
10. je pensais qu’il n’existait qu’une seule bonne traduction pour un
texte donné.
11. je ne p ensais pas que j’allais commettre autant d’erreurs dans mon
premier devoir.
12. je ne pensais pas devoir travailler à partir de mes erreurs.
13. je ne pensais pas qu’il y avait autant de différences entre l’anglais et
le français.

Résultats du sondage

87
À la prem ière question, la majorité des répondants (64,4 %)
répondent par la négative ; ce sont essentiellement (67 %) des étudiants
de deuxième année ou plus (tous cycles confondus), et l’on peut se
demander s’ils n’auraient pas oublié leur perception initiale.
Il reste que plus du tiers des sondés déclarent avoir pensé, au
début de leur formation, que le bilinguisme était nécessaire pour être
traducteur. Ces répondants sont majoritairement des étudiants de
premier cycle (89,6 %) : les étudiants de deuxième cycle ont peut -être,
même les débutants, davantage de recul et de réflexion par rapport à la
traduction, même avant de commencer leur formation.
Il est essentiel de combattre ce préjugé sur les compétences
linguistiques de base, car il est clairement établi, par mi les didacticiens
de la traduction, que les compétences linguistiques doivent être
clairement différenciées, voire opposées : « Si la connaissance de la
langue étrangère de départ peut se limiter à conférer une compétence de
compréhension, la connaissanc e de la langue d’arrivée doit au contraire
permettre une performance de production » (Durieux 1995, 18). Les
enseignants, qui peuvent avoir une vision très claire des prérequis
linguistiques des apprentis traducteurs et les prendre pour acquises,
doivent a insi avoir conscience de l’écart qui peut exister entre leur
perception documentée et la perception intuitive des apprenants, et
travailler à leur faire prendre conscience de cette caractéristique du
potentiel de départ des traducteurs.

60,6 %

88
À la question sur la langue habituelle de lecture avant le début de la
formation, 39,4 % des répondants affirment qu’ils lisaient surtout dans
une autre langue, et 60,6 % déclarent qu’ils lisaient surtout en français.
Les recoupements avec d’autres questions ne donnent aucun
résultat probant, sauf pour la question relative à la perception des
compétences langagières en français, où 47,6 % de ceux qui ont déclaré
qu’ils lisaient surtout dans la langue de départ (soit à peine la moitié)
affirment qu’ils se pensaient meille urs en français qu’ils ne le sont.
Si la majorité répond par la négative, on note tout de même que
près de 40 % des futurs apprentis traducteurs songent avant tout à la
langue de départ, ce que reflètent d’ailleurs les inquiétudes qui se
manifestent dans l es questions posées par les candidats à l’admission : peu
ont en effet conscience des différences entre les compétences requises dans
la langue de départ (compétence « passive ») et dans la langue d’arrivée
(compétence « active »). Cette proportion est suf fisamment significative
pour qu’un travail sur cette idée reçue soit fait en incitant les étudiants à
perfectionner leurs compétences dans la langue d’arrivée. À noter que
dans de nombreuses universités, en Europe comme en Amérique du
Nord, les études en t raduction sont rattachées aux études portant sur la
langue de départ, sans doute dans une perspective « sourcière ». Cela
étant, il semble pertinent (surtout dans un contexte de variation
diatopique comme au Québec) de les rattacher à la langue d’arrivée.

89
Une majorité de répondants (63,5 %) affirme qu’ils croyaient que
le dictionnaire bilingue allait constituer leur principale référence lors de
leur formation en traduction.
Derrière cette perception transparaît la croyance selon laquelle
un traducteur tr aduit des mots et que son travail se résume à substituer
des mots à d’autres : cette croyance se reflète dans la difficulté
qu’éprouvent parfois les débutants à comprendre l’utilité des recherches
lexicographiques (ils s’arrêtent parfois à la première acce ption d’un mot
dans les dictionnaires unilingues), terminologiques ou documentaires.
Prendre en compte ce préjugé pour le combattre est fondamental pour
que les apprenants passent du mot à la définition de celui -ci et au
concept s’y rattachant et qu’ils pr ogressent dans leur perception même
de ce que signifie « comprendre un texte ».
Fait intéressant, ceux qui ont déclaré qu’ils pensaient que le
dictionnaire bilingue serait leur plus fidèle compagnon ont également
affirmé massivement qu’ils ne pensaient pas que les recherches
documentaires et terminologiques prendraient autant de place (90,6 %)
et qu’ils devraient passer autant de temps dans les dictionnaires
unilingues (86,8 %), ce qui corrobore leur perception « linguistique » de
la traduction. Le travail sur cette idée reçue est donc fondamental pour
poser les assises de la méthodologie de recherche en traduction,
prémisse à une méthodologie globale de résolution de problèmes en
traduction fondée sur les processus cognitifs et communicationnels à
l’œuvre, plutôt que sur du transcodage mot à mot.

90
Près de 90 % des répondants ont répondu qu’avant leur
formation, ils avaient de la traduction l’image d’un travail solitaire ; la
proportion est d’ailleurs plus forte parmi les étudiants de premier cycle
que parmi les étudiants de deuxième cycle (près de 75 % au cycle).
Cette idée reçue peut constituer un obstacle considérable à
l’intégration sur le marché du travail, comme l’indique une analyse
sommaire des exigences décrites dans les offres d’emploi en traduction ,
où figurent aujourd’hui systématiquement des mentions comme
« capacité à travailler en équipe », « compétences en encadrement »,
« leadership » ou « être doué pour la communication interpersonnelle ».
Cette exigence est évidemment liée à la réalisation d e mandats de
traduction parfois volumineux dans des délais très courts, mandats qui
seraient impossibles à effectuer par un seul traducteur. Il importe donc
non seulement de combattre ce préjugé, mais également d’adopter des
stratégies pédagogiques permett ant aux apprenants d’apprivoiser le
travail en équipe, ce qui peut se faire par la réalisation de travaux
d’équipe et la valorisation de l’apprentissage par les pairs. Pour que cette
stratégie soit gagnante, il faut que le contexte de réalisation de ces
travaux soit bien structuré afin que les apprentis traducteurs acquièrent
les compétences transversales nécessaires. Pour ce faire, plusieurs
enseignants utilisent une grille d’évaluation par les pairs comportant dix
critères liés à l’attitude et à la partic ipation de chaque coéquipier
clairement énoncés correspondant à des objectifs. Pour renforcer la
motivation, cette évaluation par les pairs compte pour 5 à 10 % de la
note finale de la session.
Toutefois, l’aptitude au travail en équipe ne doit pas masquer un
autre critère très souvent énoncé par les employeurs, soit l’autonomie : il
convient donc de différencier ces deux aspects, de manière à ce que les
apprenants soient totalement autonomes dans leur méthodologie de
résolution de problèmes, mais qu’ils sa chent également collaborer à un
projet collectif.

91

Si les deux tiers des répondants affirment ne pas avoir
commencé leur formation en pensant que traduire était facile, un tiers
répondent tout de même par l’affirmative à cette question : cette
perception initiale peut conduire, de la part des apprenants concernés, à
un plus grand découragement face à l’ampleur de la tâche, s’ils
s’attendaient à ce que celle -ci soit « facile ». Ce découragement peut
nuire à la motivation et, partant, à l’acquisition d’une m éthodologie
solide de résolution des problèmes.
On note d’ailleurs que près de 80 % de ceux qui croyaient que
traduire était facile pensaient également que le dictionnaire bilingue allait
être leur meilleur ami et qu’ils étaient également près de 90 % à so us-
estimer l’importance des recherches documentaires, terminologiques et
lexicographiques. Ces aspirants traducteurs semblent donc considérer la
traduction essentiellement comme une opération de transcodage
(remplacement d’un mot par un autre) : en somme, la marche est plus
haute pour ceux qui ont une vision linguistique de la traduction et n’y
intègrent pas d’éléments conceptuels ou cognitifs dès le départ.

92

À cette question, 58,1 % des répondants affirment qu’ils
surestimaient leur compétence en français avant le début de leur
formation; près de 83 % de ceux -ci ne s’attendaient d’ailleurs pas à
commettre autant d’erreurs dans leur premier devoir noté, mais 62 %
étaient conscients des différences entre le français et l’anglais, ce qui
tendrait à montrer qu e leur perception de leur compétence en français
était fondée sur un sentiment de la langue déjà affirmé.

De fait, les futurs langagiers, qui ont souvent en début de
formation un niveau en français considéré comme supérieur à la
moyenne16, n’imaginent pas toujours que l’acquisition d’une
compétence langagière de calibre professionnel suppose souvent la
remise en question d’habitudes acquises dans la pratique langagière
courante. Par ailleurs, les questions touchant à la langue – véhicule
d’expression de la pensée – sont souvent délicates, car dans l’esprit de
beaucoup, corriger la langue, c’est corriger la personne. Une mise en
confiance initiale est donc fondamentale au dépassement des
compétences personnelles pour parvenir à une compétence
professionnelle. Paradoxalement, les débutants peuvent, après avoir
surestimé leurs compétences langagières dans leur langue maternelle,
pécher par manque de confiance et être victimes d’un doute chronique.

16 L’admission dans les programmes de traduction est généralement conditionnelle à la
réussite d’un test d’aptitude, de sorte que les candidats acceptés ont déjà été l’objet d’une
sélection.

93
Il est fondamental de rééquilibrer rapidement cette attitude, de manière
à instaurer une attitude de « doute méthodique » (Delisle 2003, 124)
proactif et non inhibiteur. Nous avions déjà abordé ce point dans un
article précédent (Collombat 2009), où nous expliquions que le manque
de confiance en soi pouvait nuire non se ulement à l’apprentissage, mais
à la production des traductions elles -mêmes, en conduisant notamment
l’apprenti traducteur à se réfugier à l’excès dans les aspects linguistiques
de la traduction et surtout, à se cantonner au mot à mot.

À la question port ant sur les recherches terminologiques et
documentaires, 85% des répondants ont répondu qu’ils en sous –
estimaient le volume et l’importance. À noter que près des trois quarts
d’entre eux pensaient pouvoir se fier essentiellement au dictionnaire
bilingue, c e qui rejoint les observations faites précédemment.

94

De même, 76,9 % des répondants affirment qu’ils ne pensaient
pas devoir passer autant de temps dans les dictionnaires unilingues ; les
trois quarts d’entre eux pensaient aussi pouvoir se fier au dictio nnaire
bilingue, ce qui est congruent. Près de 62 % de ces répondants déclarent
également avoir surestimé leurs compétences en français, et près de 92
% ne pensaient pas que les recherches terminologiques et documentaires
allaient leur prendre autant de te mps : il ressort de ce constat que les
aspirants traducteurs surestiment largement leurs « dictionnaire et
encyclopédie personnels », ainsi que l’importance d’acquérir une
méthodologie objective et raisonnée de résolution des problèmes de
traduction. Il se ra donc essentiel que les enseignants travaillent sur cette
perception, car l’on pourrait déduire de ces idées reçues que les
apprentis traducteurs débutants pourraient sous -estimer le volume de
travail nécessaire à l’acquisition des compétences qu’on atte nd d’eux.

95

Près des deux tiers des aspirants traducteurs ne pensaient pas que
les détails des productions textuelles (normes typographiques, présentation
matérielle) prendraient autant de place dans leur apprentissage ; plus de
80 % de ceux -ci ne pensai ent d’ailleurs pas commettre autant d’erreurs dans
leur premier travail, ce qui est logique car le barème de notation comprend
des points négatifs pour toute erreur de présentation, et il est courant que
dans leurs premiers travaux, les étudiants ne pensen t pas à valider leurs
choix typographiques et autres dans les ouvrages de référence – ils n’ont de
fait généralement pas conscience des différences existant sur ce point entre
le français et l’anglais.

96

Près de 90 % des répondants affirment ne pas avoir pensé avant
de commencer leur formation qu’il n’existait qu’une seule bonne
traduction d’un texte donné, ce qui est plutôt encourageant : il importe
de convaincre les 10 % restants d’acquérir le jugement nécessaire pour
nuancer leur approche. À noter que c eux qui pensaient qu’il n’existait
qu’une bonne traduction étaient à plus de 83 % persuadés que le
dictionnaire bilingue serait leur outil de travail, ce qui est cohérent, dans
la mesure où les dictionnaires bilingues tendent à donner une
correspondance un ique et bijective entre les mots. On en revient à la
perception linguistique de l’acte de traduction, et à la question piège
souvent posée par les béotiens : « toi qui es traducteur, que veut dire
“switch“? », question à laquelle tout bon traducteur, fût -il débutant,
répond par deux autres : « Dans quel phrase? Dans quel contexte? ».

97

Fait essentiel, 78,1 % des répondants affirment ne pas s’être
attendus à commettre autant d’erreurs dans leur premier travail noté, ce
qui signifie qu’ils s’attendaient à un e meilleure note. La déception face à
la note peut entraîner du découragement, aussi faut -il l’intégrer dans la
démarche pédagogique et prévenir en tout début de formation les
étudiants de ce choc potentiel, en particulier en jetant les bases
d’une « didac tique de l’erreur17 ».
Ce qui est étonnant, c’est que 68,8 % de ceux qui ne pensaient
pas commettre autant d’erreurs la première fois ne s’attendaient pas à
devoir travailler à partir de leurs erreurs : ils considéraient donc
majoritairement la correction d es erreurs comme un processus terminal,
non comme un « diagnostic » leur permettant, avec l’aide de
l’enseignant, d’améliorer leur méthodologie. Il importe donc de les aider
à se responsabiliser dans leur processus d’apprentissage, et de ne pas
considérer la sanction d’une erreur comme purement sommative, mais
également comme l’amorce d’un processus formatif.

17 Sur la d idactique de l’erreur en traduction , voir Collombat 2009.

98

À la question portant sur l’utilisation didactique des erreurs, 61,1
% des répondants affirment qu’ils ne pensaient pas devoir travailler à
partir d e leurs erreurs, soit moins que le sous -groupe de ceux qui ne
s’attendaient pas à en commettre autant.
En pédagogie socioconstructiviste, le travail sur l’erreur est
fondamental pour permettre l’acquisition d’une méthodologie de
résolution de problèmes qui soit différenciée selon les apprenants : en
traduction, il importe de combattre l’idée selon laquelle l’apprenant peut
apprendre par cœur des « recettes » (ou des équivalents mot à mot), en
l’amenant à raisonner en terme de méthodologie de résolution de
problèmes. Le travail sur l’erreur et la fonction diagnostique de celle -ci
sont donc à privilégier pour favoriser l’inférence et la réflexion.

99

Fait notable pour des apprentis traducteurs formés à la
traduction de l’anglais vers le français, 37,5 % ne pens aient pas que ces
deux langues présentaient autant de différences ; cette proportion
justifie, en plus de l’apprentissage d’une méthodologie de résolution de
problèmes, l’acquisition de notions de grammaire et stylistique
différentielles, essentielle surto ut dans des pays en situation de contact
linguistique comme le Canada.
Ces répondants pensaient également à 45 % que traduire était
facile – ce qui représente une proportion plus importante que chez
l’ensemble des répondants – et à presque 75 % que le dict ionnaire
bilingue serait leur outil favori – proportion également plus importante
que chez l’ensemble des répondants. Ils sont également plus nombreux à
s’avouer surpris de l’importance des recherches documentaires,
terminologiques et lexicographiques.

Conclusion

Formaliser les préjugés des aspirants traducteurs et les vaincre
est essentiel à l’acquisition et à l’application subséquente d’une
méthodologie de résolution de problèmes adaptée aux problèmes de
traduction; le travail sur les idées reçues crée ainsi un terreau favorable à
l’acquisition de bons réflexes et d’attitudes porteuses.
Au-delà du renforcement des compétences langagières, qui passe
aussi par un travail sur les perceptions de celles -ci, cette prise en compte

100
des préjugés observés permettr a l’intégration des « compléments
cognitifs » (culture générale), qui permet de transcender la vision
linguistique trompeuse de l’acte de traduction, puis d’acquérir une
posture d’empathie rationnelle qui, par l’analyse objective des
paramètres du mandat d e traduction et l’application d’une méthodologie
raisonnée, permet à son tour de transcender l’encyclopédie personnelle
de l’apprenti traducteur et de l’outiller au mieux pour qu’il soit apte,
comme futur professionnel, à s’acquitter de mandats de traducti on
variés, avec la même rigueur méthodologique.
Travailler sur les idées reçues des aspirants traducteurs permet
en outre d’adapter les moyens pédagogiques mis en œuvre afin de
favoriser l’acquisition d’une méthodologie d’autant plus solide que ses
fondeme nts pédagogiques reposeront sur l’adhésion des apprenants : à
cette fin, il est essentiel que les enseignants aient conscience du décalage
qui peut exister entre leur perception et celle des débutants, afin
d’adapter leur pédagogie à cette réalité.
En élar gissant notre réflexion sur les idées reçues qui perdurent à
l’égard de la traduction et sur l’importance avérée de les combattre en
début de formation, nous osons aller jusqu’à souhaiter ardemment que
les traducteurs – parmi lesquels nous incluons les for mateurs – aient à
cœur de faire davantage connaître leur profession, ses caractéristiques et
exigences, auprès du grand public. Comme le mentionnent Georges
Bastin et Monique Cormier dans Profession : traducteur , « les stéréotypes
ne manquent pas lorsqu’on parle des traducteurs » (2007, 25); nous
recommandons d’ailleurs l’utilisation dans les programmes de formation
de cet ouvrage concis mais extrêmement précis, même s’il s’adresse
avant tout aux traducteurs se destinant à œuvre au Québec et au
Canada.
C’est précisément parce que les stéréotypes envers la traduction
perdurent dans l’imaginaire collectif qu’à une époque où les logiciels de
traduction automatique fleurissent et où le marché de la traduction, bien
qu’en expansion, soit confronté à une stagnati on voire à une baisse des
tarifs – les clients trouvant toujours ce type de service trop cher – un
certain nombre de cabinets de traduction incluent une section « idées
reçues sur la traduction » dans leurs sites internet, dans lesquels ils
expliquent pour quoi la traduction coûte cher, pourquoi elle prend du
temps, et pourquoi la traduction automatique ne peut pas – ou pas
encore, ou pas dans tous les domaines – supplanter la traduction
humaine. Si notre profession est séculairement valorisée dans son
invis ibilité – la transparence des processus à l’œuvre étant un gage de
l’habileté avec laquelle ils sont appliqués –, il est aujourd’hui
fondamental que nous nous fassions un devoir de contribuer à faire
reconnaître les particularités de notre métier – sans pa rler de son utilité.

101
Références bibliographiques
BALLARD, Michel. La traduction de l’anglais au français . 2e édition. Paris :
Armand Collin, 2005.
BASTIN , Georges et Monique C. Cormier. Profession : traducteur . Montréal :
Presses de l’Université de Mont réal, 2007.
COLLOMBAT , Isabelle. « L'empathie rationnelle comme posture de
traduction ». TranscUlturAl, A Journal of Translation and Cultural Studies , vol. 1,
n° 3, 2010, 56 -70.
COLLOMBAT , Isabelle. « La didactique de l’erreur dans l’apprentissage de la
traduction ». The Journal of Specialised Translation (JoSTrans), vol. 12, juillet
2009, 37 -54.
DURIEUX, Christine. Apprendre à traduire. Prérequis et tests . Paris : la Maison du
dictionnaire, 1995.
DELISLE, Jean. L’enseignement pratique de la traduction . Ott awa : Presses de
l’Université d’Ottawa, 2005.
DELISLE , Jean. La traduction raisonnée . 2e édition. Ottawa : Presses de
l’Université d’Ottawa, 2003.
GILE, Daniel. La traduction : la comprendre, l’apprendre . Paris : Presses
universitaires de France, 2009.
KAISER -COOKE , Michele. « Translatorial Expertise —A Cross -Cultural
Phenomenon from an Interdisciplinary Perspective». In: Mary Snell -Horby et
al. Translation Studies. An Interdiscipline . Amsterdam/Philadelphia : John
Benjamins, 1994, 135 -139.
MEERTENS, René. La pratique de la traduction d’anglais en français . Vincennes :
Chiron éditeur, 2011.
PLASSARD, Freddie. Lire pour traduire . Paris : Les presses de la Sorbonne
Nouvelle, 2007 .
ROULEAU , Maurice. Initiation à la traduction générale : du mot au texte .
Montréa l : Linguatech éditeur inc., 2001.
WILSS, Wolfram. Knowledge and Skills in Translator Behavior .
Amsterdam/Philadelphia: John Benjamins, 1996.

102

Considérations théoriques et éthiques sur la méthodologie de la
traduction spécialisée

Tatiana MILLIARESSI
UMR 8163 STL, CNRS & Université Charles de Gaulle Lille III
France
Résumé : Les particularités énonciatives du discours spécialisé ont une
répercussion immédiate sur la méthodologie de la traduction. Plusieurs
questions de nature linguistique et culturelle (ty pologiques et contrastives,
d’une part, et argumentatives et stylistiques, d’autre part) se posent au
traducteur, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de textes de sciences humaines.
Des problèmes de déontologie éthique doivent être abordés. Si dans sa
recherche infinie de qualité, le traducteur devient co -auteur, il est important de
réfléchir sur les limites de la réécriture et sur le statut du traducteur par rapport
à la qualité du texte traduit.

Mots -clés : méthodologie de la traduction, déontologie é thique, textes de
sciences humaines, réécriture et adaptation.

Abstract : In Specific Purposes Discourse, the particular features of the act of
uttering ( énonciation ) have immediate repercussions on the methodology of
translation. Therefore, the translator is confronted to different linguistic and
cultural questions: typological and contrastive ones on the one hand and
argumentative and stylistic ones on the other. When Human Sciences texts are
at stake, these matters simply cannot be overlooked. Ethical de ontology is a key
issue in this respect. If, in his infinite quest for quality, the translator is also a
co-author, it becomes essential to give some real thought to the limits of re –
writing and to the very status of the translator with respect to the qual itative
result of the translated text.

Keywords : methodology of translation, ethical deontology, Human Sciences
texts, re -writing and adaptation.
1. Introduction

Les particularités énonciatives du discours spécialisé ont une
répercussion immédiate sur la mé thodologie de sa traduction puisque la
fonction de la traduction spécialisée est informative, contrairement à la
traduction littéraire qui, quant à elle, a une fonction esthétique. À
l’exception des textes spécialisés des autorités devenues classiques, un

103
texte spécialisé n’a pas le statut sacré d’une œuvre d’art, ni la dimension
de temporalité historique d’un texte littéraire.

2. Postulat de la nature universelle de la science

Ce rapport au texte spécialisé comme à un outil dans une
réflexion scientifique ou dans un usage pratique, est basé, sur un plan
théorique, sur le postulat de la nature universelle de la science et de ces
concepts, indépendamment de leur mise en forme linguistique. En effet,
la nature conceptuelle et non sémantique de la vision scient ifique du
monde est différente de la vision primitive qui conditionne justement la
diversité de l’articulation sémantique opérée par chaque langue. La
vision scientifique est à l’origine des classifications conceptuelles établies
en terminologie et de la d énomination ontologique et logique en langues
naturelles, se reposant sur des nomenclatures binomiales « genre –
espèce ». Elle détermine le caractère superposable des éléments de
classification dans différentes langues.
Notons que ce caractère superposable ne concerne que les
ontologies universelles terminologiques et que la hiérarchisation des
concepts perd de son universalité lorsqu’il s’agit des sciences humaines,
par exemple en philosophie ou en linguistique. Il n’en reste pas moins
que, contrairement à la vision primitive modélisée en langue commune,
la vision scientifique conceptualisée en langues de spécialité est basée
sur des hiérarchies conceptuelles, soit par l’intermédiaire des ontologies
objectives du monde réel, soit par le biais de classificati ons spéculatives,
établies afin d’appréhender le monde de façon rationnelle. Lorsqu’il
s’agit des classifications spéculatives, par exemple en sciences humaines,
la transposition de ces hiérarchies en langue -cible est basée non sur
l’universalité des conce pts, mais sur l’universalité des éléments de leur
composition.

3. Droit moral du traducteur littéraire et du traducteur
spécialisé

Ces caractéristiques de la traduction ont une répercussion sur le
droit moral du traducteur protégeant son œuvre et la reconna issance de
son nom. Ce droit moral est différent pour les traducteurs littéraires et
les traducteurs techniques. Ainsi, le statut du traducteur en tant
qu’auteur second est reconnu pour les textes littéraires. Par exemple, le
Code des usages pour la traduc tion d'une œuvre de littérature générale du 17
mars 2012 consigné par l’Association des Traducteurs Littéraires de
France (ATLF), reprenant sur ce point le Code de 1993 qu’il annule et
remplace, stipule que le traducteur jouit (conformément à l’article

104
L.121-1 du Code de la Propriété Intellectuelle) du droit au respect de
son nom et de son œuvre. Le nom du traducteur doit figurer sur chacun
des exemplaires, ainsi que sur tous les documents faisant référence à la
publication de sa traduction (catalogue, site de l’éditeur, etc.) .
En ce qui concerne les textes scientifiques et techniques, on peut
se référera au Code de Pratique Professionnelle du Centre régional européen
de la Fédération Internationale des Traducteurs (FIT Europe fondée en
1953 à Paris sous les auspices de l’UNESCO). Ce Code de Pratique
Professionnelle fixe les droits et obligations fondamentales des
traducteurs et des interprètes. Cependant, cette protection des
traducteurs concerne prioritairement leurs droits financiers et non, par
exemple, l e droit moral au respect du nom.
Cette différence en droit moral du traducteur est en rapport avec
le type du texte à traduire – littéraire ou spécialisé –, et plus précisément
elle est due à une part de ce qu’on appelle en traductologie intraduisible ,
c’est-à-dire spécifique, non universel, qui englobe des référents culturels,
des valeurs connotatives, stylistiques et esthétiques du texte. Cette part
de l’intraduisible est importante dans les textes littéraires esthétiques, en
particulier en poésie, lorsqu e l’on traduit une émotion. Elle est présente
dans les textes en sciences humaines lorsqu’il s’agit de traduire une
compréhension du monde réel par un système d’idées non superposable.
Et, enfin, cette part de l’intraduisible est quasiment absente des text es
scientifiques et techniques qui transmettent une vision superposable de
la réalité.

4. Méthodologie de traduction des textes spécialisés

Il est important de distinguer deux types de textes spécialisés :
a) textes à terminologie prioritairement superposable qui se
prête à l’unification et à la normalisation avec intervention
des organismes internationaux de normalisation, par
exemple en sciences naturelles (ISO « Organisation
internationale de normalisation », CEI « Commission
électronique internationale » ; banques de terminologie :
TERMIUM canadien, EURODICAUTOM de l’Union
européenne, BTQ « Banque de terminologie du Québec ») ;
b) textes à terminologie spécifique, prioritairement non
superposable, par exemple en sciences humaines.
Bien évidemment, la méthodolog ie de la traduction spécialisée
variera en fonction du type de texte spécialisé, néanmoins avec une
caractéristique commune aux deux types de textes spécialisés : la
traduction est orientée vers la langue -cible. C’est pour cette raison que nous
apprenons à nos étudiants en Master de Traduction Spécialisée à

105
l’Université Lille III à traduire un texte comme si l’auteur l’avait écrit
originellement dans la langue de traduction. Cela nécessite une bonne
maîtrise de la langue maternelle et des connaissances rudi mentaires
dans le domaine de spécialité.
La méthodologie de la traduction spécialisée se fonde donc sur
les acquis de la linguistique, d’une part, et sur les disciplines
d’application, d’autre part. Cependant, le rapport des priorités entre les
deux domain es n’est pas simple à définir. Or il est important pour la
définition de la méthodologie de la traduction qui dépend directement
de la réponse que chacun donne à la question suivante : Faut -il être
spécialiste dans un domaine du savoir spécifique pour trad uire un texte spécialisé
appartenant à ce domaine du savoir ? Par exemple, faut -il être spécialiste en
physique pour traduire un texte sur la physique ? Philosophe, pour
traduire un texte philosophique ?
La réponse à cette question est toujours révélatrice bien que
nuancée. Les traducteurs ne sont pas unanimes. Soit, on considère qu’il
n’est pas indispensable d’être spécialiste du domaine concernée pour
traduire un texte spécialisé, mais qu’il est important d’avoir des
connaissances basiques dans ce domaine . Soit, au contraire, on estime
que pour traduire un texte spécialisé, il faut être spécialiste du domaine
avec des connaissances et une sensibilité linguistiques.
La formation que nous dispensons en Master Traduction
Spécialisée Multilingue à l’Université de Lille III est basée sur l’idée
selon laquelle la méthodologie de la traduction spécialisée peut pallier
l’insuffisance de connaissances techniques de la part du traducteur
spécialisé. La formation en langue étrangère, le développement de la
sensibilité en langue maternelle avec l’initiation à la terminologie, les
techniques de la recherche documentaire, la maîtrise des outils
informatiques s’avèrent suffisants pour assurer une traduction de qualité
d’un texte spécialisé. Cependant, si l’on se tourne ver s la pratique, la
situation est différente dans le domaine des sciences humaines.

5. Traduction en sciences humaines : méthodologie et éthique

Les textes en sciences humaines, contrairement à des textes
techniques, sont souvent traduits par des spécialistes de domaines
concernés, par exemple des textes philosophiques par des philosophes et
des textes linguistiques par des linguistes. On pourrait même dire que
plus le système des concepts d’une discipline est conditionnée par une
tradition spécifique ou natio nale, moins ce système est transposable
dans une autre tradition scientifique. En effet, en sciences humaines, il
ne s’agit plus de transpositions conceptuelles, mais de transpositions
sémantiques. C’est pourquoi les connaissances spécifiques d’un

106
spéciali ste sont requises pour établir des passerelles en traduction entre
les deux systèmes de conceptualisation.
Et dans ce cas, des problèmes de déontologie éthique doivent
être abordés. Si dans sa recherche infinie de qualité, le traducteur –
spécialiste du doma ine concerné devient co -auteur, puisqu’il présente le
contenu du texte à travers le prisme de ses propres connaissances et la
tradition à laquelle il adhère dans ce domaine du savoir, nous devons
réfléchir aux limites de la réécriture et au statut du tradu cteur par
rapport à la qualité du texte traduit. Où finit la traduction et où
commence la réécriture du texte ?
Pour tenter de répondre à cette question, je me réfère à ma
propre expérience de traduction de textes linguistiques tirée des deux
recueils sur la traduction, sortis aux Presses Universitaires du
Septentrion, à savoir : De la linguistique à la traductologie (Milliaressi éd.
2011) et La Traduction : philosophie et tradition (Berner & Milliaressi éds
2011). Ces deux volumes regroupent des articles s ur la traduction
d’auteurs français et étrangers traduits en français afin de permettre aux
lecteurs francophones de mieux connaître les recherches sur la
traduction menées hors de France. En collaboration avec Catherine
Boudou, j’ai traduit des textes lin guistiques du russe vers le français et
j’ai été confrontée aux problèmes d’adaptation des textes des collègues
russophones au public français. Non seulement sur le plan de la
terminologie, de la transposition et de la reformulation des concepts,
mais surt out sur le plan de la restructuration du texte et de la
modification de sa structure argumentative.
En effet, l’objectif du traducteur est de « désambiguïser » la
lecture d’un texte scientifique tout en conservant sa valeur informative.
Or, la structure ar gumentative du texte d’origine peut dans certains cas
constituer un handicap pour sa compréhension en langue d’arrivée. Par
exemple, la structure d’un texte argumentatif russe est différente du texte
français. Le raisonnement du texte russe est inductif, i l commence
souvent par une introduction qui amène doucement le lecteur à la
problématique choisie et peut paraître au lecteur français hors sujet, le
texte n’annonce souvent pas de postulat, le lecteur français ne sait pas
où l’auteur veut l’amener : le te xte présente un enchaînement logique
linéaire de faits où le premier conditionne le deuxième, le troisième
découle du deuxième, et le quatrième représente une suite logique du
troisième, et ainsi de suite. La réflexion et l’argumentation se
construisent de façon inductive, sur le modèle d’un roman policier,
lorsque le meurtre est commis, mais on ne sait pas par qui, quand,
comment et pourquoi. Au début, on réunit des preuves, et au fur et à
mesure de leur apparition, on progresse dans le cheminement vers la
conclusion. Cette conclusion et, par conséquent, le postulat, tel le
dénouement d’un roman policier, n’est connue qu’à la fin.

107
Bien entendu, cette présentation peut mettre en difficulté le
lecteur français habitué au raisonnement déductif. Tout comme d’au tres
types d’argumentation auxquels nous nous sommes confrontés dans la
rédaction des deux volumes sur la traduction, par exemple
l’argumentation des textes scientifiques japonais et chinois qui suit le
mouvement d’une spirale où chaque période reprend la précédente mais
change de niveau. Il serait dommage si l’article paraissait au lecteur
français sans intérêt particulier.
Quelles solutions sont -elles envisageables pour résoudre ce
problème au niveau de la traduction ? Faut -il appliquer la stratégie de la
théorie du skopos de Vermeer basée sur les types de textes de Reiss (Reiss
& Vermeer 1984) ? Ainsi, Vermeer affirme que le texte -cible peut différer
considérablement du texte -source dans la formulation et la distribution
du contenu, dans leurs objectifs r espectifs qui conditionnent justement
l’arrangement du contenu (Vermeer 1996). Selon lui, toute traduction
doit être précédée par une négociation entre le commanditaire et le traducteur
afin de préciser le but de la traduction et les modalités de sa réalis ation.
Cette idée trouve écho dans le Code des Usages de l’Association des
Traducteurs Littéraires de France qui stipule : « Lorsque la traduction doit
respecter des critères particuliers, ces critères sont spécifiés au contrat »,
par exemple « l’adaptatio n du style à un certain public » ; « l’adaptation à
un format, une collection (ce qui peut entraîner des coupures) » ;
« l’adaptation de l’ouvrage à un contexte français. »
Dans le même esprit, le Code de Pratique Professionnelle du Centre
régional europée n de la Fédération Internationale des Traducteurs
précise :

Les traducteurs s’efforceront de satisfaire constamment aux normes de
qualité les plus élevées, veillant notamment à garantir la fidélité au sens
et au registre, sauf si le donneur d’ouvrage dema nde expressément de
s’en écarter. […] Le traducteur attirera l'attention du donneur
d’ouvrage sur les erreurs graves et les ambiguïtés du texte source.

Autrement dit, l’auteur doit donner son autorisation au
traducteur pour toute sorte de modification. Et si tel est le cas, le
traducteur est libre de remanier le texte.
La théorie du skopos a été largement critiquée puisqu’elle justifie
des motivations commerciales et la censure. Le traducteur -spécialiste du
domaine concerné en faisant la rédaction du texte , l’adapte selon ses
propres goûts linguistiques et esthétiques. Est -ce que le traducteur a le
droit de le faire ?
Dans son article sur la traduction spécialisée, J. -R. Ladmiral
pose cette même question : « le traducteur a -t-il le droit d’améliorer le
texte ? » Et il répond qu’« il en a le devoir ! car la tâche du traducteur est

108
d’assurer un service de communication . » Il évoque deux cas de figure
(Ladmiral 2010, 26) :

Ou bien le texte est mauvais, et le traducteur se doit de l’améliorer – ce
peut être la raison qui fera qu’on consultera sa traduction. Ou bien :
c’est un texte d’auteur, et la prétention de l’« améliorer » relève de
l’inculture.

À mon avis, le traducteur ne peut pas prétendre « améliorer » un
texte, mais il peut contribuer à éviter une mauv aise réception de
l’informativité du texte original par un lecteur français. Quels sont les
moyens dont il dispose et quelles sont les limites à ne pas franchir ?
Un des auteurs que j’ai traduits, la traductrice géorgienne I.
Modebadze, a une vision large des limites de l’intervention du
traducteur. Elle raconte son expérience de traduction en russe de textes
anciens géorgiens lorsqu’elle était confrontée au problème de structure
argumentative différente en géorgien et en russe. Le texte scientifique
géorgi en est, selon I. Modebadze, construit de façon circulaire .
L’argumentation en cercle commence par une idée, fait le tour de la
question pour arriver à la fin à cette même idée. Pour un locuteur russe
ce style semble redondant. I. Modebadze fait la conclusi on suivante
(2011, 294 -295) :

Pour que le texte -source soit perçu correctement, il est parfois
nécessaire de rédiger le texte -cible : intervertir des parties, réunir des
paragraphes, etc.
[…] il convient, à mon avis, d’accorder une plus grande liberté au
traducteur dans le choix des méthodes et procédés (de la part des auteurs
et éditeurs). Dans ce cas, le traducteur devient co -auteur et porte donc
une responsabilité partagée avec l’auteur pour la qualité du texte.

Je ne partage pas ce point de vue qui me semble trop radical. En
effet, malgré la différence de structure argumentative, il est difficile de
soutenir la thèse selon laquelle le traducteur est libre de modifier le texte
afin d’améliorer sa lecture. Et ceci pour plusieurs raisons : le traducteur
n’est pas un co -auteur, il ne partage pas forcément les idées de l’auteur ;
ce n’est pas lui qui signe le texte, il ne bénéficie pas de droits d’auteur. À
ce sujet, A. Pym (2011) remarque fort justement que ce n’est pas le
traducteur qui prend la responsabi lité du texte. C’est donc à l’auteur que
revient la responsabilité éthique des idées avancées.
Mais si le traducteur n’est pas un co -auteur, mais un auteur
second qui ne prend pas en charge les idées du texte original, mais
uniquement leur mise en forme li nguistique, un autre problème
ontologique se pose : Les idées sont -elles indépendantes de leur mise en forme
linguistique ? Lorsqu’on change de forme, et qu’on pense éclaircir la

109
présentation et le raisonnement, s’agit -il de la traduction ou de
l’adaptatio n, voire la modification du texte ? Jusqu’où on peut aller pour
éclaircir le contenu, appuyer les conclusions et même corriger des
inexactitudes ?
À mon avis, la forme linguistique n’est pas indépendante du
sens. En effet, en changeant de démonstration, o n nuance des
formulations qui nous semblent trop lâches, on corrige des erreurs, on
opte pour un certain type de rigueur scientifique qui peut varier d’une
culture à l’autre.
Ce problème apparaît uniquement lorsque le traducteur est
spécialiste du domaine. Lorsque ce n’est pas le cas, la question de
modification de la structure initiale du texte ne se pose pas puisque le
traducteur n’est pas en mesure d’entreprendre des restructurations
importantes. J’arrive donc à une conclusion paradoxale : moins le
tradu cteur comprend le texte spécialisé, plus il est fidèle à la lettre.

