Ciocoiu Bianca Elena Licenta 2019. (1) [605913]

UNIVERSITÉ „ALEXANDRU IOAN CUZA” IAȘI
FACULTÉ DE S LETTRES
LANGUES ET LITTÉRATURES: FRANÇAIS -ALLEMAND

MÉMOIRE DE LICENCE

Rédigé sous la direction de:
Conf. univ. dr. Brîndușa -Elena GRIGORIU

Par: Bianca -Elena CIOCOIU

Iași, JUILLET 2019

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UNIVERSITÉ „ALEXANDRU IOAN CUZA” IAȘI
FACULTÉ DE LETTRES
LANGUES ET LITTÉRATURES: FRANÇAIS -ALLEMAND

MÉMOIRE DE LICENCE
AMOUR AU F ÉMININ : DEUX CAS DE FIGURE DU
MOYEN ÂGE CENTRAL

Rédigé sous la direction de:
Conf. univ. dr. Brîndușa -Elena GRIGORIU

Par : Bianca -Elena CIOCOIU

IAȘI, JUILLET 2019

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TABLE DE MATIÈRES

INTRODUCTION…………………………………………………… ..… 3
CHAPITRE I ………………. ………………………………………… ..…5
1.1 Présentation de la con dition médiévale de la femme :
paradig mes scientifiques, littéraires, théologiques ……… .…… ……… ..5
1.2 Deux cultures liées. Du latin au français . Les lettres d'Héloïse et
d'Abélard . Les Romans de la Rose ………… ………… ..…………… ..….11
CHAPITRE II………… ………………… …………… ………………… ..21
2.1 Héloïse, jeux de rôles : Agent(e) et patient(e) de l'amour dans les
lettres……………………………………….. ………………………. …………………………..21
2.2 L'agentivité féminine, entre la parole et l'indicible ………… ……..24
2.3 La Voix qui crie dan s le désert …………. ……………….. ……….31
CHAPITRE III . Les Romans de la Rose. Mirages de l'allégorie …….37
3.1 La Rose : Un rêve…………… ………………….……………… …41
3.2 Un objet fantasmé………………… …………. ………………… …………43
3.3 Un sujet? … ……………………… ……………… ………………46
CONC LUSIONS……… ………………. ………………………… ………48
BIBLIOGRAPHIE…….. ………… ……………………… …………………..50

3

INTRODUCTION
Dans ce mémoire de licence on se propose d’analyser des figures féminines
contraintes par une société repoussante , où le pouvoir masculin prévaut. Comme on l’a
annoncé dès le titre, ce qu e vise ce travail est l’amour au féminin, c’est -à-dire la posture
de la femme dans une relation avec un homme qui d’habitude se pos itionn e plus haut
qu’elle. Les deux cas qui nous intéressent ici sont les images féminines illustrées dans
deux œuvres qui co mposent notre corpus d’analyse : les Lettres d’Abélard et d’Héloïse
qu’on a la chance de lire aujourd’hui grâce aux traductions du latin et de l’édition de la
correspondance réunie dans un seul livre, et Les Romans de la Rose , au pluriel, parce
qu’on parle de deux œuvres écrites à une distance de 40 ans : le premier écrit par
Guillaume de Lorris et le second, comme une continuation, par Jean de Meun.
Pour y arriver, on va examiner dans cette étude le s contexte s social et culturel qui
ont manipulé l’image de la femme d’un siècle à l’autre. Même dans la répartition des
classes sociales, la femme était absente car, ni dans la guerre, ni dans l’Eglise elle
n’avait aucune place. Sa position la plus discutée était cel le d’ épouse ; le mariage
imposait à la femme une distance de tout ce qui était à l’extérieur du milieu conjugal , sa
seule préoccupation étant de maintenir l’héritage dans le même cercle famil ial par un
mariage arrangé , de contenter son époux et de procréer. On oppose toujours l’Eglise aux
laïcs, le plaisir charnel à la divinité, l’amour courtois à l’amour chrétien. C’est avec cette
visée sociétale plus ample qu’on a choisi ces deux textes pour notre travail : à travers les
Lettres d’Abélard et d’Hél oïse on va parler de cette lutte religieuse et profane entre un
maître dur et ambitieux et une femme sensible et passionnelle. On verra Héloïse dans le
rôle de victime de l’amour et du milieu social religieux, on suivra son évolution d’un
couvent à l’autre , car elle commence comme une religieuse à Argenteuil et finit
comme l’abbesse du Paraclet ; elle sera aussi l’image de la femme qui lutte contre les
règles monacales et qui fait que le cri des nonnes soit pour une fois écouté. En bref, on
fera un parallèl e entre l’agentivité féminine et la voix qui cri e dans le désert ; qui
pourrait en être un meilleur exemple qu’Héloïse, elle qui comprend c es deux postures à
la fois ?

4
Quant au second livre , on parle d’une posture, même si allégorique, plutôt générale
de la femme, parce qu’on ne donne pas un cas concret, un nom, une image féminine
distincte . On parle de La Rose qui, au -delà d’une fleur, représente un rêve, un désir et le
sujet d’un manifeste important du XIII ͤ siècle. La femme est cette fois -ci un objet qui
rend l’homme victorieux. Notre Rose (la femme) n’agit pas ; toute l’action se passe
indépendamment d’elle, et même les images allégoriques qui devraient représenter ses
sentiments émanen t d’une force ex térieure, dissociée de sa réalité charnelle (Honte,
Peur, Franchise). Dans ce contexte, on se concentrera sur trois axes : l’allégorie , tout
simplement, qui montre la femme rêvée sous l’image de la rose ; le rêve érotique ou la
pédagogie du plaisir où on analyse la métaphore de la cueillette de la rose comme la
conquête de la femme, dans le cadre d’une initiation et d’une performance érotique s
autour l’idée de la déflora tion de la rose ; le naturalisme comme prétexte pour une lutte
des pens ées, où on pose Meun contre les ordres mendiants concernant la pauvreté et le
célibat.
Dans la mesure où on avance, o n aura l’occasion d e parler de quelques aspects
culturels étroitement liés à ces œuvres qui reflètent en fait les évènements qui marquent
le siècle ayant forcé leur apparition ; il s’agit de la Querelle des universaux , introduite
lors d’un résumé visant les conceptions d’Abélard sur la vie -surtout sur le péché -, et de
la Querelle de la Rose à cause de la misogynie que Meun prouve dans son roman.
En terminant cette introduction, il faut dire que l’univers féminin médiéval ne peut
qu’illustrer une infériorité de celle qu’on a nommée « le sexe faible », car elle n’est
qu’une cible de l’évolution ma sculine, de l'atteinte de la perfection érotique et guerrière.
Même si on a parfois l’impression d e voir la femme dans un e véritable hypostase de
déesse , chantée et vénérée par les troubadours et les trouvères , elle ne reste que le plus
grand prix du succ ès masculin qui, à l’aide de ses pouvoirs et ses atouts, a gagné encore
une fois au détriment de la femme.

5

CHAPITRE I.
Présentation de la condition médiévale de la femme… paradigmes
scientifiques, littéraires, théologiques
Le Moyen Âge, dans son contexte culturel et théologique , peut être défini par
une querelle entre l’É glise (le catholicisme) et les réactions sociales suscitées par
l’amour courtois. La première isolait la femme, la voulait loin de toute activité sociale et
l’enfermait là où les hommes n’avaient pas d’accès, dans les monastères ; l’Eglise la
considérait inférieure, même dans le mariage. L’amour courtois , de l’autre côté mettait
la fem me sous un nouveau jour ; elle était célébrée , désirée , chantée , et les activités des
hommes tournaient autour de sa conquête .
Le Haut M oyen Âge, qui commence au V ͤ siècle, après la décadence de
l’Empire Romain d’Occident , et finit au X ͤ siècle, est influencé par les doctrines du
christianisme , nouvelle religion défendu e par les clercs qui détiennent le pouvoir dans
tous les domaines comme la culture, la politique, le système socio -économique , et, plus
tard, du monachisme (VII ͤ – XI ͤ siècle, représenté par la vie solitaire des moines dans les
monastères). C’est justement pendant cette période qu’une société tripartite trouvera sa
place. Il y a donc les oratores ( les clercs) représentant l’idé al monastique et la prière
comme aide divine, les bellatores , c’est-à-dire l’ordre militaire y compris les guerriers,
nommés chevaliers au XII ͤ siècle, et les laboratores, la masse paysanne, les travailleurs.
La vie des gens sera elle aussi divisée : vie contemplative et vie active. Alors , dans un
monde où les hommes avaient le choix entre s’isoler pour contempler et vivre librement
chaque expérience, quelle qu’elle soit, on est en droit de se demander quelle est la place
réservée à la femme.
Dans la théologie du H aut Moyen  ge, une image claire sur le « sexe faible »
nous est donnée à tr avers les femmes de l’Ecriture, « Eve, la femme pécheresse, et

6
Marie, la femme idéale ».1 Dès le début, la femme a été inculpée pour toute décadence
de l’homme. On ne voyait en elle que le péché et la chute : « dès l’origine du monde, la
première femme a fait bannir l’homme du paradis terrestre ; et celle qui avait été créée
par le Seigneur pour lui venir en aide a été l’ instrument de sa perte. »2. Toujours
inférieure, « la femme n’est pas considérée comme une créature divine. Si l’homme est
l’image de Dieu, la femme n’est que l’image de l’homme »3, et c’est pourquoi o n a
décidé de l’isoler, de la voir seulement dans une posture domestique comme maît resse
de maison ; le cercle fermé dont le centre est la femme était bien imprégné dans le
système de croyance s du temps et son rôle n’arrête pas d’être accentué à toute occasion.
Dans le contexte de l’union des deux figures si opposées du Moyen Âge, homme et
femme, il est le temps d e définir dans ma recherche les principes de l’Église et de la
courtoisie et de bien en tracer les différentes exigen ces pour mi eux comprendre
l’évolution (si elle existe vraiment) de la femme. Une importante dispute qui plane
autour de la position de la femme face à l’homme commence au Moyen  ge
Central (XI ͤ – XIII ͤ siècle), avec la r éforme grégorienne qui aura comme but d’obtenir
l’indépendance de l ’Eglise par rapport aux pouvoirs laïcs, d e lutter contre le nicolaïsme4
et la simonie5. On voit donc se confronter deux pouvoirs : les clercs (les « litterati »,
ceux qui connaissent le latin) et les laïcs (les « illiterati »). « L es cle rcs s’éloignent des
laïcs, aussi bien dans leur mode de vie que dans le urs valeurs ou leurs intérêts. […]
Ils s’engagent dans une concurrence culturelle »6, alors l e modèle laïque se fonde à partir
du désir de maintenir l’héritage (« capital d e biens, de gloire, d’honneur »7) dans le
même cercle familial. Encore une fois, celles qui souffrent sont les filles qui ne

1 Voir Lett Didier. « Histoire des femmes », sous la direction de Georges Duby et Michelle Perrot, tome II,
Le Moyen Âge , sous la direction de Christiane Klapisch – Zuber. In : Médiévales, n°24 , 1993. La
renommée . p.171 -174, Ici p.171
2 Lettres complètes d’Abélard et d’Héloïse , traduction nouvelle précédée d’une préface par M.Gréard,
Paris , Éditions Librairie Garnier Frères , 1875 , p. 78.
3 Krystyna Gabryelska, « Quelques informations sur la situation de la femme », In : La femme dans la
littérature française -symbole et réalité , Uniwersytet Opolski , Éditions OPOLE, 1999, p. 79.
4 Voir la définition de Georges Duby, Mâle Moyen Âge, de l’amour et autres essais, Paris, Éditions
Flammarion, 1988 , p. 26.
5Définition disponible en ligne sur le site TLFI, http://atilf.atilf.fr/ : « Volonté délibérée de vendre ou
d'acheter un bien spirituel ou intimement lié au spirituel (bénédictions, grâces, bénéfices ou dignités
ecclésiastiques) pour un prix temporel (somme d'argent, présent matériel, protection ou recommandation);
pratique qui en résulte. ».
6 Lucile Jaeck. De la littérature latine à la littérature française : une transition victime du cloisonnement
académique. Perspectives médiévales, Sociét é de langues et littératures médiévales d’oc et d’oïl
(SLLMOO), 2015, Cultiver les lettres médiévales aujourd’hui, 36, p. 10.
7 Georges Duby, op. cit , p.16

7
deviennent que des « leurres », étant toujours sous l’influence et la dominance
continuelle du père, du mari et plus tard, du fils aîné. Dans c e jeu de pouvoir, le mariage
arrangé transforme la femme en un objet d’échange, un genre passif. En tant que sujet,
elle s ’oppos e à l’homme, le genre actif, le prédicat8, selon la perspective d’Alain de
Lille qui se p ositionne , dans La plainte de Nat ura, contre la conduite des hommes, en
dénonçant la misère qui les caractérise9.
Le modèle ecclé siastique, investi par les clercs, soutie nt la chasteté. L’Église
condamne maintenant même le mariage , le seul but qu’il devrait suivre étant celui de la
procréation sans la m oindre connotation d’érotisme ou de plaisir (qui mènent à la
fornication) ; c’est juste la perpétuation de l’espèce humaine que les époux devraient
accomplir sans penser à satisfaire le urs désirs charnels si condamnables aux yeux de
l’Eglise . D’ailleurs, on distingue plusieurs types de péchés de la chair : la luxure qui
inclut la fornication, la concupiscence, l’inceste, la nudité, l’homosexualité et la
sodomie.10. Alain de Lille, dans La Plainte de Natura, a condamné , un siècle après la
révolution grégorienne, encore d’autres péchés qu’on p ourrait ajouter à cette liste
cléricale : la prostitution, l’amour incestueux, la zoophilie, le narcissisme11 : « cette
foule de gens monstrueux se répand sur tout le globe et le contact de sa déviance fascine
et empoisonne même la chasteté »12.
Après la révolution grégorienne, les clercs imposent l a règle selon laquelle les
hommes de l’ Église ne doivent, dans aucun cas, avoir du contact charnel avec une
femme, il leur est interdit mêm e de se marier, ce qu’on a appelé le nicolaïsme .

8 Alain de Lille, La Plainte de Natura . Texte traduit du latin, présenté et annoté par Yves Delègue , Paris,
Éditions Jérôme Million, p. 30 : « les lois de la grammaire, il les élargit à l’excès, il se nie lui -même,
comme homme de la nature, et cet art fait de lui un barbare. » Yves Delègue ajoute dans une note :
« c’est le « prédicat » qui est mâle, et l e « sujet » féminin. » (loc. cit . )
9 Alain de Lille, op. cit., p. 78 -79 : « l’homme, lui qui a quasiment vidé le trésor de mes richesses, il essaie
de dénaturer les choses naturelles de la nature et contre moi, pour me faire tort, il arme Vénus et ses
solécismes. »
10 Voir Le Goff, Un Autre Moyen Âge , Paris, Éditions Quarto Gallimard, 1999, p. 569.
11 Alain de Lille, op. cit. , p.82 « Tyndaride […] qui a usé de sa beauté pour sombrer dans l’abus de la
prostitution », « Pasiphaé […] a conclu son union avec le bœuf par un sophisme stupéfiant », « Myrrha
[…] fit dégénérer en amour l’affection qu’une fille doit à son père », « Médée devint la marâtre de son
propre fils », « Narcisse […] courut le danger de s’aimer lui -même », « Parmi ceux qui appliquent la
grammai re de Vénus, les uns n’embrassent intimement que le genre masculin, d’autres le féminin, et
d’autres le genre mêlé, commun » (p. 83), « le genre masculin, raisonnant irrationnellement, réclame le
même genre » (p.104) .
12 Alain de Lille, op. cit., p. 83.

