Contexteset addictions [620600]

Jeux de hasard
et d’argent
Contexteset addictions
Expertise collective
Synthèse et recommandationsExpertise collective C o n t e x t e se ta d d i c t i o n s Jeux de hasard et d’argentExpertise collective
Synthèse et recommandations
www.inserm.fr ISBN 978-2-85598-867-5

Jeux de hasard
et d’argent
Contexteset addictions

Ce logo rappelle que le code de la propriété intellectuelle
du 1erjuillet 1992 interdit la photocopie à usage collectif
sans autorisation des ayants-droits.Le non-respect de cette disposition met en danger l’édition,notamment scientifique.
T oute reproduction, partielle ou totale, du présent ouvrage est interdite sans autorisation de l’éditeur
ou du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).Dans la même collection ¬Lombalgies en milieu professionnel. Quels facteurs
de risques et quelle prévention ? 2000
¬Dioxines dans l’environnement. Quels risques
pour la santé ? 2000
¬Hormone replacement therapy. Influenceon cardiovascular risk ? 2000
¬Rythmes de l’enfant. De l’horloge biologiqueaux rythmes scolaires. 2001
¬Susceptibilités génétiques et expositionsprofessionnelles. 2001
¬Éducation pour la santé des jeunes. Démarcheset méthodes. 2001
¬Alcool. Effets sur la santé. 2001
¬Cannabis. Quels effets sur le comportementet la santé ? 2001
¬Asthme. Dépistage et prévention chez l’enfant. 2002
¬Déficits visuels. Dépistage et prise en chargechez le jeune enfant. 2002
¬Troubles mentaux. Dépistage et préventionchez l’enfant et l’adolescent. 2002
¬Alcool. Dommages sociaux, abus et dépendance. 2003
¬Hépatite C. Transmission nosocomiale. État de santéet devenir des personnes atteintes. 2003
¬Santé des enfants et des adolescents, propositions
pour la préserver. Expertise opérationnelle. 2003
¬Tabagisme. Prise en charge chez les étudiants. 2003
¬Tabac. Comprendre la dépendance pour agir. 2004
¬Psychothérapie. Trois approches évaluées. 2004
¬Déficiences et handicaps d’origine périnatale.
Dépistage et prise en charge. 2004
¬Tuberculose. Place de la vaccinationdans la maladie. 2004
¬Suicide. Autopsie psychologique, outil de rechercheen prévention. 2005
¬Cancer. Approche méthodologique du lienavec l’environnement. 2005
¬Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent. 2005
¬Cancers. Pronostics à long terme. 2006
¬Éthers de glycol. Nouvelles donnéestoxicologiques. 2006
¬Déficits auditifs. Recherches émergenteset applications chez l’enfant. 2006
¬Obésité. Bilan et évaluation des programmes
de prévention et de prise en charge. 2006
¬La voix. Ses troubles chez les enseignants. 2006
¬Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie. Bilan
des données scientifiques. 2007
¬Maladie d’Alzheimer. Enjeux scientifiques, médicaux
et sociétaux. 2007
¬Croissance et puberté. Évolutions séculaires, facteurs
environnementaux et génétiques. 2007
¬Activité physique. Contextes et effets sur la santé. 2008
¬Autopsie psychologique. Mise en œuvre et démarches
associées. 2008
¬Saturnisme. Quelles stratégies de dépistage chez
l’enfant ? 2008Jeux de hasard et d’argent
Contextes et addictions ISBN 978-2-85598-867-5
© Les éditions Inserm, 2008 101 rue de T olbiac, 75013 Paris
Couverture: conception graphique © Frédérique Koulikoff, DISC Inserm

Expertise collective
Synthèse et recommandationsJeux de hasard
et d’argent
Contexteset addictions

VCe document présente la synthèse et les recommandations du
groupe d’experts réunis par l’Inserm dans le cadre de la procédure
d’expertise collective (annexe), pour répondre à la demande de
la Direction générale de la santé su r la problématique de santé
publique associée aux jeux de hasard et d’argent. Ce travail
s’appuie sur les données scientifiques disponibles en date du
premier trimestre 2008. Près de 1 250 articles ont constitué labase documentaire de cette expertise.
Le Centre d’expertise collect ive de l’Inserm a assuré la
coordination de cette expertise collective.

VIIGroupe d’experts et auteurs
Jean ADÈS , Service de psychi atrie, Hôpital Louis Mourier, Colombes
Elisabeth BELMAS , Histoire moderne, Université Paris XIII, Maison des
sciences de l’Homme, Paris-Nord
Jean-Michel COSTES , Observatoire français des drogues et des toxico-
manies (OFDT), Saint-Denis
Sylvie CRAIPEAU , Sociologie, Institut national des télécommunications,
Évry
Christophe LANÇON , Service de psychiatrie adulte, CHU Sainte-
Marguerite, Marseille
Michel LE MOAL , Neurogenèse et physiopathologie, unité Inserm 862,
Neurocentre Magendie, Bordeaux
Jean-Pierre MARTIGNONI , Groupe de recherche sur la socialisation,
Faculté d’anthropologie et de sociologie, Université Lumière-Lyon 2,
Bron
Sophie MASSIN , Économie de la santé publique, Université du Panthéon-
Sorbonne (Paris I), Paris
Jean-Pol TASSIN , Collège de France, Géné tique moléculaire, neuro-
physiologie et comportement, unité Inserm UMR 7148, Paris
Marc VALLEUR , Psychiatrie, Hôpital Marmottan, Centre de soins et
d’accompagnement des pratiques addictives, Paris
Martial VAN DER LINDEN , Unité de psychopathologie et neuropsycho-
logie cognitive, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation,
Université de Genève, Genève, Suisse
Jean-Luc VENISSE , Centre de référence sur le jeu excessif, Pôle univer-
sitaire d’addictologie et psychiatrie, CHU Nantes, Nantes
A rédigé une note de lecture
Michel LEJOYEUX , Unité fonctionnelle de psychiatrie d'urgences adul-
tes, tabacologie, alcoologie, Hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris
Ont présenté une communication
Christian BUCHER , Psychiatre des Hôpitaux, CH de Jury, Metz
Colas DUFLO , Philosophie, Université de Picardie Jules Verne, Amiens
Alain EHRENBERG , Centre de recherche psychotropes, santé mentale,
société (CESAMES), UMR 8136 CNRS, unité Inserm 611, Université
René Descartes-Paris 5, Paris
Robert LADOUCEUR , École de psychologie, Université Laval, Québec,
Canada

VIIIEtienne MARIQUE , Président de la commission des jeux de hasard,
Bruxelles, Belgique
Gilles PAGÈS , Laboratoire de probabilités et modèles aléatoires,
UMR-CNRS 7599, Université Pierre et Marie Curie, Paris
Olivier SIMON , Centre du jeu excessif, Section d’addictologie, Service
de psychiatrie communautaire, Département de psychiatrie du CHUV,
Lausanne
Serge TISSERON , Laboratoire de psychopathologie des atteintes somati-
ques et identitaires, Université Paris X, Nanterre
Coordination scien tifique, éditoria le, bibliographique
et logistique
Elisabeth ALIMI , chargée d’expertise, Centre d’expertise collective de
l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris
Fabienne BONNIN , attachée scientifique, Centre d’expertise collective
de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris
Catherine CHENU , attachée scie ntifique, Centre d’expertise collective
de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris
Jeanne ÉTIEMBLE , directrice, Centre d’expertise collective de l’Inserm,
Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris
Cécile GOMIS , secrétaire, Centre d’expertise collective de l’Inserm,
Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris
Anne-Laure PELLIER , attachée scientifique, Centre d’expertise collec-
tive de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris
Chantal RONDET -GRELLIER , documentaliste, Centre d’expertise collec-
tive de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

IXSommaire
Avant-propos …………………………………………………………… XIII
Synthèse …………………………………………………………………… 1
Quelques éléments sur l’histoire des jeux de hasard
et d’argent……………………………………………………………………. 3
Quel est le paysage actuel des jeux de hasard et d’argent
en France ?…………………………………………………………………… 5
Qui joue aux jeux de hasard et d’argent en France ?………….. 8
Apparition des jeux vidéo et sur Internet ……. …………. ………. 9
Impacts socioéconomiques et dommages liés aux jeux ………. 11
Coût social du jeu…………………………………………………………. 13
Quelles sont les motivations des joueurs ? …… …………. ………. 16
Approches psychanalytiques du jeu ………….. ……….. ……… ….. 18
Approches cognitives ……………………………………………………. 20
Impulsivité et capacité d’autorégulation ………………………….. 22
Facteurs de vulnérabilité et trajectoires …………………………… 25
Apport des neurosciences………………………………………………. 27
Approches neurophysiologiques……………………………………… 31
Approche clinique………………………………………………………… 33
Outils de dépistage et de diagnostic ………………………………… 35
En population générale : 1 à 2 % de joueurs problématiques
et pathologiques……………………………………………………………. 39
Comorbidités importantes……………………………………………… 43
Approches thérapeutiques……………………………………………… 45
Accès aux soins…………………………………………………………….. 51
Actions de prévention pour les jeux de hasard et d’argent …… 53
Actions en France ………………………………………………………… 55
Addiction aux jeux vidéo et à Internet :
un phénomène récent encore mal connu…………………………. 57
Actions de prévention pour les jeux vidéo et les jeux
sur Internet ………………………………………………………………….. 60

XRecommandations ………………………………………………….. 63
Annexe …………………………………………………………………….. 79
Expertise collective Inserm : éléments de méthode…………… 79

XIAvant -propos
L’industrie du jeu de hasard et d’argent constitue un secteur
économique et financier important qui draine de l’emploi
(direct et indirect), de la fiscalité et concerne une population dejoueurs qui se chiffre en millions de personnes. D’après l’Insee,
en 2006, près de 30 millions de personnes en France, soit trois sur
cinq en âge de jouer, ont tenté leur chance au moins une fois paran à un jeu d’argent. Depuis 1975, le montant global des enjeux a
doublé. D’après le rapport Trucy, le chiffre d’affaires de l’industrie
des jeux autorisés est passé de l’équivalent de 98 millions d’euros
en 1960 à 37 milliards en 2006.
Les jeux de hasard et d’argent sont des pratiques sociales et cul-
turelles inscrites dans une histoire très ancienne des loisirs.Aujourd’hui, ils tiennent une pl ace importante dans la vie quo-
tidienne, le temps libre ou festif. Alors que pour un grand
nombre de personnes, ces jeux constituent une activité récréa-
tive, leur pratique peut être préjudiciable pour certains individus
avec des conséquences au niveau individuel, familial et socio-
professionnel. Chez certains joueur s, le jeu peut atteindre la
dimension d’une cond uite addictive.
Les méfaits possibles du jeu attir ent de plus en plus l’attention
des pouvoirs publics et des op érateurs de jeu eux-mêmes. La
nécessité d’apporter aide, soutien et soin aux personnes en diffi-
culté avec le jeu a motivé la demande faite à l’Inserm par la
Direction générale de la santé, d’une expertise collective.
Afin de répondre à cette demande, l’Inserm a réuni un groupe
pluridisciplinaire d’exp erts en histoire, sociologie, économie de
la santé, épidémiologie, psychologie, neurobiologie, psychiatrie
et addictologie. Ce groupe a structuré sa réflexion sur les jeux de
hasard et d’argent ainsi que sur les jeux vidéo et Internet autour
de plusieurs approches : histori que et sociolo gique, psychologi-
que et neurophysiologiqu e, clinique et enfin une approche de
santé publique. La manière d’appréhender les problèmes de jeu
dans quelques pays a constitué un autre axe de réflexion.

XIIAu cours de dix séances de travail, le groupe d’experts a analysé
environ 1 250 articles rassemblant les données disponibles au
plan national, européen et international sur le jeu, son contexte,
les comportements ludiques et l’addiction. Il a conservé dansl’expertise les termes de jeu problématique et jeu pathologique
a
tels qu’ils sont utilisés dans la plupart des études pour désigner
des pratiques de jeu à problèmes.
Le groupe d’experts a consulté plu sieurs rapports et auditionné
8 personnalités engagées sur ces problématiques. À l’issue del’analyse critique de la littérature, il a élaboré une synthèse et
proposé quelques recommandations d’action et de recherche.
a. Le joueur pathologique répond aux critères d’un diagnostic clinique. Le joueur probléma-
tique, sans atteindre tous les critères du jeu pathologique, témoigne de difficultés avec lecomportement de jeu.

1Synthèse
Depuis 300 ans, les jeux de hasard et d’argent n’ont cessé de se
développer sous différentes formes, dans les sociétés occidenta-les. D’abord interdits en France par l’État royal et longtemps
clandestins, ils ont été légalisés dans le dernier tiers du XVIII
e
siècle avec la création de la Loterie royale. Les principes définis
à l’époque de la plupart des jeux de hasard et d’argent perdurent
encore de nos jours.
Dans les jeux de hasard et d’argent, le sujet mise de façon irré-
versible un bien (argent ou objet) et l’issue du jeu aboutit à une
perte ou un gain, en fonction partiellement ou totalement duhasard. Ces jeux ont depuis longtemps une dimension sociale
et économique. Dans le contexte social actuel (incitation aux
crédits, valorisation de la consommation, explosion de l’offredes jeux), les diverses formes de dépense compulsive (des
achats aux jeux d’argent) pourraient constituer une « mauvaise
rencontre » entre un individu fragile face à ses désirs insatisfaits
et une offre commerciale aguichante donnant l’illusion de
combler un « manque à être ».
Une pratique de jeu excessive apparaît comme le produit d’une
histoire personnelle et d’un contexte social, économique, histo-
rique, culturel global. Autant dire que si cette pratique est unproblème de santé publique, elle a fondamentalement des
causes et des conséquences sociales et, dans ce sens, elle consti-
tue un révélateur de notre société. Si l’expertise fait une largepart aux travaux psychologiques et médicaux pour l’analyse du
jeu pathologique, il n’est en aucun cas question d’en évacuer les
causes sociales, économiques et culturelles, susceptibles de
rendre compte du jeu excessif et du gambling
1.
1. Terme anglophone désignant les jeux de hasard et d’argent

2Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
L’approche sociologique des jeux de hasard et d’argent consi-
dère en effet que la plus ou moins grande « proximité » qui
existe entre le joueur et son jeu dépend des rapports que le
joueur noue avec son jeu, dans un contexte social et biographi-que donné.
Bien que l’existence de joueurs pathologiques ait été décrite
dès 1929, la notion de jeu pathologique est apparue dans la
littérature scientifique vers la fin des années 1980. Le joueur
excessif a tout d’abord été considéré comme présentant destroubles des impulsions, puis cette pathologie s’est trouvéeincluse progressivement dans le groupe des « addictions sanssubstances ». C’est à cette époque qu’il a été suggéré que lameilleure méthode pour étudier les troubles addictifs serait,non pas de considérer chac un d’entre eux comme une entité
isolée, mais plutôt de « rechercher une origine ou un méca-
nisme communs aux addictions qui s’exprimeraient par unemultitude d’expressions comportementales ». L’analyse de lalittérature scientifique internationale sur le « jeu pathologi-que » conduit à proposer auj ourd’hui différents modèles issus
du champ psychanalytique, psychologique, psychobiologique
pour rendre compte des hypothèses de travail des chercheurs
sur l’addiction au jeu. Ces différents modèles intègrent les
interactions multiples entre des facteurs individuels et des
facteurs environnementaux. Comme pour l’addiction auxsubstances, l’addiction au jeu peut résulter d’une rencontre
entre un produit, une personnalité et un moment socio-cultu-rel. L’apparition récente des jeux vidéo et sur Internet ouvre
de nouveaux champs de recherche sur la problématique de
l’addiction.
L’identification des différents facteurs de risque et de vulnérabi-
lité au jeu pathologique, de même qu’une meilleure connais-
sance des trajectoires des joueurs qui, à un moment donné,
s’engagent dans des pratiques de jeu pathologique et à risque,
représentent des objectifs essentiels pour construire des actions
de prévention, faciliter l’accès aux soins et également poser les
indications thérapeutiques les plus pertinentes.

3Synthèse
Quelques éléments sur l’histoire des jeux de hasard
et d’argent
L’histoire des jeux de hasard et d’argent en France est marquée
par quatre discours principaux.
Le discours moraliste et clérical, très ancien, est hostile aux
jeux pour des raisons théologiques et morales : l’utilisation du
sort à des fins profanes et ludiques constitue un outrage à la
Providence divine, que l’on doit seulement interroger dans les
situations graves. Cette position intransigeante s’infléchit fin
XVIIe-début XVIIIe siècle, où, sous l’influence des travaux
mathématiques sur les probabilités, l’idée que le hasard est
indifférent « per se » finit par s’imposer chez les clercs et les laï-
ques. Le discours moraliste laïcisé se prolonge dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle avec les philosophes des Lumières qui
centrent désormais leurs attaques sur les conséquences socialespernicieuses des jeux de hasard et d’argent, ainsi que sur la poli-
tique suivie par la monarchie, accusée d’avoir créé la Loterie
royale de France en 1776, et favorisé ainsi la ruine des familles.
Il faut noter cependant que, depuis 1566, l’État royal s’estefforcé de circonscrire les effets sociaux des jeux d’argent enlimitant puis en annulant les dettes contractées au jeu. Le dis-
cours moraliste, qui considère le jeu compulsif d’abord comme
un péché (XVI
e-XVIIe siècles), puis comme un vice (XVIIIe siè-
cle), influence encore au XXe siècle le regard de philosophes,
tel Roger Caillois (1958), sur les jeux de hasard et d’argent.
Un discours littéraire, for tement influencé par le courant mora-
liste, a pris pour sujet le jeu de hasard et d’argent depuis la findu XVII
e siècle. Au fil des pièces de théâtre et des romans,
jouées ou parus depuis 1670 environ, s’est construite la figuretragique du joueur que sa passion dévorante mène à ladéchéance, à la ruine et à la mort. Cette représentation se pro-longe aux XIX
e et XXe siècles avec les romans de Dostoïevsky,
de Stefan Zweig et de Sacha Guitry.
Un discours philosophique et anthropologique, très fécond au
XXe siècle, prend naissance dans les analyses de Kant et de

4Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
Schiller. Ce discours, successivement illustré par J. Huizinga,
M. Klein, DW. Winnicott, J. Château, R. Caillois, J. Henriot,
LJ. Calvet, JM. Lhôte et C. Duflo, revalorise le jeu et les jeux
en général. L’activité ludique est désormais perçue comme une
activité à part entière, libre, régulée, limitée dans le temps et
l’espace et qui procure joie et tension à l’être humain
(J. Huzinga), une forme de comportement et une réalité
sociale (J. Château, R. Caillois), un contrat qui repose sur la
« légaliberté » (C. Duflo).
Le discours historique est représenté d’un côté, par des ouvrages
d’érudition inventoriant et décrivant les jeux des temps passés, de
l’autre, par des travaux replaçant l’activité ludique dans un con-
texte social global. Cette dernière catégorie d’ouvrages accorde
une large place aux jeux de hasard et d’argent, étudiés au Moyen-
Âge et à l’époque moderne. Leurs auteurs ont retrouvé dans les
textes anciens la description du comportement de joueurs que
l’on qualifierait aujourd’hui d’excessifs. Appartenant aux élites
sociales de leur temps (Cour, noblesse, armée), ils se conforment
à l’ « ethos » de leur caste qui valorise la prodigalité et le risque.
Leur attitude se rapproche des rituels du « potlatch » décrits par
J. Huizinga (1951) ou des comportements « ordaliques » définis
par M. Valleur (1997). C’est probablement au XVIIIesiècle, avec
la diffusion et la « démocratisation » des loteries – en particulier
avec la création de la Loterie royale de France en 1776 – que les
milieux populaires ont été plus largement soumis aux risques du
jeu excessif comme en témoignent les critiques des philosophes
et les dispositions de la législation royale.
Il n’existe guère d’ouvrages historiques sérieux sur les jeux de
hasard et d’argent aux XIXe et XXe siècles en France, en raison
des restrictions d’accès aux archives conservées par les opéra-
teurs des jeux ainsi que des délais légaux de consultation.
L’accès aux archives est moins contraignant en Amérique du
Nord, ce qui a favorisé les recherches sur l’histoire récente des
jeux de hasard et d’argent. Aux États-Unis, environ 80 % des
adultes jouent au moins une fois dans l’année aux jeux d’argent.Les risques liés aux jeu x de hasard et d’argent ont été dénoncés
depuis 1957 par les « Gamblers Anonymous », lesquels sont

5Synthèse
entrés en 1970 dans le Conseil National du joueur compulsif aux
côtés de représentants du corps médical, du clergé et d’associa-
tions d’avocats. C’est en 1980 que le jeu excessif est inscrit dans
le «Diagnostic and Statistical Manual of Mental Diseases » (DSM)
établi par l’Association américaine de psychiatrie. Pour certains,
cette « pathologisation » du jeu excessif pourrait conduire à
minorer les facteurs explicatifs politiques, sociaux et familiaux,
qui joueraient pourtant un rôle décisif. L’État, principal maître
d’œuvre des divers espaces de jeu et également protecteur des
citoyens, serait ainsi confronté à un dilemme social complexe
qui entrave la mise en place d’une politique de prévention effi-
cace, socialement acceptable et légitime au plan éthique.
Des mutations historiques identi ques s’observent au Canada, où
arguments moraux, sociaux, politiques, médicaux et économi-
ques ont été avancés tantôt pour censurer tantôt pour légitimer
le gambling . Tant que le gambling était strictement contrôlé,
régulé et, dans certains cas, émanait du gouvernement, les
canadiens l’ont accepté comme élément d’une politique contri-
buant au bien public par ses retombées économiques. Cette
position a été remise en cause à la suite de l’essor du gambling ,
des dégâts des « Video lottery terminals » (VLTs ; appareils de
loterie vidéo en français) et des machines à sous. Dans ce con-
texte, l’action conjuguée des responsables gouvernementaux et
de l’industrie du jeu – appuyés sur des experts et des
professionnels – a contribué à la naissance du concept de « jeu
responsable » et au développement de programmes de préven-
tion et d’avertissement s’adressant aux populations à risque.
Selon certains, le concept de « jeu responsable » aurait trans-
formé les problèmes sociaux liés au jeu excessif en problèmes
individuels gommant leur caractère politique.
Quel est le paysage actue l des jeux de hasard
et d’argent en France ?
C’est au XXe siècle que se développent en France les casinos, le
PMU (Pari mutuel urbain créé en 1931) et la Loterie nationale

6Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
(re-fondée en 1933). Ce sont ces trois opérateurs de jeux qui
perdurent actuellement en France et dont l’État est le premier
bénéficiaire.
Il existe 192 casinos en France, totalis ant un chif fre d’affaires de
18,66 milliards en 2004 et 64 millions d’entrées. La plupart des
casinos français sont détenus par 5 groupes d’investissement
privés sous contrôle de l’Ét at (ministères de l’Intérieur et des
Finances) et des collectivités locales.
Le PMU gère les paris en dehors des hippodromes. Le Tiercé
créé en 1954 a été suivi d’u ne augmentation du nombre de
courses et d’une diversification des paris (Quarté, Quinté). Le
chiffre d’affaires du PMU est estimé à 8 mi lliards d’euros en
2006. Il existait en 2005, 8 881 points de vente du PMU. Les
paris à l’hippodrome représentent seu lement 4 % des paris hip-
piques en France. Les moyens de parier se sont diver sifiés ces
dernières années avec la télévision interactive (chaîne Equidia
créée en 1999), le pari sur Internet (depuis 2003) et sur télé-
phone mobile (depuis 2006). Au total, le nombre de parieurs
s’élevait à 6,8 millions en 2005.
La Française des jeux (FDJ) gère le Loto, successeur de la Lote-
rie nationale en 1980, le Loto sp ortif, le Keno ainsi que les jeux
de grattage. Il s’agit d’une société d’économie mixte dont l’Étatdétient plus de 70 % des parts sociales. Son chiffre d’affaires
s’élève à 9,7 milliards d’euros en 2007. Le nombre de points de
vente avoisine les 40 000 en 2005. Il est possible également dejouer sur Internet. Le nombre hebdomadaire de joueurs au Loto
est de 5 millions.
Les jeux de hasard et d’argent ont connu une croissance impor-
tante depuis 40 ans. En France, le chiffr e d’affaires de l’industrie
des jeux autorisés est passé de 98 millions d’euros en 1960 à
37 milliards d’euros en 2006, avec une accélération ces derniè-
res années. En 7 ans (1999-2006), les mises engagées par les
joueurs ont augmenté de 77 % pour la Française des jeux, de
91 % pour le PMU-PMH
2 et de 75 % pour les casinos.
2. PMU-PMH : Pari mutuel urbain-Pari mutuel hippodrome

7Synthèse
Le lancement de multiples nouveaux jeux (notamment Loto,
Jeux de grattage, Rapido, Euromillions pour la Française des
Jeux, Tiercé, Quarté, Quinté+ et de nombreuses autres formulespour le PMU), la légalisation des machines à sous dans les casi-
nos et plus récemment celle du poker, la multiplication desespaces de jeu (souvent d’extrême proximité pour la FDJ et lePMU), l’informatisation et le maillage ludique du territoirenational et enfin la forte médiatisation et la communication
commerciale permanente pour ces produits (tirages à la télévi-
sion, publicités, sponsoring…), expliquent – pour partie – lesuccès et la popularité des jeux d’argent. Ils occupent désormaisune place non négligeable dans les pratiques de loisirs enFrance. Par ailleurs, et même s’ils échappent par définition auxstatistiques nationales, les jeux clandestins, mais surtout la mul-tiplicité des sites de jeux en ligne illégaux avec des perspectivesde croissance, accentuent ce constat.
Les jeux de hasard et d’argent et les activités périphériques asso-
ciées ont une importance économique et financière (plus de
100 000 personnes en emplois directs) et participent au déve-
loppement de nombreux secteurs économiques, culturels etcommerciaux (notamment la filière cheval pour le PMU, l’ani-mation et la vie culturelle des stations thermales pour les casi-nos, le sport pour la FDJ…). Ce secteur contribue d’unemanière non négligeable aux finances de l’État (6 milliards
d’euros) et de 200 communes. Il redistribue de l’argent aux mil-
liers de joueurs gagnants, et également à différents organismes,structures, associations.
La réglementation et la législation, les différentes autorités de
contrôle et de tutelle (administratives, fiscales et policières)mises en place historiquement par les pouvoirs publics, ontgaranti l’équité et la sécurité des jeux de hasard et d’argent,tout en préservant globalement l’ordre public. Le double rôle
joué par l’État – dans cette activité économique, sociale, cultu-
relle particulière – en a assuré la protection mais aussi la crois-sance. Comment le conflit d’intérêt objectif qui en résulte
depuis longtemps pourra-t-il désormais être pris en comptedans le cadre de la politique de jeu responsable, souhaitée par

8Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
les pouvoirs publics et l’ensemble des acteurs du champ ludi-
que, mais également dans le cadre de la modernisation du sec-
teur des jeux et paris – terrestres et virtuels – voulue parl’Union Européenne (UE) ?
Qui joue aux jeux de hasard et d’argent en France ?
Les habitués des casinos sont à 41 % des inactifs sans emploi ou
retraités. Les plus de 50 ans et les moins de 30 ans représentent
chacun environ 30 % des joueurs de machines à sous, 57 % sont
des hommes.
Les 6 millions de parieurs du PMU sont à 65 % des hommes
âgés de 35 à 49 ans issus de milieux socioprofessionnels généra-
lement modestes. Parmi ces par ieurs, 55 % sont des clients
réguliers qui jouent surtout le week-end, 40 % sont des joueursoccasionnels attirés par les grands événements hippiques et 5 %
sont des passionnés qui jouent plusieurs fois par semaine.
En 2006, 29 millions de personnes ont joué à un jeu de la Fran-
çaise des jeux ; 49 % étaient des hommes, 51 % des femmes et34 % avaient moins de 35 ans. Les joueurs présentent à peu près
les mêmes caractéristiques socioprofessionnelles que la popula-
tion générale avec une légère sur-représentation des ouvriers et
des employés. Parmi les joueurs, il y a un peu plus de jeunes et
un peu moins de seniors que dans la population générale
3.
Les mises des joueurs ainsi que leurs dépenses nettes (leurs
mises moins leurs gains) ont augmenté de façon importante au
cours des dernières années. Les chiffres d’affaires des opérateurs
de jeux ont également augmenté au cours des mêmes années.En 2005, les taux de retour aux joueurs représentent environ
60 % du chiffre d’affaires pour la FDJ, plus de 70 % pour le
PMU et de 85 % pour les casinos. Selon le rapport du sénateur
3. Source des données : http://www.francaisedesjeux.com/groupe/essentiel-groupe/
chiffres-cles

9Synthèse
François Trucy (2006), la dépense en jeux de hasard et d’argent
est estimée à 134 euros par an et par habitant.
Évolution des mises et dép enses nettes annuelles des joueurs auprès
des trois opérateurs (d’après le rapport Trucy, 2006)
Apparition des jeux vidéo et sur Internet
Ce qu’on appelle pratique vidéo ludique est un phénomène
récent, apparu dans les années 1970, largement diffusé et trans-
formé dans les années 1990 avec Internet.
Les États-Unis et le Japon sont les deux pays créateurs de jeux
vidéo. Le premier jeu vidéo est produit dans les années 1950.
Space War est créé en 1962 par un étudiant du Massachusetts
Institute of Technology (MIT). La première console de jeu de
Nintendo date de 1983.
L’univers des jeux vidéo rassemble trois courants principaux : la
science-fiction, le jeu de rô le (notamment « Donjons et
Dragons ») et la simulation, c’est-à-dire un univers technique
(informatique et si mulation) autant qu’un univers imaginaire et
une pratique de jeu. La nouveauté qu’apportent ces jeux con-
siste dans le fait qu’ils proposent un espace potentiel où les
joueurs agissent autant, sin on plus, qu’ils imaginent.
Les jeux vidéo sont aujour d’hui transposés pour un nouveau
marché grâce à Internet donnant lieu à une nouvelle pratique
multijoueurs : jeux de rôle massivement multijoueurs
(MMORPG) ou jeu massivement multijoueurs (MMOG). CesAnnée FDJ PMU Casinos
Mises
(euros)Dépenses
nettes
(euros)Mises
(euros)Dépenses
nettes
(euros)Mises
(euros)Dépenses
nettes
(euros)
1999 175,35 74,16 656,09 202,37 1 776,80 213,55
2005 309,65 123,88 1 251,27 341,59 3 108,86 435,24

10Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
jeux peuvent durer de 20 minutes à un an, se jouer contre
d’autres joueurs ou bien contre la machine, nécessiter le dévelop-
pement de compétences spécifiques. Le jeu « World of Warcraft »
est un modèle MMORPG grand public réussi selon les indus-
triels. Il s’agit du jeu en ligne le plus joué au monde avec 9 mil-
lions d’abonnés en 2007. Le jeu implique de 2 à 40 joueurs qui se
déplacent dans tous les continents du monde. Il faut compter des
centaines d’heures pour acquérir un certain niveau. Il est possible
d’obtenir des gratifications dès l’entrée dans le jeu pour des épreu-ves faciles, puis des promesses de récompenses plus importantes
accompagnent les tâches plus difficiles. Les joueurs étant toujours
sur le point d’acquérir de nouvelles compétences augmentent leurtemps de jeu pour obtenir ces nouvelles récompenses.
«Second Life » est un univers virtuel en 3D sorti en 2003 .
Espace de simulation plus que jeu, il permet à l’utilisateur de
vivre une sorte de « seconde vie ». La majeure partie du mondevirtuel est créée par les résidents eux-mêmes qui y évoluent au
travers des avatars qu’ils créent. Il s’agit également d’un forum
Internet où s’échangent des débats, expositions, conférences,formations, mariages. Cet univers est fortement investi par des
organisations (industries, partis politiques, grandes écoles…)
qui l’utilisent comme vitrine et moyen de marketing. Il illustreun certain effacement des frontières entre monde ludique,
monde économique, lieu de sociabilité et lieu d’information.
L’entrée dans la vie sociale des jeux vidéo et d’Internet est un
phénomène récent. Ces jeux sont encore peu étudiés, surtout
en France.
Selon une enquête française en 2002, 80 % des enfants de 8 à
14 ans disent jouer aux jeux vidéo, 53 % des enfants déclarentjouer 2 heures par semaine ou moins et 26 % passent plus de
4 heures par semaine à jouer
4.
C’est la première fois dans nos sociétés qu’apparaît ce type de
jeu, tout à fait nouveau, entièrement lié à l’extension des tech-
4. Source des données : http://www.tns-sofres.com/etudes/consumer/181202_jeuxvideo.htm

11Synthèse
niques de communication. La jeunesse des personnes les plus
joueuses s’analyse comme un effet de génération, les jeux vidéo
nécessitant des compétences qui relèvent d’une culture del’écran et de l’informatique. Par ailleurs, ces pratiques ludiques
correspondent à une socialisation entre pairs et à une recherche
de réassurance identitaire.
Les travaux qualitatifs comme quantitatifs notent la prépondé-
rance de la population masculine dans la pratique des jeux
vidéo. Par ailleurs, leur niveau socioculturel est généralement
élevé. La moyenne d’âge serait de 26 ans
5. Selon certains
auteurs, la sur-représentat ion masculine s’explique parce que
l’essentiel des jeux proposés correspond plus à la socialisation
masculine (qui valorise l’agressivité, les jeux violents).
Concernant l’utilisation d’Internet, l’Insee indique en 2006 que
parmi les jeunes utilisateurs d’Internet (15 à 18 ans), 34 % l’uti-
lisent pour jouer. Une étude récente auprès de parieurs sportifs
sur Internet indique que plus de 91 % des joueurs sont des hom-mes, la moyenne d’âge étant de 31 ans.
Impacts socioéconomiques et dommages liés aux jeux
La majorité des études recensées (États-Unis, Nouvelle-Zélande, Australie, Angleterre, Suède, Allemagne…) se sontintéressées aux impacts socioéconomiques de la libéralisation et
du développement du gambling , soit au niveau d’une commu-
nauté ou d’une localité spécifique, soit au niveau national. Cesétudes portent majoritairement su r les effets « problématiques »
de l’exploitation du gambling : paupérisation accrue, surendette-
ment, suicide, problèmes familiaux, divorce liés au jeu, conco-
mitance du jeu avec des addictions « avec substance » (alcool,
drogue…). Le gambling entraînerait davantage de problèmes
sociaux chez les populations les plus pauvres car le pourcentage
5. Entre 22 et 30 ans pour Roustan (2005), 25 ans selon Yee (2001)

12Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
des dépenses ludiques y est plus important, même quand les
sommes consacrées au jeu sont plus réduites. Le gambling peut
également démanteler les liens communautaires et familiauxqui font, dans le pire des cas, que des joueurs invétérés peuvent
se ruiner dans le jeu et se retrouver sans ressources.
Pour les résidents du Nevada, la légalisation des jeux a apporté
des bénéfices économiques, de nouveaux emplois, mais égale-ment des coûts sociaux. Selon les habitants du Nevada, certai-
nes personnes jouent plus qu’elles ne peuvent se le permettre,
mais dans le même temps, la légalisation des jeux a donné une
meilleure qualité de vie à leur communauté. Cependant, la per-
ception de ces avantages et inconvénients varie selon les sous-
populations étudiées (niveau d’éducation, travaillant ou nondans l’industrie du jeu…).
Au Canada, une enquête au sein d’une population de joueurs
(pris en charge par les Joueurs anonymes) révèle environ 25 à
33 % de pertes d’emploi et de faillites personnelles liées aux jeux.
En France, une étude exploratoire menée auprès des personnes
consultant l’association « SOS Joueurs » avait montré qu’uneproportion majoritaire des joueurs interrogés avait été confrontée
au surendettement, près de 20 % ayant commis des délits
(notamment abus de confiance, vol, contrefaçon de chèques…).
En termes de taux de suicide et de divorce, une enquête réalisée
dans huit régions aux États-Unis, entre 1991 et 1994, ne relèvepas de différence significative entre les régions qui ont un
casino et les communautés témoins. Cependant, sur une
période plus longue (1970-1990), une corrélation positivemodeste a été observée entre le taux de suicide et la présence
d’un casino dans des zones urbaines. Ce résultat n’est pas
retrouvé dans l’analyse des taux de suicide avant-après la légali-
sation des jeux.
Les études (notamment aux États-Unis et au Canada) sont
divergentes à propos du lien entre la présence d’un casino dans
une région et l’évolution des taux de criminalité.
Dans une étude en Australie, le jeu problématique serait 20 fois
plus élevé chez les détenus que dans la population générale.

13Synthèse
Une autre étude concerne des suspects arrêtés dans deux villes
américaines. On retrouve 3 à 4 fois plus de joueurs problémati-ques que dans la population générale.
Coût social du jeu
Le calcul du coût social du jeu a pour objectif de fournir une
estimation chiffrée des conséquences économiques et sociales
néfastes de la pratique du jeu dans une aire géographique
donnée à un moment donn é. Pour avoir un sens, il doit impéra-
tivement reposer sur un cadre méthodologique rigoureux.
L’approche économique classique, fondée sur les enseignements
de la théorie du bien-être, sans être la seule possible, apparaîtcomme l’une des plus solides, à condition d’être conscient de
son intérêt et de ses limites.
Jusqu’à présent, le domaine des jeux a été relativement peu
étudié en économie. Les études s’intéressant spécifiquement au
calcul du coût social sont presque toutes d’origine anglo-saxonne. Elles concernent exclusivement les jeux de hasard et
d’argent et font apparaître une immense variété d’approches et
de résultats. Le 1
er symposium international sur les répercussions
économiques et sociales des jeux de hasard et d’argent (Whistler,
Canada, septembre 2000), puis la 5e conférence annuelle
d’Alberta sur la recherche dans le domaine des jeux de hasard etd’argent (Banff, Canada, avril 2006) ont tenté de mettre un peu
d’ordre dans cette cacophonie de lignes de recherche, mais, au
final, il n’a pas encore été possible de trouver un consensus surun cadre d’analyse des répercussions économiques du jeu. Les
controverses méthodologiques concernent la définition des
objectifs pou rsuivis (choix du point de vue et du scénario con-
trefactuel), la détermination des coûts à inclure dans l’analyse
(questions du traitement des « transferts », des « coûts
internes », des « coûts familiaux », des coûts liés à la configura-
tion institutionnelle du pays et des « coûts discrétionnaires »)
et des méthodes de mesure de ces coûts (identification de sour-
ces de données fiables et représentatives de la population,

14Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
estimation des coûts attribuables au jeu et monétarisation des
coûts intangibles).
On ne peut que regretter l’absence de consensus car l’adoption
d’un cadre d’analyse commun, même imparf ait, aurait de nom-
breux avantages, notamment une meilleure lisibilité et une plus
grande comparabilité des estimations proposées. Quatre études
d’envergure nationale, menées aux États-Unis, en Australie, au
Canada et en Suisse, méritent d’être signalées. L’étude austra-
lienne, la plus complète, sert habituellement de référence. Elle
a évalué le coût social total du jeu problématique en 1997-
1998 à une fourchette allant de 1,8 à 5,6 milliards de dollars
australiens.
Si le coût social total du jeu est difficilement interprétable en
tant que donnée brute, l’analyse de sa composition est en
revanche très instructive. D’une part, les coûts liés au jeu sont,
en très grande majorité (90 %), des coûts psychologiques dans
le petit groupe des joueurs à problèmes et supportés par eux-
mêmes et leur entourage. La comparaison avec le coût social
des drogues estimé en Australie indique par ailleurs que l’acti-
vité jeu impose proportionnellement plus de coûts intangibles
que la consommation de drogues licites et illicites. D’autre
part, l’estimation des coûts par type de jeu révèle d’importantes
différences selon les catégories et désigne les machines à sous
(et les paris dans une moindre mesure) comme les plus généra-
trices de coûts.
Le rapport Trucy résume bien l’état de la recherche en France
sur le coût social du jeu : « En France ? Rien sur le sujet
comme sur le reste des jeux. Ceci est pour le moins décevant,
même s’il est bien évident qu’il est extrêmement difficile de
faire ces calculs ». À l’heure actuelle, nous n’avons donc pas
d’autre choix que de nous appuyer sur les estimations faites à
l’étranger, que l’on peut essayer d’apprécier en les comparant
aux estimations du coût social faites en France dans le domaine
des drogues. On constate que le coût social du jeu estimé en
Australie (coûts tangibles uniquement) est à peu près égal aucoût social du cannabis estimé en France (15 euros par habi-
tant par année).

15Synthèse
Comparaison de l’estimation du coût social du jeu en Australie (1998)
avec les estimations du coût social des drogues en Australie et enFrance (coûts tangibles uniquement)
L’analyse du coût social permet également de tirer un certain
nombre d’enseignements utiles à l’élaboration des politiques
publiques. Tout d’abord, le montant estimé apporte une justifi-
cation théorique à l’intervention de l’État et en ce sens, la com-paraison avec d’autres types d’activité peut aider à fixer les
priorités. Ensuite, il est également très précieux pour définir la
forme souhaitable de l’intervention de l’État. Ainsi, puisqu’il
ressort qu’une part très importante du coût social du jeu repose
sur des coûts dits « internes », c’est-à-dire les coûts que la mino-
rité de joueurs très dépendants s’impose à elle-même, le
domaine des jeux appa raît comme un domaine d’application
idéal du concept de « paternalisme asymétrique ». Ce concept
propose de mettre en place des politiques ciblant spécifique-
ment le petit groupe des joueurs à problèmes (ceux qui, à la fois,
créent et supportent la plus grande partie des coûts) sans péna-
liser les autres. En effet, la ma jorité de joueurs non dépendantsCoût social par habitant, en eurosa
Australie France
Activité CTTb CT Ac CT A
Ta b a c 435d225d770f
Alcool 155d 120d 600f
Drogues illicites dont cannabis 60d 45d 45f
15g
Jeu 50-160e 5-16e
a En euros, au prix de l’année d’étude, au taux de change courant ; b CTT : coût total ; c CT A : coûts
tangibles uniquement ; d Collins et Laspsley (1996), estimation pour 1992 ; e Productivity Commission
(1999), estimation pour 1997-1998 ; f Kopp et Fenoglio (2006), estimation pour 2003 ; g Ben Lakhdar
(2007), estimation pour 2003

16Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
génère peu, voire pas, de coûts sociaux et prend du plaisir à
jouer. En outre, si on retient l’hyp othèse d’une rationalité limi-
tée liée à une incohérence temporelle chez les joueurs dépen-dants, il peut être utile de favoriser les mécanismes d’auto-
contrôle (les interdictions volont aires dans les casinos par
exemple) qui permettent aux joueurs de ne pas succomber àleurs préférences et les aident à sortir de leur dépendance.
Enfin, il est essentiel que les politiques publiques ciblent priori-
tairement les jeux produisant le plus de coûts et s’adaptent audéveloppement des jeux sur Internet.
L’analyse de la littérature sur le coût social du jeu révèle l’éten-
due des débats en cours et souligne la nécessité de poursuivre la
recherche. Alors que les Français semblent de plus en plus atti-rés par les jeux de hasard et d’argent et que l’offre de jeux est en
pleine évolution, il serait plus qu’utile de disposer d’indicateurs
pour la France.
Quelles sont les motivations des joueurs ?
Un certain nombre d’études soci ologiques se sont intéressées
aux motivations de populations homogènes spécifiques. Ainsi,pour les plus de 65 ans, se relaxer et s’amuser, passer le temps,
lutter contre l’ennui sont les motivations les plus citées par les
joueurs. D’autres études ont analysé par exemple les motiva-tions de quatre communautés ethniques différentes (maghré-
bine, chinoise, haïtienne et centre-américaine) à Montréal :
pour ces communautés, l’espoir de faire des gains significatifs et
d’améliorer leur situat ion économique, constitue une motiva-
tion importante au jeu. Le souhait de se rapprocher de la cul-
ture du pays d’accueil pour ne pas se sentir exclu est égalementune motivation pour le jeu même si cette pratique est en con-
tradiction avec la culture traditionnelle d’origine (par exemple
maghrébine). Le fait de croire à la chance et au surnaturelintervient dans les représenta tions du jeu pour les cultures chi-
noise et haïtienne. Le jeu fait partie de la vie sociale et familiale
dès le plus jeune âge dans les pays d’Amérique centrale.