6. Solutions

Quelle est donc la solution à retenir pour assurer la traduction de
qualité de textes en sciences humaines ? La solution que nous avons
adaptée dans la traduction des articles linguistiques pour les deux
recueils sur la traduction a été d’essayer de garder l’équilibre entre
l’originalité de l’argumentation imprégnée de couleur locale et la clarté
de la présentation scientifique conditionnée par la culture -cible
française. Lorsqu ’il s’agissait de la mauvaise réception de l’informativité
du texte original par un lecteur français, les traducteurs ont demandé
dans certains cas aux auteurs d’apporter des modifications dans la
structuration des textes et la mise en valeur de certains t ypes
d’information pour désambiguïser sa lecture, autrement dit, d’adapter la
structure de leur texte au lecteur français et d’opter pour le raisonnement
déductif. Cela implique un contact direct du traducteur avec l’auteur, ce
qui n’est pas possible dans l’absolu.
Quant au style individuel de l’auteur, les traducteurs ont essayé
de le préserver, mais parfois cette tâche paraissait insurmontable. Par
exemple, l’écriture d’Anthony Pym, Australien d’origine, est
décontractée, son style peut paraître trop fami lier et dérouter un lecteur
français. En effet, le style parlé dans le domaine scientifique est connoté
en France avec un manque de rigueur d’analyse.
Notre première idée était d’adapter le style d’A. Pym à l’écriture
française. Cependant, le changement de forme entraîne inévitablement
le changement de sens et nous avons dû renoncer à cette idée. Les
traducteurs ont préservé son style en le nuançant légèrement.
Dans les deux recueils d’articles consacrés à la traduction, nous
avons décidé de faire confiance au lecteur qui devra surmonter les

110
préjugés des différences culturelles pour mieux apprécier le style
(individuel et national) dans un discours scientifique.

7. Conclusion

Il est indispensable de distinguer l’adaptation du texte à la
culture -cible de sa r éécriture. En effet, le traducteur est souvent tenté de
réécrire le texte. Il est important de se rappeler que dans ce cas, il ne
s’agit plus de traduction, mais de la polémique entre le traducteur et
l’auteur, qui peut faire l’objet elle -même d’un texte à part signé dans ce
cas par le traducteur en tant qu’auteur. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard
que les traducteurs publient leurs propres réflexions inspirées des idées
des auteurs qu’ils ont traduits (Nicolas Ruwet sur R. Jakobson,
Christian Berner sur F . Schleiermacher, Didier Samain sur E.
Koschmieder). En effet, après avoir traduit un texte, le traducteur a
souvent besoin de donner son propre point de vue sur la question.
Cependant, le traducteur doit éviter la réécriture en traduction lorsque les
parties sont inversées, des exemples rajoutés et des conclusions
reformulées, et opter pour la traduction adaptée lorsque l’auteur, sur les
conseils du traducteur, adapte lui -même son texte et le traducteur
nuance le style.
La tâche du traducteur consiste, à mon avis, à trouver la
frontière entre la traduction adaptée et la réécriture, sans jamais la
franchir, c’est -à-dire à garder l’équilibre entre originalité de
l’argumentation imprégnée de couleur locale et clarté de la présentation
scientifique conditionné e par la culture -cible.

Références bibliographiques
BERNER , Christian & MILLIARESSI , Tatiana (éds). La traduction : philosophie
et tradition. Coll. « Philosophie & linguistique ». Villeneuve d’Ascq : Presses
Universitaires du Septentrion, 2011.
LADMIRAL , Jean -René. « Traduction philosophique et traduction spécialisée,
même combat ? ». Synergies Tunisie : « La traduction des textes spécialisés : retour sur
des lieux communs », 2010, n° 2 : 11-30. Inès Sfar & Salah Mejri. Tunisie : Revue
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Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion, 2011, 227 -249.

112

Pluralisme des méthodes en trad uction judiciaire
Vers une méthodologie cohérente ?

Thomas LENZEN
MCF à l’Université de Nantes, France
France
Résumé : Cet article se propose d’exposer succinctement la pluralité des
méthodes pouvant utilement être mobilisées en traduction judiciaire, mét hodes
qui relèvent respectivement du droit, de la traductologie ainsi que d’un certain
nombre de disciplines ancillaires. Loin de se contenter d’une énumération
d’éléments méthodologiques individuels, cet article s’interroge sur la cohérence
de cet ensembl e à première vue hétéroclite.

Mots -clés : expertise judiciaire, méthodologie juridique, traductologie
juridique, interdisciplinarité, recherche empirique

Abstract : This article aims at illustrating briefly the diversity of methods at hand
for court tran slation, methods that are bound to law, translation studies and a
certain number of ancillary disciplines. Far from contenting himself with
enumerating individual methodological elements, the author of this article
questions the coherence of this set of el ements that may appear heterogeneous at
first sight.

Keywords : court translation, legal methodology, legal translation studies,
interdisciplinarity, empirical research
1. Introduction

La question des méthodes est indissociable et de la
constitution de l’ob jet théorique d’une discipline et de la formation
des spécialistes se réclamant de la même discipline. La présente
communication est susceptible de confirmer cet état de fait dans le
domaine de la traduction juridique.
Dans le cadre de la présente communi cation, j’entends par ce
terme toute traduction de document juridiquement pertinent,
autrement dit toute traduction produisant un effet de droit , et cela
indépendamment de la nature du document source1. L’approche

1 Ce point de vue est partagé par CAO 2007, 12 (« (…) legal translation refers to the
translation of texts used in law and legal settings. Legal translation is used as a general
term to cover both t he translation of law and other communications in the legal setting.”)

113
fonctionnelle de ce type de traduction amè ne à distinguer
schématiquement trois variantes de celle -ci. Dans cette classification, le
critère de différentiation est la fonction de la traduction par rapport à
la règle de droit :

Type de traduction juridique Fonction de la traduction
Traduction auth entique de
normes juridiques (Constitution,
lois et règlements) Rendre possible l’ élaboration et la diffusion
de la règle censée s’appliquer indifféremment
dans deux ou plusieurs langues officielles2
Traduction au service de la
doctrine, notamment du dro it
comparé Rendre accessible et communicable une règle
en-dehors de son ordre juridique
d’appartenance afin de permettre le
commentaire savant de celle -ci
Traduction judiciaire Application de la règle en-dehors de son
ordre juridique d’appartenance

Depu is la publication de New Approach to Legal Translation , ouvrage signé
Susan SARCEVIC, la traduction authentique de normes est dorénavant
assez bien connue quant aux ordres juridiques bilingues ou multilingues;
quant aux organismes internationaux et suprana tionaux, nous ne
disposons que d’un petit nombre de publications de qualité (v. KJAER,
Anne -Lise in: SANDRINI et al. 1999, 63 -79). La présente publication
n’ambitionne pas à contribuer à la connaissance de ce type de
traduction.
La traduction informative d e textes normatifs appartenant à deux
ordres juridiques distincts ainsi que toute autre traduction informative au
service de la Doctrine sera également négligée par la présente
communication, puisque, sa finalité étant avant tout scientifique et/ou
didacti que, elle ne produit pas directement des effets de droit.
La traduction judiciaire , quant à elle, a rarement fait l’objet
d’études savantes . C’est pourtant dans cette variante de la traduction
qui intervient dans l’application concrète des normes juridique s que la
question des méthodes se pose avec le plus d’acuité , étant donné le profil
des sujets traduisants. Ainsi, à titre d’exemple, sur les 15 experts
judiciaires près la Cour d’appel de Rennes, catégories H.1.43 et H.2.44,
seuls 45 disposent d’un doctor at en lettres, 4 d’un DESS (ou titre
équivalent) en Traduction, 2 d’un DEA, 3 d’une formation d’enseignant
en langue, 1 d’un BTS de Traducteur commercial, 1 d’un diplôme délivré
par une Chambre du commerce et 1 d’un équivalent du baccalauréat. S’il

2 En régime de bilinguisme ou plurilinguisme officiel, que ce soit au sein d’un État
(Canada, Suisse, etc.) ou encore au sein d’organismes supranationaux (Union
européenne) ou internati onaux (ONU, etc.).
3 Interprétariat. Langues germaniques et scandinaves
4 Traduction. Langues germaniques et scandinaves
5 Certains experts revendiquent plusieurs titres.

114
y a des éléments de formation en droit , ceux -ci ne ressortent pas du
répertoire annuel de la Cour de cassation6. En France, les experts
judiciaires ont cependant une obligation de formation continue7,
notamment quant aux institutions et procédures judiciaires, ob ligation qui
conditionne leur réinscription sur la liste des experts.
Se limitant à la traduction judiciaire, la présente communication
porte sur les modalités de celle -ci. L es méthodes auxquelles il est fait
référence sont, soit attestées par des pratique s institutionnelles
observables, soit inférables de textes normatifs censés les guider
(textes légaux ou réglementaires, codes déontologiques de corporations
représentatives, etc.), soit encore préconisées par tel courant
traductologique attesté par la lit térature spécialisée. Ces méthodes
appartiennent à trois grands champs disciplinaires , à savoir le droit, la
traductologie et la linguistique (au sens très large). 8
Dans le but de mettre en lumière les apports méthodologiques
respectifs des disciplines le s plus importantes au regard de l’entremise
interlinguistique en droit , la présente communication balaye
successivement des apports provenant du droit, puis de la traductologie
et enfin d’un certain nombre de disciplines ancillaires. Visuellement, le
plan de la présente communication pourrait se présenter comme suit :

Apports juridiques Apports
traductologiques Apports de disciplines
ancillaires
1. Le droit comparé
2. Méthodologie
juridique :
2.1 Recherche
documentaire unilingue
2.2 Herméneutique
juridiq ue
2.3 Raisonnement
juridique
2.4 Linguistique juridique
2.5 Terminologie juridique
unilingue 1. Traductologie générale
2. Traductologie
juridique
2.1 Le cadre énonciatif
2.2 La nature même de
« la » traduction juridique
2.3 Enjeux juridiques du
traduire e n droit
2.4 Nature et pluralité
des langages juridiques 1. Documentation juridique
bilingue ou plurilingue
2. Terminologie et
terminographie juridiques
bilingues ou plurilingues
3. (Co -)Rédaction juridique

Il va sans dire que les propos qui suivent ne s auraient prétendre à
l’exhaustivité ; ils ambitionnent cependant de questionner la cohérence
d’ensemble de cette pluralité à première vue hétéroclite.

6 http://www.courdecassation.fr/IMG///Liste_Experts_CA_Rennes_2012.pdf
7 Selon les articles 10 et 38 du décret n° 2004 -1463 du 23 décembre 2004
8 Il est entendu que l’emploi d’une méthode empruntée à une discipline donnée
n’entraîne pas ipso facto l’annexion de celle -ci au champ de la discipline qui recourt à cet
emprunt. De plus, de la simple juxtaposition des méthodes ne saurait naître une
véritable méthodologie.

115
2. Apports juridiques au sens large

2.1 Le droit comparé
Parmi les différentes branches du droit qui inté ressent
particulièrement les traducteurs juridiques, le droit comparé occupe une
place de choix.
Pour le juriste, il s’agit d’ une discipline juridique « qui consiste
dans l’étude scientifique de la comparaison des droits, c’est -à-dire des
systèmes juridiq ues et des institutions juridiques des divers États ou
groupements d’États. » (ALLAND/RIALS 2000, 455). La comparaison
systématique peut déboucher sur des typologies des ordres juridiques
qui, elles, permettent de mieux appréhender le degré de difficulté d u
transfert entre des cultures juridiques distinctes.
Pour le traducteur juridique, « le principal défi (…) est
l’incongruence des systèmes juridiques »9. Le droit comparé ne lui
fournit que des informations dont l’usage effectif reste à sa discrétion
et de sa responsabilité . La comparaison d’institutions relevant d’ordres
juridiques distincts est également un préalable de l’activité
terminographique . Il convient d’analyser les notions avant de pouvoir
les désigner au moyen des termes appropriés. Ainsi, un e exploration des
modalités de la notion de « transmission par disposition testamentaire »
en droits français et allemand fait -elle ressortir d’importantes
différences. Alors que le droit allemand admet le testament commun des
conjoints, le Berliner Testam ent, l’article 968 du Code civil l’écarte
explicitement. Nous reviendrons sur ce sujet dans notre partie consacrée
à la terminographie comparée.
Lorsqu’une seule et même langue naturelle (pas un seul et même
langage juridique !) sert plusieurs ordres jurid iques différents, il convient
de déterminer le cadre de référence pertinent. De même, les usages, tant
linguistiques que juridiques peuvent varier entre la traduction d’instituts
nationaux et celle d’instruments internationaux. Le droit français, par
exemp le, ne (re -)connaît pas la notion de « hardship » (→théorie de
l’imprévision). Or, la version française des Principes UNIDROIT 2010
relatifs aux contrats du commerce international10 emprunte ce terme au
droit anglais dans le but de favoriser l’harmonisation du droit privé
international, conformément à la vocation d’UNIDROIT.

2.2. Quelques éléments de méthodologie juridique
Comme toutes les disciplines du savoir, le droit dispose de sa
propre méthodologie . Par méthodologie, nous entendons l’ « étude des

9 Sarcevic (1997, 13): « the main challenge to the legal translator is the incongurency of
legal systems. ».
10 Chapitre 6, Section 2 Hardship

116
métho des scientifiques et techniques, des procédés utilisés dans une
discipline déterminée . » (Bergel 2001, 17). Contrairement à la méthode
qui, elle, peut être implicite, la méthodologie doit être explicite pour
exister. Son caractère explicite est une clé pou r les traducteurs dont la
formation initiale n’est pas juridique.
Voici quelques éléments de méthodologie juridique que le
traducteur ne saurait ignorer :
– recherche documentaire unilingue
Comme dans d’autres domaines de spécialisation, la
« Recherche docu mentaire en droit »11 fait partie intégrante des activités
courantes du juriste. Certains auteurs reconnaissent le statut de
discipline à part entière à la « science de la documentation juridique »
(Cottin/Moyret 2000, 6), d’autres y voient une science auxi liaire du
droit.
Les ouvrages portant sur ce type de recherche s’adressent le plus
souvent, soit au praticien du droit, soit aux étudiants en droit. Les
besoins spécifiques du traducteur sont rarement pris en compte. A la
différence du juriste, le traducte ur n’a pas à produire un texte juridique
au sens où il aurait, lors de la rédaction, à prendre des décisions d’ordre
juridique; il doit, par contre, le reproduire , non seulement dans une
autre langue mais en ayant à l’esprit l’ordre juridique qui lui est a ssocié .
De ce fait, il mobilise en partie les mêmes ressources documentaires que
le juriste, mais leur consultation et les modalités de l’exploitation des
informations sont spécifiques. La finalité des recherches documentaires
en traduction étant spécifiqu es, nous y reviendrons dans la troisième
sous-partie.

– l’herméneutique juridique
L’herméneutique, la théorie de l’interprétation, est d’abord une
méthode transversale, donc non spécifique au droit. Or, dans le domaine
juridique, l’objectif assigné à l’her méneutique est lié à l’application de la
règle : « (…) l’objectif de l’herméneutique juridique n’est pas simplement de
déterminer la signification d’une règle de droit mais de déterminer si les
faits d’un cas d’espèce peuvent être rattachés à une règle abs traite. »12 Ses
modalités sont également particulières et se distinguent sur plusieurs points
d’autres variantes de l’interprétation :
– l’auteur de l’interprétation et son pouvoir d’interprétation
– l’objet de l’interprétation juridique
– les méthodes d’interpr étation .

11 La formulation est également le titre d’un ouvrage signé Tanguy (1991 ).
12 Sarcevic (1997, 63): « (…) the goal of legal hermeneutics is not merely to ascertain the
meaning of a rule of law but to determine whether the fact situation of a concrete case
can be subsumed under the framework o f the abstract rule.”.

117
En droit, le pouvoir d’interprétation revient essentiellement, soit
à l’autorité ayant édicté telle norme (notamment le législateur), soit à
l’autorité chargée de garantir son application (surtout les juridictions).
Le pouvoir d’interprétation es t étroitement lié aux effets que produit une
interprétation sur ses destinataires (justiciable, partie au litige, partie
contractante, etc.).
Dans le premier cas, il s’agit de normes générales
(constitutionnelles, légales ou règlementaires), dans le deuxiè me cas, il
s’agit d’appliquer à un cas d’espèce une telle norme générale. Tel est le
cas de la décision de justice qui a la forme d’un syllogisme. La norme
déterminée est la majeure, les faits constituent la mineure et le dispositif
la conclusion. Notons q ue le juge n’est pas seulement investi d’un
pouvoir d’interprétation, mais également d’un devoir d’interprétation13.
L’objet de l’interprétation juridique peut être constitué, soit par
des énoncés normatifs (v. Troper in : Alland/Rials 2003, 845), soit par
des faits, c’est -à-dire, en règle générale, des éléments de nature non –
linguistique. L’interprétation des faits passe par la qualification,
autrement dit l’« Opération de l’esprit consistant à revêtir une donnée
concrète de la qualité qui détermine son rég ime et ses conséquences
juridiques, en le rattachant (…) à la catégorie abstraite dont il possède
les critères distinctifs » (Cornu 2000, 699). Ainsi, la qualification d’un
fait comme étant une vente suppose, par exemple, la capacité des
contractants. En l ’absence de cette condition, un échange donné ne
saurait être qualifié de vente ni produire les effets de celle -ci.
Traditionnellement (Wank 2008), l’enseignement du droit
véhicule un canon de méthodes interprétatives censées guider le sujet
dans l’attrib ution d’une signification14. Dans le cadre du présent exposé,
je me bornerai à souligner l’intérêt15 de certaines de ces méthodes pour
le traducteur juridique en limitant mes remarques à :
– l’interprétation littérale,
– l’interprétation systémique
– l’interpréta tion téléologique.
L’interprétation littérale (également appelée « méthode
grammaticale », « interprétation sémiotique », etc.) se cantonne au texte
lui-même qu’elle soumet à une lecture scrupuleuse (terminologie,
définitions légales, structure grammatical e, etc.). Elle présente des
similitudes avec les préceptes d’une traduction littérale.

13 Voir, à titre d’exemple, Code civil, art. 4
14 Une méthode assez pragmatique est préconisée par Sourioux /Lerat , 1997.
15 Ces méthodes ne sont pas directement transposables à la traduction, mais le traducteur
devrait les connaître af in de mieux saisir l’élaboration des documents qui lui sont soumis
et leur utilisation dans le fonctionnement des instances de l’ordre juridique concerné.

118
Cette méthode permet une première approche du texte16, mais
elle est insuffisante face aux énoncés ambigus ou défectueux (Bergel
2001, 239). Selon Sarcevic, l’utilisation de l’interprétation littérale en
droit est « probablement l’argument le plus fort en faveur d’une
traduction littérale. »17
L’interprétation systémique tente d’insérer chaque norme dans
un système d’appartenance. Basée sur l’hypothèse de la cohérence du
système, elle creuse le contexte normatif pour déterminer le contenu
d’une norme précise. Ce type de fonctionnement s’observe, par exemple,
dans la lecture des lois à l’aulne de valeurs constitutionnelles . La
hiérarchie des normes a pour conséquence que les normes légales
doivent être mises en conformité avec les normes de rang supérieur, en
l’occurrence de rang constitutionnel. Ainsi le Grundgesetz (ouest -)
allemand18 de 1949 a -t-il rendu nécessaire la concrétisation du droit de la
famille contenu dans le Bürgerliches Gesetzbuch19 afin qu’il respecte le
principe d’égalité homme -femme.
L’interprétation systémique peut être, soit extensive , méthode
interdite en droit pénal, soit restrictive quant aux normes pénales et
spéciales. Face à une lacune dans le système normatif, l’interprétation
extensive « consiste à étendre la portée d’une telle d isposition à une
situation qu’elle n’a pas expressément prévue. » (Bergel, 2001, 244).
Lorsque le traducteur n’est pas lui -même juriste, cette méthode
présente des risques im portants . Le recours à des quasi -synonymes ou
hyperonymes peut révéler un manque de rigueur.
L’interprétation téléologique (également appelée « interprétation
fonctionnelle ») vise à tenir compte de la finalité des normes. (…) A
l’instar du juriste, le tr aducteur doit saisir la spécificité juridique des
documents qui lui sont confiés : « (…) il est important pour le traducteur
de reconnaître la multiplicité des fonctions exercées par les textes
juridiques. Il lui incombe, tout particulièrement, de faire pl einement sa
place à la dimension normative ou performative des textes. » (Glanert
2011, 154)
L’application de ces méthodes ne saurait être mécanique, non en
dernier lieu puisque « les diverses catégories se chevauchent. » (Troper, 844)
Seule une pluralité de méthodes20 saurait rendre justice à la complexité

16 « Toute autre interprétation n’est que conjecture, chaque fois que les textes sont
explicites. » (Bergel 2001, 238)
17 Sarcevic (1997, 38): « probably the strongest argument in favor of literal translation ».
18 Loi fondamentale, document à valeur constitutionnelle
19 Le droit commun des Allemands, codifié dès 1900
20 Voir sur ce point : François Terré (19 97, 476 et suivantes).

119
du droit . De surcroît, certaines branches du droit comme le droit
contractuel prescrivent explicitement certaines règles interprétatives.21
Dans une perspective descriptive, l’interprétation effectivement
mise en œuvre ne saurait s’envisager de manière réaliste en -dehors
d’une prise en compte du sujet interprétant , et force est de constater
que l’intervention de l’interprète suscite de la méfiance , sa
subjectivité irréductible est à l’occasion considérée co mme une
menace qui pèserait sur la « connaissance » d’un droit qui existerait en –
dehors de lui (voir Rabault).
Cette méfiance est bien connue des traductologues. En traduction
aussi, on se méfie de la subjectivité comme source d’arbitraire. Lors du le
transfert interlinguistique, elle intervient pourtant dans la phase centrale
du « processus heuristique de la traduction » (Delisle 1980, 85). Certaines
« limites de l’interprétation » (Eco 1992) s’imposent également au
traducteur, limites qui sont plus étroit es dans le domaine juridique que
dans d’autres variantes de la traduction. En aucun cas, l e traducteur ne
doit usurper les fonctions du rédacteur ou du juge .
Le document juridique puise, entre autres, à deux sources que
sont le raisonnement juridique et la linguistique juridique. Ces deux
aspects seront brièvement abordés par la suite.

– le raisonnement juridique
Au-delà des méthodes d’interprétation dont certaines ont été
évoquées ci -dessus, le droit pratique un raisonnement particulier qui fait
amplement a ppel à l’argumentation. La Nouvelle Rhétorique de Chaïm
Perelman (avec Lucie Olbrechts -Tyteca 2000 ) a contribué à remettre en
honneur une activité à l’intersection entre le juridique et le linguistique.
La culture juridique est caractérisée par une exigenc e de rationalité.
Dans le domaine juridictionnel, une importante manifestation de cette
rationalité est l’obligation pour le juge, de motiver les décisions de
justice ( NCPC, art. 455) .
Au-delà du formalisme étroit de la « logique judiciaire »
(Mathieu -Izorche 2001, 5 et suivantes), le traducteur juridique doit
savoir saisir les manifestations discursives de cette rationalité .

– la linguistique juridique
Discipline auxiliaire du droit dans la mesure où le droit est
foncièrement tributaire du langage22, la li nguistique juridique « a dans
son objet les interactions du langage et du droit , c’est -à-dire aussi bien
l’action du droit sur le langage que l’action du langage sur le droit. »

21 Voir : articles 1156 à 1164 du Code civil .
22 Même s’il mobilise d’autres codes analysables par la sémiologie juridique.

120
(Cornu 2000, 10). Pour le traducteur, ces deux orientations ont toutes
les deu x leur importance.
L’étude « du » langage du droit d’abord. En réalité, les langages
juridiques sont pluriels, il y en a autant qu’il y a d’ordres juridiques
auxquels ils servent de moyen d’expression (Sandrini 1996, 16). Pour
être exact, les seules unité s observables sont des énoncés juridiques, il
s’agit donc d’analyser les manifestations linguistiques du droit en action.
Une classification juridiquement pertinente des discours, puis la
mobilisation des outils conceptuels de l’analyse discursive permette nt
d’appréhender dans sa fonctionnalité la face linguistique des opérations
juridiques.
La linguistique juridique englobe la terminologie juridique
unilingue qui est une de ses branches (v/ notamment Cornu 2000).
Cette sous -discipline intéresse le traduct eur dans la mesure où « On ne
saurait traduire un texte spécialisé sans maîtriser le vocabulaire
spécialisé du domaine concerné, sa terminologie. »23 Parmi les deux
orientations de la terminologie, c’est clairement la dimension
sémantique sur laquelle se fo calise l’attention du jurilinguiste, que ce
soit le sémantisme d’un terme individuel ou encore la structuration
d’ensembles terminologiques.
Ensuite, l’étude du droit du langage. Le droit linguistique a une
incidence forte sur la nature et les volumes de l ’activité traduisante. Le
cadre de la présente communication ne nous permet pas d e développer
cet aspect.

3. Apports traductologiques

3.1. Traductologie générale
La réflexion sur la traduction juridique fait partie intégrante de
la traductologie dont ell e constitue l’une des branches. Elle partage avec
la traductologie générale une longue « préhistoire » ayant précédé la
constitution progressive, dès les années 1950, d’une discipline sui generis
ainsi qu’ un fonds commun de notions et de méthodes . Il convi ent de
souligner cet ancrage qui se manifeste, entre autres, dans l’appartenance
du traducteur juridique au groupe socioprofessionnel des traducteurs au
sens large, dans les troncs communs des formations professionnalisantes
ou encore dans le dialogue entr e traducteurs et chercheurs œuvrant dans
des domaines différents.
Certains courants traductologiques ont connu peu d’adeptes
parmi les traducteurs et/ou traductologues juridiques. Tel est le cas de la

23 Arntz « Terminologie der Terminologie ». In : Snell -Hornby et al. 1998, 77 („ Das
Übersetzen eines Fachtextes ist (…) nur dann möglich, wenn man über den Fachwortschatz des
betreffenden Gebietes, seine Terminologie, verfügt.“) .

121
théorie du skopos développée par Reiss et Vermeer (198 4). Non sans
raison, on lui reproche qu’elle « accorde un pouvoir excessif au
traducteur » (Glanert 2011, 68).

3.2. Traductologie juridique
En tant que branche de la traductologie, la traductologie
juridique a une extension plus circonscrite; en même temp s, elle déborde
clairement le cadre de référence de la traductologie générale, non en
dernier lieu parce qu’elle doit tenir compte :

– des spécificités des ordres juridiques en présence
– des enjeux juridiques du traduire
– des conditions d’exercice des sujets traduisants.
En raison de la prépondérance de l’aspect juridique , la
première partie du présent exposé a été consacrée aux apports
juridiques. Par la suite, nous esquisserons certains aspects de la réflexion
traductologique en la matière en nous référant essentiellement aux
travaux de Susan Sarcevic (1997).
a) Le cadre énonciatif
Le cadre énonciatif de la traduction juridique est largement
déterminé par le jeu des institutions24. Quatre catégories d’instances
commandent pour l’essentiel la traduction juridiq ue : le pouvoir
législatif, la doctrine, le pouvoir juridictionnel ainsi que le pouvoir
exécutif, notamment l’administration. Conformément à nos remarques
en introduction, le développement qui suit se limite à la traduction
judiciaire.
En France, l’auteur de ce type de traduction a normalement le
statut d’expert judiciaire; en tant que tel, il exerce une mission ponctuelle
de service public, soit en vertu d’une assermentation par la Cour d’appel
de son inscription, soit en plus en vertu d’un agrément de la Cour de
cassation. Son statut implique également des injonctions spécifiques qui
peuvent être, soit impératives (textes légaux et règlementaires (NCPC),
réquisition ou ordonnance de commission d’expert), soit facultatives
(codes déontologiques des corporat ions représentatives, etc.).
La traduction ainsi produite fait foi en vertu d’un double
transfert d’autorité de l’organisme habilitant vers l’agent habilité, puis
vers le document traduit et certifié conforme par ses soins. Pour cette
raison, une telle tr aduction requiert, pour être valable, un formalisme
particulier exigeant la mention des coordonnées professionnelles, le
cachet ainsi que la signature de l’expert.

24 Signalons entre parenthèses que la majorité des études porte sur la production ; rares
sont les travaux portant sur la réception de tra ductions juridiques.

122
Toute traduction juridique s’inscrit donc d’emblée dans un cadre
institutionnel contraignan t qui influe fortement sur le choix des
méthodes. Il peut aller jusqu’à les déterminer avec plus ou moins de
précision. Pour cette raison, la liberté du sujet traduisant vis -à-vis du
choix des méthodes est limitée. Elle est clairement subordonnée à
l’impér atif de sécurité juridique25. De surcroit, les méthodes sont
susceptibles de varier selon l’ordre juridique concerné, même selon
l’organisme concerné (Sarcevic 1997, 53).
D’un point de vue méthodologique, la traductologie juridique peut
paraître moins auda cieuse que d’autres sous -disciplines traductologiques.
On ne saurait aborder la question des méthodes en traduction
sans rappeler qu’une traduction est toujours le fait d’un sujet
traduisant . Celui -ci doit faire des choix qui témoignent d’une certaine
marge de liberté ).
Les documents soumis à l’expert judiciaire relèvent d’un certain
nombre de discours spécifiques que l’on peut schématiquement
présenter comme suit (Lenzen 2012):

Principales
autorités
requérantes/
principaux
commanditaires La Cour
d’appel ainsi
que les
tribunaux du
ressort de la
Cour Les
auxiliaires de
justice
(avocats,
huissiers,
notaires, etc.) Les
universitaires Les entreprises
et particuliers
Principaux
types de
discours Discours
juridictionnel Discours
contractuel et
judiciaire Disc ours
doctrinal Discours
administratif,
contractuel,
etc.
Types de
documents Arrêts
Assignations
Commissions
rogatoires
Déclarations
Jugements
Notification
ou
signification
d’actes
Procès –
verbaux
Etc. Assignations
Contrats
Etats des
lieux
Transactions
Etc. Articles et
ouvrages de
doctrine
Etc. Actes
administratifs
(de naissance,
de mariage,
d’état civil,
carte grise,
extrait du
casier
judiciaire, etc.)
Avenants
Contrats
Etc.

25 Voir aussi : Sarcevic (1997, 47): « (…) the translator must take account of legal criteria,
even when making linguistic decisions. Hence, the decision -making process of the legal
translator is based primarily on legal considerations. ’

123
b) La nature même de « la » traduction juridique
La réflexion sur « la » traduc tion juridique a longtemps été
dominée par des thèses sourciers. Weisflog en fournit l’exemple en
prônant « une procédure se tenant autant que possible à la forme de la
langue source ou du texte source. Le traducteur doit, par voie de
conséquence, se tenir au mot du texte source. Le résultat en est une
traduction plus ou moins littérale. »26 Ce précepte repose, me semble -t-il
sur deux hypothèses discutables, autant l’une que l’autre.
Premièrement, l’extrait cité suggère que la forme puisse être
conservée lors du passage de la langue source à la langue cible. Or, il est
patent que les langues naturelles se distinguent à tous les niveaux
d’analyse, que ce soit la phonétique/graphie, la morphologie, la
sémantique ou encore la pragmatique. Dans ces conditions,
l’application des caractéristiques formelles de la langue et/ou du texte
source au texte cible est susceptible d’avoir pour effet de souligner
« l’étrangeté » du document, voire de lui procurer une coloration (effet
de distanciation) que ne ressent pas le le cteur du texte source.
Deuxièmement, le passage en question considère que
l’isomorphisme entre les deux versions linguistiques du texte garantit
la « fidélité » de la traduction . Là aussi, nous sommes, me semble -t-il,
face à une erreur de jugement. L’iden tité de forme est de nature
purement morphologique, elle n’apporte aucune garantie quant au
sémantisme véhiculé. La langue commune et la terminologie recèlent de
nombreux exemples de faux amis27. Le terme américain
« Administration » ne se traduit point par « administration » en langue
française. En dépit d’une forme identique ces lexèmes et/ou lexies sont
porteurs de significations différentes.
La nature juridique des textes source , leur juridicité, et les effets
– juridiques – du traduire ne détermine cependant pas ipso facto le
positionnement méthodologique du traducteur . Si de nos jours, les
attentes du public cible sont davantage pris en compte en traduction
juridique, c’est que les auteurs considèrent davantage ce type de
traduction comme variante de la communication spécialisée
interculturelle .

26 Walter E. Weisflog : «eine Prozedur, die sich möglichst an die Form der
Originalsprache bzw. des Originaltextes (Ausgangstextes) hält. Der Übersetzer muss
sich entsprechend an das Wort des Ausgangstextes halten. Das Resultat ist eine mehr
oder w eniger w örtliche Übersetzung. » (1996, 54 ).
27 Exemple : « la province » (F) ≠ « die Provinz » (D) ; « department » (GB) ≠
« département » (F)

124
c) Enjeux juridiques du traduire
Nous avons défini la traduction juridique comme étant toute
traduction produisant un effet de droit , et cela indépendamment de la
nature du document source. Plus précisément, le t raducteur ne
recherche pas n’importe quel effet de droit mais bien un effet analogue
à celui que le document source aurait produit dans la culture source.
L’attente – légitime – de l’utilisateur de la traduction juridique repose
nécessairement sur une « présomption d’effet équivalent »28.
Rappelons que la traduction juridique efficace est une condition
sine qua non de toute interaction et collaboration par -delà les frontières
linguistiques. Au sein de l’Europe communautaire, on observe
actuellement deux mouv ements complémentaires que sont :
– Une augmentation du nombre de langues officielles . Sans
traduction juridique et sans la foi en sa fiabilité le fonctionnement
normal d’ensembles plurilinguistiques comme l’Union Européenne qui,
depuis l’admission de la Croatie, compte 28 États et 24 langues
officielles, ne serait tout simplement pas envisageable.
– Des tentatives de simplification des procédures qui respectent
l’égalité de droit des langues officielles ainsi que les droits des personnes.
Citons, à titre d’exemple, l’édition multilingues de certains extraits de
l’état civil ou encore l’instauration d’un mandat d’arrêt européen, entré
en vigueur le 1er janvier 2004.

d) Nature et pluralité des langages juridiques
Nombreux sont les linguistes à avoir manifesté leur intérêt pour
« Le langage du droit 29. Or, « le » langage juridique n’existe pas plus
que « le » droit . Pour cette raison, il convient de parler au pluriel des
langages juridiques, puisqu’il y a autant de langages juridiques qu’il y
a d’ordres juridiqu es. Leurs formes respectives sont spécifiques, même
s’ils remplissent des fonctions similaires (abstraction, concentration sur
les seuls aspects juridiquement pertinents).
L’application des outils conceptuels de la linguistique n’est pas
suffisante pour r endre compte de la nature des langages juridiques. Il
convient de tenir compte de leur juridicité.
Une traductologie juridique doit explorer l’interaction observable
entre droit et langue dans le domaine de la traduction juridique.

28 Cf. Sarcevic: « the presumption of equal effect » (1997, 71) .
29 La formule est également l’intitulé d’un ouvrage signé Sourioux /Lerat (1975).

125
4. Apports de disciplines ancillaires

4.1. Documentation juridique bilingue ou plurilingue
Nous avons déjà constaté que le traducteur juridique pratique
également une variante de la recherche documentaire en droit. S’il
mobilise en partie les mêmes ressources documentaires, leur utili sation est
spécifique à la traduction. Dans un premier temps, la documentation est à
la base de la compilation de corpus, corpus servant essentiellement :
– A l’étude des conventions rédactionnelles propres à telle culture
juridique
– A la terminographie p onctuelle au service d’un projet de traduction
– A la terminographie systématique.
La recherche documentaire en traduction juridique se
distingue de la recherche documentaire unilingue en droit , et cela par
au moins trois traits:
le nombre de langues utilisées (au moins deux, c’est -à-dire
langue source et langue cible),
son caractère pluridisciplinaire recouvrant toujours des aspects
linguistiques (terminologie, etc.) et extralinguistiques liés à la
discipline en question,
la profondeur (moindre) des reche rches portant sur le fond de la
question abordée par le texte à traduire. Cette différence de
profondeur de recherche implique que le traducteur ne (re)monte
pas autant vers des ouvrages spécialisés que l’auteur du texte –
source.

4.2. Terminologie et terminogra phie bilingues
De nombreuses publications traductologiques consacrent une
attention particulière aux difficultés que représentent les termes
juridiques lors de la traduction ( Schmidt -König 2005 ; par exemple) . Dans des
ouvrages à vocation didactique notam ment, l’intérêt pour la
terminologie juridique est souvent cantonné à identifier des types de
problèmes, puis à suggérer des « procédés » censés résoudre les
difficultés identifiées. Il y a là une parenté évidente avec la linguistique
comparée qui explique le caractère superficiel de la démarche.
Parfois, la traduction juridique toute entière est ramenée à un
travail de terminologie comparée servant de démonstration à l’appui
d’un propos donné. L’intérêt méthodologique de la terminologie et de
son émanation appliquée, la terminographie, ne se limite cependant pas
à cette perspective, utile, certes, mais potentiellement utilitariste.
Pour le traducteur, la linguistique juridique n’a pas pour objet
une seule langue mais au moins deux, la langue source et la la ngue
cible. Pour lui, cette discipline est une ressource importante, non en
dernier lieu puisqu’elle met en relief les servitudes d’un langage

126
juridique donné au sein d’un ordre juridique donné. Lorsqu’il mobilise
l’outillage conceptuel de la terminologie juridique, le traducteur devrait,
dans un premier temps, aborder de manière séparée les langues et ordres
juridiques en présence, avant de les confronter dans une perspective
comparatiste (Sandrini 1995) Mais à la différence du terminologue
comparatiste qu i mène des études systématiques, le traducteur aura
tendance à se cantonner à des études ponctuelles au service d’un projet
de traduction. Il va donc s’inspirer de la méthodologie en terminologie
bi-, voire multilingue qui n’en devient pas pour autant une sous-
discipline traductologique.
La confrontation des institutions nationales que sont le Pacte
Civil de Solidarité (PACS) français et l’ Eingetragene Lebenspartnerschaft
allemande en constitue un exemple intéressant ; sa présentation
dépassant le cadre du présent exposé, nous nous contentons de constater
que le PACS est une institution concurrente du mariage qu’il tend à
supplanter alors que l’ Eingetragene Lebenspartnerschaft est une institution
complémentaire ouverte aux seuls couples de même sexe.
La term inologie/terminographie bilingue peut amener à préciser
davantage le contenu sémantique d’un terme. Soit le terme français
« prescription ». Dans la terminologie française, l’hyperonyme
« prescription » s’applique indifféremment à la prescription extinctiv e et
à la prescription acquisitive. La terminologie allemande, par contre,
comporte deux termes non apparentés, c’est -à-dire respectivement
« Verjährung » et « Ersitzung » pour exprimer ces deux notions. Elle ne
connaît aucun hyperonyme reliant les deux pr ocessus.
Au-delà du terme isolé, le traducteur juridique tend à respecter
la cohérence terminologique de ses traductions en évitant le recours aux
synonymes ou quasi -synonymes.

4.3. (Co-)Rédaction
La rédaction peut être considérée comme corrélat appliqué de
l’analyse textuelle en droit . Il ne s’agit pas d’une discipline mais d’ un
savoir faire qui entre dans la compétence traductive. Dans ce domaine,
le traducteur peut mobiliser :
– L’analyse textuelle à partir de corpus préalablement
constitués par ses soins ;
– Des ouvrages didactiques à destination de praticiens du
droit (Denieul 2002 ; Martineau 2004) ou d’étudiants
(voir, par exemple, Benoît et Benoît 2009);
– Son expérience30.

30 N’oublions pas qu’une méthode n’est pas une recette mais « une démarche raisonnée,
ordonnée de l’esprit pour parvenir à un certain but » (Larousse de la langue française , 1979,
1149).