8
On a opposé , dans ce contexte, le bonheur terrestre à celui céleste. Le plaisir
charnel, l’érôs, est passager. Au pôle opposé, l’agapè vénère l’amour de Dieu, le plus
pur, le plus sincère et le seul que les ecclésiastiques ne condamnent pas. « L’agapè, au
contraire, est don de soi, mouvement de descente, sacrifice dont Dieu seul est capable,
en vertu d’un désintéressement tel, que, même lorsqu’il prend l’homme pour objet, ce
mouvement gard e les traits de l’amour divin »13. C’est j ustement à cause de la facile
chute de l’homme dans la tentation qu’il occupe le niveau le plus bas de la hiérarchie des
êtres : vient d’abord Dieu, au -dessus de toutes les vertus, le symbole du pouvoir
superlatif e t sans bornes ; ensuite, Nature, l’aide de la divinité, inférieure à Dieu et bien
supérieure à l’être humain ; enfin, l’homme, qui détruit ce que ses supérieurs
construisent , qui agit de sa propre volonté , se croit libre et le maî tre de ses propres actes,
sans penser qu’il est bien soumis aux entités qu’il ne comprendra jamais en totalité .
Entre une femme et un homme il doit exister du respect , ce qu’on a nommé
dilection et révérence14 . Dilection (du latin ecclésiastique dilectio, -onis, amour) qui
signifie amour tendre et purement spirituel porté à quelqu'un15, dans notre cas l’amour
de l’homme vers sa femme, et révérence ( du latin reverentia ), respect profond,
vénération, déférence16 de la femme vers l’homme. Mais la réalité est différente. Comme
le seul amour acceptable pour une femme est celui pour Dieu, les hommes sont plus
libres, ils s’aventure nt dans de s jeux érotiques , jeux de conquête des femmes . Georges
Duby, dans son travail déjà cité, donne un nom aux av entures amoureuses de l’homme.
Il parle ainsi du rôle de meretrix, « l’amour venal », connu comme une relation avec les
prostituées, et d e celui d ’amica, « l’amour libre, l’amour jeu », sans implications
sentimentales mais érotiques.
Vers la fin du X I ͤ siècle, au début du XII ͤ siècle, un nouveau concept médiéval prend
ses racines et il va étirer ses branches au fil du temps jusqu’au romantisme, qui, par ses
orientations ( préciosité , illustrée par les femmes qui, réunies dans un salon, parlent du
pouvoir de l’amour, et pétrarquisme , l’absence, le refus de la femme et la douleur du

13 Charles Baladier , Érôs au Moyen Âge. Amour, desir et « delectatio morosa », Paris, Les Éditions du
Cerf, 1999, p. 21.
14 Georges Duby, op. cit., p. 72.
15 Définition disponible sur le site de l’Encyclopédie Larousse en ligne : https://www.larousse.fr/
16 loc. cit.

9
poète lors de la distance de sa bien -aimée)17, lui donne une forme plu s moderne, essaye
de trouver de nouveaux sens à l’amour. Il s’agit , étouffé de l’influence féodale et des
pensées théologiques, de l’amour courtois. Les jeunes célibataires essayent, entre
divertissements, tournois et actes chevaleresques, de gagner le cœur d’une femme
(dame) qui, pour eux, est la plus belle du monde et à laquelle il s attribue nt les plus
grandes qualités, vertus et une intelligence incommensurable. Comme le code courtois
impose que l’amour des deux amants soit réciproque, tous l es actes du jeune homme se
concentrent maintenant sur la conquête de la dame qui jamais n’accepte ra son amour
sans une épreuve de pouvoir et de fidélité. Plus la dame est indécise , plus l'ambition de
l'homme de la conquérir est grande. On dirait plutôt que c’est le commencement de la
promotion de la femme, mais, à vrai dire, on parle toujours de la cond ition masculine,
puisque c’est l’homme qui réagit, qui lutte, qui veut gagner la femme18 ; c’est à lui que
la femme sera soumise, parce qu’elle sera toujours, à la fin d’un roman, conq uise. Elle
reste juste un objet – le trophée ou la couronne -même dans le s histoires do nt elle semble
être le sujet ; le chevalier (l’amant) évol ue, elle ne fait que l’initier ou le récompenser.
L’Église donne, bien sûr, sa réplique à ce courant, opposant l’amour chrétien à
l’amour courtois19, la femme, comme symbole de la virginité dans l’amour chrétien , au
symbole de l’idéal dans l’amour courtois, opposant aussi le corps à l’âme . Il faut dire
que l’amour des chevaliers n’implique pas l’idée de mariage, la conquête de la femme
sera la confirmation que l’homme peut obtenir ce qu’il se propose, mais l’amant reste
toujours libre et il se refuse à toute liaison conjugale avec sa bien -aimée. Le pl aisir qui
résulte de cette confi rmation se t raduit dans un amour consommé au détriment des règles
religieuses .
Dans l’idéologie courtoise, ce qui prime est la fierté, « aimer l’amour plus que
l’objet de l’amour »20 l’idée d’avoir gagné le cœur de la dame , l’homme démontrant son
pouvoir de conquérant, et l’objet , la femme (ses désirs, son amour), reste au dernier plan.
Cette liberté a attiré la plupart de la société dans un vrai mirage , la courtoisie de vient le
modèle des jeunes en sus citant l’ardeur de vi vre eux -mêmes une telle histoire érotique et

17 Katarzyna Dybel, « Les illusions perdues ou la dégradation de l’idéal », In : La femme dans la
littérature française -symbole et réalité , Uniwersytet Opolski , Éditions OPOLE, 1999, p. 11.
18 Voir Charles Baladier, op.cit ., p.151.
19 Ibidem , p.23.
20 loc. cit.

10
chevaleresque , tandis que les clercs leur voient délaisser les règles chrétiennes qu’ils ont
eu, de toute façon, du mal à imposer pendant tous les siècles du Moyen Âge. Si
auparavant les clercs disaient qu’il y avait du pêché même dans le mariage, leur discours
critique semble s’intensifier d’autant plus lorsque le mariage est complètement absent de
l’horizon d’attente d’un couple . Les gens sent ent le besoin d’un moment réel et pas
fictif, d’une dame qu’ils p uissent toucher et pas d’une i mage plutôt abstraite de Dieu ou
des femmes saintes. On trouvait toujours quelque chose de nouveau pour contrecarrer les
élans puristes de l’Église.
En ce qui concerne l e mythe de la faiblesse physique et psychologique de la
femme au Moyen  ge Central, les premiers et les plus importants romans antiques,
le Roman de Thèbes (vers 1155) , le Roman d’En éas (vers 1160) et le Roman de
Troie (avant 1172), illustrent les convictions sociales de cette époque moyenâgeuse, la
présence de la mag ie, des dieux et de l’amour. Dans le Roman de Thèbes, on a l’amour
d’Ismène pour Atès, d’Antigone pour Parthénopeus. Dans le Roman d’Enéas, tous les
plans sont présents : l’amour du protagoniste pour Didon et après pour Lavine, la
desce nte aux Enfers, l a femme illustrée ici dans plusieurs postur es : l’épouse de Ménélas
est la cause du siège de Troie , et le don de Venus à Pallas , Hélène, qui est le symbole de
la beauté ; Didon, le symbole de la beauté fatale, la reine amoureusement vulnérable qui
gouverne la cité de Carthage (« jamais un fief ou un royaume ne fut mieux gouverné par
une femme »21) et qui finit par se donner la mort sitôt aba ndonnée par Enéas ; la sorcière
chargée de forcer le destin ; Lavine, la raison de la guerre entre le héros et Turnus et
aussi l’épouse du protagoniste après avoir gagné le combat ; enfin Camille, la fe mme des
armes, celle qui lutte côte à côte avec les ho mmes . Selon la vision phallocratique qui
s’impose dans ce roman, le domaine d’action de la femme ne doit pas se croiser avec
celui de l’homme qui demeure le symbole du pouvoir et de la domination : « Il est
vraiment fou celui croit une femme : elle ne tient nullement sa parole ; elle tient pour sage ce qui
est fou. […] Fou est celui qui se fie à une femme 22 […] Une femme ne doit pas combattre sinon,

21 Le Roman d’Énéas , traduit en français moderne par Martine Thiry -Stassin, Paris, Éditions Honoré
Champion Editeur, 1997, p. 26.
22 Ibidem , p. 58-59.

11
couchée, la nuit. Là, elle peut triompher d’un homme. (…) Ce n’est pas votre emploi et ce qui
vous convie nt c’est de filer, de coudre et de couper »23.
Les traductions des sources épiques et les nouvelles idées que ces romans
apportent dans la culture littéraire de l’époque médiévale mettent en cause la langue de
culture à privilégier : latin ou français ?

23 Ibidem, p. 191.

12
Deux cultures liées. Du latin au français .
Les lettres d'Héloïse et d'Abélard. Les Romans de la Rose
Le Moyen Âge Central est l’époque des contradictions, des jeux partis , des
croisades. On parle de Troubadours et Trouvères, de langues d’oc et d’oïl, vernaculaire
et savante , à dominante religieuse ou profane, on oppose la littérature antique à la
littérature médiévale, l’historiographie à l’hagiographie, la littérature courtoise à celle
dogmatique , les clercs aux laïcs, l’ écriture à l’oralité .
Au IX ͤ siècle, le latin était cultivé par les clercs et utilisé surtout auprès du roi
dans l’administration de l’Empi re. Le pouvoir ecclésiastique étai t évidemment supérieur
à celui des laïcs, les clercs étant les seuls qui connaissaient le latin (« litterati ») et leur
grand avantage est le pouvoir de manipulation des documents officiels qu’ eux-mêmes
écrivent et qu e personne d’autre ne comprend24.Jusqu’à la reforme grégorienne du XI ͤ
siècle, les clercs et les laïcs médiévaux n’avaient pas encore une raison de lutte
culturelle. Les clercs, eux aussi, étaient guerriers, ce qui leur permettait d’écrire en latin
des textes hagiographiques. La littérature ha giographique était une forme de propagande
religieuse, ecclésiastique25. Les clercs font connaître la doctrine aux fidèles en utilisant
oralem ent la langue vulgaire, ce qui a conduit à l’émergence de l’ancien français. Ils
écrivaient en langue vernaculaire juste pour promouvoir la littérature religieuse. Vers la
fin du XI ͤ siècle, donc pendant la reforme grégorienne, les clercs et les laïcs partage nt
aussi les deux cultures: naît alors une littérature qui trouve ses racines dans la Rome
antique , latine, et qui devient la littérature médiévale, française. Une page se tourne
alors ; les troubadours et le s trouvères commencent leurs fameuses chansons de geste.
On chante les actes chevaleresques, l’amour courtois, les poésies courtoises dans la
langue vulgaire . Leurs chansons sont destinées à être chantées devant un public avec
lequel on forme une certaine communion. Au XII ͤ siècle, les chansons de geste
deviennent des livres. On passe à narrer , en écrit, des luttes et de s guerres. Dans ce

24 Lucile Jaeck, op.cit., p. 9 : « Il est issu d’une génération qui profita des efforts de Charlemagne pour
assurer une bonne formation à tous ceux, clercs comme laïcs, qui allaient le soutenir dans
l’administration de l’empire. Après cela, les clercs ont la garde de la fon ction mémorielle de l’écriture,
qui conserve et sacralise. »
25 loc. cit.

13
contexte, il faut dire que les littératures latine et vernaculaire coexistent , mais les deux
cultures essayent de se différencier l’une de l’autre26.
La séparation de la classe guerrière de celle ecclésiastique se fait tant au niveau
social qu’au niveau culturel. Par conséquent , il est important d’analyser les deux types
de narration : historiographique et hagiographique. Les deux ont comme point commun
d’illustrer les actes de la gue rre de l’époque, les croisades.27 La croisade est une « lutte
armée sous -tendue par un conflit idéologique », une « expédition dont les participants
portaient une croix d'étoffe cousue sur leur habit, entreprise au Moyen Âge par les
chrétiens d'Europe pour délivrer la Terre Sa inte de l'occupation musulmane »28. Les huit
croisades durent pendant tout le Moyen Âge Central (de 1095 à 1270) . Pour en parler ,
les per spectives étaient différentes. En version laïque, l’historiographie est profane. On
raconte les luttes dont le centre est l’homme, le guerrier, le chevalier, ses actes pendant
la ba taille ; on n’implique pas Dieu. Le chevalier est le seul responsable de ses décisions.
La version monastique veut que le seul but du conflit soit expliqué par Dieu, dédié à
Dieu, « l’avancé e du monde vers le haut . […] Les évènements terrestres étant le r eflet de
la volonté divine, leur récit permet souvent de rappeler qu e le bien l’a emporté sur le
mal »29.
À côté des croisades, le XII ͤ siècle se définit par une nouvelle conception, cette
fois-ci culturelle : une méthode intellectuelle vient s’opposer aux écoles laïques qui
promeuvent des idées profanes, raison d’inquiétude pour les religieux. Il s’agit ainsi de
la scolastique , dont le représentant le plus important était Pierre Abélard (1079 -1142).
Philosophe, maître en logique, technicien d u vers latin, le premier dialecticien, clerc,
fondateur du Paraclet, théologien de la Trinité, Abélard imposait ses pensées en tant que
professeur. Il instruisait s es étudiants dans l’idéologie scolastique et connaissait finement
les subtilités de la Bible . Il essaye d ’expliquer la cause du malheur, de trouver un sens
au péché (son origine et sa finalité) et d’expliquer que tout péché est le résult at d’une

26 Sur l’influence de l’Eglise dans la littérature médiévale, sur le passage du latin au français et les sujets
abordés, voir Lucile Jaeck, op.cit .
27 Le Goff, op. cit., p. 929-931 : « Le XII ͤ siècle est le siècle de l ’explosion de la Chrétienté latine.[ …]
Mais l ’essor du XII ͤ siècle est un mouvement d ’expansion géographique et idéologique : c’est le grand
siècle des croisades ».
28 Les deux définition s sont disponibles sur le site TLFI : http://www.cnrtl.fr/definition/croisade .
29 Voir Lucile Jaeck, op.cit., p. 9.

14
« intention subjective »30. À cause de son esprit rationnel et douteux en ce qui concerne
l’analyse de l’Ecriture , il est devenu un obstacle dans la propagande des pensées
classiques religieuses et il a été deux fois condamné (à Soissons, en 1121, pour avoir
rationnellement analysé la Trinité, et à Sens en 1140 , toujours en opposant la raison au
sentiment ) par les mystiques Saint Bernard et Guillaume de Saint -Thierry qui ont réussi
à brûler les manuscrit s d’Abélard31. Un mouvement culturel très important au Moyen
Âge était La querelle des universaux qui a comme base la dispute logique entre Aristote
et Pl aton mais qui trouve son élan au XII ͤ siècle. Trois concepts s’opposent : le
nominalisme (l’importance de l’individualité, les universaux sont des mots) le réali sme
(les universaux sont des choses) et le conceptualisme (les universaux sont des
concepts)32. La doctrine d’Abélard soutient le conceptualisme :
Le conceptualisme n’atteint pas lui non plus « l’universalité complète », il atteint seulement
une « intention naturellement postérieure à la raison complète de l’universel » (…)
L’universalité véritable est « l’indétermination, comme ( quasi ) contraire », c’est -à-dire
l’indétermination positive, contraire à toute détermination, « grâce à laquelle homme est
suffisamment indéterminé pour que, par une int ellection unique, il soit conçu
quidditativement en tout homme33.
La rigidité et l a rigueur de ses idées dans les domaines dont on a déjà parlé, ont été
d’autant plus critiquées tandis qu ’elles ont marqué la vie personnelle et amoureuse
d’Abélard . Il est d’ailleurs plus célèbre pour sa relation avec Héloïse (1101 ?-1164) –et
leurs témoignages épistolaires – que pour ses idées philosophiques. Ce sont les lettres
avec cette femme qui lui apportent la gloire même aujourd’ hui et qui conduisent les
critiques aux voies du passé pour tenter de découvrir la vérité, d’analyser l’authenticité
de ces lettres et de trouver des réponses aux q uestions qui ont été gommées tout au long
des siècles. La renommée d’Abélard a commencé dès qu’il est devenu maît re des écoles

30 Gilbert Boss. « Le combat d’Abelard. » In : Cahiers de civilisation médiévale , 31e année (n °121),
Janvier -mars 1988, pp. 17 -27, ici p. 23 : « L’action n’a jamais de valeur que par l’intention qui l’anime.
(…) On voit ici à quel point le péché doit se comprendre par rapport à l’intention subjective plutôt qu’en
vertu d’un critère objecti f. »
31 Ibidem , p. 17 .
32 Alain de Libera, La querelle des universaux. De Platon à la fin du Moyen Âge, Paris, Éd. du Seuil,
1996, p . 14 : « La querelle des universaux est une autre manière de dire les choses, les concepts, les
mots . »
33 Ibidem , p. 345.

