Univerzita Karlova v Praze [629175]
Univerzita Karlova v Praze
Pedagogická fakulta
Katedra francouzského jazyka a literatury
Diplomová práce
Mise en abyme de la lecture dans les romans
« Madame Bovary » et « A Rebours »
vedoucí diplomové práce: PhDr. Catherine Ébert-Zemi nová, Ph.D.
autor diplomové práce: Danka Sekerková
obor studia: Učitelství pro střední školy, AJ – FJ
rok dokončení práce: 2011
Prohlášení:
Prohlašuji, že diplomovou práci s názvem Mise en abyme de la lecture dans
les romans « Madame Bovary » et « A Rebours » jsem vypracovala
samostatně. Použitou literaturu a podkladové materi ály uvádím v přiloženém
seznamu literatury.
V Praze dne: 8. 4. 2011 ……………………………..
Pod ěkování
Na tomto místě bych ráda poděkovala paní PhDr. Catherine Ébert-Zeminové,
Ph.D. za vedení diplomové práce, za poskytnutí vhod ných materiálu a
podnětných připomínek k obsahu, k formě i k metodol ogii.
Děkuji.
Annotation
Titre du mémoire : Mise en abyme de la lecture dans les romans « Madame Bovary » et
« A Rebours ».
Mots clés : littérature, mimésis, anti-mimésis, réception de l´œuvre littéraire , lecture, mise
en abyme de la lecture (Métalecture), lecteur, Métalecteur, réalité fictive (fiction), réalité
objective (réalité) et intertextualité.
Résumé : Le sujet principal de ce mémoire est la lecture abusive des romans e t son impact
sur le lecteur. Cet aspect est étudié dans les romans qui eux-mêmes thémat isent le sujet de
la lecture, c´est-à-dire que les héros de ces romans sont les lecteurs, c e qui a pour résultat le
dédoublement de la lecture. Il s´agit d´ailleurs d´une technique artist ique et littéraire
nommée la mise en abyme de la lecture qui est présente dans les romans « Madame
Bovary » (1856) par Gustave Flaubert et « A Rebours » (1884) par Joris-Karl Huysmans
qui forment le corpus de l´analyse. Celle-ci a pour objectif d´examine r l´influence de la
lecture abusive sur les héros-lecteurs, ainsi que leurs motivations de la le cture, le rôle et les
fonctions de la lecture dans leur vie. En mettant en oeuvre la problématique de la lecture,
cette étude vise à rétablir l´importance de la lecture, de même que cel le de la littérature
dans la société d´aujourd´hui qui les néglige considérablement. Autrement di t, la nouvelle
génération postmoderne est devenue hostile aux livres, ce qui évidemment att ire de plus en
plus l´attention des spécialistes.
Le mémoire consiste de cinq chapitres dont les quatre premiers portent s ur les données
théoriques et le cinquième sur l´analyse des romans. Le premier chapitr e introduit
généralement la situation actuelle de la lecture dans la société, le sec ond chapitre résume
brièvement l´historique de la littérature et évoque quelques fonctions littér aires, le
troisième situe la lecture dans la triade de la communication littérair e et le quatrième est
consacré exclusivement au lecteur et à sa fonction lors de la réception de l´o uvre littéraire.
Les acquits de l´étude théorique sont ensuite recherchés dans les romans afin de dém ontrer
leurs fonctionnement dans la pratique littéraire.
Annotation
Title of the thesis: Mise en abyme of the reading in novels “ Madame Bovary” and “ A
Rebours”.
Keywords: literature, mímésis, anti-mímésis, reception of a literary work, readi ng, mise en
abyme of reading (Metareading), reader, Metareader, fictional realit y (fiction), objective
reality (reality) and intertextuality.
Abstract: The main subject of this diploma thesis is the reading of novels and its
pernicious effect on a reader. This aspect is studied in the novels which involve the p rocess
of reading. In other words, the main characters of the novels are readers which results in
the double reading. This phenomenon is an artistic and literary technique calle d ''mise en
abyme'' which is used in the novels “ Madame Bov ary” (1856) by Gustave Flaubert and “ A
Rebours” (1884) by Joris-Karl Huysmans which represent the framework of our analysi s.
The main goal of the analysis is to determine the influence of the corruptive r eading on the
characters of novels, furthermore their reasons for reading and the role and the function of
reading in their lives. Having chosen reading as the subject of this thesis, we i ntend to
restore the importance of reading and of literature in our society which has been neglecting
them considerably. That is to say, that the new postmodern generation has become hos tile
to the books and specialistes have been paying more and more attention to this fa ct.
The thesis is divided into five chapters with the first four chapters dealing w ith the literary
theories concerning our subject-matter and the last one being practica l as it contains the
analysis of the novels. The first chapter introduces generally the actual position of reading
in our society. The second summarizes the development of literature and also c lassifies
certain functions of literature. The next one places the reading in the trian gle of literary
communication and the last theoretical chapter is dedicated especially to the reader and his
role in the reception of the literary work. The results of the theoretical st udy are
subsequently applied on the novels so that we can demonstrate their functioning in the
literary practice.
6 Table des matières
Table de matières ………………………………………………………………………. 6
1. Introduction ………………………………………………………………………… 8
1.1. L´introduction générale ………………………………………………… 8
1.2. L´objectif de l´étude et la méthode utilisée ………………………….…. 11
1.3. Le plan de travail ………………………………………………………. .12
2. Historique de la littérature ……………………………………………….….……. 13
2.1. La définition et l´origine de la littérature ………………………….…… 13
2.2. Les fonctions de la littérature …………………………………….…….. 16
3. Structure de la communication littéraire …………………………….…….……. 18
3.1. Le triangle littéraire ………………..………………..………….………. 18
3.2. La réception du texte littéraire ………………………………….….…… 21
3.3. La littérature et la réalité ………………………………………..………. 24
4. Lecteur ……………………………………………………………………..………. 27
4.1. Le lecteur est celui qui lit …………………………………….…………. 27
4.2. Les droits du lecteur ………………………………………..……………. 34
4.3. La typologie des lecteurs ………………………………………..….. ..… 39
5. Héros-lecteurs ………………..………………..……………….………….……….. 46
5.1. La méthode de la mise en abyme ………………………….……..….….. 46
5.2. Le point de départ de l´analyse ………………………………….……… 49
5.3. L’objectif de l´analyse ………………………………………….…….…. 51
5.4. L´analyse des romans …………………………………………..….….… 52
5.4.1. Madame Bovary ……………………………….……….….….…..…. 52
5.4.1.1. L´intertextualité …………………………….….….…… 53
5.4.1.2. Le rôle de la lecture dans la vie du héros ……………… 54
5.4.1.3. Les motivations et l´impact de la lecture sur le héros ….. 55
5.4.1.4. Le rapport entre la fiction et la réalité ……………….… 57
7 5.4.2. A Rebours ………………………………….…………..…….… 59
5.4.2.1. L´intertextualité ………………………………….….… 61
5.4.2.2. Le rôle de la lecture dans la vie du héros …….…….…. 63
5.4.2.3. Les motivations et l´impact de la lecture sur le héros.… 66
5.4.2.4. Le rapport entre la fiction et la réalité …………….…… 68
5.5. Discussion des résultats ………………………………………………… 70
5.6. Constatations générales …………………………………………….…… 72
Conclusion ………………………………………………..………………….…….. 76
Résumé ………………………………………………..…………………………….. 80
Bibliographie ………………………………… ………..…………………….…….. 84
Abréviations utilisées ……………………………..………………….…………….. 87
8 1. Introduction
1.1. L´introduction générale
La littérature est présente dans notre société depuis des si ècles, nous pouvons
même suggérer qu´elle a participé à la création des civilis ations, seulement sous une autre
forme que celle d´aujourd'hui. Étant donné que nous sommes entourés par les livres, nous
croyons que la littérature est un synonyme du livre. Or, la litté rature puise son origine dans
l´oraliture et c´est exactement sous cette forme qu´elle a accompagné l´homme archaïque
dans ses activités quotidiennes. Parmi les formes orales nous compt ons chansons,
berceuses, prières, psaumes, lamentations, comptes, mythes, lé gendes et beaucoup d´autres
variétés qui appartiennent au passé lointain. Ce sont les genres p rélittéraires, certaines
liturgies et autres formes cultuelles en relation avec le s acré, qui ont donné naissance à la
littérature. Certes, ils ont subi un grand changement pendant l´évol ution littéraire et à
présent ils sont plutôt marginaux et parfois complètement oubl iés. Ayant évoqué les faits
ci-dessus, nous libérons la littérature de la forme écrite et cela fait élargir notre vision en
sorte de réhabiliter les genres oraux comme chansons et cham ps épiques, sermons, genres
narratifs, blagues, folklore, comédies, et ensuite d´arriver vers la conclusion que la
littérature est inséparable de notre vie quotidienne. Nous sommes e n contact avec elle tous
les jours en écoutant les chansons qui ne sont rien d´autre que les poèmes en musique .
En parlant de l´origine de l´homme et de toutes les civilisati ons, qui incarne la plus
grande énigme de toute existence humaine, il est nécessaire de s ouligner que la littérature
dans sa forme écrite est un des trésors du patrimoine culturel p ar lequel les scientifiques
essaient de déchiffrer ce mystère. Nous apprenons entre autre l a création du monde grâce à
la Bible qui est incontestablement une source littéraire. Bien sûr, cela n´est qu´une théorie
de la création parmi d´autres qui travaillent pareillement a vec les textes, les livres et
d´autres formes littéraires.
De même que la littérature a commencé par la forme orale, l ´initiation en littérature
d´un être humain procède d´une manière similaire. Tout d´abor d, ce sont les berceuses qui
endorment le nouveau né. Étant plus grand, les parents lui chantent les chansons lesquelles
l´aident à apprendre à parler. Encore avant de parler, il fai t la connaissance avec des livres
dont il regarde les images, fasciné par les commentaires des adultes qui lui expliquent ce
que ces images signifient. Aussitôt qu´il parle ils lui raconte nt les contes avant qu´il
s´endorme et l´enfant les écoute attentivement les apprenant souvent par cœur. Grands
châteaux ténébreux, courageux princes sur leurs chevaux d´or, belle s princesses dans les
9 robes de soie, dragons cruels crachant du feu, chevaliers braves qui se battent pour leur roi,
méchantes sorcières qui vivent dans les forêts sombres, et autres créatures surnaturelles
enchantent le jeune auditeur en l´introduisant dans le monde imaginaire de la littérature.
Petit à petit il devient l´écolier ; il a hâte d´apprendre à lire et à écrire ; il est émerveillé par
le déchiffrage des mots composés des lettres, des phrases com posées des mots, des textes
composés des phrases et après avoir lu son premier livre il s e sent comme un chevalier qui
gagne un grand combat. Malheureusement, avec le temps cet émerve illement s´évapore et
la lecture devient une obligation. L´élève est forcé de lire et de faire des analyses des
romans qui ne l´intéressent guère et c´est ainsi que se forme un profond dégoût envers la
lecture. Quoi que les parents ou les professeurs fassent, ils ne réussissent pas à lui faire
aimer la lecture. La seule chose à laquelle ils parviennent e st la lecture imposée, c´est-à-
dire une lecture superficielle.
La problématique de la lecture est un phénomène qui est de pl us en plus mis en
relief par les enseignants et par d´autres spécialistes de l´ éducation. Ils cherchent la réponse
à la question suivante : pourquoi les gens lisent-ils de moins en moins , voire pas du tout ?.
Les statistiques montrent nettement que ce sont surtout les jeunes qui s´éloignent
perpétuellement de la lecture, ils ne l´apprécient point, et au surplus les bilans finaux
affirment qu´ils ne savent pas lire. Des sondages effectu és en France et au Québec dans les
années 1990 relèvent qu´une personne sur quatre n´a lu aucun livre au c ours d´une année.
A qui la faute ? A cette époque moderne ? Les chercheurs consta tent qu´il y a de différents
facteurs qui influencent cette attitude indifférente des gens e nvers la lecture, néanmoins le
facteur principal est attribué aux nouvelles inventions techniques : la télévision, le cinéma
et l´ordinateur. Ceux-ci semblent être les plus grands rivaux du livre. Par conséquent, nous
entendons de partout qu´il faut éliminer, voire interdire la télévisi on, les ordinateurs, les
cinémas et qu´il faut surtout que les jeunes lisent. Il faut, il faut, il faut… voilà, une
obligation de nouveau : « il faut lire pour apprendre, pour réussir nos études, pour nous
informer, pour savoir d´où l´on vient, pour savoir qui l´on est, pour m ieux connaître les
autres, pour savoir où l´on va, pour conserver la mémoire du passé , pour éclairer notre
présent, pour profiter des expériences antérieures, pour ne pas refaire les bêtises de nos
aïeux, pour gagner du temps, pour nous évader, pour chercher un sens à la vie, pour
comprendre les fondements de notre civilisation, pour entretenir notr e curiosité, pour nous
cultiver, pour communiquer, pour exercer notre esprit critique. »1. Résultat : les gens sont
1 Pennac, 1992 : 81.
10 habituellement attirés beaucoup plus par ce qui est interdit ou décommandé ; bref ils
évitent ce qui est imposé. Faut-il alors interdire la lecture ? Par ailleurs, il y avait une
époque où la lecture des romans était interdite aux filles et aux jeunes femmes étant donné
qu´on croyait qu´ils pouvaient avoir un impact négatif et c´est pour quoi elles lisaient en
cachette.
Attribuer la cause seulement au progrès technique ne fait qu´é clipser des causes
réelles. Il est possible que la question soit mal posée. Il s erait plus raisonnable de
reformuler celle-ci et au lieu de se demander : « Pourquoi les gens ne lisent-ils pas? »,
poser la question d´une manière positive: « Pourquoi lire ? » et su bséquemment nous
obtiendrions des réponses positives en utilisant une formulation affi rmative. Ensuite en
découvrant les motivations de la lecture (le mot « raison » nous se mble inconvenable en
parlant de la lecture), nous pourrions frayer le chemin aux le cteurs et les ramener vers la
« vraie » lecture. La « vraie » lecture signifie selon Danie l Pennac ( Comme un roman ) une
lecture spontanée, appréciée et notamment une lecture volontaire, et nous adhérons à ce
point de vue sur la lecture.
Pour illustrer les motivations de la lecture, nous allons citer quelques idées des
personnalités célèbres. Peut-être la citation la plus connue qui a fait plusieurs fois le tour
du monde est-elle celle-ci : « Un bon livre est un bon ami. » (Jacques-Henri Bernardin de
Saint-Pierre). Les citations suivantes méritent aussi d´être mentionné es :
« Qui que vous soyez qui voulez cultiver, vivifier, édifier, at tendrir, apaiser, mettez des
livres partout. » (Victor Hugo),
« Chacune de nos lectures laisse une graine qui germe . » (Jules Renard),
« Le temps de lire, comme le temps d'aimer, dilate le temps de vivre. » (Daniel Pennac),
« J'ai accompli de délicieux voyages, embarqué sur un mot… » (Honoré de Balzac),
« Si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu'il vous faut. »
(Cicéron),
« Un livre est un outil de liberté. » ( Jean Guéhenno),
« Il semble que le goût des livres croisse avec l'intelligence. » (Marcel Proust),
« Qui veut se connaître, qu'il ouvre un livre. » (Jean Paulhan),
« La véritable Université de nos jours, est une collection de livres. » (Thomas Carlyle),
« Lire à deux, c'est quand même mieux, que de regarder la télévi sion. » (Jean-Marie
Poupart). 2
2 http://www.evene.fr/citations/theme/lire-lecture.p hp, consulté le 31.5.2010.
11 Nous pourrions allonger cette énumération presque indéfiniment, toutefoi s les citations
choisies suffisent largement à évoquer l´atmosphère prodigieuse de la lec ture.
1.2. L´objectif de l´étude et la méthode utilisée
Le thème global de ce travail représente la lecture et l a « Métalecture » ou
autrement dit mise en abyme de la lecture à l´intérieur de s romans. Le problème pratique
qui sera analysé est le rôle de la lecture dans la sociét é contemporaine . Quant au problème
théorique, il concerne la place de la lecture dans les romans de l a littérature française du
XIX e siècle, notamment dans les romans Madame Bovary par Gustave Flaubert et A
Rebours par Joris-Karl Huysmans. La question principale qui se pose e st de savoir quel est
le rôle de la lecture dans la vie des personnages de ces romans, e nsuite nous chercherons
les motivations de la lecture chez les personnages et finaleme nt nous étudierons l´impact
de la lecture sur les héros-lecteurs.
En ce qui concerne l´hypothèse de cette étude, elle se formule de la façon suivante :
la lecture abusive détache et éloigne les héros-lecteurs de le ur réalité actuelle pour les
introduire dans les paradis artificiels des livres, vers la rê verie et vers la construction d´une
réalité fictionnelle.
Le cadre théorétique-conceptuel de notre travail repose, au premi er lieu, sur la
tentative de définir la littérature en tant que discipline arti stique, ensuite nous retracerons
l´aspect mimétique et anti-mimétique de la littérature et aussi certaines fonctions littéraires.
Après, l´étude des théories littéraires concernant la lecture et le lecteur seront mises en
œuvre : communication littéraire, réception du texte littéraire, relation entre la littérature et
la réalité, intertextualité, rôle du lecteur lors de la réc eption du texte littéraire, droits des
lecteurs, et enfin typologie des lecteurs cloront la partie théorétique .
Le cadre méthodique-analytique s´appuie sur l´étude de la criti que littéraire dans le
contexte épistémologique de la modernité et de la postmodernité, où se forment les
tendances autotéliques du texte. Ces théories sont mises en chanti er essentiellement par le
structuralisme, la narratologie et la Nouvelle Critique. Les pr incipaux représentants de ses
courants élaborent de nouvelles approches de la construction et de l a réception du texte. Ils
mettent l´accent sur l´autonomie et l´autotélie du texte ; ensui te l´écriture, en tant que
création artistique, prend conscience d´elle-même et elle de vient son propre but. C´est-à-
dire que les écrivains modernes et postmodernes écrivent les romans qui thématisent le
processus de l´écriture à l´intérieur de ceux-ci. Pour illustre r ce phénomène il est adéquat
de citer le roman Faux Monnayeurs (1926) d´André Gide qui est le précurseur de ce type
12 de romans. Il s´agit alors d´une écriture qui est mise en abyme par l´écrivain ou en d´autres
termes d´une métaécriture.
Pour notre part, nous développerons la méthode complémentaire à c elle-ci, de sorte
que nous présenterons la mise en abyme de la lecture effectuée par le lecteur, bien
évidemment dans le cadre de thématisation de la lecture par et dans une œuvre littéraire
elle-même destinée à la lecture. Par là, nous introduirons le c oncept de la lecture dans la
lecture, que nous proposons de nommer « Métalecture »3. Autrement dit, c´est la lecture à
son tour qui prend conscience d´elle-même à travers le sujet lisant. Finalement, nous nous
référerons aux livres où se manifeste ce phénomène et nous y ex aminerons l´effet de la
lecture sur le sujet lisant à l´intérieur de l´œuvre. Ainsi l´objectif principal de ce mémoire
est-il d´examiner l´influence de la lecture abusive des roma ns sur les lecteurs. Nous
voudrions y parvenir via l´analyse des romans thématisant la lec ture et nous prendrons les
personnages qui lisent à l´intérieur de ces romans pour un modèle.
1.3. Le plan de travail
L´étude est divisée en deux parties principales : la partie théorique (théorétique-
conceptuel) et la partie pratique (méthodique-analytique). La thé orique consiste en quatre
chapitres dont le premier introduit généralement la situation ac tuelle de la lecture dans la
société, le second résume brièvement l´historique de la littéra ture et évoque quelques
fonctions littéraires, le troisième définit la structure inter ne de la littérature en tant que
communication artistique entre l´écrivain et le lecteur au tra vers de l´œuvre littéraire, et le
quatrième inclue les conceptions relatives à la position du lecte ur dans cette
communication, ensuite la problématique du lecteur sera développée en détails, nous
énumérerons aussi ses droits et enfin nous proposerons une typologie des lecteurs .
Dans le cadre analytique, nous expliquerons tout d´abord le processus de la
Métalecture qui est à la base de l´analyse entreprise dans les sous-chapitres suivants. Celle-
ci est effectuée sur les romans contenant la thématique de l a Métalecture ( Madame Bovary
et A Rebours) et elle vise à dépister les effets de la lecture abusi ve sur les héros-lecteurs.
Subséquemment, la discussion des résultats obtenus et les constat ations générales
concluront la partie pratique.
3 En écrivant les mots Métalecture de même que Métal ecteur avec une majuscule, nous signalons que notre
conception diffère de celles qui existent déjà dans les théories littéraires.
13 Tout à la fin nous présenterons la conclusion dont nous reprenons l´ess entiel de nos
constats en termes d´influence de la lecture abusive sur les héros-lecteurs et ses
conséquences qui déterminent partiellement la position de la littérature da ns la société.
2. Historique de la littérature
2.1 La définition et l´origine de la littérature
Avant de commencer à travailler la notion de littérature, il est nécessaire tout
d´abord d’en examiner la définition et l´origine. Nous voilà déjà f ace à une tâche
fondamentale et quasi insoluble de toute la théorie littéraire du fait qu´il est difficile de
définir ce que signifie la littérature. Les approches de ce sujet et les théories élaborées au
cours des siècles sont nombreuses. Chaque époque, ainsi que chaque soci été ont conçu la
littérature de leur propre manière. Certes, la littérature connaît une évolution en matière des
formes, des genres et de sa position dans la société. Dans ce s ujet si vaste, nous tracerons
brièvement l´origine et l´histoire de la littérature et à la fin nous interrogerons certaines
fonctions littéraires concernant le cadre de notre étude et qui i nterviennent dans notre
analyse.
Plusieurs définitions da la littérature se proposent dans les di ctionnaires de
littérature, dont celle qui suit : la littérature au sens moderne renvoie à l´ensemble des
textes ayant une visée esthétique ou, en d´autres termes, l´art verbal .4 : D´autres nuancent
celle que nous venons citer, cependant toutes se rejoignent sur le fa it que la littérature est
une force créatrice et par conséquent un art. Le mot littérature , qui a conservé sa forme
d´origine dans la plupart des langues modernes, vient étymolog iquement du latin : litera,
literae [lettre, lettres], introduit au début du XII e siècle, qui désigne au sens général des
textes écrits et conservés grâce à l´écrit. En ce qui conc erne la langue grecque, elle ne
connaît pas de terme équivalent à la littérature, mais les anc iens grecs ont employé
l´expression poiein [faire] indiquant les imitations faites à l´aide du mètre, le squelles ont
résulté postérieurement en art poétique. Par conséquent, ceux qui ont employé le mètre en
réalisant l´imitation ont été appelés les poètes. Or la poé sie, au sens de l´ancien grec,
comprend sous la notion de la littérature uniquement la poésie épique et elle exclut toute
poésie lyrique.
Effectivement, ce n´est que dans l´œuvre Poétique d´Aristote, écrite au début du I er
siècle ou à la fin du II e avant notre ère qui est miraculeusement parvenue jusqu´à nos jours,
4 Aron, 2002 : 335.
14 que la poésie a été traitée pour la première fois d´une mani ère théorique, en tant que genre
de l´art qui imite par le langage. Aristote reprend le concep t d´imitation – mimésis de son
maître, Platon, il le modifie légèrement et l´applique sur l´ar t poétique, par excellence sur
la tragédie. Dorénavant le concept de mimésis avait occupé une place dominante dans les
littératures et dans les théories littéraires jusqu´à l´ar rivée du décadentisme et du
symbolisme à la fin du XIX e siècle, qui introduisent la démarche anti-mimétique avec la
célèbre formule « l´art pour l´art » . Quant à la conception mimétique de Platon, il souligne
dans sa République, livre X , que la poésie n´imite pas la réalité mais seulement
l´apparence ; ce qui veut dire que l´art ne transmet guère la v érité. De cette sorte le poète
est éloigné du réel de trois degrés : il décrit les ouvrages faits par d´autres hommes, surtout
par des artisans, qui à leur tour les avaient imités selon la nature qui les entour e.
Continuons avec un autre aspect de la mimésis – l´imitation dans la quelle Aristote
voit l´origine de tout art. Sur ce plan, il adopte l´approche de l a naissance de l´art poétique
reposant sur deux causes principales : premièrement, sur l´imi tation comme une tendance
naturelle aux hommes qui les distingue des animaux ; deuxièmement , la prédisposition des
êtres vivants d´apprendre en observant et subséquemment en imi tant des images et des
choses autour d´eux. A la suite de cette théorie, la peinture es t devenue une imitation par
les couleurs et les figures, le chant par la voix, la musique pa r la mélodie et le rythme, la
danse par le rythme sans mélodie et la poésie par la prose ou par les vers. Autrement dit, la
différence entre les disciplines artistiques consiste soit da ns les moyens, soit dans les
objets, ou bien dans les modes et manières par lesquels ils imi tent. En dépit de cette
dissemblance, les arts sont réciproquement reliés, ils s´inf luencent et l´un peut devenir
l´objet ou la source d´inspiration de l´autre. Ensuite, chaque art e st divisé dans son propre
cadre et Aristote divise l´art poétique selon les genres en tra gédie, épopée, hymne, éloge,
comédie, blâme, poème iambique et autres. L´objet d´imitation de la tragédie ne sont pas
des hommes, mais l´action et la vie des hommes. La tragédie a é té élevée au rang d´un
genre noble et exemplaire. Les règles précises ont été établies et la poétique
aristotélicienne est devenue une sorte de dogme d´une poésie universelle.