127
Un aspect de la rédaction qui est souligné par la norme
européenne 15038 « Services de t raduction – Exigences requises pour la
prestation du service » concerne le contrôle de qualité. Cette norme de
2006 formule, entre autres, des exigences en matière de révision et de
relecture. Mais vu l’impératif de confidentialité, l’application de cette
norme au domaine de l’expertise me paraît problématique, pour ne pas
dire improbable.
Certains organismes comme la Direction générale de la
Traduction (DGT) de la Commission européenne ont leurs propres
méthodes de contrôle de qualité (v. Tranchant in Cor nu et Moreau
(éds.) 2011, 199 -206).
La corédaction , quant à elle, est la rédaction, dans deux ou
plusieurs langues, d’un texte dont les différentes versions
linguistiques sont réputées équivalentes et, en règle générale, d’égale
autorité. Pratiquée notamme nt au sein des États bilingues (Canada) ou
plurilingues (Suisse, Belgique), la corédaction législative est censée
exprimer l’égale valeur des langues officielles et éviter certains
inconvénients de la traduction (servitudes de la langue cible). Plusieurs
variantes peuvent être distinguées :
– Corédaction simultanée
– Corédaction alternée
– Corédaction à entrée double
Quelle que soit la méthode employée, la pratique de la co –
rédaction repose sur une collaboration étroite entre juristes et
linguistes lors de la ré daction législative fait évoluer les fonctions du
traducteur qui, au lieu de travailler sur un document source préexistant,
intervient dans la rédaction même des originaux.
On peut, certes, s’interroger pour savoir si une telle pratique
constitue encore un e traduction, mais ce qui est indubitable, c’est qu’elle
fait appel aux compétences dont dispose seul le traducteur.

Conclusions

En tant qu’interdiscipline, la traduction est toujours caractérisée
par un certain pluralisme méthodologique. Dans le cas de la traduction
juridique ce pluralisme est d’autant plus prononcé que cette variante de
la traduction est foncièrement interdisciplinaire, intégrant des
composants linguistiques et juridiques; de surcroit, elle doit
fréquemment tenir compte de référents sp écifiques à de multiples autres
domaines du savoir (méthodes et techniques policières, médecine,
technologies, finance, drogues, etc.).
Le pluralisme méthodologique est loin d’être un phénomène
purement quantitatif. La traduction judiciaire est, comme tout e

128
traduction juridique, guidée par sa finalité – juridique – et obéit, à ce
titre, avant tout à des impératifs relevant du droit. Cet état de fait
explique la nécessité d’une branche spécifique des études
traductologiques, la traductologie juridique. Or, l ’actuelle multiplication
des études dans ce domaine montre que les contours de cette branche ne
se dessinent que lentement. Ce qui a notamment retenu notre attention,
ce sont les rapports que cette sous -discipline entretient avec des
disciplines connexes d ont elle est amenée à mobiliser certaines
méthodes sans pour autant pouvoir les annexer à son domaine.
Outre le pluralisme des méthodes, le chercheur observe
également la grande diversité de leur mise en œuvre dans le cadre des
pratiques traduisantes. La p résente communication a permis d’entrevoir
que « la » traduction judiciaire et, a fortiori, la traduction juridique est
plurielle. Dans les faits, ses conditions d’exercice, de production et de
réception varient en fonction d’une multitude de paramètres qu e seule
une traductologie juridique fondée sur des recherches empiriques ne
saurait décrire et analyser dans toute leur complexité (ordre juridique,
institution, sujet traduisant, etc.).
La présente étude n’a pu aborder les prolongements didactiques
du plu ralisme des méthodes en traduction judiciaire, ni la variabilité des
prestations effectives qui sont et seront toujours le fait de l’individu
traduisant et relèveront toujours de sa responsabilité.

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Schulthess, 1996 .

130

Une étude historique -compara tive des traductions du catalan en
roumain. Questions de méthode

Diana MOȚOC
Université « Babeș-Bolyai » de Cluj -Napoca
Roumanie
Résumé : Dans notre intervention, nous discutons de la méthode ou des
méthodes de recherche à utiliser dans l’étude historique -comparative des
traductions (littéraires) du catalan en roumain . La recherche sur les traductions
en tant que rencontre culturelle – entre la culture catalane et la roumaine, dans
ce cas –, ainsi que leur inventaire dans l’histoire et leur analyse suppose nt une
méthode hybride de sociologie de la traduction, basée sur les études descriptives
de la théorie des polysystèmes (Even -Zohar), le « patronage » (Lefevere), la
théorie des biens culturels (Bourdieu), la théorie des normes (Toury), la théorie
de la ma nipulation dans la traduction littéraire (Hermans), ainsi que sur les
études de littérature comparée (Pageaux) et la théorie de la réception (Jauss).

Mots -clés : méthode historique -comparative, traduction littéraire, littérature
catalane

Abstract : This p aper deals with the research method(s) to be used in historical –
comparative study of literary translations from Catalan into Romanian.
Analyzing translations as a cultural encounters – between the Romanian and
Catalan cultures , in our case – making an inve ntory and analyzing translations as
texts involves hybrid method of sociology of translation based on the descriptive
studies entailed by the polysystem theory (Even -Zohar ), the " patronage "
(Lefevere), the theory of cultural goods ( Bourdieu), the theory of norms (Toury ),
the theory of manipulation in literary translation (Hermans ) and studies of
comparative literature (Pageaux) and the theory of reception (Jauss).

Keywords : historical -comparative method , literary translation , Catalan
literature
Les faits : les traductions du catalan en roumain . Bref aperçu

La traduction a toujours eu un rôle de catalyseur des contacts
entre les cultures et les langues, favorisant la connaissance réciproque.
Elle continue à jouer ce rôle à présent, à l’ère de la globalisati on, même
(ou surtout) lorsqu’il s’agit de cultures dites « mineures » (dans le sens de
« moins répandues et moins connues »). Autrement dit, la traduction est
aussi un lieu privilégié de rencontre entre des enclaves culturelles,

131
comme c’est le cas des cult ures roumaine et catalane. Pour des raisons
qui tiennent aux aléas de l’histoire, celles -ci se sont peu fréquentées l’une
l’autre. Un premier moment dans la chronologie de cette aventure
commence à la fin du XIXe siècle où, en plein Romantisme, les deux
littératures naissent (la roumaine, au moins la moderne) ou renaissent
(la catalane, par le mouvement culturel la Renaixença ), et finit pour des
raisons historiques -politiques évidentes peu après les années 30. Pendant
cette période on traduit par excellence de la poésie, surtout celle du
« patriarche moderniste » Joan Maragall, qui est le premier auteur
catalan publié en volume dans l’espace culturel roumain. Il s’agit du
livre Laude , qui nous parvient par le truchement de l’espagnol dans la
version de Popes cu-Telega. Ces débuts traductifs de poésie catalane
culminent avec l’intense activité de Nicolae Iorga dans les années 30,
lorsqu’il met en roumain plus de 15 poèmes de poètes catalans
modernes et médiévaux, ainsi que de la poésie populaire catalane. Les
traductions ont été publiées dans la revue Cuget Clar et reprises à la fin de
son livre O mică țară latină : Catalonia și Exposiția din 1929, Note de drum
și conferințe.
Toutefois, ces premiers rendez -vous ne débouchent pas sur un
parcours conséquent. D’un côté, les lettres roumaines, ancrées dans les
divers ports de la « grande » culture, mettent entre parenthèses le reste
du monde ; de l’autre, les Catalans eux -mêmes ignorent la politique du
marketing culturel à cette époque -là. Pour que, les dictatures a idant, le
quasi -silence s’installe allant des années 40 aux années 60 (la dictature
franquiste interdit l’utilisation du catalan en public, cependant qu’en
Roumanie, la dictature communiste coupe les ponts avec l’Occident).
Il faudra attendre les années 70 pour que ces « timides, mais
précieuses, traditions de diffusion de la culture catalane en Roumanie »
(Dumitrescu 1979, 26) continuent de manière plutôt sporadique toujours
avec la poésie, 40 ans après l’intense année catalane d’Iorga. Ceux qui
reprennent l’initiative sont Marian Papahagi, Victor Ivanovici, Dumitru
Trancă et Darie Nov ăceanu (les deux derniers probablement par
l’intermédiaire de l’espagnol), qui traduisent des poètes consacrés, surtout
Maragall et Espriu, de véritables repères de la littérature catalane .
Les changements politiques ultérieurs permettent une ouverture
des et vers ces deux cultures européennes. Des circonstances telles la
chute du communisme en Roumanie ou les Jeux Olympiques de
Barcelone de 1992 rendent possible, dans chacune des deux sociétés,
dans leur imaginaire collectif, une relative con naissance réciproque
(Montoliu 2008). Après 1989, en Roumanie, il y a une vraie explosion
éditoriale, les traductions étant amenées à occuper une place privilégiée.
Même si les choix portent surtout sur des titres et des noms consacrés
appartenant aux zone s d’hégémonie culturelle (anglaise, française,

132
allemande, espagnole…), il y a eu aussi une diversification des langues
dont on traduisait, qui facilite le dialogue entre les cultures dites
« mineures ». C’est aussi le cas des traductions du catalan. À part ir de
l’année 1993, il y a eu un moment décisif pour les contacts littéraires
catalano -roumains. Le gouvernement catalan, à travers le lectorat de
catalan de l’Université de Bucarest (créé une année auparavant et dont
le premier lecteur a été Xavier Montol iu Pauli) prend la décision
d’appuyer l’initiative des quelques maisons d’édition roumaines qui
découvraient des écrivains catalans. Ainsi, en 1995, la maison d’édition
Univers publie le premier roman traduit directement du catalan en
roumain, Piața Diaman tului [La plaça del Diamant] de Mercè Rodoreda,
traduit par Jana Balacciu Matei et Xavier Montoliu Pauli.
Trois ans après, la maison d’édition Meronia de Bucarest crée la
collection la Bibliothèque de Culture Catalane (Biblioteca de Cultur ă
Catalană), cons acrée exclusivement aux œuvres de cette région du
monde latin et qui comprend jusqu’à présent 35 titres. La collection est
une « œuvre » très personnelle de Jana Balacciu Matei, qui en est la
responsable et l’auteure de la plupart des traductions (elle a t raduit 20
des 35 titres publiés). C’est elle qui choisit les livres à traduire, sur les
recommandations d’amis éditeurs et critiques catalans, et tout
particulièrement de Xavier Montoliu Pauli (lui aussi traducteur et
amoureux de la culture roumaine). Ce s ont Balacciu Matei et Montoliu
Pauli qui signent aussi la plupart des préfaces et des chronologies qui
accompagnent presque toutes les traductions. Née de son amour pour
cette culture, de son admiration envers cette littérature qu’elle veut
partager avec l es lecteurs roumains, la collection est sa « folie », dit
souvent la passionnée traductrice Jana Balacciu Matei.
Une « folie » raisonnable, peut -on dire : la littérature catalane,
dont le fondateur est un des grands philosophes et mystiques médiévaux
europ éens, Ramon Llull, compte sur des écrivains remarquables, qui
commencent déjà à être reconnus dans l’espace littéraire international.
Prenons juste deux exemples. Le premier : Mercè Rodoreda, qui a été
traduite en 30 langues et pour laquelle Gabriel García Márquez, et ce
n’est pas le seul, a une grande admiration, considérant La plaça del
Diamant [La Place du Diamant] « le plus beau roman publié en Espagne
après la guerre civile » (2010, 105). Le second : le succès du roman Les
veus del Pamano [Les voix du Pamano] de Jaume Cabré en Allemagne,
roman dont la traduction a été publiée par la prestigieuse maison
d’édition Suhrkamp et dont plus de 150.000 exemplaires se sont vendus
après 2007, lorsque la Foire du livre de Francfort a eu comme invité
d’honneur, non pas un pays, mais une culture, la culture catalane. Les
deux romans, ainsi que deux livres de Ramon Llull figurent sur la liste
des traductions de la collection de Meronia. Tous les livres publiés dans

133
cette collection sont des traductions directes du cat alan. Peu à peu, c es
dernières années, d’autres traducteurs et d’autres maisons d’édition
roumaines ont pris la même initiative.
Aussi pouvoir parler de traductions entre le catalan et le
roumain est -il un fait assez récent. Malgré leur proximité de filiat ion
latine, les Roumains et les Catalans se connaissaient très peu. En outre,
leur présence dans la sphère de la culture internationale était et,
d’ailleurs, est encore assez modeste, à peu d’exceptions près. Un des
aspects notables dans la relation entre les deux langues et cultures est la
position que chacune occupe dans le système de l’autre. Le roumain et
le catalan sont « exotiques » l’un pour l’autre, et les produits artistiques
des deux espaces ont un statut marginal dans la culture cible. Il y a don c
un rapport de périphérie à périphérie, dans les termes de la théorie du
polysystème d’Itamar Even -Zohar, ou de culture dominée à culture
dominée, selon Pierre Bourdieu, ce qui n’a de cesse d’influencer le
comportement traductif. C’est ce qu’une étude des traductions, dans les
termes d’une perspective historique -comparative, nous permettra
probablement de démontrer. Car l a traduction est un phénomène
d’échange qui suppose une perception précise et détaillée du contexte
qui l’a générée et à laquelle elle s’ adresse, d’où la nécessité d’une analyse
descriptive et quantitative, qui vise l’exhaustivité (Pageaux 2000). Or, la
recherche historique -comparative propose une approche de l’activité de
traduction et d’édition dans le but de réaliser une bibliographie dé taillée
qui comprenne le corpus de textes traduits, édités ou réédités (signe d’un
certain succès) et s’évertue surtout à répondre à des questions telles :
qu’est -ce qu’on a traduit et pourquoi ?, qui a traduit ?, dans quelles
circonstances ? et dans quel contexte ?

La (les) méthode(s)

Gideon Toury (1995, 1997) propose un cadre d’analyse de la
traduction où il conçoit la traduction en tant que produit d’un transfert
culturel, révèle son intervention dans la culture -cible et insiste sur
l’importance des do nnées descriptives comme fondement de la théorie.
À son tour, Theo Hermans (1999) voit l’avenir du paradigme descriptif
et systémique comme une direction de recherche de l’histoire de la
traduction, qui doit être plus concrète, doit tenir compte de chaque
circonstance spécifique et réaliser des études de cas pratiques. D’ailleurs,
les études historiques31 en traductologie se sont consolidées ces dernières

31 Parmi les études d’histoire générale de la traduction et de la réflexion sur la t raduction
les plus notables sont celles de Van Hoof (1991), Michel Ballard (1992), Delisle et
Woodsworth (1995). Pour le domaine roumain, nous remarquons les études
coordonnées par Georgiana Lungu -Badea: Repertoriul traduc ătorilor români de limba

134
décennies et beaucoup de traductologues mettent en avant leur
importance au sein des études sur la tradu ction.
Ce que nous nous proposons dans ce qui suit, c’est de donner un
bref aperçu de la méthode (des méthodes ou bien de la méthode hybride
?) de recherche utilisée dans les études historiques -comparatives sur la
traduction, afin de pouvoir découvrir une ligne de conduite fiable et
complexe qui puisse rendre compte du phénomène traductif dans le cas
précis qui est le nôtre, cet aller -retour du catalan au roumain . Nous
pensons d’emblée à une méthode hybride où se rencontreraient la
sociologie de la traducti on, basée sur les études descriptives de la théorie
des polysystèmes d’Itamar Even -Zohar, le « patronage » d’André
Lefevere, la théorie des biens culturels de Pierre Bourdieu, la théorie des
normes de Gideon Toury, la théorie de la manipulation dans la
traduction littéraire de Theo Hermans, ainsi que les études de littérature
comparée (Daniel Henri Pageaux) et la théorie de la réception de Hans
Robert Jauss.
Pourquoi plusieurs méthodes ou pourquoi une méthode hybride ?
Les principes et les concepts de tout es ces théories peuvent paraître
différents, mais ils sont, au fond, complémentaires et cette
complémentarité, voire interdisciplinarité, répond au fait complexe qu’est
la traduction : « une activité culturelle, déroulée dans un contexte
historique et soci al déterminé, effectuée par un être humain, avec sa
subjectivité et diverses et inévitables contraintes » (Pelea 2010, 16). Tout
en définissant l’objet de l’approche sociologique, Heilbron et Sapiro
soulignent le caractère interdisciplinaire des Translatio n Studies et des
études des processus de « transfert culturel », « deux démarches voisines
développées notamment par des comparatistes, des historiens de la
littérature, des spécialistes d’aires culturelles et d’histoire intellectuelle »
(2002, 3).
La prem ière théorie utile pour notre démarche est la théorie du
polysystème d’Itamar Even -Zohar (1997). Elle conçoit la littérature
comme un système complexe, dynamique et hétérogène constitué de
nombreux sous -systèmes et dans lequel, à chaque phase de son
évolut ion, coexistent de nombreuses tendances différentes. Le
polysystème littéraire est en relation avec d’autres polysystèmes, telles
les structures socioéconomiques et idéologiques de chaque société.
Ainsi, l’analyse littéraire s’intéresse -t-elle non seulemen t à la production
textuelle, mais aussi à la réception dans un contexte historique, à sa
position dans le système littéraire et à la relation avec d’autres
littératures. La traduction, faisant partie de la culture cible, participe à la

franceză, italiană, spaniolă din secolele al XVIII -lea și al XIX -lea. Studii de istoria traducerii I et
II (2006), Un capitol de traductologie româneasc ă. Studii de istorie a traducerii (III) (2008) et
Scurtă istorie a traducerii. Repere traductologice (2007).

135
formation du polysys tème. Selon Itamar Even -Zohar, la littérature
comprend des normes et des textes qui sont considérés légitimes et des
normes et des textes considérés illégitimes. La binarité canonique/non
canonique est un premier outil (même si insuffisant) pour décrire le s
textes sources, parce qu’on peut supposer que le comportement du
traducteur sera différent en fonction de ce qu’il a à traduire : un
classique ou un texte non consacré. Dans le cas des traductions du
catalan, rien n’est encore consacré dans le système ou le polysystème
roumain. Le marché du livre est difficile à conquérir par des auteurs et
des œuvres qui ne font pas partie du discours international attitré ou
derrière lesquels il n’y a pas une impulsion commerciale qui les
soutiennent. L’analyse peut dév oiler quelle a été la relation entre
l’initiative privée et la politique culturale, car nous avons vu que les
traductions du catalan en roumain sont le résultat d’un choix et d’un
effort personnel ainsi qu’institutionnel plutôt que d’une demande du
public cible. Dans la conception d’Itamar Even -Zohar la notion
d’institution prend la place du contexte. L’auteur inclut dans le concept
d’institution les producteurs de textes (dans le cas de la traduction, les
écrivains et les traducteurs, les critiques, les ma isons d’éditions, les
organismes gouvernementaux, les institutions d’enseignements, etc.).
Cette notion est complétée par le concept de « patronage » d’André
Lefevere (1992), concept qui est représenté par l’ensemble des instances
qui ont le pouvoir de sti muler ou d’empêcher la lecture, l’écriture et la
réécriture. Il est constitué de trois éléments en interaction : idéologie,
économie, statut. Si l’idéologie a pu entraver la traduction pendant les
deux dictatures mentionnées, dans la société actuelle l’élé ment
économique est dominant dans les choix éditoriaux. Avec, peut -être,
l’exception des éditions Meronia. Dans ce cas de figure, même si ce sont
les subventions accordées par l’Institut Ramon Llull de Catalogne qui
ont permis dans une certaine mesure la p ublication des traductions, le
risque de l’édition d’une littérature presque inconnue au public cible est
intégralement assumé par l’éditeur.
Une autre binarité est celle de centre/périphérie d’un
polysystème. Selon Even -Zohar, il y a un système internatio nal formé
lui aussi de ces deux composants. Les littératures roumaine et catalane
se situeraient toutes les deux à la périphérie par rapport aux littératures
centrales (française, espagnole, anglaise, etc.), avec la particularité que
l’une est « nationale » et l’autre « régionale » et que cette dernière fait
partie d’un polysystème central (l’espagnol) au niveau international et
occupe à l’intérieur de celui -ci une position plutôt périphérique,
bénéficiant toutefois d’une forte politique linguistique et cul turelle
d’émancipation.
Quant à Pierre Bourdieu (1998), il offre des outils sociologiques
pertinents pour décrire la dynamique des relations culturelles,

136
complémentaires à la théorie du polysystème. Une notion utile pour
notre recherche est celle de champ et des rapports dominant/dominé,
avec réserves, car plus sensible politiquement parlant. Les champs
littéraires source et cible entretiendraient, dans notre cas, un rapport
dominé -dominé, comme nous l’avons déjà anticipé, ou, pour nuancer,
un rapport entre des champs qui entrerait plutôt dans une troisième
case, celle des cultures et des langues « ayant une histoire et un crédit
relativement important, mais peu de locuteurs, peu pratiquées par les
polyglottes et peu reconnues en dehors des frontières nation ales, c’est -à-
dire peu valorisées sur le marché littéraire mondial » (Casanova 1999,
9). La position de Lungu -Badea (2012) qui considère le statut de langue
minoritaire de la langue roumaine injustifié nous semble révélatrice. En
effet, il faut se demander si le statut du roumain est celui de « [l]angue
minoritaire, car sa culture n’est pas majoritaire, par conséquent, langue –
culture petite, exotique ? Ou langue majoritaire, étant donné qu’il est la
langue officielle d’un pays, langue d’enseignement, vivant e […] ? »
(Lungu -Badea 2012, 37).
L’inégalité entre les champs a « des effets si puissants qu’elle
peut empêcher objectivement (ou au moins rendre difficile) la
reconnaissance ou la consécration d’écrivains pratiquant des langues
dominées » (Casanova 1999, 14). Le roumain et le catalan sont peu
étudiées et peu parlées en dehors des frontières des pays respectifs ; la
conséquence en est une connaissance moindre de la culture que ces
langues représentent, des œuvres littéraires écrites dans ces langues qui
dépendent dans une grande mesure de la traduction pour arriver à un
public autre que celui national, voire régional dans le cas du catalan.
Pour revenir aux termes du polysystème, l’opposition centre/périphérie
est en rapport direct avec la position de la tr aduction dans le
polysystème : elle est périphérique si le polysystème dont elle fait partie
occupe une position centrale (Even -Zohar 1997, 50) et, à l’inverse, on
pourrait déduire que dans un polysystème périphérique la traduction
occupe une position cent rale (Pelea 2010, 21).
Aujourd’hui, comme avant, la position périphérique du roumain
signifie une ouverture vers l’Étranger, surtout vers l’Étranger dominant
ou occupant une position centrale. Mais aussi vers l’Étranger moins
connu : les traductions du cat alan en sont une preuve. Par contre, il y a
une asymétrie évidente entre le nombre des traductions du roumain en
catalan par rapport aux traductions du catalan en roumain. Ribera
Llopis observe que « même si la traduction n’a pas été une arme ignorée
par l es lettres catalanes, la création roumaine semble ne pas y avoir
trouvé en contrepartie le lieu qu’elle méritait » (2009, 384, notre
traduction). Dans un rapport sur les traductions de et vers le catalan de
2006, Carme Arenas et Simona Škrabec constatent à leur tour qu’à
l’ouverture des Roumains envers la Catalogne ne correspond pas une

137
présence des auteurs roumains en catalan. L’échange avec la Roumanie
est « le plus déséquilibré entre toutes les cultures présentes [dans le
rapport], puisque normalement l’ export des auteurs catalans vers un
certain pays suppose l’incorporation de ses auteurs en Catalogne »
(Arenas et Škrabec 2006, 19 -20, notre traduction). Montoliu y trouve
plusieurs raisons : les contacts presque inexistants entre les agents
littéraires ca talans et roumains, le manque d’intérêt des institutions
roumaines d’aller à la rencontre d’autres cultures que les hégémoniques,
mais aussi la préférence des éditeurs catalans de publier des traductions
financées par le pays d’origine, enfin, « un manque d’intérêt justifié
peut-être par une probable méconnaissance du canon littéraire roumain
et par le manque des traducteurs connaissant les langues roumaine et
catalane » (2008, 114, notre traduction).
Pour revenir à la théorie du polysystème, il faut rappel er que
Hermans (1999) a formulé plusieurs critiques la concernant. Par
exemple, en opérant avec des termes binaires, exclusifs – canonique vs.
non canonique, centre vs. périphérie – on ne voit pas tous les éléments
ambivalents, hybrides, mobiles, changeant s. Par contre, le paradigme de
la manipulation opère des concepts de systèmes plus flexibles. Une autre
critique du polysystème serait l’absence de l’analyse du rôle du
traducteur, d’où la nécessité de prendre en considération d’autres
théories. De ce poin t de vue, la méthodologie de recherche de la théorie
des normes de Toury (1995) est plus précise et représente une
application des polysystèmes à la traduction. Les normes représentent
l’ensemble de valeurs partagées entre les utilisateurs et s’expriment d ans
des règles de comportements lors du processus traductif.
La théorie de Toury est utile pour le genre de recherche que
nous menons surtout parce qu’elle introduit la figure du traducteur, les
normes représentant un niveau intermédiaire entre sa compéten ce (les
options possibles) et sa performance (les solutions) (1995, 250 -252). Le
traducteur intériorise les normes et fait ses choix en fonction du
contexte. C’est à travers ses décisions que se manifestent la tradition
textuelle cible, le contexte sociohi storique, voire les limites humaines de
la traduction (Toury 1995, 54). Même si Toury ne détaille pas le rôle de
la personnalité du traducteur, il le reconnaît comme facteur de décision.
La méthode que nous adoptons dans notre recherche ne va pas, pour le
moment, jusqu’à analyser les décisions (stratégies) traductives au niveau
textuel, mais nous n’ignorerons pas pour autant le facteur humain. Cela
parce que, si des traductions entre le roumain et le catalan existent, c’est
grâce à des personnes passionnées et dédiées à la cause. Nous
soulignons que la décision de traduire a appartenu, dans le passé,
comme elle appartient toujours, à présent, par excellence, aux
traducteurs, d’Iorga à Balacciu Matei. Parfois, le traducteur s’identifie
avec l’éditeur et le cr itique : Jana Balacciu Matei, qui, au -delà de la

138
recréation du texte catalan en roumain, assume la responsabilité de
choisir l’auteur, l’œuvre, d’éditer la traduction et de la promouvoir
auprès du public roumain. Elle s’attache aussi à l’intégrer dans l’es pace
culturel cible à travers les paratextes (préfaces, notes, chronologies,
entrevues, articles). Ces initiatives, peut -être plus que les circonstances
politiques -historiques et linguistiques, peuvent dévoiler pourquoi
l’histoire des traductions entre le catalan et le roumain est plutôt récente.
Le choix des auteurs, qu’il appartienne à des traducteurs ou à des
institutions, s’est souvent conformé au canon, surtout dans le cas des
classiques, ou au succès immédiat des contemporains, à la conjoncture
ou à l ’esprit du temps, prouvant toujours, et à différents niveaux, la
subjectivité intrinsèque.
Les quatre catégories des normes de Toury (1995) – initiales
(choix global entre l’adéquation et l’acceptation), préliminaires (choix du
texte de départ, sélection d e la langue source), opérationnelles (structure,
omissions, ajouts) et linguistiques -textuelles – se constituent dans une
analyse descriptive complète du phénomène traductif et nous permettront
de comprendre le pourquoi et le comment de la traduction. Quan t aux
normes préliminaires, et juste pour en exemplifier l’application, il est fort
possible qu’une partie des traductions de poésie des années 20 -30 soient
indirectes (par l’intermédiaire de l’espagnol), mais sans le mentionner, à
l’exception du volume Laude traduit par Al. Popescu -Telega de
l’espagnol, consigné sur la page de titre. Par contre, toutes les traductions
parues chez Meronia sont directes du catalan et les pages de titre en
témoignent : « Traduit du catalan par… ». Pour appliquer les normes da ns
la recherche, les deux sources principales d’informations pour Toury sont
la source textuelle (les textes traduits) et les sources extratextuelles
(paratextes, notes des traducteurs, critiques des traductions, etc.). Nous
soulignons une fois de plus que toutes les traductions parues chez
Meronia sont accompagnées de préfaces, signées soit par le traducteur,
soit par des critiques, ainsi que de notes et de chronologies, et, dans la
presse, par des articles et entrevues avec le traducteur et l’auteur . Y es t
présent tout ce que Lefevere (1992) appelle des réfractions critiques ,
destinées à adapter une œuvre dans le but d’influencer sa réception, car
l’œuvre littéraire étrangère prend sa place dans le nouveau système par sa
traduction, mais aussi bien par des introductions, des notes, des
commentaires, des articles sur la traduction.
L’analyse de l’activité de traduction comprend l’identification
d’un certain nombre d’opérations, manipulations et interventions de la
part du traducteur, des procédés d’écriture qui constituent dans leur
ensemble une possible esthétique de la traduction (Hermans 1985). Pour
Hermans, parmi les interventions les plus évidentes du traducteur, se
remarquent la préface et la postface (écriture de la médiation), les notes,
les glossaire s, les articles, etc., c’est -à-dire les paratextes qui encadrent la

139
traduction. L’analyse de tous ces éléments, intérieurs ou extérieurs,
textuels ou extratextuels, connus sous le nom générique de « paratextes »
(créé par Gérard Genette en 1987), condition nent la compréhension de
l’existence et du fonctionnement des textes traduits. Le choix
systématique de l’éditrice Jana Balacciu Matei d’accompagner les
traductions de paratextes semble être le signe d’une volonté évidente
d’intervenir dans leur intégratio n dans le système culturel cible, une
stratégie éditoriale qui détermine la position du lecteur en lui facilitant
l’accès à l’œuvre traduite et du traductologue qui peut comprendre son
corpus par son contexte extérieur. Ainsi, l’étude des paratextes peut -elle
révéler quelle est la position des traductions du catalan dans la culture
roumaine, comment a évolué le comportement traductif et l’attitude du
lecteur.
Le texte cible, qui est plus ou moins un double pour le texte
source, modifie le contexte et le pub lic de ce dernier (Pageaux 2000). La
traduction et la réception ne peuvent pas être dissociées. L’étude de la
traduction peut conduire à une comparaison entre deux systèmes
littéraires. Les modalités d’intégration de la littérature traduite font
l’objet d’ une poétique liée à l’esthétique de la réception. L’étude de la
réception est nécessaire en traductologie parce qu’au fait traductif
participe non seulement un contexte, un champ culturel, aussi le lecteur,
destinataire de la traduction. L’œuvre traduite d evient partie de la
littérature -cible et, par conséquent, objet de la réception du lecteur. Pour
reconstituer l’horizon d’attente de Jauss, il faut interpréter les choix des
traducteurs. La réception du texte traduit par le lecteur cible s’avère
ainsi plus comple xe que celle du texte original : « elle sera non
seulement limitée par l’interprétation d’un intermédiaire, mais
influencée de surcroît par un facteur qui est le rapport à la culture et/ou
littérature source » (Pelea 2010, 51).
Pour conclure, nous v oulons mettre en évidence, une fois de
plus, que toutes ces théories, brièvement présentées, ne s’excluent pas,
mais présentent des éléments complémentaires qui peuvent être
réassemblés afin de constituer l’échafaudage d’une analyse dont la
matière complex e refuse les approches linéaires, met au défi la créativité
de l’interprète et peut offrir une réponse ne serait -ce que provisoire.

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141
3e Section

Argumentation des méthodes spécif iques de traduction
(travaux dirigés et /ou pratique s professionnelle s)

142

143

Les spécificités de la traduction du latin

Étienne WOLFF
Université Paris Ouest
France
Résumé : Cet article se propose d’examiner en quoi la traduction du latin dans les
langues vivantes, et principalement en français, pose des problèmes spécifiques, à
la fois par le statut de langue morte du latin, par l’image défavorable qui lui est
associée, et par la distance culturelle qui nous sépare de lui : aussi ces traductions
ne touchen t-elles presque plus qu’un public de spécialistes. Quant aux traductions
en latin, elles constituent à l’époque moderne un phénomène marginal. On
s’aperçoit en fait que le latin au cours de son histoire n’a jamais eu vocation à être
traduit.

Mots -clés : latin, langue morte, traduction, retraduction, spécialistes
universitaires, lectorat

Abstract : This article aims to examine how the translation from Latin into
modern languages , mainly French, poses special problems, both by the statute
of dead language of Latin, by the negative image associated with it, and by the
cultural distance that separates us from it : these translations therefore concern
almost no more than a specialist audience. As for translations into Latin, they
are in modern times a margina l phenomenon. We see in fact that Latin during
its history has never been intended to be translated.

Keywords : Latin, dead language, translation, new translation, scholars, readership
Je sais que je m’adresse à des spécialistes de traductologie, ce
que j e ne suis pas moi -même, et me limiterai donc à quelques remarques
générales32 issues de ma pratique et de mon expérience de traducteur, et
qui partent de la constatation que la réflexion sur la traduction porte
presque toujours sur les langues vivantes.

Statut du latin

Le latin est une langue morte et les textes en latin constituent par
conséquent un corpus fini (qu’il s’agisse du latin ancien, médiéval,
renaissant ou moderne), auquel ne sont guère venues s’ajouter de
nouveautés depuis la fin du XVIIIe siè cle. Certes il y a eu jusqu’au

32 Pour l’étude d’un cas précis, voir Wolff 2013.

144
XVIIIe siècle et parfois même après une production scientifique et
universitaire en latin. On cite toujours les noms de Descartes (Descartes
est néanmoins ambivalent, puisqu’il introduisit une rupture délibérée en
publiant so n Discours de la méthode en français en 1637), Newton, Kepler,
Leibniz, etc. La thèse, jusqu’à une époque qui a varié selon les pays
d’Europe et les matières, devait être rédigée en latin : ainsi la thèse
secondaire de Jaurès De primis socialismi germanici lineamentis apud
Lutherum, Kant, Fichte et Hegel (1891). Il y a eu aussi une production
littéraire en latin, notamment poétique33. Au XIXe -XXe siècle, il
convient de citer le nom de Giovanni Pascoli (1855 -1912), professeur et
poète en italien et en latin ( mais on a aussi quelques pièces de
Baudelaire et de Rimbaud, par exemple). Cette tradition se maintient à
l’époque contemporaine34. Cependant il s’agit d’un phénomène
marginal sur lequel je n’insiste pas car il ne constitue pas mon sujet ; je
laisse en effe t de côté les tenants du latin vivant35. Le latin peut donc être
dit langue morte, parce que sauf cas particuliers on ne produit plus dans
cette langue. Ceci implique qu’aucun locuteur latin ne peut confirmer la
justesse de nos traductions, quand il y a des ambiguïtés.
Dans cette production latine finie, certes une minorité de textes a
été traduite, sans doute moins de 10%. Mais personne n’irait s’aviser de
traduire tous les ouvrages théologico -philosophiques du Moyen Âge, et
encore moins tous les documents d’archives (chartes, etc.), qui du reste
n’entrent pas dans le cadre de notre sujet puisque nous ne traitons ici que de
la traduction littéraire, certes prise dans un sens large. Bref, on peut
considérer que la plupart des textes présentant un intérêt pour l’homme
d’aujourd’hui ont été traduits, et que, à l’exception du domaine de la
patristique, une bonne partie des textes antérieurs au IVe siècle l’ont été.
Donc, dans la grande majorité des cas, on ne peut que donner de nouvelles
traductions de textes déj à traduits, c’est -à-dire reprendre et améliorer des
traductions anciennes, faire ce qu’on appelle de la retraduction.
Les préjugés sur le latin font que le public s’intéresse
généralement moins à une nouvelle traduction quand il s’agit de Virgile
que quand c’est Dante ou Dostoiesvski qui sont concernés. Le latin
pourrait jouer sur l’exotisme, mais l’exotisme fonctionne dans l’espace,

33 Voir pour la Renaissance Laurens, Pierre et Balavoine, Claudie. Musae reduces.
Anthologie de la poésie latine dans l’Europe de la Renaissance . Leiden : Brill, 1975, 2 vol. ;
Laurens, Pierre. Anthologie de la poésie lyrique latine de la Renaissance . Paris : Gallimard,
2004 ; Laurens, Pierre. Anthologie de l’épigramme : de l’Antiquité à la Renaissance . Paris :
Gallimard, 2007. Et plus généralement Ijsewijn 1990.
34 Voir Waquet 199 8, p. 148 -150 ; l’article « Latin contemporain » de l’encyclopédie en
ligne Wikipédia en français et la page d’accueil de Vicipaedia en latin, consultés le
01.05.2012 ; plusieurs contributions in : Cécilia Suzzoni et Hubert Aupetit. Sans le latin .
Paris : Mille et une nuits, 2012 .
35 Voir Stroh 2008, p. 263 -278 ; Rimbault 2012.

145
il ne fonctionne pas dans le temps. Le passé a figure de repoussoir.
Pourtant l’exemple de la traduction de la Bible par Andr é Chouraqui ou
celui de la traduction de l’ Odyssée par Philippe Jaccottet montre qu’on
peut renouveler de grands textes.

Des traductions par qui et pour qui ? Quelques étapes dans
l’histoire de la traduction du latin en français, jusqu’à Internet

Contrai rement à ce qui a été le cas dans les siècles précédents, les
traductions du latin sont, aujourd’hui, majoritairement produites par et
pour des spécialistes. Et les tentatives faites pour élargir le public des
destinataires ne rencontrent pas toujours le s uccès escompté. On ne trouve
pas de traducteur du latin dans les diverses Sociétés françaises de
traducteurs et les Assises de la traduction littéraire en Arles ignorent le
latin. Le moteur de recherche Google offre des traductions automatiques
vers le lat in, mais elles sont absolument déplorables, voire inventent des
mots et des formes. Voici ce qu’a donné la première phrase de ce
paragraphe : Contra quae si superioribus saeculis, translationes ex lingua Latina
nunc a nisl et elit [sic]. Autrement les site s Internet de traduction
automatique ne proposent jamais le latin.
Sans prétendre faire une histoire de la traduction du latin en
français, qui demanderait un livre entier, on peut rappeler quelques -uns
de ses jalons marquants depuis la Renaissance36. Aprè s l’époque où les
traductions n’étaient pas nécessaires, parce que le public cultivé pouvait
lire en latin, vinrent les belles infidèles du XVIIe siècle, dont le chef de
file était Nicolas Perrot d’Ablancourt. Aux XVIIe et XVIIIe siècles,
l’honnête homme o ccupe souvent une partie de ses loisirs à traduire,
notamment des auteurs comme Horace. Les XIXe et XXe siècles sont
marqués par des traductions littéraires produites par des écrivains
célèbres, ainsi Valéry et Pagnol pour Virgile ; le poids du nom illustr e
empêche d’ailleurs souvent de les évaluer sereinement. Aujourd’hui on
trouve principalement des traductions toutes de précision, faites par des
universitaires pour un public de spécialistes et parues chez des éditeurs
spécialisés (Les Belles Lettres, Édi tions du Cerf). Les traductions
destinées à un public cultivé plus large (publiées par des éditeurs comme
Payot Rivages, Arléa, Jérôme Millon et quelques autres) sont assez peu
nombreuses. Il existe aussi quelques traductions dues à des traducteurs
célèbre s mais non spécialistes du latin : ainsi André Markowicz,
traducteur du russe et de Shakespeare, a donné une version française de

36 On trouve quelques éléments dans Ballard, Michel. De Cicéron à Benjamin. Traducteurs,
traductions, réflexions . Troisième édition. Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du
Septe ntrion, 2007.

