Thématisation et interrogation en français contemporain 2 A la mémoire de mon professeur Mariana Tu Ńescu, la directrice de cette thèse de doctorat 3… [624421]

LIVIU C ĂLBUREAN

Thématisation et interrogation en français
contemporain

2 A la mémoire de mon professeur Mariana Tu Ńescu, la directrice de cette thèse de
doctorat

3 TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos 7

1. La notion de « thème » dans la littérature de sp écialité 13

1.1. Argument 13

1.2. Le couple thème-rhème 15
1.2.1. Les thématiseurs traditionnels 17
1.2.2. Le thème dans la philosophie du langage 28

1.3. Le couple question-réponse et la demande d’inf ormation 30
1.3.1. La question – valeurs illocutoires 30
1.3.2. La question – aspects prosodiques 37
1.3.3. La « solidité » du rapport question-rép onse 38
1.3.4. L’échange question-réponse et la cohére nce discursive 40

1.4. Le couple thème-rhème au niveau de l’échange d u type question-
réponse 43

1.5. Quelques précisions sur le corpus utilisé 49

4 1.6. Conclusions 53
1.6.1. Le thème discursif entre le paradigme récurs if et le paradigme
stratégique 54

2. La thématisation au niveau du couple question-ré ponse 58

2.1. Préliminaires 59

2.2. Le thème dans un modèle logico-sémantique 63

2.4. Le rhème de la paire question-réponse 82
2.4.1. L’ellipse 83
2.4.2. Le clivage 88
2.4.3. L’acceptabilité des rhématiseurs 94

2.5. La complétude informationnelle de la réponse 98
2.5.1. Le critère de complétude 101
2.5.2. Les réponses partielles 102

2.6. La question alternative et la thématicité 111

2.7. La question du type « Oui / Non / Peut-être » et la thématicité 119

2.8. Considérations finales 124
2.8.1. Une échelle d’adaptation de la réponse au cadre syntagmatique
imposé par la question 127

5
2.9. Conclusions 132

3. Le thème et les niveaux de la conversation 139

3.1. Introduction 140

3.2. Le thème et l’analyse des interactions verbale s 143
3.2.1. L’interaction 144
3.2.2. La séquence 148
3.2.3. L’échange 165
3.2.4. Conclusions sur les unités dialogales 172
3.2.5. L’intervention 174
3.2.6. L’acte de langage 176

3.3. Les contraintes d’enchaînement 179

3.4. La progression thématique 186
3.4.1. La progression thématique linéaire 189
3.4.2. La progression à thème constant 191
3.4.3. La progression à thème dérivé 193
3.4.4. Les ruptures thématiques 195
3.4.5. Les limites du modèle 196

3.5. Conclusions 197

6
4. Le thème et le concept d’histoire conversationne lle 200

4.1. Introduction 200

4.2. Microstructure vs. macrostructure mentales dan s la grammaire de
texte 205

4.3. Le thème à travers les n épisodes d’une histoire conversationnelle
207

4.4. Pour conclure 221

5. Conclusions 222

6. Annexe 226

7. Bibliographie 232

7 Avant-propos

La présente étude représente une modeste contribut ion à une théorie
discursive du couple thème-rhème et de l’opération de thématisation 1.
Nous nous proposons de parcourir le chemin constru it par les
recherches et les hypothèses développées, le long d es années, à ce sujet.
Le lecteur découvrira le trajet de notre recherche , l’évaluation de
certaines théories de spécialité, l’accord avec cer tains points de vue et le
rejet d’autres modèles.
La thématisation fait traditionnellement l’objet d es études de syntaxe.
On traite du découpage de chaque phrase en thème et rhème, du rôle de la
transformation facultative d’emphase, de la passiva tion ou de la
relativisation pour l’élaboration d’un modèle de la thématisation.
Cependant, l’étude de ce qu’on appelle « l’au-delà de la phrase »
pourrait nous faire douter de la toute-puissance de s modèles syntaxiques
pour l’analyse de la thématisation. L’étude des SN détachés en tête ou à la
fin d’un énoncé requiert des arguments de nature di scursive, complétant les
considérations portant sur l’emphase. Une telle per spective implique le
changement des principes qui gouvernent la sélectio n du corpus. L’oral
spontané est une source intarissable d’exemples et le chercheur se voit
obligé de renoncer aux seuls « exemples forgés » ou aux textes narratifs
écrits. En s’y prenant de la sorte, on constate que le thème est un pont
entre la mémoire et l’actualité discursive. L’assoc iation faite d’habitude
entre thème et information connue (donnée, ancienne ), d’un part, et entre