15
à Paris en 111334. Ses thèses l’ont placé parmi les plus sages et les plus connus ma îtres
du XII ͤ siècle ; son nom résonnait dans tout e la ville , comme il l’atteste lui -même :
« l’enthousiasme multipliait le nombre des auditeurs de mes deux cours ; quels bénéfices
ils me rapportaient et quelle gloire, vous le savez : la renommée seule a dû vous
l’apprendre » 35, écrit Abélard dans sa première lettre adressée à un ami qui reste
inconnu. Héloïse désirait connaître c e génie dont tout le monde parlait, que tout le
monde vénérait . Elle n’était pas moins cultivée : elle passa son enfance au couvent
d’Argenteui l où elle a eu la chance d’être instruite . C’était justement son intelligence
affinée qui a attiré Abélard et, on le verra encore plus tard, plus que son physique.
Abélard est celui qui fait le premier pas vers cette fille encore trop jeune, qui avait
environ 15 ans (la date de la naissance d’ Héloïse est incertaine). La fierté et l’orgueil
avec lesquels le philosophe nous a habitués, le rendait sûr de la conquête et de la
soumission de la fille :
Physiquement elle n’était pas des plus mal ; par l’étendue du savoir, elle était des plus
distinguées. Plus cet avantage de l’instruction est rare chez les femm es, plus il ajoutait
d’attrait à cette jeune fille : aussi était -elle déjà en grand renom dans tout le royaume. ( …)
Je pensai à entrer avec elle en liaison, et je crus que rien ne serait plus facile que de
réussir36.
Le couple n’a jamais réussi à profiter d’un amour heureux comme il est décrit dans
la littérature médiévale parce que le destin a toujours été contre ces deux personnages
dramatiques, si on peut les nommer ainsi . Quand leur relation atteignait un certain
calme, des force s extérieure s semblai ent les empêcher d’être heureux, mais ces forces
ont augmenté le désir des amoureux d’être ensemble : vient d’abord Fulbert, chanoine et
l’oncle d’Héloïse, celui grâce auquel cette femme a été cultivée au couven t, grâce auquel
Abélard est entré dans la vie d’Héloïse et à cause duquel le couple a été séparé, moment
où commence leur drame37 ; ensuite on parle des décisions prises toujours par Abélard,

34 Voir les repères biographiques donnés par Yves Ferroul, Héloïse et Abélard. Lettres et vies , Paris,
Flammarion, 1996, p. 214 -218.
35 Lettres complètes d’Abélard et d’Héloïse , éd. cit., p. 9.
36 Ibidem , p. 10.
37 Jeanne Bourin, Très sage Héloïse , Paris, Éditions Librairie Hachette, 1966, p. 16 : « Lui, qui devint
l’artisan de notre malheur, lui, que j’ai si souvent maudit par la suite, n’était alors qu’un brave homme qui
m’appelait sa fille et ne savait comment me choyer. (…) Et puis, j’étais son chef -d’œuvre! Vaniteux autant
que dévoué, il s’était piqué au jeu et n’avait rien épargné pour faire de moi une femme illustre. La réussite

16
qui ont détruit leur vie et, pourquoi pas, leur histoire qui aurait pu être la plus belle
histoire d’amour. Peut -être est-ce justement ce drame que les deux personnages ont vécu
qui les a rendus célèbres, ce tte douleur et ce trouble de l’âme d’une femme qui attend
d’un homme plus que ce qu’il ne peut o ffrir. Partagés toujours entre de petits moments
ensemble et l’évitement continue l des personnes qui se sont opposées à leur union , les
époux n’ont pas eu le pouvoir de se protéger eux -mêmes ni de protéger leur enfant
Astra labe, la seule preuve d’amour qui reste.
Si on devait définir par un seul mot maître Abélard, en analysant à la fois sa vie et
ses œuvres, ce serait l’ambition : il emploie tous les atout s (de façon parfois dure et
égoïste en ce qui concerne sa liaison avec Héloïse38) de son intelligence afin d’être
vénéré et il réussit. Il survit à chaque bataille : d’une part, à l’aide de son dévouement
dans les domaines théologique et philosophique, il gagne la lutte contre les autorités
monastiques, d’où la conquête culturelle qui le rend digne d’être classé parmi les figures
les plus importantes de la culture française du XII ͤ siècle à côté d e son épouse (elle, on
le verra plus tard, a contribué à l’enseignement du latin, du grec et de l’hébreu) ; d’autre
part, au niveau intime, il y a la conquête amoureuse qui l ’a rendu fameux par la célèbre
force de soumission d’Héloïse que le grand maître n’a pas su admirer. Dans le chapitre
suivant on va analyser plus attentivement leur relation.
Retournons à présent au contexte historique qui a influencé la littérature
médiévale du Moyen Âge central. On a vu donc que, pendant la première croisade, une
évolution culturelle marque le début du XII ͤ siècle . À l’aide de l’étude fait e par George
Duby, on découvre qu’o n s’intéresse à ce moment -là à l’éducation qui a comme effet le
commencement d’un mouvement vers l’indépendance et l’ éloignement de l’Eglise. Dès
1100 les chevaliers donnaient naissance à un nouveau genre d’écriture, non plus
ecclésiastique : il s’agit de la conception chevaleresque . Le développement de cette
idéologie met de côté l’importance des prêtres dans la société, parce que la littérature
courtoise commence à arriver pl us facilement aux mains des hommes qui savent lire. On

de ses visées l’avait gonflé d’un contentement dont je bénéficiais. Croyant m’aimer pour moi -même, il
m’aimait pour le lustr e que je donnais à son nom. Depuis, il a démontré de quoi il était capable. »
38 Barbara Newman. “Authority, authenticity, and the repression of Heloise.” In: Journal of Medieval and
Renaissance Studies , n°22, 1992, p. 121 -157, ici p. 136:”He had already wr onged Heloise at least three
times – when he seducted her, when he forced her into a marriage she opposed, and when he compelled her
to precede him into monastic life because of sexual jealousy.”

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voit donc comment une nouvelle conception artistique est née . Elle a commencé en
réduis ant la violence que les luttes pendant l es croisades instiguaient . Même les luttes
entre les chevaliers devenaien t de bons sujets narratifs, car les tournois à la cour (définie
par Duby comme « l’école de la chevalerie ») divertissent les gens, principalement les
jeunes, parce que ce sont eu x les visés de ce nouveau coura nt littéraire. En bref, l a
littérature courtoi se fait l’Eglise se sentir attaquée à cause de l’érotisme que ce genre
d’œuvres promeut39. Toujours da ns ce contexte, la femme apparaî t comme l’objet de la
quête et de la conquête , et elle a le pouvoir de « désigner et de couronner les
vainque urs »40.
À côté des images chevaleresques dans la littérature, images q ui commencent à
être illustrées, comme on l’a dit, depuis 1100 , et à côté des épîtres échangées (toujours
dans la première partie du XII ͤ siècle) entre les deux personnalités dont on a parlé plus
haut et auxquelles on va consac rer un chapitre entier plus loin , il reste à ajouter une autre
notion spécifique à la littérature médiévale, c’est -à-dire la fin’amor, « l’amour
sublimé », notion approfondie dans sa « période classique qui va de 1150 à 1230 »41.
Quant à ce concept qui se développe tout au long d’un siècle, c’est toujours la posture de
la femme qui change. Elle devient à la fois sujet et objet. Sujet parce que tous les
chevaliers et les amants parlaient courageusement d’une quête de la dame, et objet parce
qu’une fois trouvée , l’homme essaye de la soumettre, de la conquérir. À la fin, tout ce
qui importe est que le désir de l’homm e soit accompli, la femme étant alors « la source
ou la cause du désir masculin »42. Un changement dans l’idéal de la fin’amor
commence après les années 1230, quand Guillaume de Lorris fait une importante
analyse allégorique en plaçant la femme au milieu d’un m onde, au milieu d’un espace
clos où elle est la prisonnière du désir masculin. Pour arriver à cette analyse du Roman
de la Rose (parce que c’est bien l’œuvre la plus importante quand on parle d’amour
courtois et d’une nouvelle idéologie), il faut se poser une question : qu’est -ce qu’elle
apporte de nouveau l e XIII ͤ siècle dans les œuvres littéraires ?

39Sur l’évolution de l’idéologie chevaleresque et les contextes militaires qui l’ont influencée, voir le
chapitre intitulé « Le Roman de la Rose » de Georges Duby, op. cit., p. 83.
40 Ibidem , p. 89.
41 Charles Baladier , op.cit ., p. 147.
42 loc. cit.

18
Ce qu’il nous faut souligner pour y répondre est l’opposition entre l’Eglise et
l’Université. C’est dans la première moitié du XIII ͤ siècle qu’on parle de la prospérité
en différents domaines. Dans toute la France sont construites des églises et des
cathédrales43 ; à Paris, en 1200, « l’Universitas magistrorum et scholarium Parisiis
studentium » sera le lieu où la philosophie deviendra un sujet important, caractéristique
pour ce « siècle de la philosophie »44. Essentiellement , l’Université de Paris se fonde à
cause du désir des « maîtres et des étudiants de la cité, groupés en association, de se
soustraire à la tutelle de l’évêque de Par is pour acquérir leur autonomie »45, d’où une
nouvelle pens ée dans les œuvres littéraires. Jean de Meun illustre très subtilement cette
querelle contre l’Eglise, plus exactement contre les ordres mendiants dont on aura
l’occasion de parler plus tard.
À ce point, les femmes n’ont pas d’accès à l’éducation de cette université ce qui
fera que les religieuses qui vivaient dans les couvents de femmes soient moins instruites
et ça se passe toujours à cause de la rivalité entre les courants de pensée ec clésiastique
et ceux philosophiques. À cause du refus de permettre aux nonnes de s’instruire (pour ne
pas parler des femmes ordi naires), on sent du coup apparaî tre un conflit entre les
hommes et les femmes, car « tout un courant antiféministe se développe »46.
Il convient d’examiner également les domaines que les ouvrages médiévaux du
XIII ͤ siècle approfondissent, parce qu ’il s’ agit vraiment d’un contexte culturel vaste, des
sphères diverses et nouvelles à l’époque. En ce sens, on parle d’ouvrages scientifiques,
qui analysent les recherches dans de nouveaux domaines parmi lesquels la médecine et
le droit ; on peut ajouter la littérature religieuse et morale, les sommes encyclopédiques ,
les traités de courtoisie et ceux d’amour47.
Autrement dit, le passage vers une préoccupation pour les domaines plus réalistes et
pragmatiques est évident. On s’intéresse à analyser l’environnement, à travers l es

43 Gustave Cohen, Le Roman de la Rose. Cours professé à la Faculté des Lettres de Paris , Paris, Librairie
Classique R. GUILLON, 1928 -1929, p. 9 : « Ce XIII ͤ siècle est l’époque où la France se couvre de la
blanche moisson des églises : Paris, Chartres, Reims, Amiens. (…) L’évêque d’Amiens Evrard de Fouilloy
construit la cathédrale la plus complète (…). Notre Dame de Reims sort de terre (…) Chartre s est
reconstruit vers 1220. »
44 Ibidem , p. 10.
45 Régine Pernoud, La femme au temps des cathédrales , Paris, Éditio ns Stock, 1980, p. 332.
46 Sur le souhait que les femmes ne bénéficient pas du savoir universitaire et les raisons de l’antiféminisme
partagé aussi par Aristote, Thomas d’Aquin, Jean de Meun, voir Régine Pernoud, op. cit ., p. 334 -335.
47 Des exemples pour chacun de ces domaines ont été donnés dans l’ouvrage coordonné par Angela Ion ,
Histoire de la littérature française , București, Editura didactică și pedagogică, 1982, p. 65 -66.

19
sciences48 on découvre les mécanismes astronomiques , physiques, biologique s,
botaniques et zoologiques et on essaye de ne plus décrire les activités courtoises juste
pour le plaisir de le faire, mais le but est de trouver le sens caché, d’enseigner quelque
chose à travers les œuvres, ce qu’on a convenu d’appeler « littérature didactiqu e ».
Cependant, il ne faudrait en aucun cas oublier que le Moyen Âge c entral est l’époque de
l’emploi du latin et puis du français vulgaire. Au XIII ͤ siècle, « à côté des œuvres
littéraires en langue vulgaire, on commence à composer des ouvrages scientif iques dans
cette même langue »49.
On explique mieux le passage du lati n au français, ou bien l’emploi du latin
lorsqu’on écrit en français (si on les considère deux cultures liées) dans la mesure où on
donne un exemple concret d’un texte médiéval très célèbre . C’est le moment d e faire une
introduction du Roman de la Rose et de parler plutôt de concepts que les deux auteurs
explorent que de faire un résumé, car l’histoire de l’amant qui veut cueillir une rose et
les obstacles pour y parvenir sont sûrement connu s.
On peut se demander maintenant s’il faut parler de deux Romans de la Rose ou d’un
seul roman. Même si maintenant les deux parties ont été liées, on ne peut pas ne pas
remarquer une différence entre la première partie écrite par Guilla ume de Lorris en 1237
et la deuxième partie de Jean Chopiner de Meung -sur-Loire en 1277. Comme les
mentalités changent en 40 ans, les points de vue littéraires sont aussi différents. « Si
Jean vise l’éducation, Guillaume décrit, dans une progression ritue lle, une initiation »50.
Lorris est celui qui a commencé cette allégorie courtoise et c’est toujours lui qui ne
s’éloigne pas beaucoup de l’image de la cour, de l’amour courtois et ses lois. Jean de
Meun crée une glose du texte de Guillaume de Lorris ; il explique et apporte toujours
des exemples pour soutenir ses idées scolastiques. C’est dans ce cadre qu’on peu t parler
de l’emploi du latin, car Jean de Meun, éduqué dans l’esprit de l’Université de Paris, a
lui aussi renouvelé la littérature et la façon dont les écrivains doivent s’exprimer. On ne
peut plus utiliser le même langage que les auteurs courtois, on ne peut plus continuer à
décrire l’amour comme le centre de l’existence. Il faut changer de mentalité, de langage,
de lexique.

48 Ibidem , p. 64 : « le XIII ͤ siècle voit s’épanouir des “bestiaires “, des “lapidaires “, des “herbiers “, toute
une série de pseudo -traités scientifiques. »
49 Loc cit.
50 Jung Marc -Rene, « Daniel Poiron – Le Roman de la Rose (« Connaissance des lettres », 64) » In :
Cahiers de civilisation médiévale , 18e année (n° 71 -72), Juillet -décembre 1975, pp. 310 -311, ici p. 310.