146
Catulle37. Parallèlement, certains éditeurs reprennent des traductions
anciennes pour ne pas avoir à acquitter de droits d’aute ur (par exemple
les Éditions Paleo ou Mille et une nuits). De même Internet diffuse
presque exclusivement des traductions anciennes (toujours pour éviter
les droits d’auteur), ou bien des traductions élaborées par des
autodidactes aux capacités inégales ; paradoxalement l’outil moderne
amène dans plusieurs cas une régression scientifique.
En laissant de côté le problème de la reprise de traductions
anciennes, peut -on admettre qu’il y a progrès dans les traductions
récentes, ou simplement que la conception d e la traduction diffère selon
les époques ? Il est légitime de considérer que les traductions ont gagné en
précision, mais souvent aussi elles ont perdu en élégance. Certes on
manque de réflexions et d’études théoriques sur l’histoire de la traduction
du latin qui, par son statut de langue morte, constitue un cas spécifique.
On pourrait néanmoins se livrer à des comparaisons, par exemple avec
l’Enéide qui a été à de multiples reprises traduite en français moderne,
depuis la version d’Octavien de Saint -Gelai s (1509) jusqu’à celle de
Jacques Perret (Paris : Les Belles Lettres, 1977 -1980), en passant par celles
de l’abbé de Marolles (1649, en prose, et 1662, en vers) et celle de l’abbé
Jacques Delille (1804 ; il y a beaucoup moins réussi qu’avec les
Géorgiques ), encore réimprimée de nos jours (Paris : Jean de Bonnot, 1979 –
1980, 4 vol.). On trouve même, comme pour la Bible, des éditions
polyglottes de Virgile, ainsi celle de 1838 ( Œuvres de Virgile. Édition
polyglotte , sous la direction de Jean -Baptiste Monfalcon . Paris et Lyon :
Cormon et Blanc, 1838), où le texte latin de Virgile, donné en haut de
page, est traduit en vers français, espagnols, italiens, anglais et allemands,
présentés par colonnes.

Quelques problèmes spécifiques de la traduction du latin

Certa ines situations sont liées à la tradition. Par exemple, alors
qu’en France on traduisait jusqu’au XIXe siècle les poètes latins en vers,
quitte à s’éloigner passablement de l’original, l’habitude universitaire a
imposé au XXe siècle la traduction en prose, censée être plus proche de
l’original (il ne semble pas qu’une telle règle ait eu cours pour la traduction
des langues vivantes). Il est vrai que les vers (souvent des alexandrins) avec
leur régularité et la contrainte des rimes faisaient perdre l’exactit ude tout en
provoquant souvent l’ennui. Quoi qu’il en soit, ce n’est que tout récemment
qu’on s’est remis à traduire les poètes latins en vers. Il faut citer les
traductions de Claudien par Jean -Louis Charlet (Paris : Les Belles Lettres,
1991 et 2000), cel le de l’ Achilléide de Stace par Jean Soubiran (Louvain :
Peeters, 2008), celles de l’ Énéide de Virgile par Marc Chouet (Genève :

37 Le livre de Catulle . Lausanne : L’Âge d’homme, 1985.

147
Alexandre Jullien, 1984), Jean -Pierre Chausserie -Laprée (Paris : Éditions
de la Différence, 1993) ou encore Pierre Klossowski ( Marseille : André
Dimanche, 1989)38. La traduction en vers libres qui, sans chercher à
substituer au vers latin un vers français, s’emploie à respecter l’unité
sémantique du vers et si possible son rythme, paraît en effet bien préférable.
Car il ne faut pas se contenter de rendre fidèlement la seule signification du
texte au degré zéro, il convient aussi de faire passer la particularité de sa
forme. Mais il ne faut pas que ce soit aux dépens de la clarté et aboutisse à
un mixte illisible, car de toute façon aucune traduction n’épuise un texte.
Cependant le poids de la tradition est lourd : nous avons nous -même
traduit en prose les vers de Rutilius Namatianus (Paris : Les Belles Lettres,
2007), alors que nous avions pourtant rendu les Carmina Burana en vers
libres (Paris : Imprimerie Nationale, 1995). Rétrospectivement, il nous
semble que la tradition académique pèse moins sur la littérature médiévale,
traditionnellement exclue des cursus d’étude en France. Il est sûr aussi que
les poèmes des Carmina Burana auraient perdu en prose tout leur charme ;
c’est moins vrai pour les longs hexamètres du De reditu suo de Rutilius.
La littérature latine, et surtout la poésie, pose, en plus de la
distance culturelle, un énorme problème référentiel. Sans cesse
surviennent de s allusions à la mythologie, aux réalités quotidiennes, à des
petits faits contemporains, et cela souvent de manière elliptique. Pour
certains mots latins, on ne sait même pas exactement ce qu’ils désignent
(les vases murrhins ou la vaisselle de Corinthe é taient faits dans une
matière ou un alliage qui nous reste inconnu) ; à la Renaissance, Jupiter
peut renvoyer au Dieu chrétien. Comment traduire alors ? Faut -il
expliquer ? Mais une traduction n’est pas une glose. Faut -il adapter ? On
le fait parfois, à de s degrés divers et sans toujours le préciser, par exemple
quand on monte au théâtre des pièces antiques.
On s’étendra un peu sur la question particulière des titres. La
traduction des titres des œuvres latines est souvent un calque absurde :
ainsi les Ques tions naturelles de Sénèque et l’ Institution oratoire de
Quintilien, alors qu’il s’agit dans le premier cas de « Recherches sur la
nature » et dans le second de la « Formation de l’orateur ». Parfois le
titre français est obscur, ainsi l’ Apocoloquintose de Sénèque. Du coup, vu
l’importance commerciale des titres, et l’attraction ou le rejet qu’ils

38 Pierre Klossowski est le seul à tenter de rester au plus près de l’ordre des mots latin.
Voici ce que cela donne pour le début de l’œuvre :
« Les armes je célèbre et l’homme qui le pre mier depuis les Troyennes rives
en Italie, par la fatalité fugitif, est venu au Lavinien
littoral ; longtemps celui -là sur les terres jeté rejeté par le flot
de toute la violence des suprêmes dieux, tant qu’à sévir persista Junon dans sa rancune,
durement aussi de la guerre eut à souffrir, devant qu’il ne fondât la ville
et n’importât ses dieux dans le Latium ; d’où la race Latine
et les Albains nos pères, d’où enfin de l’altière cité les murs – Rome. »

148
peuvent susciter, certains traducteurs et éditeurs adoptent en français,
sans se soucier de l’original antique, un titre en rapport avec le contenu.
C’est fréquem ment le cas chez l’éditeur Arléa : ainsi Apprendre à vivre
(2001) pour une sélection de Lettres à Lucilius de Sénèque, ou Savoir
vieillir (1995), pour le Cato maior (De senectute ) de Cicéron. D’autres fois
on modifie un titre consacré, ainsi la traduction des Confessions de saint
Augustin par Frédéric Boyer parue sous le titre Les aveux (POL, 2008),
qui au reste ne rend pas compte de la richesse sémantique du latin
chrétien confessio .
Les grossièretés soulèvent un autre problème. On le rencontre
chez les po ètes Catulle et Martial et dans le recueil anonyme des Priapées .
Leurs obscénités sont lues aujourd’hui par un public qui n’est pas habitué
à la crudité des termes. Certes la littérature latine ignore la précision
anatomique qu’on trouve souvent chez nous dans les scènes d’amour
physique ; en revanche l’épigramme pratique une poésie de la laideur, de
l’obscénité et de la violence qui n’a pas d’équivalent moderne (même chez
Rabelais). Ainsi les deux premiers vers du poème 16 de Catulle, Pedicabo
ego uos et i rrumabo, / Aureli pathice et cinaede Furi , signifient exactement, si
l’on veut garder le registre de langue : « Je vous sodomiserai (enculerai) et
vous donnerai ma verge (queue) à sucer, / Aurelius la tapette et Furius
l’inverti » ; mais il faut avouer que c’est très rude en français. Aussi
beaucoup de traductions de Catulle, de Martial et de quelques autres
expurgent (explicitement ou non) ou adoucissent le propos.
Plus généralement il y a la difficulté à rendre la densité
sémantique du latin, alors que le français est beaucoup moins concis que
le latin. Bref, le traducteur est tiraillé entre des pôles contraires, la
littéralité, la paraphrase, la méthode par compensation selon laquelle le
traducteur, ne pouvant rendre à un endroit une beauté, en ajoute une
ailleurs.
La littérature latine passe fréquemment pour rebutante. On
trouve donc de nombreuses traductions qui sont des extraits ou
morceaux choisis. Encore faut -il que ceux -ci reflètent vraiment la
production de l’auteur. Or le choix est parfois caricatu ral. Par exemple
certaines traductions modernes de Martial se limitent aux épigrammes
licencieuses, comme s’il n’avait pratiqué que cette veine : ainsi celle de
Serge Koster, Martial ou l’épigramme obscène (Paris : La Musardine,
2004), ou celle de Thierry Martin, Martial, Épigrammes érotiques et
pédérastiques (Lille : GKC, 2000).
Un sentiment, enfin, domine souvent chez les adultes qui se
remémorent leurs années d’école : c’est la souffrance et l’ennui qu’ils ont
éprouvés en traduisant du latin dans leur je unesse39. D’où l’idée

39 Waquet 1998, 157 -174.

149
fantaisiste que le latin n’a été inventé que pour torturer les enfants.
« Que sait -on si les Latins ont existé ? C’est peut -être quelque langue
forgée ; et quand même ils auraient existé, qu’ils me laissent rentier et
conservent leur l angue pour eux ! Quel mal leur ai -je donc fait pour
qu’ils me flanquent au supplice », se plaint Rimbaud en 186440.

Le latin comme langue cible et langue seconde

On a traduit en latin dans le passé. Dans l’Antiquité, d’abord,
nombreuses ont été les traduc tions de grec en latin. Souvent il s’agit
plutôt de paraphrases ou d’adaptations. Nous laisserons cet aspect
ancien de côté41. Les traductions de la Bible en latin posent des
problèmes spécifiques dans lesquels il n’est pas possible d’entrer : on
rappellera seulement le scandale qu’a causé Érasme en traduisant
l’exorde célèbre de l’Évangile de Jean par in principio erat sermo au lieu
de in principio erat uerbum dans son Nouveau Testament de 151642. Plus
récemment, au XVIIe et dans la première moitié du XVIIIe siècle, on a
traduit en latin des ouvrages originellement composés en vernaculaire
pour leur assurer une plus large diffusion43.
À l’époque moderne, un certain nombre de textes, notamment des
livres pour enfants ou adolescents et des bandes dessinées, ont été traduits
en latin. Mais ces traductions n’ont rencontré guère de succès qu’auprès
des adeptes du latin vivant et des enseignants. On citera pêle -mêle : dans
la bande dessinée, certains volumes de la série des Tintin et presque tous
les Astérix ; dans l es livres pour enfants et adolescents, plusieurs Winnie
the Pooh (Winnie l’Ourson ), Pinocchio de l’Italien Collodi ( Pinoculus .
Firenze : Casa editrice Marzocco, 1954), Le Petit Prince de Saint -Exupéry
(Regulus, vel pueri soli sapiunt . Paris : Hazan, 1961), Struwwelpeter (Pierre
l’embroussaillé ) du psychiatre allemand du XIXe siècle Heinrich Hoffmann
(Petrus Hirrutus . Frankfurt am Main : Rütten und Löning, 1956), les deux
premiers tomes de Harry Potter (Harrius Potter et philosophi lapis , Harrius
Potter et c amera secretorum . London : Bloomsbury, 2003 et 2006), Alice au
pays des merveilles de Lewis Carroll ( Alicia in Terra mirabili . Basingstoke :

40 Rimbaud. Œuvres complètes . Paris : Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1972 : 174.
41 Voir Traina, Alfonso. « La traduzione ». In : Lo spazio letterario di Roma antica . Roma :
Salerno editrice, 1989, t. II, 93 -123 ; Seele, Astrid. Römische Übersetzer, Nöte, Freiheiten,
Absich te : Verfahren des literarischen Übersetzens in der griechisch -römischen Antike . Darmstadt :
Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1995 ; Delarue, Fernand. « Paraphraser, traduire. Le
travail sur l’expression, de la Grèce à Rome ». In : Pierre Marillaud et R obert Gauthier.
Traduire…Interpréter . Toulouse : Université de Toulouse, 2011, 37 -49.
42 La variante était légitime pour rendre le grec λόγος mais uerbum était trop ancré dans les
esprits et Érasme le rétablira dans les éditions ultérieures, voir Chomarat, Jacques.
Grammaire et rhétorique chez Érasme . Paris : Les Belles Lettres, 1981 : 41.
43 Waquet 1998, 106 -110.

150
Macmillan, 1964) ; en dehors de ces catégories, on trouve Bonjour tristesse
de Françoise Sagan ( Tristitia Salve . Pa ris : Julliard, 1963)44. Le
phénomène, on l’a dit, reste marginal et principalement pédagogique.
Ainsi J.K. Rowling et son éditrice auraient souhaité une traduction de
Harry Potter en latin dans l’espoir qu’elle aiderait les enfants à surpasser
leur horreur des langues anciennes45.
Par ailleurs, le latin demeurant la langue officielle de l’Église
catholique, les actes juridiques du Saint -Siège sont formulés en latin,
mais celui -ci aujourd’hui est généralement une traduction faite depuis
l’italien. Le Vatican publie d’ailleurs un dictionnaire, le Lexicon recentis
Latinitatis (dir. Carl Egger, Città del Vaticano : Libreria editrice
Vaticana, 1992 -1997, 2 vol.), régulièrement enrichi, pour aider à la
traduction des néologismes46 : les équivalents qu’il propose son t souvent
des périphrases comiques, par exemple umbraculum lampadis pour « abat-
jour » ou bracae linteae caeruleae pour « blue-jean ».
Personne n’est plus de langue maternelle latine, on l’a dit, et cela
depuis le début du Moyen Âge. Certains grands auteur s latins de
l’Antiquité n’étaient déjà pas de langue maternelle latine (Ennius,
Ammien Marcellin, Claudien). Bref, c’est une langue seconde, même si
pour telle ou telle raison quelques personnes l’ont pratiquée si
intensément qu’elle a paru éclipser chez e ux la langue maternelle (à
l’époque moderne Montaigne enfant, qui apprend le latin avant le
français).
Quant au rêve d’établir le latin en langue internationale afin de
remédier au babélisme moderne, il s’est désormais évanoui47. Le
triomphe d’une langue s’ explique par la domination économique ou
culturelle de ceux qui la parlent ; or le latin n’a aucun de ces atouts.

Conclusion

Le latin a -t-il vocation à être traduit ? Brève histoire d’un paradoxe.
En fait, on peut se demander si le latin a vocation à êtr e traduit
en une autre langue. Dans l’Antiquité, il est la langue de l’Empire
romain. Certes les textes réglementaires sont traduits en grec dans la
partie orientale de l’Empire. Mais vers 297, sous Dioclétien, le latin
devint la seule langue officielle de l’administration et se mit à progresser
en Orient. Et ce n’est qu’après 534 qu’à Constantinople le grec tendit à
concurrencer le latin dans le droit. Quant aux textes littéraires latins,

44 Voir l’article « Latin c ontemporain » de l’encyclopédie en ligne Wikipédia en français.
45 Reynolds, Nigel. « Harry Potter and the Latin master’s tome take on Virgil ». The
Telegraph , 3 décembre 2001.
46 Waquet 1998, 97 -98 et 156.
47 Voir Waquet 1998, 303 -318.

151
seuls dans l’Antiquité les Grecs auraient pu les traduire. Or ils n’ en ont
pas éprouvé le besoin48, car pour eux, civilisation et hellénisme allaient
de pair (à l’inverse les Latins ont abondamment traduit depuis le grec,
on l’a dit) ; Plutarque ne connaissait pas parfaitement le latin ( Vie de
Démosthène II) ! Au Moyen Âge et à Renaissance le latin n’est pas
traduit, puisqu’il sert de langue internationale, même si les différences
de prononciation rendaient parfois à l’oral la communication difficile49.
La grande chance du latin a été en effet de se répandre dans des régions
qui n’avaient jamais fait partie de l’empire romain, chez des populations
dont la langue maternelle n’était pas issue du latin. Le latin continue à
être utilisé comme langue de référence dans le monde du savoir jusqu’au
XVIIIe siècle, malgré l’inconvénient que peut avoir une langue figée
pour une science nouvelle50. Aujourd’hui encore, certaines publications
savantes, germaniques surtout, sont en latin (préfaces des éditions
Teubner, CIL, ThLL ). Dans le domaine spécialisé de la religion, l’Église
catholique a puissamment œuvré à partir du XVIe siècle contre la
traduction de la Bible du latin dans les langues vernaculaires. Et la
messe, que son contenu fût saisi ou non par les fidèles, s’est maintenue
en latin jusqu’au concile de Vatican II. L’incompréhension renforçait le
respect pour les choses sacrées.
Par ailleurs, on a souvent utilisé le latin pour cacher certaines
réalités, dans le domaine de la médecine et de la sexualité notamment
(Waquet 1998, 288 -300) Le latin permet en effet à la fois la distanciati on
et la dissimulation. Freud parle par exemple de satisfaction sexuelle per
os dans « Le cas Dora » pour dire la fellation51. Le latin est souvent
utilisé dans les traductions pour les passages jugés obscènes.
Ensuite, le latin a longtemps été un moyen de pouvoir pour ceux
qui le maîtrisaient (ou affectaient de le faire) sur les autres ; la chose a

48 La question des tra ductions du latin en grec dans l’Antiquité est au reste peu étudiée.
Voir surtout Reichmann, Victor. Römische Literatur in griechischen Übersetzung . Leipzig :
Dieterich’sche Verlagsbuchhandlung, 1943, et les références données par Suerbaum,
Werner. « Hund ert Jahre Vergil -Forschung. Eine systematische Arbeitsbibliographie mit
besonderer Berücksichtigung des Aeneis ». In : ANRW . Berlin : W. de Gruyter, 1980, II,
31, 1 : 3-358, ici 315 -316. Certaines vies latines de saints ont été traduites en grec, ainsi la
Vie d’Hilarion de Jérôme, voir Lampadaridi, Anna. « Traduire et réécrire la Vie d’Hilarion
(BHL 3879) : l’apport d’une nouvelle version grecque ». In : Smilja Marjanovi ć-Dušanić et
Bernard Flusin. Remanier, métaphraser : fonctions et techniques de la réécriture dans le monde
byzantin . Belgrade : Université de Belgrade, 2011 : 45-60.
49 Voir pour la période postérieure à la Renaissance Waquet 1998, 184 -205. La mobilité
des clercs au Moyen Âge implique néanmoins qu’ils parvenaient à se faire comprendre
avec leur latin respectif. On trouvait à la cour de Charlemagne un anglo -Saxon, Alcuin,
un Wisigoth d’Espagne, Théodulphe, des Lombards, Pierre de Pise et Paul Diacre, etc., et
tous réussissaient à communiquer entre eux.
50 Waquet 1998,:102 -119.
51 Freud, Sigmund. Gesammelte Werke , chronologisch geordnet . Frankfurt am Main : Fischer,
1947 -1987, 19 vol. : t. V, 207 (« sexuelle Befriedigung per os »).

152
été souvent soulignée dans le domaine du droit et de la médecine
(Waquet 1998, 274 -288). Sur le mode de la plaisanterie, c’est en latin
qu’au chapitre II des Copains de Jules Romains (1913) Bénin et Broudier
dupent les habitants de Nevers en leur faisant croire à la visite d’un
conseiller du tsar de Russie. Le phénomène n’a pas complètement
disparu, et l’utilisation de citations latines qu’on se garde de traduire
peut renforcer l’autorité de celui qui les profère. C’est ce qui a fait le
succès des fameuses pages roses du Dictionnaire Larousse . « Quelque
citation latine banale de -ci, de -là, un aphorisme philosophique ou
pédagogique, une ironie forcée mais acerbe, re haussent son prestige » dit
d’un de ses personnage Jean Rogissart dans Passantes d’Octobre (Paris :
Fayard, 1958, 17). Dans la série télévisée Kaamelott, parodie du cycle
arthurien, le roi Loth fait de fausses citations latines en ajoutant : « ça ne
veut a bsolument rien dire ».
Enfin, comme l’a montré subtilement Olivier Rimbault (2012 6 -7,
11-16, 32 -34, les écrivains latins dans les époques tardives de cette langue
ont souvent été des exilés qui ne revinrent jamais dans leur patrie, ou des
exilés de l’inté rieur, pour qui le latin représentait en quelque sorte la patrie
perdue. On ne saurait traduire ce qui est un symbole.
On le voit, le latin a de bonnes raisons de résister à la traduction.
Et pourtant il faut le traduire, sans quoi il sera doublement mort.

Références bibliographiques
HORGUELIN , Paul A. Anthologie de la manière de traduire : domaine français .
Montréal : Linguatech, 1981.
IJSEWIJN , Jozef. Companion to Neo -Latin Studies , part I. Louvain: Peeters,
1990.
MOUNIN , Georges. Les belles infidèles . Réédition. Villeneuve d’Ascq : Presses
Universitaires de Lille, 1994.
RIMBAULT , Olivier. « Roma orbis patria. Du néolatin au latin contemporain,
Rome, la pat rie perdue, retrouvée ou rêvée ». In : Réflexion(s) , mars 2012. En
ligne. URL : http://ref lexions.un iv-perp.fr/. (consultée le 01.05.2012 ).
STROH , Wilhelm. Le latin est mort, vive le latin. Petite histoire d’une grande langue .
Traduction française. Paris : Les Belles Lettres, 2008.
WAQUET , Françoise. Le latin ou l’empire d’un signe . Paris : Albin Michel, 1998.
WOLFF , Étienne. « La réception de Martial du XVe au XXIe siècle en France
et en Europe à travers ses traductions et ses imitations ». In : Jean -Pierre Martin
et Claudine Nédelec. Traduire, trahir, travestir. Études sur la réception de l’Antiquité .
Arras : Artois Presses Université, 2012 : 133 -150.
WOLFF , Étienne. « Les problèmes concrets posés par la traduction d’Érasme
en langue moderne : l’exemple des Colloques ». À paraître en 2013.
ZUBER , Roger. Les « Belles Infidèles » et la formation du goût cl assique. Perrot
d’Ablancourt et Guez de Balzac . Paris : Armand Colin, 1968 .

153

Quelle méthode de traduction pour les régionalismes ?
Les traductions italienne, espagnole, roumaine et allemande de
Maria Chapdelaine de Louis Hémon1

Gerardo ACERENZA
Universit à degli Studi di Trento
Italie
Résumé : Dans un premier temps de cette étude, nous présentons le roman
Maria Chapdelaine de Louis Hémon. Ensuite, nous donnons quelques
informations sur les traductions et les traducteurs italiens, espagnols, allemands
et ro umains que nous avons choisis pour cette étude. Enfin, nous commentons
plusieurs passages de ces traductions pour chercher à comprendre quelles sont
les stratégies utilisées pour traduire dans les différentes langues les
régionalismes qui se trouvent dans le roman. Existe -t-il des convergences
méthodologiques dans les stratégies utilisées pour traduire les nombreux
régionalismes de Maria Chapdelaine ? Lesquelles ? Nous terminons cette étude
par quelques réflexions pédagogiques.

Mots -clés : Louis Hémon, Ma ria Chapdelaine, traduction, régionalismes,
méthodologie

Abstract : As a first step of this study we present the novel Maria Chapdelaine by
Louis Hémon. Then we give some information on the Italian, Spanish,
German and Romanian translations and translators we have chosen for this
study. Finally, we comment on several examples of these translations seek to
understand what are strategies used to translate some language regionalisms
found in the novel. Are there any similarities in the methodological strategie s
used to translate the many regionalisms of Maria Chapdelaine ? We conclude thi s
study with some pedagogical reflections.

Keywords : Louis Hémon, Maria Chapdelaine, translation, regionalisms,
methodology
Introduction

Les réflexions que nous présentons da ns cette étude sont issues
d’une expérience pédagogique menée avec des étudiants universitaires

1 Nous tenons à remercier les étudiants du cours « Langue et traduction françaises III,
année académique 2011 -2012 », dispensé à l’Université de Trento (Italie), pour la qualité
de leurs remarques et pour les discussions que nous avons eues. Nous remercions tout
particulièrement Crist ina Rebek, Giuditta Lorenzini Girardelli et Paola Tamanini.

154
italiens de troisième année. Dans le cadre d’un cours de « Langue et
traduction françaises », les étudiants ont été amenés à réfléchir sur la
traduction des rég ionalismes lexicaux du français, plus précisément sur
la traduction des particularités linguistiques du français du Québec. Le
but général du cours était de trouver une « méthode » de traduction des
régionalismes en comparant les versions italienne, espagn ole, roumaine
et allemande de Maria Chapdelaine de Louis Hémon, un texte contenant
plus de 150 particularités linguistiques du français parlé au Québec au
début du XXe siècle, comme le montre le « Fichier lexical du TFLQ »
établi à l’Université Laval, à Qu ébec, par Claude Poirier et son équipe.
Chaque groupe d’étudiants a été appelé à analyser une traduction de ce
classique de la littérature canadienne -française et à présenter en classe
les résultats de son analyse pour voir comment les traducteurs de Louis
Hémon avaient traduit les régionalismes du roman. Les étudiants
devaient également rechercher des informations sur les traducteurs, ce
qui n’a pas été toujours facile, et ils devaient présenter le paratexte de
l’édition traduite. Il est en effet très impo rtant pour les étudiants de
connaître le plus de renseignements possibles sur la personnalité du
traducteur du roman, d’où l’exigence de répondre aux questions
suivantes avant l’analyse des traductions : qui était -il ? Qu’a -t-il traduit
avant le roman de L ouis Hémon ? A-t-il mené des recherches sur
l’écrivain et l’œuvre à traduire ? En comparant les stratégies des
différents traducteurs du texte de Louis Hémon, en soulignant les
faiblesses de ces traductions et également les qualités, on souhaitait
enfin tr ouver une « méthode » valable quant à la traduction des
régionalismes qui caractérisent le français parlé et écrit au Québec.
L’importance de comparer plusieurs traductions d’un même
texte dans l’enseignement de la traduction a été soulignée notamment
par Michel Ballard au cours de la table ronde qui s’est tenue lors du
colloque Traductologie et enseignement de traduction à l’Université, qui a eu
lieu en France, à l’Université d’Artois, en février 2007. Selon Michel
Ballard, il est fondamental pour les étu diants de se poser, devant une
série de traductions d’un même texte, les questions suivantes :
« Comment ont -ils fait ? Pourquoi ? Qu’est -ce que je ferais à leur place ?
Est-ce que je ferais mieux ? » (2009, 317). Nous avons choisi de proposer
une réflexio n sur la traduction des régionalismes parce que de plus en
plus de nos jours les variations régionales ont tendance à être valorisées
et parce qu’elles constituent un « facteur d’enrichissement de la langue
française », comme le souligne Henriette Walter ( 1999, 180). En outre,
dans ses « théorèmes pour la traduction », Jean -René Ladmiral ajoute
que les étudiants suivant une formation en traduction doivent être en
mesure de reconnaître les régionalismes qu’ils rencontrent dans les
textes à traduire (1994, 80 -82).

155
Dans un premier temps de cette étude, nous présentons le roman
Maria Chapdelaine de Louis Hémon. Ensuite, nous donnons quelques
informations sur les traductions et les traducteurs italiens, espagnols,
allemands et roumains que nous avons choisis pour cette étude. Enfin,
nous commentons plusieurs passages de ces traductions pour chercher à
comprendre quelles sont les stratégies utilisées par ces traducteurs pour
rendre dans les différentes langues les régionalismes qui se trouvent dans
le roman. Nous p ouvons dire d’ores et déjà que la tâche des traducteurs
n’a pas été toujours facile. Nous terminons cette étude par quelques
réflexions pédagogiques pour voir ce que les étudiants ont découvert
avec leurs recherches et leurs analyses des traductions de Maria
Chapdelaine .

Le choix de Maria Chapdelaine de Louis Hémon

Avec Maria Chapdelaine , Louis Hémon a écrit un chapitre
important de l’histoire de la littérature canadienne -française. Ce roman
est aujourd’hui considéré comme un classique : il a connu plusie urs
rééditions au Canada et en France, il a été adapté au théâtre (Héroux
1980, 158), au cinéma et en bande dessinée (Bleton et Poirier 2004, 137),
il a été traduit dans un grand nombre de pays et il est enseigné dans les
universités du monde entier. Il a véhiculé pendant longtemps, et il
véhicule encore aujourd’hui, l’identité québécoise du début du XXe siècle.
Louis Hémon est né en France, à Brest. Après un long séjour en
Angleterre, il émigre en 1911 au Canada. Il travaille comme
sténographe auprès d’une agence d’assurance à Montréal, mais après
une année il s’établit dans la région du Saguenay -Lac-Saint -Jean,
d’abord à Péribonka, puis à Saint Gédéon où il devient fermier. C’est
pendant cette période qu’il observe le mode de vie des « habitants du
pays » et qu’il décide d’écrire Maria Chapdelaine. Récit du Canada français
(Hémon 1921). Toutefois, ce Brestois immigré sur les rives du Saint –
Laurent ne connaîtra jamais la gloire, car en juillet 1913 il sera tué par
une locomotive à Chapleau, en Ontario, alors qu’il marchait sur le
chemin de fer qui le menait à la découverte de l’Ouest canadien.
Le roman paraît posthume sous forme de feuilleton, du 27
janvier au 16 février 1914, d’abord en France dans le journal parisien Le
Temps , l’ancêtre du Monde, auquel Lou is Hémon avait envoyé deux
copies du manuscrit avant sa mort. Au Canada, le roman sera publié
sous forme de livre deux ans plus tard, en 1916, chez l’éditeur
montréalais Lefebvre. Toutefois, c’est l’édition publiée en France en
1921 par Bernard Grasset qui fera connaître ce chef -d’œuvre dans le
monde entier. Ce que les lecteurs français aimaient de ce texte, surtout
en 1921, à la fin de la Première Guerre mondiale, c’était le côté exotique

156
et le sentiment d’évasion que le roman suscitait : il évoquait le pa ssé
glorieux de la France coloniale, le grand mythe de l’Amérique française
avec les grands espac es et « les arpents de neige ».

Les traductions italienne, espagnole, roumaine et allemande
de Maria Chapdelaine

La traduction italienne d’Ugo Piscopo choisi e pour cette étude2
paraît en 1986 sous le titre Maria Chapdelaine. Racconto del Canada francese
(Hémon 1986). Le traducteur Ugo Piscopo est également poète, critique
littéraire, dramaturge, essayiste et journaliste. En 1972, il a traduit en
italien Le gra nd voyage du pays des Hurons de Gabriel Sagard. La
traduction d’Ugo Piscopo est préfacée par Sergio Zoppi, ancien
professeur de Langue et de Littérature françaises à l’Université de Turin
et spécialiste des littératures francophones3. Dans sa brève préface ,
Sergio Zoppi vante tout d’abord les mérites de ce Français transplanté
au Canada. Ensuite, il évoque rapidement le peuplement de la Nouvelle –
France, la cession de la colonie aux Anglais à la suite du « Traité de
Paris » et il souligne l’esprit communauta ire des Canadiens français qui
ont su protéger en Amérique du Nord jusqu’à nos jours, et avec
beaucoup de dévouement, la langue et la culture françaises. Il exalte
ensuite l’esprit d’abnégation des paysans canadiens -français capables de
domestiquer un terr itoire difficile. Sergio Zoppi propose aussi un petit
résumé du roman. Toutefois, il n’évoque jamais les particularités
linguistiques du texte, ni les stratégies utilisées par le traducteur Ugo
Piscopo pour les rendre en italien. Il n’y a aucune note du tr aducteur de
bas de page, ni de lexique à la fin du texte.
La traduction espagnole choisie pour cette étude est celle de A.
Hernández Catá, publiée la première fois en 1923 et rééditée en 1975 par
les éditions Plaza y Janés à Barcelone (Hémon 1975). Né à Sa lamanque
en Espagne en 1885, A. Hernández Catá est fils d’une Cubaine et d’un
officier espagnol. Sa famille déménage à Cuba après sa naissance et
lorsqu’il est adolescent, il décide de retourner en Espagne pour y suivre
des études dans une école militaire qu’il abandonnera par la suite. En
1905, de retour à Cuba, il entreprend la carrière diplomatique après une
brève expérience comme journaliste. Il sera consul cubain aux Pays -Bas,
en Angleterre, au Portugal et en Espagne et il représentera Cuba en
qualité d’ambassadeur en Espagne, à Panama, au Chili et au Brésil. Il

2 Nous avons choisi la dernière traduction italienne publiée en 1986. Pour un aperçu des
traductions italiennes plus anciennes de Maria Chapdelaine de Louis Hémon, on lira
Acerenza 2011.
3 Sergio Zoppi a également traduit en italien L’Homme rapaillé de Gaston Miron sous le
titre L’Uomo rappezzato (1981).

157
meurt au Brésil dans un accident d’avion en 1940 (Córdoba Serrano
2010, 137). Il a publié plusieurs romans ( El bebedor de lágrimas ; El ángel
de sodoma, etc.) des contes érotiques ( Los siete pec ados, Los frutos ácidos,
etc.), des pièces de théâtre ( La mujier desnuda ; La noche clara , etc.), des
essais ( Zoología pintoresca ; Mitología de Martí , etc.). À notre connaissance,
en tant que traducteur littéraire français -espagnol, A. Hernández Catá
n’a traduit que le chef -d’œuvre de Louis Hémon. L’édition publiée en
1975 que nous utilisons ici n’est précédée d’aucune introduction ni
d’aucune information sur les éditions précédentes. Il n’y a pas de notes
du traducteur de bas de page, ni de lexique à la f in du livre.
Le nom du traducteur roumain, Iulian Vesper, est un
pseudonyme, car son vrai nom est Teodor C. Grosu. Il est né dans la
région de Suceava, à Horodnicul de Sus, le 22 novembre 1908 et il est
mort le 11 février 1986. Fils de paysans, il obtient en 1927 une bourse
pour poursuivre des études à la Faculté de Lettres et Philosophie de
l’Université de Cern ăuti, mais en 1929 il décide de continuer ses études
à Bucarest. En 1933, il fonde une maison d’édition avec Mircea Streinul
appelée Colecția Iconar . De 1942 à 1944 il sera également rédacteur des
éditions Dacia Traiana et rédacteur de l’Agenția Româna de Presa . Il sera
aussi correcteur pour la maison d’édition Editura de Stat pentru Literatur ă
și Artă de 1950 à 1952. En 1924, pendant ses études au ly cée, il publie
son premier poème intitulé Floare albastr ă, mais il obtient la
reconnaissance littéraire en 1933, lorsqu’il fait paraître son premier
recueil de poèmes intitulé Echinox în od ăjdii. Ensuite, il publiera sous
d’autres pseudonymes (Almir, Nicu, Nicu Rîndunel, Nestor Deleanu)
dans un grand nombre de revues littéraires telles que Gazeta Literar ă,
Curentul Literar , Universul Literar , etc. Il publiera également de la prose et
notamment les romans intitulés Vieața lui Mihai Viteazul en 1939 ;
Chipuri domnești en 1944 et Glasul en 1957, roman d’autofiction inspiré
de la vie rurale dans la région de la Bucovine. Le volume Memorii est
publié posthume en 1999. En tant que traducteur, il a traduit un grand
nombre d’ouvrages et souvent en collaboration avec les auteurs ou avec
d’autres traducteurs. Pour ce qui est des traductions de textes français, il
n’a traduit que les textes de Sylvain Roche, Rețeaua galben ă en 1948 (en
collaboration avec Alexandru Stru țeanu) et de Louis Hémon, Maria
Chapdelaine. Povesti re din Canada francez ă (1968).
Avant de commencer la traduction de Maria Chapdelaine , Iulian
Vesper a demandé beaucoup d’informations sur la vie et l’œuvre de
Louis Hémon à Nicolas Mateesco Matte, professeur d’origine roumaine
qui enseignait à l’époque au département de droit de l’Université de
Montréal. Mateesco Matte a transmis à Iulian Vesper 43 articles et des
nouvelles sur le sport que Louis Hémon avait écrits pendant son séjour
en Angleterre, avant de partir pour le Canada. Ensuite, il a également

158
donné au traducteur roumain un livre de 400 pages intitulé Le Canada de
Louis Hémon et sa destinée littéraire , de Audrey D. Freeman, livre issu
d’une thèse de doctorat soutenue à la Sorbonne. De plus, la professeure
Nicole Deschamps et la fille de Louis Hémon , Lydia, ont donné à Iulian
Vesper toute l’œuvre de l’écrivain, les lettres de la correspondance
canadienne, ainsi que des documents sur sa vie et ses activités. C’est
seulement après une période d’étude sur l’écrivain et son œuvre que
Iulian Vesper a comm encé la traduction de Maria Chapdelaine. Il la
terminera après trois ans de travail. Le roman est imprimé par l’éditeur
Avramescu à 80.000 exemplaires et il a eu un succès considérable.
(Vesper 1999, 172 -173).
Au début de l’avant -propos, Iulian Vesper prés ente aux lecteurs
roumains l’écrivain Louis Hémon avec beaucoup de détails sur son
enfance, ses études au lycée Louis -le-Grand, sa carrière universitaire,
son voyage et son séjour en Angleterre en 1903. Ensuite, il détaille les
raisons qui ont poussé Hémon à partir pour le Canada et tous ses
déplacements à travers le Québec, de Montréal au Saguenay -Lac-Saint –
Jean. Il conclut la première partie de l’avant -propos en précisant la
nature de l’accident de train qui a causé la mort de l’écrivain. Dans la
deuxième partie de l’avant -propos, il énumère toutes les publications de
Louis Hémon pour montrer qu’il a écrit un grand nombre de textes
destinés aux journaux sportifs, des nouvelles telles que La belle que voilà
et ses romans Colin -Maillard , Battling Malone, pug iliste et Monsieur Ripois et
la Némésis . Ensuite, il propose un résumé de Maria Chapdelaine en
mettant en parallèle les conflits qui se trouvent dans le roman, c’est -à-
dire l’antagonisme entre l’homme et la nature, le conflit entre les
différentes générati ons des personnages et la rivalité entre les villes
industrialisées et la ruralité du reste du Québec.
Ce qui nous intéresse le plus, dans cette préface de Iulian
Vesper, ce sont les rares considérations sur la langue du roman et sur le
français parlé au Québec. Il fait en effet seulement allusion aux
archaïsmes et aux anglicismes qui caractérisent le français parlé au
Québec au début du XXe siècle. Toutefois, il ne précise jamais les
stratégies utilisées pour rendre en roumain les nombreuses particularité s
du français québécois.
Contrairement aux autres traducteurs ici à l’étude, Julian Vesper
fait un grand usage de notes de bas de pages, car il en utilise trente dans
sa traduction de Maria Chapdelaine . Cependant, il utilise très peu de
notes de bas page pour expliquer les régionalismes du roman. Il explique
par exemple la nature du canadianisme « piastre », en précisant que ce
mot désigne le « dollar canadien ». Il explicite l’unité de mesure « pied
carré », en soulignant qu’elle équivaut à « 0,77 mètre ». Il propose une
définition de l’archaïsme « bat cul », qui est un « morceau de bois

159
couvert d’un métal attaché à la croix d’un carrosse pour être tiré par le
cheval ». Il utilise une note pour expliquer l’expression « aller aux
États », en précisant que l es « États » ce sont les « États -Unis
d’Amérique ». Enfin, il explique le terme pluriel « raquettes », outils
nécessaires en hiver au Canada pour marcher sur la neige. Pour le reste,
il utilise les notes de bas de page pour donner des renseignements
géogra phiques sur les villes canadiennes et étatsuniennes citées dans le
roman. Par exemple, lorsque le toponyme « Chicoutimi » apparaît pour
la première fois dans le texte, il précise qu’il s’agit du plus grand port
situé sur le Lac -Saint -Jean au Saguenay.
Pour ce qui est de la traductrice allemande Karin Meddekis, nous
n’avons trouvé aucune information biographique ni bibliographique sur
son compte. La traduction allemande ne présente pas de préface, aucune
note de bas de page, ni de lexique à la fin du texte.