17Synthèse
Des travaux sociologiques ont étudié les comportements,
rituels, circulations, échanges, conversations des joueurs.
L’étude fine des joueurs, en situation naturelle de jeu, est utile
pour comprendre la perspective sociale et culturelle des jeux
d’argent contemporains, y compris quand leur pratique apparaît
excessive aux représentations de sens commun.
Ces recherches qualitatives permettent de mieux cerner les dif-
férentes « catégories » de joueurs, non pas d’un point de vue
sociologique vis-à-vis de caractéristiques sociales, mais en fonc-
tion des pratiques de jeu. Certains auteurs ont proposé une
typologie des joueurs en huit catégories ou portraits psychoso-
ciologiques représentant chacun 8 à 21 % de la population
étudiée : l’individualiste, le décalé, le dilettante, l’élitiste,
l’entreprenant, l’aventurier, le sérieux, le conservateur. Chacun
de ces profils peut être positionné par rapport à deux axes :
niveau de risque ou de sécurité, niveau d’implication dans l’acte
de jouer (s’amuse/joue).
Typologie psychosociologique des joueurs (d’après Lewy, 1994)
La biographie, le témoignage, le portrait sont également sollici-
tés dans les études sociologiques qualitatives. Une « conversa-
tion sociologique avec un joueur » montre que l’histoire de jeuRISQUE
SÉCURITÉAVENTURIER
SÉRIEUX
JOUE
CONSERVATEURDÉCALÉÉLITISTE
ENTREPRENANTINDIVIDUALISTEDILETTANTE
S'AMUSE

18Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
du joueur problématique s’inscrit dans son histoire de vie et sa
biographie. Par ailleurs, cette co nversation illustre le va-et-
vient dans lequel se débattent souvent certains joueurs exces-sifs, entre « la mise à distance esthétique de la pratique problé-
matique du jeu, et la douloureuse confrontation avec le réel ».
Approches psychanalytiques du jeu
Le texte psychanalytique le plus célèbre sur le jeu reste
« Dostoïevski et le parricide » de Freud (1928) qui contient unepart essentielle des réflexions psychanalytiques sur le jeu dans
lequel « on ne peut voir (…) autre chose qu’un accès indiscuta-
ble de passion pathologique ».
Cette passion, selon Freu d, a la fonction psychique d’une con-
duite d’autopunition : « Quand le sentiment de culpabilité de
Dostoïevski était satisfait par les punitions qu’il s’était infligées
à lui-même, alors son inhibition au travail était levée et ils’autorisait à faire quelques pas sur la voie du succès ». Le parri-
cide, qui hante l’œuvre de l’écrivain, serait la clé de voûte de sa
conduite masochiste.
Ce texte propose, comme mécanisme profond de la conduite du
joueur pathologique, une problématique qui est celle de l’inté-
gration de la Loi, dans la mesure où le meurtre du père, et les
mécanismes de son refoulement ou de son dépassement, sont à
la fois à la base, pour l’individu, de la constitution des instances
morales, et pour l’humanité, une condition de l’intégration de
l’individu comme membre de la communauté humaine, de la
civilisation.
La passion du jeu est connotée expressément par Freud à une
dimension pathologique. Ainsi, le jeu, « passion pathologique »
ruineuse, prend valeur de conduite de « châtiment de soi-
même » corrélée au vœu de « mise à mort du père ».
Selon Bergler (1936, 1957), comme dans le cas de Dostoïevski,
les joueurs pratiquent « le jeu pour le jeu », et pour le mystérieux
frisson ( thrill), sensation ineffable réservée aux initiés. Le joueur

19Synthèse
est à considérer comme un névrosé, animé par un désir incons-
cient de perdre, donc par le mas ochisme moral, le besoin incons-
cient d’autopunition. Expression d’ une « névrose de base »
correspondant à une régression orale, le jeu serait la mise en acte
d’une séquence toujours identique, représentant une tentativeillusoire d’éliminer purement et simplement les désagréments
liés au principe de réalité, au pr ofit du seul principe de plaisir.
Cette opération nécessite un retour à la fiction de la toute-puis-
sance infantile, et la rébellion contre la loi parentale se traduit
directement, chez le jo ueur, par une rébellion latente contre la
logique. L’agression inconsciente (contre les parents, représen-
tant la loi, et la réalité), est suiv ie d’un besoin d’autopunition,
impliquant chez le joueur la nécessité psychique de la perte. Le
cynisme, la froideur apparente, la maîtrise affichée par les joueurs
ne seraient que le masque d’un sentimen t de faiblesse infantile.
Le cynisme serait tentative de justification ou d’attribution à tous
les autres, de sentiments aussi hostiles que ceux qu’inconsciem-
ment le joueur entretient vis-à-vis des figures parentales. La
superstition, les rituels « magiques », seraient la règle, malgré les
protestations véhémentes des joueurs à ce sujet. Au même titre
que les systèmes ou martingales censés conduire au gain, ces arti-
fices ne seraient que l’expression brute de la croyance mégaloma-
niaque infantile dans la capacité à diriger le destin.
Ainsi, Bergler élabore une liste de critères permettant de
« définir » le joueur pathologique, en contrepoint du joueur
« social » ou récréatif : prise habituelle de risques, envahisse-
ment de la vie par le jeu, optimisme pathologique, incapacité
de s’arrêter de jouer, escalade des enjeux, « frisson » du jeu.
Fenichel (1945) décrit le jeu comme un « combat contre le
destin », et le jeu pathologique comme une perte de contrôle :
« Sous la pression des tensions internes, le caractère badin peut se
perdre ; le Moi ne peut plus contrôler ce qu’il a mis en train, et
est submergé par un cercle vicieux d’anxiété et de besoin violent
de réassurance, angoissant par son intensité. Le passe-temps pri-
mitif est maintenant une question de vie ou de mort. » Fenichelfait par ailleurs la distinction entre des névroses « compulsives »,
où le sujet est obsédé par l’idée, comme imposée de l’extérieur,

20Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
de commettre un acte, et contre laquelle il lutte, et des
« névroses impulsives », où l’acte est commis de façon syntone aumoi. La base de la classification des « troubles du contrôle des
impulsions » du DSM trouve ici son origine, et Fenichel classe
dans les névroses impulsives, outre le jeu, la pyromanie et les
fugues impulsives.
Jacques Lacan (1978), dans son séminaire sur la lettre volée,
pose de façon plus philosophique et lapidaire la question du
joueur : « Qu’es-tu, figure du dé que je retourne dans ta rencon-tre (τυχη ) avec ma fortune ? Rien, sinon cette présence de la
mort qui fait de la vie humaine ce sursis obtenu de matin en
matin… ». Dans cette approche « d e sens », la psychanalyse
rejoint des questions philosophiques, voire cosmologiques…
La dimension impérative de la passion prime sur la composante
interrogative du jeu : défiant les « lois mécaniques » du hasardet leurs calculs, le joueur somme l’Autre de se manifester et de
lui signifier son droit à l’existen ce, dévoilant ainsi les termes
d’une mathématique terri fiante de la relation à l’Autre, sous le
joug de la procédure ordalique. La logi que sous-tendant l’ordalie
compulsive du joueur conduit Marc Valleur (1991) à modifier
l’équation freudienne de la compulsion à perdre du joueur :
« s’il ne joue certes pas pour gagner, il ne joue pas non plus poursystématiquement perdre, mais pour les instants vertigineux où
tout – le gain absolu, la perte ultime – devient possible ».
Approches cognitives
Plusieurs travaux s’intéressent aux croyances « irrationnelles »
observées chez les joueurs. Ces travaux soulignent en particulier
chez les joueurs l’illusion de contrôle, la méconnaissance de
« l’indépendance des tours », les superstitions et corrélations
illusoires. L’illusion de contrôle est le fait qu e les joueurs attri-
buent à leur habileté ou à leur savoir les résultats de séquences
purement hasardeuses. Cett e illusion de contrôle est augmentée
par tous les aspects « pseudoactifs » du jeu (les machines à sous

21Synthèse
avec des leviers, les tickets de loterie qu’il faut remplir soi-
même…). Ils s’attribuent plus ou moins « magiquement » le
pouvoir de prédire des résultats, par exemple en faisant des« martingales ».
Qu’il s’agisse de machines à sous, de roulette, ou d’autres jeux,
certains joueurs pensent que les résultats d’une séquence de jeu
vont dépendre des résultats des « tours » précédents, alors que les
dispositifs sont conçus pour que chaque tour soit indépendant
des autres. L’erreur du joueur consiste à croire qu’une série per-
dante doit être suivie d’une série gagnante, et l’erreur de la
« série gagnante » à croire au contraire qu’une série va forcément
se poursuivre. Ces deux erreurs sont des variantes de la non
reconnaissance de l’indépendanc e des tours. La « chasse », le fait
de tenter de se refaire, est souvent présentée comme spécifique
du jeu excessif, mais parfois comme une variante de ces erreurs.
Enfin, les superstitions et corrélations illusoires, extrêmement
fréquentes et variées, sont parfois encouragées par les publicités
ou les dispositifs ludiques. Les « quasi gains » constituent des
facteurs de renforcement de la conduite de jeu.
Il convient cependant de noter qu’il existe des jeux de semi-
habileté, dans lesquels il y a un certain effet des connaissances
(pronostics par exemple) ou du savoir-faire du joueur (poker par
exemple), et qui entraînent également des situations de jeu
excessif.
On constate que les erreurs cognitives sont retrouvées chez tous
les joueurs ; elles sont sans doute plus fréquentes chez les
joueurs excessifs. Mais, ceci ne permet pas d’affirmer une rela-
tion causale. On constate par ailleurs qu’une meilleure connais-
sance des statistiques, des probabilités et des dispositifs ludiques
n’influence que peu les prati ques ludiques elles-mêmes.
Certains auteurs décrivent chez les joueurs problématiques une
stratégie de fuite de la réalité ou des affects négatifs et la
recherche de distraction par un engagement dans une tâche de
substitution. Le jeu sert également à « remplir un vide »,à tenir lieu de socialisation, à év iter les responsabilités. Une
dimension de cercle vicieux apparaît aux joueurs eux-mêmes,

22Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
l’illusion de contrôle jouant un rôle (secondaire) dans le main-
tien du processus.
Nombre de travaux qui ont étudié l’excitation des joueurs lors des
séquences de jeu en situation « naturelle » montrent que l’excita-
tion est plus forte lors des gains. L’idée d’une tolérance à cette
excitation chez les joueurs réguliers reste toutefois à démontrer.
Les relations entre jeu, prise de risque et recherche de sensa-
tions sont complexes et impliquent de prendre en compte les
différents types de jeu, l’histoire de la pratique ludique et la
typologie des joueurs. La recherche de sensations peut être con-sidérée comme un indicateur de la tendance à jouer, mais elle
ne permet pas de distinguer les joueurs problématiques des
autres joueurs.
Il est également possible de situer les dimensions de prise de
risque ou de recherche de sensations dans le cadre de la trajec-
toire du sujet, la conduite de jeu n’ayant pas la même significa-
tion dans les différentes phases de cette trajectoire. Une
conduite initialement « aventureuse » au moment de la décou-
verte du jeu et de l’initiation peut de venir, au fil de l’installation
de l’habitude, un refuge dans une routine désorm ais prévisible.
Impulsivité et capacité d’autorégulation
L’impulsivité qui résulte d’une difficulté d’autorégulation ou
d’autocontrôle est au cœur de la définition du jeu pathologique.De nombreuses études ont exploré les relations entre le jeu pro-
blématique/pathologique et les aspects contrôlés versus plus
automatiques (motivationnels) de l’autorégulation.
Les relations entre le jeu problématique ou pathologique et les
aspects contrôlés de l’autorégulation ont été examinées de deux
façons : à partir de questionnaires qui évaluent l’impulsivité
(laquelle est ainsi considérée comme résultant de faibles capacitésd’autorégulation), et à partir de tâches cognitives qui explorent les
fonctions exécutives (telles que les capacités d’inhibition, de pla-
nification, de flexibilité…) et les capacités de prise de décision.

23Synthèse
La plupart des études ayant utilisé des questionnaires d’impulsi-
vité ont montré des niveaux d’impulsivité plus élevés chez desjoueurs pathologiques que chez des participants témoins. Cesétudes ont révélé des liens positifs entre hauts niveaux d’impulsi-
vité et profil de joueurs à risque au sein de la population générale
ou dans des populations d’ étudiants universitaires. Par ailleurs, le
niveau d’impulsivité constitue un fa cteur prédictif de la sévérité
des symptômes de jeu pathologique ; il est également lié à une
plus grande probabilité d’abandonner une prise en charge psycho-
thérapique et à une moindre efficacité de cette dernière.
Les études ayant exploré les aspects contrôlés de l’autorégula-
tion au moyen de tâches cognitives ont obtenu des résultatsplus hétérogènes que les études à base de questionnaires.Cependant, des difficultés ont été observées, en lien avec le jeu
pathologique et/ou probl ématique, dans la capacité d’inhiber
une réponse dominante (ou automatisée), dans la capacité deprendre en compte les conséquences positives ou négatives
d’une décision, dans la capacité de d ifférer des récompenses, de
se projeter dans le futur et d’estimer le temps.
Les liens entre jeu problématique/pathologique et les aspects
automatiques de l’autorégulation (essentiellement explorés par
l’intermédiaire de questionnaires évaluant la reche rche de sensa-
tions ou des concepts apparentés) sont nettement plus équivo-
ques que les relations unissant le jeu problématique/pathologique
et les aspects contrôlés (exécutifs) de l’autorégulation. Ce pro-
blème tient vraisemblablement au fait que les échelles utiliséespour explorer la recherche de sensations n’évaluent pas les activi-
tés spécifiques par lesquelles un joueur recherche de s récompen-
ses et/ou des stimulations. Néanmoins, les études ayant examiné
la recherche de sensations chez les joueurs ont fourni certainesdonnées intéressantes, suggérant de futures pistes de recherche.
Ainsi, un lien positif a été observé entre la recherche de sensa-tions et le nombre d’activités de jeu pratiquées. Il a également étéobservé que des joueurs réguliers se distinguaient quant à leur
niveau de recherche de sensations selon les activités de jeu prati-
quées. Ainsi, des joueurs privilégiant le jeu en casino ont une
recherche de sensations plus élevée que les personnes pariant sur
les courses de chevaux et les personnes faisant des paris sur les

24Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
lieux de course ont une recherche de sensations plus élevée que
des personnes jouant dans les cafés.
Pour l’essentiel, il apparaît que les difficult és d’autorégulation
sont en lien avec le jeu pr oblématique/pathologique. Cepen-
dant, l’apport des études ayant exploré cette question reste assez
limité dans la mesure où ces études ont été réalisées sans réfé-rence claire à un modèle théorique spécifiant à la fois les diffé-
rentes facettes de l’autorégulation ou de l’impulsivité (avec les
mécanismes cognitifs et motivationnels associés) et la contribu-tion de chacune de ces facettes au développement, au maintien
et/ou à la rechute du jeu pathologique. Il s’agirait en particulier
de considérer les relations complexes qu’entretiennent le niveau
motivationnel et le niveau d’autorégulation contrôlée (fonctionsexécutives et prise de décision) à différents moments de la créa-
tion d’habitudes de jeux. Ainsi, le passage du statut de joueur
« social » à celui de joueur « à problèmes » pourrait résulter de
l’interaction entre une hypersensibilité aux renforcements posi-
tifs liés au jeu (aspects motivation nels de l’impulsivité) et de fai-
bles capacités exécutives (aspects exécutif s de l’impulsivité).
Illustration des relations hypothétiques entre le jeu problématique/
pathologique et les différents mécanismes exécutifs et motivationnels
sous-tendant les différentes facettes de l’impulsivité distinguées par
Whiteside et Lynam (2001)Difficultés d’inhibition d’une
réponse dominante
(automatique) UrgenceDifficultés à résister à l’envie
de jouer (« craving »), dans un
contexte émotionnel intense
Prise de décision non
optimaleManque de
préméditationAbsence de prise en compte
des conséquences négatives
découlant du jeu (aspects
financiers, sociaux)
Difficultés d’inhibition de
pensées ou souvenirs
intrusifs Manque de
persévéranceOccurrence de pensées et/ou
de souvenirs intrusifs en lien
avec le jeu
Hypersensibilité aux
renforcements positifs Recherche de
sensationsRecherche des aspects
hédoniques et/ou de
l’excitation provoqués
par le jeu

25Synthèse
Enfin, il faut relever que la caractérisation du joueur pathologi-
que comme un être essentiell ement impulsif, irrationnel et
dépendant (caractérisation largement déterminée par le con-texte social et culturel dans lequel l’en tité « joueur pathologi-
que » est née) a considérablement limité l’exploration des
multiples facteurs psychologiques (conscients et non cons-cients) qui motivent le joueur. De plus, cette conception a con-
duit à des explorations transversales et statiques de personnes
considérées comme appartenant à une catégorie distincte etlimitée, plutôt que de considérer le jeu problématique comme
une étape particulière pouvant affecter un grand nombre de
personnes dans leur trajectoire de joueur.
Facteurs de vulnérabilit é et trajectoires
Les facteurs de risque et de vulnérabil ité sont d’une part des fac-
teurs liés à l’objet d’addiction ou facteurs structurels, d’autre
part des facteurs liés à l’environnement et au contexte ou fac-teurs situationnels, et en fin des facteurs liés au sujet ou facteurs
individuels.
Du point de vue des facteurs structurels, les différents types de
jeu font l’objet d’une attention de plus en plus grande au niveau
de la littérature scientifique internationale avec l’idée que tousne comportent pas le même risque addictif. À ce titre, plusieurs
auteurs considèrent que plus le délai entre la mise et le gain
attendu est réduit, et plus la fréquence possible de répétition dujeu est élevée, plus ce risque serait grand. Un tel constat mérite
certainement confirmation à travers des études bien menées.
L’impact d’un gros gain initial est un des facteurs classiques d’ins-
tallation du jeu excessif. Ce facteur est retrouvé dans les étudesportant sur des joueurs pathologiques rencontrés en consultation.
Le développement des jeux de hasard et d’argent sur Internet,
tout à fait manifeste depuis quelques années, oblige à réfléchir à
la place et à l’impact spécifique de ce média. Les rares études sur
ce sujet mettent en avant les notions d’anonymat, d’accessibilité,

26Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
de désinhibition et de confort, susceptibles de favoriser des prati-
ques d’abus et de dépendance. L’impact de l’offre et de la dispo-
nibilité des jeux en termes de facteurs de risque fait l’objet dediscussions comme pour d’autres addictions.
Du point de vue des facteurs situationnels, c’est avant tout
l’impact des facteurs socioéconomiques qu’il faut mettre en
avant, avec la notion bien établie qu’un support social réduit et
un bas niveau de ressources-emploi se trouvent corrélés avec la
prévalence du jeu pathologique et du jeu à risque. Plusieursétudes se sont intéressées à la position et l’investissement des
parents en termes de facteur de risque ou de protection vis-à-vis
des conduites de jeu excessif ( gambling ) de leurs enfants. Elles
mettent en avant que la place et l’acceptation du jeu par les
parents ont un impact sur la fréquence des conduites de jeu et des
problèmes liés au jeu chez les enfants et également que l’autoritébienveillante est une position plus protectrice qu’un climat fami-
lial plutôt laxiste ou au contraire marqué par l’autoritarisme.
Du point de vue des f acteurs individuels, l’initia tion au jeu s’est
faite dans la majorité des cas durant la période de l’adolescence ;
c’est ce que tendent à montrer les études portant sur des joueurspathologiques consultant des structures de soins spécialisés. Laprécocité du contact avec le jeu semble un facteur de gravité, à
l’image de ce qui prévaut dans les addictions à des substances
psychoactives. Les personnes âgées constituent une population à
risque pour les loteries et les machines à sous.
Les antécédents familiaux de jeu pathologique (avec la notion
d’agrégation familiale), de conduites addictives, de personnalité
anti-sociale et, à un moindre degré, les autres troubles mentaux
apparaissent plus importants chez les joueurs pathologiques. Desantécédents de maltraitance dans l’enfance ont été retrouvés
associés à des conduites de jeu pathologique plus précoces et
plus sévères. De la même manièr e, des comorbidités psychiatri-
ques constituent des facteurs de ri sque indiscutables d’une ini-
tiation de la conduite de jeu quand elles sont préexistantes, et
pour son aggravation dans tous les cas.
Il apparaît que les facteurs de risque et de vulnérabilité sont du
même ordre que ceux retrouvés à propos de l’ensemble des con-

27Synthèse
duites addictives, en particulier les addictions à des substances
psychoactives. Le sujet le plus à risque de s’engager dans desconduites de jeu pathologique aurait ainsi le profil d’un homme
jeune, sans emploi et à faibles revenus, célibataire et peu inté-
gré sur le plan socioculturel.
Plusieurs études se sont spécifiquement intéressées à l’associa-
tion de conduites de jeu pathologique à d’autres conduitesaddictives, en particulier l’alcool, ainsi qu’à des conduites
impulsives et délinquantes, surtout chez des hommes jeunes.Elles font apparaître que les troubles précoces du comportement
et de l’attention précèdent différents troubles addictifs et de
conduites. Le jeu pathologique comme la plupart des autres
conduites addictives, résulterait de la combinaison de différents
facteurs de risque et de vulnérabilité, combinaison (en propor-tions variables) qui vient spécifier au cas par cas le profil dechaque situation et parcours.
Concernant les trajectoires, il existe peu d’études consacrées à
ces parcours et la plupart ne permettent pas de préciser la chro-nologie exacte de l’histoire des pratiques plus ou moins contrô-
lées de jeu de hasard et d’argent.
Quelques études bien menées ont cependant, au cours des
toutes dernières années, permis de mesurer l’absence de stabilité
dans le temps du statut de joueur pathologique.
Le fait que ces problèmes de jeu apparaissent, à un niveau indi-
viduel, plus transitoires et épisodiques que continus et chroni-
ques incite fortement à développer des études de cohortes en
population générale sur de longues durées. De telles étudesdevraient mieux cerner la réalité complexe de ces parcours et
les facteurs en jeu dans les périodes de rétablissement et aussi derechute, de façon à en tirer le maximu m d’enseignements en
termes de prévention et d’indication thérapeutique.
Apport des neurosciences
L’essentiel des données publiées dans le domaine des neuroscien-ces concerne les addictions due s aux substances psychoactives.

28Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
Cependant, comme les addictions sans subtances présentent les
mêmes symptômes et même un syndrome de sevrage, on peutpenser que ces manifestations cliniques reflètent les mêmes dys-fonctionnements cérébraux et relèvent d’une physiopathologiecommune, celle de l’Addiction
6. Il est généralement admis que le
syndrome d’Addiction est la fin d’un processus qui s’insère dans
un cycle (ou une spirale) dans la mesure où après sevrage, dans80 % des cas, il y a rechute.
Le passage de l’usage occasionnel à l’usage chronique et à
l’Addiction est cliniquement caractérisé par une perte progressivedu contrôle sur la conduite de consommation et une pratique
compulsive de la recherche de l’objet et de sa consommation ; et
ce en dépit des conséquences graves pouvant survenir à l’individuet à son entourage, et du développement d’un état affectif négatif
qui précipite la rechute.
À un stade avancé d’une pratique de consommation qui devient
de plus en plus impulsive, l’individu est pris dans une spiralealiénante totalement centrée sur le seul objet.
Pratique consommatoire impulsive
L’Addiction étant installée, c’est-à-dire un état compulsif, le
sujet s’enferme dans une autre spirale.
6. L’Addiction (avec une majuscule) caractérise la maladie chronique à rechute et le syndrome
commun à toutes les addictions et l’addiction (sans majuscule) caractérise une addiction à un objet.Acte impulsif
Plaisir, soulagement,
gratification Regret, culpabilité,
reprocheTension,
activation centrale

29Synthèse
Pratique consommatoire compulsive
À ce stade ultime du processus, l’individu est en grande souf-
france et les changements cérébraux plus difficilement réversi-
bles conduisent à un état chronique de maladie qu’est
l’Addiction.
Représentation neuropsychologique du syndrome commun de
l’Addiction : mise en relation des symptômes tels qu’ils sont décrits
en termes cliniques et les régions et systèmes qui correspondraient,
connaissant les fonctions qu’ils modulent (d’après Koob et Le Moal,
2001, 2006 et 2008) Consommations répétitives
et compulsives
Soulagement d’un
état d’anxiété et de
stress intense Retours obsessionnels
des mémoires associées
à la consommation Anxiété, stress
Augmentation de la
récompense conditionnée
↑ Association
stimulus/récompense
Fonctions exécutives
altérées ↑ Persévération
↓ Inhibition
Jugement altéré
Système de récompense
altéré ↑Anti-récompense
↓Récompense positive Recherche compulsive
de drogue Système ventrostriatal-pallidal-
thalamocortical
Système cortical
orbito-frontal
Système
de l’amygdale étendue

30Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
Les systèmes centraux du stress et des émotions (caractérisés par
différents neurotransmetteurs) participent à un fonctionnement
physiopathologique qui va définir un état motivationnel puis-sant reflété par le passage des conduites impulsives aux condui-
tes compulsives.
Il est important de souligner que l’Addiction concerne relative-
ment peu de sujets au regard du nombre des consommateurs
occasionnels d’objets d’addiction. Pour de nombreux auteurs,
un objet d’addiction n’est addictogène que dans la mesure où il
est consommé par un individu préalablement vulnérable.
Comprendre pourquoi certains sujets succombent à une addic-
tion et d’autres pas (jusqu’à une résilience apparente) est une
question essentielle. Il est admis qu’un sujet développera
d’autant plus aisément une nouvelle addiction qu’il a aupara-
vant succombé à un objet d’addiction ; mais une interchangea-
bilité des objets est classiquement observée. Les sujets
vulnérables sont en général polyconsommateurs d’objets
d’addiction. Par ailleurs, cette vulnérabilité pourrait résulter de
comorbidités psychopathologiques diverses, de conditions délé-
tères en matière d’éducation et d’environnement, de troubles de
la personnalité, de trajectoires de vie stressantes. Pour com-
prendre le processus addictif, il faut donc l’examiner dans une
perspective de vie entière et en raison d’une diathèse précoce à
considérer dès le plus jeune âge. Mieux identifier cette vulnéra-
bilité permettrait d’intervenir en prévention sur la base d’une
conception solide du « pourquoi » des différences inter-indivi-
duelles et du « comment » de l’entrée dans le processus addictif.
Si vulnérabilité et comorbidité ont des traductions neurobiolo-
giques, les progrès à accomplir sont considérables avant de par-
venir à des données scientifiques de référence. Même si
l’addiction aux jeux présente bien évidemment des caractéristi-
ques spécifiques, il est admis que les sources de vulnérabilité
sont les mêmes que pour les autres addictions.
L’addiction au jeu (en particulier aux jeux d’argent et les cybe-
raddictions) pose aux neurosciences un problème du plus grandintérêt. La caractéristique essentielle à l’œuvre chez les joueurs
est la rapidité entre perception et exécution. La prise de déci-

31Synthèse
sion repose bien évidemment sur des connaissances, un savoir-
faire, des souvenirs dont la qualité et la pertinence rendent vrai-
semblablement compte de la rapidité de décision et d’action. La
mise en jeu de schémas mentaux préétablis existe également
avec les drogues d’abus et sont à l’origine des rechutes ; les indi-
ces de l’environnement mais aussi des représentations mentales
déclenchent quasi immédiat ement une consommation impé-
rieuse, impulsive, compulsive, et même un syndrome de sevrage
chez un sujet n’ayant pas consommé depuis plusieurs semaines.
Les recherches neurobiologiques s’orientent vers l’identification
des substrats mis en jeu dans les deux situations qui semblent
reposer sur des associations stimuli-réponses dans le cadre de
mémoires, de connaissances et de systèmes cognitifs.
Approches neurop hysiologiques
Considérer le jeu excessif comme une « addiction sans
drogues » revient à émettre l’hypothèse que le risque de devenir
dépendant au jeu en s’y adonnant s’apparenterait à celui que
court un usager de drogues vis-à-vis de la pharmacodépendance.
Cette question paraît centrale dans une réflexion sur le jeu
excessif ; le jeu est-il une drogue au même titre que les psycho-
stimulants, les opiacés, l’alcool ou le tabac ? Ce type d’addiction
met-il en jeu les mêmes neurotransmetteurs ?
Dans les mécanismes de consommation de drogues, le système
dopaminergique est déterminant dans la mesure où il modifie le
fonctionnement d’un ensemble neuronal particulier, le
« circuit de la récompense ». Ce circuit relaie toutes les infor-
mations externes et internes de l’organisme et permet au sujet
de reconnaître, par l’intermédiaire de perceptions extérieures,
l’existence de satisfactions potentielles de toutes sortes : nourri-
ture, chaleur, plaisir sexuel… Les neurones dopaminergiques
ne font pas partie à proprement parler du circuit de la récom-
pense, mais leur activation stimule ce circuit et provoque unesensation de satisfaction. Les résultats des recherches neurobio-
logiques de ces dernières années ont convaincu la majeure

32Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
partie de la communauté scientifique que la dopamine était
fondamentale dans tous les évé nements associés au plaisir.
L’étape qui reste encore peu étudiée est celle de l’intervention
de la dopamine dans la pharmacodépendance. Il est en effet
tentant de considérer que c’est le plaisir que procure la drogue
qui justifie que le consommateur ne puisse plus s’en passer. Ceserait le plaisir, et donc la dopamine, qui pousserait le toxico-
mane à rechercher la consommation de son produit. En fait, les
cliniciens ont observé depuis longtemps que les toxicomanesperdent assez rapidement le plaisir associé à la consommation
de drogues au profit de la recherche d’un état qui ressemble plus
à un soulagement nécessaire voire indispensable. Les anglo-saxons parlent du passage de « liking » (aimer) à « wanting »
(vouloir). On sait également que la vulnérabilité du toxico-
mane sevré vis-à-vis d’une reprise de consommation peut durer
plusieurs mois, voire plusieurs a nnées. Or, jusqu’à présent, tous
les index biochimiques mesurés chez l’animal à la suite d’admi-
nistrations répétées de drogues reviennent à la normale au boutde quelques jours ou au plus tard au bout d’un mois après la der-
nière consommation.
En étudiant d’autres modulateurs que la dopamine, à savoir la
noradrénaline et la sérotonine, il a été montré que ces deuxderniers modulateurs se régulaient l’un l’autre (étaient cou-
plés) chez les animaux normaux, c’est-à-dire chez ceux qui
n’ont jamais consommé de drogues. Ce couplage correspond à
une interaction entre les neurones noradrénergiques et séroto-
ninergiques telle que les deux ensembles neuronaux s’activent
ou se limitent mutuellement en fonction des stimuli externesque perçoit l’animal ou l’individu. Lors de prises répétées de
drogues, ce couplage disparaît. Ce découplage – et l’hyper-
réactivité incontrôlable qu’il induit – entre les systèmes nora-drénergique et sérotoninergique pourrait être responsable du
malaise que ressentent les toxicomanes. Reprendre de la
drogue permettrait un recouplage artificiel de ces neurones,
créant ainsi un soulagement temporaire susceptible d’expli-
quer la rechute. La drogue serait la façon la plus immédiate de
répondre au malaise.

33Synthèse
La question qui se pose maintenant est de savoir si le décou-
plage qui est obtenu avec la cocaïne, la morphine, l’amphéta-
mine, l’alcool ou le tabac, peut être obtenu par le jeu. Il est bien
montré que la très grande majorité des joueurs excessifs souffre
de pathologies associées. Ces pathologies , en particulier la pré-
sence d’addiction à des produits comme le tabac et l’alcool, qui
se développent parallèlement à la conduite de jeu excessif pour-
raient peut-être rendre compte de la forme pathologique du jeu.
Cependant, les psychiatres indiquent qu’il existe des joueurs
pathologiques n’ayant aucune addiction ni aucun autre trouble
psychique associés. On ne peut donc exclure que le simple fait
de s’adonner au jeu puisse, comme le ferait une drogue d’abus,
entraîner des modifications du fonctionnement du système ner-veux central telles que celles que nous venons de décrire.
Une des hypothèses qui pourrait être proposée serait que, chez
certaines personnes, le stress et l’angoisse que peut engendrer lejeu augmentent de façon chronique la sécrétion de glucocorti-coïdes et reproduisent, en l’absence de produit, des activations
neuronales et un découplage analogues à ce qui est obtenu avec
les substances addictives. Des recherches pré-cliniques mérite-
raient d’être envisagées afin d’étudier si des situations de stresschronique ou la sécrétion de molécules endogènes comme les
glucocorticoïdes peuvent, à elles seules, reproduire les effets
neurochimiques que produisent les drogues d’abus.
Approche clinique
Pour le clinicien, l’addiction peut être définie comme une con-
dition selon laquelle un comportement susceptible de donnerdu plaisir et de soulager des affects pénibles est adopté d’une
manière qui donne lieu à deux symptômes clés : échec répété de
contrôler ce comportement ; poursuite de ce comportement
malgré ses conséquences négatives.
L’appartenance du jeu pathologique aux « troubles du con-
trôle des impulsions », caractérisés, selon le DSM-IV-TR, par

34Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
l’impossibilité de résister à l’impulsion ou à la tentation de com-
mettre un acte nuisible au sujet lui-même ou à autrui, est justi-
fiée par certains arguments, notamment le niveau élevé,confirmé par plusieurs études, de l’impulsivité ch ez les joueurs
pathologiques. Mais l’impulsivité n’apparaît que comme l’un
des éléments du jeu pathologique. Plusieurs travaux de la litté-rature soulignent, par ailleurs, le caractère hétérogène de cette
catégorie dans le DSM et font l’hypothèse d’une appartenance
des troubles du contrôle des impulsions à la catégorie des addic-tions comportementales, qui regrouperait donc jeu pathologi-
que, kleptomanie, pyromanie, trichotill omanie, trouble explosif
intermittent, mais également les achats compulsifs, les compor-tements sexuels compulsifs, l’usage compulsif d’Internet.
D’une littérature importante sur le s relations entre troubles
obsessionnels compulsifs (TOC) et jeu pathologique, on retient
les idées suivantes : des arguments cliniques (pensées intrusives,
incoercibles, perte du contrôle des activités mentales) souli-
gnent la dimension compulsive des idées de jeu et suggèrent
l’appartenance du jeu pathologique au « spectre des troubles
obsessionnels compulsifs ». Cepen dant, de nombreux argu-
ments vont dans un sens contraire : les idées obsédantes de jeu,
chez le joueur, sont égosyntoniques (guidées par la recherche de
bien-être) alors que les idées obsédantes dans les TOC sont par
définition intrusives et égodystoniqu es (on ne peut pas aller
contre et sont sources de souffrance). On relève également
l’absence d’arguments épidémiologiques nets montrant une co-
occurrence TOC et jeu pathologique. Les données neuropsy-
chologiques sont contrastées, certains travaux retrouvant des
déficits des fonctions exécutives reliées au lobe frontal sembla-
bles chez les sujets porteurs de TOC et les joueurs pathologi-
ques, alors que d’autres études ne montrent pas ces similarités.
Au final, aucun argument formel ne permet de considérer le jeu
pathologique comme un trouble apparenté aux TOC, même si
la dimension compulsive de ce comportement est évidente.
Le jeu pathologique, dans la plupart des publications récentes,
est considéré comme une addiction comportementale. Des
arguments cliniques renforcent cette position : les phénotypes

35Synthèse
cliniques du jeu et de la dépendance à une substance (DSM-IV-
TR) sont très proches, y compris la présence chez les joueurs desymptômes de sevrage et de modifications de la tolérance
(accroissement des enjeux au fil du temps). Parmi d’autresaspects cliniques communs au jeu et aux addictions, on relèveune prévalence plus élevée chez les adultes jeunes, l’existencede formes à début précoce d’évolution rapide et grave, l’exis-
tence de formes à début tardif et d’évolution rapide
« télescopée » chez les femmes, l’influence de facteurs sociocul-turels et ethniques. Des comorbidités élevées entre jeu patholo-gique et addictions mais également entre jeu pathologique et denombreux troubles mentaux et de la personnalité sont rappor-tées par toutes les études.
Certains aspects communs des traitements, enfin, sont relevés :
intérêt des thérapies motivationnelles, pour initier une demande
authentique de sevrage ; utilité des thérapies de groupe (« Joueurs
Anonymes » sur le modèle des « Alcooliques Anonymes »…) ;
intérêt des thérapies cognitivo-comportementales, dans le jeu
pathologique comme dans la plupart des addictions.
De nombreux arguments, cliniques, épidémiologiques, biologi-
ques, thérapeutiques, permettent donc de considérer le jeu
pathologique comme une addiction sans drogue. Ce comporte-
ment emprunte à l’impulsion et à la compulsion, comme toutes
les pathologies addictives. Considérer le jeu pathologique
comme une addiction a l’avantage de focaliser l’intérêt sur cette
pathologie souvent méconnue, d’en favoriser le dépistage et la
prise en charge au sein des programmes de soins des centres
d’addictologie, de considérer enfin une catégorie subsyndromi-que « d’abus de jeu » sur le modèle de l’abus d’une substance
dans les versions successives du DSM.
Outils de dépistage et de diagnostic
Les questions de dépistage et de diagnostic doivent être envisa-gées en référence aux objectifs qui leur sont liés : s’agit-il

36Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
d’envisager des actions de prévention primaire, avec l’ambition
de sensibiliser le plus grand nombre des pratiquants aux risques
liés à leur conduite ; ou s’agit-il de repérer une conduite déjà
suffisamment problématique pour avoir entraîné un certain
nombre de dommages caractérisés afin de justifier une approche
thérapeutique spécifique ?
Plusieurs outils sont utilisés dans le monde en matière de jeu
excessif/problématique et pathologique.
Le South Oaks Gambling Screen (SOGS) est un auto-question-
naire conçu à partir du DSM-III et constitué de vingt items. Le
SOGS est l’outil de référence pour le repérage du jeu pathologi-
que de loin le plus utilisé dans le monde. Cependant, certaines
limites de cet outil sont régulièrement soulignées au niveau de sespropriétés psychométriques. Une certaine surévaluation de la pré-
valence du jeu pathologique est mentio nnée par plusieurs auteurs.
Comme il s’agit d’un outil déjà ancien, certaines évolutions dia-
gnostiques n’ont pas été prises en compte. Enfin, la pertinence de
l’outil est discutée dans les popul ations les plus jeunes malgré
l’existence d’une adaptation pour adolescent (le SOGS-RA).
La section jeu pathologique du DSM-IV (DSM-IV-jeu) est un
outil de référence pour le diagnostic de jeu pathologique. Il s’agit
là, comme il est habituel avec le DSM, de critères diagnostiquesutilisables par le clinicien dans son évaluation. Au niveau de sespropriétés psychométriques, la fiabilité et la validité du DSM-
IV-jeu ont été attestées par de multiple s études. Ce DSM-IV-jeu
est reconnu bien plus discriminant que le SOGS et on considère
qu’en moyenne la prévalence du jeu pathologique avec le SOGS
est deux fois plus élevée qu’avec le DSM-IV-jeu.
Certaines adaptations du DSM- IV-jeu doivent être mention-
nées : le DSM-IV-J (juvénile) et le DSM-IV-MR-J qui sont déjà
des adaptations du DSM-IV-jeu pour les adolescents ; égale-
ment le NODS
7 qui est un outil de dépistage en population
générale de type auto-questionnaire.
7.National Opinion Research Center DSM Screen for Gambling Problem

37Synthèse
La section jeu pathologique de la Classification in ternationale
des maladies (CIM-10-jeu) est un équivalent du DSM-IV-jeu
créé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1993 ;très utilisée en clinique, la CI M-10-jeu est très peu utilisée en
recherche et il existe peu de publications faisant état de ses pro-
priétés psychométriques.
L’auto-questionnaire des Gamblers Anonymous (GA-20) est un
outil d’auto-évaluation à vingt questions très largement utiliséaux États-Unis et dans beaucoup d’autres pays, mais pour lequel
il n’existe pratiquement aucune étude de validation. Il est
néanmoins considéré comme très pe u discriminant.
Un certain nombre d’autres outils doivent également être
mentionnés :
• le questionnaire LIE/BET est un outil de pré-dépistage en
population générale à deux items correspondant au critère 2
(besoin de jouer avec des sommes d’argent croissantes=BET) et
au critère 7 (mensonge=LIE) du DSM-III-R qui semble présen-
ter des propriétés psychométriques intéressantes ;
• l’Indice canadien du jeu excessif (ICJE, ou CPGI pour Cana-
dian Problem Gambling Index ) est un questionnaire de dépistage
à neuf items adapté pour le Canada en deux versions, anglaise
et française, dont la fiabilité et la validité apparaissent bonnes
au vu de la littérature. Cet outil présente l’intérêt de donner destaux de prévalence du jeu pathologique intermédiaires à ceux
obtenus avec le DSM-IV-jeu et le SOGS ;
•l e Structured Clinical Interview for Pathological Gambling (SCI-
PG) est un entretien clinique construit à partir du DSM-IV, etdonc compatible avec le SCID ( Structured Clinical Interview for
DSM disorders ) pour le jeu. Il semble avoir une bonne validité
aux différents niveaux ;
•l e Gambling Self-Efficacy Questionnaire (GSEQ) et l’ Addiction
Severity Index-Gambling (ASI-G) sont deux outils dont l’intérêt
clinique reste à démontrer ; le premier est un auto-question-
naire d’évaluation de l’efficacité perçue par le sujet sur le con-trôle de son comportement de jeu ; le deuxième correspond à
une tentative de validation d’une échelle à cinq items pour le
jeu à inclure dans l’ Addiction Severity Index , outil d’évaluation

38Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
multidimensionnel le plus utilis é dans le monde vis-à-vis des
addictions à des substances psychoactives.
Des outils de dépistage et de diagnostic du jeu pathologique
existent donc depuis une vingtaine d’années, ayant fait l’objetd’études de validation garantissant pour plusieurs d’entre eux
de bonnes propriétés psychométriques (c’est le cas notam-
ment pour le SOGS, le DSM-IV et l’ICJE). Le SOGS etl’ICJE sont des outils de dépistage alors que le DSM-IV-jeu est
plus clairement un outil diagnostic.
Des écarts importants sont néanmoins retrouvés dans certai-
nes études avec ces différents outils, en termes de taux de
prévalence du jeu pathologique et du jeu à risque, ce qui pose
des questions de seuils, justifiant des études complémentaires.De même, la pertinence de ces outils dans les populations les
plus jeunes et également les plus âgées est actuellement fort
discutée.
Principaux outils de dépistage et de diagnostic du jeu pathologique
Outils Validité estimée
South Oaks Gambling Screen (SOGS)
Lesieur et Blume, 1987 ; traduit en français par Lejoyeux, 1999Sensibilité de 0,91 à 0,94
Spécificité de 0,98 à 1Valeur prédictive positive 0,96Valeur prédictive négative 0,97
Section jeu pathologique du DSM-IV
AP A, 1994 traduit en français par Guelfi et coll., 1996Sensibilité de 0,83 à 0,95
Spécificité de 0,96 à 1 Valeur prédictive positive de 0,64 à 1 Valeur prédictive négative de 0,62 à 0,91
Indice Canadien du jeu excessif (ICJE) Bonne fiabilité et validitéAuto-questionnaire des Gamblers Anonymous (GA-20) Pas d’étude de validation
Structured Clinical Interview for Pathological Gambling
(SCI-PG)Pas d’étude de validation
Gambling Self-Efficacy Questionnaire (GSEQ) Pas d’étude de validation
Addiction Severity Index Gambling (ASI-G)
(Mc Lellan et coll., 1992)Pas d’étude de validation