20

On peut dire donc que
le latin, le langage du savoir et de la vérité, était le langage des textes sérieux, de la
théolo gie, de la philosophie, de la science, du droit et des écoles. Le français, langue
vulgaire servant aux besoins les plus ordinaires, avait sa propre littérature d’éd ification et
de divertissement51.
Ce parallèle étant fait, on se pose la question du public visé. Le latin n’était pas
connu par les gens ordinaires, on le sait déjà, c’étaient les clercs et les lettrés seuls qui
pouvaient lire et écrire en latin. Donc pourquoi cultiver de concert les deux langues ? En
sachant que les gens étaient partagés en deux niveaux d’éducation, le latin vise les
litterati et le français vulgaire vise les laïcs, alors « Jean combine des éléments de la
littérature d’une culture bilingue, en écrivant à la fois pour ceux qui “sevent de
lettreü re“ et pour “ganz lais “ pour représenter un cosmos où les “contraires choses “ ne
s’opposent pas mais se complètent »52. Si tel est le cas, la dimension didactique de la
version de Meun est ici aussi visible. Peu importe qui lit le livre, litteratus ou non,
chacun doit comprendre et réfléchir à la leçon enseigné e.
Deux concepts latins importants sont souvent rappelés par les critiques analysant
le roman de Meun : exemplum (pl. exempla ) et integumenz . En ce qui concerne
l’exemplum , c’est l’outil auquel notre auteur fait appel afin d’écrire sa glose. Il est
d’ailleurs remarquable que Jean de Meun utilise l’ancienne mythologie pour compléter
son discours didactique : la fontaine de Narcisse, le mythe de Pygmalion, Vénus, la
déesse de l’amour, la trahison d’Hercule, pour n’ en donner que quelques -uns. Sans ces
exemples, il n’aurait fait autre chose que de continuer le roman de Guillaume, qui
n’introduit dans sa partie aucune glose, mais qui se concentre seulement sur le
déroulement de l’action. Ainsi, l’appel à la mythologie permet à l’auteur d’imposer sa
leçon de vie, ses règles, et au lecteur de s’y retrouver et d’y penser. En bref,
« l’exemplum illustre en fournissant un "tableau d’équivalents" connus, permettant d e
comprendre par analogie une matière difficile »53 ; C’est vrai, si on parle d’analogie, il
signifie que le lecteur va essayer de trouver une liaison entre celui-ci et le personnage,

51 Nancy Freeman Regalado. « Des contraires choses : la fonction poétique de la citation et des exempla
dans le Roman de la Rose de Jean de Meun. » In : Littérature , n° 41, 1981. Intertextu alité et roman en
France, au Moyen  ge, pp.62 -81, ici p. 62 -63.
52 Ibidem , p. 80.
53 Ibidem , p. 67.

21
entre ses réactions et ceux des actants, et de ne pas accuser l’auteur d’ avoir utilisé ces
images mythiques, car ses intentions se cachent derrière l’histoire racontée, mais Meung
« propose d’interpréter les exempla antiques comme des integumenz »54, c’est -à-dire
qu’il met le lecteur en garde ; il faut savoir qu’il y a un sens caché dans toute action. De
ce dernier terme et de ce qu’il signifie dans notre roman, on va parler dans le chapitre
destiné a priori aux images allégoriques (voir le chapitre trois).
Disons en terminant ce premier chapitre qu’on a proposé une vue panoramiques
de l’écriture au Moyen Âge central, on a vu comment on a passé du latin au français en
donnant un exemple de l’utilisation de chaque langue. Les lettres d’Hé loïse et Abélard
écrites en latin, Le Roman de la Rose écrit en français vulgaire, mais qui, dans la
deuxième partie, fait fusionner les deux langues afin de transmettre un message. On a
aussi illustré comment , à travers les œuvres littéraires , la femme é tait vue dans la
société, comment elle était traitée d’ une époque à l’autre, d’un coura nt littéraire à
l’autre. E lle définit le sexe faible, étant la première à avoir péché , celle qui n’a pas le
droit à l’éducation . L’importance était donnée à l’homme, toujours à l’homme, même
s’il était un clerc ou un laïc, un chevalier ou un prêtre , elle n’était jamais présente et
n’avait jamais le droit à une réplique . Dans ce qui suit on va poursuivre l’évolut ion ou le
manque de l’évolution dans deux des œu vres les plus connues du Moyen  ge central. S i
les hommes n’ont pas donné de l’importance à la femme, elle sera surtout le centre du
sujet de ce travail. Elle aura la priorité d’être analysée. Il s’agit donc d’Héloïse et de la
Rose, la première représentan t l’image d’une femme ayant essayé d’agir et de s’imposer
au milieu monacal et amoureux et qui, dans une certaine mesure et dans un certain
contexte, l’a réussi ; la deuxième, même si allégorique, est une image qui nous aide à
mieux comprendre les valeurs promues au XIII ͤ siècle et comment une fleur peut
devenir le symbole de la femme .

54 Ibidem , p. 68.

22

CHAPITRE II
Héloïse, jeux de rôles :
Agent(e) et patient(e) de l'amour dans les lettres
George Duby, historien célèbre pour ses nombreuses recherches médiévales tant
sociales qu’économiques qui a essayé de nous faire découvrir cette époque lointaine par
une image réaliste et pas celle de s belles histoires d’amour des écrivains courtois, disait
que
Ce Moyen  ge est mâle , résolument. Car tous les propos qui me parviennent et me
renseignent sont tenus par des hommes, convaincus de la supériorité de leur sexe. Je
n’entends qu’eux. Cependant, je les écoute ici parlant avant de leur désir, et par conséquent,
des femmes. Ils ont peur d’elles, et, pour se rassurer, les méprisent. (…) Je voudrais en effet
découvr ir la part cachée, la féminine55.
C’est vr ai que la femme a toujours été à l’omb re de l’homme. J’ai essayé d’analyser
cette hypostase dans le chapitre ci -dessus et je vais continuer avec Héloïse, une des
figures féminines les plus célèbres du XII ͤ siècle . Alors, qui est cette femme? On la
connaît à t ravers son histoire d’amour et les épîtres échangées avec son époux ainsi qu’à
travers les œuvres théologiques d’Abélard (Historia calamitatum ). Par conséquent, on
ne la connaî t que par les yeux de cet homme. Ce qu’on critique et apprécie à la fois chez
cette femme est sa dualité. Elle voulait s’imposer devant des hommes comme Fulbert,
Abélard et autres clercs , mais elle a fini par être soumise ; elle était rationnelle parce
qu’elle sava it, au fond de l’âme, qu’Abélard n'était pas un homme des sentiments , mais
l’ironie fait qu’elle choisisse rationnellement d’écouter son cœur et d’aimer son époux
terrestre au détriment de celui céleste, la lutte intérieure la plus profonde qu’elle devait
supporter ; elle est païenne et chrétienne, à la fois agente et patiente de l’amour.
Il en est de mê me pour ses lettres à Abélard. À travers les lettres , elle pouvait
s’exprimer honnêtement, c’était le besoin de se confesser à celui qu’elle aimait plus
qu’aucun autre homme, plus qu’elle -même, plus que Dieu. À cause de l’infériorité de la

55 Avant -propos de Georges Duby, op. cit.

23
condition de la femme à l’époque, on commence à se demander si les correspondances
sont réelles . Il existe plusieurs opinions et on ne saura jamais la vérité . Premièrement ,
plusieurs c ritiques (Waddell, Benton, Moos) ont essayé de démontrer qu’Abélard a écrit
les lettres au nom de son épouse56. Si c’était vrai, son égoïsme et son auto-vénération
seraient incontestables : l’amour de la femme serait l’amour d’Abélard pour lui -même.
On suppose aussi qu’Abélard aurait transcrit dans les lettres d’Héloïse , ce dont ils ont
parlé tous les deux pendant leur rencontres, que ce sont les souvenirs de l’homme, les
idées de son épouse écrites par lui à un autre moment57. Deuxièmement, une autre
opinion est fondée sur l’ authenticité des lettres -traduites plus tard en français – mais,
peut-être, avec des mutations infligées aux idées lors de leur transmission58.
Chacune de ces hypothèses chan ge la façon de lire les lettres et c’est ainsi que les
deux auteurs peuvent être envisagés comme des personnages littéraires qui se proposent
de témoigner des événements et d es exigences de leur époque.
Si on croit qu’Abélard a écrit seul toute la correspondance, on doit analyser les
textes du point de vue théologique. Plusieurs acceptions ont été envisagées : Héloïse est
vue d’abord comme une inadaptée au monde médiéval , toujours contre les règles
sociales imposées, plus concrètement , con tre les règles monacales.59 Elle représente les
sujets éduqués et lucides qui ont besoin de liberté, de choix en matière de religion et de
mode de vie et qui ne sont pas capables de se soumettre , donc ils veulent « protester
contre la conduite inauthentique qu’on voulait leur imposer »60 . On observe ici encore
une fois la dualité féminine , la soumission elle -même prend ainsi de différentes formes :
notre abbesse ne se soumet pas aux règles religieuses mais à l’amour charnel, à l’éros, à

56 John Marenbon, "Authenticity Revisited", in Listening To Heloise: The Voice of a Twelfth -Century
Woman , éd. Bonnie Wheeler, New York, St. Martin's Press, 2000, p. 19 -34, ici p. 21.
57 Barbara Newman , op. cit. , p. 144: “Scholars have occasionally proposed a compromise theory, namely
that Abelard did not invent Heloise’s confessions out o f whole cloth but used remembered conversations
and “actual fragments of authentic letters” to compose the epistles that we now have in her name. These
fragments are said to have been written much earlier, when Heloise was still at Argenteuil, so that we
need not imagine her maintaining a stoic silence for twelve years and then bursting suddenly into
speech”.
58 John Marenbon, op. cit., p.21 :“The strongest case, however, made by recent scholars is that for the
oldest view: that the Historia and Letters are authentic and that the Letters preserve, perhaps with minor
changes, a genuine epistolary exchange between Abelard and Heloise”.
59 Voir Constant J. Mews , The Lost Love Letters of Heloise and Abelard: Perceptions of Dialogue in
Twelfth -Century France, New Y ork, Editions Palgrave Macmillan, 1999, p. 52.
60 Baumgartner Emmanuèle. « De Lucrèce à Héloïse, remarques sur deux exemples au Roman de la Rose
de Jean de Meun. » In : Romania , tome 95 n °380, 1974, pp. 433 -443, ici p. 434.

24
la passion . Après, on parle d’une Héloïse à l’âme païenne qui a besoin d’un chrétien
déclaré , d’Abélard, qui lui fasse connaître la force divine, les bénéfices d’une telle
croyance et le pouvoir de Dieu.
Dans ce contexte, Etienne Gilson et Peter von Moos anal ysent les épîtres de deux
façons : on peut les lire soit comme « une métaphore de la relation entre un théologien
chrétien et un monde païen qui avait encore besoin de se convertir »61 soit comme « un
document monastique, un exemplum rhétorique hautement élaboré sur la conversion à la
vie religieuse »62. On parle d’une dimension religieuse où les règles sont différentes des
pratiques, et c’est Héloïse qui représente mieux cette discordance. Les expériences
vécues par cette abbesse touj ours rebelle et inadaptée ont été la cause d ’une nouvelle
tendance au XII ͤ siècle, l ’introduction de nouvelles règles au couvent des f emmes. Une
page se tourne alors : la renommée d’Héloïse est la conséquence de son désir de sortir de
l’ombre, de donner a ux femmes religieuses la possibilité de mieux supporter la vie au
sein de Dieu et loin du monde pécheur.

61 Constant J. Mews, Abelard and Heloise , New York, Oxford University Press, 2005, p. 17.
62 loc. cit.

25

L'agentivité féminine, entre la parole et l'indicible
Héloïse a commencé son éducation théologique dès son enfance . Argenteuil était le
couvent où elle a été éduquée, et plus tard, l’endroit où elle instruisait les nonnes:
L’étonnante culture d’Héloïse, qui devenue bien malgré elle abbesse du Paraclet, enseigne
à ses moniales le grec et l’hébreu, avait été acquise par elle au couvent d’Argenteuil ; elle
l’avait quitté vers l’âge de seize ou dix -sept ans parce que les religieuses qui y enseignaient
n’avai ent plus rien à lui apprendre63.
Les familles cossues accordaient une place très importante à l’éducation des
fillettes et des garçonnets , et c’ étaient les institutrices (les magistras ) ou le s nonnes (les
primicerias ) qui s’en occupaient, d’où le besoin de faire exister des couvents de femmes,
lieu d’instruction culturelle et religieuse, de diffusion des connaissan ces64. Jeanne
Bourin souligne aussi, mais pas avant d’avoir fait une recherche historique sur leur vie,
le savoir de la Très sage Héloïse dans son roma n qu’ anime les correspondances : « outre
l’étude des Livres saints, je me consacrais à l’éducation des religieuses désireuses de
s’instruire, à celle des novices et des e nfants élevée s au couvent comme je l’avais été
autrefois »65.
Le Moyen Âge Central est l’époque de la répression féminine. D’une part, il y a les
mariées et les veuves : les hommes pouvaient facilement se libérer de la présence de
leurs épouses, du joug du mariage et les victimes devaient se réfugier dans un lieu isolé ;
d’autre part, il y a les vierges qui refusaient la présence d es hommes autour d'elles, donc
les couv ents de femmes étaient la solution. Les monastères étaient vus comme des
écoles pour les enfants et aussi comme des cachettes, des endroits solitaires ou l’âme
pouvait se repentir66.

63 Régine Pernoud, op. cit., p. 89.
64 Ibidem , p. 86.
65 Jeanne Bourin, op. cit., p. 146.
66 Mary Martin McLaughlin, “Heloise the Abbess: The expansion of the Paraclete”, In Listening To
Heloise: The Voice of a Twelfth -Century Woman , éd. Bonnie Wheeler, New York, St . Martin's Press,
2000, p. 1 -17, ici p. 4: “Not only women rejected by their husbands, but women fleeing from them, of from
marriage itself, swelled the number of those taking refuge of finding new opportunities in the monastic
life”, et p. 7 : “Coming as children or young girls or as widows and as wives separated from their
husbands (as converted or rejected wives), in all of their diversities of age, talents.”

26
Pour Héloïse, ce n’était ni l’un, ni l’autre : c’était une prison de l’âme, une prison de
l’ardeur érotique et des sentiments. Elle connaissait si bien ce cadre monastique, mais en
même temps elle s’y sentait si étrangère.
Si le couvent d’Argenteuil a aidé à la formation de la fille Héloïse, c ’est au
Paraclet (fondé en 1122) qu’elle a commencé à agir et à s’imposer comme une
importante religieuse de son époque . L’agentivité de notre abbesse est évidente dans
l’évolution de ce couvent. L orsque l’abbesse et ses sœurs ont été bannies d’Argenteuil
sous le prétexte de leur conduite inappropriée, Abélard leur a confié l’abbaye du
Paraclet, dont Héloïse sera l’abbesse en 112967. Le tourment d’ Héloïse commence à ce
moment -ci, parce que les conditions existantes dans cet endroit qui n’était pas loin d’une
ruine , sont difficile s à supporter par les nonnes. L’abbaye devient sous sa direction un
des plus importants couvents de femmes du pays, l’abbesse obtenant du terrain et des
donations économiques importantes po ur l’expansion du Paraclet68. La position
d’Héloïse dans la société change après la mort de son époux, parce que même
maintenant elle réussit à bien gouverner son couvent. Elle n’est plus sous la domination
d’un homme et, en plus, elle est meilleure que les hommes par le succès du
développement du Paraclet commencé après son arrivée69.
Pour mieux comprendre le pouvoir d’Héloïse et sa force de réagir dans une époque
où règnent les hommes, on va analyser certaines de ses contributions à la théologie et on
va laisser de côté le succès incontestable en philosophie, logique et dialectique
d’Abélard , parce que, cette fois -ci, il s’agit d’une présence féminine qui, malgré sa vie
tumultueuse, a eu le p ouvoir d’influencer, sans s’ être proposé de le faire , les pensées
d’un si grand homme comme Abélard.