La traduction des régionalismes en italien, espagnol, roumain
et allemand

Comme le souligne Mario Wandruszka dans un article intitulé
« Vers une linguistique de la traduction », la langue est un « polysystème
d’une incroyable complexité » (1973, 65), car les mots que nous utilisons
véhiculent des indices socioculturels et géographiques (familier,
régiolecte, technolecte, archaïsme, etc.) et ces indices créent d’énormes
problèmes à la traduction « interlinguistique ». Très souvent, souligne -t-
il, dans le p assage d’une langue à l’autre, ces indices disparaissent, car
les traducteurs se contentent d’une première « traduction
intralinguistique » dans la langue source. Selon lui, le nom/adjectif
marseillais « fada » par exemple, on le traduit par « fou » en fra nçais de
référence avant de le rendre dans une langue étrangère, mais dans cette
traduction nous avons perdu l’indice « méridionalisme avec toutes les
connotations associatives que cet indice peut évoquer » (1973, 66).
Or, pour revenir aux traductions de Maria Chapdelaine , nous
avons cherché à comprendre dans le cadre de notre cours universitaire
quelle a été la « méthode » suivie par les traducteurs européens de ce
texte. Il était intéressant de voir si, en plus d’une « traduction
intralinguistique » dans la langue source, traduction nécessaire pour bien
saisir le ou les sens des nombreux régionalismes présents dans le texte,
les traducteurs européens avaient également opéré une « traduction
intralinguistique » à l’intérieur de leur langue cible. Ont -ils cherché à
rendre en italien, en espagnol, en roumain et en allemand toutes les
« connotations associatives » véhiculées par les régionalismes qui se
trouvent dans le roman ? Certes, pour la traduction de ce roman, la
tâche n’était pas des plus faciles. Tout efois, en comparant dans notre

160
salle de cours les stratégies de ces quatre traducteurs, nous souhaitions
enfin trouver des convergences significatives.
En analysant cette première série d’exemples, nous avons pu
voir comment les quatre traducteurs ont tra duit l’expression « faire de la
tire », très courante au Québec encore de nos jours :

Le jour de l’an n’amena aucun visiteur. Vers le soir la mère
Chapdelaine, un peu déçue, cacha sa mélancolie sous la guise d’une
gaieté exagérée. – Quand même il ne viend rait personne, dit -elle, ce
n’est pas une raison pour nous laisser pâtir. Nous allons faire de la
tire. (Hémon 1921, 135).

Per capodanno non ci furono visite. Verso sera, mamma Chapdelaine
reagì alla lieve delusione e alla malinconia con un atteggiamento di
grande allegria, esortando gli altri a scacciare la tristezza : venissero o
no delle visite, non c’era motivo di essere di cattivo umore. Piuttosto
era bene preparare subito lo zucchero filato . (Hémon 1986 [Trad.
Ugo Piscopo], 114).

El día de Año Nuevo no tuvieron ninguna visita y, al caer la tarde, la
tía Chapdelaine se puso a ocultar su melancólica decepción con la
máscara de una alegría exagerada : – El que no venga nadie no es
motivo para que estemos con estas caras. Vamos a hacer melcocha .
(Hémon 1 975 [Trad. de A. Hernández Catá], 78).
Anul Nou nu le aduse nici un musafir. Spre sear ă mama Chapdelaine,
putin dezamagit ă, își ascunse necazul sub masca unei neobisnuite
voioșii. – Chiar de n -ar veni nimeni, spuse ea, n -ar fi o pricin ă să ne
perpelim. O să facem peltea . (Hémon 1968 [Trad. de Iulian Vesper],
112).

Niemand kam am Neujahrstag zu Besuch. Mutter Chahpdelaine war
etwas enttäuscht und versuchte gegen Abend ihre Traurigkeit mit
übertriebener Fröhlichkeit zu überspielen. « Wenn auch kein Besuch
kommt », erklärte sie entschlossen, « dann ist das noch lange kein
Grund, hier zu versauern. Wir kochen einfach Karamellbonbons ».
(Hémon 1999 [Trad. de Karin Meddekis], 97).

Selon le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office
québécois de la langu e française, le régionalisme « tire » désigne une
« Confiserie de consistance semi -ferme, translucide, d’une couleur
ambrée, obtenue en faisant bouillir du sirop d’érable jusqu’à 114,4 °C
que l’on verse dans des petits contenants de conservation. La tire
d’érable se déguste à la cuillère. Une manière encore plus traditionnelle
de goûter la tire d’érable lors des parties de sucre consiste à verser le
sirop épaissi et bouillant sur de la neige tassée et de le manger à peine
figé, à l’aide d’une spatule de boi s appelée palette ». Nous sommes ici en

161
présence d’un « culturème » (Lungu -Badea 2009), c’est -à-dire d’un terme
qui désigne une réalité typique de la culture québécoise du début du XXe
siècle et encore d’aujourd’hui, une réalité qui n’a pas d’équivalent da ns
les autres cultures. Chacun des traducteurs ici à l’étude a choisi une
stratégie différente pour le traduire.
Le traducteur italien Ugo Piscopo a rendu le canadianisme
« tire » par « zucchero filato », une expression qui désigne en français de
référence la « barbe à papa ». Une analyse rapide des propriétés
principales de la « tire » (sirop d’érable chaud, se fige sur la glace, se
prépare l’hiver, se prépare à la campagne chez les paysans, plaît aux
enfants) et de la « barbe à papa » (sucre raffiné trans formé en filament
par la force centrifuge d’une machine, ne se prépare pas à la maison,
peut se préparer en hiver et en été, plaît aux enfants) montre que le
traducteur italien n’a pas conservé beaucoup de propriétés. Il ne s’agit
pas d’une stratégie très réussie et cela est évident lorsqu’on lit la suite du
passage que nous citons plus loin, dans lequel Louis Hémon explique
comment on préparait autrefois « la tire » dans les campagnes
québécoises.
Le traducteur espagnol A. Hernández Catá a choisi une stra tégie
différente : il a rendu ce régionalisme par le terme « melcocha »4 qui
désigne, dans tous les pays d’Amérique centrale et dans quelques pays
d’Amérique latine, une friandise très populaire faite avec du jus de
canne appelé « panela », cuit à haute te mpérature et mélangé ensuite
avec du beurre et de la farine pour en obtenir une sorte de mélasse qui
ressemble à de la guimauve. À partir de cette mélasse, l’on fait des
bonbons pour les enfants, parfois avec des formes différentes. Avec cette
stratégie, A . Hernández Catá a substitué un trait typique de la culture
québécoise par un trait typique de certains pays d’Amérique centrale
dans le but de provoquer chez les lecteurs d’Espagne le même « effet de
défamiliarisation » (Eco 2007, 204) que le mot « tire » provoque chez les
lecteurs de France. Rappelons que le traducteur espagnol A. Hernández
Catá, en tant qu’ambassadeur, a longtemps vécu à Cuba et en Amérique
latine et qu’il connaissait bien les us et coutumes des pays de ce
continent. S’agit -il d’une stra tégie réussie ? Ce que nous pouvons
remarquer, c’est que la « canne à sucre » et donc « le jus de canne à
sucre » n’existaient pas dans les campagnes québécoises au début du
XXe siècle.
Le traducteur roumain a décidé d’adapter à sa culture
l’expression « faire de la tire ». Iulian Vesper l’a traduite en utilisant le

4 Le Diccionario de americanismos (2010) propose la définition suivante : « melcocha : f.
[…] Golosina de consistencia gomosa elaborada con azúc ar, miel o panela muy
concentrados ».

162
terme roumain « peltea »5 qui désigne généralement en français la « gelée
de fruits ». Ce type de confiture se fait particulièrement dans sud de la
Roumanie et il renvoie également à la gelée tr ansparente faite avec les
pépins et la peau des coings portés en ébullition avec du sucre. Comme
le traducteur espagnol, Iulian Vesper a substitué un élément typique de
la culture québécoise avec un élément typique de la culture roumaine.
La traductrice al lemande Karin Meddekis a choisi de traduire le
régionalisme « tire » (rappelons -le, « la tire » se prépare avec du sirop
d’érable), par « bonbons au caramel ». Elle a rendu ce canadianisme par
quelque chose qui n’est pas typique d’une région donnée en Alle magne,
mais avec une friandise particulièrement prisée par les enfants qui est
connue par tout le monde.
Aucun des traducteurs ici à l’étude n’a choisi d’utiliser le procédé
du « report »6, en laissant le mot « tire » tel quel et en le soulignant par
exemp le avec des guillemets ou par des italiques. Aucun des traducteurs
n’a cherché à expliciter le mot dans le texte ou avec une note de bas de
page et par conséquent les lecteurs européens ne sauront jamais que le
sirop d’érable était, et il est encore de nos jours, un élément important de
la culture québécoise. En effet, les traducteurs auraient pu choisir de
laisser le mot tel quel puisque dans le passage suivant, Louis Hémon
explique très clairement comment préparer « la tire » :

Les enfants poussèrent des cris de joie et suivirent des yeux les
préparatifs avec un intérêt passionné. Du sirop de sucre et de la
cassonade furent mélangés et mis à cuire ; quand la cuisson fut
suffisamment avancée, Télesphore rapporta du dehors un grand plat
d’étain rempli de be lle neige blanche. Tout le monde se rassembla
autour de la table, pendant que la mère Chapdelaine laissait tomber le
sirop en ébullition goutte à goutte sur la neige, où il se figeait à mesure
en éclaboussures sucrées, délicieusement froides. (H émon 1921, 135).

Un autre passage particulièrement intéressant a attiré l’attention
des étudiants de notre cours universitaire, car Louis Hémon utilise dans
la même phrase l’amérindianisme « atoca », le mot du français de
référence « myrtille », puis les régionalism es de Bretagne (« luce ») et
québécois (« bleuet ») désignant la « myrtille » :

5 Le Dicționare ale limbii române (DEX on -line) propose la définition suivante : « Pelte á,
s. f. Produs alimentar fabricat din suc de fructe fiert cu zah ăr, închegat cu o mas ă
gelatinoas ă, elastică și transparent ă, asemănătoare cu jeleul ».
6 Michel Ballard préci se que le terme « report » est à préférer au terme « emprunt »
lorsque le xénisme figurant dans une traduction n’est pas attesté dans les dictionnaires
de la langue d’arrivée.

163
Les forêts du pays de Québec sont riches en baies sauvages ; les atocas ,
les grenades, les raisins de cran, la salsepareille ont poussé librement
dans le sillage des grands in cendies ; mais le bleuet, qui est la luce ou
myrtille de France , est la plus abondante de toutes les baies et la plus
savoureuse. (Hémon 1921, 70 -71).

I boschi del Québec abbondano di frutti selvatici : le bacche , le
melegrane, l’uva selvatica, la salsapa riglia si sono potute espandere
liberamente negli spazi aperti dai grandi incendi ; ma i mirtilli sono i
frutti selvatici più abbondanti e saporiti. (Hémon 1986 [Trad. de Ugo
Piscopo], 62).

Los bosques del país de Quebec abundan en frutales silvestres : la
granada, las moras, la zarzaparrilla, crecen espontáneamente en los
parajes devastados por los grandes incendios ; mas la grosella es la
más abundante y sabrosa de todas. (Hémon 1975 [Trad. de A.
Hernández Cáta], 41 -42).

Pădurile ținutului Quebec sînt bogate în poame s ălbatice; afinele de
mlaștină, rodiile, agri șele negre, salsaparila crescut ă slobod în urma
marilor incendii; însa afina, care este coacăza sau merișorul Fran ței, e
cea mai raspîndit ă din toate poamele si cea mai gustoas ă. (Hémon
1968 [Trad. de Iulian Vesper], 58).

Die Wälder in Quebec sind reich an wilden Beeren. Die Atokabeere ,
die Granatbeere und die Sassaparille sind nach den großen
Waldbränden üppig gediehen. Aber die Blaubeere , anderswo auch
Heidelbeere genannt , wächst hier am üppigsten und ist die
schmackhafteste von allen. (Hémon 1999 [Trad. Karin Meddekis], 52).

La traduction de ce passage a donné du fil à retordre aux
traducteurs européens de Maria Chapdelaine . Pour ce qui est de la
traduction de l’a mérindianisme « atoca », qui désigne un « Arbrisseau
des tourbières produisant des petites baies au goût acidulé qui
deviennent rouges en mûrissant » (Dictionnaire québécois d’aujourd’hui
1993), également désigné avec le mot « canneberge », le traducteur
italien Ugo Piscopo a utilisé l’hyperonyme « bacche », qui désigne en
français des « baies ». L’avantage de cette stratégie est que les lecteurs
italiens comprennent qu’il s’agit d’une « baie sauvage », mais ils ne
sauront jamais quelle est précisément cett e baie. Le traducteur espagnol
A. Hernández Catá a simplement décidé d’éliminer le mot, ce qui
constitue une perte considérable par rapport au texte source. Le
traducteur roumain Iulian Vesper a choisi de le transposer avec le mot
« afina de mla ștină » qui renvoie à la « myrtille noire de tourbière »
(mlaștină = tourbière). Il a essayé en effet de préciser la nature de cette
baie typique du Québec. La traductrice allemande Karin Meddekis a

164
créé le néologisme « Atokabeere » (en français « baie d’a toca »), qui n’est
pas attesté dans les dictionnaires de langue allemande. Il s’agit d’une
stratégie très intéressante qui permet de transposer la couleur locale du
Québec dans le texte allemand, d’enrichir la langue cible et de créer cet
« effet de défami liarisation » cher à Umberto Eco.
Toujours dans le même passage, le défi pour les traducteurs
européens était de rendre dans leur langue respective non pas le mot du
français de référence « myrtille », mais les régionalismes « luce » et
« bleuet » désigna nt la « myrtille » en Bretagne et au Québec. Le
traducteur italien Ugo Piscopo supprime carrément les deux
régionalismes de sa traduction et il appauvrit considérablement le texte
cible. Le traducteur espagnol A. Hernández Catá élimine également les
deux r égionalismes, de plus, il traduit le mot « myrtille » non pas avec le
terme attendu « arándano », qui désigne la « myrtille » en espagnol, mais
avec le mot « grosella » qui désigne la « groseille » en français. Cette
stratégie est très significative, car e lle montre ce que l’on ne devrait pas
faire dans la pratique de la traduction littéraire. Le traducteur roumain
Iulian Vesper rend correctement le mot « bleuet » avec le mot roumain
« afina », mais pour « luce » (régionalisme de Bretagne) et « myrtille »
(français de référence) il choisit deux synonymes qui renvoient aux
« groseilles rouges » (« coacăza » et « merișorul Fran ței »). La traductrice
allemande Karin Meddekis traduit seulement deux des trois synonymes
de la série et elle élimine le régionalisme de Bretagne « luce » : le
premier, « Blaubeere », traduisant le régionalisme québécois « bleuet »,
est utilisé surtout dans le sud -ouest du pays, tandis que le second terme,
« Heidelbeere », utilisé pour rendre le mot « myrtille », est en usage un
peu partout en Allemagne, aussi bien dans le nord du pays que dans le
sud ( Bayerische Landesbibliothek O nline ).
Dans la série de traductions suivante, les étudiants du cours ont
eu la possibilité de voir les stratégies utilisées pour rendre le
régionalisme « vue animée » utilisé par Louis Hémon dans la partie
finale de son roman :

Et tous les plaisirs qu’o n peut avoir ; le théâtre, les cirques, les gazettes
avec des images, et dans toutes les rues des places où l’on peut entrer
pour un nickel, cinq cents, et rester deux heures à pleurer et à rire. Oh !
Maria ! Penser que vous ne savez même pas ce que c’est que les vues
animées ! (Hémon 1921, 178).

Senza contare gli svaghi, il teatro, il circo, le riviste illustrate, e ad ogni
angolo di strada posti dove si può entrare per un nichelino, cinque
cents, e starci un paio d’ore a piangere o a ridere. Oh, Maria, p ensare
che non sapete neppure cosa sono le figure animate! (Hémon 1986
[Trad. de Ugo Piscopo], 147).

165
Y ponga, por si es poco, las diversiones, el teatro, los circos, las revistas
ilustradas… Y a cada paso, cinématografos donde sólo pour “un
níquel”, por cinco centavos, puede uno entrar y pasar dos horas viendo
películas tristes o graciosas… ¡Ah Maria, y pensar que usted no sabe
siquiera lo que es una película… ! (Hémon 1975 [Trad. de Hernández
Catá], 102).

Și toate pl ăcerile le po ți avea: teatrul, circurile, revistele cu poze; și
peste tot unde po ți intra în schimbul unui nichel – cinci cen ți – și sta
doua ore, s ă tot plîngi și să rîzi. Oh! Maria! Gîndeste -te că habar n -ai
măcar ce inseamn ă tablourile vivant e! (Hémon 1968 [Trad. de Iulian
Vesper], 148).

Und die ganzen Vergnügungen, die hier angeboten werden: Theater,
Zirkus, Zeitschriften mit Bildern, und auf allen Straßen gibt es Häuser,
in denen man für einen Nickel oder fünf Cents zwei Stunden verweilen
kann, nur um zu lachen und zu weinen. O Maria. Wenn ich daran
denke, daß Ihr noch nicht einmal wißt, was ein Kino ist. (Hémon 1999
[Trad. de Karin Meddekis], 126).

Le régionalisme en question a également été rendu par des
stratégies différentes. L’expressi on désigne au Québec « le cinéma » et/ou
les « films » projetés au cinéma. On dit souvent « aller aux vues », aller
aux « grandes vues », aux « petites vues » ou « revenir des vues ». Michel
Tremblay a également publié un roman autobiographique intitulé Les vues
animées (1990) dans lequel il parle des films qui l’ont marqué pendant son
jeune âge. L’expression fait écho aux « motion pictures américaines ». Le
traducteur italien Ugo Piscopo a traduit ce régionalisme par l’expression
italienne « le figure anim ate ». En Italie cette expression renvoie d’emblée
aux marionnettes des spectacles des guignols, ou aux figurines que l’on
insère dans la crèche de Noël, ou encore aux plus modernes dessins
animés. Le traducteur espagnol A. Hernández Catá a retravaillé tou t le
passage : il a inséré le mot « cinématografos » qui n’existe pas dans le texte
source et il a traduit l’expression « vue animée » par « pelìcula » désignant
ainsi un « film ». Iulian Vesper a décidé d’utiliser l’expression roumaine
« tablouri vivante » (« tableaux vivants » en français), qui ne renvoie pas
au cinéma, mais fait plutôt penser au théâtre. L’expression désigne la
mise en scène théâtrale d’un tableau et cela ne transpose pas la situation
des cinémas du Québec pendant les années vingt. La tr aductrice
allemande Karin Meddekis a traduit la même expression par « Kino »,
utilisant donc une stratégie standardisante comme l’a fait également le
traducteur espagnol.
Une dernière série d’exemples a permis aux étudiants d’analyser
d’autres stratégies u tilisées par les traducteurs européens pour la
traduction des régionalismes du roman de Louis Hémon :

166
Les chantiers , la drave , ce sont les deux chapitres principaux de la
grande industrie du bois, qui pour les hommes de la province de
Québec est plus impor tante encore que celle de la terre. (Hémon 1921,
67-68).

Il cantiere e la drave sono le due voci fondamentali della grande
industria del legno, che nel Québec è più importante dell’attività
agricola. (Hémon 1986 [Trad. de Ugo Piscopo], 64).

Las serrerías y el arrastre de troncos hasta los puertos y estaciones
ferroviarias , son las dos columnas fundamentales de la industria
forestal, que para los habitantes de Quebec supera al mismo cultivo de
la tierra. (Hémon 1975 [Trad. de A. Hernández Catá], 43).

Șantierele, plut ăritul, acestea sînt cele dou ă capitole principale ale
marii industrii a lemnului, care, pentru oamenii din provincia Quebec
e, mai însemnat ă chiar decît cea a p ămîntului. (Hémon 1968 [Trad. de
Iulian Vesper], 60).

Die Holzplätze und die Flöße rei sind die beiden wichtigsten Bereiche
in der Holzwirtschaft und für die Männer in Quebec noch bedeutender
als die Landwirtschaft. (Hémon 1999, [Trad. de Karin Meddekis], 54).

Pour ce qui est du premier régionalisme, le canadianisme de sens
« chantiers », le Glossaire franco -canadien d’Oscar Dunn (1880) précise que
ce mot « n’est que canadien dans le sens d’exploitation forestière ». Les
expressions « faire chantier », « aller dans les chantiers », « les hommes de
chantier », très courantes au début du X Xe siècle au Québec, renvoient
toutes à l’« exploitation forestière ». Le traducteur italien Ugo Piscopo
propose une solution ambiguë, car le mot italien « cantiere » ne renvoie
pas directement à un « chantier forestier ». Il existe plusieurs sortes de
chantiers : des chantiers miniers ; des chantiers de construction navale ;
des chantiers aéronautiques ; des chantiers de construction de maisons,
etc. L’ajout de l’adjectif « forestale », (« forestier » en français), aurait sans
doute résolu cette ambiguïté. Le traducteur espagnol A. Hernández Catá
l’a rendu par « serrerìas », mais ce terme espagnol ne renvoie pas tout à
fait au « chantier » du nord du Québec où l’on faisait la coupe forestière,
mais plutôt à une « scierie », ce qui représente l’étape success ive au
« chantier ». Le traducteur roumain Iulian Vesper a transposé ce
canadianisme de sens avec le terme général « Șantierele » qui signifie « les
chantiers ». Il s’agit d’un terme dont l’étymologie est française, mais qui
n’est pas accompagné d’un adjectif qui distinguerait les différents types de
chantiers : chantier de construction, naval, d’autoroute et « forestier » qui
aurait précisé davantage le régionalisme. La traductrice allemande Karin
Meddekis le traduit par le terme pluriel « Holzplätze ». Un « Holzplatz »
est un dépôt de bois, un endroit où l’on entrepose le bois coupé et avec ce

167
choix les lecteurs alleman ds ne sauront jamais ce que sont les « chantiers »
de Maria Chapdelaine , où les bûcherons travaillaient dans de dures
conditions pendant plusieurs mois, avant de retourner auprès de leur
famille.
Les stratégies utilisées pour rendre le deuxième régionalism e du
passage cité sont également différentes. D’après le Dictionnaire québécois
d’aujourd’hui (1993), le régionalisme « drave » renvoie au « transport des
billes de bois par flottage ». Dans le langage des travailleurs des
« chantiers forestiers », la « drave » correspond à la mise en dérive des
troncs d’arbre qu’on livre au courant du fleuve pour les transporter vers
les ports fluviaux. Les « draveurs » surveillent la descente des pièces de
bois dans l’eau à l’époque des grandes crues de printemps. De ce
régionalisme, il n’existe pas de mot correspondant en italien standard7,
car il décrit une réalité d’autrefois typiquement québécoise. Ugo Piscopo
décide de laisser le mot tel quel en utilisant le procédé du « report ». Les
lecteurs italiens sentent l’étran ger grâce à cette stratégie, mais Louis
Hémon explique plus dans le texte la signification du mot « drave »,
comme il l’a fait pour le régionalisme « tire ». Le traducteur espagnol A.
Hernández Catá explique avec une périphrase la nature de ce
régionalisme en ayant recours presque à une définition de dictionnaire :
« el arrastre de troncos hasta los puertos y estaciones ferroviarias ». Le
verbe espagnol « arrastrar » signifie « traîner ; transporter » les billots de
bois jusqu’aux ports fluviaux où il y a l e chemin de fer. Tandis que le
traducteur roumain Iulian Vesper et la traductrice allemande Karin
Meddekis utilisent les mots équivalant « plutăritul » et « Flößerei »,
puisque cette activité se pratiquait aussi bien en Allemagne qu’en
Roumanie jusqu’à la moitié du XXe siècle.
Les traductions analysées en salle de cours avec les étudiants
contiennent plusieurs exemples très intéressants, mais l’ étude d’autres
passages dépasserait malheureusement les limites fixées par le présent
travail.

Conclusion

La tentative de faire réfléchir des étudiants universitaires de
troisième année sur les traductions italienne, espagnole, roumaine et
allemande de Maria Chapdelaine de Louis Hémon s’est avéré une
stratégie très intéressante pour plusieurs raisons. Cette expérience

7 Cependant, dans la région Vénétie, il existait au XIXe siècle les « Zattieri » de la rivière
Piave, plus au moins comparables aux « draveurs » du Québec. À l’aide de « zattere »
(des radeaux ), les bûcherons de cette région, appelés également en dialecte vénitien les
« Menadas del Piave », accompagnaient la descente des troncs d’arbr e jusqu’à Venise,
ville en grande partie construite sur des pilotis en bois.

168
didactique a d’abord permis aux étudiants de comprendre qu’à une
communauté linguistique (les francophones) ne correspond pas
uniquement un e communauté culturelle (les Français, les Bretons, les
Québécois, etc.). Ils ont également pu découvrir qu’il n’existe pas une
seule manière de parler « français », mais plusieurs manières de parler
« le français » se caractérisant par diverses variations : ils sont
dorénavant capables de reconnaître un régionalisme et ils sont
certainement plus sensibles et attentifs lorsqu’ils doivent en traduire un.
Ensuite, à travers l’exemple du traducteur roumain Iulian Vesper, ils ont
pu remarquer que le travail du traducteur littéraire présuppose une
longue période d’étude qui précède l’activité traduisante du texte. La
lecture des mémoires du traducteur roumain a montré aux étudiants que
traduire un texte présuppose la connaissance globale de l’auteur que l’on
traduit : sa vie, ses études, ses voyages et ses publications. Cette
tentative pédagogique a enfin permis aux étudiants de voir qu’il existe
plusieurs stratégies pour traduire un régionalisme lexical du français et
que certaines stratégies apparaissent plus ré ussies que d’autres.

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Wandruszka, Mario. « Vers une linguistique de la traduction ». Les Cahiers
internationaux du symbolisme, n0 24-25, 1973 : 65-85.

170

Traduire la poésie contemporaine en 2012 : de l’espagnol au français,
leçons de sens, de son et de rythme – l’exemple de Esto es mi cuerpo
/ Ceci est mon corps (1997) de Juan Antonio González Iglesias

Emmanuel LE VAGUERESSE
Université de Reims Champagne -Ardenne
France
« Chaque être crie en silence pour être lu autrement »
(Simone Weil, La pesanteur et la grâce , 1947)
Résumé : Cet article se propose d’expliquer ma pratique de la traduction
poétique de l’espagnol au français en partant de ma propre traduction, en 2012,
du recueil Esto es mi cu erpo / Ceci est mon corps (1997) de Juan Antonio González
Iglesias, notamment en réfléchissant aux choix à faire sans cesse concernant les
trois modalités traditionnelles de traduction d’un poème, à savoir : le sens, le
son et le rythme.

Mots -clés : tradu ction poétique, praxis , González Iglesias (Juan Antonio), Ceci
est mon corps / Esto es mi cuerpo , poésie, Espagne, sens, son, rythme, alexandrins
/ alejandrinos

Abstract : This article purports to discuss my practice of poetic translation from
Spanish into French using as a starting point my own translation, in 2012, of
the collection Esto es mi cuerpo / Ceci est mon corps (This is my Body ) (1997) by
Juan Antonio González Iglesias, notably by pondering upon the choices that
are constantly to be made as rega rds the three traditional modalities involved in
the translation of a poem, namely: meaning, sound and rhythm.

Keywords : poetic translation, praxis , González Iglesias (Juan Antonio), Ceci est
mon corps / Esto es mi cuerpo (This is my Body ), poetry, Spain, meaning, sound,
rhythm, alexandrines / alejandrinos
Introduction

Il s’agit ici, pour moi, de proposer une réflexion personnelle sur
la traduction poétique, à partir de ma première expérience de traducteur
publiée, soit celle, en français, du recueil poét ique écrit en espagnol
(castillan) et publié en 1997 Esto es mi cuerpo (González Iglesias 1997)
sous le titre Ceci est mon corps (González Iglesias 2012). Cette traduction
est donc ma première traduction publiée, mais aussi la première

171
traduction en langue française de ce grand poète contemporain espagnol
né en 1964, primé à plusieurs reprises dans son pays.
J’aimerais dire quelques mots rapides sur l’auteur et son livre,
uniquement pour aider à comprendre les remarques que je ferai plus tard
sur les spécif icités du travail de traducteur appliqué à ce poète et à ce
recueil : Juan Antonio González Iglesias est né à Salamanque en 1964 et
a publié cinq recueils principaux depuis 1994, réunis récemment dans un
gros volume (González Iglesias 2010). Il est aussi p rofesseur de lettres
classiques à l’Université de Salamanque et a lui -même traduit plusieurs
écrivains en espagnol, de Catulle à James Laughlin, en passant par
Horace, Ovide et même Stendhal. Francophile et francophone, il a
effectué un séjour à Paris (199 6-1998) afin de compléter sa formation en
théorie de la littérature et de l’art, à l’EHESS (École des Hautes Études
en Sciences Sociales), fréquentant aussi la Sorbonne.
Ce recueil qu’est Esto es mi cuerpo / Ceci est mon corps est en
grande partie né de ce séjour dans la capitale parisienne et constitue son
recueil le plus « français ». Ses quarante -huit poèmes, de longueur
variable, sont formellement « libres », si l’on considère ainsi l’absence de
rimes finales et la variété des rythmes, non seulement ent re les poèmes,
mais aussi à l’intérieur d’un même poème – sauf exceptions. Mais
González Iglesias, en vrai spécialiste de la poésie et en amateur du
classicisme, notamment issu de la poésie antique, respecte
profondément, aussi, cet héritage : les jeux pho niques abondent à
l’intérieur des vers, tout comme les mètres jouent avec les grands
schémas classiques de la poésie espagnole, entre heptasyllabes,
hendécasyllabes et même alexandrins, et leurs combinaisons. La
modernité, elle, n’est jamais loin, dans ces jeux, justement, entre la
contrainte d’un mètre canonique et sa subtile distorsion ou son inclusion
dans un environnement prosodique plus hétéroclite.
J’expliquerai ici la méthodologie de ma traduction de ce grand
poète contemporain, notamment pourquoi j’ ai choisi un mixte entre la
restitution des trois grands éléments à traduire pour ce qui est d’un texte
littéraire, en particulier en poésie, à savoir le sens, le son et le rythme (=
la musique), tout en soulignant que je ne suis pas un théoricien de la
traduction, mais un praticien qui a réfléchi – et pas seulement pour ce
colloque, bien entendu – à sa praxis , ce qui est différent. Et je suis aussi
quelqu’un qui, dans la lignée d’un « passeur » culturel comme
l’Espagnol Ricardo Baeza (1890 -1956), veut fair e connaître un aspect
des littératures étrangères à ses compatriotes français ou aux
francophones. Je ne serai donc pas aussi pessimiste qu’un Philip Larkin,
le poète anglais, lorsqu’il doute de la traductibilité de toute langue8.

8 « Je ne vois pas comment l’on pourrait jamais connaître une langue étrangère assez
pour que la lecture de poèmes présente quelque intérêt. […] Au plus profond de moi, je

172
Dans cette méthodologie q ui m’est propre et qui n’exclut pas ,
lorsque cela est possible , une certaine littéralité bien mesurée9, je pense en
premier lieu à l’imprescriptible restitution du sens, y compris dans son
opposition de tons ou registres langagiers, à sa polysémie et / ou son
obscurité, qui obligent, déjà, tout traducteur à trancher dans chaque
choix de traduction qui se présente à lui10. Cette restitution du sens, sans
laquelle la trahison serait immédiate, est illustrée par l’exemple suivant,
parmi de nombreux autres, comm e on peut aisément l’imaginer : je
pense à la traduction française d’un terme comme « ejecutivitos » (dans
« Los amigos del cuerpo / Les amis du corps », 68 -69), diminutif de
« ejecutivo », « cadre supérieur », mais péjoratif, ici. J’ai choisi d’abord
« petit cadre supérieur », mais comme cette traduction est un peu étrange
et paradoxale, du fait de la cohabitation de « petit » et « supérieur », qui
n’existe pas dans la version originale espagnole, je coupe « supérieur »
en « sup », comme on peut le faire e n français à l’oral, ce qui semble
satisfaisant pour le ton du poème à cet endroit.
Comment rendre, également, une expression telle que « ¿o quizá
sea lo propio? » à propos d’une ville de Californie, proche de San Diego,
dont le nom est réellement « Escond ido » (« Caché » en espagnol,
historiquement à cause de sa situation topographique), dont le locuteur
poétique se demande comment on peut ne pas le savoir. J’ai choisi pour
traduction « ou peut -être est -ce logique ? », au vu de l’étymologie de ce
nom : s’il est « caché », il est logique que l’on ne puisse pas le savoir
(dans « El California Center for the Arts / Le California Center for the
Arts », 118 -119).
La traduction du sens – et du registre – est immédiatement
« suivie », dans mes préoccupations, par le dessein de privilégier, de
manière cohérente dans chaque poème, mais aussi dans la visée plus
globale du recueil dans son entier, l’une des deux autres modalités
restantes : le son et le rythme11. En effet, restituer les trois ensemble

trouve les langues étrangères superfétatoires. Si ce verre, là à côté, est une window , il
n’est pas une Fenster ou une fenêtre ou quoi que ce soit d’autre […] », à lire dans Larkin
(1994, 7 -8).
9 « Elle est condamnée par avance, la littéralité, avant même d’êtr e citée au tribunal de
l’observation, lorsqu’on entend n’y voir qu’un misérable jeu de dominos : une pièce, un
mot, mécaniquement, qui se substitue à un autre jusqu’au terme de la phrase. Quelle
piètre réflexion linguistique ! », si l’on en croit Jean -Clau de Chevalier dans l’un de ses
articles (Chevalier – Delport 1995, 165),
10 Pensons en effet que, selon Derrida : « Un texte n’est un texte que s’il cache au
premier regard, au premier venu, la loi de sa composition et la règle de son jeu »
(Derrida 1972, 7 1).
11 Cf. Efim Etkind : « Si, en faisant passer le poème dans une autre langue, on ne
conserve que le sens des mots et des images, si on laisse de côté les sons et la
composition, il ne restera rien de ce poème » (Etkind 1982, 11). Il s’agit de simple bon
sens, bien sûr, mais cette réflexion va plus loin, car Etkind, on le sait, était sans doute le

173
s’apparente à une gageure, du moins pour moi, même si, grâce à la
latinité dans le cousinage de ces deux idiomes source et cible que sont
l’espagnol et le français, la tâche du traducteur, ne le cachons pas, s’en
trouve parfois considérablement allégée et facilitée.
Les rap pels phoniques, par exemple – puisque c’est de la
modalité « son » que je vais à présent traiter –, sont privilégiés par moi12
quand ils sont particulièrement marquants, mais peuvent être,
également, disséminés, dans ma restitution en français, de manière p lus
libre par rapport à l’architecture des vers (opération rendue plus aisée,
tout de même, par l’absence de rime finale chez González Iglesias).
Prenons un exemple concret : « de la mirada, el dardo » est restitué par
« du regard, le dard » (dans « La bel leza establece vínculos vasalláticos /
La beauté établit des liens vassaliques », 112 -113), le traducteur étant
aidé par le « hasard » des échos soniques, même davantage ici que par
l’étymologie !
Dans le poème « Del lado del amor duerme mi cuerpo / C’est du
côté de l’amour que dort mon corps », 16 -19), les vers « […] porque
movido / a resplandor, resuelto / en poema […] » donneront « […]
parce que poussée / au flamboiement, fondue / en poème », car on veut
restituer la parenté phonique, notamment au niveau des « r », des deux
mots « resplandor » et « resuelto, » isolés ensemble dans un même vers.
On est alors obligé de passer par deux mots en « f » et d’ autres parentés
de son, donc, pour rendre celles en « r » de la langue originelle, à sa voir
« flamboiemen t » et « fondue ».
Mais la restitution du rythme, ce « serpent de mer » de la critique
poétique, notamment espagnole13, est tout particulièrement ardue, dans
cette entreprise de traduction, spécialement du fait de mon choix de ne

seul théoricien actuel de la traduction à plaider pour une typologie de la traduction, en
français, du vers par le vers.
12 Ce qui implique une façon de concevoir , donc de traduire, le texte spécifiquement
poétique, qui passe davantage par la recréation, selon Inês Oseki -Dépré : « [Par rapport à
la prosaïque, l]a traduction poétique […] fait partie du processus esthétique créatif et si,
d’une certaine façon, les po ètes n’ont pas cessé de traduire à travers les langues et les
temps, parallèlement, les poètes ont toujours été traduits par des poètes » (Oseki -Dépré
1999, 15).
13 « Le rythme a été pour nous une source, non de certitudes ou de recettes, […] mais
bien d’in terrogations, dont nous ne savions pas qu’elles resteraient sans réponse […] »
écrit ainsi un pool de traducteurs (Cernuda 2010, 106). Sur cette question, voir Quilis
(1969) et, en français, Pardo (1992). Voir aussi la réflexion du poète Miguel d’Ors dans
son Virutas de taller (d’Ors 2007, 43) : « Pour qu’il y ait rythme il y a besoin, avant tout,
d’une pluralité d’éléments : un seul son ou un seul objet visible ne pourront jamais
constituer un rythme. […] [J]e pressens qu’il en manque au moins trois ; et s ’il y en a
plus, plus claire sera notre perception du rythme […] » (Para que haya ritmo se requiere,
ante todo, una pluralidad de elementos: un solo sonido o un solo objeto visible jamás podrán
constituir un ritmo. […] [ S]ospecho que al menos faltan tres; y si son más, más clara será nuestra
percepción del ritmo […]).