39Synthèse
En population générale : 1 à 2 %
de joueurs problématiques et pathologiques
Plus de 200 enquêtes de prévalence ont pu être recensées dans la
littérature internat ionale, menées principal ement en Amérique
du Nord, Australie et Nouvell e-Zélande. Il s’agit, dans une large
majorité des cas, d’enquêtes spécifi ques centrées sur la question
du jeu de hasard et d’argent. Parfois, cette problématique est
abordée dans le cadre d’une investigation plus large sur une thé-
matique de santé ou santé mentale. Cette approche apporte une
plus-value intéressante car elle permet une analyse approfondiedes liens entre les déterminants et caractéristiques individuellesde santé et les comportem ents de jeu problématique.
La plupart des études produisent des estimations de « prévalence-
vie » et/ou de « prévalence-année », c’est-à-dire qu’elles défi-
nissent la proportion de la population enquêtée ayant rempli,
au cours de sa vie, ou au cours de l’année passée, le nombre de
critères fixés par les outils de repérage du jeu problématique oupathologique. On constate une évolution nette au cours dutemps avec une perte d’intérêt progressive pour le concept de« prévalence-vie », auquel il est préféré celui de « prévalence-année ». Ceci est dû à la fois à la difficulté de bien mesurer lepremier, plus sensible aux problèmes de mémorisation, et égale-
ment au fait que la base conceptuelle sur laquelle il a été éla-
boré est fragilisée. Ce concept a perdu de son intérêt depuis quele caractère chronique du jeu pathologique est contesté.
Il existe une grande diversité de tests de repérage utilisés dans ces
enquêtes de prévalence, répondant à une égale diversité de con-cepts. Néanmoins, trois principaux outils de repérage sont pré-pondérants pour l’application au domaine de l’épidémiologie : le
South Oaks Gambling Screen (SOGS) (de loin le plus utilisé), le
test adapté du DSM-IV et le Canadian Problem Gambling Index
(CPGI). De même, deux concepts se dégagent :
• « joueur pathologique », qualifiant les individus dont l’état ou
le comportement répond à certains critères d’un diagnostic cli-nique, ou d’un questionnaire-test ;

40Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
• « joueur problématique », qualifiant les individus non classés
comme pathologiques mais remplissant certains critères témoi-
gnant de difficultés en lien av ec leur comportement de jeu. Une
définition extensive du jeu problématique inclut également le
jeu pathologique.
Une très grande majorité des enquêtes de prévalence sur le jeu
problématique concerne les adultes. La maj eure partie de la lit-
térature internationale porte su r la question du jeu de hasard et
d’argent ( gambling ). Les études portant sur l’addiction à Internet
ou aux jeux vidéo ( playing ) sont plus récentes, en nombre
limité, et encore centrées sur les problèmes de concepts et de
méthodes.
Le niveau de prévalence est largement dép endant de l’outil uti-
lisé, le SOGS obtenant des prévalences supérieures à celles du
DSM-IV, le CPGI donnant des prévalences intermédiaires. Ce
point a été mis en évidence par certains auteurs de méta-analy-
ses et d’enquêtes utilisant de façon si multanée plusieurs outils
de repérage. Il demeure cependant largement controversé dans
la littérature.
Cette situation ne facilite pas les comparaisons du niveau de
prévalence du jeu problématique dans les différents pays ayant
mené des enquêtes nationales à ce sujet. Néanmoins, deux pays
émergent avec des prévalences en population générale relative-
ment élevées (jeu problématique plus jeu pathologique autour
de 5 %) : les États-Unis et l’Australie. Les prévalences relevées
dans les quelques pays européens ayant réalisé de telles études,
essentiellement au nord de l’Europe, sont nettement inférieures,
se situant entre 1 et 2 %, niveaux comparables à ceux obser-
vés au Canada et en Nouve lle-Zélande. Les différences de
niveau entre pays sont encore largement discutées. L’hypothèse
la plus fréquemment développée est celle des différences
d’accessibilité aux jeux de hasard et d’argent.
Des prévalences moyennes pour les adultes (2,5 % pour le jeu
problématique, 1,5 % pour le jeu pathologique) et les adoles-
cents (15 % pour le jeu problématique, 5 % pour le jeu patholo-
gique) ont été établies (par une complexe pondération) à partir

41Synthèse
de 160 études de prévalence en Amérique du Nord. Ces estima-
tions sont à prendre comme des ordres de grandeur. La disper-
sion des résultats autour de ces valeurs moyennes estimportante, notamment pour les adolescents.
Le niveau de prévalence est aussi dépendant de la population
prise en compte au dénominateur : ensemble de la population,
joueurs ou joueurs régul iers. Ainsi en Grande-Bretagne en 2007,
la prévalence du jeu problématique au sens du DSM-IV est de
0,6 % en population générale, de 0,9 % chez les joueurs (person-
nes ayant joué au moins une fois dans l’année) et de 14,7 %
parmi les joueurs « intensifs » (jou ant presque tous les jours).
Il est difficile de dégager des tendances évidentes de l’évolution
de la prévalence du jeu problématique à partir d’une analyse
chronologique des résultats obtenus par les enquêtes conduites
au cours des vingt dernières années. Les pays, États, ou provin-
ces ayant pu réitérer de telles enquêtes obtiennent des tendan-
ces contradictoires difficiles à confronter compte tenu des
différences de cadre légal ou d’accessibilité du jeu.
Ainsi, on observe une augmentation du jeu problématique et
pathologique aux États-Unis dans les années 1990. Sur la même
période, en Nouvelle-Zélande, le phénomène reste stable. Les
tendances internes aux États-Unis, au sein des États qui ont pu
reproduire dans le temps de telles enquêtes, sont divergentes :
baisse, stabilité ou augmentation sont relevées. Toujours aux
États-Unis, le nombre élevé d’études locales disponibles rend
possible une comparaison des niveaux relevés par les études les
plus anciennes à celui des études les plus récentes. Cette com-
paraison indiquerait une certaine augmentation de la préva-
lence du jeu pathologique, le jeu pr oblématique restant stable.
Globalement, on peut néanmoins avancer l’hypothèse d’une
certaine stabilité. Ceci ne serait pas contradictoire avec d’autres
constats faisant état d’augmentations de la prévalence limitées
dans le temps, celui de l’élargissement de l’accessibilité, la pré-
valence revenant à plus long terme à son niveau antérieur.
Ces tendances très générales écrasent quelque peu des évolu-
tions fines montrant que le phénomène du jeu problématique

42Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
est en constante évolution. En effet, de nombreux travaux
montrent que, quand on considère des sous-g roupes de la popu-
lation générale, les tendances peuvent être différentes. Ainsi, chezles femmes, la prévalence du jeu en général et du jeu problémati-
que en particulier aurait augmenté avec l’élargissement de son
offre. Les prévalences chez le s jeunes pourraient être en augmen-
tation. Au sein d’un même pays, les catégories sociales les plus
concernées par le phénomène peuvent changer.
Toutes les enquêtes épidémiologiques en population générale
identifient le genre comme facteur associé au jeu problémati-que, les hommes étant les plus concernés. Toutefois, ceci estpour certains auteurs plus à mettre en rapport avec le fait queplus d’hommes jouent aux je ux de hasard et d’argent et dépend
du type de jeu. De plus, ces différences selon le genre auraient
tendance à s’estomper.
L’âge est également un facteur associé fréquemment rencontré
dans les enquêtes de prévalence. Les jeunes (adolescents et
jeunes adultes) ont des pr évalences de jeu problématique et
pathologique plus élevées que les adultes. Ceci peut être mis enrapport avec un phénomène plus global de la fréquence descomportements à risque à ces âges.
D’autres facteurs associés sont également mis en avant par cer-
taines études : appartenance à certains groupes ethniques,
niveau de revenus (faibles ressources), personnes socialement
en difficulté sur le plan familial , scolaire, professionnel ou judi-
ciaire, « antécédents familiaux » (joueurs dont les parents ontrencontré des problèmes de jeu), précocité des conduites de
jeux de hasard et d’argent.
La confrontation des différen tes données so ciales disponibles
sur la question des facteurs as sociés au jeu problématique ne
dégage pas de facteur invariant (dans les différentes cultures ouorganisations sociales des pays ayant mené de telles enquêtes)aussi fortement associé au jeu pathologique que le sexe et l’âge
(jeunes adultes de sexe masculin). Assez globalement, si les fac-
teurs sociaux jouent un rôle, ceci ne doit pas faire oublier que lejeu pathologique se rencontre dans tous les milieux sociaux.

43Synthèse
Il semble que certains types de jeux soient plus « problémati-
ques » que d’autres (machines à sous, certains jeux de table en
casino, les loteries électroniques) mais ceci est en fait mal
évalué car les protocoles d’études ne sont pas conçus pour
répondre à cette question.
Le lien entre la disponibilité de jeu et la prévalence du jeu pro-
blématique est complexe. Il fait l’objet d’interprétations qui
peuvent sembler cont radictoires. Certaines an alyses tendent à
montrer que les pays (ou les provinces) ayant une moindre
accessibilité ont également une prévalence du jeu problémati-
que ou pathologique inférieure. Certains travaux d’approche
plus « dynamique » (analyse de tendances) émettent cependant
l’hypothèse que l’effet d’augmentation de la prévalence en lien
avec une plus grande accessibilité serait « temporaire », le
temps du changement.
Comorbidités importantes
Les études en population générale concernant les relationsentre jeu pathologique et autres addictions ou troubles psychia-
triques sont peu nom breuses. Les études sont essentiellement
nord-américaines. Aucune donnée en France n’est actuelle-
ment disponible en population générale.
L’ensemble des résultats des études publiées en population
générale montre que le jeu pathologique est très fréquemment
associé aux autres addictions.
Risques relatifs des addictions associées chez les joueurs pathologiques
(d’après Petry, 2005)
Addiction associée OR IC 95 %
T abac 6,7 [4,6-9,9]
Alcool 6,0 [3,8-9,7]
Drogues 4,4 [2,9-6,6]
Les OR sont ajustés sur les caractéristiques sociodémographiques et socioéconomiques

44Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
Parmi les addictions, la dépendance au tabac est celle la plus
fréquemment retrouvée chez les jou eurs pathologiques. Les
autres addictions (alcool, drogues illicites) précèdent générale-ment le début du jeu pathologique (surtout chez les hommes).
Les joueurs pathologiques ayant des antécédents de dépendance
aux drogues ont le plus souvent un trou ble lié au jeu pathologi-
que plus sévère.
Les joueurs pathologiques ont fréquemment des troubles psy-
chiatriques associés. Le plus souvent, il s’agit d’une association
avec des troubles de l’humeur, des troubles anxieux ou des trou-
bles de la personnalité.
Risques relatifs des troubles psychiatriques associés chez les joueurs
pathologiques (d’après Petry, 2005)
Comme la majorité des conduites addictives, le jeu pathologi-
que est fortement associé à des troubles de la personnalité
(obsessive compulsive, évitante, antisociale et schizoïde). Lapersonnalité antisociale serait associée à une plus grande sévé-
rité du jeu pathologique.
Parmi les troubles de l’humeur, le trouble bipolaire est le plus
souvent associé au jeu pathologique. Le trouble de l’humeur
précède souvent le jeu pathologique et persiste après son arrêt.
L’association élevée à un trouble de l’humeur pourrait égale-
ment expliquer l’importance des idéations suicidaires et du
risque suicidaire chez les joueurs pathologiques.
Parmi les troubles anxieux, le trouble panique et l’état de stress
post-traumatique sont le plus souv ent associés au jeu pathologiqueTroubles associés OR IC 95 %
T roubles de la personnalité 8,3 [5,6-12,3]
T roubles de l’humeur 4,4 [2,9-6,6]T roubles anxieux 3,9 [2,6-5,9]
Les OR sont ajustés sur les caractéristiques sociodémographiques et socioéconomiques

45Synthèse
en population générale. Il n’a pas été mis en évidence de relation
significative avec le trouble obsessionnel compulsif.
Certains troubles psychiatriques constituent, par ailleurs, des
facteurs de risque pour le jeu pathologique. Ainsi, le risque de
voir apparaître un comportement de jeu pathologique est trois
fois plus élevé que pour la population générale chez les sujets
présentant des troubles liés à l’usage ou l’abus d’une substance
et 1,8 fois plus élevé pour les sujets ayant un trouble dépressifou anxieux. Les personnes souffrant d’un trouble bipolaire pré-
sentent un risque deux fois plus élevé de développer une addic-
tion au jeu que les personnes présentant un autre trouble del’humeur.
Ces associations significatives ne sont pas clairement expli-
quées. Il semble que l’existence d’une comorbidité avec d’autres
troubles psychiatriques (addictions, dépression, troubles de lapersonnalité…) constitue un facteur de gravité du jeu patholo-
gique, justifiant une prise en charge adaptée.
Approches th érapeutiques
Parmi les techniques psychologiques proposées dans le traite-
ment du jeu pathologique, les techniques cognitivo-comporte-
mentales ont fait l’objet d’études contrôlées. Ces études sontpeu nombreuses et reposent sur des populations aux effectifs
modestes. Elles ont le plus souvent une durée d’observation
assez courte (rarement plus d’un an) et concernent des patientsayant peu de comorbidités.
Parmi les thérapies comportementales, seules les techniques de
sensibilisation par imagination ont montré une certaine efficacité.
Les thérapies cognitives dans le jeu pathologique reposent prin-
cipalement sur la « restr ucturation cognitive » et la prévention
des rechutes.
La restructuration cognitive inclut habituellement quatre
composantes : la compréhension de la notion de loi du hasard

46Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
(indépendance des tours) ; la compréhension des croyances
erronées du joueur ; la prise de conscience des perceptions erro-
nées lors du jeu ; et la correction cognitive de ces perceptionserronées.
La prévention des rechutes consiste le plus souvent en un
apprentissage et la mise en place de stratégies de « coping »
8 per-
mettant d’éviter la rechute. Ces techniques cognitives se sontavérées significativement plus efficaces pour contrôler les con-
duites de jeu pathologi que que l’absence d’intervention psycho-
logique.
La question du format des prises en charge (individuelle ou en
groupe) a également été évaluée dans la littérature. Les résultats
obtenus semblent montrer que la thérapie cognitivo-comporte-mentale opérée sur un mode individuel ou en groupe donne des
résultats immédiats sensiblemen t équivalents. Pour la préven-
tion des rechutes, la prise en charge individuelle semble supé-rieure à la prise en charge de groupe.
Si la thérapie cognitivo-comportementale semble efficace chez
certains joueurs pathologiques, le taux élevé de mauvaise obser-
vance à ce type de traitement constitue une limite.
L’association d’une approche cognitivo-comportementale et de
techniques motivationnelles, faisant référence au « modèle
transthéorique du changement », permettrait d’augmenter de
manière très significative le pourcentage de sujets poursuivant
le traitement. Le modèle transthéorique de changement des
comportements, identi fie différentes étapes :
• la précontemplation : la personne n’a pas l’intention de faire
un traitement ;
• la contemplation : la personne voudrait entreprendre un trai-
tement dans les six mois à venir ;
• la préparation : la personne considèr e sérieusement le fait de
faire un traitement dans le mois à venir ;
8.Coping : de l’anglais to cope : faire face, désigne le processus par lequel l’individu cher-
che à s’adapter à une situation problématique.

47Synthèse
• l’action : la personne suit régulièrement son traitement ;
• le maintien : la personne suit régulièrement son traitement
depuis plus de six mois.
Pour décrire le passage d’une étape à une autre, d’autres con-
cepts sont encore utilisés, qui permettent de comprendre com-
ment on passe d’un stade à l’autre :
• confiance en soi ( self efficacy ) : être sûr de ne pas revenir à un
comportement antérieur non désiré, même en cas de circons-tance à haut risque ;• tentation : l’intensité de l’envie de revenir à une habitudeparticulière dans une situation difficile ;
• équilibre décisionnel : évaluation entre avantages et désavan-
tages.
Afin de faciliter l’accès aux soins, des formats « brefs » de théra-
pie cognitive ont été proposés. Il semble que ce mode de prise
en charge soit efficace chez certains patients.
L’ensemble des données disponibles, concernant les psychothé-
rapies dans le jeu pathologique, renforce l’idée que l’abstinencetotale au jeu n’est pas un objectif raisonnable et réaliste pour lamajorité des joueurs pathologiques. Les approches proposant uncontrôle du jeu et non une abstinence doivent être mieux éva-luées.
Les prises en charge issues de la psychanalyse ou celle des
Gamblers Anonymous n’ont pas bénéficié, malgré leur usage
fréquent, jusqu’à présent d’évaluation robuste. De même, lesprises en charge « classiques » qui associent de multiples inter-ventions y compris de type résidentiel, n’ont généralement pasété évaluées de manière rigoureuse même si elles sont large-
ment proposées.
Par ailleurs, les critères de succès ou d’échec diffèrent selon les
auteurs et les études : le critère le plus simple et le plus évalua-ble est l’abstinence totale, selon la conception des Gamblers
Anonymous (GA). Cependant, nombre d’auteurs promeuvent la
notion de jeu contrôlé et considèrent la réduction des activitésde jeu (notamment mesurée par la quantité d’argent dépensée)comme un succès.

48Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
La participation aux réunions de l’association Gamblers Anony-
mous est présentée comme l’un des traitements les plus répan-
dus, sinon le plus répandu dans le monde, du jeu pathologique.
Si elle est embryonnaire en France, elle est très importante en
Amérique du Nord, où elle existe depuis 1957. D’autres groupesse forment parfois, parallèlement à l’existence de GA
(la « Gambler’s Foundation » dans les pays nordiques). En
Grande-Bretagne, il existe une communauté thérapeutiquedédiée aux joueurs pathologiques : The Gordon House Associa-
tion. Cette structure ne semble pas éloignée de l’esprit de GA,
dont elle encourage la fréquentation.
Le modèle « Alcooliques anonymes » dont dérive l’association
Gamblers Anonymous a grandement influencé le champ de
l’addictologie. Il s’agit d’une vision particulière de la maladie,
considérée comme incurable, et du traitement, fondé sur le
maintien de l’abstinence au quotidien. Cette approche est
fondée sur l’entraide, la bo nne volonté, le bénévolat, la sociali-
sation particulière aux groupes où les sujets se soutiennent dans
leur projet d’abstinence. Le programme repose sur douze étapes
désignant les principes de structuration de ces associations
bénévoles, et sont une garantie contre les possibles dérives sec-
taires. L’évaluation, la recherche, l’objectivation sont aux anti-
podes des préoccupations des membres Gamblers Anonymous , et
ceci en fait structurellement une approche très difficile à éva-
luer. Nombre de protocoles incluent la possibilité de participer
aux réunions de GA en parallèle ou à la suite d’autres traite-
ments. Certaines études tendent à montrer que la participation
aux groupes est un facteur supplémentaire de succès.
Peu d’auteurs proposent une thérapie psychodynamique spécifi-
que du jeu pathologique. La plupart des textes psychanalytiques
portent sur l’élucidation du sens de la conduite du joueur, plus
que sur le jeu pathologique. En effet, dans l’approche psychana-
lytique, il est difficile de séparer dans l’analyse ce qui relève du
traitement de ce qui constitue des modèles explicatifs, dans la
mesure où l’élucidation du sens de la conduite du sujet s’inscrit
en même temps dans ces deux dimensions. Il s’agit de repérer
les raisons qui ont conduit le sujet à surinvestir le jeu, afin de

49Synthèse
travailler sur les déterminants profonds de la conduite. La con-
duite doit donc pouvoir prendre sens, en fonction de l’histoire
du sujet. Comme dans le cas de pathologies de type narcissique,
les psychanalystes insistent sur les modalités particulières dans
l’analyse de joueurs du transfert comme du contre-transfert,marqués tant par l’idéalisation que par les tentatives de maî-
trise.
Les données concernant l’utilisation de trait ements psychotro-
pes dans le jeu pathologiq ue sont actuellement préliminaires.
Aucun traitement médicamenteux n’a encore reçu l’autorisa-
tion de mise sur le marché dans cette indication. Trois classes
médicamenteuses ont été étudiées : antidépresseurs inhibiteurssélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), thymorégula-
teurs et antagonistes des opiacés. L’utilisation d’autres molécu-
les (antipsychotiques atypiques…) a été rapportée de manière
anecdotique.
Plusieurs biais méthodologiques limitent les conclusions des
études publiées : peu d’études ont été conduites contre placeboet en double aveugle ; la durée d’observation est généralement
courte (rarement plus de 16 semaines) ; les critères de jugement
et d’efficacité sont divers ; le nombre de perdus de vue et de sor-ties prématurées de traitement est élevé ; les patients inclus
sont essentiellement de sexe masculin sans comorbidité psy-
chiatrique majeure.
Dans quatre études en double aveugle contre placebo menées
avec les ISRS (fluvoxamine, paroxétine, citalopram), on cons-
tate une amélioration significative par rapport au placebo des
conduites de jeu pathologique. Il reste difficile de distinguer un
effet propre sur le jeu d’un effet sur la dépression ou surl’anxiété. Les joueurs pathologiques ayant des traits d’hyperacti-vité pourraient répondre favo rablement à un autre type d’anti-
dépresseur, le bupropion.
Pour les thymorégulateurs, une seule étude contre placebo est
disponible ; elle concerne les se ls de lithium. Les effets très
significatifs du lithium su r le jeu pathologique dans cette étude
sont en partie indépendants de son effet sur l’humeur.

50Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
L’antagoniste opioïde le plus étudié est la naltréxone. Les résul-
tats rapportés sont contradictoire s. L’utilisation d’un autre anta-
goniste, le nalméfène, semble plus prometteuse pour la
réduction de certains symptômes du jeu pathologique, particu-
lièrement pour les impulsions et le craving (les impulsions irré-
sistibles à jouer).
Il est difficile de génér aliser les résultats des études publiées à la
pratique. Le choix d’une classe pharmacologique ne peut être
actuellement fait que de façon empirique. La prise en comptedes comorbidités pourrait orienter vers certains types de traite-
ments pharmacologiques. Il semble ainsi que les patients
joueurs pathologiques ayant une comorbidité de type bipolairepeuvent bénéficier d’un traitement de type thymorégulateur ;
principalement le lithi um. Des études comparant différentes
classes thérapeutiques sont nécessaires.
En pratique, il apparaît important qu’un patient puisse bénéfi-
cier d’un ensemble de prestations, tant au niveau psychothéra-
pique, qu’au niveau pharmacologique, ou au niveau social.
Nombre de programmes sont proposés par des équipes qui
s’occupent également d’autres formes de dépendances (alcool,
drogues), et incluent des modalités de soin diversifiées, tant en
hospitalisation qu’en traitem ent ambulatoire. Plusieurs de ces
programmes, incluant thérapie de groupe, prise en charge édu-cative, participation aux réunions de GA, et plan de surendet-
tement, semblent donner de bon s résultats (67 % d’abstinence
à 6 mois).
Comme pour toutes les addictions, le traitement doit donc inté-
grer des dimensions très diverses. Idéalement, il devrait même
être possible d’organiser des séjours de rupture pour que le
patient puisse prendre du recul par rapport au contexte du jeu,
comme par rapport à son entourage. Même si la dépendance est
ici « variable », plus que « chronique », il s’agit d’une patholo-
gie à rechute, comparable aux toxicomanies, marquées par unerelative facilité du sevrage, mais ensuite par une importance du
craving et des rechutes.
L’écoute et les conseils aux proches sont particulièrement impor-
tants. Le volet social peut comprendre des conseils juridiques,

51Synthèse
la question de la protection des biens (curatelle), enfin (mais pas
forcément comme mesure initiale) une aide à la constitution dudossier de surendettement (les rechutes risquant de conduire à
une situation inextricable).
Accès aux soins
Un des problèmes majeurs dans la prise en charge des joueurs
pathologiques réside dans la faible demande de soins. D’après
deux études épidémiologiques américaines importantes, GIBS
(Gambling Impact and Behaviour Study ) et NESARC ( National
Epidemiologic Survey on Alcohol and Related Conditions ), seule-
ment 7 à 12 % des sujets diagnostiqués joueurs pathologiques
ont cherché une aide auprès de professionnels ou de Gamblers
Anonymous .
Cette constatation oblige à mettre en place des actions permet-
tant une meilleure prise en charge de ces patients. Dans cer-tains pays (Canada, Nouvelle-Zélande), des programmes de
santé publique centrés sur le je u pathologique ont tenté d’amé-
liorer, entre autres, l’accès aux soins.
Les barrières potentielles limitant l’accès aux soins des joueurs
problématiques ou pathologiques sont de plusieurs ordres :
l’accessibilité des soins, la stigmatisation liée à la prise en
charge, le prix et l’efficacité supposée des prises en charge.
Parmi des joueurs pathologi ques interrogés, 82 % pensent pou-
voir s’en sortir par eux-mêmes.
Parmi les moyens visant à améliorer l’accès aux soins, on peut
avancer l’idée de ne pas fixer comme seul objectif thérapeutique
l’abstinence et de ne pas bâtir les programmes de soins sur ceseul objectif. En effet, chez certains joueurs pathologiques des
objectifs thérapeutiques « inaccessibles », comme l’abstinence,
peuvent constituer une barrière à l’accès aux soins. À l’image dece qui est proposé dans les autres addict ions, l’objectif des soins
devrait être de proposer également des programmes visant à
limiter les dommages liés à la conduite de jeu. Il est possible de

52Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
diminuer les dépenses liées au jeu et certaines conséquences
sociales du jeu pathologique, en proposant à certains joueurs
pathologiques une intervention centrée sur le contrôle du jeu.
Au Québec et en Nouvelle-Zélande, les recommandations
insistent sur le fait de pouvoir diversifier l’offre de soins et déve-
lopper des programmes de traitements variés.
Parmi les possibilités de diversification des soins, en dehors des
stratégies visant au jeu contrôlé, il est proposé de développer les
techniques validées de prises en charge brèves. Ces techniques
d’intervention brèves, même réalisées par téléphone, ontmontré leur efficacité pour contrôler les manifestations du jeu
pathologique. Le plus souvent, elles reposent sur le modèle
transthéorique du changement.
Il est également suggéré de mettre en place des programmes de
traitement sur Internet. Cette technique permet probablement
de diminuer les réticences à accéder aux soins du fait de l’ano-
nymat et de sa facilité d’accès. De nombreux formats de conseilset de soins existent déjà sur In ternet comme la thérapie
«online », la cyberthérapie, la e-thérapie.
La question de la formation des intervenants de première ligne
(médecins généralistes, psychologues, travailleurs sociaux…) et
des intervenants spécialisés constitue un enjeu important pouraméliorer l’accès aux soins. Ainsi, en Nouvelle-Zélande, depuis
2006, un plan gouvernemental vi sant à minimiser les consé-
quences sanitaires (suicides, troubles psychiques, médicaux…)
et sociales (surendettement…) du jeu pathologique a été lancé.
La formation des acteurs du soin de première ligne au repérage
du jeu pathologique est proposée parmi les mesures visant à
améliorer la prise en charge et l’accès aux soins. La grande
majorité des patients en médecine générale accepte de remplir
des auto-questionnaires pour le dépistage du jeu pathologique.
Le médecin généraliste apparaît comme un partenaire majeur
dans l’identification et la prise en charge des joueurs patholo-
giques, surtout chez ceux se plaignant de dépression et
d’anxiété. Les médecins généralistes ne sont pas les seuls inter-
venants de première ligne à former. Des programmes de forma-

53Synthèse
tion au repérage du jeu pathologique sont proposés dans
certains pays (Canada, Australie…) aux intervenants de pre-
mière ligne en santé mentale (psychologues) et aux tra-
vailleurs sociaux. Ces programmes sont généralement de
courte durée (quelques jours au maximum) mais doivent être
suivis d’ateliers de perfectionnement.
On estime que parmi les populations de patients en contact
avec le système de soin psychiatrique ou spécialisé pour lesaddictions, plus de 15 % des patients présenteraient des problè-
mes liés au jeu pathologique. Le plus souvent, ils ne sont pas
repérés et n’ont pas de prise en charge spécifique pour ce pro-blème. Plusieurs éléments concourent à la faible prise en charge
du jeu pathologique : méconnaissance du trouble, absence de
formation des person nels, méconnaissance des stratégies effica-
ces de traitement possible. L’importance de l’association entre
jeu pathologique et les autres addi ctions justifie la mise en place
de formation des intervenants dans le domaine des addictions
au repérage et à la prise en charge du jeu pathologique.
Actions de prévention pour les jeux de hasard
et d’argent
La diffusion rapide des jeux de hasard et d’argent depuis une
dizaine d’années et l’augmentation exponentielle des sommes
investies dans ces jeux, sont à l’origine d’un ensemble de dom-mages socioéconomiques, parmi lesquels figure le jeu pathologi-
que. Plusieurs gouvernements on t pris la mesure du problème de
santé publique que pose le jeu pathologique.
À partir des années 1999-2000, le Canada, l’Espagne et la
Nouvelle-Zélande se sont dotés d’une législation contraignanteen matière de jeux de hasard et d’argent, ainsi que d’organismes
de surveillance et de contrôle, placés sous l’égide du ministère de
la Santé (Nouvelle-Zélande) ou sous celle du ministère de l’Inté-
rieur (Espagne). Au Canada, le Québec a mis en œuvre le plan
stratégique montréalais entre 2003 et 2006. En Nouvelle-Zélande,

54Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
une politique de prévention est financée par une taxe versée
par 4 opérateurs de jeux et les responsabilités en matière de jeu
excessif ont été transférées en 2004 au ministère de la Santé. EnEspagne, depuis 1999, le Service de contrôle des jeux de hasard,
qui dépend du Commissariat général de la police judiciaire au
ministère de l’Intérieur, publie et met en ligne un rapport
annuel très détaillé sur les jeux de hasard et d’argent, dans
lequel figurent les activités de prévention.
Les politiques de prévention menées par le Canada et la Nou-
velle-Zélande suivent un schéma à trois niveaux : aux niveaux
1 et 2, il s’agit de prévenir et d’informer et au niveau 3 d’avoirune intervention thérapeutique pour les joueurs pathologiques.
Les stratégies employées dans ces deux pays visent à améliorerla connaissance de la problématique émergente du jeu patholo-gique et de sa prévention par des études épidémiologiques et
sociologiques, à améliorer la formation des intervenants du
réseau public et privé qui travaillent sur l’addiction au jeu, à
agir par des projets adaptés à des contextes spécifiques (moyens
d’information appropriés aux milieux ethniques, aux groupes
cibles tels les seniors). Trois grands thèmes dans les actions peu-
vent être mentionnés. La première action consiste à réduire la
nocivité des jeux qui in duisent les fortes dépendances et dont la
croissance est également la plus rapide (les appareils électroni-
ques notamment) en réduisant leur nombre, en essayant derendre ces jeux moins addictifs, en interdisant leur accès aux
mineurs et enfin en ouvrant des lignes d’appel pour les joueurs
en détresse. Le deuxième champ d’intervention est la diffusion
d’une information auprès des jeunes dans les écoles, les associa-
tions, et également auprès des parents. Enfin, des actions visentla prise de conscience par la population des questions liées auxjeux de hasard et d’argent de façon à créer un climat favorable àla prévention. Le Canada comme la Nouvelle- Zélande insistent
sur l’action de proximité, la seule vraiment efficace.
Deux politiques de prévention ont été expérimentées : la pre-
mière, pédagogique, mise en œuvre au Canada (Québec), a dif-
fusé des programmes préventifs auprès des mineurs (programme
«Lucky, le hasard ne peut rien y changer » ; tournées commu-

55Synthèse
nautaires Virage) , mais également auprès de l’ensemble de la
population (émissions télévisées, chroniques de Loto-Québec
et de ses partenaires, dépliants, bulletins d’information).L’objectif est de contrebalancer la publicité des opérateurs de
jeux et d’éveiller l’attention des populations, spécialement les
plus vulnérables. La seconde politique, testée en Nouvelle-Zélande, qui bénéficie d’un support financier régulier prove-
nant de la taxe sur le jeu, soutient la poursuite de recherches,
lance des campagnes dans les médias et organise des débatspublics. L’action préventive est menée de façon graduelle :
à partir des 2
e et 3e niveaux du « continuum », les joueurs peu-
vent bénéficier d’interventions psychosociales individuelles ou
collectives. Études et actions s’intègrent dans l’Observatoire de
la santé publique.
Ainsi, les politiques menées par l’Espagne, le Canada et la Nou-
velle-Zélande reposent-elles d’abord sur une meilleure connais-sance du phénomène du jeu pathologique ; en outre Canada et
Nouvelle-Zélande ont développé des politiques sociales de pré-
vention, valorisant l’information avant de développer des poli-tiques de soin de l’addiction. Il fa ut toutefois rappeler que les
résultats de ces politiques récentes restent à évaluer sur une plus
longue durée, de façon à mieux en mesurer l’efficacité.
Actions en France
En France, suite aux deux rapports du sénateur Trucy (2002,2006), un débat s’est amorcé sur les conséquences du gambling et
la question du jeu « patho logique » conduisant le gouverne-
ment, les trois opérateurs historiques et les syndicats profession-
nels des casinos à prendre différentes mesures. Des actionsd’information, de prévention, de formation dans les espaces de
jeu et/ou sur les supports de jeu ont été engagées telles la diffu-
sion de numéros verts et de différents produits (affiches, plaquet-tes, brochures, flyers , slogans, logos « jeu responsable ») et des
actions de communication pour faire connaître la politique de
jeu responsable des pouvoirs publics et des opérateurs de jeux.

56Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
Le syndicat Casinos de France a financé « SOS joueurs » en
1990 et entrepris une collaboration avec cette association, poursensibiliser les personnels au jeu excessif (séances d’information
des personnels dans les exploitations) et permettre aux joueurs
qui ont des problèmes de jeu de prendre contact (numéro vert,adresse Internet). Ce rtains grands groupes casinotiers ont créé
leur propre structure et numéro vert pour « conseiller » les
joueurs en difficulté (Adictel) ou former des « personnesréférentes » parmi le personnel d’encadrement pour repérer etinformer les joueurs excessifs.
Une réglementation de protection, notamment en ce qui con-
cerne les joueurs de casino (contrôles aux entrées systématiques)et le jeu des mineurs pour la Française des jeux (interdiction) a
été mise en place. Des documents qui engagent les opérateurs enmatière de jeu responsable (protocole pour la promotion du jeu
responsable pour les casinos, charte déontologique pour les trois
opérateurs) ont été rédigés. Un Comité consultatif pour la mise
en œuvre de la politique d’encadrement des jeux et du jeu res-
ponsable (Cojer) qui concerne les activités de la Française des
jeux est installé au ministère de l’Économie, des Finances et del’Industrie depuis 2006. Il a été décidé que les personnels et les
revendeurs au contact des joueurs seront informés sur les caracté-
ristiques du jeu excessif et qu’en interne au sein des espaces de
jeu, des personnels chargés du jeu problématique seront désignés.
Les casinos ont été les premiers à mettre en place des actions
spécifiques pour lutter contre le jeu excessif et informer leur
clientèle des risques li és à l’abus de jeu. Les syndicats profession-
nels de casinos se sont engagés à mieux lutter contre les interditsde jeu, à mettre en place dans les exploitations des mesures deprévention et d’information en matière de jeu excessif.
Les actions entreprises par la FDJ pour la mise en œuvre de sa
politique d’encadrement des jeux et en faveur du jeu responsa-ble sont pour la plupart récentes (2006-2007). Il s’agit de la
rédaction d’une « charte éthique » disponible sur le site de la
FDJ (et que chaque joueur peut recevoir gratuitement) et demesures de modération concernant le Rapido : la mise maxi-male est passée de 4 000 à 1 000 euros, et le nombre de tiragesauquel donne droit un bulletin ramené de 100 à 50.

57Synthèse
Les actions du PMU en faveur du jeu responsable sont également
très récentes (2006/2007). Les principales mesures prises sont lessuivantes : diffusion d’un slogan jeu responsable (« Jouonsresponsable ! ») sur les différents bordereaux, flyers , publications
du PMU, publication d’un dossier de deux pages consacré au
parieur responsable (« Pour que le pari hippique reste un
plaisir ») dans un numéro de « PMU Mag : le magazine desparieurs », édition de deux flyers, disponibles dans les bars/PMU
qui comportent téléphone et site Internet de « SOS joueurs ».
Comme autres actions, notons en particuli er : l’inscription en
2006 de la dépendance au jeu, dans le plan 2007-2011 du
ministère de la Santé sur la prise en charge et la prévention desaddictions ; l’initiation en 2006 et 2007 des premières recher-
ches sur le jeu pathologique, dans le cadre des appels à projets
Mildt, Inserm, Inca sur les drogues et les conduites addictives ;
une mission Mildt en 2006 concernant le problème des addic-
tions au jeu ; l’organisation d’un colloque présidé par le séna-teur François Trucy en octobre 2007.
Malgré ces initiatives, dont la plupart sont récentes, les lacunes
en matière de recherches sur le jeu et la socialisation ludiquecontemporaine, l’absence d’études systématiques et pluridisci-
plinaires (en population générale ou en population joueuse spé-
cifique), l’hétérogénéité des mesur es entreprises (souvent dans
« l’urgence européenne »), différentes « instrumentalisations »
et « actions lobbying », ont empêché la mesure objective des
conséquences de l’exploitation des jeux d’argent (en termes decoûts et de bénéfices). Plus globalement, ces constatations
n’ont pas permis la compréhension du fait social, économique,
historique et culturel que représente le gambling .
Addiction aux jeux vidéo et à Internet :
un phénomène récent encore mal connu
L’intérêt, voire la passion que su scitent les jeux vidéos sur Inter-
net, est semble-t-il directement lié à leurs caractéristiques tech-
niques combinées à des phénomènes sociaux typiques de notre

58Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
modernité : rechercher des performances, des sensations, privi-
légier le temps présent, l’immédiat et l’urgent.
Pour certains, les jeux vidéo sont potentiellement addictifs mais
trop peu de recherches ont été menées jusqu’à présent pour
répondre à la question de l’add iction. Pour d’autres, l’objet
d’addiction compte peu, ce serait la comorbidité anxio-dépres-sive qui pourrait conduire au repli sur le jeu et non l’inverse. En
fait, de nombreux auteurs mettent l’accent sur la dimension
ambiguë d’Internet et des jeux vidéo : positive pour les indivi-dus bien intégrés socialement, négative pour les isolés et pour
les sujets souffrant de difficultés psychologiques. L’expérience
de l’ordinateur et d’Internet plaît en ce qu’elle stimule les sens.Plusieurs travaux notent le caractère « phasique » ou passager
de l’abus d’Internet ; passée une phase d’immersion totale,
l’internaute revient à un e pratique moins intense.
Des facteurs de dépendance spécifiques aux MMORPG
ont été
identifiés :
• la durée illimitée du jeu ;
• le caractère évolutif en développement perpétuel du jeu et
des personnages ;
• la volonté de rentabilisation de l’abonnement par le joueur ;
• l’illusion d’un contact social ;
• la ressemblance entre le virtuel et le réel (substitution) ;
• la place du joueur définie dans le monde virtuel, la recherche
de reconnaissance par les pairs.
D’après deux enquêtes scandinaves menées en population géné-
rale chez des jeunes de 12 à 18 ans, la prévalence d’addiction àInternet et aux jeux vidéo est équivalente et égale à 2 %. Elle
s’élève à 4 % dans le groupe des joueurs fréquents (au moins
une fois par semaine). Aux Ét ats-Unis, une enquête nationale
en population générale adulte indique une prévalence d’usage
problématique d’Internet de 0,7 %.
Tous les travaux tant qualitatifs que quantitatifs remarquent la
prépondérance de la population masculine dans la pratique des
jeux vidéo, d’un niveau socioculturel généralement élevé, d’une
moyenne d’âge d’environ 26 ans. L’usage addictif des sites de

59Synthèse
bourse en ligne a été identifié en 2001, certains mêlant la
bourse et le jeu.
Cette addiction présente des traits communs avec d’autres
addictions, mais également des spécificités : le critère de perte
de contrôle (renvoyant à la dimension impulsive) présente une
fréquence similaire entre jeux d’argent et jeux vidéo ; les jeuxsur Internet se rapproch ent des pratiques des machines à sous :
besoin d’une réponse à des stimuli prévisibles et construits par
des algorithmes, besoin d’une totale concentration et d’une
coordination œil-main, large éventail de jeux accessibles grâce
à la performance du joueur. La pratique du jeu vidéo conduirait
souvent à celle des machines à sous.
Comme les jeux de hasard et d’argent, l’utilisation de l’ordina-
teur permet une accélération du temps subjectif. L’attrait du
jeu vidéo ne vient-il pas particulièrement de ce qu’il combine
illusion de contrôle, voire de puis sance, et de maîtrise du sens ?
La seule obligation dans ces jeux est la logique, ils donnentenfin accès à un monde cohérent. Pour certains auteurs, les
jeux vidéo amènent une désocialisation, pour d’autres, c’est le
fait de pouvoir établir des liens d’amitiés avec Internet qui
favoriserait l’usage excessif. D’autres encore indiquent que la
recherche de contact par les jeux prévient tout risque dedépendance. Mais dans l’ensemble, c’est la recherche de sensa-
tions d’excitation et d’apaisement, qui constituerait le risque
majeur d’addiction.
Une caractéristique de ces jeux tient à ce qu’ils constituent une
industrie au chiffre d’affaires croissant, dépassant actuellement
celui de l’industrie du cinéma, les concepteurs cherchant à fidé-liser, voire plus, leur public en construisant de s structures de
récompense consciencieusement addictives ou en utilisant les
techniques de « tracking » pour toucher les joueurs. Ces jeux sur
Internet transforment le s modes habituels de régulation des
jeux en libérant les joueurs des contraintes sociales d’espace etde temps, du regard de l’autre et de son effet inhibiteur.
La mise en danger des relations sociales est faible concernant
le jeu vidéo. Cela s’oppose aux clichés concernant le joueur

60Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
désocialisé par l’univers virtuel. Mais le cyberespace peut être
considéré comme machine à relations et machine à sensations
qui offrent la possibilité de créer sa propre réalité grâce aux
techniques du virtuel, c’est-à-dire comme une « drogue »
potentielle.
Ainsi, les auteurs divergent dans leur évaluation et leur analyse
du jeu excessif avec les technologies de l’information. La
dépendance viendrait pour les uns du medium lui-même, ordi-
nateur ou Internet, pour les autres, elle relèverait du contenu
(jeu vidéo, jeu d’argent, chat…). Divergences aussi sur l’origine
du problème : les caractéristiques du jeu sur ces nouveaux sup-
ports, les caractéristiques de la population concernée, l’articula-
tion entre ces différentes dimensions. Il paraît actuellement
indispensable de chercher à mieux connaître ce phénomène
nouveau, complexe et trop peu étudié.
Actions de prévention po ur les jeux vidéo
et les jeux sur Internet
La technologie a toujours joué un rôle dans le développement
des pratiques de jeu. Elle fournit de nouvelles opportunités de
marché non seulement par le fait d’une amélioration technolo-
gique des jeux déjà existants : machines à sous beaucoup plus
sophistiquées, vidéo loteries, télévision interactive, jeux sur
téléphone portable, mais également parce que les jeux arrivent
sur Internet, ce qui signifie au domicile du joueur.
L’information de la population sur les risques est essentielle. Le
contenu doit porter sur les pr emiers symptômes de l’abus, de
l’addiction, les répercussions au niveau relationnel. Il faudrait
engager une réflexion collective pluridisciplinaire sur les risques
que comportent certaines offres de jeu :
• risques liés aux modalités de promotion des jeux contribuant
à forger certaines croyances ;
• risques liés à des facteurs situationnels comme l’accessibilité ;
• risques structurels tenant à la nature du produit-jeu.

61Synthèse
De ce point de vue, il y a beaucoup à faire pour comprendre les
spécificités des jeux sur Internet et des jeux vidéo (délai entre
mise et obtention possible du gain, fréquence de répétition pos-sible du jeu en particulier).
Certains insistent sur la nécessité de sensibiliser à l’identifica-
tion des symptômes (questio nnaires d’auto-évaluation), d’aider
à comprendre le phénomène de « pensée tunnel », de soutenir
l’effort de dialogue. Avec les jeun es, il faut mettr e en valeur
leurs compétences, les informer sur les aspects technologiques,
soutenir le développement de leur esprit critique, de leur auto-
nomie de pensée, développer l’argumentaire et la capacité dedébattre.
Le rôle des parents est primordial : limitation de temps, média-
tion, vérification du contenu lors de l’achat du jeu, information
sur les risques d’utilisation excessive, distanciation, et surtout
temps de discussion à propos du contenu des jeux et des pro-grammes.
La technologie pourrait être utilisée pour la promotion de la
santé en utilisan t Internet et les jeux vidéo sur CD-Rom. Les
sites de jeu d’argent pourraient co ntenir des liens vers des sites
de prise de conscience. Concernant les si tes qui utilisent le
«tracking », de telles données pourraient être utilisées pour
identifier les joueurs à problèmes et les aider plutôt que les
exploiter.
Des sites Internet, comme YouthBet.net
9, ont pour objectif de
prévenir les problèmes de jeu des jeunes, grâce à une approchede santé publique. Des informat ions multiples sur le comporte-
ment et les problèmes des joueurs sont présentées. Des conseils
sur la gestion du temps, la gestion de l’argent, la perception du
risque, l’auto-engagement ( gambling self assessment ) sont don-
nés. Des numéros de téléphone ainsi qu’une aide en ligne sur lejeu sont accessibles pour les jeunes qui sentent avoir des problè-
9. www.YouthBet.net

62Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
mes avec le jeu. Beaucoup ont dit avoir réalisé qu’ils jouaient
trop grâce à ce site.
Par ailleurs, les éditeurs de jeu d’argent sur Internet devraient
prévoir des pages d’accueil avec le logo du partenaire responsa-
ble socialement et un lien vers ce partenaire, une informationsur les lieux permettant d’avoir de l’aide. Enfin, il faudrait qu’ils
affichent un engagement au jeu responsable : pas d’encourage-
ment à rejouer, une obligation de co nfirmation après un pari
pour laisser une chance de changer d’avis, restriction des modes
d’entraînement. Tout cela pourrait constituer un code de bonne
conduite.