1 Le texte que nous prosons est une variante légèreme nt modifiée de la thèse de doctorat soutenue le 3
juillet 2006, à l’Université de Bucarest (Roumanie) .

8 rhème et information nouvelle, d’autre part, en est une conséquence
naturelle.
Mais cet élargissement de la perspective n’est qu’ apparent : on
postule que le thème est une entité discursive, on distingue entre
l’ancienneté et la nouveauté de l’information, mais la bipartition reste au
niveau de la phrase.

REMARQUE: La distinction entre phrase (entité foncièrement
syntaxique) et énoncé (notion discursive qui désigne le résultat de
l’acte d’énonciation) ne doit jamais être ignorée, bien que, dans la
littérature de spécialité, ces deux termes soient, dans la plupart des
cas, utilisés en variation libre.

La notion de thème et son corollaire, le rhème, ne présentent pas
un intérêt particulier dans la syntaxe de la phrase ou, de toute manière,
beaucoup moins d’intérêt qu’en japonais, langue qui marque
syntaxiquement, au moyen de particules spécialisées , ces deux entités.
En acceptant l’idée que les deux membres de ce binô me sont des
véhicules de l’information , je me permets de conclure que cette étude
doit nécessairement prendre en compte la parenté en tre ceux-ci et les
structures interrogatives, afin de pouvoir relever le spécifique de la
thématicité discursive.
L’interrogation est une stratégie discursive, un ac te de langage, une
modalité énonciative. La présente étude est donc es sentiellement
pragmatique . Elle aborde la théorie et la pratique de la conve rsation. Ma
perspective n’a rien à avoir avec la phrase.
L’hypothèse que je propose ici est que le couple thème-rhème et
les opérations de thématisation et, respectivement, de rhématisation

9 appartiennent à la composante discursive de la lang ue, donc au texte,
et non pas à la phrase.
Mais les difficultés ont surgi dès le premier abord . Etant donné la
variété immense de valeurs illocutoires de la struc ture interrogative, j’ai été
obligé de restreindre progressivement ma perspectiv e. Finalement,
l’analyse m’a fait conclure que le spécifique du bi nôme thème-rhème est à
retrouver au niveau de la question de fonction prop ositionnelle ayant pour
valeur illocutoire la demande d’information.
Même là, le cadre structurel imposé par la matrice de la question ne
se retrouve pas toujours dans la réponse. Il m’a do nc fallu présenter et
commenter les situations de ce type. A part de tell es exceptions, j’ai essayé
d’articuler une grammaire du couple question-répons e, en y établissement
des frontières aussi exactes que possible entre les fragments thématiques
et les fragments rhématiques. Ce modèle n’a pas la prétention d’être aussi
systématique que la grammaire phrastique, mais il r epose cependant sur
des considérations syntaxiques, logico-sémantiques et pragmatico-
discursives.
Pour vérifier la validité des résultats obtenus au niveau de l’échange
question-réponse, j’ai « étagé » mon analyse, en ab ordant successivement
les différents niveaux conversationnels et, finalem ent, le niveau « ultime » –
celui de l’histoire conversationnelle.
Comme la conversation ne se limite pas à l’acte ill ocutoire de
questionnement et, dans le cadre de celui-ci, aux q uestions de fonction
propositionnelle, il m’a fallu trouver des moyens d ’intégrer dans l’analyse
les questions propositionnelles, en dépit de tous l es inconvénients que cela
incombe.
Une entreprise bien audacieuse de l’analyse convers ationnelle dans
la présente étude consiste à présenter les types de progression thématique