174
jamais l’occulter par désin volture ou facilité, sous peine de dénaturer le
propos formel du poète. Une première décision a été de respecter grosso
modo la longueur des vers, mais pas de manière strictement
mathématique ni exhaustive, sous peine de faire se contorsionner le sens
prem ier dans les cas – nombreux ! – où la tâche paraît proprement
impossible, mais plutôt en pensant à garder les grands équilibres dans les
masses de vers, sans jamais oublier non plus la disposition
typographique et l’effet visuel ainsi créé.
Pour autant, ma seconde décision, certes ambitieuse, voire folle
du point de vue du labeur à effectuer, de rendre de manière systématique
ce vers particulier et si canonique qu’est l’alexandrin – soit quatorze
syllabes métriques en espagnol (« el alejandrino »), contre douze syllabes
en français, avec césure à l’hémistiche dans les deux cas, la différence du
nombre de pieds entre les deux langues s’expliquant d’un point de vue
logique par la place de l’accent tonique dans chaque hémistiche en
espagnol, mais l’espace impar ti à cet article ne me permet pas de m’y
attarder – m’a parfois obligé à un éloignement du texte originel, voire à
des acrobaties, pour ces vers -là, de plus grande importance que pour les
autres vers.
Pour autant, cet « éloignement » a été salutaire et m’a
paradoxalement libéré vis -à-vis de la « lettre » du texte. Il s’agissait de
garder une cohérence dans le rendu du sens, certes reconstitué, et des sons
autant que possible, mais avec, dans le cas de l’alexandrin, un respect des
douze syllabes quasi sacrée s. Néanmoins, on s’est permis une certaine
souplesse métrique dans la recréation de ces alexandrins français,
notamment une liberté dans la césure à l’hémistiche, possible depuis la fin
du XIXème siècle et qui « colle » au propos novateur, dans certains
alejandrinos , de l’auteur pour la création des siens14. Mais j’y reviendrai.
Je donnerai d’abord un exemple de réponse au défi de traduction
lancé involontairement par le poète, hors alexandrins : restituer « un
septiembre de lágrimas, amargo / como frontera atrás, como
vendimia », traduit par « un septembre plein de larmes, plein
d’amertume / comme une frontière laissée en arrière, comme des
vendanges » (dans « Del lado del amor duerme mi cuerpo / C’est du
côté de l’amour / que dort mon cœur », 16 -17). Dans c et exemple, j’ai
rajouté « un septembre plein de larmes, plein d’amertume » (je souligne),
au lieu d’une traduction plus proche comme « un septembre de larmes,
amer », car cette dernière, trop brève, aurait déséquilibré l’équivalence
métrique entre les deu x vers originels en espagnol (il s’agit de deux
hendécasyllabes), une fois traduits en français.

14 Et ce, même si la liberté de ces alexandrins en français ne porte pas toujours sur les
mêmes en espagnol (souvent, néanmoins), l’équilibre général dans les masses de vers
demeure, ce qui est le plus important dans cette démarche traductive.

175
Mais revenons aux alejandrinos et alexandrins. On a dit que
l’alexandrin, né au XVe siècle, est un vers canonique. Il l’est, certes,
comme le sonnet à un nivea u d’organisation formelle supérieur, et
même s’il est déstructuré, cette « canonicité » demeure. On rappellera
seulement que, depuis Victor Hugo et son célèbre : « J’ai disloqué ce
grand//niais d’alexandrin » (dans « Quelques mots à un autre », Les
contemp lations , 1856), depuis Verlaine plus encore (« Et la tigresse
épou//vantable d’Hyrcanie » dans le poème « Dans la grotte », Fêtes
galantes , 1864, où la césure passe à l’intérieur du mot « épouvantable »),
cette dislocation de l’alexandrin, prolongée par Ri mbaud, Apollinaire et
les avant -gardes au XXe siècle, peut créer des effets libres et souples de
sens par cette tension neuve à l’hémistiche.
L’alejandrino espagnol, depuis à peu près la même époque, a
connu lui aussi les mêmes jeux de meccano et les mêmes torsions pour
déverrouiller la métrique. Il accepte donc ces recréations modernes par
la traduction, ma traduction, dont je parlais plus haut. Et les alexandrins
espagnols de González Iglesias, parfois, ne sont pas en reste, de ce point
de vue -là. Donnons quelques exemples.
Prenons un alexandrin espagnol que je suis obligé de rendre par
un alexandrin français où la césure ne passe pas exactement au même
endroit, mais sans grande déperdition de rythme : « Un rubio
vigoroso//ha entregado el desnudo » rendu p ar « Un blond vigoureux
a//livré sa nudité » (dans « 101. Champs Élysées / 101. Champs –
Élysées », 90 -91). Ici, malgré tout, la césure après l’auxiliaire – et syllabe
atone – « a » en français crée un alexandrin plus libre, audacieux et
davantage « en tensi on » que l’espagnol, je l’admets, mais ce gain de
liberté, on le redit, compensera sans doute le déficit de cette même
liberté et / ou de cette même tension dans un autre alexandrin, proche
ou pas spatialement.
Mais j’ai « dû », enfin, faire passer la césu re en français à
l’intérieur d’un mot, pour rendre certains alexandrins. Je donnerai un
unique exemple : « tiemblan todos los átomos//del poema de Lucrecia »
sera rendu par « tremblent tous les ato//mes des vers de Lucrèce » (dans
« La belleza establece ví nculos vasalláticos / La beauté établit des liens
vassaliques », 112 -113). Là encore, la tension entre classicisme et
modernité à l’œuvre chez notre poète et dans ce recueil semble me
l’autoriser15.

15 Ce choix de respecter les équilibres métriques, mais en faisant un effort de traduction
scrupuleuse, de ce point de vue, pour les seuls alexandrins constitue une praxis
« moyenne » – pour reprendre plais amment l’adjectif appliqué à l’art photographique par
Pierre Bourdieu en 1965 (Bourdieu et al. 1965) –, qui me délivre de toute systématisation
outrancière, laquelle menacerait la souplesse du traducteur.

176
Pour ce qui est de la lettre du texte, il me faut reconnaî tre
lucidement que le poète (lui aussi traducteur, je le répète) m’a aidé à
propos de l’éclaircissement de constructions syntaxiquement obscures et
/ ou polysémiques. D’un point de vue sémantique, aussi, on a des
doutes, de l’indécidable : quel est le sens de« precisa » ?, dans « ¿Quién
precisa los N / grados de libertad […] » (dans « ¿Quién toma tu
mandíbula para rendirla al beso? / Qui donc prend ta mâchoire et la
force au baiser ? », 130 -131), où il est extrêmement difficile de vraiment
trancher entre « précise » et « a besoin » pour ce « precisar » – qui veut
dire les deux en castillan –, et que je décide de rendre, avec l’aide du
poète, par « précise », ce qui donne donc : « Qui précise les n / degrés de
liberté […] ».
Donnons un exemple, enfin, par rap port à l’amphibologie
métrique, car certains vers sont ambigus quant à leur manière d’être lus,
même si on sait que le fait de pouvoir être lu selon tel ou tel rythme est
sans doute prévu aussi par le poète, qui ajoute ainsi de la richesse à ces
vers, et d e la souplesse d’interprétation à leur lecture, alors
décadenassée. Pensons à l’hésitation entre hendécasyllabe et alexandrin
– du fait des compensations du type, ici, synalèphe – pour « de uno en el
otro, igual que un dimidiado », rendu par un alexandrin, car il faut bien
choisir en français si l’on veut, comme je l’ai voulu, rendre tous les
alejandrino s par leur équivalent français, et l’on n’a pas envie de mal –
c’est-à-dire de manière non naturelle, forcée et spécieuse, au final – lire
ces vers : on tra duit donc ici par « de l’un sur l’autre comme une moitié
d’être », en un alexandrin cette fois très classique (dans « Margen al
resplandor / Marge à l’éclat », 24 -25).
Insistons néanmoins sur la nécessaire liberté du traducteur de
choisir lui -même, sans l’ aide du poète, dans telle ou telle option de
lecture, s’il ne peut rendre la polysémie du texte source, car la plupart du
temps l’écrivain ne peut répondre à son traducteur, et aussi parce que –
osons la provocation – le créateur originel n’est peut -être p as le mieux
placé pour opérer ce choix de lecture, étant émetteur et pas récepteur .
Pour conclure, je dirai que, le thème du colloque nous invitant
aussi à réfléchir à la fois au marché et à l’éthique / la déontologie du
traducteur dans cette société supra -normée et vouée au « tout-
communication », je me place ici volontairement dans une perspective
de la lenteur et de la réflexion (j’ai passé trois ans à traduire ce court
recueil), sans doute en totale opposition avec la mode actuelle et les
exigences dudi t marché. Mais j’ai la chance, pour parler clair, de
travailler avec un éditeur, Claude Lutz, à la tête d’une maison petite
mais prestigieuse, Circé, retirée au fin fond des Vosges – région
montagneuse loin de la capitale et de Saint -Germain -des-Prés, pres que
de petites Carpates, où il œuvre seul avec sa femme depuis plus de trente
années –, et qui à la fois goûte profondément la poésie et aime à prendre

177
son temps pour publier des livres soignés et beaux. Cette précision
devait être faite, car elle montre q ue la connaissance de la poésie
étrangère, de nos jours, doit d’abord à des passionnés qui savent que la
publication d’un livre comme celui -ci ne leur rapportera sans doute pas
beaucoup d’argent, mais pensent qu’il est important de le donner à
connaître au x hommes et aux femmes de notre temps, puisqu’il n’y a
pas de distance entre une poignée de main et un poème16.
Je finirai en rappelant simplement que cette praxis de la
traduction, cette « migration de la parole »17, est, dans mon cas – moi qui
ne suis donc absolument pas théoricien, mais qui me suis prêté du
mieux que j’ai pu à ce type de réflexion pour ce colloque – une
opération personnelle, voire intime, qui emprunte à différentes
méthodologies, parfois opposées sur certains points, pour, au final, en
faire mon miel, le seul qui compte, le miel de la poésie, et servir le poète
et son art. Car, comme l’écrivait Pouchkine, en une phrase que tout
traducteur ne doit jamais oublier : « Merci mon traducteur, merci mon
critique, vous portez mes lettres, c’est mo i qui les écris ».

Références bibliographiques
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CARANDELL , Zoraida, LAGET , Laurie -Anne et LECOINTRE , Melissa.
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interdits (édition bilingue), poèmes traduits de l’espagnol et présentés par
Zoraida Carandell, Françoise Étienvre, Laurie -Anne Laget, Melissa Lecointre
et Serge Salaün (éds.). Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2010 : 77-107.
CELAN , Paul. Le Méridien et aut res textes . Paris : Seuil, 2002.
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sur la traduction) ». In : Jean -Claude Chevalier et Marie -France Delport.
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L’Harmattan, Coll. « Sémantiques », 1995 : 163 -185.
DERRIDA , Jacques. La Dissémination . Paris : Seuil, 1972.
ETKIND , Efim. Un Art en crise. Essai de poétique de la traduction poétique , trad. du
russe par Wladimir Troubetskoy avec la collaboration d e l’auteur. Lausanne :
L’Âge d’Homme, Coll. « Slavica », 1982.

16 La phrase exacte est la suivante : « Je ne vois p as de différence entre une poignée de
main et un poème » (Celan 2002, 45). Je cite la « Lettre à Hans Bender » de 1961 écrite
par ce grand poète, en hommage à votre pays de poètes qui m’accueille. Et puisque l’on
parle d’amitié, pensons qu’un traducteur, e n tant que passeur / transmetteur, donne à
ses « amis » – amis de et par la poésie, d’abord – la possibilité de goûter un texte dans
une langue que l’autre ne maîtrise pas : « Maintenant, votre ami peut lire ce poème, ce
livre que vous aimez : ce n’est plu s lettre close pour lui ; il en prend connaissance, et
c’est vous qui avez brisé les sceaux, c’est vous qui lui faites visiter ce palais […]. Vous
avez obtenu une entrée pour lui ; vous lui avez payé le voyage » (Larbaud 1997, 68 -69).
17 White (2011, 57). C ’est moi qui souligne.

178
GONZÁLEZ Iglesias, Juan Antonio. Esto es mi cuerpo [Ceci est mon corps] .
Madrid : Visor, Coll. « Visor de Poesía » 380, 1997.
GONZÁLEZ Iglesias, Juan Antonio. Del lado del amor. Poesía reunida (1994 –
2009) [Du côté de l’amour. Poésie réunie (1994 -2009)] . Madrid : Visor, Coll. « Visor
de Poesía », 2010.
GONZÁLEZ Iglesias, Juan Antonio. Ceci est mon corps , trad. de l’espagnol,
postface, bibliographie par Emmanuel Le Vagueresse, éd. bilingue avec
« Prologue à l’édition française » (inédit) du poète. Belval : Circé, Coll.
« Oxymoron », 2011.
LARBAUD , Valery. Sous l’invocation de saint Jérôme . Paris : Gallimard, Coll.
« Tel », 1997 [1944].
LARKIN , Philip. Où vivre, sinon ? (éd. bilingue), poèmes tradui ts de l’anglais et
présentés par Jacques Nassif. Paris : La Différence, Coll. « Orphée », 1994.
D’ORS , Miguel. Virutas de taller [Copeaux d’atelier] . Valencina : Los Papeles del
Sitio, 2007.
OSEKI -DEPRE , Inês. Théories et pratiques de la traduction littéra ire. Paris :
Armand Colin, Coll. « U. Lettres », 1999.
PARDO , Madeleine et Arcadio. Précis de métrique espagnole . Paris : Nathan,
Coll. « 128 », 1992.
QUILIS , Antonio. Métrica española . Madrid : Alcalá, 1969.
SALAÜN , Serge. « Traduire pour comprendre ». In : Luis Cernuda , Les Plaisirs
interdits (édition bilingue), poèmes traduits de l’espagnol et présentés par
Zoraida Carandell, Françoise Étienvre, Laurie -Anne Laget, Melissa Lecointre
et Serge Salaün (éds.). Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2010 : 69-77.
WHITE , Kenneth. Les Archives du littoral (éd. bilingue), poèmes traduits de
l’anglais par Marie -Claude White. Paris : Mercure de France, 2011.

179

Méthode et subjectivité en traduction

Alina PELEA
Université Babe ș-Bolyai
(Roumanie )
Résumé : Inspiratio n, sonorité, intuition, amour, plaisir, sentir, vouloir, flair…
Les propos des traducteurs au sujet de leur travail ne sont pas exempts de mots
et de formulations qui indiquent que tout n’est pas strictement objectif dans leur
prise de décisions et qu’il y a des méthodes de l’esprit dont les règles sont
indéfinissables en termes objectifs et neutres. Notre article prend appui sur un
corpus d’entretiens de traducteurs littéraires et se propose de dégager la part du
subjectif dans le travail de traduction e t les types de subjectivité avoués par ces
professionnels. Nous voulons voir ainsi l’intérêt que pourrait avoir la prise en
compte de cette perspective personnelle et affective du traducteur dans le cadre
de la traductologie réaliste définie par Michel Bal lard ainsi que jauger de son
utilité comme complément d’information pour la sociologie de la traduction
telle que illustrée par les recherches de Jean -Marc Gouanvic.

Mots -clés : subjectivité, méthode, entretien, sociologie de la traduction.

Abstract : Inspiration, sound , intuition, love, pleasure , to feel, to want , flair …
The words translators use to talk about their work indicate that translation
decisions are not strictly objective and that there are methods of the spirit with
rules cannot be defined in objective and neutral terms. Our article is based on a
corpus of interviews with literary translators and sets to identify the part of
subjectivity in translation and the types of subjectivity translators confess. Our
purpose is to see if it would be re levant to take into account the translator’s
personal and emotional perspective in the realistic translation studies defined by
Michel Ballard and to assess if this approach can bring useful information for the
sociology of translation as illustrated by th e research of Jean -Marc Gouanvic .

Keywords : subjectivity, method, interview, sociology of translation.

« L’exigence de traduire se situe, pour qui la comprend,
à un niveau où les notions de facilité ou de difficulté ne
sont plus réellement pertinentes. P as plus que la clarté
ou l’obscurité, elles ne sont des notions absolues (on est
toujours clair pour quelqu’un) : elles sont relatives à un
traducteur et à un moment donné de la vie de celui -ci.
Sans compter avec le fait qu’il faut distinguer entre la
difficulté stimulante (celle des chefs -d’œuvre) et celle
qui décourage… » (Jean -Yves Masson s.d.)

180
Le point de départ de notre intervention est le phénomène que
les psychologues appellent dissonance cognitive . Dès que l’individu est en
présence d’une incompa tibilité entre ce qu’il sait et la réalité, il essaiera
de manière inconsciente de retrouver son équilibre cognitif. Il peut le
faire soit en modifiant ses attitudes, son comportement, soit par un
certain aveuglement. Il ne voit pas ce qui, selon lui, ne p eut pas exister.
Ou, plutôt, sa manière de sélecter ce qu’il voit et puis de voir les choses
retenues sera sans aucun doute profondément marquée par ce qu’il sait
et sent, ce qu’il est en son for intérieur. Par sa subjectivité , dirions -nous,
non-psychologu es.
Nous nous proposons plus précisément de répondre à la
question que se pose aussi Louise Audet :

En traduction, le critique doit considérer non seulement le texte
source avec ses spécificités (liées au genre, au contexte historique,
social, culturel, à l’esthétique contemporaine), mais la lecture –
interprétation d’un tiers, le traducteur. Il lui faut jeter un regard à la
fois personnel et détaché sur ce nouveau texte. Mais à travers quel
prisme? (Audet 2008, 127 ; nous soulignons)

Notre intervention con stitue, nous l’espérons, une proposition
complémentaire à la « approche critique ‘longitudinale’ » d’Audet (2008,
129) et une possible voie d’accès aux explications profondes des choix
des traducteurs.

1. Objectifs et fondements théoriques

Comme la subjecti vité est une réalité qui n’épargne pas les
traducteurs non plus et qui agit parfois comme un contrepoids à tout
essai de maîtriser ses actions par le recours à la méthode, il nous a paru
intéressant de l’aborder dans le contexte de ce colloque. Nous espéro ns
ainsi, sinon apporter un éclaircissement (ce serait trop ambitieux),
donner des pistes de réflexions à même de mener à une meilleure
compréhension de ce que la subjectivité peut signifier pour le traducteur
et, implicitement, la traduction.
Nous le ferr ons en nous plaçant dans le sillage de la
« traductologie réaliste » – telle que définie par Michel Ballard (2006,
183) – et de la sociologie de la traduction fondée sur l’appareil
conceptuel de Bourdieu, telle qu’envisagée notamment par Jean -Marc
Gouanvic (2007). Plus exactement, nous nous pencherons sur la
« sphère limbique constituée par les réseaux de qualités et de capacités
humaines […] qui président à l’exécution de l’acte de traduction » que
mentionne M. Ballard dans sa définition (2006, 183) et nou s essaierions
« de remonter aux actes, à l’action du traducteur et à ce qui la sous -tend

181
ou l’inspire » (idem). Parmi les concepts de Bourdieu repris par
Gouanvic (2007), nous nous intéressons notamment à l’ habitus et à
l’illusio , à même de couvrir cette a ire floue du subjectif.
Afin d’ordonner notre approche d’un sujet par définition difficile
à appréhender et à jauger, nous avons utilisé un corpus composé
uniquement d’entretiens de traducteurs. Comme le traducteur est, le
plus souvent, mis en ombre – par l’auteur et l’œuvre qu’il traduit ou,
tout simplement, à cause de son statut de « second violon » – toute
manifestation directe de sa personnalité, de son point de vue, de ses idées
est une occasion d’entrevoir le vrai visage de celui qui se montre en
géné ral sous trop de voiles pour rester encore lui -même. Pour nous,
traductologues, l’entretien offre une occasion d’ajouter des pièces au
puzzle en multidimensionnel et toujours incomplet qu’est l’habitus du
traducteur.
L’entretien est une source d’informatio ns privilégiée à cet égard.
En répondant aux questions, les traducteurs ne font pas de la
traductologie, mais se situent sur un plan plus personnel, donc
potentiellement plus près de la réalité de la profession que de l’idéal
théorique. C’est donc une mani ère d’arriver à la réalité des faits par un
détour du côté du subjectif.

[…] genre circonstanciel et affirmant sa consonance obstinée à la voix
du temps, l’interview, de par son statut perceptif, voire thématique,
déborde, certes, toute taxinomie. De la sorte, les approches ne
sauraient être que multiples : historique […] ; psychologique […] ;
thématique […] ; sociologique […], l’interviewé n’étant pas/plus à
l’heure qu’il est (forcément) une personnalité, mais assumant, dans
l’instant, la voix du groupe […] ; fonctionnelle […]. (Baconsky, s.d.)

Dans cette qualité, l’entretien s’avère un outil pertinent en
traductologie.

2. Corpus

Le corpus est représenté par 80 entretiens avec des traducteurs
appartenant espaces cultures différents1. Nous l’avons dépouil lé en
cherchant à y identifier des éléments permettant de définir l’habitus et
l’illusio par rapport aux sphères possibles de manifestation de la
subjectivité et aux détails biographiques les plus à même d’intervenir sur
ce plan et de laisser une trace sur la traduction comme processus et
produit. Toute notre entreprise est fondée sur ce qui s’appelle suspension
of disbelief , sur l’hypothèse de la sincérité, même si, sans doute, ce ne

1 Principalement roumain, francophone, anglophone et hispanophone.

182
peut pas être une sincérité totale. En plus, cette sincérité est « guidée »
par l’intervieweur. Mais, malgré les limitations à la sincérité qui ont à
l’origine des raisons d’ordre objectif (le caractère public de la
conversation, le public concerné ou la possibilité de revenir sur ses
réponses avant la publication) ou subjectif (surtout la relation entre
l’interviewé et l’intervieweur), il se dégage avec netteté quelques points
d’intérêt « universaux » dans les entretiens. Bien d’entre eux visent
justement ce côté subjectif fascinant, le grain de sel de la traduction.
Certaines affirmations répondent à plusieurs critères de
classification, d’autres résistent à ce traitement rigide et éludent toute
tentative d’encadrement. Il y a pourtant beaucoup à gagner à essayer
d’établir des catégories objectives pour mieux comprendre le flo u de la
subjectivité.

3. Sphères de la subjectivité : le travail de traducteur

L’analyse des entretiens de notre corpus nous a permis de
constater l’existence de plusieurs sphères de la subjectivité des
traducteurs, chacune ayant des « sous-sphères » récurr entes : le travail de
traducteur (motivation, méthodes de travail, contraintes, le rapport entre
la traduction et l’écriture, la pression de la pudeur, la pression des
conventions, la retraduction, le passage d’une traduction à l’autre, l’
intraduisible) ; le rapport à la profession (statut social et professionnel du
traducteur) ; les langues (le rapport à la langue maternelle ; le(s) rapport(s)
aux langues étrangères) ; les expériences formatrices (le premier contact
avec la traduction, l’influence de la t raduction sur la personne du
traducteur, la relation avec les livres traduits) ; les gens (le rapport aux
lecteurs, le rapport aux professionnels du livre, le rapport aux écrivains
traduits, le rapport aux autres traducteurs).
Pour un panorama sinon compl et du moins compréhensif, il
convient d’ajouter deux autres aspects dont l’étude s’avère
complémentaire à l’analyse de ces sphères : les questions posées aux
traducteurs – révélatrices des curiosités, des parti pris et des avis des
intervieweurs par rappor t à la traduction – et ce que nous appellerions les
mots de la subjectivité , c’est -à-dire toutes les figures de style que les
traducteurs trouvent convenable d’utiliser pour mieux décrire leur
profession ou leurs ressentis par rapport à cette dernière. Pour des
raisons d’espace, nous nous attarderons ici seulement sur la première
sphère de la subjectivité, le travail, et sur certaines de ses composantes et
nous remettrons l’étude des autres sphères identifiées pour une autre
occasion.

183
3. 1. Motivation et choix des textes

« How do you choose texts to translate? Ideally, love. »
(Lane, Christ 1980)

Les traducteurs affirment souvent leur parti -pris en matière de
choix des textes et parlent d’ admiration et de défi (voir Avădani, Martin
2008 ; « if a book is written well, and if it’s intellectually challenging in
some way […] I want to translate it » (Mandell 2010) ; « When I’m
considering whether or not to translate a book, the most basic question
is: do I admire the book? Is it worth the amount of effort I’d have to
invest in translating it? […] I have to believe in a book in order to
translate it » (Allen 2010)), de l’amour du texte (Grossman, Salisbury
1993 ; Howard, Mann 1982 ; Harris, Adameșteanu 2008 ), du besoin et du
désir de communiquer (« I had read some books I knew I loved, and I
wanted to share them with my friends who couldn’t read French. My
friends would come over and I would make them dinner and after
dinner I would read aloud. The pleasure in translating thes e books was
equaled, I thought, by the pleasure in communicating them. » (Howard,
Mann 1982)), de beauté (« Good writing draws me, and perhaps previous
experience with the author —a unique voice, a rip -roaring tale, beauty »
(Sayers Peden, Hoggard, 1998)) e t de passion (« Je veux dire qu’à chaque
fois, le désir de traduire m’est venu d’un désir d’écrire l’émotion ou le
bouleversement d’une lecture. […] J’ai donc traduit par passion, par
nécessité intime et non pour faire découvrir, faire connaître » (Ancet,
Destramau s.d.)) comme étant des éléments nécessaires pour croire en le
texte et/ou l’auteur à traduire (Av ădani, Martin 2008 ; Sayers Peden,
Hoggard, 1998).
Force est pourtant de constater que les motivations plutôt
personnelles (majoritaires) vont parfois au -delà des considérations
littéraires et visent par exemple un engagement politique (Mazzoni, Chivu
2005 ; Bush, Maier 1997), le besoin d’avoir à sa disposition un certain texte en
traduction pour le partager (di Piero, Rodden 1996 ; Howard, Mann 1982 ;
« And when I discovered Adélia Prado’s poems, I was so excited by
them, so richly fed by them that I could n’t imagine the idea that no one
who didn’t know Portuguese could read them. » (Watson, Hoggard
1998) ; « […] J’étais amoureuse d’un collègue qui ne parlait pas
allemand. […] J’ai commencé à le [Ainsi parla Zarathoustra] lire et à le
traduire pour sédu ire mon collègue. » (Iuga, Nora, Șimonca 2005) ), la
libération mentale (« Translation offered the precious possibility of
moving almost anywhere any time » (Lane, Christ 1980)), des images et
des détails qui ne peuvent être que subjectives : « it’s the det ails, the
images, the intensity of feelings that move me to work. » (Watson,
Hoggard 1998).

184
Les raisons pratiques sont présentes, mais leur poids est de loin
le moins important et vient souvent s’ajouter aux considérations
subjectives : la quantité (mais i l faut remarquer que ce « critère » est
explicitement lié à la qualité : « Often, if a poet doesn’t have 2, 10, or 100
pages of poems that are translatable or worth translating, I have dropped
him or her for that reason alone. » (Sato, Teele 1982), l’appre ntissage de la
langue , aussi surprenant que cela puisse paraître (di Piero, Rodden
1996), la non-disponibilité d’autres traducteurs (c’est le cas d’un directeur de
collection, d’ailleurs traducteur et romancier consacré (Paraschivescu,
Turlea 2009 ; Ghițescu, Șimonca 2009), mais aussi le hasard de la vie
(Paruit, Adame șteanu 2002 ; Manganaro, Destremau s.d. ).
La décision de ne pas traduire peut elle aussi avoir à la base des
raisonnements subjectifs. Jan Willem Bos déclare par exemple qu’il
aime tellement l es vers du poète roumain Eminescu que ce serait une
injustice de le traduire. Ceux qui veulent le lire n’ont qu’à se mettre au
roumain… (Bos, Harris, Mu șat, Bican, Adame șteanu 2008).
C’est la réponse de Richard Howard qui synthètise le mieux
cette idée qui se dégage d’une subjectivité initiale: « Do you think it’s
particularly important to have an affinity with the work you’re translating ?
Yes. » (Howard, Mann 1982).

3. 2. Méthodes de travail : une discipline du subjectif
En ce qui concerne cet aspect, il y a, bien sûr, ceux qui décrivent
leurs approches en termes des plus concrets, voire techniques (Mathieu
2005 ; Barnstone, Hoeksema 1980 ; Friar, Photiades, 1978 ; King,
Martha, Katainen 1994 ; Lane, Christ, 1980 ; Lane, Landers 1995 ;
Rabassa, Hoeksema 19 78 ; Sato, Teele 1982 ; Sayers Peden, Hoggard
1998 ; Volk, Fahnestock 1995 ; et surtout Howard, Mann, 1982)
La plupart envisagent pourtant la méthode aussi sous un angle
qui favorise sentiments, sensations, impressions au détriment des
arguments strictemen t rationnels. Il ne nous paraît pas exagéré de dire
que ces traducteurs décrivent au fait une sorte de discipline du subjectif,
d’autant plus que rigueur méthodologique et muses sont invoquées côte
à côté, comme deux facettes d’une même réalité. Paradoxe q ue rend si
bien Kimon Friar par l’association des termes techniques au si vague et
pourtant éloquent mot beauties : « This is indeed a problem. The English
language is rich in monosyllables, and the syncopated or counterpointed
use of them in metrical poet ry constitutes one of the great beauties of
English versification. » (Friar, Photiades, 1978)
Le subjectif paraît l’emporter dans beaucoup de ces
témoignages, p reuve, encore une fois, que le subjectif a sa place même
au cœur d’une démarche qui se veut obje ctive (voir aussi Middleton
1979 ; Batista, Pelletier s.d. ) :

185

The translator begins objectively with given words, rhythms, images,
forms and must try to reach to the original vision of the poet. (Friar,
Photiades, 1978)

[L]a plupart de ces moments que vo us appelez « voluptueux »
consistent en une intimité d’âme à âme entre le livre et moi… C’est un
combat solitaire et, tel le combat de Jacob à l’ange, il ne se laisse pas
facilement raconter. Voulez -vous un autre exemple de bonheur ?
(Hinckel, Hermeziu 2 009)

I think I’ve made mistakes in every genre, but my mode has always
been to listen to the Spanish and then try to do the same in English.
(Sayers Peden, Hoggard 1998)

[…] il faut à chaque fois faire une pause et essayer d’entrer dans un
autre rythme, de créer une autre atmosphère en roumain. […]
Flamând, Vi șan 2011)

Mais disons que dans un monde où il vaut mieux ne pas penser, le
métier de la traduction est le seul qui puisse permettre cette absence de
pensée. Quand on traduit on ne pense pas, on se glisse dans quelque
chose qui n’a rien à voir avec la pens ée. (Manganaro, Destremau s.d.)

I think that solutions to the most interesting problems in translation
ultimately depend on the translator’s intuition. (Grossman, Salisbury
1993)

La perception, déjà, est une forme de traduction. Percevoir, c’est
organis er le chaos des phénomènes en une représentation. C’est
comprendre – c’est-à-dire reconnaître – ce qui, au départ est opaque,
confus parce qu’insignifiant. C’est passer de l’insignifiance du réel (qui
déborde toujours nos modes d’appréhension) au monde du s ens – à la
réalité (qui est ce que je perçois à travers le prisme de ma langue et de
ma culture). C’est donc traduire. (Ancet, Destramau s.d.)

I think I have only one rule, and I will be categorical: I think that I
would almost never interfere, in a prose translation, with the basic
syntax, what Chomsky would call the deep syntax, of English word
order. To me, syntax is the backbone of a language. I think that’s my
only rule. But I have violated even that one. (Lane, Landers 1995)

[…] you have to sort of empty yourself out before you begin translating
a text. I try to get in the way of the text as little as possible, and I try to
‘listen’ to the narrative as I’m translating, so that the narrator’s own
voice is conveyed in the words. (Mandell 2010)

186
There ’s music in prose, information to be communicated in poetry. I
think I’ve made mistakes in every genre, but my mode has always been
to listen to the Spanish and then try to do the same in English. (Sayers
Peden, Hoggard 1998)

[…] quelque intérêt que l’on porte aux théories de la traduction, nulle
n’a jamais, me paraît -il, dans la solitude et le désarroi de l’acte, résolu
beaucoup des petits problèmes locaux qui caractérisent la traduction au
quotidien et qui en font le bonheur. (Chénetier, Destremau s.d.)

As I said, everything came in through my ears and my fingers; and I
realize now I’ve always thought of myself as a fingertips kind of
translator. I’m not an intellectual one like Helen [Lane], for example,
who can articulate everything she does. (Sayers P eden, Hoggard 1998)

Reflet de l’impossibilité pour le traducteur d’être constamment
soit entièrement rationnel, soit purement subjectif, les propos d’Edith
Grossman (Grossman, Salisbury 1993) mettent en évidence le choix que
le traducteur fait avant tout e traduction : « MCS: When you decide to
translate a book, do you start by reading the existing criticism about it?
EG: Not at all. On the contrary, I prefer to rely on my own judgment or
interpretation. » (c’est nous qui soulignons)
Parler donc d’une disc ipline du subjectif c’est s’approcher de la
réalité et, implicitement, mieux comprendre le travail du traducteur.
Qu’il s’agisse d’une riguer d’un type à part est ce qui ressort des
affirmations de Kimon Friar :

A good translator will know the poem almost by heart, will delve into
its implications as much as he possibly can, so that every word he
translates will be chosen, among many possible synonyms, according
to the central vision of the poem as a whole. I’m afraid that few
translators submit themselves to such discipline. (Friar, Photiades,
1978)

During the first four months of our collaboration in Antibes, we sat
side by side at his [Kazantzakis’] working table as he read me the
33,333 lines of his poem, word by word. I would listen and interrupt
frequently to ask questions on tone, images, nuance, but primarily on
the meaning of various words images or ideas […]. (Friar, Photiades,
1978)

et de Gregory Rabassa qui résume bien l’idée centrale de cette section:

To sum up this rather hazy explanation I shall continue to be hazy by
saying that accuracy, indeed, must be sought consciously, while flow is
left to instinct or whatever else we want to call it. (Rabassa, Hoeksema
1978)

187
3.3. Difficultés. Intraduisible. Fidélité

« What have you found most
difficult to translate? Everything. All translation
is impossible. » (Howard, Mann 1982)

Sans surprise aucune, nous avons constaté que c’est l’entre -deux
permanent de la traduction qui est la source de toutes les difficultés, les
différences entre interview és étant minimales et liées en général à des
cas particuliers, très spécifiques : les formes fixes (Ancet, Destramau s.d. ;
Rabassa, Hoeksema 1978 ; Manganaro, Destremau s.d. ), les proverbes et
les allusions (Frey 1997), la restitution des sentiments (di P iero, Rodden
1997), le mètre (Friar, Photiades 1978), les culturèmes de toutes sortes
(Friar, Photiades 1978 ; Chénetier, Destremau s.d. ; il faut remarquer
pourtant que Margaret Sayers Peden (Sayers Peden, Hoggard 1998) y
voit une attraction et non pas un e difficulté…), les jeux de mots
(Chénetier, Destremau s.d. ), les niveaux de langue (Chénetier,
Destremau ; Furlan, Destremau s.d. ), le cahier de charges (Mathieu 2005),
etc. Toutes des difficultés qui sont dans la nature de la traduction : « Je
ne parle rai pas de grandes difficultés. Traduire, c’est traduire ! » (Matthieu
2005 ; nous soulignons)
Parmi les difficultés qui méritent notre d’attention, car
impliquant plus la personne du traducteur que ses compétences
strictement professionnelles, il convient de nous arrêter aussi sur les
défis à la pudeur. Le constat général à la lecture des entretiens avec ceux
qui ont traduit des textes difficiles de ce point de vue c’est que
finalement c’est un faux problème que celui d’appeler les choses par leur
nom. Sur le plan personnel, avoir à vaincre sa pudeur en traduisant
s’avère parfois un enrichissement. Cela d’autant plus que les
considérations esthétiques le remportent toujours sur les réserves
personnelles. Victoire du professionnel sur le soi ?

Why is porno graphy particularly difficult to translate? Some pornography is
easier to translate because it’s high pornography.I can do that.I can’t
do la basse pornographie .Almost all of our language that has to do with
the body and its functions is problematic.The Fr ench language
accommodates the corporal without judging it –it deals with the body
quite readily.The French have a verb, se figer : Baudelaire talks about le
sang qui se fige , and one has real difficulty deciding between drying,
stiffening, clotting, caking , whatever blood does.In English we
frequently miss the right word for what the body does, or the right
descriptive word for the body and its organs, so that much
pornography is lowered into the gutter or sidelined into the laboratory
by our necessities in English. (Howard, Mann 1982)

188
Les seuls problèmes que j’ai eus étaient liés à moi -même. Il s’agissait
de dépasser mes propres tabous et inhibitions. J’avais une pudeur
innée que j’ai vaincue avec Henry Miller. À certain moment, j’étais
arrivé au point ou je ressentais une certaine volupté à traduire les
choses de la manière la plus directe possible. (Ralian, Șimonca 2005 ;
voir aussi Ralian, Cârstean 2002a)

Ce qui nous a étonné, par contre, c’est la variété des réponses
que nous classerions comme « Avis s ur l’intraduisible ». La conviction
avec laquelle les traducteurs soutiennent des points de vue contraires, la
sérénité avec ils assument le paradoxe de la traduction indiquent que
tout ce qui est lié à la fidélité, aux contraintes et à l’impossibilité – réelle
ou apparente – de traduire font l’objet d’un traitement inévitablement
subjectif. Nous ne retenons ici que les exemples les plus frappants et
aussi les plus à même de décrire la véritable perception des traducteurs
par rapport à leur profession :

A poem is never translatable. A poem is always translatable. Choose.
(Barnstone, Hoeksema 1980)

The minute you announce that something is untranslatable, it’s always
translated. Of course, some of these translations merely prove the
point. (Howard, Mann 198 2)

Il n’est sans doute de texte intraduisible que dans la mesure où le temps
de nos vies est borné et où nul ne peut vivre d’un labeur si fou étendu
sur un temps si long. […] Enfin, il existe beaucoup de traductions
disponibles de textes véritablement "in traduisibles". Ce paradoxe, en
dépit de sa forme, n’est pas une provocat ion. (Chénetier, Destremau
s.d.)

Quant à la fidélité, c’est toujours une image paradoxale qui se
dégage, car chaque « camp » – sourcier, cibliste, neutre – a parfaitement
raison et a ucun des arguments, pour opposés qu’ils soient, n’est pas
illogique ou inacceptable.

Sappho poses troubling problems. Most of her poems are fragments
embedded in contexts which, though not translated, give the translator
further information. To be faithfu l to the words, one should make the texts
make less sense in English . (Barnstone, Hoeksema 1980)
He must then, I believe, try to be as faithful as he can to the aura and
intent of the poet. If the poet has more talent than he (as is often the
case), he sho uld keep as close as he can to the original work, congruent
with a transposition that is nothing less than the best possible English.
(Friar, Photiades, 1980)

189
A little too much foreignizing is perhaps not acceptable. I have no
objection to foreignized tran slations, particularly for canonical writers
who already have an established reputation in the language. (Gaddis
Rose, Maier 1980)
What do you think of the classic argument between strict "literalness" and, say,
Lowell’s Imitations? I’m not happy about eit her argument in its
extremity, but I suppose if compelled to choose I’d tend toward the
literal. I don’t like imitations. (Howard, Mann 1982)

I think my own principal focus is on the great middle ground of the
second, on what Dryden termed « paraphrase” o r translation with
latitude. But this « situating » myself between your two poles of strict
literalness and free -swinging invention makes me somehow very
uncomfortable. (Lane, Christ 1980)

3.4. Le rapport à l’écriture
Il est facile et presque logique d’en visager le traducteur en tant
qu’écrivain raté, subordonné ne pouvant faire mieux que de servir son
maître, et de là jusqu’à imaginer une frustration personnelle il n’y a
qu’un pas. Mais force est de constater que si cette situation reste possible
et exist e probablement dans la réalité, elle n’est pourtant pas générale.