67 Barbara Newman. op. cit., p.136:
68 loc. cit.
69 Mary Martin McLaughlin , op. cit. , p. 4 : “During the thirty -five years of her abbacy, the last twenty and
more without Abelard’s collaboration, hers was clearly the real authority and responsibility for the
governance of the Paraclete, for its spiritual reputation and the recruitment of its nuns, for its well -being
and success. (…) In less than two decades after its foundation, she had acquired for her community,
through the benefactions of clerics and lay peop le, goods and properties ranging in character and value
from an annual gift of twenty hens to mills and ovens, tithes and tolls, and extensive forests, fields, and
vineyards scattered through more than sixty villages. ”

27
Héloïse, « le symbole d ’une nouvelle dignité donnée aux femmes au XII ͤ
siècle »70, même si elle est connue à travers son amour sincère et obsessi f pour son
époux, a beaucoup contribué au renouvellem ent des dogmes monastiques, à l’aide
d’Abélard .
Le maître , après avoir commencé sa relation érotique avec Héloïse, était tenté de
devenir un des amoureux courtois qui chanta ient leur amour aux dame s que le célèbre
philosophe :
J’étais de plus épuisé car je consacrais mes nuits à l’amour et mes journées à l’étude (…).
S’il m’était possible d’écrire, c’étaient des chants d’amour et non des secrets de
philosophie. Du reste beaucoup de ces chants sont encore aujourd’hui fréquemment chan tés
dans de nombreuses régions71,
avoue Abélard modestement dans sa première lettre. Composer et chanter faisaient son
charme ; il excellait vraiment dans tous les domaines culturels et sa renommée était
incontestable. Héloïse, étant le sujet de ces chansons, devenait elle -même célèbre. Elle le
confesse :
Je le reconnais, tu possédais en particulier deux dons qui pouvaient t’attirer instantanément
le cœur de n’importe quelle femme, savoir composer des vers, et chanter. (…) Tu as laissé
de nombreuses chansons a u mètre et au rythme amoureux (…). Et comme la plus grande
part de ces chansons chantaient nos amours, en un éclair elles répandirent mon nom dans
plusieurs régions et excitèrent contre moi la jalousie de nombreuses femmes72.
Quant au domaine théologique, c’est Héloïse qui demande à son époux de donner de
nouvelles conditions à ses nonnes afin que la vie religieuse puisse être mieux supportée
par les femmes , parce qu’elle considérait que les règles données déjà par les saints Pères
mettaient à l’ombre l eur sensibilité face aux jeûnes et aux pratiques religieuses trop
sévères. Elle lui demande de
faire une règle, et de nous en adresser une formule écrite qui soit spécialement appropriée à
des femmes, et qui fixe d’une manière dé finitive l’état et la coutume de notre communauté,
ce dont aucun des saints Peres, que nous sachions, ne s’est jamais occupé. (…) Les femmes

70 Constant J. Mews, Abelard and Hel oise, éd. cit., p. 14, citation traduite par nous.
71 Héloïse et Abélard. Lettres et vies , introduction, traduction, notes, bibliographie et chronologie par Yves
Ferroul, Paris, Flammarion, 1996, p. 52.
72 Ibidem , p. 101.

28
et les hommes s ont soumis, dans les couvents, à la même règle, et que le même joug
monastique est imposé au sexe faible et au sexe fort73.
Un nouveau genre de vie (de contemplation et d’alimentation) est requis et Abélard
obéit à ses désirs, pas nécessairement à cause du lien avec elle, mais aussi à cause de son
souhait d’être encore une fois contre les autres , cette fois -ci contre les an ciennes hymnes
traditionnelles, car Abélard, « en exécutant la commande de l’abbesse du Paraclet, bénie
en 1129, a pris le contrepied de l’hymnaire cistercien. (…) Il préfère le veritas à la
consuetudo , c’est -à-dire qu’il met en avant la véracité des textes liturgiques et la
cohérence de leur expression »74. Il réussit ainsi de composer l’Hymnarius Paraclitensis ,
« un hymnaire de cent trente -trois pièces réparties en trois livres, qui constitue un
véritable phéno mène de l’histoire littéraire et liturgique du XII ͤ siècle. (…) Hymnes
fériales, hymnes de fête du temporal, hymnes des saints »75 qu’Héloïse et les nonnes
pouvaient chanter pendant leurs activités religieuses.
La séparation des couvents féminin s et masculins ne faisait pas que les femmes
soient indépendantes et leurs activités dépendaient toujours des abbayes masculines :
« le paradoxe des abbayes de femmes était qu’elles avaient un besoin permanent des
hommes, pour la protection et la gestion d e leur biens comme pour l’encadrement de
leur vie religieuse »76. L’autorité masculine s’imposait entre autres à cause du nombre
réduit de nonnes , parce que « au XII ͤ siècle , elles représentent à peine 10% du nombre
des moines et religieux masculins et sont considérées avec suspicion par l’Eglise, plus
tolérées qu’encouragées »77. Il est temps toutefois de souligner la misogynie dont
Abélard fait preuve dans les lettres dans le contexte du monastère à double vocation .
D’une part, e n ce qui concerne la perspective de l’abbé , il met l’accent sur l’importance
de la soumission des monastère s féminins à ceux masculins en toute question religieuse ,
étant alors le partisan du double mon astique :
Nous voulons que les monastères de femmes soient toujours soumis à des monastères
d’hommes, en sorte que les frères prennent soin des sœurs, qu’un seul abbé préside comme

73 Lettres complètes d’Abélard et d’Héloïse , éd. cit., p. 110.
74 Huglo Michel. « Abélard, poète et musicien ». In: Cahiers de civilisation médiévale , 22e année (n °88),
Octobre -décembre 1979, pp. 349 -362, ici p. 354.
75 loc. cit.
76 Zimmermann Michel. M. Parisse. « Les nonnes au Moyen Age . » In : Revue de l’histoire des religions ,
tome 202, n °1, 1985, pp. 99 -101, ici p. 100.
77 Ibidem , p. 99.

29
un père aux besoins des deux établissements, et qu’il n’y ait, dans le Seigneur, qu’u ne se ule
bergerie et un seul pasteur78.
D’autre part, Abélard vénère son épouse et considère que, même si la femme est
par définition le sexe faible79, elle devrait occuper une position bien supérieure aux
hommes80. Néanmoins, il est « contre la nature de remettre l’autorité entre les mains
d’une femme »81 et soutient que le silence, la vir ginité, la pauvreté volontaire et
l’abstinence face au péché doivent êtr e des principes moraux à suivre et que les
religieuses doivent consacrer leur temps à épargner les savoirs théologiques.82 Quant à la
misogynie d’Héloïse, elle prend une tonalité différente. C’est l’a mour qui la fait juger
les femmes et pas son dévouement chrétien.83 Elle est mis ogyne parce qu’elle soutient
l’infériorité de la femme, elle -même étant le meilleur exemple de l’influence masculine
sur le sexe faible après s’être donnée entièrement à Abélard en restant toujours à sa
disposition et en ne pensant plus à ses besoins,
pourtant elle n’a rien d’une virago, elle ne songe pas à l’émancipation . Elle ne veut pas
être l’égale de l’homme, ni même son idéal ; elle met l’accent sur la soumission de la
femme, la tâche de sa propre vie ne pouvant être que le service de l’homme auquel elle
s’est donnée , service allant jusqu ’au sacrifice84.
L’épouse se reproche à elle -même toutes les malheurs qu’Abélard subit , elle se
considère la cause de leur rupture et essaye de trouver une explication
pour l’indifférence de l’abbé , parce que « Dieu le sait, jusqu’ici j’ai touj ours eu plus de
peur de t’offenser que de l’offenser lui -même ; et c’est à toi bien plus qu’à lui -même que

78 Lettres complètes d’Abélard et d’Héloïse , éd. cit., p. 219.
79 Ibidem , p. 161 : « En effet, le sexe des femmes étant plus faible, leur vertu est d’autant plus agréable à
Dieu, d’autant plus parfaite. »
80Ibidem , p. 163 : « Ainsi l’homme a été fait hors du Paradis, et la femme dans le Paradis. L’homme qui a
été créé dans un lieu inférieur, se trouve le meilleur, et la femme, qui a été créée dans un lieu supérieur, se
trouve moins bonne. »
81 Shahar Shulamith. “De quelques aspects de la femme dans la pensée et la communauté religieuses aux
XII ͤ et XIII ͤ siècles. In : Revue de l’histoire des religions , tome 185, n °1, 1974, pp.29 -77, ici p. 40.
82 Marie -Thérèse d’Alverny. « Comment les théologiens et les philosophes voient la femme. », In :
Cahiers de civilisation médiévale , 20e année (n °78-79), Avril -septembre 1977, pp. 105 -129, ici p.118 :
« Dans la lettre adressée aux moniales du Paraclet, on vo it Abélard prôner la promotion de la femme en
l’incitant à s’adonner aux études savantes, afin d’approfondir la doctrine sacrée. »
83 Lettres complètes d’Abélard et d’Héloïse , éd. cit., p. 78 : « Les femmes seront donc toujours le fléau des
grands hommes. »
84 Wolfram von den Steinen, Jean Moser, Jose Dorig. « Les sujets d ’inspiration chez les poètes latins du
XII ͤ siècle (suite et fin). » In : Cahiers de civilisation médiévale, 9e année (n °35), Juillet -septembre 1966,
pp. 363 -383, ici p. 364.

30
j’ai le désir de plaire : c’est un mot de toi qui m’a fait prendre l’habit monastique, et non
la vocation divine »85.
Partagée toujours entre la parole – la tentative de se faire entendre une fois pour
toutes par celui auquel elle a donné son cœur – et l’indicible (à cause de son statut social
qui l’empêchait de s’imposer, ou au moins de sortir de ce cercle clos, c’est -à-dire du
cadre religieux où Abélard l’avait forcée d e vivre), entre « what a medieval abbess could
write and what Heloise did write »86, notre personnage tragique est la victime de cet
amour qui la transforme en une prisonnière de son propre moi . Par conséqu ent, elle
s’attache à une illusion et ne veut pas la laisser s’échapper, même si, toujours en attente,
elle savait qu’Abélard était incapable de partager les mêmes sentiments.
La lutte la plus exténuante que l’abbesse endure durant toute sa vie est celle entre
corps et Dieu, cœur et raison, entre obsession et indifférence. Ces contrastes et l’absence
de la seule personne dont elle avait besoin pour être heureuse, indignaient et déchiraient
Héloïse pendant toutes les années passées au couvent d’Argenteuil et plus tard du
Paraclet, parce qu’elle s’accusait et n’acceptait pas l’idée d’être dans ce couvent sous le
prétexte d’un mensonge ; elle n’ était pas une religieuse, elle le savait et tentait de faire
comprendr e à Abélard que sa plac e n’était pas dans un monastère.87 Elle avait été illustr e
dans l a posture d’élève en philosophie, de femme adorée par l’homme le plus célèbre de
son époque, et elle aimait ces attributs qu’on lui donnait. Elle est devenue d’une certaine
manière même la pro fesseur d’Abélard, ils avançaient ensemble sur des voies érotiques,
étant tous les deux à la fois élève et disciple , et elle n’aurait jamais changé son titre.
Mais le surnom d’abbesse, de femme religieuse, avec la privation de toute liberté qu’il
implique , provoquait en Héloïse un sent iment de révolte ; elle se convertit plutôt en une
païenne que dans une chrétienne. Abélard n’a fait que la détacher encore plus de s
dogmes monacaux.
Elle est agente de l’amour d’un côté parce qu’elle choisit conscie mment l’ amor
carnalis au détriment de celui spiritualis88, en amorçant un conflit entre l’instinct sexuel

85 Lettres complètes d’Abélard et d’Héloïse, éd. cit., p. 82.
86 Barbara Newman. op. cit., p. 122.
87 Sur l’auto -accusation d’Héloïse, voir : Shahar Shulamith, op.cit ., p. 33 : « elle vit dans le mensonge sous
l’habit d’une religieuse dénuée de vrais sentiments de pénitence, quand les passions de naguère brûlent
toujours en elle. »
88 Mary Martin McLaughlin, op. cit., p. 3.

31
et le code moral, et d’un autre côté parce qu’elle ne craint pas se confesser à son époux
toujours récalcitrant et lui reprocher de l’avoir emprisonnée même avant d’avoir joui de
sa jeunesse.
L’abbesse s’oppose aux normes religieuses89 et ne cache jamais devant Abélard
(pour la première fois elle n’obéit pas à l’abbé qui lui demande toujours de ne pas le
véné rer plus que Dieu et d’être l’épouse du roi divin avant d’être sa femme ) sa dévotion
et ses préoccupation païennes : « je devrais gémir des fautes que j’ai commises, et je
soupire après celles que je ne puis plus commettre »90. Le dédoublement d’Héloïse se
compose d’abord de l’hypostase religieuse qu’on lui impose et elle essaye de se
conv aincre elle -même qu e cette partie sera finalement intégrée dans son être ; ensuite
vient la vie sexuelle. Le trouble est intérieur ; à l’extérieur, on voit cette religieuse, cette
abbesse capable d’organiser toute seule un couvent, de gouverner les nonnes de la
meilleure façon possible, de s’occuper des autres plus que de son âme, « mais la femme
qui mène une vie sexuelle et enfante est une chose, la religieuse est tout autre. (…) La
génération sexuelle demeure soumise à la concupiscence donc au péché. »91 Abélard a
toujours essayé d’attacher son épouse aux dogmes chrétien s et, par conséquent, il
s’éloigne de plus en plus d’elle. Héloïse restera d’ailleurs pour toujo urs la femme
capable d’aimer de la manière la plus pure et de se sacrifier pour celui qu’elle vénère ,
même si elle ne reçoit rien en retour; ici commence son drame et elle devient, à cause du
refus de son mari de la consoler , patiente de l’amour.

89Borresen Kari Elisabeth. « Théologiens au Moyen Âge.» In : Revue théologique de Louvain , 20 ͤ année,
fasc.1, 1989, pp. 67 -71, ici p. 68 : « Il me semble que le vrai problème d’Héloïse provient du décalage
qu’il y a entre ses positions à l’égard de deux principes fondamentaux de la doctrine traditionnelle :
Héloïse approuve la scission entre amour pour Dieu et amour sexuel, tout en récusant le conflit corrélatif,
incessamment prôné par Abélard, entre activité sexuelle et amour du conjoint. »
90 Lettres complètes d’Abélard et d’Héloïse , éd. cit., p. 81.
91 Shahar Shulamith, op.cit ., p. 45.

32

La Voix qui crie dans le désert
Touchant une séquence spécialement critiquée , il faut parler du pouvoir d’Abélard
sur Héloïse, la victime de sa froideur et de son orgueil, parce que c’est dans ce contexte
qu’on peut an alyser s a position de patiente de l’ amour . Dans le même ordre d’idée s,
pour soumet tre cette femme, on a recours à la répression du désir et au reconcement à
l’amour92. La répression est un long processus qu’Héloïse peut difficilement supporter ;
torturée de privations, elle croit qu’ avouer sa douleur à Abélard à travers les lettres était
la seule façon dont l’abbesse pouvait se confesser, crier s es déceptions et ses attentes,
mais l eur correspondance semble « un dialogue de sourds »93, parce qu’Abélard évite de
consoler son épouse, mêm e si dans chaque phrase son âme tourmentée prie pour une
petite preuve d'amour :
Après notre commune entrée en religion dont toi seul as pris la décision, tu m’as tellement
délaissée et oubliée que je n’ai ni ta présence et ta parole pour me donner du courage, ni
une lettre de toi pour me consoler en ton absence. (…) Si je pouvais être la s eule à
l’imaginer, et si ton amour pouvait se trouver des excuses afin d’apaiser un peu ma
douleur !94
Si Abélard ne donne aucune réponse aux plaintes d’Héloïse c’est dans le but de
dépêcher le processus d e la répression de tout désir sexuel, en prô nant la soumission et
l’obéissance , et il y réussit ; on passe des paroles tristes et révoltées d’Héloïse aux
préoccupations pour les dogmes religieux. Aucun mot ne trahit son amour dans la
dernière lettre et on dirait que son âme a été déjà complètement détruite, que l’espoir
s’est envolé , qu’Abélard a gagné encore une fois : « it is the ultimate victory of the
masculine over the feminine voice: not only a personal triumph of Abelard over Heloise,
but a victory for the poetics of castration over the discourse of desire. »95.
De l’autre côté, l a renonciation à l’amour suppose l’acceptation de l’abbesse
d’embrasser les dogmes monacaux et d’oublier tout plaisir charnel, renoncer à l’ amor

92 Barbara Newman. op. cit., p. 152.
93 Borresen Kari Elisabeth, op.cit ., p. 68.
94 Héloïse et Abélard. Lettres et vies, éd. cit ., p. 102 .
95 Barbara Newman. op. cit., p. 156.