De ce qui vient d´être retracé résulte explicitement qu´Ari stote voyait l´objet de la
poésie dans la production des formes modèles et parfaites étab lissant un caractère normatif
de tous les traités poétiques pendant des siècles. De cette es pèce la poésie devait susciter
les sentiments des spectateurs et provoquer l´effet de la surp rise (suscitation des sentiments
15 de la pitié et de la crainte était prescrites pour tragé die). 5 Pour Platon, au contraire, le but
de la poésie était d´émouvoir les passions du public. Ici, nous re marquons déjà deux
champs opposés qui se cristallisent dans les conceptions sur la littérature. L´un, celui
d´Aristote, saisit la littérature comme une source des repr ésentations objectives qui sont
vraisemblables par rapport à la réalité objective ; al ors que l´autre, celui de Platon, traite la
production littéraire en tant qu´imaginations fictives qui sont éloi gnées de la réalité
objective de trois degrés. Un autre dualisme de la conception litt éraire est apparu avec
Nietzsche dans sa Naissance de la tragédie (1872). Ici, il oppose deux impulsions non
seulement dans la littérature, mais dans tout art : impulsion ap ollinienne et impulsion
dionysiaque. La première enchâsse le logos, il s´agit d´une tendance de la raison, de la
lumière et de la connaissance dans l´art. La deuxième est basé e sur la rêverie et elle
engendre les valeurs d´émotions, de passions, d´imagination, d´obscuri té et d´ivresse
extatique dans les œuvres d´art. Pourtant, il faut remarquer que ces deux impulsions ne
s´excluent pas mutuellement, au contraire elles sont complémenta ires. Néanmoins, nous
pouvons constater que chacune a prévalu dans une certaine période histor ique et qu´elles se
sont alternées au cour de l´histoire, par exemple l´impulsion dion ysiaque est prépondérante
dans le mouvement romantique, décadentiste, symboliste et surréali ste, tandis que le
classicisme, le réalisme et le naturalisme ont goûté le p laisir des impulsions apolliniennes.
Revenons vers l´esthétique de la poétique d´Aristote qui a été conçue comme un modèle,
voire comme une règle selon laquelle il fallait composer les œuvres littéraires. L´influence
la plus remarquable de cette poétique dominait chez les classiques pe ndant l´Age de Raison
au XVII e siècle et au siècle suivant, celui des Lumières, dans la lit térature française. Dès
lors son ascendant a diminué petit à petit jusqu´à disparaître au fil du t emps.
Comme nous avons déjà indiqué au départ, chaque période met en place s a propre
définition de la littérature, alors dès la Renaissance la litt érature en France a été aussi
connue sous le nom de Lettres et subdivisée en Lettres saintes, L ettres savantes et Belles-
Lettres. La dernière section contenait l´éloquence, l´histoire et la poésie et c´est elle qui est
la plus proche du concept de littérature d´aujourd´hui, bien évidemment à part l´histoire qui
est devenue une science autonome 6. La littérature au sens moderne, le nôtre, date du XIX e
siècle et elle est surtout associée au roman, le genre qui occu pe une place prépondérante
dans la littérature de nos jours. En d´autres termes la notion de « littérat ure moderne » peut
être remplacée par « l´ère de la littérature du roman » et c´est exactement cette littérature
5 Magnien, 1990 : 28.
6 Aron, 2002 : 335.
16 qui est l´objet de notre étude. Désormais, lorsque nous employons la notion de
« littérature » ou son synonyme les « lettres » ou bien le s « belles-lettres », nous
n´entendons par là que le genre romanesque dans le sens restreint et moderne.
En somme, en ce qui concerne la forme littéraire, trois points de vue sur la
littérature sont possibles : certains théoriciens excluent soit la poésie soit la prose de la
notion de littérature, les autres coordonnent les deux formes. La der nière approche est
défendue par Sartre dans Situations II (1948) où il prend en considération aussi bien la
prose que la poésie. L´omission de la poésie lyrique était ré duite par Aristote, en revanche
Maurice Blanchot plaide en faveur de la poésie qui est la seule « vraie » littérature car la
littérature au sens courant est selon lui trop utilitaire.
2.2. Les fonctions de la littérature
Après avoir fait un trop bref survol au-dessus de l´histoire des théories littéraires, il
est nécessaire de passer aux fonctions que remplit la littér ature dans la vie humaine, dans
les sphères sociales aussi bien qu´individuelles. Cette thémati que, de même que la
définition de la littérature, enclenche une avalanche d´opinions mult iples et souvent
contradictoires. Deux fonctions de base : littérature en tant qu´a gréable et utile, en vocable
horatien « prodesse et delectare », sont en opposition, la troi sième étant leur synthèse.
Voilà le point de départ datant du premier siècle avant J.C. pu blié dans l´œuvre Art
poétique d´Horace : « Instruire ou plaire : tel est l´objet de la poésie, si mê me elle n´aspire
à plaire et à instruire tout à la fois. Dans vos préceptes , soyez concis : la concision trouve
l´intelligence docile et la mémoire fidèle. Tout ce qu´on dit de tr op, l´esprit rassasié le
rejette. Que vos fictions, dont le but est d´amuser, aient le charme de la vraisemblance ;
n´épuisez pas ma crédulité par l´abus du merveilleux… Pour enlev er tous les suffrages, il
faut mêler l´utile et l´agréable, il faut plaire et instruire en même t emps. »7.
Dans une autre source encore plus ancienne, Aristote, dans sa Poétique, proclame
que la poésie entre autres exerce aussi une fonction de la transm ission des connaissances et
par la suite elle est plus philosophique et plus noble que l´ histoire, sous prétexte que
l´histoire s´intéresse au particulier, alors que la poésie traite de l´universel. En outre
Aristote attribue à l´art poétique une fonction psychologique, de f açon qu´elle libère et
soulage l´écrivain ainsi que le lecteur de la pression de ses p assions. Inversement, Platon
estime que la poésie est porteuse d´une force immense provoquant, voi re bouleversant les
7 Horace, Art poétique , vers 333 – 345.
17 passions de l´écrivain et du lecteur. Une autre fonction psychologi que est mise en valeur
par la psychanalyste Karen Horney qui présuppose la possibi lité de l´œuvre littéraire de
dévoiler plus de connaissances psychologiques sur soi et sur son envir onnement que la
psychologie même. Concrètement la description des vies des per sonnages et surtout celle
de leurs états psychiques font souvent l´allusion aux problèmes quoti diens d´une certaine
communauté, ainsi qu´aux problèmes routiniers d´un individu qui en est préoccupé.
En parlant de la communauté, il est adéquat de rappeler que la li ttérature a
également plusieurs fonctions sociales vu que certaines œuvres litt éraires, principalement
les écrits réalistes et naturalistes, reflètent la vie sociale de l´époque pendant laquelle elles
étaient rédigées. Nous mettons en relief que seulement certaines œuvres prétendent à
l´exercice de cette fonction, puisque des mouvements littéraires comme décadentisme,
symbolisme, surréalisme, postmodernisme et autres refusent str ictement toute
représentation quasi fidèle des faits sociaux. Dans un sens inverse , il est évident que la
littérature exerce également une influence sur la société en influençant les lecteurs au
niveau des connaissances, des points de vue sur divers aspects de la vie publique ; du reste
à certaines époques (Moyen Age, Classicisme), la littérat ure servait de moyen de
transmission des normes sociales et elle a été appelée « mor alisante » ; ainsi, elle
accomplissait une fonction morale. Quelques fonctions sociales que nous pouvons sans
aucun doute assigner à la littérature sont, par exemple son rôl e indispensable dans
l´enseignement à tous les niveaux, ce qui est en partie inclus da ns la fonction de
transmission des connaissances ; toutefois la littérature symboli se un moyen grâce auquel
les enfants apprennent la langue maternelle et de même qu´un out il irremplaçable dans
l´apprentissage des langues étrangères. Après tout, nous pouvons conc lure que l´influence
de la société et de la littérature est réciproque.
En dernier ressort, la littérature, une section significative de l´héritage culturel,
témoigne d´une certaine époque historique et nous avons déjà précisé dans l´introduction
qu´elle sert d´une source d´informations pour les historiens. De l a manière similaire s´en
servent d´autres sciences humaines étudiant la diversité culturel le sur l´axe synchronique ;
particulièrement sous sa forme orale, la littérature est un m oyen par lequel les chercheurs,
les scientifiques, ainsi que les ethnologues pénètrent dans la me ntalité et dans le système
axiologique des tribus et des peuples primitifs sans écritur e. En général, nous pouvons
constater que la littérature nous instruit et qu´elle remplit la fonction cognitive dans les
différentes sphères des sciences humaines.
18 Vu la pluralité des fonctions littéraires, il serait trop audacieux de vouloir les
encadrer dans une liste définitive, toutefois elles peuvent être divi sées en certaines
catégories : celles qui se regroupent autour de la vie social e, autour de la vie d´un individu
et finalement auprès des autres arts et sciences humaines. J usqu´à maintenant nous avons
présenté la littérature dans le contexte général. Là nous quitt ons ce champ pour spécifier,
dans les chapitres ultérieurs, la problématique immanente de la littérature en tant
qu´univers indépendant et autosuffisant, ou encore en d´autres termes une réalité hors du
commun.
3. Structure de la communication littéraire
3.1. Triangle littéraire
En regardant la littérature sous l´angle d´un processus communic atif réalisé entre
l´écrivain et le lecteur au travers de l´œuvre littéraire, nous tracerons la structure du
fonctionnement de cette communication particulière, de telle façon que nous en
évoquerons les constituants de base et leur rapport réciproque. Le problème est de savoir
selon quels critères et comment subdiviser la communication litt éraire dans sa structure
interne. En abordant cette problématique du point de vue du structur alisme, qui a connu
depuis sa gestation par Ferdinand de Saussure au début du XX e siècle une évolution
foisonnante en linguistique puis en toutes les sciences humaines, nous la subdivisons en
catégories tangibles de l´écrivain, du livre et du lecteur. Cet te triade n´est rien d´autre que
la structure de la communication ou représentation, ce qui fait de la littérature une sorte de
communication. Analogiquement l´expression employée pour la littér ature dans les milieux
académiques est un mot composé : la communication esthétique. De f ait, il s´agit, en
terminologie de la sémiotique structuraliste proposée par Rom an Jakobson dans les années
soixante, d´un émetteur qui produit un message pour son récepteur.
Bien évidement, ces trois constituants signifient seulement trois piliers cardinaux
sur lesquels reposent les autres étages de la pyramide litt éraire : époque, interprétation,
critique littéraire, professeurs de littérature, littérate urs, théories et études littéraires,
esthétique, traduction, écoles et genres littéraires ; et tout cela est joint à l´aide de la langue.
Le langage, plus précisément, est la matière essentielle de la construction littéraire,
néanmoins étant l´objet d´étude de la linguistique, nous ne l´incluons que marginalement
dans notre mémoire. Or, nous nous concentrerons uniquement sur les trois piliers de base
pour enfin aboutir à la lecture et la « Méta-lecture » qui sont nos points d´int érêt cardinaux.
19 ?
Pour commencer, nous proposons le Triangle Littéraire qui nous perm et de mieux
comprendre les relations entre trois constituants du fonctionnement du discours littéraire. Il
est nécessaire de signaler que la méthodologie descriptive du t riangle est souvent utilisée
pour mettre en relation les éléments littéraires ou linguisti ques. Le modèle triangulaire de
la communication littéraire a été employée par les théoric iens James Kinneavy et James
Moffett en 1969 quand ils ont introduit le « Triangle Communicatif » . 8 Ensuite l´aspect de
la triangularité figure aussi dans la méthodologie littéraire du « triangle rhétorique » de
M.H. Abrams. 9 Nous introduisons à notre tour tout simplement le « triangle littér aire »
adapté pour les besoins de notre cadre d´étude. Voici le diagramme :
LIVRE/ TEXTE/ŒUVRE LITTERAIRE
direct direct
ECRIVAIN LECTEUR
indirect
Pourquoi écrire ? Pourquoi lire?
Nous avons placé l´écrivain, le livre/le texte/l´œuvre littéra ire (une trinité des
expressions est utilisée de crainte des ambiguïtés) et le lecteur sur les pointes du triangle,
ensuite le langage représente trois orientées et finaleme nt l´aire du triangle littéraire n´est
remplie que par un point d´interrogation lequel sera dévoilé ultérie urement. En ce qui
concerne les relations entre les trois pointes, nous pouvons les div iser en directes et
indirectes. Les premières signifient qu´il existe les liens réels dans l´espace ainsi que dans
8 Kinneavy, J. E., “The Basic Aims of Discourse.”,di sponible sur:
http://www.albany.edu/reading/EvenStart/literacywor kgroupattributes.htm, consulté le 23.10.2010.
9Abrams, M. H., « The Mirror and the Lamp. », dispon ible sur :
http://mediastudies.cua.edu/undergrad/underadvanced .cfm, consulté le 23.10.2010.
20 le temps entre l´écrivain et le livre, et entre le livre et le lecteur. Dans le deuxième cas le
lien entre l´écrivain et le lecteur s´oppose à la nature du li en direct. En réalité, le lecteur et
l´auteur ne se croisent pas dans l´espace ni dans le temps et ils ne sont connectés qu´au
travers du livre. Or, il faut aussi prendre en considération le cas où l´écrivain et le lecteur
pourraient se rencontrer réellement dans la vie, mais dans cett e situation il est peu probable
qu´ils se rencontrent au moment de la création du livre, c´est-à -dire que les occasions où le
lecteur se fait un témoin de l´écriture sont extrêmement rares.
Le lien direct entre l´écrivain et le texte (à propos il serait plus convenable
d´employer le vocable « texte » au lieu du « livre » ou de « l´œuvre littéraire », puisque
c´est le texte qui est porteur du sens tandis que le livre ne re présente souvent que l´objet en
papier ; et de plus la notion d´œuvre d´art est considérée aujour d´hui comme trop
« aristocratique » et démodée), est créé à mesure que l´écriva in transcrit les « impulsions »
sur le papier ou sur l´ordinateur. Pour éclaircir l´emploi du m ot « l´impulsion » au lieu des
termes « idées » et « sentiments » souvent employées par les théoriciens littéraires, nous
citons tout d´abord la définition du dictionnaire dans l´intension d´élim iner d´autres
nuances du signifiant : « Force psychique spontanée et irrésistible, qui pousse à
l'action. »10 , en d´autres termes, il s´agit d´une force créatrice. Ensuite , nous nous référons
à la formule prononcée par Paul Valéry à l´égard de l´écrivain: « On ne pense pas des
mots, on ne pense que des phrases. » de laquelle s´inspirait Roland Barthes en disant que
« l´écrivain n´exprime pas sa pensée, ni sa passion ni son imagi nation par des phrases,
mais il pense des phrases »11 .
Dans notre optique, les impulsions représentent chez l´écrivain les forces
mouvantes qui lui font « penser des phrases ». Afin de mieux sais ir la signification des
impulsions, prenons l´exemple d´un écrivain rédigeant un texte. Il y revient après un
certain temps en s´étonnant considérablement en le lisant, car à le lire il ne reconnaît pas
l´origine des « idées » présentes dans son propre texte. Cel a justifie qu’une force inconnue
du moment spontané lui a fait écrire des phrases puisant leur ori gine dans l’inconscient de
l´écrivain. Ou encore nous pouvons le comparer à une inspiration brusq ue qui passe et
repasse, et l´écrivain doit la capter à ce moment précis en la transcrivant sous forme des
phrases. Nous verrons plus tard une conception analogique chez le lecte ur, qui à son tour
doit saisir les significations possibles qui traversent le texte.
10 Trésor de la langue française , disponible sur : http://www.cnrtl.fr/definition/i mpulsion, consulté le
28.3.2011.
11 Barthes, 1973 : 250.
21 En somme, il arrive souvent que l´écrivain paraphrase « des imp ulsions » qui
surpassent ses propres pensées et idées. En poursuivant avec l a création littéraire, un
processus actif, nous lui opposons l´autre lien direct, celui de la réception, qui n´est qu´à
première vue un processus passif. Bien entendu, la réception li ttéraire est sans doute
accompagnée par les procédés actifs : déchiffrage, interprét ation, analyse, inspiration,
méditation et autres activités cognitives et affectives se déroulant dans la conscience ainsi
que dans le subconscient du lecteur. Nous nous en occuperons dans les se ctions dissertant
sur le lecteur.
Nous nous approchons petit à petit du mystère qui loge au milieu du t riangle
littéraire, encore faut-il signaler que nous supposons que c´est un triangle équilatéral, ce
qui signifie l´égalité des instances placées en ses trois pointes. D´un côté nous n´allons pas
accentuer le rôle de l´écrivain comme l´a fait la critique p ositiviste pendant le XIX e et une
bonne partie du XX e siècle, avant qu´elle se fasse contester par La mort de l´auteur
exécutée par Roland Barthes en 1968. De l´autre côté, nous n´allons pas non plus favoriser
la prééminence du lecteur, ni l´autonomie exagérée du texte qui ont été prêchées par la
Nouvelle Critique dans années cinquante et soixante du XX e siècle. Notre optique est
simplement basée sur une interdépendance réciproque et égalit aire entre l´écrivain, le texte
et le lecteur à force d´exclure toutes les relations de hiérarchie. La seule hiérarchie
acceptable est celle de chronologie car d´abord l´écrivain doit écrire un texte, qui une fois
achevé peut être seulement lu par le lecteur.
Une objection peut être soulevée en faveur du rôle essentiel de l´écrivain : le texte
n´existerait point sans qu´il l´écrive. Bien évidemment l´obje ction est légitime et logique et
nous y répondrons avec précision. Supposant qu´un écrivain écrive un texte et par la suite
il le déchire, l´efface ou simplement ne souhaite pas le publier. Le t exte tombe dans l´oubli,
ne se réalise pas et par conséquent cesse d´exister. Toutefoi s une situation particulière peut
se produire au cas où l´auteur ne souhaite pas publier le texte , cependant il le lit et relit lui-
même. Ainsi l´auteur devient le lecteur, les deux rôles s´entr ecroisent dans un personnage,
ce qui résulte de nouveau en triade équivalente: écrivain – texte – l ecteur. En d’autres
mots, l´écrivain a besoin d´un destinateur afin que son texte soi t mis en œuvre. A ce point
sa mission est égal à celle du texte, ainsi que du lecteur.
3.2. La réception du texte littéraire
Bien que le texte soit autonome selon la perspective de la Nouvel le Critique, il doit
être réalisé afin d´exister. Dans cette optique, le texte est écrit en vue d´être lu et il est
22 destiné au large public. Le public, de sa position du récepte ur, s´engage volontairement à la
réalisation du texte qui procède par plusieurs niveaux et sur les plans différents. Ici nous
abordons déjà le cadre de la lecture en tant que réception e sthétique ; un sujet vivement
discuté dans les milieux artistiques, linguistiques, psychologique s et philosophiques à
partir des années soixante du siècle précédant. Ces débats av aient donné lieu à une
remarquable variété des théories et de même, à la naissance de nouvelles disciplines :
l´esthétique de la réception et la pragmatique du texte lit téraire, dont la préoccupation
essentielle repose sur l´interprétation des textes. Nous compt ons parmi les représentants et
les écoles les plus reconnues : le formalisme et l´esthétique de la réception : H. R. Jauss
(Ecole de Constance), M. Bakhtine ; la phénoménologie : G. Poulet, J . Rousset, J.-P.
Richard, R. Ingarden, H. R. Jauss, l´herméneutique : Paul Ricœur ; l e structuralisme et la
sémiotique: Roman Jakobson (Cercle linguistique de Prague), Roland B arthes et Tzvetan
Todorov (La Nouvelle Critique), Umberto Eco, Julia Kristeva, Noam C homsky, Michael
Riffaterre et autres. Nous voyons clairement la participa tion de trois disciplines
scientifiques (linguistique, philosophie et psychologie) à l´inter prétation du texte littéraire.
Quant à leurs contributions, on reproche aux interprètes-linguistes une méthodologie
formellement abstraite et une objectivité exubérante, de mani ère qu´ils réduisent le lecteur
à un simple « objet » du texte ; en revanche, aux interprètes-ps ychologues et
psychanalytiques leur relativisme atrocement subjectif, étant donné qu´ils négligent les
limites de la structure textuelle ; enfin les théories des int erprètes-philosophes semblent
s´égarer dans l´interstice entre deux extrémités de l´« hy persubjectivité » et l´« hyper-
objectivité ».
La dichotomie peut être illustrée sur la façon dont les adhérents des courants
théoriques appréhendent l´œuvre littéraire. Nous nous référons à la conception de Roman
Ingarden inclue dans son ouvre L´Œuvre d´art littéraire (1965) qui définit l´œuvre
littéraire comme une « formation polystratique » consistant de quatre
couches interdépendantes : « formations linguistiques sonores », « uni tés de signification »,
« objets figurés » et « aspect schématisés ». Les deux premières sont les couches purement
linguistiques et les deux dernières représentent le monde projeté par le lecteur à la bases de
la structure linguistique du texte. Les formalistes se limit ent nettement aux deux premières
strates, alors que, l´approche psychologique du texte littéraire met en valeur la projection
du monde fictif par le lecteur. Pour le rapprochement des deux cha mps de bataille,
Ingarden prononce dans son article « Le film » en 1947 : « [Le langage] est pour ainsi dire
l´intermédiaire entre le lecteur et le monde quasi réel de l ´œuvre », et « ce rôle
23 d´intermédiaire du langage est évident avant tout là où apparaît un mé diateur d´un type
particulier : le narrateur » 12 . Cela veut dire que la structure du texte ne peut pas être
effacée, elle sert plutôt d´un guide pour le lecteur mais sans le limi ter.
En se concentrant sur les couches de nature linguistique (deux premiè res), nous
observons identiquement un dédoublement aux niveaux des dimensions du texte : la forme
et le contenu. Quant à la première dimension, elle encadre l´asp ect matériel ou « chosiste »
du texte limité par sa structure linguistique, contrairement à l´autre représentant l´aspect
immatériel ou sémantique du texte ouvert aux interprétations mult iples, qu´Umberto Eco
définit comme «un tissu d´espaces blancs, d´interstices à remplir » ou «le non-dit qui
signifie non manifesté en surface, au niveau de l´expression » (Eco, 1979 : 62) En
descendant du niveau textuel vers le niveau des signes linguistiques , nous pouvons
observer l´étroite parenté entre la structure dichotomique du te xte et la structure bipartite
du signe linguistique (signifiant – signifié) : signifiant renvoie à la forme du signe
(graphème/phonème), alors que le signifié réfère au contenu (se ns/signification). Cette
démarche a été établie au début du XX e siècle par Ferdinand de Saussure, le fondateur de
la linguistique et du structuralisme ; elle a été ensuite appli quée universellement par les
autres sciences sociales et humaines, et aussi par la théorie littéraire comme le montre le
schéma ci-dessous 13 :
signifiant signifié
langue parole
forme contenu
dénotation connotation
texte « chosiste » texte « immatériel »
interprétation linguistique interprétation pragmati que
théorie pratique
référents physiques référents mentaux
monde réel, tangible monde fictif, imaginaire
corps âme
Par rapport à la réception (en respectant la terminologie de Jauss) ou la
concrétisation (selon Ingarden) du texte, elles sont prédéterminée s par la structure de ce
12 Mathieu, J.-B., « Un « néant » – et tout de même un monde à part » : l'œuvre littéraire selon Roman
Ingarden, disponible sur : http://www.fabula.org/at elier.php, consulté le 23.11.2010.
13 Hébert, L., « Typologie des structures du signe : le signe selon le Groupe µ. » , disponible sur:
http://revues.unilim.fr/nas/document.php?id=3401, c onsulté le 09.11.2010.
24 dernier ; c´est-à-dire qu´elles procèdent par les « couches polystratiques » du texte: la
première est l´interprétation linguistique (sens dénotatif des mots repéré à partir des formes
graphiques et phonologiques) et la seconde est l´interprétation extr alinguistique ou
pragmatique (sens connotatif des mots repéré dans le co-texte , le contexte et les
circonstances concrètes). Cette double strate d´actualisation e xige des compétences
adéquates du lecteur : pour pouvoir saisir la première couche, il faut disposer des
compétences langagières ou lexico-grammaticales du code donné et l´actualisation
subséquente implique les compétences idéologiques ou sémantico-pr agmatiques selon la
terminologie d´Umberto Eco. En somme, tout ce qui vient d´être dit est seulement une
initiation lapidaire à la problématique de la réception de l´ œuvre littéraire, laquelle sera
examinée de près dans le sous-chapitre ultérieur, mais avant d´y pénétrer, il nous reste
encore une question à répondre.
3.3. La littérature et la réalité
A l’égard du triangle littéraire tracé ci-dessus, nous cherc hons encore l´énigme
reliant tous les trois angles et remplissant l´aire du tr iangle. Nous proposons d´y placer le
« silence », une notion parfaitement abstraite et relative. P lusieurs littérateurs parlent du
silence en relation avec la lecture ainsi qu´avec l´écritur e, par exemple Marcel Proust :
« L´atmosphère de cette pure amitié est le silence, plus pur que la parole. Car nous
parlons pour les autres, mais nous nous taisons pour nous-même. Auss i le silence ne porte
pas, comme la parole, la trace de nos défauts, de nos grimaces. »14 , Daniel Pennac : « Le
plaisir du livre lu, nous le gardons le plus souvent au secret d e notre jalousie. Soit parce
que nous n´y voyons pas matière à discours, soit parce que, avant d´en pouvoir dire un
mot, il nous faut laisser le temps faire son délicieux travail de distillation. Ce silence-là est
le garant de notre intimité. »15 , Marguerite Duras dans Écrire (1993) : « Ecrire, c'est aussi
ne pas parler. C'est se taire. C'est hurler sans bruit. »16 , Maurice Blanchot ( L´Attente
l´oubli ), Roland Barthes et beaucoup d´autres.
Étant donné que ce silence dit « littéraire » remplit l´air e du triangle littéraire, nous
conjecturons qu´elle incarne l´espace où la réalité fictionnell e émerge. Entre parenthèse le
« silence littéraire » ne correspond pas exactement au sile nce au sens littéral, c´est-à-dire
auditif, attendu que des sons divers, voire la voix du lecteur lisant à haute voix peuvent
14 Proust, 1905 : 84.
15 Pennac, 1992 : 93.
16 http://www.evene.fr/citations/theme/lire-lecture.p hp, consulté le 31.5.2010.
25 accompagner la lecture. Ce qui est en jeu ici, est le fait que toute la perception du lecteur se
concentre sur la lecture de telle manière qu´il ignore complète ment son environnement.