10 dans la conversation quotidienne, en faisant un par allèle avec la
progression thématique dans les textes narratifs.
Ma tâche a été encore plus délicate lorsqu’il a été question d’aborder
la thématicité au niveau de l’histoire conversation nelle. Il aurait été
impossible, à ce niveau, de me limiter aux structur es interrogatives. A la
suite de Golopen Ńia (1988), j’ai essayé d’aborder aussi d’autres
phénomènes ayant trait à la notion de thème : les c onstructions détachées
(qui n’ont pas fait l’objet de cette recherche) et le répertoire
présuppositionnel sur lequel repose la formulation des questions de
fonction propositionnelle.
Les théories exposées dans les cinq chapitres de l’ ouvrage ont, bien
entendu, des inconvénients et des lacunes auxquels j’ai toujours fait
référence. Ce qui pourrait cependant résister à la critique c'est l’affinité
entre les deux couples discursifs – thème-rhème et, respectivement,
question-réponse. Ce rapport étroit permet de dépar tager entre « connu »
et « nouveau » et assure la mise en relief de l’inf ormation nouvelle, focale.
Avant de terminer ce préambule, je dois au lecteur un détail
concernant la présentation de cet ouvrage : pour de s raisons de clarté et de
précision, j’ai renoncé aux notes en bas de page, e n les remplaçant par des
remarques placées dans le corps du texte, là où le cas s’est imposé
d’insister sur certains aspects de l’analyse.
Je tiens à remercier d’avance tous ceux qui feront l’effort de consulter
ma recherche, de la juger aussi sévèrement que néce ssaire et de me faire
part de leurs impressions et de leurs critiques.
Je serai toujours redevable à madame Mariana Tu Ńescu (qui a
coordonné ce projet) pour la générosité de son appu i constant et pour son
haut professionnalisme dont j’ai pleinement bénéfic ié, à monsieur Rare ș

11 Marinescu (celui qui a conduit mes premiers pas à t ravers les arcanes de la
linguistique moderne) et à ma famille – la chance de ma vie.

L’auteur
lcalburean@gmail.com

12

CHAPITRE l

13 LA NOTION DE « THÈME » DANS LA LITTÉRATURE DE
SPÉCIALITÉ

"Le thème est une sorte de question
dont le propos est la réponse. "
Charles Bally, 1932

Résumé : Ce chapitre se donne pour objet la présentation de
manière critique des deux couples conceptuels – thème-rhème et
question-réponse , en partant de la syntaxe, jusqu’à la pragmatique
conversationnelle.
Nous analyserons les limites des diverses perspecti ves, en plaidant
pour le cadre théorique que nous choisirons. Le dép lacement de l’analyse
du thème du niveau phrastique à celui transphrastique, des interactions
verbales. Les échanges du type question-réponse fou rnissent une solution
efficace à la question de la thématicité discursive . Dans ce sens, c’est la
question qui introduit un thème et c’est à la répon se de saturer une variable
propositionnelle, en apportant le rhème d’un tel én oncé complexe, de
nature dialogale.