63Recommandations
Recommandations
Les jeux de hasard et d’argent sont devenus un véritable phé-
nomène de société. L’évolution importante de l’offre rend plus
visible les dommages que ces jeux peuvent entraîner chez des
personnes vulnérables. Dans ce contexte, la difficulté entermes de politique publique est de concilier le développement
de jeux dont l’État perçoit des recettes, le respect et la liberté
des joueurs, ainsi que la protection des personnes vulnérables.Le jeu problématique et le jeu pathologique ont des consé-
quences au plan individuel, familial et professionnel. Ils entraî-
nent désarroi et souffrance chez les personnes concernées. Bienque nous ne disposions pas de données françaises, la fréquence
des joueurs à problèmes (estimée dans d’autres pays) n’est pro-
bablement pas négligeable (1 à 3 % de la population généraleselon les études). Il apparaît donc nécessaire de poursuivre la
sensibilisation des pouvoirs publics et de former les profession-
nels de santé à la prise en charge des joueurs ayant un pro-blème avec le jeu.
Le principe de développer un volet « santé publique » dans la
politique du jeu est désormais acquis. Dans le plan « Addiction
2007-2011 » apparaît la notion de « jeu pathologique » et la
nécessité d’une prise en charge spécifique.
Cependant, il paraît di fficile d’isoler la question du jeu problé-
matique et pathologique de l’ensemble des questions d’ordreéconomique, politique, sociale et éthique que posent les jeux de
hasard et d’argent. La recherche d’une cohérence des politiques
publiques est à souligner. Dans ce sens, la nécessité d’une« autorité unique de régulat ion » est soulignée par les rapports
Trucy (2002, 2006).
Au plan de la santé publique, s’exprime la volonté de conju-
guer actions médicales et sociétales, interventions individuel-
les et collectives. Ces actions doivent être définies selon les

64Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
populations concernées et en fonction des différents niveaux
de risque. De l’information de la population générale commeprévention universelle à la prise en charge des personnes
ayant un problème avec le jeu, les différentes stratégies
d’interventions doivent être complémentaires. Les structures
qui, en France, ont acquis un savoir-faire devraient servir de
support à une politique d’information et de formation des
intervenants dans le cadre d’un plan d’action à moyen terme.
Une problématique aussi complexe justifie une recherche per-
manente interdisciplinaire incluant les sciences humaines et
sociales. Les programmes doivent faire le lien entre recherche,actions et évaluation.
De nouvelles formes de jeux (jeux vidéo, jeux sur Internet) se
développent très rapidement. Le caractère nocif d’une pratique
excessive, en particulier chez les jeunes, suscite de sérieusesinterrogations. Il serait utile de promouvoir des travaux sur ces
nouveaux jeux et les conséquences liées à leur pratique.
Selon le rapport Trucy (2006) : « Pour assurer la promotion des
études nécessaires sur les jeux, et pour promouvoir l’essentiel dela prévention de la dépendance, l’État se devrait de créer un
fond particulier ».
Les recommandations élaborées dans le cadre de cette expertise
doivent être considérées comme une première étape pour éclai-rer la décision publique. Leur mise en application devra
s’appuyer sur une expertise opérationnel le réunissant les princi-
paux acteurs concernés par le jeu (opérateurs, institutions,scientifiques, associations…).
Informer et prévenir
Une politique cohérente de prévention doit considérer plu-sieurs niveaux de risque et définir avec précision la population
cible des actions : population générale, population à risque
modéré, population à haut risque.

65Recommandations
PROMOUVOIR UNE INFORMATION CLAIRE ET OBJECTIVE
SUR LES JEUX DE HASARD ET D’ARGENT
La publicité massive concernant les jeux de hasard et d’argent
constitue à l’évidence un facteur incitatif à la consommation de
jeux. Désormais, toutes les catégories sociales sont concernées.L’accès facilité à certains types de jeu (machine à sous, Rapido,jeux de grattage…) permet aux catégories les plus économique-ment vulnérables d’accéder aux comportements de jeu. Face àcette offre croissante de jeux, certains pays (Canada, Nouvelle-
Zélande…) ont mis en place des politiques systématiques d’éduca-
tion des jeunes et d’information des adultes sur les risques éven-
tuels d’une pratique excessive. Les actions en France peuvents’inspirer largement des politiques mises en œuvre dans ces pays.
L’information doit porter en particulier sur les dommages liés au
jeu lui-même (jeu à problèmes), sur les dommages sociaux, pro-
fessionnels, familiaux (end ettement, perte d’emploi,
divorce…). Elle doit mettre clairement en avant le risque d’une
addiction (jeu pathologique) définie par une perte de contrôle
de son comportement et le maintien de ce comportement en
dépit de ses conséquences négatives. Elle doit souligner lecaractère individuel des trajectoires des joueurs, avec la possibi-
lité d’un renversement dans le comportement du joueur.
Le groupe d’experts recommande de promouvoir une informa-
tion claire et objective, qui tienne compte des données scienti-fiques établies sur les comportements de jeu et leurs excès.
Cette information qui pourrait être confiée à l’Inpes (Institut
national de prévention et d’éducation à la santé) doit s’adresseraux différents publics qui pratiquent le jeu afin que toutes lesgénérations se sentent concernées. Elle doit bien préciser lesdifférences entre le jeu social récréatif, le jeu excessif/probléma-tique défini à travers ses conséquences négatives et le jeu véri-tablement pathologique. Cette clarification devrait permettre à
chacun de s’interroger sur son comportement face au jeu. Les
actions d’informations peuvent se décliner sur différents sup-ports et dans plusieurs médias.
L’amélioration technologique des jeux déjà existants (machines
à sous, vidéo loteries, télévis ion interactive, jeux sur téléphone

66Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
portable…) ouvre de nouvelles pers pectives de marché d’autant
plus que les jeux arrivent sur Internet au domicile du joueur ousur son lieu de travail. Le jeu en ligne est plus facile, plus con-fortable car anonyme et solitaire, il échappe aux éventuellesmises en garde. Le groupe d’experts atti re l’attention sur ces
nouveaux risques liés au développement des jeux de hasard et
d’argent sur Internet. Il recommande que ces sites comportentdes liens vers des sites d’information sur les problèmes liés aux
jeux, sur des lieux vers lesquels les joueurs en difficulté pour-
raient se tourner.
ÉLABORER ET ÉVALUER UN PROGRAMME DE FORMATION
POUR LES PERSONNELS EN CONTACT AVEC LES JOUEURS
L’information des groupes considérés comme « à risques » paraît
techniquement difficile à réaliser de manière directe. Il est
cependant possible de développer la formation des opérateurs
de jeu, des détaillants et des employés gravitant dans le monde
du jeu. Certains opérateurs ont déjà pris des initiatives dans ce
sens, mais elles ne sont ni coordonnées, ni évaluées, ni validées.
Il est donc indispensable de pallier cette lacune.
Le groupe d’experts recommande de poursuivre les efforts de
sensibilisation de l’ensemble des pr ofessionnels du jeu de hasard
et d’argent, à la problématique du jeu excessif. Au-delà de cette
sensibilisation, le groupe d’experts recommande d’instituer au
niveau national un programme de formation coordonné à desti-
nation des différents milieux prof essionnels et poursuivant trois
objectifs principaux : la connaissance des risques liés au jeu, le
repérage des personnes en difficulté (par la reconnaissance des
principaux signes) et l’apprentissage de comportements appro-
priés (prise de contact et orientation vers des dispositifs d’aide).
Ce programme doit faire l’objet d’une évaluation indépendante.
PROMOUVOIR LES INTERVENTIONS PRÉVENTIVES D’INTERDITS DE JEUX
Le joueur de casino qui a pris conscience des effets nocifs de son
comportement peut volontairement se faire inscrire par les auto-
rités sur un fichier national recensant les « interdits de jeux ».

67Recommandations
Cette inscription le protège dans la mesure où il se voit refuser
l’entrée au casino. Une fois le joueur présent dans un fichier, la
décision est irrévocable pendant un délai de trois ans. Il n’existe
pas de mesure équivalente pour les autres types de jeu.
Le groupe d’experts recommande de proposer des conditions
d’auto-limitation et d’auto-interdiction de jeu s’inspirant de
celles en vigueur dans les casinos pour les autres jeux de hasard
et d’argent, y compris pour les jeux en ligne.
L’adhésion à un code de bonne conduite devrait être demandée
aux éditeurs de jeu d’argent sur Internet. Cette démarche per-
mettrait de contrôler un certai n nombre de points : vérification
de l’âge du joueur, paiement par cartes de crédit autorisé aux
seuls joueurs majeurs, seuil lim ite de crédit, pos sibilité d’auto-
exclusion et de demande d’aide, notes invitant les joueurs à
contrôler leurs jeux, pages d’accueil avec logo du partenaire
socialement responsable et lien vers ce partenaire, information
sur les lieux pour obtenir de l’aide, obligation de confirmation
après un pari pour laisser une chance au joueur de changer
d’avis, pas d’encouragement à rejouer, restriction des modes
d’entraînement et engagement au jeu responsable…
Prendre en charge les joueurs excessifs
Il importe de développer plusieurs lieux de repérage et de priseen charge de joueurs à problème : ce qui veut dire mieux repérer
les joueurs problématiques ou pathologiques dans le système de
soins non spécialisé ; optim iser l’offre de soins dans le secteur de
l’addictologie ; élargir l’offre de soins en secteur psychiatrique ;
articuler le di spositif de soins d’addictologie avec celui de la
psychiatrie.
M
ETTRE EN PLACE DES SYSTÈMES D’AIDE ET DE SOUTIEN
Des systèmes d’auto- prise en charge reposant sur différents
supports ont été expérimentés et évalués dans différents pays.

68Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
De nombreux dispositifs de conseils et de soins existent sur
Internet tels que la thérapie « online », la cyberthérapie, la e-
thérapie. L’anonymat, la facilité d’accès et le coût modeste deces méthodes de prise en charge amoindrissent probablement
les réticences à accéder aux soins.
Plusieurs pays ont développé des techniques s’appuyant sur
une intervention brève comme un appel téléphonique. Ces
méthodes ont montré une certaine efficacité pour contrôler
les manifestations du jeu pathologique ou au moins du jeu
problématique.
L’efficacité de ces interventions repose cependant sur un préa-
lable important, à savoir la motivation au changement dujoueur.
Le groupe d’experts recommande la diffusi on de conseils (et
d’adresses) à travers des brochures sur les lieux de jeux. Il
préconise de développer une ligne d’écoute téléphonique natio-nale et publique ouverte aux joueurs en difficulté avec leur pra-
tique de jeu (à la manière de ce qui existe déjà pour les
consommations de substances psychoactives). Il insiste surl’importance d’apporter aide et soutien (groupe de soutien) àl’entourage des joueurs qui est souvent en grande souffrance. Ilsouligne la nécessité d’évaluer les différents modes d’interven-
tions brèves.
M
IEUX REPÉRER LES JOUEURS EXCESSIFS /PROBLÉMATIQUES
DANS LES SYSTÈMES DE SOINS
Les joueurs ayant un problème avec le jeu consultent peu de
façon spontanée. Cependant, la majorité d’entre eux présentent
d’autres troubles qui peuvent les amener à consulter. Il s’agit
classiquement d’une autre addiction (tabac, alcool…), d’untrouble de l’humeur, de troubles anxieux, de troubles de la per-sonnalité ou encore de tentatives de suicide.
Il est capital à l’occasion d’une consultation ou d’un soin en
milieu spécialisé (psychiatrie ou addictologie) de repérer les
personnes qui ont un problème avec le jeu afin de leur proposer

69Recommandations
une prise en charge adaptée tenant compte de l’ensemble de
leurs problèmes de santé.
Le groupe d’experts recommande que les praticiens exerçant dans
les services d’addictologie et les unités de psychiatrie détectent demanière systématique les conduites de jeu problématique.
S
TRUCTURER L’OFFRE DE SOINS ET DE RECHERCHE
L’addiction aux jeux de hasard et d’argent présente certes des
points communs avec les autres addictions (aux produits psy-
choactifs et aux autres addictions comportementales) mais pré-
sente quelques spécificités dont il est important de tenir compte
dans l’offre de soins.
Dans le dispositif d’addictologie global (plan de prise en charge
et prévention des addictions 2007-2011), la place des centres
de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie
(CSAPA) doit être réaffirmée. Ces centres médico-sociaux de
proximité doivent avoir acquis les compétences appropriées
pour accueillir et accompagner des personnes présentant des
problèmes d’addiction comportementale tel s que le jeu problé-
matique. Une intervention psychosociale doit permettre de
limiter les dommages associés au jeu excessif.
Dans le dispositif hospitalier présentant l’offre de soins graduée
en trois niveaux (I, II, III) selon le plan pour les addictions, des
consultations spécialisées pour des joueurs problématiques doi-
vent être ouvertes (au moins au sein des structures de niveau III).
Le groupe d’experts recommande d’installer dans chaque inter-
région, un centre de référence universitair e, inscrit au sein
d’une structure de niveau III, dévolu aux problèmes de jeu
pathologique et impliquant des missions de soin, d’enseigne-
ment, de recherche et de formation.
Enfin, le groupe d’experts recommande de mettre en place une
coordination de ces centres permettant de développer des
approches cliniques et thérapeutiques coordonnées s’appuyantsur l’utilisation d’outils diagnostiques, de protocoles thérapeuti-
ques et de procédures communes d’évaluation.

70Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
DÉVELOPPER DES FORMATIONS DE THÉRAPEUTES POUR LA PRISE
EN CHARGE DES JOUEURS EXCESSIFS /PROBLÉMATIQUES
ET PATHOLOGIQUES
Pour améliorer la prise en charge des joueurs pathologiques, il
semble important d’accroître le niveau de compétence des thé-rapeutes en addictologie et en psychiatrie sur le jeu pathologi-que. Il s’agit de consolider leurs connaissances sur le repérage,les critères diagnostiques, les comorbidités qui sont très fréquen-
tes et les stratégies de prises en charge qui ont montré leur effi-
cacité dans le jeu pathologique.
Le groupe d’experts recommande de former en premier lieu les
équipes des centres possédant une compétence large et trans-versale en addictologie. Seraient sollicités dans ce contexte des
formateurs ayant déjà une expertise importante dans le
domaine tant au niveau national qu’international.
L’importance de l’association entre le jeu pathologique et les
autres addictions justifie la mise en place de formation desintervenants en addictions au repérage et à la prise en charge
du jeu pathologique. Il faudrait donc proposer dans un
deuxième temps aux équipes qui le souhaitent (professionnelsdes centres de soins d’accompagnement et de prévention enaddictologie, consultati ons hospitalières…) une formation vali-
dée en mobilisant les ressources disponibles.
Des études étrangères récentes montrent que le médecin géné-
raliste représente un partenaire majeur dans le repérage et la
prise en charge des joueurs pathologiques, surtout chez ceux seplaignant de dépression et d’anxiété. Les patients disent que le
médecin généraliste constitue pour eux la personne appropriéepour les aider et ils acceptent volontiers de remplir des auto-questionnaires pour le dépistage.
Le groupe d’experts recommande de proposer une formation
aux intervenants de première ligne tels que les médecins géné-ralistes, les intervenants en santé mentale (psychologues) et les
travailleurs sociaux. Des programmes de courte durée (quelques
jours au maximum) ont été expérimentés dans certains pays.

71Recommandations
Au-delà de ces formations, des ateliers de perfectionnement
sont proposés par les promoteurs des programmes.
Développer des recherches
Pour adapter une politique de santé publique, il est indispensable
de connaître la prévalence du jeu problématique et du jeu
pathologique en France. En outre, des recherches pluridiscipli-
naires s’imposent pour appréhender l’ensemble des pratiques etsocialisations ludiques contemporaines (intégrant les jeux en
ligne et les jeux vidéo) et évaluer leurs conséquences indivi-
duelles et collectives, par exemple dans le cadre d’un observa-
toire des jeux. Il importe également de comprendre comment sedéfinit l’addiction au jeu par rapport aux autres addictions déjà
bien étudiées, ce qui est commun et ce qui est différent.
PROMOUVOIR UNE ENQUÊTE NATIONALE DE PRÉVALENCE
ET DES ÉTUDES ASSOCIÉES
On ne connaît pas la prévalence du jeu problématique et du jeupathologique en population générale en France. La France est
presque un des seuls grands pays développés à ne pas avoir misen œuvre ce type d’enquête qui permet de prendre la mesure du
problème. Cette connaissance est indispensable à élaboration
d’un plan d’action cohérent en santé publique.
Les études en population générale menées aux États-Unis, au
Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Nord del’Europe indiquent une prévalence vie du jeu pathologique
autour de 1 % auquel on peut ajouter une prévalence de 2 % de
joueurs problématiques ou excessifs. Il s’agit, dans une largemajorité de cas, d’enquêtes spéci fiquement centrées sur la ques-
tion du jeu de hasard et d’argent. Parfois, cette problématique
est abordée dans le cadre d’une investigation plus large sur une
thématique santé mentale ou plus globalement santé. Cette
approche apporte une plus-value intéressante car elle permet

72Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
une analyse approfondie des liens entre les déterminants et
caractéristiques individuels de santé et les comportements de
jeu problématique.
Les enquêtes les plus récentes privilégient la « prévalence-
année » à la « prévalence-vie » depuis que le caractère chroni-
que du jeu pathologique est discuté.
Ces études font ressortir des facteurs associés à ces comporte-
ments qui sont globalement identiques à ceux déjà impliqués
dans les autres com portements addictifs. Il y a un lien fort entre
jeu pathologique, consommation de produits psychoactifs et
présence de troubles psychiatriques.
Le groupe d’experts recommande de promouvoir une enquête
de prévalence nationale s’appuyant sur le corpus d’expériences
accumulées dans les autres pays. Il souligne l’intérêt d’articulerune telle démarche avec une approche abordant plus globale-
ment les addictions et la santé me ntale. Cette étude de préva-
lence devrait permettre de préciser les caractéristiques socio-
démographiques et économiques des personnes les plus tou-
chées.
DÉVELOPPER DES ÉTUDES SUR LES NOUVEAUX TYPES DE JEUX
Les études portant sur l’addiction à Internet ou aux jeux vidéo
(Playing ) sont plus récentes (depuis le milieu des années 1990),
en nombre limité et encore centrées sur les problèmes de con-
cepts et de méthodes. Il est donc difficile en France comme
ailleurs d’estimer l’ampleur du phénomène d’addiction à ces
nouveaux types de jeux. Deux études en population généralechez les jeunes (pays scandinaves) et chez les adultes (États-
Unis) indiquent des prévalences de joueurs pathologiques de
2 % et 1 % respectivement. Ces prévalences apparaissent pro-ches de celles observées pour les jeux de hasard et d’argent.
Il apparaît nécessaire de mener des recherches sociologiques
afin de mieux comprendre ces jeux, en tant que nouvelle forme
de loisir ou en tant que pratique quasi sportive par exemple.Ces recherches pourraient étudier l’évolution des pratiques

73Recommandations
culturelles en relation avec l’univers de la technologie, l’imagi-
naire et l’interactivité.
Le groupe d’experts recommande de développer des travaux
sociologiques pour comprendre les pratiques vidéo-ludiques quis’inscrivent dans les transformat ions de notre société. Concer-
nant l’addiction à ce type de jeux, il recommande de valider en
premier lieu des concepts et des outils pour repérer le jeu pro-blématique et de réaliser ensuite des études en population.
P
ROMOUVOIR DES ÉTUDES DE COHORTES
POUR MIEUX CONNAÎTRE LES TRAJECTOIRES DES JOUEURS
Les conséquences économiques, sociales, pathologiques des jeux
de hasard et d’argent n’ont pas encore été étudiées sur des
cohortes suffisamment larges pour qu’il soit possible d’en tirerdes conclusions scientifiquement recevables. Les enseignements
tirés des pays étrangers, en majorité anglo-saxons, pour intéres-
sants qu’ils soient, ne sauraient remplacer des études in situ .
La plupart des études disponibles ne permettent pas de préciser
la chronologie exacte de l’histoire des pratiques plus ou moins
contrôlées de jeu de hasard et d’argent. Ceci souligne lemanque d’études longitudinales sur des durées suffisamment
longues et également l’insuffisance de documentation des guéri-
sons « spontanées » par arrêt ou reprise d’une pratique contrô-lée (qui n’est pas propre aux conduites de jeu pathologique mais
régulièrement soulignée également à propos des addictions à
des substances psychoactives). L’absence de stabilité dans le
temps du statut de joueur pathologique est une caractéristiquefréquemment rapportée dans les études. Moins de 40 % des
joueurs qui remplissent les critères de jeu pathologique vie
entière ont encore ce diagnostic lors de leurs phases de jeu lesplus récentes.
Par ailleurs, beaucoup d’auteurs ont souligné ces dernières années
l’intérêt de pouvoir identifier des sous-groupes au sein de la popu-
lation des joueurs pathologiques, caractérisés par certaines parti-
cularités cliniques mais aussi pa r un certain nombre de facteurs
plus ou moins spécifiques (sociologiques, psychobiologiques…).

74Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
Les études montrent que plus l’initiation au jeu de hasard et
d’argent est précoce, plus le délai entre cette initiation et lerecours à un traitement en cas de jeu pathologique est grand etceci de façon identique dans les deux sexes. Certaines études sou-lignent en revanche les différences entre les hommes et les
femmes : problème de jeu plus tardif chez les femmes, moins
d’association avec la dépendance à une substance psychoactive et
recherche plus rapide de soins. Il serait important également desavoir si les conduites délinquantes dérivent des problèmes de jeuou bien si les problèmes de jeu et les conduites délinquantes
découlent d’antécédents d’ordre personnel (vulnérabilité, con-
duite antisociale, conduite à risques) et familial (pratiques paren-tales excessives et transgressives).
Le groupe d’experts recommande de développer des études de
cohortes sur de longues durées à la fois en population générale
et sur des joueurs suivis dans des structures de soins pour les
problèmes liés au jeu. Il s’agit de mieux cerner la réalité com-
plexe de ces parcours et les facteurs impliqués au niveau des
périodes de rétablissement aussi bien que de rechute, de façon àen tirer le maximum d’enseignements en termes de prévention
et d’indications thérapeutiques.
D
ÉVELOPPER DES ÉTUDES EN NEUROPSYCHOLOGIE
DANS LES COHORTES
L’impulsivité (résultant d’une difficulté d’autorégulation ou
d’autocontrôle) est au cœur de la définition du jeu problémati-que/pathologique. Pour l’essentiel, les recherches confirment
que les difficultés d’autorégulatio n sont en lien avec le jeu pro-
blématique/pathologiqu e. Cependant, l’apport de ces études
reste assez limité dans la mesure où elles ont été réalisées sans
référence claire à un modèle théorique spécifiant à la fois les
différentes facettes de l’autorégulation (ou de l’impulsivité)
ainsi que la contribution de chacune de ces facettes au dévelop-pement et/ou au maintien du jeu problématique/pathologique.
Dans le futur, des recherches doivent être entreprises sur la base
des modèles récents qui ont identifié les différentes dimensions

75Recommandations
de l’autorégulation ainsi que les mécanismes psychologiques
(cognitifs et motivationnels) impliqués dans ces dimensions.
Le groupe d’experts recommande de mener des travaux dans
une perspective longitudinale et dynamique, en se focalisant surles moments de chan gement dans le com portement de jeu
(début, accroissement, réduction, automatisation ou création
d’habitudes, prise de conscience du problème, recherche ou nond’aide, interruption du traitem ent, rétablissement spontané).
Outre les processus d’autorégulation, il s’agirait également
d’explorer longitudinale ment les buts et motivations, affects,
style cognitif, croyances et perceptions de soi (conscientes etnon conscientes) des joueurs, en lien avec différents types
d’activité de jeu et en prenant en compte différentes variables
socio-démographiques.
Ces recherches devraient considérer le jeu pathologique, non
pas comme une entité isolée, mais comme une des manifesta-tions des troubles dits extern alisés (incluant le comportement
antisocial et les abus de substances). En effet, de plus en plus de
données suggèrent qu’il existe un continuum au sein de lapopulation générale concernant le risque de présenter des
troubles externalisés multiples.
D
ÉVELOPPER DES ÉTUDES SUR LE COÛT SOCIAL
Il n’existe pas d’étude sur le coût social des jeux de hasard et
d’argent en France. L’estimation de ce coût social suppose toutd’abord l’identification de l’ensemble des dommages engendrés
par cette pratique, puis leur monétarisation, en respectant un
cadre méthodologique rigoureux. La construction de cet indica-
teur apparaît particulièrement utile à la mesure du problème et
à la configuration des politiques publiques.
Du fait de l’importance des questions qui restent encore en débat,
il est évident que les estimation s du coût social du jeu réalisées
jusqu’à présent dans d’autres pays doivent être considérées avec
précaution. Ces estimations présentent l’intérêt de montrer que
les coûts familiaux et les coûts int angibles (douleur des proches,

76Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
coûts psychologiques liés à une séparation ou à un suicide…)
pourraient représenter environ 90 % du coût total estimé.
Le groupe d’experts recommande d’identifier les données éco-
nomiques disponibles sur les jeux de hasard et d’argent et dedévelopper des études de coût social en population générale.
Celles-ci doivent impérativement s’accompagner d’une défini-
tion de la part attribuable aux jeux de hasard et d’argent et spé-
cifier les di fférents types de jeux et de joueurs. D’autres types
d’études économiques portant, par exemple, sur les bénéfices
provenant des activités de jeu (calculs de surplus des consom-mateurs et des producteurs) et sur leurs liens avec le développe-
ment économique, les inégalités ou la criminalité (vol,
escroquerie, usage de faux…) seraient également souhaitables.
A
DAPTER ET VALIDER DES OUTILS DE REPÉRAGE
DES JOUEURS À PROBLÈME
Les tests de repérage les plus utilisés dans le monde en matière
de jeu excessif/problématique et pathologique sont le South
Oaks Gambling Screen (SOGS) (de loin le plus utilisé), le test
adapté du DSM-IV et le Canadian Problem Gambling Index
(CPGI). Ils sont utilisés comme moyen de dépistage ; le DSM-IV
restant l’outil de référence pour le diagnostic. Cependant,
leur pertinence pour les jeunes joueurs et pour les seniors estdiscutée.
Le groupe d’experts recommande d’adapter et de valider les
outils de dépistage et de diagnostic existants, à l’intention des
adolescents d’une part, et des seniors d’au tre part, pour lesquels
ils paraissent in adaptés. Les outils de dépistage doivent être
validés pour les jeux de hasard et d’argent traditionnels mais
également pour les jeux de hasard et d’argent en ligne.
D
ÉVELOPPER DES ÉTUDES D’ÉVALUATION DE PROTOCOLES
DE PRISE EN CHARGE
Un ensemble de politiques et de mesures, destinées à prévenir et
traiter le développement d’habitudes de jeu excessives, ont été

77Recommandations
développées dans plusieurs pays. Étant donné les comorbidités
importantes, les protocoles thérapeutiques doivent prendre encompte ces troubles associés. Ces associations entre jeu patholo-
gique et autres addictions d’une part, et entre jeu pathologique
et autres troubles psychiatriques d’autre part, sont surtout retrou-vées chez les joueurs pathologiques ayant débuté de manière pré-
coce (à l’adolescence) leur conduite de jeu pathologique.
Le groupe d’experts recommande de développer des études
d’évaluation de protocoles de prise en charge et des études
d’impact des approches thérapeutiques, aussi bien psychothéra-piques que chimiothérapiques et sociales.
P
OURSUIVRE DES RECHERCHES FONDAMENTALES
SUR LES MÉCANISMES EN CAUSE DANS L’ADDICTION AU JEU
Le jeu est-il une drogue au même titre que les psychostimulants,
les opiacés, l’alcool ou le tabac ? Cette question n’est pasaujourd’hui résolue. Une des questions centrales à propos des
addictions sans drogue est de savoir si on peut utiliser, pour les
comprendre, les modèles validés dans les addictions à des subs-tances psychoactives.
Parmi ces modèles, l’un d’entre eux a montré que la prise répé-
tée de produits aussi différen ts que les psychostimulants
(cocaïne, amphétamine), les opiacés (morphine, héroïne) ou
l’alcool entraîne la dissociation (ou découplage) de la régula-tion mutuelle des neurones noradrénergiques et sérotoninergi-
ques. Ce découplage se traduirait, entre autres, par le malaise
que décrivent les toxicomanes. Reprendre de la drogue permet-
trait un recouplage artificiel de ces neurones et un soulagementtemporaire, expliquant ainsi les rechutes.
Le jeu peut-il par lui-même entraîner un découplage identique ?
La réponse n’est pas simple car la très grande majorité des
joueurs excessifs souffre de patholo gies associées. Il est donc
possible que ce soient ces pathologies, y compris la présenced’addictions au tabac et à l’alcool, qui rendent vulnérable le
sujet, le jeu pathologique n’étant alors qu’une des expressions et
non pas l’origine de la pathologie addictive.

78Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
Cependant, on ne peut exclure que le simple fait de s’adonner
au jeu puisse, comme le ferait une drogue d’abus, entraîner des
modifications du système nerveux central puisqu’il semble exis-ter des joueurs pathologiques n’ayant aucune addiction ni
aucun trouble psychique associés. Une des hypothèses qui pour-
rait être étudiée est que, chez certaines personnes, le stress etl’angoisse que peut engendrer le jeu augmentent de façon chro-
nique la sécrétion de glucocorticoïdes et reproduisent, en
l’absence de produit, des activations neuronales et un décou-plage analogues à ce qui est obtenu avec les drogues addictives.
Le groupe d’experts recommande d’une part, d’effectuer des
recherches pré-cliniques pour tester le rô le du stress dans le
développement d’une addiction au jeu et d’autre part d’analy-
ser, à partir des types de jeux auxquels sont attachés les joueurs
pathologiques, s’il existe des jeux plus susceptibles que d’autres,
de déclencher un phénomène d’addiction.
On peut par ailleurs considérer qu’un objet d’addiction n’est
addictogène que dans la mesure où il est consommé par un indi-
vidu préalablement vulnérable. Cette vulnérabilité pourraitrésulter des comorbidités diverses observées chez les joueurs
pathologiques, de condition s délétères préexist antes en matière
d’éducation et d’environnement, de troubles de la personnalité,
de trajectoires de vie stressantes. Les troubles développés sont
donc complexes : propres à l’objet et propres aux comorbidités.
Si vulnérabilité et comorbidité ont des traductions neurobiolo-giques, les progrès à accomplir sont considérables avant d’obte-
nir des données scien tifiques de référence.
Le groupe d’experts recommande d’étudier les différences inter-
individuelles qui sous-tendent la vulnérabilité et les conditions
d’entrée dans le processus addictif au jeu. Les neurosciences
avec les autres disciplines peuvent contribuer à ces études. Ces
recherches pourraient concourir à établir les fondements depolitiques de prévention et de soins.

79ANNEXE
Expertise collective Inserm : éléments de méthode
L’Expertise collective Inserm10 apporte un éclairage scientifique
sur un sujet donné dans le domaine de la santé à partir de l’ana-lyse critique et de la synthèse de la littérature scientifique inter-
nationale. Elle est réalisée à la demande d’institutions
souhaitant disposer des données récentes issues de la rechercheutiles à leurs processu s décisionnels en matière de politique
publique. L’Expertise collective Inserm doit être considérée
comme une étape initiale, nécessaire mais le plus souvent nonsuffisante, pour aboutir aux prises de décision. Les conclusions
apportées par les travaux d’expertise collective contribuent,
mais ne peuvent se substituer, au débat des prof essionnels con-
cernés ou au débat de société si les questions traitées sont parti-
culièrement complexes et sensibles.
L’Expertise collective Inserm peut être complétée, à la demande
d’un commanditaire, par une expertise « o pérationnelle » qui
s’intéresse à l’application des connaissances et recommanda-tions en tenant compte de facteurs contextuels (programmes
existants, structures, acteurs, formations…). Ce type d’expertise
sollicite la participation d’acteurs de terrain susceptibles de
répondre aux aspects de faisabilité, de représentants d’adminis-
trations ou institutions chargées de promouvoir les applications
dans le domaine concerné, d’experts ayant participé aux exper-tises, de représentants d’associations de patients. La mise en
commun de cultures et d’expériences variées permet une appro-
che complémentaire à l’expertise collective dans un objectif
d’opérationnalité. De même, différents travaux (recommanda-
tions de bonnes pratiques, audition publique…) conduits sousl’égide de la Haute autorité de santé (HAS) peuvent faire suite
à une expertise collective Inserm.
10. Label déposé par l’Inserm

80Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
L’expertise collective est une mission de l’Inserm depuis 1994.
Une soixantaine d’expertises collectives ont été réalisées dansde nombreux domaines de la santé. L’Institut est garant des
conditions dans lesquelles l’exper tise est réalisée (exhaustivité
des sources documentaires, qualification et indépendance desexperts, transparence du processus).
Le Centre d’expertise collective Inserm organise les différentes
étapes de l’expertise depuis la phase d’instruction jusqu’aux
aspects de communication du rapport avec le concours des ser-vices de l’Inserm. L’équipe du Centre d’expertise collective
constituée d’ingénieurs, de chercheurs et d’un secrétariat assurela recherche documentaire, la logistique et l’animation des réu-nions d’expertise, et contribue à la rédact ion scientifique et à
l’élaboration des produits de l’expertise. Des échanges réguliersavec d’autres organismes publics (EPST) pratiquant le mêmetype d’expertise collective ont permis de mettre en place desprocédures similaires.
Instruction de la demande
La phase d’instruction permet de définir la demande avec lecommanditaire, de vérifier qu’il existe bien une littératurescientifique accessible sur la question posée et d’établir uncahier des charges qui précise le cadrage de l’expertise (état des
lieux du périmètre et des principales thématiques du sujet), sa
durée et son budget à travers une convention signée entre lecommanditaire et l’Inserm.
Au cours de cette phase d’instruction sont également organi-
sées par l’Inserm des rencontres avec les associations de
patients pour prendre connaissance des questions qu’elles sou-
haitent voir traitées et des sources de données dont elles dis-posent. Ces informations seront intégrées au programmescientifique de l’expertise. Pour certains sujets, un échangeavec des partenaires industriels s’avère indispensable pouravoir accès à des données compléme ntaires inaccessibles dans
les bases de données.

81Mise en place d’un comité de suivi et d’une cellule
d’accompagnement de l’expertise
Un comité de suivi constitué de représentants du commandi-
taire et de l’Inserm est mis en place. Il se réunit plusieurs fois aucours de l’expertise pour suivre la progression du travail desexperts, évoquer les difficultés éventuelles rencontrées dans letraitement des questions, veiller au respect du cahier des char-
ges et examiner d’éventuels nouveaux éléments du contexte
réglementaire et politique utiles pour le travail en cours. Lecomité est également réuni en fin d’expertise pour la présenta-
tion des conclusions de l’expertise avant l’établissement de laversion finale du rapport.
Pour les expertises traitant de sujet s sensibles, une cellule
d’accompagnement est également mise en place qui réunit des
représentants de la Direction générale de l’Inserm, du conseilscientifique, du comité d’éthi que de l’Inserm, du département
de la communication, des chercheurs en sciences humaines etsociales et des spécialistes d’histoire des sciences. Cette cellule apour rôle de repérer au début de l’expertise les problématiquessusceptibles d’avoir une forte résonance pour les professionnelsconcernés et pour la société civile et de suggérer l’audition de
professionnels des domaines connexes, de représentants de lasociété civile et d’associations de patients. En bref, il s’agit de
prendre la mesure de la perception que les différents destinatai-
res pourront avoir de l’expertise. Avant la publication de
l’expertise, la cellule d’accompagnement porte une attention
particulière à la façon dont la sy nthèse et les recommandations
sont rédigées incluant si nécessaire l’expression de différents
points de vue. En aval de l’expertise, la cellule a pour mission
de renforcer et d’améliorer la diffusion des résultats de l’exper-
tise en organisant par exemple des colloques ou séminaires avecles professionnels du domaine et les acteurs concernés ou
encore des débats publics avec les représentants de la société
civile. Ces échanges doivent permettre une meilleure compré-
hension et une appropriation de la connaissance issue del’expertise.

82Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
Réalisation de la recherche bibliographique
Le cahier des charges, établi avec le commanditaire, est traduit
en une liste exhaustive de questions scientifiques correspon-
dant au périmètre de l’expertise avec l’aide de scientifiques
référents du domaine appartenant aux instances de l’Inserm.Les questions scientifiques permet tent d’identifier les discipli-
nes concernées et de construire une arborescence de mots clés
qui servira à une interrogation systématique des bases de don-nées biomédicales internationales. Les articles et documentssélectionnés en fonction de leur pertinence pour répondre aux
questions scientifiques constituent la base documentaire qui
sera transmise aux experts. Il sera demandé à chacun des mem-bres du groupe de compléter tout au long de l’expertise cettebase documentaire.
Des rapports institutionnels (parlementaires, européens, interna-
tionaux…), des données statistiques brutes, des publications éma-
nant d’associations et d’autres documents de littérature grise sont
également repérés (sans prétention à l’exhaustivité) pour complé-
ter les publications académiques et mis à la disposition des
experts. Il leur revient de prendre en compte, ou non, ces sources
selon l’intérêt et la qualité des informations qu’ils leur reconnais-
sent. Enfin, une revue des principaux articles de la presse française
est fournie aux experts au cours de l’expertise leur permettant de
suivre l’actualité sur le thème et sa traduction sociale.
Constitution du groupe d’experts
Le groupe d’experts est constitué en fonction des compétences
scientifiques nécessaires à l’analyse de l’ensemble de la biblio-graphie recueillie et à la complémentarité des approches.L’Expertise collective Inserm étant définie comme une analysecritique des connaissances académiques disponibles, le choix
des experts se fonde sur leurs compétences scientifiques, attes-
tées par leurs publications dans des revues à comité de lecture et
la reconnaissance par leurs pairs. La logique de recrutement des
experts fondée sur leur compétence scientifique et non leur

83connaissance du terrain est à souligner, dans la mesure où il
s’agit d’une source récurrente de malentendus lors de la publica-tion des expertises.
Les experts sont choisis dans l’ensemble de la communauté
scientifique française et inter nationale. Ils doivent être indé-
pendants du partenaire commanditaire de l’expertise et de grou-pes de pression reconnus. La composition du groupe d’experts
est validée par la Direction générale de l’Inserm.
Plusieurs scientifiques extérieurs au groupe peuvent être sollici-
tés pour apporter ponctuellement leur contribution sur unthème particulier au cours de l’expertise.
Le travail des experts dure de 12 à 18 mois selon le volume de
littérature à analyser et la complexité du sujet.
Première réunion du groupe d’experts
Avant la première réunion, les experts reçoivent un docu-
ment explicatif de leur missio n, le programme scientifique
(les questions à traiter), le plan de travail, la base bibliogra-
phique de l’expertise établie à ce jour ainsi que les articles qui
leur sont plus spécifiquement attribués selon leur champ decompétence.
Au cours de la première réunion, le groupe d’experts discute la
liste des questions à traiter, la complète ou la modifie. Il exa-mine également la base bibliographique et propose des recher-
ches supplémentaires pour l’enrichir.
Analyse critique de la littérature par les experts
Au cours des réunions, chaque expert est amené à présenter
oralement son analyse critique de la littérature sur l’aspect quilui a été attribué dans son champ de compétence en faisant la
part des acquis, incertitudes et controverses du savoir actuel.
Les questions, remarques, points de convergence ou de diver-gence suscités par cette analyse au sein du groupe sont pris enconsidération dans le chapitre que chacun des experts rédige.

84Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
Le rapport d’analyse, regroupant ces différents chapitres, reflète
ainsi l’état de l’art dans les différentes disciplines concernéespar le sujet traité. Les références bibliographiques utilisées parl’expert sont citées au sein et en fin de chapitre.
Synthèse et recommandations
Une synthèse reprend les grandes lignes de l’analyse de la litté-
rature et en dégage les principaux constats et lignes de force.Certaines contributions d’intervenants extérieurs au groupe
peuvent être résumées dans la synthèse.
Cette synthèse est plus spécifiq uement destinée au commandi-
taire et aux décideurs dans une perspective d’utilisation des
connaissances qui y sont présentées. Son écriture doit donc
tenir compte du fait qu’elle sera lue par des non scientifiques.
Dès la publication du rapport, cette synthèse est mise en ligne
sur le site Web de l’Inserm. Elle fait l’objet d’une traduction en
anglais qui est accessible sur le site du NCBI/NLM ( National
Center for Biotechnology Information de la National Library of
Medecine ) et Sinapse ( Scientific INformAtion for Policy Support in
Europe , site de la Commission Européenne).
À la demande du commanditaire, certaines expertises collecti-
ves s’accompagnent de « recommandations ». Deux types de
« recommandations » sont formulés par le groupe d’experts.
Des « principes d’actions » qui s’appuient sur un référentielscientifique validé pour définir des actions futures en santé
publique (essentiellement en dépistage, prévention et prise en
charge) mais qui en aucun cas ne peuvent être considéréscomme des recommandations « opérationnelles » dans la
mesure où les éléments du contexte économique ou politique
n’ont pas été pris en compte dans l’analyse scientifique. Des
« axes de recherche » sont également proposés par le groupe
d’experts pour combler les lacun es de connaissances scientifi-
ques constatées au cours de l’analyse. Là encore, ces proposi-tions ne peuvent être considérées comme des recherches
« prioritaires » sans une mise en perspective qu’il revient aux
instances concernées de réaliser.

85Lecture critique du rapport et de la synthèse
par des grands « lecteurs »
Pour certaines expertises traitant de sujets sensibles, une note
de lecture critique est demandée à plusieurs grands « lecteurs »
choisis pour leurs compétences scientifiques ou médicales, exer-
çant des fonctions d’animation ou d’évaluation dans des pro-grammes de recherche français ou européens ou encore
participant à des groupes de travail ministériels. De même, le
rapport et la synthèse (et recommandations) peuvent êtresoumis à des personnalités ayant une bonne connaissance du
« terrain » et susceptibles d’appréhender les enjeux socioécono-
miques et politiques des connaissances (et propositions) quisont présentées dans l’expertise.
Présentation des conclusi ons de l’expertise
et mise en débat
Un séminaire ouvert à différents milieux concernés par le
thème de l’expertise (associations de patients , associations pro-
fessionnelles, syndicats, inst itutions…) permet une première
mise en débat des conclu sions de l’expertise. C’est à partir de
cet échange que peut être établie la version finale du document
de synthèse intégrant les diff érents points de vue qui se sont
exprimés.

POUR COMMANDER L’OUVRAGE
D’EXPERTISE COLLECTIVE
Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions
Éditions Inserm, juillet 2008, 492 pages, 40 €
Collection Expertise collective
ISBN 978-2-85598-866-7
• Librairies
• Lavoisier
www.lavoisier.fr
Pour tout renseignement :
•I n s e r m
Département de l’infor mation scientifique
et de la communication101, rue de Tolbiac
75654 Paris Cedex 13
Tél. : 01 44 23 60 78Fax : 01 44 23 60 69
maryse.cournut@inserm.fr

Imprimé par JOUVE, 11, boulevard de Sébastopol, 75001 PARIS
N° 462536Y — Dépôt légal : Juillet 2008

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et d’argent
Contexteset addictions
Expertise collective
Synthèse et recommandationsExpertise collective C o n t e x t e se ta d d i c t i o n s Jeux de hasard et d’argentExpertise collective
Synthèse et recommandations
www.inserm.fr ISBN 978-2-85598-867-5

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