Métaphoriquement, à cet instant-là, le monde entier s´efface et le bruit de l´extérieur ne
représente qu´une coulisse à peine audible pour le lecteur em porté par le texte dans
l´univers lointain de la fiction. En fermant la parenthèse, nous poursui vons avec la
problématique de la réalité fictionnelle logeant à l´intér ieur du triangle dans le silence
littéraire, en revanche la réalité objective entoure l´espac e triangulaire où se poursuit le
travail de la lecture. Les orientées du triangle représentant le langage sont
intentionnellement tirées en lignes pointillées de peur de délim iter les frontières entre ces
deux réalités. La question qui se pose est de savoir à quel point le langage, en tant que
système structuré, détermine la réalité fictionnelle, et quel est le rapport entre les susdites
réalités. La réalité fictionnelle signifie selon la démar che d´Ingarden, une réalité projetée
par l´œuvre littéraire, une quasi réalité, une simulation de la r éalité extérieure, créée par le
lecteur lors de la concrétisation de deux dernières couches de « l´ oeuvre polystratique »
(« objets figurés » et « aspects schématisés »). Du point du vue de l´auteur, elle représente
« les paradis artificiels », si exaltés par les écriva ins décadents et symbolistes à la fin du
XIX e siècle. En réalité, la littérature sert, par l´intermédia ire du langage (évoqué dans la
citation d´Ingarden ci-dessus), d´une ligne de démarcation entre de ux mondes possibles:
devant le texte se manifeste le mode réel et tangible (l´ écrivain et le lecteur), tandis que
derrière le texte est incorporé le monde imaginaire et fic tionnel. Par ailleurs, le rapport
entre le monde réel et la représentation littéraire apparaî t déjà dans les traités platoniciens
comme nous l´avons évoqué dans le deuxième chapitre. Platon conçoit la création littéraire
comme éloignée de trois degrés de la réalité et Aristote, de sa part, présuppose sa capacité
d´imiter la réalité et par la suite instaure la conception mimétique dans la littérature pour
une longue période.
Le réalisme, entre autre la dénotation du mot le suggère explici tement, était
l´époque du plein essor de la mimésis. La croyance que l´oeuvr e littéraire avait le pouvoir
de représenter avec vraisemblance la réalité sociale est exprimée d´une manière exacte et
succincte dans la formule célèbre de Stendhal : « un roman, c´est un miroir que l´on
promène le long d´un chemin ». Pour que le reflet dans le miroir soit le plus proche de la
réalité extérieure, le romancier réaliste parsème son te xte de détails méticuleux que
Barthes, dans le texte L´effet de réel , appelle des « détails inutiles » de la description, qui
sont du point de vue de la structure narrative absolument « impert inents ». Le rôle essentiel
de la description dans le récit réaliste consiste alors à vi sualiser l´objet du monde réel (le
26 référant réel) dans le monde fictif du texte afin de créer une image objective, qui n´est en
fait rien d´autre qu´une illusion.
Dans cette optique, les écrivains réalistes composent princip alement leurs œuvres à
la base des événements authentiques et situent leurs histoires dans les endroits concrets.
Néanmoins, Barthes conteste l’objectivisme des réalistes en proclamant qu´ils ne peuvent
que produire « un effet de réel » puisque : « dans le moment même où ces détails sont
réputés dénoter directement le réel, ils ne font rien d´autre, sans le dire , que le signifier… ;
autrement dit, la carence même du signifié au profit du seul référ ent devient le signifiant
même du réalisme : il se produit un effet de réel, fondement de ce vraisemblable inavoué
que forme l´esthétique de toutes les œuvres courantes de la modernité . »17 . Le caractère
arbitraire du signe linguistique par rapport au référant est à l´origine de « l´effet de réel ».
Les sémioticiens américains Ogden et Richards ont modifié la s tructure bipartite du signe
linguistique de Saussure en y ajoutant un troisième élément : le ré férant ou le concept, qui
représente l´objet ou l´entité dénotée par le signifiant. Mi chael Riffaterre approfondit cette
théorie en traitant le signifié d´une sorte de transition indi recte entre les deux autres pôles
de la triade : « Les mots, en tant que formes physiques, n´ont aucune relation naturelle
avec les référents : ce sont les conventions d´un groupe, arbitr airement liées à des
ensembles de concepts sur les référents, à une mythologie du rée l. Cette mythologie, le
signifié, s´interpose entre les mots et les référents. Né anmoins, les usagers de la langue
s´accrochent à leur illusion que les mots signifient dans une relation directe à la réalité,
pour des raisons pratiques, et cela d´autant plus qu´il ont des chose s une idée façonnée
par les concepts mêmes du signifié, comme si les mots engendraient la réa lité. »18
Riffaterre à son tour, introduit la notion « d´illusion référentielle » représentant
signification en poésie et faisant « partie du phénomène littéraire, comme illusion du
lecteur. L´illusion est ainsi un processus qui a sa place dans l´ expérience que nous faisons
de la littérature »19 . Par là Riffaterre accentue le rôle indispensable du lecteur dans
l´interprétation du texte littéraire, laquelle surgit selon lui dans une « dialectique entre le
texte et le lecteur ». Toutefois, il tire la conclusion que le texte poétique est autosuffisant,
de manière qu´il contient les références en lui-même, à son int érieur ; et les références
externes, si elle se produisent, n´émergent qu´au niveau de l´i ntertextualité, c´est-à-dire
qu´elles renvoient à d´autres textes littéraires. A présent il est ad hoc de donner la
17 Barthes, L´effet de réel , 1968 : 32.
18 Riffaterre, 1978 : 91.
19 Riffaterre, 1978 : 93.
27 définition exacte d´intertextualité introduite à la linguistique p ar Julia Kristeva en 1958:
« Nous appellerons intertextualité cette inter-action textuelle qui se produit à l'intérieur
d'un seul texte. »20 .
Résultat : les textes littéraires forment un univers clos, aut osuffisant et cohérent qui
n´a pas besoin de référents du monde réel. Ce concept est m is en pratique particulièrement
par les symbolistes, décadentistes et les Poètes Maudis, qui p rêchent la doctrine de l´art
pur, de « l´art pour l´art » et refusent toute « vulgarité et banalité » du monde réel autour
d´eux. D´une manière contradictoire, en s´enfermant dans les châtea ux artificiels à l´instar
de leur modèle fictionnel, Des Esseintes du roman A Rebours , ne sont-ils pas plus proches
de la réalité quotidienne que Madame Bovary ? Nous analyserons cette question dans la
partie pratique de ce travail à travers les romans choisis pour notre ana lyse.
Pour le reste, le passage virtuel du lecteur entre deux mondes p ossibles le long de la
lecture, est mis en question par des critiques littéraires, aus si bien que par des philosophes,
psychologues, sociologues et linguistes, par rapport à la com préhension du monde par un
individu postmoderne. En d´autres mots, « l´existence » de la réalité fictionnelle, en tant
que création du langage poétique, est une cible essentielle, voire d éterminante, des
interrogations multidisciplinaires contemporaines.
4. Le lecteur
4.1. Le lecteur est celui qui lit
En premier lieu, la thématique de la lecture ne peut être ab ordée sans faire entrer en
ligne de compte la spécification de cette expression. La le cture est employée au sens
restreint puisque nous nous occupons uniquement de la lecture des romans dans le cadre de
cette étude. A cet égard nous traitons la lecture sous l´angle d´une activité esthétique. La
lecture est devenue dernièrement un sujet « à la mode » et un gr and nombre de littérateurs
ainsi que de philosophes et psychologues visent à l´étudier. Chacun d ´entre eux y a apporté
sa part, en vue de mettre le lecteur, en tant qu´individu indépendant, a u centre de l´intérêt,
et en vue de briser le mythe d´une interprétation universelle.
Sur le champ de la critique littéraire, trois tendances généra les se sont esquissées au
cours de l´histoire, de manière que chacune a accentué à sont tour, soit l´auteur, soit le
lecteur ou bien le texte. La première branche est représent é par la critique impressionniste
(Anatole France, Jules Lemaître et André Gide), dit aussi dile ttante où tous les lecteurs
20 Kristeva, J., Problématique de la structuration du texte dans La Nouvelle. critique, 1958, p. 61, disponible
sur : http://www.cnrtl.fr/definition/intertextualit ualité, consulté le 29.3.2011.
28 sont en même temps les critiques, au point que leurs impressions de la lecture soient la
base pour la critique littéraire, ce qui signifie le subject ivisme poussé à extrême, le manque
de rigueur et l´absence d´une méthode systématique. Nous pouvons consta ter que le lecteur
y est le protagoniste principal du « triangle littéraire » . En feuilletant dans l´histoire
lointaine, nous trouverions une telle distribution des rôles dans l´époqu e de Shakespeare,
de Molière et de Corneille, quand les pièces de théâtre ont été rédigées selon la diction du
public, spécialement du roi et de la noblesse. En ce temps- là, la préoccupation
fondamentale du dramaturge était de produire l´effet attendu et voulu d e son auditoire,
cependant, c´était un public passif.
Le côté objectif est formé principalement par la critique hégélienne et la critique
positiviste (Hyppolite Taine), qui emploient une approche scientif ique imprégné de
causalisme. Les critiques attribuent la valeur artistique des œuvres à la grandeur de
l´époque, de manière que l´artiste démontre dans son œuvre l´authenti cité des conditions
historiques et sociales de son ère. Un autre courant aspirant à l ´objectivité dans son
approche est la critique d´érudition ou universitaire (Gustave Lanson) , connue plus tard
sous le nom de « lansonisme ». Ce dernier est un synonyme d´une c ritique rigoureuse,
employant dans sa pratique interprétative les connaissances de s détails propres à chaque
écrivain, ce qui veut dire que l´œuvre reflète la vie de l´auteur et de son époque. Bref, le
rôle de l´écrivain surpasse autres éléments du triangle.
Il semble que la Nouvelle Critique qui se forme dans les année s 1960 et 1970 veut
maintenir équilibre entre les deux extrémités susdites. D´un c ôté, elle se développe en
réaction contre la doctrine canonique du positivisme et de la crit ique de l´érudition, et
d´autre côté, contre le subjectivisme exagéré de la critique di lettante. Les représentants de
la Nouvelle Critique à leur tour, libèrent le texte des élément s extérieures (le texte devient
pour la première fois autonome et autotélique), ensuite ils postule nt la pluralité
d´interprétations, la mort de l´auteur et la naissance du lect eur. Le support théorique de la
Nouvelle Critique repose sur le structuralisme de Saussure, s ur les contributions
linguistiques des formalistes (Hjelmslev, Jakobson, Troubetzkoy, P ropp, Bakhtine et
autres), sur l´intertextualité de Julia Kristeva, sur la philos ophie de Marx et Brecht, et aussi
sur la psychologie de Bachelard et de Lacan.
Dans les sections ultérieures, nous tâcherons de libérer la lec ture et le lecteur,
conformément au titre pléonastique de ce chapitre « Le lecteu r est celui qui lit » signifiant
métaphoriquement le suivant : aussitôt que la lecture se fait li bérer, le lecteur pourrait
respirer aisément et régulièrement. Pour atteindre cette c ible, nous présenterons quelques
29 cheminements de la Nouvelle Critique concernant la libération du le cteur, concrètement
celui de Roland Barthes qui modèle, entre autre, un « lecteur créate ur ». Après, nous
insérons la conception d´Umberto Eco affranchissant la lectur e des interprétations fixées et
canoniques, tout en lui ouvrant les portes aux significations multiples du texte. Ensuite,
nous inclurons la perspective de Marcel Proust sur la lecture ex cessive. De fait, il s´agit
d´une occurrence paradoxale, car la lecture doit aussi se libé rer de sa propre importance et
prépondérance. Une citation de Bachelard vient à propos pour illust rer l´autocritique de la
lecture: « Aucun progrès n´est possible dans la connaissance objective sans c ette ironie
autocritique : se moquer de soi-même. »21 . En outre, l´interrogation sur soi-même,
l´autocritique et l´autoréflexivité sont les obsessions préfé rées de la post-modernité, par
ailleurs, nous nous retrouvons dans cette voie avec ce travail sur la lecture autoté lique.
Tout d´abord nous introduisons la conception de Roland Barthes, représentant
principal de la Nouvelle Critique en France, qui tout en reconnaissa nt la complexité de la
lecture prononce pendant une conférence à Luchon en 1975 : « Je suis, à l´égard de la
lecture, dans un grand désarroi doctrinal : de doctrine sur la lecture… Ce désarroi va
parfois jusqu´au doute : je ne sais même pas s´il faut avoir une doctr ine sur la lecture ; je
ne sais pas si la lecture n´est pas, constitutivement, un cham p pluriel de pratiques
dispersées, d´effets irréductibles, et si par conséquent, la l ecture de la lecture, la Méta-
Lecture, n´est pas elle-même rien d´autre qu´un éclat d´idées, d e craintes, de désirs, de
jouissances, d´oppressions, dont il convient de parler au coup par c oup, à l´image du
pluriel d´ateliers qui constitue ce congrès. »22 . Cette citation nous heurte au sein de la
problématique embrouillée de la lecture. Apparemment qu´il ne f aut pas s´attendre à des
théories précises, étant donné que Barthes suppose que l´impertine nce est inhérente à la
lecture. Par la suite, les mots clés de la « lecture barthé sienne » se regroupent autour du
champ lexical de la volupté : désir, jouissance, spontanéité, dra gue, plaisir, érotisme,
obsession et beaucoup d´autres. Ce champ de la lecture invite l ´écriture à produire un texte
qui doit donner l´impulsion et le désir d´être lu : « Le texte que vous écrivez doit me donner
la preuve qu´il me désire. Cette preuve existe : c´est l´éc riture. L´écriture est ceci : la
science de jouissances du langage, son kamasoutra (de cette scie nce, il n´y a qu´un traité :
l´écriture elle-même). »23 . Subséquemment, les textes pareils absorbent complètement s on
lecteur, qui en les lisant pénètre dans les endroits inexplorés de sa prop re personnalité.
21 Bachelard, 1949 : 18.
22 Barthes, 1976 : 927.
23 Barthes, 1973 : 221.
30 Le sujet lisant une fois emporté par une telle lecture peut profiter, selon la typologie
barthésienne, des plaisirs suivants : fétichiste (métaphorique ou poétique), impatient
(emporté ou métonymique), psychanalytique, obsessionnel, paranoïaque, h ystérique et
créatif. Le premier est créé par l´érotisme des mots, par leur arrangement dans lequel le
lecteur s´égare. Simplement dit, le texte séduit le lecte ur par la forme des mots. Quant au
second type, contrairement au premier, le plaisir surgit d’une a ttente de ce qui va arriver
dans le texte. C´est le plaisir du contenu, du savoir et des idées . D´ailleurs, cette technique
est propre à la narration, du fait que le suspense narratif t ient le lecteur collé sur son siège
jusqu´aux derniers moments. Ensuite, le plaisir psychanalytique es t engendré par l´effet
hallucinant qui se produit au moment de la névrose lectrice. Le c as suivant, plaisir
obsessionnel, concerne en pratique les linguistes, les logophiles et d´autres théoriciens de
la langue obsédés par l´usage des lettres, des langages et des métalangages. Puis les
paranoïaques jouissent des textes retors, des jeux constructifs, de s endroits cachés de
l´histoire dans lesquels ils se perdent. Semblablement aux par anoïaques, les hystériques
parcourent les textes aussi d´une manière chaotique, seulement sans s´y pro jeter.
Finalement, nous soulignons le modèle créatif du plaisir, une tendance nova trice
dans les théories littéraires, qui met en marche le processus actif de la lecture. Le désir de
la création artistique se fait invoquer par la lecture : «La lecture est conductrice du Désir
d´écrire ; ce n´est pas du tout que nous désirions forcément écri re comme l´auteur dont la
lecture nous plaît ; ce que nous désirons, c´est seulement le désir que le scripteur a eu
d´écrire, ou encore : nous désirons le désir que l´auteur a eu du le cteur lorsqu´il écrivait,
nous désirons le « aimez-moi » qui est dans toute écriture. »24 . Dans cette perspective
implexe, la lecture devient une sorte de réécriture du texte et simultanément, le lecteur
devient « l´ecteur », cette dérivation résulte en « l´acteur » lors d’une prononciation
relâchée. Après tout « l´ecteur » désigne un individu actif, agi ssant sur le texte et
participant à la création de sa signification. Effectivement , la libération du lecteur se
produit en pratique à travers de pareils écrits théoriques, dont la citati on ci-dessus. Dans cet
esprit, Barthes invite et incite son lecteur à prendre en considé ration une nouvelle voie de
lecture. Lui, en tant que lecteur-écrivain et vice-versa, partage se s expériences de la lecture
avec son lecteur, dans l´intention de le libérer par l´intermédia ire de ses écrits ; certes, nous
certifions qu´il y réussit parfaitement.
24 Barthes, 1976 : 934.
31 Pour Barthes, le synonyme de la « vraie » lecture est une lect ure « folle » qui :
« percevrait la multiplicité simultanée des sens, des points de vue, des structures, comme
un espace étendu hors des lois qui proscrivent la contradiction (le « Texte » est la
postulation même de cet espace). »25 . La perception de sa lecture nous rappelle la folie et
l´hystérie surréaliste de Nadja , aussi bien que l´effet du vertige qui se produit au fur et à
mesure que nous « buvons » les Alcools de Guillaume Apollinaire. Par ailleurs, il nous
semble bien que le plaisir de la « lecture barthésienne » e st multi-parallèle en ce que
l´auteur en donne beaucoup de définitions, néanmoins la plus inspirant e et révélatrice pour
nous est celle-ci : « Cependant la place du plaisir dans une théorie du texte n´est pas sûr e.
Simplement, un jour vient où l´on ressent quelque urgence à dévisser un peu la théorie, à
déplacer le discours, l´idiolecte qui se répète, prend de la cons istance, et à lui donner la
secousse d´une question. Le plaisir est cette question. »26 . Bien évidemment, Barthes
emploie l´auto-interrogation postmoderne dans l´intention de mettre sa conception du
plaisir textuel en cause. Pourtant, la réponse à cette question est déjà embrassée dans ses
propres théories : « La lecture ne déborde pas la structure ; elle lui est soumise : elle en a
besoin, elle la respecte ; mais elle la pervertit. »27 . Alors, il y a quand même quelque chose
qui détermine la lecture « folle », à savoir la structure du te xte à laquelle elle est soumise et
qui la détermine.
En parlant de la structure du texte qui présuppose un champ int erprétatif concret,
d´une part, et de la polémique des interprétations foisonnantes du t exte, de l´autre, nous
abordons à nouveau la pragmatique du texte littéraire ou l’esthéti que de la réception.
Toutefois maintenant, nous nous concentrons davantage sur le démarche d´Um berto
Eco, qui vise à étudier la polémique de la pluralité d´interprétat ions en profondeur : « Je
voulais comprendre comment une œuvre d´art pouvait d´un côté postuler une libre
intervention interprétative de la part de ses destinataires et de l´autre présenter des
caractéristiques structurales descriptibles qui stimulaient et ré glaient l´ordre de ses
interprétations possibles. »28 . Par ailleurs, il lui destine plusieurs ouvrages théoriques dont
la conception du « Lecteur Modèle » est un projet aussi célèbre que controversé. Le
Lecteur Modèle n´est qu´un fantôme théorique correspondant aux prés uppositions selon
lesquelles l´auteur rédige son texte : « Le Lecteur Modèle est un ensemble de conditions de
25 Barthes, 1976 : 935.
26 Barthes, 1973 : 259.
27 Barthes, 1976 : 927.
28 Eco, 1979 : 5.
32 succès ou d´honneurs (felicity conditions), établis textuellement, qui doivent être satisfaites
pour qu´un texte soit pleinement actualisé dans son contenu potentiel »29 .
De cette citation résulte que le Lecteur Modèle est capable de comprendre le texte
en tant que structure linguistique, au niveau de son contenu conventionnel et pa r
conséquent il dispose essentiellement des compétences langagières , dites aussi
encyclopédiques dans le vocabulaire d´Eco : « D´habitude (j´insiste sur « habitude » : une
compétence encyclopédique se fonde sur des données culturelles soc ialement acceptées en
raison de leur « constance » statistique). Toutes les autres possibil ités sont fortement
idiosyncrasiques et se mettent donc hors la norme : quand elles se ré alisent, elles lancent
un défi à l´encyclopédie et produisent des textes qui fonctionnent comm e une critique
métalinguistique du code. »30 . Effectivement, Eco est bien conscient des limites de son
modèle, cependant celui-ci sert seulement d´un squelette sur laquell e se rattachent d´autres
muscles d´un lecteur réel. Entre parenthèses, en examinant att entivement la formule d´Eco,
nous trouverons son analogie avec la conception barthésienne du lecteur créatif.
Tout compte fait, l´apport primordial d´Eco à la libération du l ecteur se manifeste
par l´ouverture du texte à une profusion d´interprétations possibl es: « Mais cette lecture du
roman de Stendhal signifie que l´interprète a choisi, poussé par des motivations diverses,
l´univers de discours qu´il jugeait pertinent. Si cet univers avait été différent, la lecture du
roman aurait amené à d´autres interprétations (par exemple, et le titre le permet : idéal
religieux vs idéal laïque. Après tous, pourquoi pas ?) »31 .
Une approche rigoureusement distincte de celles qui viennent d´être disposées
jusqu´à maintenant est entreprise par Marcel Proust dans sa p réface Sur la lecture (1905)
au livre de John Ruskin Sésame et les Lys (1865). Cette préface est un genre de critique
corrosive des idées dogmatiques de Ruskin sur le rôle prépondérant de la lecture et des
écrivains dans la vie spirituelle d´un être humain. Ruskin met la l ecture et la conversation
humaine sur le pied d´égalité, voire il sous-estime la conversat ion humaine au profit de la
lecture en proclamant que la lecture est une conversation avec des gens beaucoup plus
sages et plus intéressants que la conversation avec ceux qui nous pouvons rencontrer dans
la vie quotidienne. Cette attitude outrancière provoque les objections i nstantanées de
Proust qui indique que la distinction cruciale entre la lecture et l a conversation orale repose
sur la manière dont on communique : « la lecture, au rebours de la conversation,
29 Eco, 1979 : 77.
30 Eco, 1979: 17.
31 Eco, 1979 : 56.
33 consistant pour chacun de nous à recevoir communication d´une autre pensée, mais tout
en restant seul, c´est-à-dire en continuant à jouir de la puissance intel lectuelle qu´on a
dans la solitude et que la conversation dissipe immédiatement, en conti nuant à pouvoir
être inspiré, à rester en plein travail fécond de l´esprit sur lui-mêm e. »32 .
A ce propos Proust montre des limites de la lecture: « Et c´est là, en effet, un de
grands et merveilleux caractères des beaux livres (et qui nou s fera comprendre le rôle à la
fois essentiel et limité que la lecture peut jouer dans notre vie spiri tuelle) que pour l´auteur
ils pourraient s´appeler « Conclussions » et pour le lecteur « I ncitations ». Nous sentons
très bien que notre sagesse commence où celle de l´auteur finit, et nous voudrions qu´il
nous donnât des réponses, quand tout ce qu´il peut faire est de nous donner de s désirs. »33 .
Alors, la conversation avec des livres est une conversation à sens unique : le lecteur reçoit
les idées achevées et bien formées de l´auteur formant un univer s fermé. Ces idées peuvent
être ensuite interprétées, paraphrasées, répandues, appliquées et épuisées au maximum par
les lecteurs.
Quelle fabuleuse idée d´appréhender la lecture comme une « In citation » à la vie
spirituelle du lecteur ! Par ailleurs, la conception de Proust pr omeut simultanément
l´autonomie du texte et la libération du lecteur dont parle Barthe s et Eco. Dans cette
perspective, chaque lecteur a droit de comprendre le texte à sa propre manière : certaines
significations et formes passent de l´arrière-plan du texte à l´ava nt-plan où elle sollicitent le
lecteur. Il est essentiel de souligner que celui-ci est un indivi du doué de choix libre. Ce
qu´il choisit dans la structure textuelle en tant qu´avant-plan es t le pur intérêt de son
raisonnement arbitraire, lequel se réalise plus ou moins au nivea u de son inconscient. Par
corollaire, toutes les interprétations préfabriquées des text es littéraires par une école
quelconque de critique littéraire sont mal à propos et le but de la lecture ne consiste
nullement à chercher ce que l´auteur voulait dire en employant une telle expression, ni
comment il se sentait, ni dans quel état psychique il était quand il a composé son œuvre.
Bref, chaque interprétation du texte littéraire est seulement un point de vue parmi d´autres ;
elle n´est point objective ni universelle au point qu´on puisse l´impose r à tout le monde.
Le long de ce chapitre, nous espérons avoir accompli l´émancipat ion de la
dépendance du « lecteur qui lit » par rapport aux influences exte rnes. Pourtant il nous reste
encore, dans les pages ultérieures, à mettre en place une const itution des droits du « lecteur
libéré », en vue d´accomplir notre tâche d´une façon satisfaisante.
32 Proust, 1095 : 62.
33 Proust, 1905 : 66.
34 4.2. Les droits du lecteur
Au sujet des droits du lecteur, nous avons été inspiré par Daniel Pennac et nous
adoptons sa théorie, telle qu´elle est située dans sa « bib le » sur la lecture contemporaine
« Comme un roman ». « Les dix droits imprescriptibles du lecteur » sont présentés à la fin
du livre, après que l´auteur a dépeint d´une manière intéressant e, séduisante et surtout
fidèle la problématique de la « non lecture » dans la société occidentale d´aujourd´hui, en
se concentrant particulièrement sur les écoliers et adolesce nts, ce qui relèvent de sa
profession de professeur au lycée. L´objectif de son roman consiste à donner le goût de
lire, d´initier les gens à l´amour des livres, et principaleme nt à dépouiller la lecture de toute
obligation possible : « Lecture ne relève pas de l´organisation du temps social, elle est ,
comme l´amour, une manière d´être . »34 .
Ensuite, il s´adresse aux professeurs de littérature, aux autre s pédagogues et aux
parents en les exhortant à ne pas forcer les jeunes de lire. I l faudrait plutôt qu´ils donnent
l´exemple et l´envie de lire, dans l´intention de réconcilier les jeunes a vec la lecture : « Une
seule condition à cette réconciliation avec la lecture : ne rien dem ander en échange.