1.1. Argument

Interrogation et thématisation sont deux phénomène s linguistiques à
part. Rares sont les références communes dans la li ttérature de spécialité.
Même là où ce rapprochement existe, il est établi d e manière intuitive, étant
presque toujours accompagné d’une modalisation du t ype « une sorte de ».
Il suffit de se rapporter à la citation antérieure. La même idée est à trouver
chez C. Kerbrat-Orecchioni (1991 : 11) : "… l’échan ge question-réponse

14 apparaît comme une sorte d’énoncé unique construit à deux ( énoncé dont
la question constitue le thème, et la réponse le rh ème )…".
Notre intention est moins de renoncer à la modalis ation
susmentionnée – une sorte de – que de motiver ce rapprochement, dans
le cadre d’une perspective discursive. La tâche à l aquelle nous nous
attelons nous semble bien difficile, étant donné qu e les couples question-
réponse et, respectivement, thème-rhème occupent da ns la linguistique des
places consacrées à travers des siècles de recherch e. Toute attitude
radicale à ce sujet serait, selon nous, vouée à l’é chec.
La thèse que nous essayerons de lancer et de défen dre est celle de
la parenté entre les deux couples, en tant que véhi cules de
l’information . De plus, notre objectif sera d’analyser le rappor t entre la
paire thème-rhème au niveau de l’échange question-r éponse et la
thématicité dans une perspective conversationnelle comme celle de J.
Mœschler. L’auteur opère une distinction nette entr e les deux entités : "La
notion de thème discursif n’est pas prise en opposition à celle de rhème .
J’entends ici par thème discursif l’objet général d u discours proposé à un
interlocuteur et contraignant le déroulement du dis cours. Cette contrainte
thématique est donc un des éléments constitutifs de la cohésion discursive"
(1985 : 116). Dans notre vision, la dichotomie thèm e-rhème peut être
maintenue même au niveau discursif, du moins dans l e cas des questions
de fonction propositionnelle.
Avant de relever les traits qui justifieraient cett e thèse et qui
rendraient les deux paires propres à agir de concer t, nous passerons en
revue, sans aucune prétention d’exhaustivité , certains aspects
concernant les deux paires antérieurement mentionné es. Nous insisterons
sur ceux qui fonderont notre analyse dans les chap itres consacrés à une

15 grammaire du couple question-réponse et, respective ment, à la place
qu’occupe ce couple dans la conversation.

1.2. Le couple thème-rhème

Le mot « thème » provient du grec « théma » , assertion (provenant
du verbe « (ti) thé (nai) » , poser et du suffixe résultatif -ma ). Le mot
« rhème » provient de « rhêma » ( rhe- + le suffixe résultatif -ma ), tout
ce qu'on dit, mot, parole (voir le dictionnaire Webster et le Trésor de la
Langue Française informatisé) .
Commençons par un bref historique de ce couple, que nous devons à
P. Lauwers (2004) :
L’intérêt porté aujourd’hui au couple thème-rhème e st dû aux
préoccupations de l’École de Prague, voire d’un rep résentant de celle-ci,
l’angliciste Mathesius. Il se situe dans une longue tradition des études sur
l’ordre des mots. Ses sources d’inspiration ont été , entre autres, les études
d’Henri Weil ou d’Otto Jespersen, qui ont traité de ces notions en termes
psychologiques. Jespersen, cité par Lauwers (2004 : 611), opère une
distinction tripartite entre :

a) sequence in time ;
b) novelty and importance ;
c) stress (or tone).

La terminologie a énormément varié au long des déce nnies. Nous ne
discutons pas ici l’appareil conceptuel lancé dans la littérature d’expression
allemande. Il nous faut cependant retenir la dichot omie, devenue classique,
psychologisches ( voire logisches) Subjekt et Prädikat . Ce binôme n’est pas

16 sans rapport avec la distinction qu’on a opérée plu s tard entre information
connue (donnée) et information nouvelle.
Dans les chapitres suivants, nous parlerons de la p ortée assez
réduite du couple thème-rhème dans la syntaxe franç aise. Lauwers (2004 :
611) étend cette remarque sur toute la linguistique française : "Au
demeurant, les notions thème / rhème ne semblent pa s avoir eu un grand
retentissement dans la linguistique d’expression fr ançaise". Ces notions
sont à retrouver chez les deux disciples de Ferdina nd de Saussure – Albert
Sechehaye et Charles Bally. Le dernier propose la v ariante thème –
propos , dichotomie que nous avons citée au début de ce chapitre comme
une sorte de prétexte de la présente étude.
Si, dans la plupart des analyses, la notion de thè me a été associée à
l’ordre des mots, "Weil va déplacer le problème en examinant désormais le
rapport entre l’ordre des idées dans l’esprit ( position initiale, point de
départ, connu vs. but, énonciation proprement dite, inconnu ), qui est
universel, et la réalisation syntaxique dans chacun e des langues (ou plutôt
dans la parole de ces langues)…" (Lauwers, 2004 : 6 11).