33
carnalis et accepter une fois pour toutes l’ amor spiritualis. Cette étape est encore plus
douloureuse pour Héloïse, parce qu’il ne s’agit ici juste de cacher ses sentiments , ce qui
lui reste de ce lien avec Abélard , mais d’ éliminer toute pensée romantique et érotique
envers un être terrestre, et dédier tout l’amour – dont on sait qu’elle est capable – à Dieu.
Il est évident qu’elle ne changera Abélard pour rien au monde (ou au ciel), parce que la
femme a démontré maintes fois sa s oumission et sa stabilité envers son époux, les
conséquences d’un amour pur, d’autant plus qu’elle blâme Dieu pour leurs malheurs :
« s’il était permis de le dire, que Dieu est cruel pour moi en toutes choses ! Que sa
clémence est impitoyable ! »96.
Dans la mesure où l’on pe ut parler du conflit entre les époux, c’est sur le plan des
contrastes entre la personnalité faible, l’oubli de soi d’Héloïse et la raison et la rigueur
irritantes d’Abélard et « c’est alors qu’éclate tragiquement l’ opposit ion entre la femme,
qui de cœur ne pourrait renoncer à son amour, et l’homme qui, débarrassé de sa passion,
s’est fait une raison »97. Cette opposition commence avec le refus d’Héloïse d’épouser
Abélard ; les explications de sa répulsion envers le mariage sont devenues célèbres,
parce qu’ on cache derrière cette répulsion plusieurs sens : vient d’abord l’ idée de
réputation du philosophe qui doit être libre pour réfléchir, car « le sage ne dois pas se
marier »98 et ne pas être « asservi à une femme, et courbé sous un joug déshonorant »99 ;
ensuite , si on pense au x vers de Jean de Meun qui a introduit dans Le Roman de la Rose
le discours d’Héloïse concernant le mariage100, on voit qu’on peut donner un nouveau
souffl e à cette répulsion, qu’il s’agit plutôt du souhait de l’abbesse d’être l’égale de son
mari et non pas une sujette ;101 enfin, il y a l’idée d ’union libre que l’abbesse soutient et
qui veut conserve r l’amour dans sa forme la plus simple, désintéressée , ne rec evant de ce
sentiment que le bonheur d’être aimée et d’être toujours à côté d’Abélard sans lui donner
l’impression d’étouffer son inspiration.

96 Héloïse et Abélard. Lettres et vies, éd. cit., p. 119 .
97 Van De Vyver A. Gilson (Etienne). « Héloïse et Abélard. Etudes sur le Moyen -Age et l’Humanisme. »
In : Revue belge de philologie et d’histoire , tome 21, 1942, pp. 335 -341, ici p. 339.
98 Lettres complètes d’Abélard et d’Héloïse , éd. cit., p. 15.
99 Ibidem , p. 14.
100 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose , texte mis en français moderne par André
Mary. Postface et bibliographie de Jean Dufournet, Paris, Éditions Gallimard, 1949, p. 155 : « Elle le
priait qu’il l’aimât, mais qu’il se réclamât non d’un droit de seigneur et maître, mais seulement d’une
faveur librement accordée. »
101Baumgartner Emmanuèle, op. cit ., p. 439 : « Une nouvelle exigence apparaît, de liberté et d’égalité
réciproques à l’intérieur du couple.»

34
Abélard parle du refus d’Héloïse : « combien le titre d’amante, plus honorable
pour moi, lui serait, à elle, plus cher que celui d ’épouse, à elle qui voulait me conserver
par le charme de la tendresse, non m’ enchaîner par le s liens du mariage »102, mais,
comme dans toute leur relation, il pr end cette décision sans penser à s a femme qui,
jusqu’i ci, n’avait jamais rien demandé de lui. Son cri désespéré d’être entendue au moins
cette fois -ci a été encore une fois étouffé ; elle est la voix qui crie dans le désert !
Abélard ordonne, Héloïse se soumet : elle quitte sa maison, se marie, entr e au couvent
d’Argenteuil, sui t les règles religieuses , tout sous la commande de l’abbé. Femme
victime de l’amour, tout comme l es amantes des Héroïdes103 qui déplorent l’infidélité ou
l’indifférence de l’amant, H éloïse choisit de laisser son âme mourir, de se perdre elle –
même afin de ne pas perdre son époux , et le rôle de chacun d’entre eux est bien connu :
« Abélard, le maître t out-puissant, Héloïse l’esclave prosternée »104.
Dans chaque épître , on est touchés par la douleur d’ Héloïse , son cri désespéré
pour un peu d’ attention. Les deux se demandent réciproquement des choses, et s i on
analyse Abélard comme p ersonnage, on observe son indifférence d’une lettre à l‘autre .
Au début, Héloïse requiert du réconfort en utilisant même le chantage, parce qu’elle sait
que la seule chose importante pour le maître en ce qui la concerne est de la faire servir
Dieu comme une vraie nonne 105 et, comme réponse , Abélard demande aux religieus es
de prier pour leur fondateur106 et de l’enterrer au Paraclet au cas où il sera la victime des
méchanceté s de ses ennemis107 ; puis l ’abbesse déplore l’ardeur de son corps et les nuits
à deux d’antan, souffre à cause du mal arrivé à Abélard lorsqu’il a été châtré , mutilé,
déshonoré, et, en contraste, l’abbé voit ses malheurs comme une route vers le bonheur

102 Lettres complètes d’Abélar d et d’Héloïse , éd. cit., p. 18 .
103 « Épître élégiaque dont l'auteur attribue la composition à un héros ou à une héroïne célèbres;
composition qui traite de la vie d'un héros », définition disponible en ligne sur le site TLFI :
http://atilf.atilf.fr/
104 Van de Vyver, A.Charrier (Charlotte). « Héloïse dans l’histoire et dans la légende ; Jean de Meun.
Traduction de la première Epitre de Pierre Abélard (Historia calamitatum ), éd. par Charrier ( Charlotte).
In : Revue belge de philologie et d’histoire , tome 16, fasc.3 -4, 1974. pp. 743 -747, ici p. 744.
105 Lettres complètes d’Abélard et d’Héloïse , éd. cit., p. 61 : « je t’en supplie, rends -moi ta présence, autant
qu’il est possible, en m’envoyant qu elques lignes de consolation ; si tu ne le fais pour moi, fais -le du
moins pour que, puisant dans ton langage des forces nouvelles, je vaque avec plus de ferveur au service de
Dieu. »
106 Ibidem , p. 70 : « Aujourd’hui que je suis loin de vous, l’assistance d e vos prières m’est d’autant plus
nécessaire que je suis en proie aux angoisses d’un plus grand péril; je vous supplie donc et je vous
demande, je vous demande et je vous supplie, de me prouver que votre charité pour l’absent est sincère. »
107 Loc.cit. : « s’il arrive que le Seigneur me livre aux mains de mes ennemis (…) que mon cadavre, que
mon corps, qu’il ait été enterré ou abandonné, soit rapporté par vos soins, je vous en supplie, dans votre
cimetière. »

35
divin , « ce mal salutaire qui n’a que le but d’empêcher d’autres maux »108. Abélard ne
jugera jamais Dieu pour les malheurs qu’il subit, comme le fait d’ailleurs Héloïse ; il
voit en tout problème une solution, son origine étant un don divin capable de mener les
pécheurs vers le salut final.
Le philosophe, dans ses théories morales, fait un parallèle entre le péché et le
vice et essaye de montrer à quel point les deux formes du mal peuvent se croiser. C’est
«l’intentio n subjective » qui les différencie ; il s’agit du désir d e réaliser un certain acte :
les vices peuvent être conscient s ou non, et, au cas où ils seraient conscients , c’est notre
choix d’éviter qu’ils se transforment dans un péché , défini à son tour comme « le
consentement à la mauvaise action »109. Pour Abélard, l’érotisme était un vice qu’il
essayait d’arrêter avant qu’il ne devienne un péché impardonnable et sa castra tion a
dépêché le processus du pardon. Q uant à Héloïse, pour elle le désir sexuel est devenu un
péché , car, consciente de ses sentiments, elle ne voulait pas se repentir, et de plus, elle
supplie pour une continuation .
Le vice d’ Héloïse , c’est -à-dire son obsession pour Abélard , a ombragé son
instinct maternel. La victime la plus innocente de leur h istoire était Pierre -Astralabe, leur
fils. Abandonné dans les bras de sa tante, la sœur d’Abélard, Astra labe est resté à l’écart
du couple à cause d’un double égoïsme : l’orgueil du père qui n’aurait pu atteindre les
sommets de la philosophie à côté des cris d’un enfant et la tentation de la mère de suivre
Abélard et d’abandonner n’importe qui, voire elle -même. Comment pourrait -on ne pas
critiquer ces parents s’il n’y a aucun mot qui renvoie à l’enfant , « le don du ciel »,110
pendant toute la correspon dance ? Aucun regret dans ce sens n’est confessé dans les
épîtres ; c’était toujours le couvent qui importait pour l’abbé, et pas son fils, comme il
l’avoue : « mon plus grand tourment était d’avoir abandonné mon oratoire »111. Il faut
souligner que cette fo is-ci Héloïse est impuissante dans sa relation avec leur fils . Elle se
soumet aux ordres de son mari sans mot dire, « j’ai accompli absolument tout ce que tu
m’as commandé : il m’était impossible de te résister en quoi que ce soit, alors j’ai eu la

108 Lettres complètes d’Abélard et d’Héloïse , éd. c it., p. 99.
109 Gilbert Boss, op. cit ., p. 21.
110 C’est la signification donnée par Jeanne Bourin au nom d’Astralabe, op. cit ., p. 84 : « Je décidai sur -le-
champ de le nommer Pierre -Astralabe. N’était -il pas tombé dans ma vie comme un don du ciel ? »
111 Héloïse et Abélard. Lettres et vies, éd. cit., p .81.

36
force de me perdre moi-même sur ton ordre »112. On a donné une voix aux sentiments
maternels d’Héloïse, qui était plus mère pour les nonnes que pour son fils, « plus amante
que mère », à travers les rom ans animés qui ont été écrits au nom de l’abbesse. Là, o n
rajoute du regret pour l’abandon de son fils, on rajoute la rage et la culpabilité de la
femme pensant à son acte.
Marcelle Vioux met Abélard sous un mauvais jour et oppose ses sentiments
maternels à ceux de son épouse :
Elle se prépara au départ et prépara l’enfant. Abélard arrêta ce zèle : il ne voulait pas du
petit Astralabe. (…) Une furtive angoisse poigna le cœur d’Héloïse, mais vite elle s’obligea
à ne plus voir cet égoïsme, cette fatuité, cette ambition capable d’exterminer tout gêneu r…
D’ailleurs, elle était trop amant e pour être une tendre mère113.
et proclame même une répulsion envers le petit : « jamais plus il n’en parla, car cet
enfant lui était le vivant témoignage de ses p échés détestés, de son malheur. »114
Bourin introduit les remords de l’abbesse au moment où elle rend son âme à Dieu :
Une dernière fois, avant de vous quitter, je dis très humblement ma coulpe en public et ce
n’est pas pour confesser une peccadille. C’est d’abandon et de détachement materne l qu’il
s’agit ! Je n’ai pas su aimer cet enfant comme il le méritait, comme il y avait droit.
Absorbée par un autre amour, je me suis détournée de lui et je l’ai laissé sans tendresse115.
En conclusion sur ce thème, on peut dire qu’il y a quelque chose de captivant dans
la relation de ce couple si célèbre au cours du Moyen Âge central. Leur correspondance
nous offre de vrais témoignages de cette époque : l’importance donnée au mariage, la
place de la femme religieuse au XII ͤ siècle et surtout une image concrète de l’ agentivité
féminine dans l’environnement monastique et aussi dans les rapports avec les hommes.
Groso modo , leur relation se différencie des aventures médiévales ; analysant l’amour
que ces deux partagent, il faut observer une double vision : Abélard continue la tradition
des clercs et plaide vers la fin de sa vie pour l’amour divin, le seul qui puisse apporter
quelque chose de durable à l’âme, c’est -à-dire l’éternité ; en revanche, Héloïse place au

112 Ibidem , p. 99.
113 Marcelle Vioux, Les amours d’Héloïse et d’Abélard , Paris, Éditions Ernest Flammarion, 1929, p. 51.
114 Ibidem , p. 136.
115 Jeanne Bourin, op.cit ., p. 197.

37
premier lieu l’amour terrestre , charnel, un sentiment passager soutenu par les laïcs .
Chacun d’entre eux représente un de ces deux types humains qui s’opposent au cours du
Moyen  ge. A yant à faire avec des épitres , et non avec un roman courtois , on a suscité
l’intérêt des auteurs d’illustrer cette histoire d’ une manière plus poétique, voire
romantique avant la lettre, en utilisant l’imagination et les attestations historiques de leur
vie pour augmenter les sentiments des personnages, pour donner une voix à Héloïse qui,
écrasée sous l’influence de son époux dans la société et dans leur liens intimes, est
contrainte à se taire jusqu’à la fin de ses lettres. La domination d’Abélard et la
soumission d’Héloïse sont les deux concepts qui décrivent le mieux leurs rapports
interactionnels à la fois étranges et intéressants.
Continuons, dans ce qui suit, avec un roman écrit en langue vernaculaire , qui, en
contraste avec cette correspondance réelle et attest ée, s’appuie sur l’allégorie, sur des
images aux sens cachés, dont l’ironie nous pousse à découvrir les arrière -sens de chaque
figure présentée.

38

CHAPITRE III.
Les Romans de la rose . Mirages de l'allégorie
Bien qu’il soit question d’un roman allégorique, il faut rappeler que les concepts
littéraires ont changé d’une période à l’autre. Lorsqu’on a parlé de l’époque du célèbre
Abélard, on a mis en évidence les préoccupations humaines de ce temps. On sait
qu’Héloïse a réussi à pourvoir en terres ses mon iales116 et que ce succès lui a apporté
une célébrité finalement reconnue parmi les hommes. L’environnement rural était
illustré comme lieu de l’évolution, car les villes se formaient ave c lenteur, ce qui
influençait la thématique des œuvres littéraires. De l’époque abélardienne à l’époque de
Jean de Meun il y a une évolution visible dans le contexte de l’infrastructure. Les villes
se sont fortifiées, la population était plus nombreuse, le s concept s d’armée et d ’« Etat
véritable » étaient en vogue, « l’argent est devenu le principal instrument du
pouvoir »117.
En revanche, penser ra tionnellement était un idéal commun à Abélard et aux
auteurs du Roman de la Rose , quoi que plus d’un siècle les sépare , et « s’ils ne visaient
pas les mêmes cibles, c’est seulement que les problèmes posés par l’environnement
social, politique, et moral ne se posaient pas dans les mêmes termes »118. Pour passer de
la critique de la Bible à la critique de la société, on a eu besoin d’un siècle et demi et du
fondement de l’Université parisienne, dont Meun essaye de répandre l’idéologie.
Jusqu ’à ce m oment -là, « dès la fin du XII ͤ siècle une tendance à la théorisation se fait
jour sous l’asp ect de débats (casuistique des "jugements d’Amour ") ou de traités ( De
Amore d’André le Chapelain) »119. Comme il l ’avoue dans la préface, le but de Chapelain
est de « faire conna ître de vive voix et d ’enseigner par mes écrits la façon dont deux
amants peuvent préserver l’intégrité de leur amour de même que les moyens dont ceux
qui ne sont pas aimés peuvent se débarrasser des flèches que Vénus a fichées dans leur

116 Barbara Newman. op. cit., p.136 .
117 George Duby, op. cit., p. 171.
118 Ibidem , p. 173.
119 Armand Strubel, Guillaume de Lorris. Jean de Meun. Le Roman de la Rose , Paris, Presses
Universitaires de France, 1984, p. 11.