Absolument rien. N´élever aucun rempart de connaissances préliminaire s autour du livre.
Ne pas poses la moindre question. Ne pas donner le plus petit dev oir. Ne pas ajouter un
seul mot à ceux des pages lues. Pas de jugement de valeur, pas d´explication de
vocabulaire, pas d´analyse de texte, pas d´indication biographique… S´interdire
absolument de « parler autour ». Lecture-cadeau. Lire et attendre. On ne for ce pas une
curiosité, on l´éveille. Lire, lire, et faire confiance aux yeux qui s´ouvrent, aux bouilles qui
se réjouissent, à la question qui va naître, et qui entraînera une autre que stion. »35 . C´est
ainsi qu´il fraie le chemin d´une vraie lecture correspondant, dans sa perspective, à une
lecture spontanée, appréciée et notamment une lecture volontaire.
Nous rappelons que Pennac prescrit dix droits du lecteur aux écoli ers, toutefois, ils
sont universels et voici leur constitution :
1. Le droit de ne pas lire.
2. Le droit de sauter des pages.
3. Le droit de ne pas finir un livre.
4. Le droit de relire.
5. Le droit de lire n´importe quoi.
6. Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible).
34 Pennac, 1992 : 137.
35 Pennac, 1992 : 140
35 7. Le droit de lire n´importe où.
8. Le droit de grappiller.
9. Le droit de lire à haute voix.
10. Le droit de nous taire.
1. Le droit de ne pas lire.
« C´est une tristesse immense, une solitude dans la solitude, d´êtr e exclu des livres
– y compris de ceux dont on peut se passer. »36 Pennac évoque que certains gens n´ont pas
besoin des livres, aussi ne lisent-ils point. L´opinion publique sur les gens pareils tient ces
gens pour « illettrés », ce qui implique une exigence morale e t sociale de la lecture par la
société contemporaine. Bien évidemment, Pennac objecte contre ce tte exigence, vu qu´il
s´agit d´une lecture imposée. Alors, il vaut mieux ne pas lir e qu´être forcé à lire. En lien
avec ce doit, nous exposerons encore plus tard un type de lecteur « non-lecteur » .
2. Le droit de sauter des pages.
Barthes pour sa part prend aussi en considération le cas où le l ecteur a droit de
sauter des passages, des pages entières ou de ne lire que certa ins codes de langage à son
goût : « De même qu´il est possible de distinguer dans une étoffe calandr ée plusieurs
motifs, d´en isoler et d´en suivre un en oubliant les autres, au gré de l´humeur, de même on
peut lire Sade, Proust, en « sautant », selon le moment, tel ou tel de leur langage. »37 . Il
estime que l´esprit inventif et libre du lecteur est bienvenu, du fait que le « lecteur
créateur » produit un nouveau texte unique qui ne ressemble pas rig oureusement à
l´original. Par ailleurs, nous avons précisé préalablement le droit du lecteur à la liberté par
rapport au texte, à l´écrivain et aussi par rapport à l´inte rprétation univoque. Voilà, encore
une autre contribution salvatrice de la lecture barthésienne. Contr airement à Barthes,
Pennac a beau prescrire cette autorisation, il ne semble pas l´approuver autant, à en juger
selon cette assertion : « Un grand danger les (ceux qui sautent les pages dans les livres )
guette s´ils ne décident pas par eux-mêmes de ce qui est à l eur portée en sautant les pages
de leur choix : d´autres le feront à leur place. Ils s´armeront des gros ciseaux de
l´imbécillité et tailleront tout ce qu´ils jugent trop « diffi cile » pour eux. Ça donne des
résultats effroyables. Moby Dick ou Les Misérables réduits à des résumés de 150
36 Pennac, 1992 : 170.
37 Barthes, 1980 : 139.
36 pages,… Un peu comme si je me mêlais de redessiner Guernic a sous prétexte que Picasso
y aurait flanqué trop de traits pour un œil de douze ou treize ans. »38 .
Entre autres, les passages les plus fréquemment sautés par l es lecteurs sont des
descriptions interminables et ennuyeuses (les « détails inutil es » selon la terminologie de
Barthes), particulièrement dans les romans réalistes, par e xemple la description sombre et
monotone de l´Hôtel de Madame de Vauquer où habitait le Père Goriot de Honoré de
Balzac. A les sauter, le lecteur se précipite vers les na rrations dramatiques pour apaiser son
suspense.
3. Le droit de ne pas finir un livre.
Les raisons pour lesquelles un livre reste inachevé par le lec teur sont nombreuses.
La raison légitime mise en relief par Pennac, est celle de la « maturité » du lecteur par
rapport à certains livres. Nous adhérons à ce point de vue, en nous récl amant du dicton :
« chaque chose en son temps ». Par la suite le lecteur peut m ettre un livre de côté dans
l´intention d´y revenir au bon moment de sorte qu´il peut jubiler entièrement du texte. Or,
le cas inverse peut se produire et dans ces conditions, il est dé jà trop tard pour profiter d´un
livre. Autrement dit, quand nous dépassons l´âge de lire les livres d´ aventures ( Robinson
Crusoé , Aventures de Hucklebery Fin et autres), nous ne pouvons que les abandonner ou
en faire cadeau à un lecteur qui pourrait en profiter.
4. Le droit de relire.
« Relire ce qui m´avait une première fois rejeté, relire san s sauter de passage,
relire sous un autre angle, relire pour vérification, oui… nous nou s accordons tous ces
droits. Mais nous relisons surtout gratuitement, pour le plaisir de la répétition, la joie des
retrouvailles, la mise à l´épreuve de l´intimité. »39 Loin d´approuver cette formule, nous
insistons sur le fait qu´aucune relecture n´est jamais répéti tive. Certes, nous relisons
toujours le même livre, seulement le texte n´est point identique . Chaque relecture d´un
livre « qui le mérite », Le Petit Prince de Saint-Exupéry sert d´un exemple ad hoc, produit
nombreux clones du même livre. Cela soutient l´opinion d´Umberto Ec o qui plaide pour
les interprétations volumineuses d´un texte, par lequel passent et repassent les
significations que le lecteur doit saisir. Après, ajoutons que Bar thes traite la relecture d´une
façon similaire dans son œuvre critique S/Z (1970) : « Il serait (…) faux de dire que, si
nous acceptons de relire le texte, c´est pour un profit inte llectuel (mieux comprendre,
38 Pennac, 1992 : 174.
39 Pennac, 1992 : 179.
37 analyser en connaissance de cause) : c´est en fait et toujours pour un pr ofit ludique : c´est
pour multiplier les signifiants, non pour atteindre quelque dernier signifié »40 .
5. Le droit de lire n´importe quoi.
Nous venons d´articuler soigneusement dans le chapitre ci-avant, que le lecteur est
un individu avec le choix libre. Assurément, nous procédons le long de cet te étude de sorte
de faire ressortir ce privilège particulier parmi les aut res. Du reste la prise de conscience
de la possibilité du choix est controversée en son sein, à tel poi nt qu´un individu se perd
facilement dans une « archi »-multitude des livres best-seller s produits en série dans les
dernières décennies. Une analogie entre le lecteur et l´orpa illeur peut être mise en place
ici : les deux lavent et passent en tamis les grains du sabl e aurifère pour y trouver l´objet
désiré, en s´appuyant sur les compétences acquises, sur les ré férences données, ainsi que
sur leur intuition. Entre parenthèse, dans le cas du lecteur il s´ agit plutôt d´un choix que de
la contingence. Subséquemment, la fusion du hasard et du choix libre modèle le sujet
lisant, en tant qu´être autonome avec ses besoins, ses désirs, ses craintes, ses attentes, ses
connaissances et ses idéologies : « Insensiblement, nos désirs nous poussent à la
fréquentation des bons livres. »41 .
Dans cette partie, Pennac « ose » soulever le sujet tabouis é des « bons » et des
« mauvais » romans: « Les mauvais romans ne relèvent pas de la création mais de la
reproduction de « formes » préétablies, parce qu´ils sont une entrepr ise de simplification
(c´est-à-dire de mensonge), quand le roman est art de vérité (c´e st-à-dire de complexité),
parce qu´à flatter nos automatismes ils endorment notre curiosité, e nfin et surtout parce
que l´auteur ne s´y trouve pas, ni la réalité qu´il prétend nous déc rire . »42 . C´est une
merveilleuse assertion qui saisit brillamment cette problé matique. Ensuite, Pennac classe
parmi les mauvais, les romans de chevalerie et de romantisme, à l´exception de Don
Quichotte et Madame Bovary (par hasard les romans analysés dans ce travail).
Par rapport à une grande quantité de livres produits par la socié té de consommation
du XXI e siècle, Marcel Proust aurait certainement dit que le lect eur postmoderne est « à la
recherche de la qualité perdue ».
40 Jouve, 1986 : 93.
41 Pennac, 1992 : 183.
42 Pennac, 1992 : 181.
38 6. Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible).
Pennac constate que c´est à l´adolescence que cette maladie aff ecte davantage ses
victimes, résultat: « l´infection contagieuse des bibliomanes ou de s rats de bibliothèque ».
Néanmoins, il garantit qu´il ne faut point s´inquiéter si nous reconnai ssons Emma entre nos
proches, puisqu´elle était seulement l´imagination de Flaubert . Quant à nous : « Jamais
dupes, toujours lucides, nous passons notre temps à nous succéder à nous-même,
convaincus pour toujours que madame Bovary c´est l´autre. Emma devait p artager cette
conviction. »43 . La formulation semble tant aller de soi qu´elle se passe de tout
commentaire.
7. Le droit de lire n´importe où.
Il est difficile d´imaginer un endroit où la lecture serait impossible. Même les
métros, les bus, les trains bondés de gens qui se bousculent, n´em pêchent que le lecteur
ardent tienne son trésor de papier fermement dans la main, collé sur son nez et qu´il avale
les phrases d´un seul regard. Incidemment, il lui arrive d´oubli er de descendre et de se
retrouver au terminus, véritablement plongé dans le « silence littérair e ».
8. Le droit de grappiller.
Le huitième droit signifie pour Pennac suivant : « C´est l´autorisation que nous
nous accordons de saisir n´importe quel volume de notre bibliothèque, de l´ ouvrir
n´importe ou et de nous y plonger un moment parce que nous ne dispos ons justement que
de ce moment-là… Quand on n´a pas ni le temps ni les moyens de s´o ffrir une semaine à
Venise, pourquoi se refuser le droit d´y passer cinq minutes ? »44 .
9. Le droit de lire à haute voix.
10. Le droit de nous taire.
Quoique la lecture à haute voix soit souvent comprise dans la mesur e d´une
méthode pour apprendre à lire aux petits écoliers, Pennac remet en valeur sa fonction
révélatrice, qu´elle exerce sur le sujet lisant à voix haute : «…le texte et soi… tous ces mots
muselés dans la douillette cuisine de notre intelligence… comme on se sent quelqu´un en
ce silencieux tricotage de nos commentaires !… et puis, à j uger le livre à part soi on ne
court pas le risque d´être jugé par lui… c´est que, dès que la v oix s´en mêle, le livre en dit
43 Pennac, 1992 : 186.
44 Pennac 1992 : 190.
39 long sur son lecteur… le livre dit tout. »45 . De toute façon, cette révélation implique que
nous nous taisons de crainte d’être jugés et reconnus par le text e, par les autres auditeurs et
plus encore par nous-mêmes.
Sous prétexte d´être concis, nous n´ajoutons que deux droit supplémentaires :
11. Droit de griffonner
Il s´agit d´ajuster le texte au gré du lecteur. C´est-à-di re que le lecteur est autorisé à
« manier » le texte en le soulignant, encadrant, en faisant de s notes, des dessins, des
commentaires reflétant sa position envers lui ; tout court, le le cteur entreprend un discours
avec l´auteur à travers le texte. C´est une sorte d´express ion durant la lecture silencieuse,
étant donné que ces griffonnages révèlent les mêmes endroits cachés du lecteur comme sa
voix lors de la lecture à haute voix.
12. Droit de ne pas comprendre le texte
Ici nous faisons l´allusion à l´interprétation préfabriquée du tex te par les critiques
littéraires, les auteurs, les professeurs et autres littér ateurs. Malgré la libération du lecteur
développée dans les chapitres précédents, le phénomène de l´inter prétations rigide occupe
encore une place prépondérante dans l´enseignement de la littér ature. Pour récapituler,
l´écolier, l´adolescent, le retraité, la femme, l´homme, l´e nfant, qui que se soit, a le droit de
comprendre ce qui sort pour lui de l´arrière-plan du texte sur l´a vant-plan ; bref, tout ce
qu´il désire.
4.3. La typologie des lecteurs
Nous appuyant sur les données théoriques présentées dans les chap itres précédents,
sur les expériences de la lecture des romans et sur les ob servations de la vie quotidienne,
nous tracerons une typologie des lecteurs des romans. En principe , nous pouvons dire
qu´un certain type de texte présuppose un certain type de lect eur, par contre, à cause d´une
immense pluralité des textes, il est impossible d´énumérer tous les types de textes ni de
lecteurs. Analogiquement, il serait inefficace de lancer un e enquête pour un public concret,
en vue d´établir une liste des lecteurs. De même, les résultat s obtenus seraient très
subjectifs et restreints. Etant donné qu´il est impossible d´a nalyser tous les types de
lecteurs « réels », nous offrons une expérimentation avec la typ ologie présentée ci-dessous,
45 Pennac, 1992 : 196.
40 de sorte qu´elle sera effectuée sur les personnages lisant dans les romans, sous prétexte
qu´ils sont un échantillon facilement accessible, assez fidèle et immuabl e.
Nous prenons pour point de départ le « Lecteur Modèle » d´Umbert o Eco
(développé en détail dans la partie 4.1.), qui est un lecteur coop érant doté de toutes les
caractéristiques nécessaires pour saisir le texte dans son ensemble .
Voici, une typologie des lecteurs potentiels répartie en foncti on de la manière dont
ils lisent et en fonction de leurs motivations de la lecture :
/square4 lecteur pur qui ne lit que pour lire,
/square4 lecteur d´occasion qui lit seulement quand il s´ennuie,
/square4 lecteur forcé qui a une profonde aversion envers lecture,
/square4 lecteur d´évasion qui fuit la réalité en se plongeant dans la lecture,
/square4 lecteur constructif qui voudrait se connaître au travers des livres,
/square4 lecteur naïf qui croit tout ce qu´il lit,
/square4 lecteur critique qui met en doute tout ce qu´il lit,
/square4 lecteur « intelligent » qui justifie sa sagesse en citant les livre s/les écrivains,
/square4 lecteur « gnosophile »46 à qui la lecture sert d´outil pour affermir/fortifier
ses connaissances,
/square4 lecteur professionnel pour lequel les livres représentent les moyens pour
gagner sa vie,
/square4 lecteur imposteur qui lit pour paraître intéressant,
/square4 lecteur à la mode qui lit presque chaque best-seller qui vient d´être publ ié,
/square4 non-lecteur qui ne lit rien sauf la presse quotidienne sous les dif férentes
formes et les textes utiles,
/square4 « Métalecteur » qui s´aperçoit derrière les contours des let tres dans le texte
qu´il est en train de lire.
En dernier lieu, il faut encore préciser que notre typologie ne prétend être
exhaustive et qu´elle n´encadre pas non plus les types purs. C´e st juste une proposition de
la théorie qui ne correspond pas entièrement à la pratique hétéro gène de la vie quotidienne.
Nous supposons ainsi qu´un seul lecteur peut passer par plusieurs types dans la durée de sa
vie de lecteur et qu´il est aussi possible qu´il se trouve da ns plusieurs catégories
simultanément.
46 Le néologisme a été inventé par PhDr. Catherine Éb ert-Zeminová, Ph.D., la consultante de ce mémoire.
41 Lecteur pur
Ce modèle correspond au lecteur des textes de plaisir définis selon la conception de
Roland Barthes. En termes écologiques passés dans l´usage popula ire de notre ère, nous
pourrions l´appeler le « lecteur vert » qui ne pollue point puisqu´ il consomme le livre
entier sans laisser aucun déchet.
Lecteur d´occasion
C´est celui qui sort un livre seulement lorsqu´il n´a plus rien à faire et qui court un
marathon, quelquefois de plusieurs mois, voire plusieurs années, pour ache ver son livre
« préféré ».
Lecteur forcé
Nous trouverions facilement ce type à chaque collège et lycée. C´est dans les
milieux scolaires où la lecture devient paradoxalement une obliga tion. Elle symbolise un
cauchemar pour la majorité des écoliers : l´ancien meilleur ami se transforme en ennemi
numéro un. Ce cas particulier est merveilleusement évoqué par Daniel Pen nac dans Comme
un roman , l´oeuvre citée plusieurs fois précédemment.
Lecteur d´évasion
Dans la réalité fictive, c´est Madame Bovary qui est à l´origine de cet archétype.
De l´autre côté du miroir de la réalité, se trouvent certains l ecteurs contemporains obsédés
par la lecture des fantaisies toutes-puissantes qui dominent l a littérature du XXI e siècle
(Harry Potter et autres). L´obsession par la lecture peut avoir de « mauvais » effets sur les
lecteurs vu qu´elle les détourne de la réalité objective vers la réalité fictive. Entre
parenthèse, nous avons mis les guillemets sur l´adjectif mauvais , car l´effet d´éloignement
de la réalité quotidienne peut être désirable par le lecteur, c´est-à-dire que la vie dans la
réalité fictive est plus commode pour lui et il y pénètre volontaireme nt. Toutefois, il se peut
que le désaccord entre ces deux réalités cause les troubles psychiques. Du reste, c´est
pourquoi les psychologues emploient le terme « bovarysme » pour dénom mer une
maladie psychique : « Est ainsi qualifié l'état de frustration né de la faille entre les
aspirations d'un individu et sa condition ou ses capacités réelles. » 47
47 http://www.dicopsy.com/dictionnaire.php/_/psychana lyse/bovarysme, consulté le 17.11.2010.
42 Lecteur constructif
C´est Marcel Proust qui parle des lecteurs pathologiques pour l esquels les livres
représentent le rôle principal de leur vie spirituelle : « Il est cependant certains cas,
certains cas pathologiques pour ainsi dire, de dépression spir ituelle, où la lecture peut
devenir une sorte de discipline curative et être chargée, par des incitations répétées, de
réintroduire perpétuellement un esprit paresseux dans la vie de l´esprit. Les livres jouent
alors auprès de lui un rôle analogue à celui des psychothérapeutes auprè s de certains
neurasthénique . »48 .
Lecteur naïf
Lecteur naïf croit tout ce qu´il lit et de surcroît il l´appl ique dans sa vie quotidienne.
Il met en pratique les énoncés du texte de la manière dont il les appréhende. Quel pouvoir
immense les livres peuvent-ils avoir dans les mains des lecteurs pareil s.
Lecteur critique
Ce type de lecteur s´oppose rigoureusement au « lecteur naï f », car il met en
question et en doute tout ce qu´il lit. Autrement dit, il s´interro ge par rapport au sujet
donné avant d´avoir assimilé une telle assertion, un tel point de vue de l´auteur ou ce que
postule le texte même. En généralisant la dimension du « lecteur critique » en « récepteur
critique », nous le proposons, de même que l´avait fait Barthe s et beaucoup de spécialistes
contemporains, comme un modèle de récepteur, du fait qu´en abordant c haque nouvelle
information, message, texte etc. d´un œil critique, méfiant et p rudent, on arrive à s´orienter
dans la toile dédaléenne et comblée d´informations diverses. En un m ot, il faut mettre en
marche l´esprit critique en lisant.
Lecteur « intelligent »
Il s´agit d´un type de lecteur qui apprend par cœur les passag es entières des livres
classiques ou des poèmes mondialement connus, il les emploie dans son registre quotidien
et c´est ainsi que les citations des livres deviennent la par tie de son idiolecte. De cette
espèce il « exhibe » son intelligence et c´est pour cela que nous l´appelons sarcastiquement
un lecteur « intelligent », voire « hyper intelligent ». Nous t rouvons une description
lapidaire de ce type chez Marcel Proust: « Les dangers de l´érudition presque de la
bibliophilie, d´ailleurs, quand ils existent, menaçant beaucoup moins l´ intelligence que la
48 Proust, 1905 : 69.
43 sensibilité, la capacité de lecture profitable, si l´on pe ut ainsi dire, est beaucoup plus
grande chez les penseurs que chez les écrivain d´imagination. Schopenhaue r, par exemple,
n´avance jamais une opinion sans l´appuyer aussitôt sur plusieurs ci tations, mais on sent
que les textes cités ne sont pour lui que des exemples, des allu sions inconscientes et
anticipées où il aime à retrouver quelques traits de sa propre pe nsée, mais qui ne l´ont
nullement inspiré. »49 . Ce qui est en jeu ici est le fait que la lecture ne devrait pas être
uniquement à source de toutes les connaissances d´un individu.
Lecteur « gnosophile »
Ce modèle se sert de la lecture à l´instar d´Arthur Schope nhauer dans la citation au-
dessus. En effet, en lisant il élargit le champ de ses connais sances, ensuite il enrichit et
nourrit ses goûts esthétiques.
Lecteur professionnel
Nous comptons parmi eux les critiques littéraires, les profe sseurs de littérature aux
différents niveaux du système scolaire, historiens de littératur e et autres littérateurs. Les
livres incorporent pour eux un plan de travail où ils cherchent, entre autres, à justifier les
théories littéraires, cependant cela ne les empêche pas de p rendre le plaisir de la lecture.
D´ailleurs, pour être franc, nous nous comptons parmi eux, au fur et à mesure qu’avance le
mémoire ci-présent.
Lecteur imposteur
C´est celui qui sort d´une bibliothèque avec une pile de livres, l es ramène chez soi
et en prend un, en règle générale le volume le plus épais. Il se balade avec lui dans les rues,
dans les café, dans les bus et autres endroits publiques pour joue r la comédie d´un savant
« hyper-éduqué ». D´habitude il ne fait que « bouquiner » et il n´achève aucun de ces livres
pour des raisons diverses, toutefois légitimes pour lui-même.
Lecteur à la mode
Ce lecteur lit presque chaque best-seller publié récemment sans différencier sa
valeur artistique. Dans cette catégorie, nous allons faire allus ion à la division effectuée par
Aristote ( Politique , livre VIII) qui date environ du III e siècle avant J.C., selon laquelle les
spectateurs ont été divisés en public cultivé et en public vulgaire. Notre « lecteur à la
mode » appartient au public vulgaire étant donné qu´il lit tout ce qu´on lui offre en dépit de
49 Proust, 1905: 80.
44 la qualité. A ce point nous nous referons à Pennac qui constate que la plupart de lecteurs
postmodernes lisent les « mauvais » livres qui n´exigent pas be aucoup de connaissances ni
d´efforts intellectuels de la part du lecteur. Nous reconnaissons que cette division semble
plutôt péjorative, vu qu´elle est basée sur les couches sociales et sur le niveau de
l´éducation, mais pourtant il arrive que certains théoriciens l´a pprouvent même au XXI e
siècle. Certes, cela est assez frappant, certes une tel le division ne devrait occuper aucune
place dans l´univers artistique, qui se voit autonome et libéré de toutes les contraintes de la
vie sociale.
« Non-lecteur »
Non-lecteur répète infiniment : « Pourquoi devrais-je lire ce que d´autres ont écrit,
si personne ne lit ce que j´ai écrit ou plutôt ce que j´écrira is ? ». Cet énoncé controversé
approuve lui-même l´évidence que ce type de lecteur ne lit point. T out compte fait c´est
son droit de ne pas lire. Il y en a encore d´autres non-lecteurs qui proclament que toute
l´influence de la société est nuisible pour un développement nature l d´un individu, y
compris celle de la lecture. Cette idée est déjà présente chez Rousseau, mais ne il ne
l´applique que pendant l´enfance d´un être, de sorte qu´il fait i ntroduire les livres auprès
des enfants plus grands, voire adolescents.
« Métalecteur »
Métalecteur est celui qui aperçoit son reflet du sujet lissant dans le tex te, y découvre
« l´ Initiation » de Proust, ou autrement dit une insinuation à sa vi e spirituelle. A présent
nous traçons juste une concise caractéristique du Métalecteur, éta nt donné que ce modèle
sera développé encore dans la section analytique 5.1.
Pour conclure ce chapitre, nous énumérons les réponses des étudiants de Daniel
Pennac sur la question « Qui est un vrai lecteur ? » : « Les plus « respectueux » d´entre eux
me décrivent Dieu le Père soi-même, une sorte d´ermite antédi luvien, assis de toute
éternité sur une montagne de bouquins dont il aurait sucé le sens jusqu´à comprendre le
pourquoi de toute chose. D´autres me croquent le portait d´un autiste prof ond tellement
absorbé par les livres qu´il se cogne contre toutes les portes de la vie. D´autres encore me
font un portrait en creux, s´attachant à énumérer tout ce qu´un lecteur n´ est pas : pas
sportif, pas vivant, pas marrant, et qui n´aime ni la « bouffe », ni les « fringues », ni les
« bagnoles », ni la télé, ni la musique, ni les amis… et d´autres en fin, plus « stratèges »,
dressent devant leur professeur la statue académique du lecteur consci ent des moyens mis
45 à sa disposition par les livres pour accroître son savoir et aig uiser sa lucidité. Certains
mélangent ces différents registres, mais pas un, pas un se ul ne se décrit lui-même, ni ne
décrit un membre de sa famille ou un de ces innombrable lecteurs qu´il s croisent tous les
jours dans le métro. »50 . Par là nous déduisons que le « vrai lecteur » est le « MOI lecte ur »
et il ressemble notre Métalecteur, car il se rend compte d´être un lecteur, tout simplement il
se compte parmi le public lisant.
50 Pennac, 1992 : 154.
46 5. Héros-lecteurs
5.1. La méthode de la mise en abyme
Imaginons un robuste tableau versicolore
dans le cadre en bois d'ébène dans lequel
un personnage, mi-allongé dans un
fauteuil confortable couvert par une
couverture de peluche, est en train de lire.