Pour reprendre un terme de Barthes, je dirai que le traducteur est un
« écrivant » […]. » (Matthie ussent, Millois, Destremau s.d. )

When I translate I speak in another voice, and when I wr ite I speak in
my voice. The question is: who speaks in one or another of those
voices? […]I treat a translation as a poem of my own, with the
complication that it needs to correspond to an original. (Hinton 2011)

J’ÉCRIVAIS ce livre, je l’inventais, je l a sculptais dans le matériau
d’une langue dans laquelle elle n’existait pas encore. » (Stankov, 2011)

Je préfère être un bon traducteur plutôt qu’un écrivain médiocre. »
(Ralian, 2009)

[…] en tant que traducteur, je n’ai jamais ressenti une sensation
d’exaltation, de bonheur, plus grande que lorsque j’ai traduit Le
Tambour de Grass. Tout au long du processus, j’ai eu l’impression que
c’était moi qui avait écrit ce livre. (Iuga, Danciu 2010 )

I am grateful to be a translator; I am not grateful when it overshadows
my work as a poet and critic. » (Barnstone, Hoeksema 1980)

Néanmoins, une certaine timidité peut justifier une certaine
préférence pour la traduction, signe certain d’un rapport plus tendu à

190
l’écriture, qui ne perd à aucun moment son aura – source de craintes,
mais aussi de satisfaction :

I confess, however, to a deep -seated, genuine fear of writing for
publication, while I don’t think I feel that terror at all about translating
for publication. I wonder if a similar apprehension is not the hi dden
“reason" you mention for a good many translators turning to
« rewriting” other people’s work, rather than the more usual
explanation that they simply lack enough talent to write themselves.
Someone else’s text is such an excellent « cover” for the tim id
translator to hide all his or her creativity behind. […] You pay a price,
of course, for your safety, hiding there behind your author:you are just
a name there at the top, not a recognized co -creator of the text the critic
had before him. I find myself becoming more and more restive and
dissatisfied with this very anonymity, to the point where I’d like to try
my hand at writing about my work […] I’ll add that I have no urge to
write fiction.The essay is my most natural medium, and at the moment
the only "voice" I think I’d feel comfortable writing in is that of the
translator and the critic. (Lane, Christ 1980)

Quant à la nécessité d’être aussi écrivain pour bien traduire,
place aux nuances, car il est difficile de cerner les compétences
strictement liée s à l’écriture de celles strictement liées à la traduction. Deux
exemples seulement, même si le sujet est assez fréquemment abordé dans notre
corpus :

Do you think that the first requirement for a translator is that he or she be a
good writer in his or he r own language? No. It is patently, a requirement,
but certainly not the « first requirement. » (Lane, Christ 1980)

All translators have to be writers, since we’re basically re -creating the
text in another language, and in order for it to be convincing an d
authentic -sounding the translator has to be a good writer. (Mandell
2010)

4. Prolongements possibles

La subjectivité des traducteurs se manifeste également dans leur
manière de définir la profession. Parler du traducteur comme « sangsue
amoureuse », comme « dame qui reçoit la semence de M. l’Original »
(Batista), pour ne donner que l’exemple le plus frappant, dénote des
visions particulièrement physiques, donc sensorielles et non pas
rationnelles, de voir sa profession, de se voir.
Et si, dans les entretie ns, les traducteurs parlent (avec amertume)
de reconnaissance sociale et d’argent, aspects si prosaïques !), cela ne
fait que renforcer le lien subjectif, amoureux, à leur travail.

191
C’est toujours d’amour, de passion, de découverte qu’ils parlent
pour décri re leur rapport aux langues. Les images mentales qu’ils se font
à cet égard montrent que les traducteurs littéraires entretiennent une
relation personnelle et passionnelle avec les langues, qui ne sont pas,
pour eux, des entités abstraites, mais des pans d e la vie de ces
professionnels. Un seul exemple d’une liste qui pourrait être bien riche :

I think a translator is a lot like a medium: you have to sort of empty
yourself out before you begin translating a text. I try to get in the way
of the text as litt le as possible, and I try to ‘listen’ to the narrative as
I’m translating, so that the narrator’s own voice is conveyed in the
words. (Mandell 2010)

Nous ne voulons pas finir avant de mentionner un aspect qui dit
peut-être plus que tout commentaire sur le s rapports intimes (lire, donc,
inévitablement subjectifs) qui se tissent entre le traducteur et sa
profession. Les aveux à cet égard ne font pas l’économie des
métaphores, des mots du registre sensoriel et affectif : « la chasse aux
mots est un plaisir », (Avădani, Martin 2008), « ideal gift » (Barnstone
1980), « a research endeavor » (Sayers Peden, Hoggard), « not as a clone,
but as a new personality, a new temperament, a new creation » (Friar,
Photiades 1978) , « […] ce n’est pas une aventure. C’est de la pas sion.
L’aventure est quelque chose de superficiel. La passion est quelque
chose de plus profond, de plus enraciné et de plus organique que
l’aventure. Que j’aie commencé à traduire c’était une conspiration du
destin » (Ralian 2011) etc.

*

Une possible co ntinuation de ce dépouillement des entretiens de
traducteurs pourrait aller dans la direction du rapport de la société avec
ces professionnels, tel qu’il se profile dans les questions des
intervieweurs. Les curiosités du public – dont l’intervieweur se fai t un
porte -parole – ont de fortes chances de nous dévoiler comment le
traducteur est vu, donc de compléter ce bref aperçu de la manière dont il
se voit lui -même.
Pour conclure, nous soulignerions l’importance de ce volet
subjectif dans le travail du traduc teur pour mieux faire comprendre aux
traducteurs en herbe à quoi ils s’attellent. Et, si ces choses -là peuvent
moins se dire dans les termes objectifs d’une théorie, elles peuvent sans
doute se sentir à travers des originaux attachants proposés comme
exerc ice, grâce à la passion de l’enseignant et, bien sûr, à aux différentes
manifestations directes des traducteurs dans les autobiographies, les
biographies et les entretiens.

192
Pour ce qui est des retombées traductologiques, la conclusion
que nous tirerions es t que toute méthode de recherche en traductologie a
intérêt à tenir compte du côté subjectif de son objet d’étude et d’assumer
sa propre subjectivité sous peine d’échouer à sa mission réaliste.

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197

Deux méthodes de se traduire : Dumitru Tsepeneag et Felicia Mihali

Ileana Neli EIBEN

Université de l’O uest de Timi șoara,
Roumanie
Résumé : Les deux écrivains « francophones » d’origine roumaine : Dumitru
Tsepeneag et Felicia Mihali ont entrepris un travail de traduction soit vers le
roumain soit vers le français de certains de leurs livres. Le Pays du from age [Țara
Brânzei] et Pigeon vole [Porumbelul zboar ă] sont les deux textes qui ont retenu
notre attention. Les deux autotraducteurs ont emprunté des voies différentes en
optant soit pour la fidélité à la langue -source soit pour la fidélité à la langue –
cible. Notre communication suit la trajectoire des deux parcours de traduction
en partant des motifs qui les ont précédés et en terminant par une analyse des
risques inhérents au contact de deux langues romanes, le français et le roumain.

Mots -clés: sujet mig rant, sujet transnational, autotraduction, interférence,
littéralisme, naturalisation, contact des langues.

Abstract : Two Francophone writers of Romanian origin – Dumitru Tsepeneag
and Felicia Mihali – have carried out translation work of several of their books,
either into Romanian or into French. Le pays du fromage [Cheese Country /Țara
Brânzei ] and Pigeon vole [Pigeon Post /Porumbelul zboar ă] have attracted our
attention due to the different translation voices employed by the two self –
translators, illustr ating their concern with the source -language or with the target –
language. Our study discusses the two self -translation projects, starting with an
outline of motifs that preceded them and ending with an analysis of the risks
inherent to the contact of two R omance languages, French and Romanian.

Keywords : migrant, transnational, self -translation, interference, literal
translation, naturalisation, contact of languages.
Introduction

La méthode, nous dit l’étymologie, est une « voie » (hodos ) qui
permet d’arri ver à un but situé « au-delà de, après » (méta) tout en
« suivant une certaine habitude, selon une certaine conception ou avec
une certaine application » (TLF)1. C’est pourquoi, dans notre étude, nous
nous sommes donné pour objet de réfléchir sur deux mani ères de

1 On se servira de l’abréviation TLF pour désigner le Trésor de la langue française consulté
en ligne (v. http://www.cnrtl.fr).

198
s’élancer dans l’aventure de l’autotraduction. Pour ce faire, un passage en
revue des raisons qui ont poussé les deux écrivains à se traduire sera suivi
par une analyse des « méthodes » dont ils se sont servis et des risques
qu’ils ont courus à cau se des deux langues romanes (français et roumain)
en contact.
Les expériences de migration, qui fournissent de la matière aux
récits littéraires de la seconde moitié du XXe et du début du XXIe siècles,
mettent en évidence deux façons de se rapporter à un e space -temps dont on
peut être soit nostalgique, soit détaché. À cet égard, Janet Paterson (2009),
présentant les avatars du sujet en mouvement, établit une distinction entre
le sujet migrant et le sujet transnational. Le premier est un déraciné qui
reste f ixé dans son passé, incapable de briser les attaches au pays natal et
« s’inscrit dans le discours en mettant en évidence une identité qui se fonde
sur le double “ je suis Autre ”, l’écart “ Je suis étranger ” et la dépossession
identitaire “ je suis exilé ” » (13), alors que le second se définit en fonction
d’un nouvel espace, son pays d’accueil. Il est lui aussi « un émigrant qui a
soit choisi soit été forcé de quitter son pays d’origine. Mais […] il rejette la
notion d’une identité formée à partir des cr itères de race ou de lieu d’origine
au profit d’une identité complexe, mouvante souvent multiculturelle et hors
de l’enclos des souvenirs » (15 -16).
Pour ce qui est des deux parcours de traduction et implicitement
de création que nous envisageons d’analys er, nous considérons que les
œuvres de Dumitru Tsepeneag témoignent d’un douloureux clivage
identitaire et un positionnement dans un entre -deux qui l’empêche
d’appartenir complètement à la culture d’accueil. Il n’est ni français, ni
roumain ou les deux à l a fois, si l’on veut être réconciliant. Une preuve
de plus serait son retour à la langue roumaine comme langue de création
quand des circonstances favorables se sont présentées, à savoir la chute
du communiste en 1989. Il choisit cette fois -ci de traduire en roumain
ses deux livres rédigés directement en français Pigeon vole [Porumbelul
zboară] et Roman de gare [Roman de citit în tren ] et de s’adresser en
roumain à un public roumanophone. Quant à Felicia Mihali, qui en
2000 a choisi domicile dans la « belle province », elle assume son choix,
prête à s’ouvrir à une autre nouveauté, et se déclar e, par la voix de ses
personnages, « satisfaite de sa vie à Montréal, malgré les codes, qu’elle
ne maîtrise pas encore, de c e nouveau pays » (Mihali 2007, 12). Le
français devient par la suite sa langue d’écriture qu’elle abandonnera en
2012 au détriment d e l’anglais emprunté pour son dernier roman en date
The Darling of Kandahar .
Ces deux procédures de spatialisation et de temporalisation
engendrent deux types d’approches de l’autotraduction. Il y a, d’une
part, le retour à la langue maternelle, le roumain , illustré par
l’expérience de Dumitru Tsepeneag, et, à l’opposé, se situe Felicia
Mihali dans son processus d’acheminement vers l’Autre dont on adopte

199
la langue pour transférer en français des textes écrits en roumain. Les
deux textes sur lesquels nous ét ayons notre analyse sont Pigeon vole
[Porumbelul zboar ă] et Țara Br ânzei [Le Pays du fromage ].

Raisons de l’autotraduction

L’autotraduction, en vertu d’une « logique avant to ut
palimpsestueuse » (Oustinoff 2001, 26), fait interférer non seulement
deux langues, deux textes ou bouts de texte, mais aussi deux facettes
d’une même entité écrivante, l’auteur et le traducteur. Selon Bueno
Garcia, deux « moi » s’y superposent : « le moi “ écrivain ” ou usager de
la langue source et le moi “ traducteur ”, usager principal de cette même
langue, ou moi de l’expérience dans la langue -cible » (2003, 266). Alors,
il serait tout à fait pertinent de nous questionner sur ce qui fait que l’on
préfère traduire soi même un texte écrit auparavant plutôt que de le
concéder à un professionnel de la traduction.
Dans les années ’70, alors qu’il se trouvait à Paris, Dumitru
Tsepeneag apprend qu’il a été déchu de la nationalité roumaine et qu’il
ne peut plus rentrer dans son pays natal. L’exil imposé par les autorités
de Bucarest l’oblige à rester en France et il tente de créer de nouv elles
pistes d’envol pour ses livres. À l’âge mur, il adopte le français comme
langue de création et devient, par nécessité, bilingue. Mais il veut aussi
changer d’identité car il se sert du pseudonyme « Ed Pastenague », pour
signer son roman Pigeon vole (1989) , qui retiendra notre attention dans ce
qui suit. Or, devenir écrivain d’expression française ne représente
qu’une période intermédiaire, un entre -deux auquel l’auteur mettra fin
en redevenant, après 1990, écrivain d’expression roumaine. La
« réversib ilité de la migration linguistique » (Bârna 2006, 19) de Dumitru
Tsepeneag trouve son expression non seulement dans les livres publiés
ultérieurement en roumain2, mais aussi dans ses initiatives de se
traduire, de rapatrier les textes écrits directement et complètement en
français. S’il faut donner crédit aux dires de l’auteur, il visait par
l’autotraduction une réception de ses œuvres dans son pays natal, se «les
approprier de la sorte et éviter qu’on dise qu’ils n’appartiennent pas à la
littérature roumai ne sous prétexte qu’ils n’ont pas été rédigés en
roumain » (2006, 204). Hélas, son initiative reste vaine car ils ne figurent
pas dans le dictionnaire des œuvres littéraires3 de Ion Pop que l’écrivain
avait en vue. En même temps, il s’inscrit, selon Georgi ana Lungu –
Badea, dans la lignée des « auteurs mécontents de la traduction, qui

2 Nous pensons aux romans : Hôtel Euro pa (1996), Pont des arts (1999), Au pays de
Maramures (2001).
3 Pop, Ion. Dicționar analitic de opere literare române ști. Cluj-Napoca : Editura Casa C ărții
de Știință, 2007.

200
craignent que le traducteur ne devienne plus signifiant qu’eux -mêmes ou
que leur œuvre » (2011, 77) et se laissent tenter par la « pulsion » de
traduire. Méfiant à l’égard du tr aducteur qui fait « Un travail de
jardinier» ( Țepeneag 2005, 112) censé engendrer la disparition de la
langue source et de l’auteur, il a peur de devenir un fantôme, une
imposture promise par la couverture, mais « qu’on a beau attendre dans
les pages ré -écrites par quelqu’un d’autre » (114). Privé de t oute présence
et puissance, il est contraint à partager son livre avec le traducteur qui
lui « a offert un corps, chair et os » (113). Le refus de cette mise à mort
de l’auteur, le désir d’empêcher qu’un couvercle de cercueil se ferme
quand le livre s’ouvr e, déterminent Dumitru Tsepeneag à entamer un
nouveau « volet » de son identité multiple, celui d’autotraducteur.
De son côté, Felicia Mihali avoue à Elena Brându șa-Steiciuc
(2007) que ses livres représentent la raison pour laquelle elle a laissé
derrière son vécu en Roumanie. Dès le lendemain de son arrivée au
Québec elle s’est mise à les traduire en français « comme palliatif à la
dépression, au manque de confian ce qui caractérise chaque immigrant
lorsqu’il se réveille dans un bâtiment où il ne comprend ni les sons ni les
bruits » (17). Consciente des efforts qu’il faut faire et des renoncements
qu’il faut dépasser, l’auteure accepte son impuissance face à la lang ue
d’accueil qui ne pourrait pas remplacer « la dextérité et la facilité à
s’exprimer dans la langue maternelle » (17), mais lui donne l’occasion de
s’adresser à un public élargi, francophone. L’autotraduction apparaît
comme le moyen de se libérer de l’emp reinte du roumain, une langue
mineure qui limite la réception de son œuvre, et la nécessité de créer une
nouvelle piste d’envol pour ses textes en favorisant leur inscription dans
un circuit culturel et éditorial plus fo rt que celui du pays d’origine.
Quel les que soient les raisons de ces deux initiatives
traductionnelles, on pourrait affirmer qu’elles ont contribué à la
connaissance des deux œuvres et à leur inscription dans la littérature du
pays natal, re spectivement du pays d’accueil.

Formes de l’autot raduction

Deux méthodes se présentent, selon Friedrich Schleiermacher, à
celui qui s’attelle au travail de traduire une œuvre littéraire : « Ou bien le
traducteur laisse l’écrivain le plus tranquille possible et fait que le lecteur
aille à sa rencontre, o u bien il laisse le lecteur le plus tranquille possible
et fait que l’écrivai n aille à sa rencontre » (1999, 49). En fonction du
choix du traducteur de se placer d’un côté ou de l’autre, il favorisera soit
la langue -source4 en sauvegardant les traces de la présence étrangère,

4 C’est la traduction de la Lettre théorisée par Antoine Berman (1999), alors que J.R.
Ladmiral condamne le littéralisme et le considère soit une utopie soit un cas -limite : « La

201
soit la langue -cible en soumettant le texte à un processus de
naturalisation5. Il va de soi que les deux auteurs en se traduisant ont
entrepris aussi un travail de réécriture, ils ont dû « trouver le mot juste,
balancer le rythme d’une phrase, trouver le moyen de provoquer tel ou
tel effet par tel ou tel exp édient linguistique » (Wuilmart 1998, 388),
mais ce qui les distingue c’est, croyons -nous, leur degré de « fidélité » au
destinataire de la traduction.
Le roman Porumbelul zboar ă (1997) de Dumitru Tsepeneag a
connu une première version en français, Pigeon vole (1989), correspondant
au désir et à la nécessité de l’écrivain de changer de langue et d’identité
puisqu’il est signé « Ed Pastenague ». Mais le retour de l’écrivain à la
langue maternelle l’a poussé non seulement vers la création, mais aussi
vers la recréation d’autres textes précédents, car l’écrivain affirme : « […]
je ne me suis pas autotraduit, j’ai réécrit les deux livres ( Roman de gare et
Pigeon vole ) en roumain. » (2006, 204). L’auteur, en qualité de maître du
texte, s’arroge le droit de « recréer l’original avec toutes les conséquences
que cela entraîne » (Oustinoff 2001, 34) ce qui fait dire à Georgiana
Lungu -Badea (2011) qu’on y a affaire simultanément à un atelier de
traduction et à un atelier d’écriture car le même émetteur fait entendre
deux voix, deux instances discursives.
Ces deux facettes d’une même personnalité, polymorphe
d’ailleurs de par sa nature, font sentir leur présence dès la page de titre6 de
la ve rsion roumaine Porumbelul zboar ă !… où apparaissent au dessus du
titre le pseudonyme « Ed Pastenague » en qualité d’auteur et en dessous
du titre l’indication « traduit par D. Țepeneag». Ces indications situées en
dehors du texte illustrent l’affirmation suivante tirée du Mot Sablier
[Cuvântul nisiparni ță]: « […] un malin, cet auteur. À moins qu’il n’y ait pas
d’auteur et que ce soit le traducteur qui ait écrit le livre » (2005, 117). À
l’instar de son « […] tisserand, ti ssé jusqu’à métissage… » (1989, 94),
l’auteur/traducteur veut bro uiller les pistes. Il propose au lecteur, dont on
invoque plusieurs fois la bienveillance de ne pas abandonner le texte, un
jeu de cache -cache dont la solution se trouve en quatrième de couverture
où l’on peut lire « Dumitru Țepeneag sous le pseudonyme d’E d

traduction implique qu’on fasse le deuil de la langue -source, par construction. Il n’y a
d’alternative à cette nécessité que dans l’imaginaire théorique des s ourciers (et je serais
tenté de parler plutôt en l’occurrence de fantasme), ou alors du côté des cas limites qui, à
vrai dire, sortent des limites de l’épure » (1998 : 146).
5 Selon Michael Oustinoff (2001), l’autotraduction naturalisante « consiste à pli er le texte
à traduire aux seules normes de la langue traduisante en éradiquant toute interférence de
la langue “source ” » (29).
6 Selon Gérard Genette la page de titre est « l’ancêtre de tout le péritexte éditorial
moderne. Elle comporte généralement, ou tre le titre proprement dit et ses annexes, le
nom de l’auteur, le nom et l’adresse de l’éditeur » (1987, 37).

202
Pastenague »7. Le jeu identitaire, ainsi éclairci, témoigne de ce que
Risterucci -Roudnicky appelle « l’hybridité péritextuelle »8 (2008, 15) et
contribue ainsi à construire la lecture de l’œuvre en traduction.
Au niveau textuel, ce même concept d’« hybri dité » concerne
« les signaux de la “ présence ” étrangère dans le texte traduit. » (15) Les
deux voix promises par le hors -texte s’entremêlent dans la trame des
mots pour « ouvrir l’ Étranger en tant qu’ Étranger à son pr opre espace de
langue » (Berman 1999 , 75). On instaure un nouveau rapport à la langue
maternelle qu’on risque même de violenter, mais qui, en fin de compte,
se retrouve enrichie par la langue étrangère avec laquelle elle est en
contact. On pourrait reprocher à Dumitru Tsepeneag, comme l’un d e
ses amis l’a fait, de s’être éloigné du texte initial, d’avoir oublié son
roumain, mais ce qu’il ne faut pas perdre de vue c’est que dans le
processus de traduction « l’œuvre se modifie de telle sorte qu’on ne
[peut] plus dire qu’elle réside entièreme nt dans l’original » (Oustinoff
2001, 244). « L’écri ture-de-la-traduction » (Berman 1999, 63) peut surgir:
– du recours à l’étymologie des mots: « gilets pare-balles » (70) –
« jiletci9 antiglonț » (42) au lieu de « vestă antiglonț », syntagme
généralement uti lisé par les locuteurs roumanophones ;
– l’actualisation de significations moins usuelles en roumain
pour des termes communs de la langue -source: « adieu souvenirs ! » (85) –
« adio suveniruri »10 (51); « le boulot que font nos braves facteurs dans
leurs nouv eaux et beaux uniformes » (87) – « la ce șmotru sunt pu și
bravii no ștri factori11 în noile și frumoasele lor uniforme » (52) ; « On les
abat, disait froidement ma mère. » (78) – Îi abate12, spunea maic ă-mea cu
răceală în glas. » (46) ;

7 « Dumitru Țepeneag sub pseudonimul Ed Pastenague »
8 Pour Risterucci -Roudnicky (2008) l’hybridité péritextuelle « recèle des références aux
deux champs d’appartenance linguistique et culturelle de l’œuvre, sur le plan éditorial
(éditeur, collection, illustration, qu atrième de couverture) et métatextuel (les titres, les
pré- et postfaces de transfert, les notes et les glossaires) » (15).
9 Selon le Dex on line , le mot jiletcă est entré dans la langue roumaine par l’intermédiaire
de la langue russe (žiletka) où il a ét é emprunté de la langue française gilet.
10 Le mot suvenir en roumain est utilisé surtout pour désigner des objets concrets qui
restent comme témoignage de quelque chose ou de quelqu’un qui appartient au passé et
moins comme synonyme de amintire , c’est -à-dire « Fait, action de se souvenir, résultat de
l’action » (TLF). Or, le texte de Dumitru Tsepeneag actualise justement le sens
secondaire et moins usuel en roumain.
11 Le mot factor , utilisé en roumain pour désigner l’employé de poste, connaît un usage
moins fréquent que son synonyme, le mot poștaș.
12 A abate , ayant le sens de « faire tomber en donnant un coup mortel » (v. Dex on line ),
est perçu en roumain comme « franțuzism », c’est -à-dire « mot emprunté du français
mais pas encore assimilé par la langue roumaine » (v. Dex on line ).

203
– la traduction littérale à la place des expressions idiomatiques
de la langue -cible: « Elle faisait disons la queue devant un cinéma » (45) –
« Am văzut-o, să zicem, făcând coad ă13 ȋn fața unui cinematograf » (26).
Par toutes sortes de subterfuges linguistiques, l’écrivain aboutit
ainsi à une contradiction: il réalise justement ce qui au moment de la
rédaction de son texte en français lui semblait impossible: « Te rends -tu
compte au moins que notre texte devient de plus en plus intraduisible,
même dans une langue très proche de la nôtre ? L’italien ou l’espagnol
ou… » (1989, 145). Il réussit à relever ce défi car il se risque à « recréer
[l’œuvre d’imagination] dans son mystère insondable » (Israël 1990, 35)
et obtient en fin de compte un texte nouveau, autonome, ayant sa
propre identité opérale.
Le premier livre publié en terre québécoise par Felicia Mihali, Le
pays du fromage (2002) , illustre, selon nous, une autre manière de se
traduire : l’auteure part de son texte en roumain et s’acharne à le
transposer en une langue étrangère tout en effaçant les traces de
l’hyperte xtualité susceptibles de le rattacher à son hypotexte Țara Brânzei
(1999). La version française, fruit de l’autotraduction, ne se donne pas
pour une traduction : nulle part, on ne peut lire « traduit du roumain
par », mention nécessaire en général pour la traduction allographe.
Cependant, un petit indice non linguistique serait susceptible de relier la
traduction à l’original. Par exemple, pour l’illustration de la couverture
du texte -source on a choisi la toile Peisaj din R ădești [Paysage de Radesti ]
du peintre roumain Sorin Ilfoveanu dont la moitié se retrou ve sur la
première page de garde du texte -cible alors que pour sa couverture on a
préféré une autre création, Iarna [Hiver ] du même artiste. Cette astuce
paralinguistique pourrait renvoyer, dans le plan de l’autotraduction, au
fait que le changement de lan gue influence sur le statut même de
l’œuvre qui est autre, mais aussi redevable à l’écrit dont elle découle.
Les enjeux de cette démarche sont d’une grande importance car de sa
réussite dépendra le succès et la renommée de l’écrivaine au Québec.
En revena nt sur son texte en roumain, Felicia Mihali le trouve fade
et inintéressant pour le nouveau public auquel elle tente de s’adresser. C’est
pourquoi, en qualité de maître absolu de son roman, elle vise à lui assurer
un contenu plus riche en contrepoint de sa perte matérielle. Dans cette
optique, elle se fixe comme objectif de « se voir résonner dan s une autre
langue » (Steiciuc 2007, 18), sans pour autant infliger des modifications
majeures à son livre « C’est un devoir de respecter l’intégrité des textes :
l’autotraduction doit être aussi fidèle que la traduction par un autre, elle
doit respecter le texte comme étant celui d’autrui » (18). À cet égard, elle
signale seulement l’ajout de quelques phrases censées éclaircir le lecteur

13 Dans le texte on a préféré la traduction littérale « a face coad ă » au lieu de « a sta la
coadă » qu’on utilise généralement en roumain.

204
québécois sur les affres du communisme. Mais au -delà du maintien de la
structure, on pourrait déceler un aspect naturalisant, annexionniste14
surtout dans la tendance à traduire les noms propres15, ces marques de la
couleur locale, de l’étrangéité.

Noms propres Texte -source Texte -cible
Toponymes București
Basarabia Bucarest
Bessarabie16
Anthroponymes Maria
Cecilia Marie
Cécilie17
Référents culturels
(marques de produits) săpunul Cheia le savon Clef18

Le Pays du fromage influence l’original, Țara brânzei, et le charge
de mystère, car « les mêmes phrases et images rédigées en d’autres mots
[parlent] un peu d’autre chose » (17). Enrichie, la version finale devient
autonome même s’il y a coïncidence de l’auteur. Elle se donne à lire au
lecteur francophone sans lui poser des problèmes de compréhension, ce
qui souligne une fois de plus l’accomplissement du processus de
naturalisation de celle qui l’a réécrite.

Risques de l’autotraduction
Malgré la connaissance approfondie du texte -source dont jouit
tout auteur qui s’attache à traduire son œuvre, son parcours traductionnel
est parsemé de difficultés linguistiques et culturelles qu’il doit savoir
escamoter. Les allers -retours entre les deux langues finissent par créer un
métissage linguistique susceptible d’engendrer « parfois des
contaminati ons entre les expressions idiomatiques roumaines et
françaises » dont se plaint par exemple Dumitru Tsepeneag (2006, 202).

14 Nous ne nous proposons pas ici de porter un jugement de valeur sur les stratégies
adoptées par le traducteur et la qualité de la traduction, nous nous limitons à signaler
seulement quelques exemples révélateurs, considérons -nous, du gommage des références
culturelles.
15 Selon Michel Ballard, « Le Nom propre […], c’est un vecteur d’origin alité et
d’exotisme, il révèle par sa constitution et ses sonorités des caractéristiques spécifiques
de la langue d’une communauté, et assure par là même une fonc tion d’identificateur. »
(2001, 182)
16 Bucarest et Bessarabie sont les exonymes français de Bu curești et Basarabia.
17La présence des prénoms Maria et Cecilia en roumain et de leurs équivalents Marie et
Cécilie en français résulte « de la communauté culturelle créée par l’histoire littéra ire et
la religion. » (Ballard 2001, 19)
18 « Săpunul Cheia » est pour le lecteur roumain une référence culturelle puisqu’il
renvoie à la période communiste, quand c’était le savon par excellence, l’une des rares
« marques » qu’on pouvait achetées dans les magasins. Quoique savon de ménage,
«săpunul Cheia » servait parfois, faute d’autre chose, de savon de toilette. La traduction
littérale « le savon Clef » ne permet pas de préserver toute la charge sémantique du nom
propre roumain, mais procure un certain confort de lecture en langue -cible.

205
Quand le traducteur est amené à opérer avec deux langues apparentées,
comme dans notre cas, il peut « succomber au piège de traduire la langue
sans interpréter le texte » (Hurtado Albir 1990, 209), car la proximité des
langues freine le développement successif des phases de la traduction :
compréhension – déverbalisation – réexpression. En même temps, un
certain « manquement à l’us age » (Oustinoff 2001, 51) peut laisser
s’installer les interférences lexicales, syntaxiques ou stylistiques. Pour
suppléer à cette insuffisance, il est nécessaire de collaborer avec un
professionnel de la traduction. Celui -ci est en mesure de faire « Un travai l
de jardinier. Amical, mais ferme. Arracher les mauvaises herbes, couper
les branches sèches, élaguer un peu » (Țepeneag 2005, 112). C’est ce dont
témoigne Felicia Mihali dans un des emails qu’elle nous a envoyés « Au
Québec, même après une troisième corr ection, le manuscrit était tout
rouge. On a passé des journées entières, le réviseur et moi, à peser chaque
mot, chaque synonyme, pour rendre les choses plus claires. »19

Conclusion

Visant la réception soit dans le pays natal (le cas de Dumitru
Tsepeneag) soit dans le pays d’accueil (le cas de Felicia Mihali), les deux
formes d’autotraduction soumises à l’analyse témoignent d’un processus
de création où « traduire et écrire s’influenc ent réciproquement »
(Oustinoff 2001, 25). Porumbelul zboară [Pigeon vole ] et Le Pays du fromage
[Țara brînzei ] sont deux exemples de réécriture traduisante, mais ce qui
les distingue c’est la décision d’ effacer ou de sauvegarder, par différents
subterfuges, les traces de l’étrangéité.

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19 Aici, chiar și la a tr eia corectur ă făcută de editor, manuscrisul meu era ro șu. S-a stat
zile și zile, eu și redactorul de carte (dup ă ce cartea a fost acceptat ă) să cântărim fiecare
cuvânt, sinonim, s ă redăm lucrurile clare.

206
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207

Une per spective terminologique dans la traduction des textes
de spécialité

Mariana PITAR
Université de l’Ouest de Timi șoara
Roumanie
Résumé : L’article se propose de démontrer la contribution de la terminologie
dans la réalisation des traductions spécialisées, non seulement comme
discipline qui étudie les langages de spécialité, mais surtout comme stratégie de
traduction. Cette stratégie repose sur la manière d’envisager le terme en tant
que signe linguistique dont le rôle principal est accordé au signifié, c'es t-à-dire
au concept, de sorte que la démarche du traducteur sera une démarche
onomasiologique, du sens vers la dénomination. Dans cette perspective, nous
allons présenter les étapes de traduction et les difficultés que le traducteur peut
rencontrer à chaqu e niveau.

Mots -clés : traduction spécialisée, perspective onomasiologique, terme,
phraséologie, collocation

Abstract : The current article’s objective is to demonstrate the contribution of
terminology to specialized translation, not only as a discipline t hat studies
specialized languages, but, especially, as a strategy in translation. This strategy
is based on perceiving the term as a linguistic sign in which the leading role is
given to the signified , thus to the concept , so that the translator’s perspect ive will
be onomasiologic, from the meaning towards the denomination.
Following this view, we will present the steps followed when translating and
the difficulties which the translator meets at each of them.

Keywords : specialized translation, onomasiologi c perspective, terminological
perspective, term, phraseology, collocation

1. Introduction

La terminologie vient s’ajouter aux disciplines qui contribuent à la
formation d’un traducteur spécialisé, à côté de la traductologie et des
disciplines connexes. Ell e présente l’avantage de réunir des informations
nécessaires sur les langages de spécialités, sur les vocabulaires et les
discours spécialisés, en utilisant en même temps des méthodes spécifiques
à la linguistique, tels que l’analyse sémique, l’analyse de la formation des
mots, des relations entre les mots et entre les concepts, etc.
Dans la pratique terminologique, la réalisation des concordances
entre les termes appartenant à divers domaines dans deux ou plusieurs

208
langues constitue un objectif important dans le travail terminographique
et un champ obligatoire dans la fiche terminologique. La constitution
des fiches en parallèle en deux langues exige une démarche
méthodologique spécifique à ce type de travail avec des conséquences
importantes sur la manièr e d’envisager l’activité traductionnelle d’un
futur traducteur spécialisé. Cette démarche suppose la maîtrise de toutes
les informations concernant aussi bien le terme que le concept dans les
deux langues.
La terminologie envisage le terme en tant que sign e linguistique
à deux faces : le signifiant et le signifié, auxquels correspondent la
dénomination ou le terme et le concept ou la notion .
Quelques précisions terminologiques s’imposent ici. Le mot
terme est employé en deux sens : d’une part il est équiva lent du signe
linguistique dans ses deux aspects ; d’autre part il est synonyme de
signifiant ou de dénomination s’opposant ainsi au signifié ou au concept .
Si la linguistique considère les deux faces du signe linguistique
plutôt dans leur aspect d’insépar abilité et adopte, dans l’analyse des
mots, une démarche sémasiologique, la terminologie part de la notion
qui peut être envisagée séparément de la dénomination , donc elle étudie
la langue dans une perspective onomasiologique.
Cela a des conséquences imp ortantes sur le processus de
traduction, car l’accent se voit transféré du signifiant vers la signification .
Si dans un texte littéraire on va chercher la signification et surtout les
valeurs des mots en fonction du contexte, dans un texte spécialisé le
terme – qui n’est plus forcément l’équivalent d’un mot – va ramener
automatiquement à un sens précis et univoque dans un domaine de
spécialité et à un concept avec une signification bien délimitée.
Dans notre recherche nous allons essayer de montrer que la
traduction des textes spécialisés ne peut se faire en dehors d’une
stratégie de traduction qui met au centre le terme dans le sens
d’expression de surface, linguistique, d’un concept. Dans cette stratégie
nous pouvons déceler plusieurs étapes, obligatoires, qui vont nous
orienter de l’analyse linguistique, de surface, du texte source, vers le
concept, qui est l’élément commun aux deux textes, et du concept vers
son expression linguistique dans la langue cible.
La traduction d’un texte spécialisé commence don c par la
recherche des termes, puis des notions cachées derrière ces termes, pour
partir ensuite à la quête des dénominations des concepts respectifs dans
la langue -cible.
Si le terme se trouve au centre de cette stratégie, en tant que
première unité de tr aduction, la traduction spécialisée ne s’arrête pas là,
mais continue avec les autres unités plus larges, moins précises, telles que
les phraséologies. Apparemment floues, elles sont incontournables dans le

209
processus de traduction, car elles font le plus s ouvent la spécificité, le « ce
quelque chose » qui fait qu’un texte spécialisé a une empreinte propre,
spécifique à un certain domaine. Malgré la précision des termes
employés, un texte traduit qui néglige ce côté de spécificité ne reste qu’un
texte d’amat eur, ce que les spécialistes observent tout de suite.
Nous pouvons donc observer que, dans une telle traduction, il
faut suivre certaines étapes que nous allons analyser en mettant en relief
les problèmes que posent la recherche des termes et des phraséolo gies et
leurs équivalents dans la langue cible.
Comme le sens d’un terme est défini à travers le domaine, nous
avons accordé une place importante à sa délimitation, aussi bien comme
étape préliminaire de la traduction, que dans le cadre des autres étapes
de la traduction.

2. Le domaine – élément définitoire du sens des termes

La délimitation du domaine dès le début constitue un pré -requis
de toute traduction spécialisée. Un texte à traduire peut se rapporter à
un seul domaine, ou bien le sujet abordé peut e ffleurer plusieurs
domaines, plus ou moins spécialisés. Le domaine est établi dans un
premier temps par la lecture intégrale du texte qui nous oriente vers le
thème, le type de texte, le domaine. Les informations extralinguistiques,
telles que les référenc es bibliographiques extratextuelles, nous aident à
discerner mieux le type de texte et le degré de spécialisation. Un article
de vulgarisation scientifique est toujours moins spécialisé qu’un texte
dans une publication pour les spécialistes et peut ainsi t oucher à
plusieurs domaines.
Ce premier contact avec le texte est d’ailleurs un type de
traduction recommandée avant toute autre traduction –banalisée ou
intégrale – du texte. Cette pré -traduction que Gouadec (1999) appelle
signalétique , comprend les rubri ques suivantes1 :
– les références bibliographiques : titre, éditeur, date de
publication, lieu de publication ;
– le type et le sous -type de document ;
– le domaine et le secteur ;
– la date ou la période de référence, le pays, la zone de référence ;
– le contenu : objet du texte, mots -clés, thèmes
Tout cela rend compte du domaine, des thèmes et des termes -clés et
oriente déjà le traducteur vers une lecture du sens des termes à travers le
domaine approprié.

1 La dénomination de ces types de traduction, aussi bien que les étapes de la traduction
signalétique sont reprises de Gouadec (1999).

210
3. La délimitation du terme

Dans la perspective terminologiqu e, la première unité de
traduction est le terme . À première vue cela semble facile, mais en réalité
l’identification du terme dans un contexte pose des problèmes sérieux
dans les textes très spécialisés et les fautes à ce niveau entraînent des
fautes de tr aduction inacceptables pour un spécialiste.
La première grande difficulté consiste dans la délimitation du
terme.
Les termes sont différents du point de vue de la forme : d’un
simple mot –les termes simples, jusqu’à de vrais syntagmes – termes
complexes ou syntagmatiques, mais aussi des formules, des symboles, des
acronymes, etc. Les termes complexes sont plus ou moins faciles à saisir
en tant qu’unités de sens en fonction de leur transparence. Si des termes
tels que machine à coudre, soudage à gaz, cuve filtre ont des structures
facilement reconnaissables en vertu d’un certain schéma cognitif qui se
retrouve à la base de leur formation, d’autres sont moins transparents. Les
termes des exemples suivants peuvent créer des confusions par la
longueur et les r elations apparemment incorrectes ou grammaticalement
ambigües entre les lexèmes composants, ou par la forme grammaticale
inhabituelle :

Coudre premier strobel à tige (ind.chaussure) – cusut strobel brut pe fe țe
Appliquer mousse collier à tige (ind.chaussu re) – aplicat maltopreu colier pe fe țe

Les termes se présentent sous la forme d’une chaîne de mots,
d’un syntagme à l’intérieur duquel la cohésion entre les mots est plus ou
moins pertinente. En fonction de ce degré de cohésion on peut avoir : un
terme co mplexe , un terme avec un caractérisant, ou un certain type de
phraséologie (le plus souvent une collocation ) et la distinction n’est pas
toujours facile à faire.
Nous allons voir quelques exemples2, aussi bien en français
qu’en roumain. Nous avons choisi d e donner des exemples en deux
langues pour voir les difficultés que posent chacune d’entre elles et les
solutions de traduction envisagées dans chaque cas.