39
cœur »120. Avant qu’il traite la problématique de l’amour courtois dans une œuvre si
complexe qui essaye de décrire toutes les circonstances où l’amour peut faire sentir sa
présence et toutes les combinaisons d’actants spécifiques à l’époque courtoise, il est
nécessaire de rappeler un autre auteur dont l’ouvre illustre des pensées philosophiques
ayant dans son centre d ’intérêt la nature divine qui vient en contraste avec la nature
humaine. En bref, on parle d ’Alain de Lille, qui écrit dans la seconde moitié du XII ͤ
siècle un travail à la fois moralisateur, philosophique et allégor ique : La Plainte de
Natura (De planctu Naturae ). Cette œuvre
nous raconte un de ces moments assez rares dans l’histoire de l’humanité, où la pensée,
armée de ses forces naturelles, s’éveille comme en se jouant à ce qu’elle ignorait, quitte le
confort de ses limites habituelles et se risque dans leur au -delà : on su it la genèse d’un
regard neuf qui, cédant à la liberté offerte par la fiction, fait éclore le possible d’une autre
vérité121.
Si on a introduit ces deux œuvres dans notre chapitre sur les Romans de la Rose ,
c’est parce que ce sont elles qui ont eu une grande importance dans le développement du
sujet allégorique de nos deux auteurs122. Dans ce qui suit, on va essayer de tracer un
parallèle entre les façons de voir la réalité de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun.
Guillaume est le créate ur d’une nouvelle image de l’amour courtois ; il donne forme
d’une certaine façon aux circonstances décrites par Chapelain ; il introduit les normes
sociales qu’un certain jeune doit respecter pour être intégré dans la société. En fait, il
continue la trad ition commencée dans son siècle de raconter la réalité à travers l’ironie et
la fiction, car
dès le début du XIII ͤ siècle des poèmes prennent comme argument une description ou une
narration à lire comme métaphore d’un sens second. (…) Deux espèces de montage se
distinguent : descriptif (décomposition d’un objet en parties, chacune reliée à une v aleur

120 André le Chapelain , Traité de l’amour courtois. Traduction, introduction et notes par Claude Buridant ,
Paris, Éditions Klincksieck, 1974, p. 45.
121 Voir l’introduction d’Yves Delègue de sa traduction d’Alain de Lille, op. cit., p. 16.
122 Cette nouvelle littérature embrasse tous les domaines qui viennent en contact avec l ’homme et on
assiste à un véritable épanouissement de l ’humanisme dans ces domaines. Comme le précise Jean -Claude
Schmitt, « entre le XII ͤ et le XIII ͤ siècle, se dévelo ppe la littérature allégorique latine (Alain de Lille) et
vernaculaire (Le Roman de la Rose) qui renoue avec les œuvres de la fin de l’Antiquité (Macrobe,
Martianus, Capella) pour proposer une réflexion originale sur les sentiments, les émotions, les passi ons,
les ressorts de l’âme humaine et aussi la condition spirituelle, sociale et polit ique de l’homme dans le
temps », Le Corps, les rites, les rêves, le temps. Essais d’anthropologie médiévale , Paris, Éditions
Gallimard, 2001, p. 313

40
qui entre dans l’extension ou la compréhension du concept comparé) ; narratif, qui
prend l’image du voyage ou du combat comme comparant d’une initiation ou d’une
conversion123.
Voilà comment Guillaume organise son récit : on y trouve à la fois de long ues
descriptions introduites à l’aide de la narration commencée avec le rêve et l’entrée de
l’amant dans le verger. Le roman comme tout se compose de deux parties : la partie de
Guillaume qui est interrompue brusquement , et celle de Meun (qui s’appuie sur les idées
d’Alain de Lille concernant le naturalisme) qui reprend le texte de son prédécesseur et le
réorganise, le réinterprète, surtout à travers la glose, c’est -à-dire l’effort d’expliquer
toute action , « d’élaborer une signification différente du sens littéral des exempla ou de
son propre texte »124 ; les deux plans trouve nt leurs explications dans le genre littéraire
que les auteurs pratiquent :
L’écriture allégorique conserve sa double orientation, héritée de ses origines rhétoriques et
théologiques : création d’un texte à partir d’une métaphore qui se poursuit en réseaux de
figures subordonnées au transfert initial ; réinterprétation d’un texte existant considéré
comme codage d’ un sens caché125.
Sujet lyrique et romanesque à la fois, le rêve (à côté du songe qui permet son
apparition) a été lui aussi mis en contraste avec les croyances cléricales, car dans la
conception de l’Eglise, le songe est le prétexte de laisser l’imagination, voire l e péché, se
dérouler inconsciemment dans la tête des gens. Lorsqu’on s’éveille, on continuera à
penser à nos rêves qui peuvent être érotiques, ce qui nous rend curieux de sentir les
mêmes sensations dans la réalité, en dehors du songe. Cette possibilité in triguait les
clercs qui essayent, pour atténuer cette fièvre du rêve érotique, de parler de rêves à
présence divine dont les discours sont perçus comme des révélations divines, voire des
prophéties126.

123 Armand Strubel, op. cit., p. 12.
124 Nancy Freeman Regalado, op. cit. , p. 71.
125 Armand Strubel, op. cit ., p. 12.
126 Sur l’oniromancie interdite, la découverte des songes par les clercs et leurs interprétations dans ce
contexte, voir Michel STĂNESCO, « Le songe comme œuvre poétique », in Le Rêve médiéval et ses
métamorphoses. Actes du Colloque international organisé par le Centre d’É tudes Médiévales, Université
de Bucarest, 27 -28 octobre 2006, Editura Universității București, 2007, p. 70 -73.

41
En suivant ces idées , le contraste entre songe et mensonge est à analyser quand on
parle d’un travail allégorique . Est-ce que ce qu’on raconte est vrai ? À une première vue,
on dirait que tout est un mélange d’images confuses, hyperboliques, inventées, car même
à partir des n oms des personnages on ne peut pas s’imaginer une liaison avec la réalité.
Mais si on étudie le contexte historique et idéologique de l’époque de ce roman, on peut
facilement deviner le rôle de chaque figure créée . Avant d’examiner les mirages de notre
allégorie, il faut dire que
L’allégorie , comme le songe, est l’art de travestir la vérité , de montrer « maintes choses
covertement », qu ’une lecture avisée permet ensuite de comprendre « apertement ». À une
époque où la littérature, la fiction, doit se défen dre contre l’accusation de « mensonge », le
songe est la ruse du discours qui se sait porteur d’une forme de vérité. Son ambiguïté, le
mélange de réalité et d’irréalité qui caractérise ses représentations, offre la meilleure image
pour ce monde de fantômes , où les choses et les personnes ne sont pas ce que l’on voit, que
l’allégorie met en scène127.
Il ne faudrait pas oublier que le but de ce mémoire est d’illustrer la condition
féminine en rapport avec les hommes, donc ce travail essaie d ’attirer l’attention sur
l’image de la femme à l’époque médiévale et pour y parvenir, l’allégorie pédagogique et
érotique du Roman de la Rose nous sert de support littéraire. En ce sens, dans les sous –
chapitres suivants on verra comment, sous le symbole d e la Rose, la femme se cache
toujo urs dans un miroir à deux faces susceptible de voiler le regard .

127 Armand Strubel , op. cit., p. 29.

42
La Rose : Un rêve
Avant tout, le sujet du roman est une rose. Le récit prend forme avec la
description de cette fleur isolée. Si l ’on a décidé de donner cette structure au roman,
c’est parce que dans une allégorie on va chercher toujours le sens caché . En bref, si on
nous parle d’une fleur, on essayera de trouver un équivalent réel qui puisse être accepté
dans notre monde. Rien n’est plus difficile. Il faut faire des recherches au centre du récit.
Quel indice plus spécifique que la quête et la conquête de la rose faites par un homme ?
Si un homme cherche une fleur dont il tombe amoureux, quelle est l’image qui nous
vient à l’esprit tout d’a bord ? Que la rose est une fille ; mais
les coutumes du jeu allégorique interdisent une équivalence aussi simpliste. La rose est une
fleur, et, en dehors de la péripétie du baiser, n’est rien d’autre. Elle pousse sur un rosier,
elle a des feuilles, des ép ines, une tige, une odeur de rose, d’abord bouton, elle est ensuite
« un poi (…) engroisie », mais pas assez pour que « la graine fust descovierte ». (…)
Lorsque l’idée de la femme s’impose trop, il ne s’agit plus d’une comparaison développée.
Quand la fle ur est décrite pour elle -même, ce n’est plus de l’allégorie, mais de la
botanique128.
Ce qui veut dire que les auteurs ne nous donnent aucun indice pour qu’on puisse faire
cette liaison entre une fleur et une jeune fille. On pense d’abord à la plante et aprè s on
découvre que c’est une jeune fille parce que toute la fraicheur décrite y renvoie, surtout
si on dit « bouton », donc la fleur n’est pas mûre, mais à peine développée dans un jardin
qui est la définition de la beauté. La rose ne devient un symbole que par la connexion
avec l’homme. Le centre d’attention change d’un objet à l’autre. C’est justement le
verger dont l’amant est étonné, attiré, enchanté pour la première fois. Après, « le jardin
qui symbolisait l’objet d’amour en général cède à présent la p lace à une rose »129, rose
qu’il observe pour la première fois -parmi les autres fleurs du rosier – dans la réflexion de
l’eau, devenue elle aussi un symbole, celui du miroir : le jeu du reflet comme effet de la
mise en abyme est repris: le roman raconte un s onge qui est le reflet des aventures d’un
héros qui tombe amoureux d’une rose, qui, elle aussi, est à son tour un reflet dans l’eau

128 Ibidem , p. 34 -35.
129 Shigemi Sasaki. « Le jardin et son “estre” dans “Le roman de la rose” et dans “ Le Dit dou Lyon’’ ».
In : Cahiers de l’Association internationale des études françaises , 1982, n 34, pp. 25 -37, ici p. 34.

43
claire. En bref, le roman est lui aussi voilé130. À ce moment, la rose incite l’imagination
de l’amant qui pense à l’amour131 et à son pouvoir même négatif de détruire les hommes,
comme c’était le cas du célèbre Narcisse qui, maudit , tombe amoureux de lui -même, et
parce qu’un tel sentiment ne pourrait jamais être réciproque, il se suicide.
Quant à la présence du rêve da ns ce roman, deux concepts nous aident à
l’expliquer. C’est la différence entre réalité et songe, expérience et imagination,
phantasmata et phantasiae . Ces derniers peuvent être définis par rapport aux stimuli
extérieurs qui se reflètent dans le rêve, car « bien que la faculté de l’âme soit responsable
des songes, la vérité ne se trouve pas dans les songes : à l’origine des songes se trouvent
des représentations imaginaires ( phantasmata ), à partir des images réelles fournies par le
sens ( phantasiae )132. On pa rle pour ainsi dire de l’inconscient. Le narrateur -rêveur désire
inconsciemment dans son rêve une fleur, une rose, qui est le symbole de la femme aimée
qu’il veut conquérir dans la vie hors du songe. Mais pourquoi une rose ? La bien -aimée
devait prendre la forme la plus parfaite qui puisse exister, la plus sensuelle et naturelle,
et comme la rose « symbolise la perfection (…), elle a, par sa forme, le sens du cercle et
de la roue, tous symboles du développement parfait complet et du reflet de l’univers
indestructible »133. Ce développement parfait est érotique, car la rose n’est ici qu’un
objet fantasmé soumis au désir de l’amant.

130 Pour plus de détails sur le jeu des miroirs voir Armand Strubel. op.cit ., p. 66 -68.
131 Le Roman de la Rose , éd. cit., p. 44 : « Parmi ces boutons j’en élus un si beau qu’à côté de lui je ne
prisai nul des autres après que je l’eus bien regardé, car il était enlumine d’une couleur si vermeille et si
fine que Nature n’avait pu mieux faire. (…) Et quand je sentis ce parfum péné trant, je ne pensai plus à
retourner sur mes pas. »
132 Michel STĂNESCO, op. cit., p. 69 .
133 Marie Coupal, Le Rêve et ses symboles , Canada, Éd. de Mortagne, 1985, p. 472.

44

Un objet fantasmé
Les Romans de la Rose sont des témoignages médiévaux qui ont essayé de
donner une note didactique à l’action qu’ils racontent. Essentiellement, les croyances
courtoises, religieuses, naturalistes et scientifiques sous -tendent par ces œuvres si
complexes. Il est d’ailleurs remarquable que l’histoire montre les idées d’une pédagogie
du plaisir . On a déjà parlé d’une initiation de l’amant dans les règles de l’amour,
maintenant il faut parler de l’initiation érotique à laquelle l’amant est soumis tout au
long de ce rêve. S’il s’agit d’un objet fantasmé, il faut souligner à ce point que l’objet
dont on parle ici est toujours la Rose. On l’analysera comme objet de l’amour par
rapport à l’amant, comme une destination. On ne s’éloigne pas complètement de l’idée
de rêve, parce que lorsqu’on se trouve dans un songe, l’idée de fantasme134 est fort
pertine nte. À travers le rêve, le narrateur -rêveur peut vivre l’érotisme si longtemps
désiré, peut -être impossible à vivre dans la réalité quotidienne. Autrement dit,
l’obsession de ressentir une telle sensation n’est possible que dans le rêve, qui devient un
prétexte pour Meun d’introduire ses idées naturalistes concernant la relation homme –
femme.
Pour l’amant, la conquête de la rose commence après avoir été blessé par les
flèches d’Amour et « la représentation du désir comme force indépendante, extér ieure et
agressive (arcs et flèches) (…) exprime le pouvoir du sentiment »135. Tout comme le lieu
de l’aventure -c’est -à-dire le verger – les flèches, les personnages, sont des contextes
créés pour aider l’amoureux à conquérir érotiquement la femme. L’amant, agent du
désir, et la rose, patiente du plaisir, sont deux personnages inventés par les auteurs, afin
de pouvoir dessiner une image médiévale de ce que l’amour signifiait à l’époque. La
femme était isolée (on a vu aussi dans le cas d’Héloïse que les monast ères accueillaient
les femmes mariées, séparées, veuves, bannies, vierges) et l’homme essayait d’entrer
dans son espace clos qui la protégeait et de détruire son silence, de faire reculer son
monde. C’est valable aussi dans ce roman, pace que la Rose est p rotégée par une haie,

134 « Construction imaginaire, consciente ou inconsciente, permettant au sujet qui s'y me t en scène,
d'exprimer et de satisfaire un désir plus ou moins refoulé, de surmonter une angoisse », définition
disponible sur le site CNRTL : https://www.cnrtl.fr/ .
135 Armand Strubel , op. cit., p. 38.