Sur ses pieds s´accroupit un énorme chat
gris-orange qui est en train d´observer son
maître. Celui-ci serre dans ses mains un
objet assez particulier qui rappelle un
assemblage de feuilles de papier parse-
mées de milliers de lettres minuscules,
lesquelles semblent hypnotiser son patron,
puisqu´il ne décolle pas du tout son regard
de cette chose-là. L´atmosphère du
suspense narrative est en train d´étouffer
le feu papillotant dans la cheminée ; la
froideur envahit petit à petit la chambre,
or le protagoniste du tableau ne tremble
point de froid, étant donné qu´il est
réchauffé par des feuilles brûlantes du
livre. Maintenant, fixons bien nos yeux
sur le regard pénétrant du lecteur. Son
visage reflète le contenu des phrases, son
corps imite les formes de graphèmes, ses
pensées planent au-delà et tout son être est
transcendé dans l´univers fictif de la
lecture. Pénétrons-y avec lui et supposons
que le héros du livre lu par le personnage
du tableau soit pareillement en train de lire
un roman. 51
La description et l´image ci-dessus évoque une double perspect ive de la lecture qui
est souvent présente dans des romans, sauf qu´elle est rarement aperçue par les lecteurs.
51 L´image du « Métalecteur » a été créée par Adam Tr nka spécialement pour ce mémoire. En insérant cette
image, nous avons intention, non seulement de visua liser le thème général du mémoire, mais encore plus de
créer « l´effet de réel » et de démontrer le foncti onnement des « détails inutiles » de la description dont parle
Barthes en relation avec « l´illusion référentielle » de Riffaterre. Supposons que l´encadrement du te xte et de
l´image représente les pages d´un livre. Le lecteur conduit par son expérience antérieure ou par « l´h orizon
d´attente » (le terme employé par Hans Robert Jauss dans l´œuvre Pour une esthétique de la réception ),
s´attendrait que la description placée à côté de l´ image lui correspondrait. Il s´ensuit de là que le référant
présupposé de la description serait « réel », dans ce cas particulier c´est l´image illustrée sur la p age opposée,
sauf que celle-ci est loin d´être fidèle à la descr iption. Le décalage entre la description et l´image est
intentionnelle et elle a pour but de créer une rupt ure dans l´attente du lecteur, ce que Jauss appelle « l´écart
esthétique », et au surplus de démontrer l´oppositi on entre le monde fictionnel et le monde réel, qui se
manifeste comme l´effet de réel, ce dernier n´étant rien d´autre qu´une illusion référentielle.
47 Cette figure artistique fait penser à une technique littérai re appelée la mise en abyme : « Ce
terme désigne l'enchâssement d'un récit à l'intérieur d'un autre. C ertains écrivains ont
ainsi présenté dans leurs romans des écrivains… qui écrivent. Il y a alors histoire dans
l'histoire . ». 52 En ce qui concerne la mise en abyme de la lecture, elle n´e st produite que
partiellement par l´écrivain, puisqu´elle doit être repérée par le lecteur. A propos du rôle de
l´écrivain, nous prenons en considération deux cas : la première poss ibilité : si l´écrivain
avait inclus dans son œuvre les passages qui décrivent simplement l e processus de la
lecture, nous distinguons la mise en abyme de la lecture en tant que procès ; et la deuxième
possibilité : si l´écrivain avait cité d´autres œuvres lit téraires à l´intérieur de son roman,
nous parlons de l´intertextualité. Ainsi, n´exclut pas la mise en abyme de la lecture
l´intertextualité, néanmoins elle n´en est pas conditionnée.
En ce qui concerne le processus de la mise en abyme de la le cture, il se produit à
mesure que le lecteur déchiffre les mots qui portent certaine s significations formant des
représentations mentales y correspondant. Toutefois, celle-ci ne prend place qu´à condition
que le lecteur s´en aperçoive, attendu qu´un lecteur « aveugle et sourd » peut parcourir les
mots, les lignes, les pages, voire des livres entiers sans s´e n rendre compte. Par la suite,
nous conjecturons qu´un phénomène supplémentaire peut se produire lors de la double
lecture, de telle sorte que le lecteur prend en conscience sa positon du sujet lisant. En
d´autres termes, la double lecture tend miroir 53 au sujet lisant à travers le texte qui figure
comme un stimulus ; résultat : le sujet lisant aperçoit, au sens figuratif du mot, son reflet
derrière le texte semblablement au personnage dans le table au sur la page précédente. En
somme, nous constatons un « bi-dédoublement » : d´un côté, celui de la l ecture et de
l´autre côté, celui du lecteur. L´effet de double miroir explic ite plus nettement cette
configuration : la lecture se reflète en lecteur (dans sa c onscience) et subséquemment, le
lecteur se reflète en lecture (derrière le texte).
En résumant les paragraphes précédents, la conception se prés ente de cette manière:
les romans thématisant la lecture produisent l´effet de la doub le lecture à mesure que le
lecteur les lit ; ce qui revient à dire qu´académiquement il s´ agit de la lecture autotélique,
de la mise en abyme de la lecture, ou en un mot de la « Métalec ture ». Chacune de ces
appellations saisit le phénomène de la double lecture sous les a ngles légèrement différents.
La première dénote une lecture autosuffisante qui met sa fin en elle-même puisque le
52 http://www.lettres.org/files/ abyme_(mise_en).htm l, consulté le 17.5.2010.
53 A l´instar de Jean-Baptiste Clémence dans le roman La Chute d´Albert Camus qui tend le miroir aux autres
personnages à travers son histoire personnelle.
48 vocable autotélique venant du grec désigne : « telos » [la fin, le b ut] avoir sa propre fin 54 et
le préfixe « auto » [soi-même].
La deuxième appellation inclut le sujet de la lecture à l´i ntérieur d´une autre lecture,
comme nous avons précisé ci-dessus et la dernière, « Métalecture », engendre
l´autoréflexion de la lecture : « Méta- adverbe et préposit ion grecque signifiant au milieu,
parmi, ares, à la suite de. Si on a une discipline X, qui s´occup e d´un champ de
phénomènes, on appellera méta-X la discipline que traite la c onstitution de X et établit des
théorèmes (méta-théoremes) à son sujet. Ce sens strict est souvent contam iné par l´idée que
la méta-discipline s´occupe des fondement de la discipline. » 55 Néanmoins, ce vocable est
déjà appliqué dans le domaine de lettres en tant que critique litté raire qui signifie
également la lecture de la lecture : en effet, Barthes l´em ploie fréquemment dans ses écrits
théoriques. Puis, la recherche sur l´Internet a révélé que le t erme est employé de manière
similaire dans les travaux de Philippe Bootz sur « l´ouvre signe électronique », cette
locution englobe le processus de la lecture électronique. Bootz com prend par la méta-
lecture ainsi que par le méta-lecteur seulement les entit és virtuelles dans le cadre de la
programmation informatique : « Contrairement à la double lecture qui est l’interprétation
par le lecteur de sa propre activité de lecture, interprétat ion qui se situe dans le cadre de
la lecture, la méta-lecture nécessite des informations para-t extuelles sur le projet de
l’auteur. »56 Il s´ensuit de là que son concept de méta-lecture se présente d´ une nature
légèrement différente de la nôtre, étant donné que la Métalectur e théorisée par ce mémoire
se produit au fur et à mesure que le lecteur procède au décodage des signes linguistiques et
il n´a pas besoin d´autres interprétations para-textuelles. Par là, l´accent est mis
principalement sur l´action de la lecture, lors de laquelle ém erge la double lecture dans la
conscience du Métalecteur.
Se référant encore une fois sur le triangle littéraire, cer tes, tous les trois éléments
contribuent à la réalisation de la Métalecture, cependant le dédou blement de la lecture est
uniquement attribué au Métalecteur. Il va de soi – nous l´avons évoqué a uparavant – que le
54 Jacob, A. et équipe, Encyclopédie philosophique universelle, Les notions philosophiques , tome 2,
1er édition, Paris : Presse universitaire de France, 1 990,
55 Jacob, A. et équipe, Encyclopédie philosophique universelle, Les notions philosophiques , tome 2,
1er édition, Paris : Presse universitaire de France, 1 990.
56 Bootz, P., « Lecteur, mon aveugle, comment la poés ie numérique reconsidère la question de la lecture. »,
disponible sur: http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs /00/23/62/98/PDF/lecteur_mon_aveugle.pdf,
consulté le 13.11.2010.
Bootz, P., « Approche sémiotique d’un certain art p rogrammé : œuvre signe et méta-lecture », disponibl e sur:
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/07/86/04/PD F/oeuvre-signe_et_meta-lecture.pdf,
consulté le 13.11.2010.
49 Métalecteur est un lecteur attentif, lisant avec les yeux ouverts, qui prend conscience de la
double lecture ; et davantage de sa propre position de sujet lisant, en d´autre terme il se
reconnait en tant que le « MOI lecteur ». A ce propos, l´anal ogie avec le mythe de
Narcisse d´Ovide se propose : le lecteur coïncide avec Narcisse en c e que la lecture lui sert
d´une fontaine où il observe son reflet du sujet lisant. Nous pouvons d´ ailleurs l´appeler
aussi le « lecteur narcissique ».
A partir de ce moment-là, nous emploierons le long de la partie pratique le mot
Métalecture et les locutions synonymes : la double lecture, le dédoublement de la lecture,
la mise en abyme de la lecture, la lecture autotélique, la le cture autoréflexive ; et le vocable
Métalecteur et les expressions parallèles : le MOI-le cteur, le lecteur attentif, le lecteur
narcissique et pareillement les antonymes : le lecteur aveugl e ou le lecteur sourd. Une autre
notion de base utilisée sera la fiction : « une histoire possible, un « comme si… ». Elle est
une feinte et une fabrication. Elle définit, dans sa plus grande général ité, la capacité de
l´esprit humain à inventer un univers qui n´est pas celui de la perc eption immédiate… Une
partie de la littérature relève donc de la fiction – mais, inverse ment, toute fiction ne relève
pas d´un statut littéraire. » 57 et ses synonymes: réalité, monde, univers, construction,
fabrication (pour un répertoire de noms) et fictif/fictionnel, a utre, artificiel, intérieur,
latent, imaginaire, ou possible (en se qui concerne les adjecti fs). Au contre-pied de la
fiction se situe le monde réel ou autrement nommé : réalité ex térieure, existentielle 58 ,
immédiate, tangible, actuelle, objective, phénoménale/phénoménologique.
5.2. Le point de départ de l´analyse
Concentrons-nous maintenant sur la position du Métalecteur : la conscie nce de la
Métalecture une fois prise, il est très probable et en pr ime souhaitable que le Métalecteur
s´interroge sur la lecture elle-même. Les questions qui pourra ient lui venir à l´esprit sont
les suivantes : Qu´est-ce que lit le héros dans le roman ? Ce p assage de la lecture lui fait
penser à quoi? Pour quelle raison avait l´auteur introduit les pass ages de la lecture dans le
livre ? Pourquoi lit le héros ? Et simultanément : pourquoi suis-je e n train de lire en ce
moment-là ? puis en la généralisant il arrive vers la questi on primordiale : Pourquoi lire?
Indubitablement, cette invasion des questions fait remonter le Mé talecteur à l´origine de la
57 Aron, P., Saint-Jacques D., Viala, A., Le Dictionnaire de la Littérature , Paris : Presses Universitaires de
France, 2002, page 225.
58 Celle de notre existence ; ce terme se trouve dans le travail de Fitch, B.T., « Introduction : référe nce,
concrétisation, approbation. », L´Université de Tor onto, disponible sur : http://www.texte.ca/Int11.pd f,
consulté le 2.11.2010.
50 littérature, voire de tout art. Étant donné que les livres nous accompa gnent non seulement
depuis notre enfance, mais aussi depuis des siècles, ils sont devenus une évidence dans nos
vies. Pour cela même, l´interrogation sur la lecture semblera it être inutile et la question
métaphysique : « pourquoi lire ? » est si évidente en soi que norma lement personne
n´« ose » la prononcer à voix haute. Toutefois, le Métalecteur s´i nterroge sur ce sujet et en
vue de satisfaire sa curiosité, il cherche des réponses dans l es sources diverses : en lui-
même, en posant des questions au public laïque ou aux spécialistes en lettres, en consultant
des ouvrages théoriques sur la littérature qui explicitent cett e problématique, mais encore
en lisant les romans dont les réponses sont très souvent dissimulées.
Les romans, situés au piédestal de tous les genres littérai res environ à partir du
XIX e siècle, embrassent fréquemment le phénomène de Métalecture . Entre parenthèses,
nous n´excluons nullement autres genres littéraires de porter en e ux les traits de
Métalecture, seulement, ils ne sont pas inclus dans notre analys e vu qu´ils sont peu
nombreux. Quant au roman, il semble être un spécimen de ce phénomène littéraire. En
remontant vers ses origines lointaines, nous constatons qu´il se « moqua it » de la lecture
déjà dans sa berceau, du fait que l´œuvre L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la
Manche de Miguel de Cervantès écrite en 1605, est considérée, par la major ité des
spécialistes, comme le premier roman de tout le temps. Le s histoires amusantes du
chevalier Don Quichotte sont si connues qu´elles sont devenues les mythes et le héros
symbolise un bibliomane qui se fait absorber par les lecture s abusives des épopées
chevaleresques, jusqu´à ne plus être capable de distinguer la r éalité extérieure de la réalité
fictive dépeinte dans les épopées. Revoici, le corpus fondamental de notre analyse, ainsi
bien que le modèle des romans similaires qui traitent la thém atique de la lecture
autotélique : Madame Bovary par Gustave Flaubert, A Rebours par Joris Karl Huysmans,
Thérèse Desqueyroux par François Mauriac, Dorian Gray par Oscar Wilde, etc. Il en existe
sûrement une énorme quantité dans le cadre de la littérature mondia le ; une recherche
pourrait être entreprise en admettant que la coopération de plus ieurs chercheurs, ainsi que
plusieurs universités ou autres institutions littéraires soit mi se en marche. Vu que le thème
de la lecture joue le rôle prépondérant dans les deux premiers romans de la liste ci-
présente, ils seront le répertoire pour notre étude.
D´un côté, tous les deux exemplaires se ressemblent en ce qu´i ls englobent le sujet
de la double lecture et que leurs auteurs sont les hommes. De l ´autre côté, chacun a été
publié dans les époques différentes : MB en 1857 en plein essor du réalisme dont il est un
chef-d´œuvre; et en 1884 AR devient la « bible » des auteurs de la décadence, du
51 symbolisme et du modernisme, même en dehors de la France. Il s´e nsuit de là que les
œuvres choisies sont des principaux représentants des courants lit téraires dont elles étaient
publiées.
Quant aux personnages des romans, MB dépeignent une héroïne, Emma Bovary,
tandis qu´ AR un héros, Des Esseintes. En ce qui concerne le déroulement de l´ac tion, le
premier roman illustre la condition d´un femme mariée dans la so ciété française du Second
Empire. En parlant d´ AR il faut être prudent quant à l´action , car elle est pratique ment
inexistante ; étant donné que le roman décrit la vie solitaire d´un aristocr ate français à la fin
du XIX e siècle. Par conséquent, deux champs opposés s´esquissent : d´une part MB , un
roman typiquement réaliste avec beaucoup de personnages, avec des descriptions détaillées
de l´environnement ainsi que les détails minutieuses sur la vie des personnages ; et d´autre
part AR , roman sans action, retraçant un antihéros qui vit dans une résidenc e privée en
dehors de la société laquelle l´étouffe. Or , les personnages par tagent le trait
« d´étouffement » par les conditions sociales de leur époque, ce qui les mène vers la
construction d´un autre monde ou d´une réalité à part, où ils retrouve nt la consolation si
ardemment désirée et ce sont les livres et d’autres formes d´art qui leur servent d´une
initiation au monde imaginaire.
5.3. L’objectif de l´analyse
En analysant les romans donnés, nous nous concentrerons essentiellement sur les
passages qui portent sur la lecture des personnages. Cela signif ie que nous négligeons les
autres aspects d´une analyse habituelle des œuvres littérai res afin de creuser le phénomène
de Métalecture au maximum. Dans ces sections nous nous fixerons sur les aspects
suivants : le rôle de la lecture dans la vie du héros, les motivati ons et l´impact de la
lecture, la quantité et la fréquence de la lecture, les formes et les genres littéraires exposés
et aussi sur l´intertextualité. Sous prétexte que les deux héros sont des bibliomanes, nous
pouvons examiner les conséquences possibles d´un lecture abusive. En réalité, ce que nous
tâchons essentiellement de dépister par notre analyse sont les motivat ions de la lecture chez
les héros et l´impact de la lecture abusive sur leurs comport ements. De là, les résultats
obtenus nous approcherons vers la réponse à notre question primordial : pourquoi lir e? .
Au demeurant, en mettant en relief les sections qui illustrent l es héros-lecteurs,
nous invitons nos lecteurs à prendre conscience de la lecture narci ssique en espérant qu´ils
deviennent les Métalecteurs avec tous les phénomènes discutés ci-de ssus : interrogation sur
la lecture, sur la littérature, sur le « MOI-lecteur », sur la réalité fictive en comparaison
52 avec la réalité extérieure. Afin, le dernier objectif de l´ analyse est de classifier des
personnages-lecteurs dans les catégories de la typologie de s lecteurs proposée dans la
section théorique (4.3. La typologie des lecteurs).
5.4. L´analyse des romans
5.4.1. Madame Bovary
Gustave Flaubert consacre quatre ans de sa vie à écrire l´ historie d´une pauvre
femme empoisonnée par ses propres rêves et par ses imag inations nourries de la lecture des
romans. Voici un résumé comprimé en une phrase du roman Madame Bovary . Emma
Bovary, l´héroïne principale du roman réaliste du XIX e siècle, représente un type de femme
qui a existé réellement au XIX e siècle et elle se trouve certainement encore aujourd´hui
dans notre société. Elle est une belle femme, élégante et déli cate, vivant dans l´ombre de
son mari, Charles Bovary, qui est un être simple, médiocre et sans ambitions. Etant lassée
et étouffée par la monotone vie conjugale, Emma cherche la réalis ation de ses rêves d´un
amour « vrai » auprès des amants, ce qui finit aussi par une gr ande désillusion, puisque ses
rêves appartiennent au monde fictif des romans, qu’elle avait lus d ans sa jeunesse. Ce
roman appartient aujourd´hui au « classique », néanmoins à sa parut ion en 1856 dans le
journal Revue de Paris il avait bouleversé les valeurs de la société française du Se cond
Empire et on a accusé Flaubert d´avoir outragé la morale pub lique et religieuse avec son
histoire d´adultère d´Emma Bovary, pourtant celle-ci a été écr ite à la base d´une affaire
dans la chronique normande de l´époque.
Pendant le procès juridique, l´avocat de Flaubert a plaidé pour le roman en
argumentant que l´histoire d´EB, une bibliophile qui se fait e mpoisonner par les lectures
romanesques, pouvait servir d´un exemple aux jeunes filles qui le lisent, en vue de les
avertir des conséquences possibles de la lecture des romans si populaires à ce temps-là. Par
ailleurs, l´avocat avait bien raison, étant donné qu´EB est deve nue l´archétype d´une
bibliomane absorbée par les lectures excessives dans le monde fictif qui ne correspondait
pas exactement avec la réalité qui l´entourait. Le désaccord entre deux réalités résultait en
frustration, voire en troubles psychiques chez EB. Sous prétexte que le livre MB a été
destiné aux jeunes filles et aux femmes, nous pourrions préalable ment les considérer
comme les Lecteurs Modèles. Toutefois, le roman en tant que class ique est entré dans les
programmes de collège et d´universités, ce qui implique un public vaste et hétérogène de
jeunes lecteurs, sauf que ceux-ci ont d´habitude mal à coopérer avec une grande quantité
53 des « détails inutiles barthésiens» des personnages, des li eux, des conditions sociales, des
mœurs, qui coupent souvent la ligne de l´action principale et détour nent l´attention du
lecteur des narrations haletantes.
A part ces nombreux détails, MB peut être pris pour l´initiation propice à l´univers
fictif de la lecture, étant donné qu´il englobe la thématique de la lecture. De cette sorte, le
lecteur est situé devant un miroir imaginaire de la lecture tout le long du roman. Le miroir
reflète sa propre position du sujet lisant au fur et à mesur e de la lecture du roman (ce de
Madame Bovary écrit par Gustave Flaubert), et ainsi le lecteur s´ape rçoit-il lui-même de
son rôle du sujet lisant et il devient un Métalecteur. C´est pour cela que le roman MB vient
à propos dans notre mémoire qui disserte sur le Métalecteur e t la Métalecture, par la suite
nous pouvons y étudier les effets de la lecture, son rôle dans la vie des personnages,
l´intertextualité et enfin le rapport entre la réalité fictive et l a réalité quotidienne des héros.
5.4.1.1. L´intertextualité
Quant à l´intertextualité, elle est peu nombreuse le long du rom an. L´auteur
introduit quelques noms des écrivains français du XVIII e siècle sans évoquer leurs travaux:
Voltaire, Rousseau, Jacques Delille, Holbach ; un écrivain écossai s du XVIII e siècle : Sir
Walter Scott. Ensuite, la lecture religieuse contient le résum é d´Histoire sainte,
Conférences de l´abbé Frayssinous, Génie du christianisme par François-René de
Chateaubriand, des pamphlets de M. de Maistre, puis les autre s pamphlets Pensez-y bien,
l´Homme du monde aux pieds de Marie, Erreurs de Voltaire , Raison du christianisme par
Jean-Jacques Nicolas, Les lettres de quelques juifs portugais par l´abbé Antoine Guénée.
Il s´y trouve aussi des résumes d´action des romans de Sir Wal ter Scott, un court
résumé du roman Paul et Virginie sans indiquer son auteur, Bernardin de Saint-Pierre, les
paraphrases de plusieurs vers de Lamartine (le recueil Méditations poétiques ) et une simple
mention de l´ Encyclopédie et des magazines : la Ruche médicale, l´Éco des feuilleton, le
Fanal de Rouen.
Les noms des personnages d´autres œuvres littéraires se situent également dans le
roman : Emma est comparée à la femme pâle de Barcelone qui apparaît dans le poème
« L´Andalouse » par Alfred Musset ; Marie Stuart, Jeanne d´Arc, Héloïse, Agnès Sorel,
Ferronnière, Clémence Isaure, saint Louis, Bayard, Louis XI, Saint- Barthélemy, Béarnais,
Louis XIV.
Flaubert n´ayant précisé une fois que l´écrivain, une autre foi s que le titre ou les
personnages de l´œuvre, compte sur les connaissances littérai res de son lecteur. La plupart
54 du temps, il cite les écrivains et les œuvres connus en France , mais en cas de la lecture
religieuse, les ouvrages sont moins familiers pour le public d´aujourd´hui .
En somme, bien que les exemples des livres et des écrivains ne représentent pas la
partie majeure du roman, les livres, en tant que moyen d´é chapper à la réalité extérieure,
sont omniprésents dans l´ouvrage entier.
5.4.1.2. Le rôle de la lecture dans la vie du héros
L´héroïne du roman, Emma Bovary, est la victime non seulement de se s lectures
romanesques, mais aussi de son époque et surtout de l´environnement médi ocre de la petite
bourgeoisie provinciale, où son caractère délicat ne trouve aucune com préhension ni
satisfaction. Faute de compréhension, Emma se réfugie dans le monde fictif des livres,
lequel lui offre un vaste espace pour réaliser ses rêves, de mê me que pour déchaîner son
imagination exubérante ; en revanche, les histoires, à leur tour, ont alimenté son
imagination de sorte qu´elle s´identifie avec ses personnages: « Avec Walter Scott, plus
tard, elle s´éprit de choses historiques, rêva bahuts, salle des gardes et ménestrels. Elle
aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir, comme ces châtelaines au l ong corsage,
que, sous le trèfle des ogives, passaient leurs jour, le coude sur la pierre et le menton dans
la main, à regarder venir du fond de la compagne un cavalier à plume blanche qui galope
sur un cheval noir. Elle eut dans ce temps-là le culte de Marie Stuart , et des vénérations
enthousiastes à l´endroit des femmes illustres ou infortunées. Jeanne d´Arc, Héloïse, Agnès
Sorel, la belle Ferronnière et Clémence Isaure, pour elle, se dé tachaient comme des
comètes sur l´immensité ténébreuse de l´histoire…» (Flaubert, 2001 : 87).
A ce propos, nous parlons de la fonction psychologique des livres qui est traitée par
plusieurs théoriciens littéraires, comme d´un effet soit positi f, soit négatif. En tout cas, au
XIX e siècle en France la lecture des romans a été plutôt désap prouvée. Les gens d´alors,
surtout l´Eglise, considèrent les romans romantiques en tant que nuisi bles pour les
lectrices : « Ce n´était qu´amours, amants, amantes, dames persécutées s´évanouissant
dans des pavillons solitaires, postillons qu´on tue à tous les re lais, chevaux qu´on crève à
toutes les pages, forêts sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers,
nacelles au claire de lune, rossignols dans les bosquets, messieurs braves com me des lions,
doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l´est pas, touj ours bien mis, et qui
pleurent comme des urnes. Pendant six mois, à quinze ans, Emma se g raissa donc les
mains à cette poussière des vieux cabinets de lecture. » (Flaubert, 2001 : 87).
55 Evidemment, c´était en cachette qu´Emma lisait les œuvres r omanesques au cours
de ses études au couvent : « Quelques-unes de ses camarades apportaient au couvent les
keepsakes 59 qu´elles avaient reçus en étrennes. Il les fallait cacher, c´ était une affaire ; on
les lisait au dortoir. » (Flaubert, 2001 : 88), à cause des règles strictes qui perme ttaient de
lire uniquement des livres pieux qui ont rempli la fonction éducative . Donc, les œuvres
romanesques lui ont servi d´une distraction de la vie rigoureuse, monoton e et fade chez les
religieuses. En parlant de l´église, Emme ne l´aimait que pour « les fleurs, la musique pour
les paroles des romances, et la littérature pour ses excitation s passionnelles » (Flaubert,
2001 : 90). Il s´ensuit de là que la littérature, en tant qu´excita tion passionnelle et
distraction de la vie quotidienne, joue un rôle primordial, voire fatal da ns la vie d´Emma.
Entre autre, nous voyons plus tard dans l´histoire qu´elle y trouve l´abri durant sa maladie
nerveuse et aussi lorsqu´elle ne peut plus tolérer la platitude de son mar i.