Lipsă de metal între straturi – est-ce un syntagme libre ou un terme ?
Sudare cu elemente înc ălzite – est-ce que c’est un type de soudage , donc un
terme, ou collocation pour soudage ?
Taierea filetului interior – terme complexe ou terme (t ăiere+ substantif
[objet de l’action]) ?

2 Une partie des exemples sont pris des ouvrages de licence travaillés avec les étudiants,
d’autres des sources que nous allons mentionner à la fin.

211
Bois scié, chariot longitudinal – termes complexes ou termes simples +
adjectif ?
Vârful păpușii mobile – il s’agit d’un terme ou d’un point sur un objet,
donc terme + complément de lieu ?

Ces syntagmes/termes suscitent des questions à cause de la
cohésion très faible entre les mots, mais aussi à cause des relations
sémantiques qu’ils entretiennent entre eux. Des structures du type objet +
fonction (machine à laver, casquette de protection ) sont beaucoup plus
simples à saisir en tant q ue termes. Toujours faciles par leur
transparence sont les relations hypéronymiques dans les structures où le
premier terme reprend l’hypéronyme : soudage par ultrasons, soudage bout
à bout, soudage à la molette. Il faut comprendre et connaître très bien l e
domaine pour répondre à ces questions, mais la réponse est essentielle
pour le choix ou la recherche des équivalences. Dans le cas d’une
structure libre, la traduction se fait mot à mot. Dans le cas d’un terme, il
faut chercher l’équivalent de tout le sy ntagme qui recouvre non pas deux
ou plusieurs concepts, mais un seul. Les équivalents dans la langue cible
sont parfois plus clairs comme structure ou sont formés d’un seul mot et
peuvent nous confirmer ainsi la supposition qu’il s’agit d’un terme. Pour
trouver l’équivalent, il faut au moins supposer (et par conséquent
chercher dans ce sens) que le syntagme dans son entier recouvre un seul
concept et qu’il est donc un terme.
Tous les exemples cités plus haut sont en fait des termes et les
équivalences sont les suivantes :

Lipsa de metal între straturi (dom. soudage) – morsure
Sudare cu elemente înc ălzite (soudage) – soudage par éléments chauffants
Tăierea filetului interior (tournage) – taraudage
Bois scié (ind. du bois) – cherestea
Chariot longitudinal (tournage) – sanie
Vârful păpușii mobile (tournage) – contrepoint

Nous pouvons remarquer qu’il s ’agit, dans la plupart des cas, d’un
terme correspondant simple dans la langue cible, ce qui confirme les
erreurs très graves commises dans le cas d’une traduction par éléments
composants. Nous allons d’ailleurs voir plus loin d’autres exemples qui
vont il lustrer cette correspondance asymétrique entre les deux langues en
ce qui concerne les termes simples vs. les termes complexes.

4. L’identification du concept recouvert par le terme

La délimitation des termes, surtout des termes complexes qui
posent problè me en ce qui concerne les lexèmes qui les composent,

212
correspond déjà à une identification du concept. Pour circonscrire son
sens d’une manière plus précise, il faut toujours se rapporter au
domaine, même dans le cas d’un terme simple. Bien qu’on parle de
l’univocité du terme dans les langages de spécialité, un seul terme peut
recouvrir des notions différentes en fonction du domaine. La
correspondance univoque terme -concept est valable dans le cadre d’un
seul et même domaine, sinon, nous avons des termes « polysémiques »
dans le sens qu’ils recouvrent plusieurs concepts, d’où, encore une fois,
l’importance de la délimitation correcte du domaine de référence.
Il y a assez souvent des termes « migrateurs » entre les domaines,
empruntés d’un domaine à l’autre, qui recouvrent des concepts proches,
en vertu de la polysémie de ces mots dans le langage courant, tels que
cellule , champ, aire, disque , etc. Ce sont des termes qui se trouvent à un
haut niveau de généralité, d’où leur plurivocité en ce qui concerne le
sens. Ce qui fait la différence de sens entre eux c’est toujours le domaine
à travers lequel le terme est défini. Le terme cellule , par exemple,
apparaît dans 32 domaines, selon le Grand dictionnaire terminologique . La
distinction claire entre les différents concepts recouverts par un même
terme est illustrée par la définition.3
Voilà deux exemples dans lesquels un même mot de la langue
source est traduit différemment dans la langue cible en fonction du
domaine :
Brassage :- desfacere (ind. text.)
– brasaj (ind. de la bière)
Peigne : – piaptăn (coiffure)
– spată (ind. text.)
Devant un texte, le traducteur est confronté à l’ambiguïté
notionnelle de celui -ci et recherche constamment une image cohérente
du domaine, ce qui se réalise par le résea u hiérarchisé de notions auquel
renvoie la définition notionnelle, d’où la nécessité d’élaborer des
arborescences du domaine qui permettent, par leur transparence, de
saisir les relations correctes entre les notions et d’établir les définitions
appropriées . Le domaine installe des limites entre les notions, mais cela
est parfois relatif, car il y a des domaines de frontière à l’intérieur
desquels l’arbre notionnel recouvre plusieurs domaines. Voilà donc la
nécessité d’établir des sous -domaines ou des micro -domaines associés
pour résoudre le problème de l’interpénétration textuelle de
l’appartenance des notions.

3 Il faut préciser que d ans les dictionnaires spécialisés le domaine est toujours marqué.

213
5. Recherche de la dénomination du concept dans la langue cible

Il ne faut pas confondre la recherche des termes avec la
recherche des mots inconnus. Dans le cas des termes le traducteur peut
comprendre le sens ou connaître le concept (illustré parfois même par
des images) mais, tant qu’il ne connaît pas très bien le domaine et les
termes correspondants dans la langue cible, il devra toujours les
cherc her soit dans les dictionnaires de spécialité, soit en établissant des
concordances entre les termes qui recouvrent le même concept dans les
deux langues, dans des textes sur le même sujet.
Étant donné que la terminologie accepte – et impose même
comme pr incipe de travail – la séparation entre le terme et le concept,
l’équivalence entre les concepts de deux langues et les termes qui les
recouvrent n’est pas toujours univoque, mais connaît des variations
intéressantes que nous allons illustrer par quelques exemples.

a) Différence de structure
Un même concept est exprimé dans une langue par un terme
simple et dans une autre par un terme complexe :

Morsure (ind. met) – lipsă de metal între straturi
Bois scié (ind.du bois) –cherestea
Taraudeuse (ind du bois) – mașină de tăiat plan furnir

Un cas apparemment simple à traduire est celui dans lequel la structure
du terme est très transparente, formée d’un hypéronyme et de ses
hyponymes comme dans l’exemple suivant :

sudare cu plasm ă
sudare cu aer cald
sudare cu ultrasunete etc.

L’établissement de la correspondance de ce type de termes par la
traduction mots à mots des lexèmes composants constitue un piège. Si
dans un bon nombre de cas les équivalents entre les deux langues sont
identiques et prévisibles, les exc eptions nous obligent à nous méfier de
cette stratégie.
Dans les exemples suivants les termes, dans les deux langues,
(domaine des télécommunications) ont des structures identiques :

buton de acord – bouton d’accord
buton de acționare – bouton de manœuvre
buton de apel – bouton d’appel

214
Même avec une structure très claire, les termes suivants ne sont pas
identiques dans les deux langues :

Ac cu limba (textile) – aiguille à clapet (aiguille à languette*)
Ac cu varf trocar ( chirurgie ) – aiguille à pointe 3 facettes (aiguille à pointe trois
quart*)
Ac cu vârf în muchie de cu țit – aiguille à pointe KL (aiguille à point en lame de
couteau*)
Foarfeca ghilotin ă pentru furnire (ind du bois) –massicot à placage
(Ciseaux -guillotine pour le placage*)

Dans ces exemples la partie du syntagme qui constitue
l’hypéronyme reste, dans la plupart des cas, identique ; ce qui change
c’est le caractérisant spécifique de l’hyponyme. Dans les exemples
suivants nous allons voir que même cet hypéronyme, dans le même
domaine ( électronique dans notre cas), peut changer dans la langue cible:

Cabina aparatelor – cabine d’appareillage
Cabina contorului – kiosque de compteur
Cabina întreruptorului – local d’interrupteur
Cabina paratrăsnetului – guérite de paratonnerre

On peut mentionner aussi un autre cas de figure :dans une des langues
on a un terme simple et dans l’autre un terme complexe :

Mașină de canetat (text.) – canetière
Mașină de găurit (mec.) – perceuse
Mașină de profila t (ind. du bois) – toupie

Dans le domaine juridique, l’équivalent d’un terme est le plus souvent
une collocation :

Maraudage (jur.) – transport clandestin
Mettre en demeure (jur.) – a soma
Alléguer (jur.) – a stabili un alibi
Tarification (jur.) – stabil ire de prețuri

Un autre cas de différence au niveau de la structure se rapporte à l’ordre
des mots, qui peut être différent dans les deux langues :

Model tranzac țional de comunicare – modèle communicationnel
transactionnel

215
b) Différence de sens
Dans la traduction d es termes il y a deux types de
correspondances : une correspondance univoque de terme à terme et une
correspondance plurivoque, auquel cas à un terme d’une langue
correspondent plusieurs termes dans une autre langue. Cela est dû au
fait que dans une langue un terme peut recouvrir des notions différentes
tandis que dans une autre langue les mêmes notions sont dénommées à
l’aide de plusieurs termes. Il s’agit de la polysémie de certains termes,
dont le sens est désambigu їsé à travers le domaine de référence. Voici
quelques exemples dans lesquels on a une correspondance plurivoque
entre les deux langues :

Débit – debitare (ind. du bois)
– debit (hydrologie)
Languette – limbă (chaussure)
– lambă (technique, chaus sure)
Enduit – tratament (chaussure)
– strat (construction)
– (tisu ~) – țesătură cauciucată (textile)
Trait – trăsătură (physionomie)
– cambie (commerce)
Tiv – ourlet (couture)
– délignage (ind. du bois)
Un terme très connu dans un certain doma ine et qui est entré
dans le langage courant peut apparaître comme spécialisé, ayant des
équivalents chaque fois différents en plusieurs domaines. De nombreux
exemples de ce type peuvent être retrouvés dans les dictionnaires de
spécialité. Nous allons en c iter un : dans le Grand dictionnaire
terminologique le mot cheville , dont le sens principal est celui de partie du
corps, recouvre plusieurs concepts dans environs 20 domaines.

6. La phraséologie – unité supérieure de traduction dans le
langage spécialisé

Les phraséologies constituent le milieu environnant le plus
proche du terme et la deuxième unité de traduction après celui -ci. Elles
sont variables comme types, dimensions ou degré de cohésion entre elles
ou avec le terme. Terminologie et phraséologie cons tituent deux
composantes indissociables des langues de spécialité.
On parle dans le langage de spécialité de plusieurs types de
phraséologies. Nous allons les énumérer et nous arrêter assez
brièvement sur cette catégorie terminologique, car leur étude
approfondie demanderait un espace plus large.

216
a) Les collocations
Les collocations constituent des combinaisons préférentielles
entre les termes et certains mots, consacrées par l’usage. C’est pourquoi
elles peuvent être différentes d’une langue à l’autre, ce qui interdit une
traduction littérale. Si un terme peut trouver son équivalent dans un
dictionnaire de spécialité, pour les collocations les dictionnaires
commencent à peine à se frayer un chemin et cela plutôt dans le langage
courant que dans les domaines spécialisés, c’est pourquoi pour leur
trouver des équivalents le traducteur devra étudier les textes de spécialité
sur le sujet, dans les deux langues. La recherche des phraséologies
spécifiques constitue une des tâches du terminologue dans son travail de
réalisation des bases de données.
Les collocations peuvent assez souvent être considérées, d’une
manière erronée, comme faisant corps commun avec le terme ; dans ce
cas elles constitueraient un terme complexe et pourraient orienter le
traducteur vers une recherche de faux termes.
Les collocations mettent en évidence les utilisations
contextuelles des termes et aussi des restrictions combinatoires, ce qui
est très important à prendre en considération au cours de la traduction.
Ces affinités combinatoires p euvent se construire, du point de vue
grammatical, autour d’un verbe ou d’un nom.
Dans un texte on peut avoir des collocations générales :

observer une règle – a respecta o regul ă
porter plainte – a face o plângere
éprouver le besoin de – a simți nevoia să
s’embarquer pour l’aventure – a porni în aventur ă
dresser une liste – a face o list ă

ou des collocations spécialisées:

abroger des lois – a abroga o lege
supprimer des impôts – a elimina impozitele
régler le jeu des soupapes – a regla jocul unei supape

Le plus souvent les collocations sont organisées autour des termes clés :

marchandise
livrer la marchandise ; étiquetage de la marchandise ; réception de la marchandise ;
inscription
porter une inscription sur un registre, faire rectifier une ~ sur un registre; faire
radier une ~ sur un registre.

Il y a une intersection et une permutation possibles entre un terme
et une phraséologie entre la langue source et la langue cible, aussi bien au

217
niveau de la structure qu’au niveau de la fonction, comme dans les
exemples suivants : mener une négociation – a negocia; faire son choix – a alege.
Dans certains domaines, tels que le droit ou l’administration, le
langage spécifique est cons titué plutôt de phrasèmes que de termes.
Voici quelques exemples : entrer en vigueur (une lois, une règlementation),
mener une négociation, appliquer une disposition, saisir le conseil d’Etat,
signer/négocier un contrat, atteinte à l’honneur, juridiquement protégé, exercice
du droit.
C’est pourqoui la maîtrise des phraséologies spécifiques est très
importante, surtout dans ces domaines où elles constituent une bonne
partie du texte.

b) Les phraséologies étendues ou les stéréotypes phraséologiques
Il y a d es combinaisons figées qui dépassent un certain nombre
de mots. Leurs dimensions s’étendent jusqu’à des phrases, des
paragraphes ou même des textes et dans ce cas on parle de macro –
stéréotypies phraséologiques. Celles -ci ne se regroupent pas forcément
autour d’un terme, mais forment des structures de sens indépendantes.
Un des exemples le plus communs et les plus simples est la
formule de début ou de fin d’une lettre.

Dans l'attente de votre accord, je vous prie d'agréer, Madame, Monsieur, mes
salutations distinguées.
Je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, mes salutations respectueuses.
Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l'expressio n de mes sentiments distingués.
Dans cette attente, je vous prie d'agréer, Madame, Monsieur, mes salutations
distinguées.

Un domaine où la phraséologie étendue domine par rapport au
terme c’est le domaine juridique. Voici quelques exemples :

Transferer à un tiers l’exercice d’un droit
Propriétaire mort ou déclaré absent au début du délai
Les présentes, lues et approuvées pa r les Parties, ont été signées en … exemplaires
originaux .
Les marchandises ci -dessus ont été reçues en bon état apparent à l’exception de
celles ayant fait l’objet de réserves dans la colonne "Observations"

Les stéréotypies étendues peuvent être classi fiées en fonction du
langage spécialisé, de la typologie discursive ou textuelle. Elles
correspondent à une structure logique propre à chaque langue. Leur
traitement demande une attention particulière de la part du traducteur
qui se heurte à des structures bloquées, non marquées, avec un
fonctionnement spécifique au niveau de chaque langue. À la différence

218
des termes ou même des locations, ces structures ne se retrouvent dans
aucun dictionnaire et dans aucune base de données.
Les stéréotypies étendues ou les macrostéréotypes sont des
composantes du discours de spécialité car elles dépassent tout élément
décelable en terme d’unité de traduction. La transposition de ces
structures d’une langue à l’autre fait partie plutôt de la s yntaxe de
chaque langue et demande une étude plus approfondie, c’est pourquoi
nous nous sommes bornée à ces considérations générales sur le rôle de
la phraséologie dans la traduction des langages spécialisés.

Conclusion

Dans la traduction spécialisée la stratégie de la traduction au
niveau des termes, sans se rapporter aux concepts, est vouée à l’échec.
Pour ce qui est des autres éléments textuels, à part les termes, la
traduction prend en considération des paramètres différents qui feront
l’objet d’une a utre étude.
La perspective traductive que nous avons analysée présente
l’avantage d’offrir des stratégies adaptées aux caractéristiques
spécifiques des langues de spécialité et démontre, nous l’espérons, le fait
que la traduction ne peut pas se passer de l a terminologie, aussi bien
dans son aspect théorique que, surtout, pratique.
Dans un texte littéraire la traduction suit plutôt une démarche
sémasiologique, les stratégies de traduction sont plus diverses, les unités
de traduction variables et la l’effort de traduction se concentre
essentiellement au niveau du mot polysémique, de l’expression, d’un
sens changeant en fonction de la phrase, du contexte, du style d’un
auteur. La traduction est un travail général et ponctuel à la fois, un
combat incessant pour le sens des mots. En revanche, pour la traduction
spécialisée, la délimitation des termes et la recherche des équivalents
constituent environ 80% de l’effort de traduction. Une fois maîtrisées les
caractéristiques des textes de spécialité dans les deux la ngues, une fois la
recherche terminologique achevée, la traduction devient une traduction
littérale, car l’univocité des sens, les expressions impersonnelles, le
nombre réduit des temps verbaux facilitent la traduction du texte dans la
langue cible.
Le tra ducteur doit veiller à la cohérence terminologique et
phraséologique du texte. Dans la didactique de la traduction, la
traduction des textes spécialisés doit reposer sur le sens exact du terme
dans le domaine envisagé.
Nous pouvons conclure que si, dans u n texte non spécialisé, la
traduction se fait généralement d’une manière linéaire, le texte cible se
construisant au fur et à mesure que le texte source se déroule, dans un
texte de spécialité la traduction se fait d’une manière concentrique, de

219
l’intérieu r – constitué de mots -clés, spécialisés dans un domaine – vers
l’extérieur : termes communs à plusieurs domaines, une combinatoire
lexicale riche qui part des phraséologies formées d’un mot jusqu’à des
structures phraséologiques complexes qui appartiennent plutôt au
discours. La traduction est ainsi hiérarchisée et part du précis, du figé
vers le flou, du noyau terminologique vers la phrase et le discours, du
concept vers le thème.
Toute cette manière de concevoir les étapes de la traduction, la
connaissanc e du spécifique des langues spécialisées, le traitement des
informations transmises par le texte au niveau de concepts avec un sens
très précis, en fonction du domaine, demande, de la part des
traducteurs, une formation poussée en terminologie.

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CONDRUC , M, NICOAR A, Gh. Dictionar de electrotehnic ă, electronic ă,
telecomunica ții, automatic ă și cibernetic ă romăn-francez . București : Editura
Tehnică București, 1979.
Grand Dictionnaire Terminologique . URL : http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ (consulté
le 28.11.2012) .

221
Notices biobibliographiques des auteurs

Gerard o ACERENZA est enseignant -chercheur à la Faculté des Lettres et
Philosophie de l’Università degli Studi di Trento (Italie). De 2003 à 2005, il a
enseigné le français et l’italien au Département d’Études françaises et italiennes
de St. Jerome’s University, à Waterloo (Ontario, Canada), où il a organisé un
colloque international ayant pour thème la présence des dictionnaires français
dans les littératures québécoise et canadienne -française ( Dictionnaires français et
littératures québécoise et canadienne -franç aise, sous la direction de Gerardo
Acerenza, Ottawa, Éditions David, coll. « Voix savantes », 2005). Il a publié
plusieurs articles sur le débat linguistique au Québec, sur la traduction des
canadianismes en italien et sur l’œuvre de l’écrivain québécois J acques Ferron,
dont l’ouvrage Des voix superposées : plurilinguisme, polyphonie et hybridation
langagière dans l’œuvre romanesque de Jacques Ferron , Trento, Università degli
Studi di Trento – Dipartimento di Studi Letterari, Linguistici e Filologici, coll.
« Labirinti », 2010.

Michel BALLARD. Agrégé d’anglais, Docteur ès lettres (thèse de doctorat
d’État soutenue en Sorbonne), Docteur Honoris Causa de l’Université de
Genève et de l’Unviersité de l’Ouest de Timisoara, Professeur émérite de
l’Université d’A rtois, Michel Ballard est membre de l’équipe de recherche
« Textes et Cultures »; il est également co -directeur de la collection
« Traductologie » aux Presses de l’Université (Artois Presses Université) et
directeur de la collection « Traductologie » aux é ditions De Boeck en Belgique.
Il est l’auteur de trois manuels initialement parus aux éditions Nathan
(maintenant Armand Colin) : La Traduction de l’anglais au français (1ère éd.: 1987,
réédité en 2005 chez Armand Colin), Manuel de Version anglaise (en
collaboration, 1988), Le Commentaire de traduction (1992, réédité en 2007 chez
Armand Colin) ouvrages disponibles en version numérique chez A. Colin ; un
ouvrage de référence : Les Faux amis (Paris, Ellipses,1999) dont il a conçu (en
collaboration avec Corinn e Wecksteen) une édition revue et abrégée, avec des
exercices : Les Faux amis en anglais (Ellipses, 2005) ; une étude sur Le Nom propre
en traduction (Paris, Ophrys, 2001), dont la traduction en roumain a été réalisée
à l’Université de Timi șoara sous la di rection du Professeur Georgiana Lungu –
Badea (Editura Universit ății de Vest). Il a également publié des éditions
critiques : le cours radiodiffusé d’Edmond Cary, Comment faut -il traduire ? (Lille,
P.U.L., 1985) et le discours de Bachet de Méziriac à l’Acadé mie française, De la
Traduction (Arras, APU, 1998). Il a publié des traductions de nouvelles (H.G.
Wells, Th. Hardy, G. Gissing) et a dirigé aux Presses de l’Université de Lille,
en collaboration avec le Professeur Lieven D’hulst, une collection : « Étude de
la traduction », où il a publié plusieurs collectifs (colloques et séminaires) et un
ouvrage personnel qui est une histoire de la traduction et de ses théories : De
Cicéron à Benjamin (1992, réédition 2007 : Presses du Septentrion). À
l’Université d’Art ois, il est co -Directeur de la collection « Traductologie » aux

222
Presses de l’Université, où il a publié, en tant qu’éditeur, plusieurs collectifs
représentant les actes de séminaires ou des colloques qu’il a animés dans le
cadre de son centre de recherche (le CERTA) tel que Qu’est -ce que la
traductologie ? (Actes du colloque des 26 -27-28 mars 2003) , Arras, APU, 2006.
La restructuration de la recherche à l’université a entraîné l’intégration du
CERTA dans le cadre du nouveau centre « Textes & Cultures » sous la forme
d’une composante de l’axe « Linguistique & Traductologie ». Dans ce cadre,
M.B. a publié trois collectifs dont le dernier est Censure et Traduction (colloque
de juin 2007), Arras, APU, 2011. Il est l’auteur de 8 ouvrages personnels,
l’éditeur de 15 collectifs, l’auteur de 120 articles et préfaces ; il a rédigé 45
comptes rendus pour des revues diverses. Son dernier ouvrage, Versus (plus de
600 pages) publié en 2 volumes (en 2003 et 2004) aux éditions Ophrys, fait le
point sur sa théorisation. Ses recherches portent sur l’histoire de la traduction et
l’épistémologie de la traductologie ; il conçoit la traductologie (désignant sa
propre conception de la discipline à l’aide du terme : « traductologie réaliste »)
comme une démarche d’investigation de l a traduction faisant intervenir
l’observation de corpus de textes traduits et intégrant les facteurs humains,
sociologiques et culturels qui président à leur production.

Antonio BUENO GARCÍA est docteur en Philologie française et professeur à
l’Université de Valladolid dans la Faculté de Traduction et Interprétation de
Soria où il enseigne la théorie et l’histoire de la traduction. En tant que
chercheur, i l a créé le Groupe "Traducción Monacal", célèbre pour le travail
d’étude sur la traduction religieuse et pour la compilation des traducteurs
monastiques à travers l’histoire (voir : www.traduccion -franciscanos.uva.es) et
le Groupe de recherche d’excellence de Castille et Léon (Espagne)
« Intersemiótica, Traducción y Nuevas Tecnologías » (ITNT), qui s’occup e du
domaine de la traduction sémiotique et de l’élaboration des dictionnaires
terminologiques multilingues, comme celui de génétique en collaboration avec
de nombreuses institutions et universités dont celle de Timi șoara. Il est aussi
traducteur littérair e et auteur de nombreuses publications dont: La traducción de
lo inefable, La traducción : de la teoría a la práctica, Publicidad y traducción,
Intersemiótica y Traducción, Traducción y signos no lingüísticos, La traducción en los
monasterios, Lingua, cult ura e discorso nella traduzione dei francescani, etc. Il a dirigé
de nombreux congrès et aussi des projets nationaux et internationaux sur la
traduction.

Isabelle COLLOMBAT est titulaire d'un doctorat en linguistique
(concentration « traductologie ») de l 'Université Laval (Québec), d’une maîtrise
en terminologie et traduction de l’Université Laval et d’une maîtrise de lettres
modernes (littérature) de l’Université François -Rabelais de Tours (France),
traductrice agréée (Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés
du Québec) et membre de l’Association des traducteurs et traductrices littéraires
du Canada, Isabelle Collombat est professeure agrégée à l’Université Laval. Ses
champs d’intérêt et de recherche s’articulent autour de quatre axes pri ncipaux :
la didactique de la traduction , les thématiques métatraductionnelles , la
traduction de la métaphore et la variation diatopique en traduction littéraire et
pragmatique .

223

Ileana Neli EIBEN est assistante à l’Université de l’Ouest de Timi șoara,
Roum anie. Elle enseigne le français dans le cadre du Département de langues
romanes de la Faculté des Lettres, Histoire et Théologie. Ses principales lignes
de recherche sont : l’auto -traduction, les études québécoises, la littérature
migrante et l’écriture fé minine. Elle réalise son doctorat à l’Université de
l’Ouest de Timisoara, Roumanie, sous la direction du Professeur Georgiana
Lungu -Badea. Elle est membre fondateur des associations d’études
francophones DF et d’études de traduciton et de traductologie Istrrarom –
Translationes et membre de plusieurs organisations : le Conseil International
d’Études Francophones, l’Association Internationale des Études Québécoises et
l’Association d’études canadiennes en Europe Centrale. Elle est secrétaire de
rédaction de la revue Dialogues francophones et a publié plusieurs articles dans
des revues de spécialité.

Nataliya GAVRILENKO est professeur agrégé, docteur d’Etat ès sciences
pédagogiques, chef adjoint du département des langues étrangères à
l’Université de Russie de l’amitié des peuples, membre de comités scientifiques
auprès de l’Université linguistique d’État (ex Maurice Thorèze) et de
l’Université de Russie de l’amitié des peuples, membre de la commission
DELF -DALF auprès de l’Ambassade de France à Moscou. Elle a écrit plus de
100 articles dans lesquelles elle traite de différents problèmes et aspects
concernant la traduction technique et la didactique de la traduction. Elle a
écrit : Histoire de la traduction technique (История перевода : курс лекций . – М.,
2002.), Analyse du texte par le traducteur (Спецкурс «Переводческий анализ
текста », М., 2004), Les fondements théoriques et méthodologiques de l’enseignement de
la traduction technique (Теоретические и методические основы подготовки
переводчиков научно -технических текстов , М., 2004), Manuel de français :
résumé et traduction (Учебник французского языка . Перевод и
реферирование . М., 2006), Comprendre pour traduire : traduction spécialisée
(Понять , чтобы перевести : перевод в сфере профессиональной
коммуникации . Книга 2. М, 2010), Didactique de la traduction spécialisée
(Теория и методика обучения переводу в сфере профессиональной
коммуникации . Книга 1. М, 2009). Programme -conception de formation des
traducteurs spécialisés. (Программа -концепция подготовки переводчиков
профессионально ориентированных текстов . Книга 3. – М., 2011).

Thomas LENZEN est Maître de Conférences au département d’allemand de
l’Université de Nantes. Depuis la soutenance de sa thèse de doctorat sur les
« Regards britanniques sur les relations franco -allemandes. De 1945 à 1992 », il
s’est essentiellement intéressé à la traduction juridique. Actuellement, il
enseigne la traduction écrite et orale ainsi que la traductologie au sein de la
filière LEA et disp ense également des cours d’allemand juridique à l’intention
d’étudiants juristes. Dernières publications : « Langage et traduction juridiques
entre inclusion et exclusion », Colloque international « Regards sur le
cosmopolitisme européen, Frontières et ide ntités » organisé conjointement par
le CRINI et le Laboratoire Droit et Changement Social, les 4 et 5 avril 2008 à
l’Université de Nantes, 2009 : 211 -227 ; « La note du traducteur en traduction

224
judiciaire. Entre exégèse et rajout », RIELMA (Revue Internati onale d’Études en
Langues Modernes Appliquées/International Review of Studies in Applied Modern
Languages ) n°4, Cluj, Roumanie, 2011 : 201 à 208 ; « Les entreprises familiales à
l’épreuve de la transmission. Enjeux socio -économiques et stratégies
familiale s », communication présentée le 02/12/2011 lors de la Journée
d’études organisée conjointement par le Centre d’Étude pour le Droit privé et la
filière LEA au site de l’Université de Nantes. Traducteur diplômé de
l’Université de la Sarre (Allemagne), il est également traducteur libéral et
Expert judiciaire près la Cour d’appel de Rennes.

Emmanuel LE VAGUERESSE (Bordeaux, 1969), agrégé d’espagnol et ancien
élève de l’Ecole Normale Supérieure de Fontenay/Saint -Cloud, est
actuellement Professeur à l’Université de Reims Champagne -Ardenne (France),
membre du CIRLEP (Reims), du GRIMH (Lyon II) et d’ARCE (Paris III –
Sorbonne Nouvelle). Il travaille sur la littérature de l’Espagne contemporaine
(roman, poésie) et sur le cinéma espagnol, particulièrement à l’époque
franquiste ou pendant la Transition Démocratique, et notamment au sujet de
l’articulation entre censure, désir et politique. Ses recherches le mènent parfois
vers l’image fixe ou la bande dessinée, mais aussi vers la traduction poétique (à
paraître courant 2012, celle du recueil de Juan Antonio González Iglesias, Esto
es mi cuerpo / Ceci est mon corps , chez Circé, et en préparation une anthologie de
José Hierro, Cuanto sé de mí / Tout ce que je sais de moi , chez le même éditeur). Il
est l’auteur d’une soixa ntaine d’articles sur sa spécialité et de trois ouvrages,
Juan Goytisolo : écriture et marginalité (2000), José Hierro, entre cendre et flamme
(2007), tous les deux parus chez L’Harmattan, et L’enseignement de la langue dans
l’hispanisme français (en co -direction avec Françoise Heitz), chez Epure (Reims).

Georgiana LUNGU -BADEA est professeur titulaire au Département de
langues et littératures modernes, Faculté des Lettres, Histoire et Théologie,
l’Université de l’Ouest de Timi șoara (Roumanie) ; directeur d e l’école doctorale
LIT, rédacteur en chef des revues Dialogues francophones et Translationes ;
fondateur et directeur du centre de recherche ISTTRAROM -Translationes
(Histoire de la traduction rouma ine, www. translationes.uvt.ro) et directeur du
Centre d’é tudes francophones DF ; organisateur de colloques sur la traduction
et l’histoire de la traduction roumaine, sur la littérature et les problèmes de la
traduction littéraire. Elle est membre des associations professionnelles CIEF
(2005), SEPTET (2005). Doma ines d’intérêt : la traductologie, les problèmes
théoriques et pratiques de traduction, la traduction littéraire, la littérature.

Tatiana MILLIARESSI est responsable de la section de russe à l’UFR des
langues romanes, slaves et orientales de l’Université de Lille III, et membre de
l’UMR 8163 STL (« Savoirs, Textes, Langage »). Elle représente la France à la
Commission Internationale Aspectologique du Comité international des
slavistes. Elle est co -directrice (avec Christian Berner) de la collection
« Philo sophie et linguistique » aux Presses Universitaires du Septentrion et
membre du Comité scientifique de la revue Lexique aux Presses universitaires
du Septentrion, membre du Comité scientifique de la revue Translationes de
l’Université de Timi șoara. Enseign e la linguistique, la traductologie et la

225
terminologie en Licence et en Master (recherches et professionnel). Quelques
ouvrages liés à la traduction : (2011, éd.), De la linguistique à la traductologie,
Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septent rion, coll. « Philosophie &
linguistique » ; (2011, éds avec Christian Berner), La traduction : philosophie et
tradition , Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion, coll.
« Philosophie & linguistique » ; (2010, éd.), La traduction : de la l inguistique à la
didactique , publication électronique de l’UMR 8160 STL ; (2009, éd.), La
traduction : philosophie, linguistique et didactique , coll. UL3 Travaux et recherches,
Villeneuve d’Ascq : Éditions du Conseil Scientifique de l’Université Charles -de-
Gaulles – Lille 3 ; (2001), Vers un dictionnaire bilingue d’initiation aux mécanismes
de création lexicale (russe
français), Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires
du Septentrion.

Diana MO ȚOC est maître assistant associé au Département de Langues
Etrangères Appliquées, Faculté des Lettres de l’Université Babe ș-Bolyai de
Cluj-Napoca. À présent, elle prépare une thèse de doctorat dans le domaine de
la traductologie. Elle a bénéficié de plusie urs stages de recherche à diverses
universités de prestige: Sorbonne Nouvelle de Paris, Université Libre de
Bruxelles, Université de Genève, Universitat Autònoma de Barcelona,
Universidad Complutense de Madrid, Universidad de Santiago de Compostela.
Elle t raduit des textes spécialisés et des textes littéraires. À titre d’exemple, elle
a traduit de la poésie et de la prose de l’espagnol en roumain – Mâine în b ătălie
să te gândești la mine , de Javier Marías, Univers, 2009 ; Povești cu bărbați însurați,
de Marcelo Birmajer, et Ce știu despre vampiri , de Francisco Casavella, les deux
livres seront publiés par la maison d’édition RAO – et du catalan en roumain :
Unghia Fiarei , de Miquel Rayó Ferrer, et Guadalajara, de Quim Monzo,
volumes publiés par la maison d’édition Meronia, dans la collection
« Bibliothèque de Culture Catalane ».

Alina PELEA , interprète et traductrice, enseigne l’interprétation de conférence
et la langue française contemporaine dans le cadre du Département de Langues
Modernes Appliquées de la Faculté des Lettres de Cluj -Napoca (Université
« Babeș-Bolyai »). Docteur en traductologie avec une thèse sur les Aspects
culturels de la traduction des contes , sous la direction des professeurs Rodica Pop
(Université « Babeș-Bolyai ») et Michel Ballard (Université d’Artois). Depuis
octobre 2004, elle est me mbre de l’équipe du Centre d’Études des Lettres Belges
de Langue Française. Jusqu’à présent, elle a publié plusieurs études portant
surtout sur des aspects ponctuels de la traduction des contes.

Mariana PITAR, maître assistante à la Faculté des Lettres, d ’Histoire et de
Théologie de l’Université de l’Ouest de Timi șoara (Roumanie), enseigne la
terminologie, la traduction des documents audio -visuels, la traduction assistée
par l’ordinateur et l’analyse du discours. Avec un doctorat dans le domaine de
la linguistique textuelle, elle a publié plusieurs articles et deux livres dans le
domaine : Textul injonctiv. Repere teoretice (2007) [ Le texte injonctif. Repères
théoriques ] et Genurile textului injonctiv (2007) [Les genres du texte injonctif].
Plusieurs stages de perfectionnement à l’étranger dans le domaine de la
term inologie (Rennes, 1996, 1999), du multimédia dans l’enseignement des

226
langues étrangères (Lille, 1998) et de la traduction des documents audio -visuels
(Barcelone, 2005 ; Toulouse, 2006). Elle a écrit plusieurs articles dans le
domaine de la traduction spéci alisée, des nouvelles technologies dans
l’enseignement du FLE et de la terminologie, domaine dans lequel a publié un
livre intitulé Manual de terminologie și terminografie (2009) [ Manuel de
terminologie et terminographie ].

Étienne Wolff est depuis 2000 pr ofesseur de langue et littérature latines à
l’Université de Paris Ouest. Son champ de recherche principal concerne
l’Antiquité tardive, mais il s’est intéressé également à de nombreux autres
domaines de la latinité. Il a publié des ouvrages sur la littérat ure latine et le
latin, ainsi que nombreuses éditions et traductions de textes latins de l’Antiquité
(Rutilius Namatianus, Dracontius), du Moyen Âge ( Carmina Burana ) et de la
Renaissance (Pétrarque, Le Pogge, Érasme.

227

CO N T E N U

Avant propos / 5

1e Section
Approches théorique et descriptives des méthodes et méthodologies
d’enseignement de la/ en traductologie / 7

Michel BALLARD
Epistémologie de la traductologie réaliste / 9

Antonio BUENO GARCÍA
Les méthodes collaborative et coopérative dans l’enseignemen t de la
traductologie /36

Nataliya GAVRILENKO
L’Analyse du discours spécialise dans le processus de formation des traducteurs
techniques /50

2e Section
Description des méthodes et méthodologies de recherche extra -, inter – et
intra -institutionnelles / 61

Georgiana LUNGU -BADEA
Traduire la traductologie. Sur la légitimité de la méthode en traduction à
l’époque du cyberespace / 63

Isabelle COLLOMBAT
Cartographie de l’avant -traduire : idées reçues sur la traduction / 83

Tatiana MILLIARESSI
Considérations th éoriques et éthiques sur la méthodologie de la traduction
spécialisée /1 02

Thomas LENZEN
Pluralisme des méthodes en traduction judiciaire.Vers une méthodologie
cohérente ? /1 12

228
Diana MO ȚOC
Une étude historique -comparative des traductions du catalan en roumain.
Questions de méthode / 130

3e Section
Argumentation des méthodes spécifiques de traduction (travaux dirigés
et/ou pratiques professionnelles) / 141

Étienne WOLFF
Les spécificité s de la traduction du latin / 143

Gerardo ACERENZA
Quelle méthode de traduction pour les régionalismes ? Les traductions
italienne, espagnole, roumaine et allemande de Maria Chapdelaine de Louis
Hémon / 153

Emmanuel LE VAGUERESSE
Traduire la poésie contem poraine en 2012 : de l’espagnol au français, leçons de
sens, de son et de rythme – l’exemple de Esto es mi cuerpo / Ceci est mon
corps (1997) de Juan Antonio González Iglesias / 170

Alina PELEA
Méthode et subjectivité en traduction / 179

Ileana Neli EIBEN
Deux méthodes de se traduire : Dumitru Tsepeneag et Felicia Mihali / 197

Mariana PITAR
Une perspective terminologique dans la traduction des textes de spécialité /2 07

Notices biobibliographiques des auteurs / 221
Contenu / 227

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