***

Le couple thème-rhème semble être la variante européenne de la
dichotomie américaine topic-comment . La forme topique (topic) se verra
plus tard réintroduite en français ayant soit le se ns initial, voire la position
frontale d’une entité phrastique (voir 1.1.1.), soi t un autre sens (le terme
peut désigner un type particulier de thème, ou dési gner "ce dont on parle",
à la différence du thème proprement dit, ce dernier étant le constituant
porteur de "l'information connue").

17 Il y a des auteurs qui ont « spécialisé » les deux paires de notions,
parmi lesquels nous citerons ceux qui présentent le s contributions les plus
« nuancées » :
M. Wilmet (1997 : 454) se sert des notions de thème et,
respectivement, de topic, dans le cadre de la persp ective phrastique.
L'auteur assimile la notion de thème à celle de " sujet logique i.e. l'être ou
l'objet dont quelque chose est affirmé (assertiveme nt, interrogativement ou
injonctivement)". D'autre part, le topique est iden tique au sujet grammatical.
Il en résulte que la topicalisation est l'opération qui "sélectionne le sujet
grammatical".
A leur tour, J. Mœschler et A. Reboul (1994) distin guent entre sujet-
prédicat (opposition d’ordre logique et grammatical), topique
commentaire (opposition de nature syntaxique) et thème-propos ou
commentaire (opposition fonctionnelle).

1.2.1. Les thématiseurs traditionnels

Pour les deux auteurs antérieurement mentionnés, l e topique
s’identifie "à ce qui est annoncé en premier par le locuteur, ce qui est placé
en position frontale. Après l'introduction du topiq ue, le locuteur introduit le
commentaire.
On parlera de topicalisation , pour définir l'opération qui consiste à
introduire en position frontale, ou extraite, un co nstituant, à gauche de la
phrase."
Dans le cadre de l’opposition thème-rhème, "la posi tion thématique
est typiquement une position frontale.

18 Cela signifie qu'une expression linguistique de qu elque fonction
syntaxique que ce soit a, en position frontale, une fonction thématique."

REMARQUE: La forme TOPIQUE est adaptée aux particularités
orthographiques du français. Cependant, il y a des auteurs (voir A.-Cl.
Berthoud, 1996) qui préfèrent l’orthographe américa ine TOPIC.

On constate que le flou règne en ce qui concerne le s deux dernières
dichotomies, les frontières qui les séparent étant difficiles à tracer.
Mais les différences terminologiques nous intéresse ront moins dans
les chapitres suivants. Nous assimilerons les deux paires de notions, en ne
parlant que du binôme thème-rhème. Toutefois, cette présentation
continuera à refléter ces différences, justement po ur souligner la nécessité
d’un certain « ajustement » terminologique.
En général, les études de syntaxe sont les seules à tirer profit des
dichotomies susmentionnées (cf. Dubois et al. , 1974). De ce point de vue,
pour le français écrit, le couple thème-rhème ne pr ésente presque guère
d’intérêt, du fait de sa superposition au couple su jet-prédicat (GN-GV).