5.4.1.3. Les motivations et l´impact de la lecture sur le héros
Les motivations de la lecture d´Emma sont étroitement liées a vec le rôle que
représentent les livres pour Emma. Dans l´intention d´assouvir sa curiosité et son
imagination foisonnantes, elle lisait les romans de Walter Scott dans sa jeunesse, ainsi que
les livres qui l´ont attiré par leurs reliures ornées : « Maniant délicatement leurs belles
reliures de satin, Emma fixait ses regards éblouis sur le nom des auteurs inconnus qui
avaient signé, le plus souvent, comte ou vicomtes, au bas de leurs pièces. Elle frémissait,
en soulevant de son haleine le papier de soie des gravures, qui se le vait à demi plié et
retombait doucement contre la page. » (Flaubert, 2001 : 88) Nous pouvons d´en déduire
qu´Emma se croyait fascinée par les formes rares, de plus elle s´est estimée comme si elle
avait eu un sens artistique raffiné ce qui lui faisait penser qu ´elle appartenait à l´aristocratie
et qu´elle était une âme noble. Néanmoins ce n´était qu´une ill usion qu´elle se faisait
d´elle-même à l´instar des héroïnes des romans.
Emma recourt aux livres après la mort de sa mère, lorsque ell e a éprouvé les
sentiments de la tristesse et du chagrin et elle s´est laissée berc er par les vers mélancoliques
d´Alphonse de Lamartine en vue d´intensifier son état d´âme: « Emma fut intérieurement
satisfaite de se sentir arrivée du premier coup à ce rare idé al des existences pâles, où ne
parviennent jamais les cœurs médiocres. Elle se laissa donc glisse r dans les méandres
lamartiniens, écouta les harpes sur les lacs, tous les chants de cygnes mourant, toutes les
59 Un keepsake « doit traîner sur la table d´un salo n » ( Dictionnaire des idées reçues , éd. Cit., p. 535),
Notes : p. 476.
56 chutes de feuilles, les vierges pures qui montent au ciel, et la voix de l´Éternel discourant
dans les vallons. Elle s´en ennuya, n´en voulut point convenir, continua p ar habitude,
ensuite par vanité, et fut enfin surprise de se sentir apaisé e, et sans plus de tristesse au
cœur que de rides sur son front. » (Flaubert, 2001 : 89) Ces vers, ayant fatigué Emma, l´ont
finalement fait passer de son deuil. Par ailleurs, nous pouvons att ribuer l´effet guérissant à
la poésie romantique de Lamartine, malgré son ton doux et nostalgique.
Petit à petit, l´univers fantastique des romans envahissait l ´esprit d´Emma de telle
manière qu´elle a assigné les traits caractéristiques p our les héroïnes des romans à elle-
même et elle les a appliqués dans sa vie. Par exemple son g oût littéraire semblait se ciseler
et elle préférait les romans hors du commun : «… j´adore les histoires qui se suivent tout
d´une haleine, où l´on a peur. Je déteste les héros communs et les sentiments tempérés,
comme il y en a dans la nature. » (Flaubert, 2001 : 140). De même, elle a approuvé les
choses extravagantes dans sa vie conjugale, qui devenait après un c ertain temps fastidieuse
et intolérable: « D´ailleurs, elle ne cachait plus son mépris pour rien, ni pour personne ; et
elle se mettait quelquefois à exprimer des opinions singulière s, blâmant ce que l´on
approuvait, et approuvant des choses perverses ou immorales : ce qui faisait ouvrir de
grands yeux à son mari. » (Flaubert, 2001 : 122).
Après un tel comportement d´Emma et d´autres symptômes, son ma ri Charles, étant
médecin, a diagnostiqué une maladie nerveuse. Il lui a prescrit pl usieurs remèdes et cures,
parmi lesquels figurait l´interdiction de la lecture des romans ; il est né cessaire de noter que
cette prohibition a été proposée par sa belle mère : « Ah ! elle s´occupe ! A quoi donc ? A
lire des romans, de mauvais livres, des ouvrages qui sont contre l a religion et dans
lesquels on se moque des prêtres par des discours tirés de Voltaire . Mais tout cela va loin,
mon pauvre enfant, et quelqu´un qui n´a pas de religion finit toujours par tourner mal.
Donc, il fut résolu que l´on empêcherait Emma de lire des romans. L´ entreprise ne
semblait point facile. La bonne dame s´en chargea : elle devait quand elle passerait par
Rouen, aller en personne chez le loueur de livres et lui représe nter qu´Emma cessait ses
abonnements. N´aurait-on par le droit d´avertir la police, si le librair e persistait quand
même dans son métier d´empoisonneur ? » (Flaubert, 2001 : 190).
Voici les opinions exagérées et dérisoires de la petite bour geoisie provinciale de
l´époque. Ne trouvant aucune cause légitime au comportement étrang e d´Emma, ses
proches l´ont attribuée aux « mauvais livres prêchant contre la re ligion », puisqu´à ses yeux
ceux-ci avaient un impact négatif au point qu´ils menaient des f emmes délicates comme
Emma dans un mauvais état d´esprit et ils engendraient ainsi l es troubles psychiques. En
57 revanche, la lecture des romans a été la seule distraction pour Emma dans un milieu pareil.
Elle partageait sa vision de la lecture avec Léon, un clerc par isien qui devenait finalement
son deuxième amant : « En effet, observa le clerc, ces ouvrages ne touchant pas le cœur,
s´écartent, il me semble, du vrai but d´Art. Il est si doux, par mi les désenchantements de la
vie, de pouvoir se reporter en idée sur de nobles caractères, des affections pures et des
tableaux de bonheur. Quant à moi, vivant ici, loin du monde, c´est ma seul e distraction ;
mais Yonville offre si peu de ressources ! » (Flaubert, 2001 : 141).
Léon met en relief d´une part l´insignifiance de l´environnement d´Yonville y
compris ses habitants, d´autre part il fait allusion au « vr ai but d´Art », ainsi qu´à la qualité
des ouvrages, en d´autres mots il se met dans la position du criti que d´art, précisément
critique littéraire. Fort de cette position, il décrit la lec ture de la manière suivante : « On ne
songe à rien, continuait-il, les heures passent. On se promènent immobile dans les pays
que l´on croit voir, et votre pensée, s´enlaçant à la fiction, se joue dans les détails ou
poursuit le contour des aventures. Elle se mêle aux personnages ; il semble que c´est vous
qui palpitez sous leurs costumes. » (Flaubert, 2001: 140).
Cette citation est un des exemples illustrant le dédoublement de la lecture ; nous, en
tant que lecteurs du roman MB , nous situons devant le passage qui disserte du processus de
la lecture. Attendu que nous sommes en train de lire, analogiquement à Léon ou à Emma, il
se peut que nous « palpitions sous les costumes des personnages de l a fiction » et nous
parcourrions ce passage sans en rendre compte. Ce qui signifie que la fiction (le roman
MB ) s´est emparée de nos pensées et elle nous a fait entrer dans l´illusion romanesque.
Entre autre, c´est ainsi que Flaubert joue avec ses lecte urs : il leur tend les petits pièges
similaires à la citation ci-dessus, dans l´intention de les av ertir d´influences de la lecture
des romans, mais comme le dit Thierry Laget dans la Préface d e Madame Bovary :
« L´arsenic du suicide ne sera ainsi qu´une métaphore d´un poison plus p uissant,
qu´Emma aura absorbé depuis l´enfance, en trop grande quantité pour se mithr idatiser : le
roman. Et quand le lecteur, parvenu à la fin du livre, comprend qu´il s´es t, lui aussi, laissé
intoxiquer, il est bien tard. » (Flaubert, 2001 : 34).
5.4.1.4. Le rapport entre la fiction et la réalité
Ayant fait plusieurs remarques sur le rapport entre la ficti on et la réalité dans les
sections précédentes, nous n´allons qu´ajouter quelques citations mont rant le va-et-vient
d´Emma entre ces deux univers. Puisqu´il est évident qu´Emma s´est fait empoisonner par
la lecture excessive des romans, notre investigation se dirige vers la question subséquente :
58 Etait-Emma consciente de son intoxication par la lecture des rom ans ? Cette question
pourrait être le point de départ pour la mise en cause de la r éalité fictive, autrement dit, un
lecteur conscient de cet effet de la lecture pourrait facil ement distinguer entre la réalité
fictive et la réalité quotidienne.
Concernant Emma, elle subit pour la première fois une forte dés illusion résultant du
désaccord entre ses illusions tirées des livres et la réalit é quelque temps après son mariage :
« Avant qu´elle se mariât, elle avait cru avoir de l´amour ; mais l e bonheur qui aurait dû
résulter de cet amour n´étant pas venu, il fallait qu´elle se f ût trompée, songeait-elle. Et
Emma cherchait à savoir ce que l´on entendait au juste dans la vie p ar les mots de félicité,
de passion et d´ivresse, qui lui avaient paru si beaux dans les li vres. » (Flaubert, 2001 :
84). Emma, étant une femme ambitieuse de caractère impétueux, n´a bandonne point ses
visions de l´amour passionnel et en vue d’atteindre son dessein elle n’hésite pas à franchir
la morale publique en ayant un amant. En jouant le nouveau rôle de ma îtresse, elle se sent
comme les héroïnes des romans: « Alors elle se rappela les héroïnes des livres qu´elle
avait lus, et la légion lyrique de ces femmes adultères se m it à chanter dans sa mémoire
avec des voix de sœurs qui la charmaient. Elle devenait elle-même comme une partie
véritable de ces imaginations et réalisant la longue rêverie d e sa jeunesse, en se
considérant dans ce type d´amoureuse qu´elle avait tant envié. » (Flaubert, 2001 : 232).
Cependant ce bonheurs parfait ne dure pas éternellement et au m oment où son amant
l´abandonne, Emma tombe gravement malade ne pouvant pas supporte r une deuxième
désillusion amoureuse résultant de nouveau du désaccord entre ses rêves et la réali té.
Etant donné qu´Emma est une héroïne courageuse, elle se remet aprè s une longue
maladie pour pouvoir faire une rechute encore une troisième fois ; m ais cette fois-ci ce sera
un échec définitif. Toutefois, avant qu´elle reçoive le dernier coup de la fatalité, elle se
rend compte de la tricherie effectuée par les lectures nombr euses des romans. Cela se passe
pendant qu´elle regarde le spectacle qui lui rappelle ses le ctures de jeunesse : « Elle se
trouvait dans les lectures de sa jeunesse, en plein Walter Scott. » (Flaubert, 2001 : 302) et
en suivant l´action sur la scène, elle arrive vers cette concl usion : « Mais ce bonheur-là,
sans doute, était un mensonge imaginé pour le désespoir de tout dé sir. Elle connaissait à
présent la petitesse des passions que l´art exagérait. S´eff orçant donc d´en détourner sa
pensée, Emma voulait ne plus voir dans cette reproduction de ses douleurs qu´une
fantaisie plastique bonne à amuser les yeux… » (Flaubert, 2001 : 305). Alors, ici nous
obtenons la réponse à la question posée plus haut ; Emma s´aperçoi t de l´effet mensonger
de l´art, y compris des romans, mais malgré cette prise de conscience il est trop tard pour
59 Emma, faute des crimes commis auparavant. Ce n´est pas qu´ell e veuille avoir un
deuxième amant, mais le désir insatiable d´accomplir son rêv e d´un amour fatal, tant exalté
dans les romans, la mène vers un nouvel adultère avec le clerc Léon.
Par ailleurs, il n´est pas surprenant que la « flamme de l´a mour » envers Léon
s´éteint progressivement après quelques moins et Emma y retr ouve la monotonie et la
fadeur du mariage, puisqu´aucun homme sur la terre ne correspond à un hé ros magique
figurant dans les romans : « Mais, en écrivant (la lettre à Léon), elle percevait un autre
homme, un fantôme fait de ses plus ardents souvenirs, de ses lecture s les plus belles, de ses
convoitises les plus fortes ; et il devenait à la fin si vérit able, et accessible, qu´elle en
palpitait émerveillée, sans pouvoir néanmoins le nettement ima giner, tant il se perdait,
comme un dieu, sous l´abondance de ses attributs. Il habitait la contrée ble uâtre où les
échelles de soie se balancent à des balcons, sous le souffle des fleurs, dans la clarté de la
lune. Elle le sentait près d´elle, il allait venir et l´enlèv erait tout entière dans un baiser.
Ensuite elle retombait à plat, brisée ; car ces élans d´amour va gue la fatiguaient plus que
de grandes débauches. » (Flaubert, 2001 : 380). Ses illusions d´un amour parfait restent au
niveau des illusions, la réalité qui l´entoure devient intenable ; ens uite elle ruine toute la
fortune de son mari, et au surplus, elle se fait rejeter par s es deux amants ; du coup il ne lui
reste plus rien à faire qu´ à se jeter dans les bras d´un c hevalier noir en avalant la potion
toute-puissante de l´arsenic. En termes métaphoriques, Emma a ré ussi finalement à
échapper à la réalité existentielle, de même qu´à la fiction mensongère par le suicide.
5.4.2. A Rebours
En écrivant le roman Á Rebours (1884), Joris-Karl Huysmans avait l´intention
d´étonner une dizaine de lecteurs auxquels il s´adressait. Nous appre nons cette information
de sa lettre adressée à Stéphane Mallarmé en novembre 1882 : « Je suis pour l´instant
plongé jusqu´au col dans ma terrible nouvelle qui me donne un terrible m al et de
recherches et surtout de vocables un peu rares. Comme consolation ça sera compris par
dix personnes et ça fera un four égal à celui des « Cropuis parisiens », ce qui est un
summum dans le genre ! […] il est vrai que, plus que la poésie peut-êt re, le poème en prose
terrifie les Homais qui composent la majeure partie du public» 60 .
Il est clair que Huysmans était bien conscient de la comple xité, voire de l´absurdité
de sa « terrible nouvelle », du coup son but était : première ment, exprimer
60 La correspondance entre Huysmans et Mallarmé, au m oment d´ Á Rebours , est reproduite par Rolland de
Renéville dans Univers de la parole, Gallimard, 194 4, p. 40-49. Huysmans, 2004 : 310.
60 l´empoisonnement d´un individu par la société de la fin du XIX e siècle, dite décadente, et
deuxièmement, bouleverser les valeurs communes majoritaires. Auj ourd´hui nous pouvons
constater qu´il a réussi brillamment son dessein puisque la pu blication d´ AR a causé un
scandale dans la société d´alors ainsi que dans les milieux arti stiques. Cependant petit à
petit, le nombre prévu de lecteurs a multiplié par milliers. De pl us, le roman est devenu une
source pour les auteurs modernistes et les auteurs d´avant-garde ; par exemple le fameux
Oscar Wilde l´a inclus dans son chef-d´œuvre Portrait de Dorian Gray où il lui présente de
louanges suivantes : « Il s’y trouvait des métaphores aussi monstrueuses que des orc hidées
et aussi subtiles de couleurs. La vie des sens y était décrite dans des termes de philosophie
mystique. On ne savait plus par instants si on lisait les extase s spirituelles d’un saint du
moyen âge ou les confessions morbides d’un pécheur moderne. C’é tait un livre
empoisonné. De lourdes vapeurs d’encens se dégageaient de ses page s, obscurcissant le
cerveau. La simple cadence des phrases, l’étrange monotonie de le ur musique toute pleine
de refrains compliqués et de mouvements savamment répétés, év oquaient dans l’esprit du
jeune homme, à mesure que les chapitres se succédaient, une sorte de rêverie, un songe
maladif, le rendant inconscient de la chute du jour et de l’envahissement des ombres. »61 .
En ce qui concerne l´action du roman, le titre même explicite sa nature de sorte que
tout y est à rebours, au contre-pied, en sens inverse : effective ment ce n ´est pas un roman
mais un antiroman sans action, sans intrigues, avec peu de personnages . Des Esseintes, un
jeune aristocrate français, est un antihéros inversant sa vie, au sens littéral du mot, à
l´intérieur de son être, afin d´y créer un monde artificiel qui sa tisferait son âme noble, son
esprit pompeux, ses goûts hideux, mais raffinés et aussi ses r acines aristocratiques. En vue
d´atteindre son projet il se réfugie dans la résidence de Fonte nay-aux-Roses, loin de toute
civilisation corrompue et nuisible. Quoique le roman AR soit assez particulier, le conflit
demeure caractéristique pour un roman, en tant que genre littéraire: la révolte d´un individu
contre la société de son temps : « Enfin, depuis son départ de Paris, il s´éloignait, de plus
en plus, de la réalité et surtout du monde qu´il tenait en une croissante horreur ; cette
haine avait forcément agi sur ses goûts littéraires et artistique s, et il se détournait le plus
possible des tableaux et des livres dont les sujets délimités se reléguaient dans la vie
moderne. » (Huysmans, 2004 : 209). Nous apercevons que l´éloignement de DE se
manifeste non seulement au niveau de la vie sociale, mais aussi a u niveau artistique,
particulièrement dans le domaine de la littérature, ce qui est notre intér êt primordial.
61 Wilde, 1891 : 172.
61 Réfugié à la campagne dans la solitude et dans un isolement pa rfait, DE s´entoure
de diverses œuvres d´art dans l´intension de façonner son esprit et ses pensées d´une
manière pure et noble. Il se construit lui-même comme une œuvre d´art en lisant les livres
latins et décadents, en reniflant des parfums stimulants, en culti vant les plantes exotiques,
en collectionnant les pierres précieuses, en écoutant de la musique classique, en
contemplant les tableaux subtils et en meublant sa maison f astueusement. De tous les arts,
le plus cher pour DE est la littérature, du reste l´auteur y dédie cinq chapitres les plus longs
du livre. De ce point de vue le roman AR est une grande intersection d´intertextualité. Le
texte est comblé de références sur les livres de la litté rature française, anglaise, américaine,
hollandaise, allemande et surtout sur la littérature latine peu c onnue, même par un public
érudit. Résultat : le roman est difficile à lire et à compre ndre, d´ailleurs ce fait a été
envisagé par Huysmans et nous l´avons déjà évoqué ci-dessus. Par l a suite, le Lecteur
Modèle de ce roman est plutôt un spécialiste en lettres ou « une âme noble » dotée u´une
culture d´exception et lassée de la fiction populaire à l´instar du héros DE.
Avant de commencer l´analyse concernant la Métalecture, nous préc isons que le
roman AR est un échantillon adéquat pour notre analyse sur l´influence des l ivres sur les
héros des romans grâce à la dense intertextualité et égaleme nt grâce au projet de DE de se
laisser absorber par la lecture.
5.4.2.1. L´intertextualité
Nous venons de qualifier le roman AR en tant que une intersections d´intertextualité
et maintenant nous allons l´explorer de plus près en énumérant les livres auxquels le roman
fait référence. Nous mettons en relief que l´énumération n´est pas complète faute d´un
grand nombre des ouvrages indiqués dans le roman ; de telle sorte nous regroupons les
livres selon les écoles et les époques littéraires :
Littérature latine : antiquité – Virgile, Macrobe – le chant l´ Énéide ,
Ie et II e siècle : Lucain – La Pharsale , Pétrone – roman réaliste Satyricon , Tertullien – De
cultu feminarum, Apologétique, Traité de la patience ,
II e siècle : les poètes chrétiens : Commodien de Gaza – Carmen apologeticum , Ausone –
Centon Nuptial et poème La Moselle ,
IV e siècle : le poète Claudien
Ve siècle : St. Augustin – Confession et Cité de Dieu , Prudence – Psychomachia , Marius
Victor – Perversité de mœurs,
VI e siècle – Fortuna – Vexilla regis , Boece,
62 VII e siècle – chroniqueurs : Frédégaire, Paul Diacre, Bède le Vénérable,
XI e siècle – les chroniques de l´anonyme de saint Gall, de Fréculfe , de Réginon, poète
Abbo le Courbé, Ermold le Noir, Macer Floridus – le poème « De viribus her barum ».
Archélaus, Albert le Grand, Lulle, Arnaud de Villanova, – siècle ??
Littérature française : XVI e siècle – Francois Villon, Rabelais,
XVII e siècle – Molière , Bourdaloue, Bossuet, Nicole, Pascal,
XVIII e – Voltaire, Diderot, Rousseau, Sade,
XIX e siècle – Anne Sophie Swetchine, Mme Augustus Craven – Le Récit d´une sœur ,
Eugénie de Guérin – Journal, Lettres , Henri Lacordaire – Conférences de Notre-Dame ,
Ernest Hello – L´Homme, Paroles de Dieu , Le Jour du Seigneur, Visions, Barbey
d´Aurevilly – Le Prêtre marié , Les Diaboliques , Stendhal, Villiers de L´Isle-Adam – Revue
des lettres et des arts, Claire Lenoir, Isis, Gustav Flaubert – La Tentation de saint Antoine,
Salammbô , Charles Baudelaire – les poèmes « L´Irréparable », « Le Balcon », Hugo,
Balzac – La Comédie Humaine , de Goncourt – La Faustin , Zola – La Faute de l´abbé
Mouret , Paul Verlaine – Poèmes saturniens, La Bonne Chanson, Romances sans paroles,
Fêtes galantes dont quelques vers sont cités dans le roman, Tristan Corbière – Les Amours
jaunes, Poèmes parisiens , Stéphane Mallarmé – le poèmes « Les Fenêtres »,
« L´Épilogue », « Azur », « l´Hérodiade » dont la première strophe est citée et ensuite
commentée par DE, ainsi que quelques vers de « L´Après-midi de la faune ».
Littérature allemande : XVIII e/XIX e siècle – les ouvrages philosophiques d´Arthur
Schopenhauer – L´Imitation de Notre-Seigneur .
Littérature anglaise : XIX e siècle : Charles Dickens – Bleak House ,
Littérature américaine : Alan Edgar Poe – La barrique d´amontillado, Le Démon de la
Perversité.
Littérature hollandaise : Teniers, Steen, Rembrandt, Van Ostade.
En somme, le texte est parcouru par trois types d´intertextua lité : le première type
nomme simplement les écrivains et leurs œuvres, le deuxièm e expose le résumé de
l´histoire des œuvres avec les commentaires critiques de DE et le troisième cite exactement
les œuvres et dans ce cas il s´agit principalement des poèmes.
En parcourant la liste des lectures de DE, nous repérons en premi ère vue qu´il lisait
tous les genres littéraires, pourtant son genre le plus préféré était le poème en prose. Celui-
ci est une sorte de roman condensé en quelques lignes exprimant l´idée essentielle en
employant « l´adjectif posé d´une si ingénieuse et d´une si définitive faç on qu´il ne
pourrait être légalement dépossédé de sa place, ouvrirait de tel les perspectives que le
63 lecteur pourrait rêver, pendant des semaine entières, sur son sens , tout à la fois précis et
multiple, constaterait le présent, reconstruirait le passé, devinerait l´avenir d´âmes des
personnages, révélés par les lueurs de cette épithète unique. » (Huysmans, 2004 : 227).
Nous verrons plus tard que la préférence de la forme littérair e chez DE est étroitement liée
à la préférence des écrivains comme Baudelaire, Verlaine et Mallarmé qui ont maîtrisé
parfaitement les poèmes en prose.
5.4.2.2. Le rôle de la lecture dans la vie du héros
Une fois les livres lus par DE répertoriés, nous pouvons procéder à l´étude de leurs
rôle dans sa vie. Nous apprenons déjà dans la notice que le jeune DE passe ses journées à
feuilleter dans les livres ou à se promener à la campagne. Pendant ses études chez les
Jésuites il trouve un énorme plaisir dans les études du latin et du français, or il ignore
d´autres matières scolaires. Après avoir achevé ses études et après avoir goûté
suffisamment aux réjouissances de la vie débauchée, il cherche l e réconfort pour son âme
sublime auprès des hommes des lettres, néanmoins ils le fat iguent et agacent davantage
par : « leurs jugements rancuniers et mesquins, par leurs conversations au ssi banales
qu´une porte d´église, par leurs dégoûtantes discussions, jaugeant la valeur d´une œuvre
selon le nombre des éditions et le bénéfice de la vente. » (Huysmans, 2004 : 45). Le critère
d´après lequel on établit la valeur des œuvres littéraires e st mise en question dans cette
citation, concrètement la valeur économique des livres, selon laquelle certains littéraires
jaugent les livres, ce qui est naturellement critiqué par DE. Aut rement dit l´esthétique de la
réception de l´œuvre littéraire est abordée ici, en tant que sujet principal de tout le roman et
en même temps en tant qu´une des préoccupations principales de DE. Dans cette optique,
DE jouet le rôle du critique littéraire. De sa part, il jaug e les œuvres d´art de cette façon :
« En art, ses idées étaient pourtant parties d´un point de vue simpl e ; pour lui, les écoles
n´existaient point : seul le tempérament de l´écrivain importait … Il voulait, en somme, une
œuvre d´art et pour ce qu´elle était par elle-même et pour ce qu´elle pouvait permettre de
lui prêter ; il voulait aller avec elle, grâce à elle, comme soutenu par un adjuvant, comme
porté par un véhicule, dans une sphère où les sensations sublimées l ui imprimeraient une
commotion inattendue et dont il chercherait longtemps et même vaineme nt à analyser les
causes. » (Huysmans, 2004 : 208).
Voilà une conception de l´art qui implique tout l´ensemble des théor ies de la
critique littéraire du XX e siècle : la réfutation des écoles artistiques, aussi bien que la
réfutation de toutes les causes et les influences extérieures au livre. Simultanément, ce sont
64 des principes essentiels de la Nouvelle Critique qui s´opposent a u causalisme, à
l´objectivisme et au scientisme de la critique positiviste du XIX e siècle et qui soulignent
l´importance du lecteur et de l´œuvre même dans la réception du texte littéraire.
Subséquemment la formule « Il voulait une œuvre d´art et pour ce qu´elle était par elle-
même et pour ce qu´elle pouvait permettre de lui prêter ; » suggère l´autotélie de l´œuvre,
c´est-à-dire que le texte fonctionne comme une unité autonome et devie nt le centre
d´intérêt de la critique littéraire dans la deuxième moitié du XX e et au XXI e siècle.