45
plus tard par des châteaux, mais à la fin l’amant réussit à y entrer et à déflorer la femme.
Ce sont ces mesures de protection qui nous aident à deviner que la femme est seulement
une victime du désir masculin, un objet fantasmé136. La Rose, – la femme -, n’agit pas en
tant que telle, mais à travers les actants imaginaires qui tournent autour du jeune
homme : La Vieille, Jalousie, Honte, Peur, Richesse, etc., et qui sont les représentations
des sentiments de la femme à l’égard de son prét endant. L’intention d’écrire une
pédagogie du plaisir est illustrée par la lutte entre le bien et le mal, car « si du point de
vue de la rose, de la chasteté, la surveillance est un bien, elle est prise en charge par des
personnifications qui dans l’absolu ont une valeur négative »137, ce qui veut dire que le
désir de l’homme apporte toute l’armée disponible pour soumettre la femme, et qu’il va
réussir, parce qu’une fleur si fragile ne pourra jamais, en dépit de ses épines, résister aux
tentations si nombreus es et si puissantes. La pureté d’Amour (introduite par Guillaume)
et l’érotisme de Vénus sont deux formes que revêt la soumission féminine, la dernière
étant introduite par Meun pour montrer ses idées naturalistes, c’est -à-dire que l’union
entre une femme et un homme doit être de nature sexuelle pour la continuation de
l’espèce, la procréation étant imposée par Nature, voire par Dieu, comme le but final de
la vie humaine138. C’est à ce but que dans la deuxième partie l’accent est mis sur
l’érotisme, car tout sentiment pur doit être mis à côté, pour laisser le désir grandir.
Seulement l’évolution sensuelle de l’amant est à suivre, « l’obsession de la performance
érotique interdisant à l’homme tout contact mental et émotionnel avec la femme »139.
Comme on l’a déjà annoncé, il convient d’examiner également un concept bien
présent dans le Roman, qui peut nous aider à expliquer la présence de tel ou tel
personnage. Il s’agit d’ integumentum, qui aide à introduire à la fois un sens découvert,
primaire, et un sens couvert, un sens secondaire, qui est, d’habitude, plus important et
plus spécifique que le premier. On parle d’un voile sous lequel on cache des vérités ;

136 Zuzanna Marcinkowska. « La prison amoureuse de Guillaume de Lorris. » In : Médiévales , n° 14,
1988. La culture sur le marché. Pp. 103 -112, ici p.111 : « Le refus de la Dame et les obstacles qui
s’opposent à l’amour sont présentés à l’aide des personnific ations, mais les relations spatiales y jouent un
rôle important. Le château -fort, les sentinelles et l’obstination de l’Amant suggèrent le siège et peut -être
les batailles pour conquérir la Rose . »
137 Armand Strubel , op. cit., p. 40.
138 Fernand Hallyn. Nykr og (Per). « L’amour et la rose : Le grand dessein de Jean de Meun. » In : Revue
belge de philologie et d’histoire , tome 65, fasc. 3, 1987. Langues et littératures modernes –Moderne taal –
en letterkunde. Pp. 699 -701, ici p. 700 : « L’amour, non pas l’amour de tête ou l’amour illusion à la
Guillaume, mais le vrai amour, sain, revigorant et conforme à la Volonté de Dieu, est le désir s exuel et
l’union des amoureux. »
139 Ibidem , p. 701.

46
l’œuvre elle -même est voilée, car, au -delà du rêve, il y a des croyances réelles, des
pensées bien présentes dans la société, que les auteurs essayent de nous montrer d’une
manière allégorique ; « dreams, as has often been noted, have a definite affinity with
allegory : both are forms which require interpretation consisting in lifting a veil or
integumentum from the surface »140. Pour notre sujet, l’ integumentum est important pour
ce qu’on a appelé « uncovering the rose », c’est -à-dire la réussite de la possession de la
femme, vaincre ses émotions et s es peurs, laissant finalement la tentation l’emporter et
faisant place à la sexualité. L’idée du voile est présente plusieurs fois. Le discours de la
Vieille, le seul personnage qui, par son nom, paraît réel, contient des conseils pour
qu’une femme soit acceptée dans la société, pour qu’elle parais se parfaite aux yeux des
autres, afin de pouvoir gagner leur confiance, mais ces conseils renvoient toujours au
besoin de couvrir ses défauts, de mettre une voile sur son visage, « en un mot qu’elle
tâche, si elle n’est pas sotte, de couvrir ses imperfecti ons »141.
Un autre discours misogyne est celui de Genius, le prêtre toujours à côté de Nature,
qui accuse les femmes d’être traîtresses, car elles ne peuvent pas garder un secret : « elle
le dirait, tôt ou tard, même si on ne l’invitait pas ; pour r ien au monde elle ne s’en
tairait »142. Si dans le premier cas on accuse la femme de couvrir ses imperfections, dans
le deuxième on l’accuse de découvrir les secrets, les imperfections des autres. Ce jeu de
l’integumentum rend l’analyse de la femme plus comp lexe, en faisant du sexe faible une
accumulation de paradoxes, de contrastes , difficile à comprendre par les hommes.143
La métaphore de la cueillette d’une fleur continue jusqu’à la fin du roman ;
commencé avec le baiser et fini avec la possession d e la fleur, le processus de la
cueillette est décrit par l’ouverture des pétales ; la maturation de la rose, qui n'est plus un
bouton mais une fleur éclose, signifie que l’initiation érotique du couple s’est bien
achevée, et que maintenant la rose permet d’être découverte et exploitée.

140 Renate Blumenfeld -Kosinski. “Overt and covert: amorous and interpretative Strategies in the Roman
de la Rose”, in: Romania , tome 111, n°443 -444, 1990, pp. 432 -453, ici p. 438.
141 Le Roman de la Rose , éd. cit., p. 229.
142 Ibidem , p. 278.
143 Pour plus de détails et d’exemples concernant l’ integumentum dans le Roman de la Rose , voir Renate
Blumenfeld -Kosinski, op. cit .,

47
Un sujet ?
Comme on l’ a déjà dit, on parle de la rose comme objet quand elle est le symbole
d’une femme que l’amant désire et qu’il va conquérir jusqu’à la fin du roman. La Rose
devient un sujet quand on pense au prétexte d’écrire un roman allégorique qui ait en
centre une fleur ; dans ce cas, le roman devient un manifeste. On parle surtout de la
deuxième partie du Roman, où Meun se déclare contre les ordres mendiants, tels que les
Franciscains et les Dominicains, donc contre leur règle de pauvreté imposée pour
atteindre le bien divin. Meun plaide pour l’égalité entre les frères et les gens du
commun, « en proclamant que chacun doit vivre d’un travail et non pas réclamer
l’aumône »144. Les mendiants deviennent riche s à travers les dons des laïcs, ce qui
intrigue notre auteur qui « hait les cagots »145. Voici la critique des hypocrites dans son
Roman :
je proteste hautement que jamais mon intention ne fut de combattre l’homme qui observe la
sainte religion et qui consume sa vie en bonnes œuvres, (…) mais de reconnaître les
déloyaux, les maudits, qu’ils fussent du monde ou du cloître, que Jésus appelle hy pocrites,
s’abstiennent en tout temps de manger la chair des animaux, au nom de la pénitence,
comme nous faisons en carême, mais mangent tout vifs les hommes perfidement, a vec les
dents de la détraction146.
En d’autres termes, tous les personnages négatifs introduits ont le but de démontrer
l’hypocrisie humaine et religieuse, les vertus dont on parle leur sont données comme
exemple, même l’histoire érotique est censée être une réplique contre le célibat des
moines, donc Meun encourage l’union sexuelle entre les deux sexes afin de prolonger
l’espèce humaine, « ainsi la conservation de l’espèce y apparaît comme la loi souveraine
de la nature, la virginité et la continence sont rejetées, tandis que l’amour libre est
recommandé »147.
C’est dans ce contexte qu’on parle du naturalisme, dont Meun est le représentant le
plus ardent. La reprise d’idées d’Alain de Lille et l’introduction de Natura dans son

144 George Duby, op. cit ., p.112.
145 Ibidem , p.113.
146 Le Roman de la Rose , éd. cit., p.260.
147 Julia Bastin. Pare (G.O.P). « Le Roman de la Rose et la scholastique courtoise » In : Revue belge de
philologie et d’histoire , tome 23, 1944. P. 354 -357, ici p. 356.

48
roman ont le but d’apporter des arguments pour cette union , mais aussi pour déplorer la
condition humaine, qui est toujours contre le souhait divin148.
Après l’apparition de l’Université en 1200, la pensée médiévale se tourne vers
quelque chose de plus profond, vers l’analyse de l’homme et de l’environneme nt, des
sciences et de la nature. Tous les domaines sont présentés dans le roman de Meun qui,
par ses connaissances philosophiques, met en scène tout un discours didactique ayant au
centre l’homme comme création de la nature divine, comme principal sujet d u
naturalisme. L’amant et la Rose sont des marionnettes d’un destin imposé par la
divinité ; l’action qu’on nous présente suit dès le début l’accomplissement du désir de
Natura : l’union érotique, l’amour vrai qui mène à la procréation. L’homme n’est qu’un
miroir où on reflète la fatalité biologique.
Nous voilà près de la fin de ce sujet, mais on ne va pas conclure avant de dire que
Les Romans de la Rose ont eu un succès incomparable parmi les lecteurs d ’après le XIII ͤ
siècle : plus de 300 d’exemplaires unissent les deux romans, mais Guillaume n’a pas eu
le même succès avant la continuation de Meun. C’est toujours ce dernier qui a
suscité « La Querelle d e la Rose », ayant comme représentants d ’un côté Christine de
Pisan et Jean Gerson qui étaient contre l ’antiféminisme de Meun, et de l ’autre côté
Pierre et Col Gontier qui soutenaient ses idées. Cette querelle commence au début du
XV ͤ siècle avec les let tres de Pisan qui exprime ses mécontentements en ce qui concerne
la posture de la femme dans le Roman, « Christine and Gerson both found the Rose
disgustingly licentious, an exhortation to vice, an invitation to adultery and
fornication »149, et en même tem ps les partisans de Meun proclament la morale que le
Roman implique, en disant que l’œuvre est une leçon de conduite morale que les lecteurs
devraient savoir assumer150. Pisan a même écrit en 1401 Le dit de la rose , où elle met
sous un nouveau jour la Rose, qui n’est plus soumise, mais écoutée, respectée et qui
n’est plus seulement une patiente: Christine la transforme dans une agente de l’amour.

148 Alain de Lille, op. cit., , p.320 -321 : “Je ne me plains de nul être, sinon d’un seul – de l’homme. (…) Il a
tout ce qu’on peut penser : c’est un petit monde nouveau. »
149 Reghina Dasc ăl, Christine de Pizan. Essays , Timișoara, Editura Universității de Vest, 2008, p. 26; Il y
a dans ce travail plusieurs détails sur la vie, l’œuvre et le développement de la Querelle qui peuvent
intéresser.
150 Ibidem , p. 157: “The defenders of the Rose firmly believe that the Rose is a text that undoubtedly fulfils
the criterion of instruction in pleasure , claiming that it provides important moral guidance on how to
conduct oneself, which is the very cornerstone of ethics.”

49

CONCLUSIONS
Le but de ce mémoire de licence a été de présenter des contextes différents qui aient
comme centre d’intérêt une histoire d’amour. Pour chaque œuvre choisie, on a mis en
évidence le personnage féminin qui restait à l’ombre du protagoniste. La conception du
« Mâle Moyen Âge » (pour reprendre le célèbre syntagme de Georges Duby) qu’on peut
adapter ici est que l’homme avait la force de changer des destins : qu’on parle de clercs
qui, par leur éducation, pouvaient transmettre les règles religieuses aux laïcs qui ne
savaient pas lire, qu’on parle de troubadours et trouvères ou de jongleurs qui par leu rs
chansons vénéraient la femme et commençaient un spectacle de quête et de conquête
générant au sein de la cour le désir de ressentir de tels sentiments, qu’on parle d’un jeu
de chevalerie ou de tournois, l’homme est vu comme un noyau indispensable qui, une
fois en évolution, place la femme dans une position inférieure. Son succès est l’insuccès
du sexe faible.
La femme était vue comme la première ayant péché, toujours à la recherche des
tentations et des plaisirs ; c’est pour ça qu’on décidait de l’enfermer soit dans les
responsabilités familiales, soit dans des monastères. On a vu que la femme était toujours
en fuite : veuve, mariée, vierge, elle devait se cacher parce que le pouvoir de l’homme
pouvait la détruire. Héloïse est l’exemple le plus re présentatif, car elle semble être
toujours maudite par le destin à cause de deux hommes : son oncle et son mari. À
chaque fois, elle souffre, elle se cache et une partie de son âme se déchire. Mais elle n'a
pas perdu tous les combats : elle est vue aujour d’hui comme une abbesse ayant apporté
de la prospérité dans les monastères et ayant changé les règles monacales en modérant
les pratiques religieuses trop sévères comme les jeûnes, en introduisant les hymnes
traditionnels (l ’Hymnarius Paraclitensis151) écrits par Abélard à la demande de
l’abbesse. Elle a inspiré des auteurs152 à mettre la relation entre les deux époux sous un
nouveau jour, des auteurs qui ont écrit des romans animés imaginant des longs
monologues d’Héloïse en train de décrire ses combats i ntérieurs et ses désirs ardents, ses

151 Huglo Michel, op. cit. , p. 354.
152 On parle de romans déjà cités : Très sage Héloïse de Jeanne Bourin et Les amours d’Héloïse et
d’Abélard de Marcelle Vioux.

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regrets et ses réussites. De cette façon, on peut croire qu’Héloïse a gagné, qu’elle a
réussi à se faire entendre et comprendre, car sa vie reste une odyssée à entreprendre pour
les femmes plus faibles.
Concernant les émotions de la femme, on voit qu’elles sont refoulées, sont laissées
de côté, parce que l’homme va toujours gagner au détriment de la femme. On a bien vu
dans Le Roman de la Rose que même si une lutte contre lui est commencée, et même si
on protège la femme, on la renferme, on construit des murs et des rosiers autour d’elle,
la force masculine pourra détruire tout ce qui s’y oppose, parce que le seul but est de
voir le désir de l’homme accompli. La Rose reste quand même un idéal, elle représente
la fem me réunissant toutes les qualités qui puissent attirer un homme, et celui -ci se
soumet à ses caprices, lutte pour lui plaire et pour la conquérir, même s’il risque d’être
attaqué par de telles forces. La femme domine et suscite le désir de l'homme de domin er
à son tour.
À côté de la littérature, on a vu que les pensées philosophiques, logiques, les lois de
la nature, toutes étaient analysées par des hommes. L’influence masculine dans le
contexte culturel ne peut pas passer inaperçue : la scolastique d’Abélard qui donnait une
explication à la présence du péché, du malheur humain, le naturalisme de Meun qui
plaçait la femme comme une source indispensable pour la procréation, en soutenant
l’accomplissement de l’acte sexuel comme unique manière de reproduct ion.
Il reste à ajouter que le Moyen Âge a été l’époque des contrastes et des luttes
culturelles. On a parlé du passage du latin au français et de leur mélange, surtout si on
rappelle Meun qui utilise les deux ressources culturelles dans son roman, a fin de faire
passer son message aux litterati et aux illiterati et de montrer que la langue vulgaire
avait besoin d’un nouveau lexique pour parler de sciences, ce dont le latin disposait
abondamment. Toujours dans ce contexte, l’importance donnée aux exemp la antiques,
aux mythes qui ont aidé Meun à gloser son roman, à donner une explication pour chaque
action, afin d’éliminer la voile, l’ integumetum . Un autre contraste dont on a parlé est la
lutte entre l’Eglise et l’Université, ce qui nous permet de lire l e roman de Meun comme
un manifeste contre l’influence cléricale sur le développement des études et des sciences
et contre les ordres mendiants qui utilisaient l’aumône et l’idée de pauvreté volontaire
comme prétexte de s’enrichir.

51
Pour conclure, il fa ut dire que nos deux cas de figures féminines du Moyen Âge
central montrent que la femme pouvait à la fois dominer et obéir, et que ces deux
propensions étaient toujours étroitement liées au contexte social de l’époque. C’est pour
ça que la condition fémin ine était toujours en jeu, autour de toutes ces querelles et
ambitions masculines qu’on a apportées aux yeux de nos lecteurs pas pour montrer leur
pouvoir, mais pour montrer comment elles étouffaient la femme. Là où elle devenait
dangereuse, l’homme voulai t l’éliminer, sans pour autant échapper à sa fascination
onirique ou à l’attrait de sa florissante sensibilité…

52

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