Pour continuer, DE déclare qu´il voudrait une œuvre d´art qui l´emporte rait « dans
une sphère où les sensations sublimées lui imprimeraient une commotion inattendue ». Par
hasard, ne cherche-t-il pas l´effet de la rupture dans son a ttente de lecteur dont parle,
presque une centaine d´années plus tard, Hans Robert Jauss dans s on esthétique de la
réception : « La théorie esthétique de notre temps, qu'elle soit d'inspiration bour geoise ou
(néo)marxiste, mes propres travaux compris, a mis l'accent presque exclusivement sur la
fonction de rupture, en raison de son intérêt prédominant pour le rôle ém ancipateur de
l'art.» 62 .
En somme, DE souhaite de prendre plaisir d´une œuvre de façon simi laire à celle
que retrace Roland Barthes dans ses écrits : se faire entière ment avaler par un livre sans
pouvoir ni vouloir le contrôler, en absence de toute compréhension « obje ctive » ; glisser
dans le royaume de la fiction et y partager le plaisir du te xte avec l´écrivain qui l´avait
créée.
Les écrivains de génie capables de créer cet effet étaie nt peu nombreux et DE
compte parmi eux Charles Baudelaire : « Son admiration pour cet écrivain était sans
borne. Selon lui, en littérature, on s´était jusqu´alors borné à explorer les superficies de
l´âme ou à pénétrer dans ses souterrains accessibles et éclairé s, relevant, çà et là…
Baudelaire était allé plus loin ; il était descendu jusqu´au fond de l´ inépuisable mine,
s´était engagé à travers des galeries abandonnées ou inconnues, avait abouti à ces
districts de l´âme où se ramifient les végétations monstrueuse s de la pensée. » (Huysmans,
2004 : 174). Ensuite, un autre écrivain possédant cette qualité était A lan Edgar Poe. Entre
parenthèses, il est bien notoire qu´il a exercé une influence c onsidérable sur Baudelaire qui
traduisait ses œuvres en français. Poe était aperçu par DE c omme « …un maître de
l´Induction… Si Baudelaire avait déchiffré dans les hiéroglyphes de l´ âme le retour d´âge
des sentiments et des idées, lui avait (Poe) , dans la voie de la psychologie morbide, plus
62 Jauss, 1978 : 261.
65 particulièrement scruté de domaine de la volonté. » (Huysmans, 2004 : 219). Ces deux
grands maîtres, ensemble avec Emile Zola, Gustave Flaubert e t les frères Goncourt étaient
les écrivains modernes les plus admirés par DE et avec la l ittérature latine ; le palmarès des
meilleurs écrivains était occupé par : Pétrone, Tertullien, Lucain e t beaucoup d´autres.
Les livres en tant qu´objets matériaux ont occupé également une place importante
dans l´ameublement pompeux de la maison. DE était en possessi on d´une grande
bibliothèque qui contenait surtout des livres rarissimes rangés chronol ogiquement dans les
étagères. Les ouvrages les plus nombreux ont représenté celles de la dé cadence latine au V e
siècle, ensuite de la décadence française à la fin du XIX e siècle et après quelques livres
anglais, américains, allemands et autres. DE soignait ses tré sors en papier avec une
pertinence: « Mais ses volumes le préoccupèrent principale ment. Il les examina, les rangea
à nouveau sur les rayons, vérifiant si, depuis son arrivée à Fontenay , les chaleurs et les
pluies n´avaient point endommagé leurs reliures et piqué leurs papiers rares. » (Huysmans,
2004 : 172). De ce qui vient d´être évoqué résulte que la forme des livre s a compté
énormément pour DE. En quête de l´originalité et de la rareté, i l s´est fait fabriquer les
volumes sur la commande spéciale : concernant la forme des grap hèmes : « les sveltes et
purs caractères qui convenaient aux réimpressions archaïques des vieu x bouquins… », la
qualité du papier : « les papiers à poils, les papiers reps, les papiers à chande lle
perfectionné, bleuté, sonore, un peu cassant, dans la pâte duquel les f étus étaient
remplacés par des paillettes d´or… » et aussi le format de la reliure : « reliures en soie
antique, en peau de bœuf estampée, en peau de bouc du Cap, des reliur es pleines, à
compartiments et à mosaïques… » (Huysmans, 2004 : 173).
DE sacrifiait aux livres tant d´argent, d´énergie et de tem ps; il les chérissait comme
ses propres enfants. Effectivement, ils étaient les seuls amis dans sa vie solitaire et
c´étaient eux qui l´ont accueilli aimablement à la maison apr ès son court séjour à Paris :
« Durant les jours qui suivirent son retour, des Esseintes considéra s es livres, et à la
pensée qu´il aurait pu se séparer d´eux pendant longtemps, il g oûta une satisfaction aussi
effective que celle dont il eût joui s´il les avait retrouvés, après une sérieuse absence. »
(Huysmans, 2004 : 172). Bref, les livres ont joué un rôle essentiel dans la vie de DE. Au
surplus, il les a élevés au niveau des compagnons, des amis, voire des amants.
En général, les livres, ainsi que d´autres formes d´art ont cr éé un parfait univers
personnel de DE qui le séparait de toute la civilisation humaine . Ce fait nous rappelle le
point de vue excessif de John Ruskin sur l´importance prépondérante d es livres dans la vie
des êtres humains, discutée dans le chapitre 4.1. La réfutation contre du dogme de Ruskin a
66 été soulevée par Marcel Proust dans son livre Sur la lecture où il reproche aux hommes à
l´instar de DE d´avoir attribué aux livres le rôle le plus i mportant dans la vie spirituelle des
êtres humains. Proust parle également des effets indésirables d´un comportement pareil, ce
qui peut être convenablement illustré sur le cas de DE, pour le quel l´art était la seule
priorité dans la vie. Par contre, l´esprit de DE se révolte pr ogressivement contre l´excès de
l´artifice de sorte qu´il renonce à recevoir un quelconque stimulus littéraire : « Il était
maintenant incapable de comprendre un mot aux volumes qu´il consultait ; ses yeux mêmes
ne lisaient plus ; il lui sembla que son esprit saturé de littér ature et d´art se refusait à en
absorber davantage. Il vivait sur lui-même, se nourrissant de sa pro pre substance, pareil à
ces bêtes engourdies, tapies dans un trou, pendant l´hiver ; la sol itude avait agi sur son
cerveau, de même qu´un narcotique. » (Huysmans, 2004 : 110).
En dépit de cette prise de conscience, DE ne change point ses hab itudes, du fait
qu´il ne trouve personne avec qui il partagerait le même mode de vie et les opinions
semblables. Peu à peu, son état de santé s´aggrave jusqu´à ce que la névrose le mène vers
les hallucinations chimériques et jusqu´à que DE ne soit plus capab le de manger, ni de
boire, ni de bouger de son lit. Le seul remède prescrit par pl usieurs spécialistes est le
déménagement à Paris ; c´est-à-dire la vie commune parmi les autres gens : « Le médecin
assura simplement que ce changement radical d´existence qu´il exig eait était, à ses yeux,
une question de vie ou de mort, une question de santé ou de folie compliquée à brève
échéance de tubercules. » (Huysmans, 2004 : 240). Le dénouement du roman AR illustre
les conséquences possibles du dogmatisme littéraire dont parle Proust.
5.4.2.3. Les motivations et l´impact de la lecture sur le héros
Quant aux motivations de la lecture chez DE, elles varient selon l a disposition
psychique dans il se trouve. Réciproquement les genres littérair es et la quantité de la
lecture dépendent de son humeur. De telle manière il lisait les hagiographes de la vie des
saints quand il s´ennuyait. Au moment du spleen il choisissait les romans de Charles
Dickens pour se divertir : « Afin de changer le cours de ses idées, il essaya des lectures
émollientes, tenta, en vue de se réfrigérer le cerveau, des solanées de l´art, lut ces livres si
charmants pour les convalescents et les mal-à-l’aise que des œuvres plus tétaniques ou
plus riches en phosphates fatigueraient, les romans de Dickens. » (Huysmans, 2004 : 136).
Cependant ces romans ont produit un effet différent de celui qu´att endait DE, ils
l´agitaient et ils réanimaient en lui les souvenirs anciens : « La lecture de Dickens qu´il
67 avait naguère consommée pour s´apaiser les nerfs et qui n´avait pr oduit que des effets
contraires aux effets hygiéniques qu´il espérait. » (Huysmans, 2004 : 160).
DE se sert de la lecture comme de la contraception contre son p assé ; or, par l´abus
de cette méthode, il fait naître davantage la conscience abominab le de son existence
absurde : « Le tas confus des lectures, des méditations artistique, qu´il av ait accumulées
depuis son isolement, ainsi qu´un barrage pour arrêter le courant des anc iens souvenirs,
avait été brusquement emporté, et le flot s´ébranlait, culbutant le présent, l´avenir, noyant
tout sous la nappe du passé, emplissant son esprit d´une immense étendue de tristesse sur
laquelle nageaient, semblables à de ridicules épaves, des épisodes s ans intérêt de son
existence, des riens absurdes. » (Huysmans, 2004 : 110).
Les ouvrages latins tant aimés par DE produisaient l´impact semblable:
« Enveloppé dans une atmosphère de couvent, dans un parfum d´encens qui l ui prisaient la
tête, il s´était exalté les nerfs et par une association d´idée s, ces livres avaient fini par
refouler les souvenirs de sa vie de jeune homme, par remettre en lumière ceux de sa
jeunesse, chez les Pères . » (Huysmans, 2004 : 111). Cherchant inutilement le soulagement
en littérature catholique, DE s´est orienté vers les lectures philosophiques ; notamment
celles d´Arthur Schopenhauer ont partiellement guéri son espri t agité par les souvenirs de
sa jeunesse et par l´existence déchirante. Selon DE Schopenhau er, en comparaison avec les
écrivains catholiques, ne promettait pas les miraculeux remède s spirituels : « Il ne
prétendait rien guérir, n´offrant aux malades aucune compensation, aucun es poir ; mais sa
théorie du Pessimisme était, en somme, la grande consolatrice des intelligences choisies,
des âmes élevées ; elle révélait la société telle qu´elle est… Ces réflexions soulageaient des
Esseintes d´un lourd poids ; les aphorismes du grand Allemand apaisaient le frisson de ses
pensées et cependant, les points de contact de ces deux doctrines les aidaient à se rappeler
mutuellement à la mémoire, et il ne pouvait oublier ce catholicisme si poétique, si
poignant, dans lequel il avait baigné et dont il avait jadis absorbé l´es sence par tous les
pores. » (Huysmans, 2004 : 118).
En raison de protéger sa santé fragile et détendre se nerfs, DE a décidé de renoncer
provisoirement à la lecture puisque : « Ne pouvant plus s´enivrer à nouveau des magies du
style, s´énerver sur le délicieux sortilège de l´épithète rare qui, tout en demeurant précise,
ouvre cependant à l´imagination des initiés, des au-delà sans fin. » (Huysmans, 2004 :
120) et il tourne son intérêt vers la floriculture. Cependant cette diète littéraire n´a pas duré
longtemps, puisque à mesure que la maladie nerveuse endommageait la santé de DE, il
s´est mis de nouveau à lire, cherchant le soulagement auprès de ses auteurs préférés :
68 Baudelaire : « Il avait autrefois aimé à se bercer d´accords en parfumerie ; i l usait d´effets
analogues à ceux des poètes, employait, en quelque sorte, l´admirabl e ordonnance de
certaines pièces de Baudelaire, telles que « L´Irréparable » et « Le Balcon », où le dernier
des cinq vers qui composent la strophe est l´écho du premier et revient, ain si qu´un refrain,
noyer l´âme dans des infinis de mélancolie et de langueur. » (Huysmans, 2004 : 150),
Rimbaud, Poe, Mallarmé et autres.
Pour le reste, nous pouvons constater que les livres ont ramené à DE, d´un côté
l´effet de la joie, de la distraction et du bonheur ; et d´autre côté les moments de la
désillusion, de la colère et de la peine spirituelle, ce qui avai t inévitablement un impact sur
sa maladie nerveuse.
5.4.2.4. Le rapport entre la fiction et la réalité
Le roman AR est rempli de nombreuses allusions implicites ainsi qu´expli cites au
rapport entre le monde fictif de la littérature et la réali té objective. Au premier lieu, il est
essentiel de mettre en relief le fait que DE est bien conscient d´eff et irréel de l´art et surtout
des livres. D´ailleurs il décide de vivre dans le monde fictif p uisqu´il s´y sent plus à l´aise
que dans la réalité de tous les jours : « Le mouvement lui paraissait d´ailleurs inutile et
l´imagination lui semblait pouvoir aisément suppléer à la vulgaire r éalité des faits. »
(Huysmans, 2004 : 58). Toutefois, il hésite au cours de tout le roma n entre les deux
mondes : artificiel et réel. Certes, il s´incline la plupa rt du temps vers les paradis artificiels
inventés par les écrivains, étant donné que la réalité de son époque est insoutenable pour
les personnages talentueux et sublimes comme DE : « En effet, lorsque l´époque où un
homme de talent est obligé de vivre, est plate et bête, l´arti ste est, à son insu même, hanté
par la nostalgie d´un autre siècle. Ne pouvant s´harmoniser qu´à de rares intervalles avec
le milieu où il évolue ; ne découvrant plus dans l´examen de ce mil ieu et des créatures qui
le subissent, des jouissances d´observation et d´analyse suffisantes à le distraire, il sent
sourdre et éclore en lui de particuliers phénomènes. De confus d ésirs de migration se
lèvent qui se débrouillent dans la réflexion et dans l´étude. Les in stincts, les sensations, les
penchants légués par l´hérédité se réveillent, se déterminent, s´imposent avec une
impérieuse assurance. Il se rappelle des souvenirs d´êtres e t de choses qu´il n´a pas
personnellement connus, et il vient un moment où il s´évade violemm ent du pénitencier de
son siècle et rôde, et toute liberté, dans une autre époque avec laque lle, par une dernière
illusion, il lui semble qu´il eût été mieux en accord. Chez le s uns, c´est un retour aux âges
consommés, aux civilisations disparues, aux temps morts ; chez l es autres, c´est un
69 élancement vers le fantastique et vers le rêve, c´est une vi sion plus ou moins intense d´un
temps à éclore dont l´image reproduit, sans qu´il le sache, par un e ffet d´atavisme, celle
des époques révolues. » (Huysmans, 2004 : 209).
Vu que DE se trouve dans la situation d´esprit analogue des ar tistes décrits dans
cette citation, il s´évade dans le passé lointain, ce qui explique son intérêt pour la littérature
latine et en général son penchant vers l´univers artistique dans le quel il pénètre à l´aide de
la lecture. DE, en tant que lecteur, s´évade de la vie commune qui l ui paraît « plate et
bête » et il s´identifie avec les écrivains au travers de leurs ouvrages. Cependant seulement
certains écrivains réussissent à satisfaire l´esprit sub lime de DE et leurs noms ont été cité
auparavant. En même temps la citation introduite ci-dessus conti ent l´idée principale du
mouvement littéraire dit Décadence. Les auteurs décadents part ageaient un trait qui porte
sur la réalité quotidienne qui était insignifiante, banale, plate, voire vulgaire à leurs yeux.
Par conséquent, ils se réfugiaient vers la réalité artificie lle qui surgissait de leurs travaux
artistiques. Du côté des lecteurs, ils s´y insinuaient, soit volontai rement soit
involontairement, par la lecture. Par rapport à DE, il s´est transmis à la réalité fictive
intentionnellement.
Bien évidement, le désaccord entre la fiction et la réalité es t notoire depuis des
siècles. Certains courants littéraires essaient ou plutôt pr étendent imiter la réalité
existentielle. Certes, ils atteignent dés fois leur but en im plantant une « illusion
référentielle » (le concept de Michael Riffaterre 63 ) dans les pensées de leurs lecteurs à
l´exemple de Emma Bovary. Pourtant si les lecteurs pareill es entreprennent la quête pour
vérifier les illusions acquises dans les livres, ils arriverons très probablement vers la même
conclusion comme DE : « Dans sa vie sédentaire, deux pays l´avaient seulement attiré, la
Hollande et l´Angleterre. Il avait exaucé le premier de ses s ouhaits : n´y tenant plus, un
beau jour, il avait quitté Paris et visité les villes des Pay s-Bas, une à une. Somme toute, il
était résulté de cruelle désillusions de ce voyage. Il s´ét ait figuré une Hollande, d´après les
œuvres de Teniers et de Steen, de Rembrandt et d´Ostade, se façonnant d´avance, à son
usage, d´incomparables juiveries aussi dorées que des cuirs de Cor doue par le soleil ;
s´imaginait de prodigieuses kermesses, de continuelles ribotes dans les compagnes ;
s´attendant à cette bonhomie patriarcale, à cette joviale débouche cé lébrée par les vieux
maîtres. … en résumé, il devait le reconnaître, l´école hollandaise du Louvre l´avait
égaré ; elle avait simplement servi de tremplin à ses rêve s ; il s´était élancé, avait bondi
63 Voir le chapitre 3.3. La littérature et la réalité .
70 sur une fausse piste et erré dans des visions inégalables, ne déc ouvrant nullement sur la
terre ce pays magique et réel qu´il espérait…» (Huysmans, 2004 : 169) .
Voici nous devant un passage qui exprime pertinemment la triche rie de la fiction.
Incontestablement, il n´est pas toujours possible de compare r la fiction avec la réalité
comme l´a fait DE, néanmoins il y a juste une partie des œuvr es littéraires qui prétendent
d´imiter la réalité existentielle, les autres créent les univers littéraires autonomes et
indépendants, ce qui signifie nettement l´impossibilité de la vérific ation et de comparaisons
des deux réalités. En généralisant le désenchantement de DE, nous p ouvons déduire
l´incapacité de la littérature d´imiter la réalité et par conséquent nous nous penchons ainsi
sur le côté des courants anti-mimétiques dans la théorie litté raire. Ce qui importe à l´égard
du lecteur et ce que nous accentuons davantage, est le fait que le le cteur se rend compte, à
la base de son expérience personnelle comme DE, que la fiction ne correspond pas
exactement à la réalité de tous les jours. Après la pri se en conscience ce principe, ce n´est
que le choix personnel du lecteur s´il préfère de vivre dans les paradis artificiels des livres
au lieu de rôder sur la surface terrestre.
5. 5. Discussion des résultats
Nous poursuivrons maintenant en résumant les résultats obtenus de l´a nalyse
effectuée dans les sous-chapitres précédents. Premièrement, nous mettons en évidence que
MB et AR sont les romans qui ont enclenché de nombreux scandales quand ils étaie nt
publiés, vu qu´ils ont brisé l´attente de public du l´époque. Ces effets étaient pourtant
prévus par les auteurs dont l´intention était de bouleverser les va leurs communes et la
morale publique. Quant aux Lecteurs Modèles, le roman MB appartient aux classiques
donc il prévoit un public vaste et hétérogène ; inversement, AR exige même aujourd´hui un
Lecteur Modèle de luxe, passionné pour la beauté artificielle, qui est prêt à s´élever au de-
là de la morale commune.
En dépit des Lecteurs Modèles différents, les deux romans illust rent d´une manière
similaire le rôle de la lecture dans les vies des personnages principaux et simultanément il
nous dévoilent implicitement la réponse à la question posée au début de la partie pratique:
Pourquoi lisent les héros-lecteurs ? Bien évidemment, il existe p lusieurs motivations de la
lecture chez Emma Bovary ainsi que chez Des Esseintes, néanmoins les deux sont conduits
vers la lecture essentiellement par le désir d´échapper à la réalité et par la volonté de vivre
dans les paradis fictifs créés par les livres. De telle sorte, ils se laissent absorber par la
lecture dans l´univers de la fiction, jusqu´à n’être plus capable s de distinguer entre la
71 réalité fictionnelle et leur réalité existentielle. Subsé quemment, ce désaccord figure comme
l´un des déclencheurs des troubles psychiques (névrose) chez DE et chez EB. Après, les
deux héros partagent plusieurs traits des lecteurs ardents : ils passent la majorité de leur
temps à lire dans le but de se séparer des autres êtres humains et c´est exactement dans
l´atmosphère intime de la lecture où ils trouvent le refuge pour leurs âm es délicates.
DE et EB, étant des personnalités assez singulières pour leur environnement et pour
leur époque, endurent davantage l’insignifiance et incompréhension de la société. A cet
instant nous rappelons qu´il s´agit d´un conflit typique pour un roman ; le conflit entre
l´individu et la société. Le dénouement de ce conflit est atteint à l´aide de la lecture qui est
comprise en tant que traitement, sauf que le traitement devient l ui-même un poison ou une
drogue par l´application abusive. En d´autres termes, il s´ag it d´une addiction à la lecture.
C´est ainsi qu´EB se fait empoisonner allégoriquement, aussi b ien que littéralement par la
lecture excessive des romans et DE se laisse tellement i ntoxiquer par la lecture perpétuelle
qu´il failli de mourir.
En ce qui concerne l´approche différente à l’égard de la lecture de DE et d´EB, il
est indispensable d´indiquer que DE exploite intentionnellement la lecture en vue de se
séparer de la société et en vue de s´éloigner de la réalité vulgaire qui l´entoure ; tandis
qu´EB est la victime de nombreuses lectures des romans qui l´él oignaient progressivement
de sa réalité actuelle. Il est vrai qu´elle s’en rend compte , pourtant les conséquences de ses
conduites inspirées des illusions romanesques sont si destructrices qu´elle ne trouve d´autre
solution que de se suicider. A l´encontre de ce dénouement tragique, D E se sauve d´effet
nuisibles des lectures abusives par le départ de la réalité fictive vers la vie réelle à Paris.
Quant aux fonctions de la littérature dans les vies de DE et d´ EM, la fonction
principale représente la distraction de la réalité consultée ci-dessus et dans se cas nous
observons que la lecture remplit la fonction psychologique ou thérape utique. En d´autres
mots, la littérature est traitée en tant que remède pour leur s âmes brisées ; ensuite elle sert
d´un passe-temps et finalement la fonction « moralisant » e t « bienfaisant » de la littérature
catholique est mise en valeur. Chez DE nous découvrons aussi la fonction é ducative et
économique. Enfin, il ne faut pas oublier de repérer la fonction est hétique qui est incluse
dans les deux romans ; entre autre, DE est un critique littérair e et EB exprime pareillement
ses opinions sur la qualité des romans, pourtant ses opinions sont pl utôt des jugements des
personnages des romans qu´elle avait lu.
Pour conclure cette section-là, il nous reste encore à classer EB et DE aux types de
lecteurs que nous avons présentés dans la partie théorique. EB porte simultanément les
72 caractéristiques du « lecteur d´évasion » et du « lecteur na ïf ». Tout d´abord, elle est naïve
du fait qu´elle croit aux histoires racontées dans les romans, p uis elle essaie de les
appliquer dans sa vie. En voyant que ces histoires ne sont rien d´aut re que de pures
imaginations des écrivains et qu´il est impossible de les r éaliser dans la vie quotidienne,
elle devient le « lecteur d´évasion », de sorte qu´elle lit l es livres pour échapper à la réalité
âpre.
DE peut être compter aux trois types de lecteurs en même t emps : le « lecteur
constructif », le « lecteur d´évasion » et le « lecteur gnosophile ». Nous venons de lui
attribuer les qualités du « lecteur constructif » étant donné qu´ il est un lecteur pathologique
pour qui les livres jouent le rôle essentiel dans la vie spiritue lle. Ensuite, il partage les
mêmes attribues du « lecteur d´évasion » qu´EB et dernièrement , en élargissant ses
connaissances et en enrichissant sa vision esthétique par ses le ctures, il appartient au
« lecteur gnosophile».
5. 5. Constatations générales
En arrivant à la fin de notre étude sur les motivations de la lec ture, nous proposons
de contester le « pourquoi » de la lecture afin de pouvoir y accé der. Vu que la « vraie »
lecture est un amour, elle ne connaît pas de « pourquois » ; elle ex iste tout simplement. En
d´autres termes, ce n´est pas la recherche infinie des « pour quois », des motivations, des
raisons et des obstacles, ect. de la lecture qui ramènent les gens vers la lecture. Il faut être
simplement un « lecteur d´exemple » lisant de telle manièr e qu´il donne envie de lire aux
autres ; par la suite, lire selon notre optique désigne pénétrer les contours des mots dans le
but de saisir leur essence, laquelle luit dans les yeux du lect eur, puis elle se reflète sur les
traits de son visage et enfin elle enveloppe tout son corps qui fré mit d´excitation de la
lecture. C´est ainsi que la lecture devient une couverture de soi e réchauffant son lecteur en
hiver et le rafraîchissant en été.
Etant donné qu´il est impossible de donner une définition précise de la lecture, nous
ne pouvons que faire des allusions à ce qu´elle ressemble ; quand mê me nous tentons de
décrire le processus de la lecture dans le poème ci-dessous.
73 Lire
Décrypter ce que signifie la vie dans les livres,
au lieu de vivre sa vie à travers des livres.
Oublier les bruits et les lumières de la rue,
se retourner vers l´intérieur dissimulé
dans un profond silence inspirateur.
Décrypter les illusions perdues du monde réel,
en retrouvant l´élixir de l´oubli passager
appliqué par alternations des consonnes et des voyelles,
dans une symphonie enchantée par le sens
des mots provoquant une métamorphose instantanée.
Décrypter à travers des pupilles illuminés,
la voix cousue, indicible et partagée,
les yeux ouverts, la bouche fermée, les oreilles bouchés,
l´imagination lancée en silence du moment oublié.
Décrypter l´énigme imitée par le langage,
au fur et à mesure des lignes alignées
sur les pages de la vie pertinemment impénétrable.
La volonté
de jouir d´une communication mystérieuse.
Quoi que l´insertion de la poésie ne soit pas tout à fait légit ime dans un travail
académique, nous l´avons employée dans l´intention de définir la lec ture, puisque ce genre
littéraire permet une multitude d´interprétations, et de là chacun peut y « décrypter » sa
propre signification de la lecture. Entre parenthèses, nous rappe lons que notre travail
n´encadre que la lecture de la « belle littérature » et plus pr écisément celle des romans.
Quand à la détermination de la littérature, nous sommes arrivés vers la définition
suivante : la « belle littérature » est une œuvre d´art qui n ´est pas écrite pour un objectif
concret ni pour un public visé ; autrement dit, elle est écrite pour le plaisir d´écrivain, ainsi
que pour le plaisir du lecteur. En réalité, elle est destinée à personne et en même temps à
74 tout le monde. Pour approfondir cette théorie, nous ajoutons que selon nous la « belle
littérature » est écrite, en premiers lieu, en vue d´ être é crite, en deuxième lieu, en vue
d´être publiée, et dernièrement, pour qu´elle soit lue et aimée . En ce qui concerne son effet
sur le lecteur, elle devrait l´inviter à une méditation spontanée , tenter son imagination,
chatouiller et stimuler ses sens engourdis par les stéréotyp es de l´époque ; et en définitive,
le rafraîchir par un langage innovateur hors du commun et ainsi produi re une commotion
qui détache le lecteur de la réalité existentielle et ell e entrouvre les portes aux réalités
autres.
Nous mettons en relief les « réalités autres », puisque nous con jecturons qu´il y en a
plusieurs et la réalité fictionnelle, étant le point de notre intérêts, n´est qu´une parmi elles.
Celle-ci est le produit de la littérature, autrement dit, la littérature a une capacité de créer
une réalité fictionnelle séparée d´autres réalités. Par a illeurs, la littérature se crée elle-
même, un espace pour son existence, un univers autosuffisant. A l´intér ieur de cet univers,
elle permet à l´écrivain de s´exprimer sans prendre en com pte les restrictions des lois du
monde réel, et au lecteur de libérer son imagination. Tout court, la littérature autorise à
« réaliser irréalisable », tout y est possible et c´est ex actement ici où gît à la fois la magie et
le péril de la littérature.
A cet instant, il est propice de révéler les résultats d´analyse concernant le rapport
entre la fiction et la réalité. Nous avons vu que Des Esseintes a insi qu´Emma Bovary ont
dépassé la frontière de la réalité quotidienne et ils ont, pendant une certaine époque, vécu
en réalité fictionnelle des livres, pourtant l’écart entre ces deux réalités avait des
conséquences négatives sur leur santé. Cependant, les deux héros-lect eurs s´en sont
aperçus et ils ont compris l´artifice de la réalité fict ionnelle ; indubitablement, elle ne
correspondait pas fidèlement avec leur réalité existentielle.
La prise de conscience d´EB et de DE est le point où ils re joignent le concept du
Métalecteur ; attendu que Métalecteur est celui qui s´aperç oit de sa position du lecteur en
lisant des passages qui thématisent la lecture dans les œuvre s, qui sont, entre autre, la
source de la fiction même. Par extrapolation, nous pouvons déclarer que le Métalecteur se
situe à la limite de la réalité fictionnelle et le réali té existentielle. Voici nous vis-à-vis de la
fusion de deux réalités mises en œuvre par la mise en abyme de la lecture (Métalecture).
Du reste, il existe plusieurs exemples de l´interconnexion de ces deux réalités qui se
produisent principalement par contingence. Il peut arriver qu´ en lisant le passage de
Madame Bovary où Emma va au théâtre pour voire un opéra avec son mari, vous-même,
vous êtes en train d´aller à l’opéra, en effet vous vous identifi ez physiquement avec le
75 personnage du roman. Un autre exemple peut se produire si vous mangez une madeleine en
lissant l´œuvre A la recherche du temps perdu par Marcel Proust la section célèbre sur la
petite madeleine.
Tout compte fait, nous nous rendons compte que le « vrai » plaisir de la lecture est
un miracle qui se produit à la fusion de deux réalités (existenti elle et fictionnelle). En vue
d´illustrer davantage notre point de vue sur le « vrai » plaisir de la lecture, nous avançons
la circonstance qui s´est produite au moment de la lecture du Plaisir du texte par Roland
Barthes :
Le « vrai » plaisir du texte arrive lorsque vous lisez « Le plaisir du texte » au sauna
et les pages du livre se plient sous la chaleur féroce. Après quelques minutes, le livre brûle
dans vos mains ; vous résistez à cette douleur afin de pouvoir faire f ondre vos pensées par
les mots flambant ; subitement, vous arrivez vers le passage qui parle de Bachelard. Cela
multiplie la chaleur du sauna, puisque ce qui vous vient à l´esprit sont les souvenirs de
votre lecture de « Psychanalyse du feu » par Bachelard. Ainsi vous êtes entièrement
enflammés par le feu du sauna et par le feu de vos souvenirs ; vous êtes brûlé s jusqu´aux os
par la sorcellerie du texte. Là, dans le sauna, vous participez au dédoublement de la chaleur
(bachelardienne et physique). A ce moment, vous vous rendez compte de la réalité de votre
existence par le contact avec la réalité fictionnelle. En e ffet, la double perspective des
réalités vous fait pressentir votre existence d´un moment précis, da ns un lieu exact, de sorte
que vous inspirez votre présence par chaque cellule de votre corps ; vous savez que vous
existez ici et maintenant. Voilà la fonction de la « vraie » lecture passionnée.
Nous venons d´incorporer cette description en vue de partager nos imp ressions de
la lecture et aussi en vue d´illustrer les acquits théoriques re pérés au cours de l´élaboration
de cette étude.
76 Conclusion
Ce mémoire a été entrepris pour répondre à la question : Pourquoi lire ? et Quelle
influence exerce la lecture abusive sur le héros-lecteur ?. La recherche dans les diverses
théories littéraires et l´analyse effectuée sur les romans « Madame Bovary » par Gustave
Flaubert et « A Rebours » par Joris-Karl Huysmans ont dégagé des résultats hétérogène s.
Dans un premier temps, en ce qui concerne les motivations de la l ecture, l´étude des
ouvrages théoriques a démontré une grande quantité de motivations de la lecture qui
peuvent être regroupées autour de trois fonctions essentielles de la littérature : instruire,
plaire et « soulager ». Les deux premières ont été attrib uées à la littérature déjà par Horace
et la troisième signifie la fonction psychologique qui apparaît pour la première fois dans les
écrits de Platon et d´Aristote.
En étudiant les traités théoriques sur la lecture de Marcel Proust, de Rola nd Barthes,
d´Umberto Eco et de Daniel Pennac, nous constatons qu´ils accentuent to us que le lecteur
devrait être attiré vers la lecture par l´amour de la lec ture, ce qui signifie que la motivation
principale devrait habiter le lecteur même ; il s´agit al ors d´une motivation intrinsèque. De
cette sorte la lecture devient le synonyme du « plaisir du tex te » que prêche Barthes ;
ensuite Pennac l´associe avec la « volonté autonome », c´est-à-dir e non obligation par
rapport à une autorité quelconque, puis « l´interprétation libre » figur e comme le synonyme
de la lecture chez Eco et dernièrement Proust la définit comme une « conversation
amicale ». Voilà, nous avons abouti au proverbe ancien : « Le livr e est le meilleur ami de
l´homme » et la lecture donc une conversation amicale.
Quant à la partie analytique, nous avons trouvé les mêmes motivations chez les
héros-lecteurs que dans les ouvrages théoriques, notamment Des Ess eintes lisait pour se
divertir, pour s´amuser, pour s´instruire, pour se soulager de la pr ession psychique, pour
oublier son existence absurde, pour fuir la réalité et pour écha pper dans les paradis
artificiels ; et Emma Bovary surtout pour se divertir, pour s´ amuser, pour oublier sa vie
quotidienne, qui était si malheureuse à ses yeux, ensuite pour vivre da ns les paradis fictifs
et enfin elle lisait aussi les livres religieux pour se gué rir de la maladie psychique. Nous
voyons clairement que certaines motivations sont partagées par les deux personnages et ce
sont de nouveau celles qui remplissent les fonctions littéraires de base : s´amuser,
s´instruire et « se soulager ».
Maintenant nous procédons vers la deuxième problématique de cette é tude, celle de
l´influence de la lecture abusive sur le lecteur. Etant donné que nous avons présumé dans
77 notre hypothèse que la lecture abusive détache et éloigne les p ersonnages-lecteurs de leur
réalité actuelle afin de les introduire dans les paradis art ificiels, vers la rêverie et vers la
construction d´une réalité fictionnelle, seule cette influence de la lecture avait été étudiée
en profondeur.
Avant de mettre en chantier de l´analyse même, nous avons parcouru les théories
littéraires qui examinent le rapport entre la littérature et la réalité. Nous observons que ce
sujet a été présent déjà dans les premiers écrits théor iques sur la littérature, ceux d´Aristote
et de Platon sous les notions de la mimésis et de l´anti-mimési s. La première suppose que
la littérature a une capacité d´imiter la réalité (Ar istote), tandis que la seconde refuse la
représentation fidèle de la réalité par la littérature (P laton). Dès lors ces deux conceptions
se sont alternées dans la littérature le long de l´histoire e t chacune d´elles a prévalu dans un
certain mouvement littéraire. Les courants littéraires du pl ein essor de la mimésis étaient
surtout le réalisme et le naturalisme au XIX e siècle ; or, après ce temps là le règne des
courants anti-mimétiques avait été instauré dans la littératur e moderne et postmoderne.
L´anti-mimésis présuppose l´impossibilité de la littéra ture d´imiter la réalité et de cette
façon elle postule existence de deux réalités : objective qui est partagée par tout le monde
et fictive qui est créée par la littérature.
Etant donné que la dualité des réalités est analogique avec la dual ité du signe
linguistique, nous avons remarqué que les nouvelles connaissances de la l inguistique,
particulièrement celles du structuralisme, du formalisme et du poststructuralisme, ont
considérablement contribué à l´interprétation de la réalité fi ctionnelle. Ainsi, dans
l´intention de mieux saisir cette problématique, avons-nous inclus le concept du signe
linguistique (Saussure, Ogden et Richards), de « l´effet de réel » (Roland Barthes), de
« l´illusion référentielle » (Michael Riffaterre) et de l´intertextualité (Julia Kristeva) 64 . Ces
conceptions aboutissent au résultat d´après lequel les textes littéraires forment une réalité
hors du commun qui est indépendante de la réalité actuelle et que l´ univers de la fiction est
un univers autonome et autosuffisant.
Il semble que cet univers soit un paradis pour certains lecteu rs qui y cherchent le
refuge du monde réel. Ayant analysé les romans où se manifeste cette tendance chez les
héros-lecteurs, nous tirons la conclusion que la littérature peut se rvir d´un abri de la réalité
objective et que les héros des romans analysés (Emma Bovary et Des Esseintes) y
pénètrent au travers de la lecture abusive des romans. Le fait qu´ils préfèrent vivre dans la
64 Voir le chapitre 3.3. La littérature et la réalité .
78 réalité fictive des livres a pour conséquence, plus tard da ns leurs vies, des effets plutôt
négatifs, attendu qu´ils ne sont plus capables de distinguer entre la réalité et la fiction.
Toutefois, ils s´en rendent compte et cette prise de conscience joue un rôle salvateur pour
DE, mais malheureusement cela n´était pas valable pour EB à cause d´autres circonstances
dans sa vie.
De ce qui vient d´être dit nous pouvons déduire que notre hypothèse sur l´e ffet de la
lecture abusive qui détache et éloigne les héros-lecteurs de la réalité objective a été
partiellement confirmée, étant donné que ce n´est qu´une des influences possibles de la
lecture abusive. De même, nous ajoutons que le processus d´éloignement d´EB et de DE
était également accompagné par d´autres circonstances. Au c as où nous voudrions
appliquer ces acquits à un lecteur postmoderne, il est indispensab le de prendre en
considération le fait, que les romans étudiés datent du XIX e siècle et que le point de vue sur
la lecture avait considérablement changé à présent.
En général et autrement dit, il est injuste d´accuser la lect ure d´être dangereuse sous
prétexte qu´elle éloigne les lecteurs de la réalité object ive, au contre-pied, le lecteur n´est
pas fautif non plus, au surplus, nous ne pouvons non plus accuser la société ni l´époque
d´avoir provoqué chez le lecteur ce besoin de se séparer de la r éalité au travers des livres;
tout compte fait, il n´y a pas de coupables et en même temp s tout le monde est responsable.
Pour illustrer cette proclamation contradictoire, nous citons Charle s Dantzig, un écrivain
français contemporain, qui prononce dans son récent livre « Pourquoi lire ? » la
constatation suivante : « On pourrait imprimer un avertissement au dos des livre :
« ATTENTION ! Les lectures qui vont trop dans le sens de vos pensées ou de vos goûts
peuvent être dangereuses. » C´est dans le moment de faiblesse que la lecture peut être
dangereuse. Le responsable n´est pas le livre, ni même tout à fait le lecteur, mais la
combinaison malheureuse des deux. »65 .
Entre autre, l´objectif de notre étude était rétablir l´imp ortance de la lecture et de la
littérature dans la société contemporaine à l´aide du processus de la mise en abyme de la
lecture qui se produit dans certains romans. C´est-à-dire que l´é crivain thématise le sujet de
la lecture à l´intérieur de son œuvre dans le but que le lecteur aperçoit sa positon du sujet
lisant. Cette prise de conscience par le lecteur même, ou en un mot – l´auto-reconnaissance
est le point de départ pour qu´il cherche à comprendre l´importanc e de la lecture et de la
littérature dans sa vie, ainsi que dans la société de son temps . Cela le ramène ensuite vers
65 Dantzig, 2010 : 18.
79 l´interrogation sur la littérature, ses fonctions, ses influences , sur les « pourquois » de la
lecture etc., d´ailleurs, il se peut qu´il procède de la maniè re similaire comme le travail ci-
présent.
Pour terminer notre étude, nous voudrions mettre en relief qu´étant donné que notre
cadre d´analyse représente seulement deux romans, les résultat s ainsi acquis ne doivent pas
être généralisés sur tous les romans, ni sur tous le lecteurs. N éanmoins, il serait
certainement intéressant de dépister plusieurs romans qui englo bent la mise en abyme de la
lecture et d´y effectuer une analyse qui affirmerait, ou au c ontraire contesterait nos acquits
sur l´impact de la lecture abusive sur les héros-lecteurs. Certes, nous ne prétendons pas
avoir entièrement embrassé la problématique de l´influence de la lecture, ni la conception
de la littérature. Nous ne voulons qu´apporter notre part, aussi modest e soit-elle, à l´étude
de ce sujet aussi vaste qu´hétérogène.
80 Resumé
Tato diplomová práce pojednává o nadměrné četbě románu a jejím vli vu na čtenáře.
Zároveň se soustřeďuje na uměleckou a literární techniku pojmenovanou mi se en abyme,
neboli autoreferenci, která se manifestuje v analyzovaných románe ch. Konkrétně se jedná
o mise en abyme čtení, tedy autoreferenci čtení, zdvojené čtení, nebo také čtení v čtení.
Jinak řečeno, román, popřípadě jiné literární dílo, tematizuje čt ení, z čehož vyplývá, že
během čtení takových románu dochází k čtení o čtení, jelikož čtenář čte o tom, jak čtou
literární postavy v díle. Pokud si čtenář tento jev uvědomí, stává se z něho Metačtenář, tj.
čtenář vědomý si své pozice čtenáře. Daný fenomén se vyskytuj e v románech „ Paní
Bovaryová“ od Gustava Flauberta a „ Na Ruby“ od Karla-Jorise Huysmanse, které tvoří
korpus pro analýzu této diplomové práce.
Cílem analýzy je zjistit, jaký vliv má četba na hrdiny tě chto románů, jaké jsou
jejich motivy pro čtení i jakou roli a funkci reprezentuje čten í v jejich životě. Upozorněním
na danou problematiku bychom chtěli znovu obnovit významné postavení čtení i literatury
jako takové v dnešní společnosti, která je v poslední době značně zanedb ává, poněvadž se
zdá, že z nejlepšího přítele člověka, knížky, se stává úhlavní nepř ítel mladé generace. Tato
alarmující situace samozřejmě upoutává čím dál tím víc pozor nost odborníků,
mimochodem naší diplomovou prací se k nim také přidáváme.
Hypotéza stanovená v úvodu předpokládá, že nadměrné čtení románu může vést
čtenáře k úniku do fiktivního světa , který je nesen a vytvářen textem , a tím ho odpoutává
od jeho každodenní reality. Fiktivní svět knih vytváří novou, neobyčejnou reali tu, tzv.
fiktivní realitu anebo tzv. umělý ráj, kde se můžou uskutečňovat sny a představy čtenáře.
V tomto ohledu pozorujeme rozdvojení reality, na jedné straně se nachá zí realita
objektivní, která je sdílená všemi lidmi; na straně druhé je fikti vní prostor textu. Uvedení
čtenáře do fiktivní reality považujeme za jeden z vlivů nadměrné če tby, kterým se
zabýváme detailně, abychom mohli potvrdit, anebo vyvrátit vymezenou hypotézu.
Diplomová práce je rozdělená do dvou částí: teoretické a praktické. První část
obsahuje čtyři kapitoly věnované studiu odborné literatury a v poslední, páté kapitole, jsou
analyzovány romány, jedná se tedy o praktickou část. V úvodu teore tické části nastiňujeme
problematiku čtení a jeho role v dnešní společnosti. Druhá kapitola se pokouší definovat
literaturu jako uměleckou disciplínu v průběhu historického vývoje a v této souvislosti
zkoumáme některé funkce literatury. Také se tady zmiňujeme o l iterárním pojetí
založeném na konceptu mimésis. Táto koncepce připisuje literatuře schopnost napodobovat
skutečnost, zatímco koncepce anti-mimésis tuto schopnost literatury popírá. Anti-
81 mimetické tendence se objevují v literatuře od konce devatenácté ho století a převládají v ní
až dodnes. Tím, že tento teoretický postoj neuznává možnost věrně zach ytit objektivní
realitu prostřednictvím literárního díla, v podstatě předurčuje ex istenci dvou rozdílných
realit: objektivní a fiktivní. Vzájemný vztah obou realit je dá le zpracován v podkapitole
3.3. Literatura a realita.
Strukturu literární komunikace, která probíhá mezi spisovatelem a čtenářem
prostřednictvím literárního díla, je ilustrovaná v třetí kapitole za pomocí literárního
trojúhelníku, který vyjadřuje vzájemné přímé a nepřímé vztahy m ezi jednotlivými
složkami literární komunikace. Zvláštní pozornost je samozřejmě věnová na pozici čtenáře
a způsobu, jakým dochází k interpretaci díla. Tady uvádíme několik literárních teorii, které
se zabývají danou tématikou. Jmenovitě se jedná o teorií recepční e steticky (Hans Robert
Jauss), dále konkretizaci literárního díla (Roman Ingarden) inspi rovanou fenomenologií a
posléze taky představujeme pohled Umberta Eca na mnohoznačnost int erpretací literárního
díla. I přesto, že výklady recepce literárního díla mají kaž dý svá specifika, shodují se na
výchozí dvojité úrovni přijímání textu. Jako první probíhá lingvistická interpretace, která je
podmínkou druhé, extralingvistické úrovni interpretace. Tato dichotomie ve skutečnosti
reflektuje dichotomii lingvistického znaku (signifikant a signifikát) , kterou do lingvistické
praxe zavedl začátkem XX. století Ferdinand de Saussure. Jeho te orie byla následně
univerzálně aplikovaná do dalších humanitních i sociálních oborů což sumari zuje námi
zhotovené schéma 66 . Co se týče rámce naše diplomové práce, zajímá nás především
dichotomie reality, kde signifikant představuje reálný fyzický svět čtenáře a signifikát
imaginární svět fikce, který je realizován na extralingvistické rovině během recepce díla.
Následující kapitola se výhradně zabývá pozicí čtenáře v pro cesu recepce textu.
V této části jsme se inspirovali teorií Rolanda Barthese, Umbe rta Ece a Marcela Prousta.
Hlavním přínosem těchto literátů a teoretiků je osvobození čtenář e od předem fixně
stanovených interpretací textů, od intence autora i od ostatních ext erních vlivů textu, které
omezovaly volnost vlastního pojetí textu čtenářem. V následující podkap itole pak citujeme
práva „svobodného“ čtenáře, jak je uvádí Daniel Pennac v knize „ Jako Román“ . Závěrem
teoretické sekce jsme ještě vypracovali typologii čtenářů na základě získaných teoretických
poznatků a také na základě osobní čtenářské zkušenosti. Navrženou typol ogii posléze
aplikujeme na hrdiny-čtenáře v analytické části.
66 Viz kapitola 3.2. Recepce literárního díla.
82 Poslední prakticky zaměřená kapitola se může hlouběji rozdělit na metodickou,
analytickou, hodnotící a shrnující sekci. V metodické sekci vysvětluj eme vznik a původ
fenoménu Metačtení, neboli mise en abyme čtení, které je podmínkou p ro následnou
analýzu románu. Samotná analýza se soustřeďuje pouze na fenomén čtení , a proto
vynechává jiné aspekty běžné analýzy literárních díl. V každém r ománu nejdřív jmenujeme
reference na konkrétní literární díla, jinak řečeno uvádíme výčet i ntertextuálních odkazů.
Pak sledujeme roli čtení v životě hrdinů, následně motivací, jež je vedou k nadměrnému
čtení v různých obdobích života, a zároveň se soustřeďujeme na vliv této četby na osobnost
hrdinu i na jeho okolí. Vzhledem k tomu, že naši pozornost nejvíc zajímá p ůsobení četby
na to, jak hrdinové vnímají vnější realitu, v poslední řade se zaměřuj eme na pasáže
popisující vztah mezi objektivní a fiktivní realitou.
V hodnocení výsledku analýzy konstatujeme, že motivace hrdinů, jakkoli jsou
různorodé, se i přes to dají rozdělit do třech hlavních kategorií podle funkcí liter atury (také
veškerého umění), které uvádějí literární spisy už od antických dob : funkce poučná,
zábavná a uvolňující (odreagovaní se). Hlavní postava románu „ Pani Bováryová“ , Emma
Bovary, čte romány zejména proto, aby se rozptýlila se od každodenn í jednotvárnosti
svého života, přičemž podobný rys můžeme pozorovat i u hrdiny knihy „ Na Ruby“ , Des
Esseintesa. Avšak ten se zabývá četbou i pro vzdělanostní a estet ické účely. Oba hrdinové
čtou natolik náruživě, že postoupně ztrácejí povědomí o hranici mezi f iktivní a objektivní
realitou, což má neblahé následky na jejich psychické zdraví. Oba dva trpí neurózou a únik
do fiktivní reality jejich zdravotní těžkosti ještě víc zhoršuje. Je ovšem důležité
podotknout, že četba není jediným faktorem, který způsobuje jejich psychické poruchy, je
jenom jedním z nich. Nadměrná četba tady hraje roli drogy, neboli léčiva, kterým se
hrdinové snaží ulevit si od každodenní existenční reality, kterou nedovedou s nášet. Jakmile
se ovšem „předávkují“, dostaví se negativní efekt ve formě psychické poruch y.
K zlomovému okamžiku v procesu četby dochází, pokud si hrdina-čtenář uvědomí
následky četby na svůj zdravotní, zejména psychický stav. Jenom když si hrdina románu
uvědomí tento vliv četby, může se vymanit ze závislosti. V přípa de EB došlo k uvědomění,
ale vzhledem ke kontextu jejího předchozího života propadlého „románovým“ i luzím,
hrdinčin život končí sebevraždou. Z tohoto důvodu se o ní v literárním světe ří ká, že se
otrávila jedem z knížek, a zároveň se z ní stal symbol bibliomank y. Příběh DE nekončí
natolik tragicky, protože po uvědomění si vlivu nadměrného čtení a také jiných forem
umění se rozhodne vrátit se do běžného reálného života. Těmito zjištění mi se nám částečně
naplnila hypotéza stanovená v úvodu práce, ale je potřebné poznamenat , že vzhledem
83 k malému počtu analyzovaných románů a také s ohledem na to, že i ji né faktory vzdálily
hrdiny románu od objektivní každodenní reality, nemůžeme jednoznačně tvrdit, ž e
nadměrná četba románu má negativní dopad na hrdinu-čtenáře a jeho okolí, ani všeobecně
na čtenáře románu. Vůbec důležitou roli v procesu četby hraje se bereflexe své pozice
čtenáře a k tomu nám napomáhá i mise en abyme čtení, protože poz orný čtenář dojde k
závěru, že čte o čtení; tímto způsobem jako by se ocitnul před zrcadlem – tímto zrcadlem je
mu samotný text, pasáž popisující proces čtení nebo odkazy n a jiné literární dílo uvnitř
dané knížky (intertextualita). Jinými slovy, pojednáváme tady o tendenci k autoreflexivitě,
která je typická pro postmoderní umění a současně i pro postmoderního člověka, proto
bychom chtěli, aby si čtenář této diplomové práce uvědomil svoji p ozici čtenáře a posléze
si kladl otázky týkající se významu četby i literatury ve svém živote i celkově v
postmoderní společnosti. Jedině tímto způsobem se z něho stane Metačtenář.
Dalším záměrem naší práce bylo zjistit, proč číst, a ja k „spřátelit“ dnešní
postmoderní generaci s knížkou a čtením. Po prostudování teoretických sp isů
sumarizujeme, že čtení symbolizuje pro Barthesa „radost z textu“, pro Eca „volnost
v interpretaci“, pro Pennaca „svobodnou vůli“ a pro Prousta „přátelskou konverz aci“. Když
shrneme všechny uvedené přívlastky pro čtení, dostaneme výstižnou odp ověď na otázku:
Proč číst? – Čtení je jako láska: když milujete, neptáte se proč, proste jednoduše čtete.
Proto navrhujeme nelpět na otázce „Proč číst?“, abychom se mohli dostat k četbě samotné
a svým příkladem motivovat lidi ve svém okolí k čtení.
84 Bibliographie
Oeuvres théoriques :
ARISTOTE , Poétique, Paris : Éditions des Belles Lettres, 1990.
BACHELARD , G., Psychanalyse du feu, Paris: Éditions Gallimard, 1949.
BARTHES , R., La mort de l´auteur , dans Œuvres complètes , tome III, Paris: Seuil, 2002.
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EB, Emma – Emma Bovary, l´héroïne principale du roman MB
AR – roman « A Rebours » par Joris-Karl Huysmans
DE – Des Esseintes, le héros principal du roman AR
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