REMARQUE: C’est donc le cas de la phrase canonique – la phra se
minimale déclarative assertive (selon R. Tomassone, 2002 : 37, note
1). Mais cette description concerne les textes écri ts utilisant le
français soigné, caractérisé par l’ordre direct don t il est question dans
la célèbre thèse d’Antoine de Rivarol. Il en va aut rement dans la
langue courante, pour laquelle il faut trouver d’au tres critères
d’analyse : "La notion de thème est d’autant plus p roblématique que
le terme est utilisé à la fois comme mot de la lang ue courante et dans
un sens technique par les linguistes. Notion relati onnelle, le thème ne

19 peut être envisagé que par rapport à un segment. Po ur la langue
courante, pour laquelle le thème est « ce sur quoi porte le texte »,
celui-ci est généralement le texte dans son ensembl e. Pour les
linguistes, l’unité de référence est la proposition ou la phrase" (M.-P.
Péry-Woodley, 2000 : 18).

De plus, il y a des cas où la distinction thème-rhè me est difficile, sinon
impossible à appliquer : il s’agit des verbes météo rologiques ( il pleut, il
neige, il bruine, etc.), dont parle M. Wilmet (1997) et même des phra ses où
on a appliqué la transformation impersonnelle (comm e Il passe des
camions dans la rue – voir M. Tu Ńescu, 1975).
Même si la structure thématique de la dernière phra se est difficile à
délimiter, il y a nombre d’analyses postulant que l a personne d’univers – il
– n’est qu’un sujet de surface, n’ayant pas de stat ut thématique. Le
véritable thème d’une phrase comme Il passe des camions dans la rue est
représenté par le SN suivant le verbe, séquence que G. Moignet (1974 :
67) appelle complément de propos .
Une telle vision permet de distinguer nettement ent re le sujet
grammatical et le thème – notions qui se confondent généralement dans la
tradition grammaticale.
Pour M. Wilmet (2003), le sujet grammatical est le résultat d’une
topicalisation impersonnelle ou désagentive . Cela est une conséquence
naturelle du modèle de Wilmet qui prend la topicali sation pour l’opération
qui consiste à sélectionner un sujet grammatical et le thème pour le sujet
logique d’une phrase.
Un tel modèle pose des problèmes sérieux aux tenan ts de la position
classique, qui définissent le thème en termes de position , postulant en
même temps la définitude du SN thématisé.

20 Dans le cas de la phrase impersonnelle susmentionné e, le SN
thématique suit obligatoirement le verbe, la séquen ce en question étant
toujours indéfinie (voir M. Tu Ńescu 2003 : 29).
Cette situation, illustrant une thématisation forte , qui est le propre du
français, pose quelques problèmes que nous allons c ommenter :

– Elle illustre les jugements thétiques , qui, du fait de l’absence d’un
rapport de prédication, assertent l’existence d’un sujet (ils ne la
présupposent pas). La présente étude s’occupera sur tout des
jugements catégoriques , qui présentent un prédicat logique de premier
ordre. C’est donc le cas des phrases reposant sur l es présupposés
existentiels (voir P. Attal, 1976).
– Si le segment thématique des phrases thétiques a été identifié à ce que
Moignet appelle complément de propos , le fragment rhématique
présente au moins une difficulté, notamment le stat ut du pronom
topicalisateur il . Comme il est soudé au verbe, on peut affirmer qu’ il fait
partie du rhème. On peut se contenter de partager l ’idée que ce pronom
même – sujet superficiel – illustre une qualité inc ontestable du français –
celle d’être une langue à nominatif (voir M. Tu Ńescu 2003 : 32).

En admettant que cette forme – marquée – de thémati sation est le
propre du français, nous nous permettons d’affirmer que ce modèle n’a pas
de rapport avec la bipartition thème-rhème. Ce qu’i l met en évidence c’est
le thème postverbal.
Une autre application du couple thème-rhème est l’a nalyse de la
passivation . Selon qu’on passe de la voix active à la voix pas sive ou
inversement, le thème de la phrase changera. Ainsi, la voix est-elle "la
solution linguistique du rapport entre thème et propos , sujet et prédicat"

21 (M. Tu Ńescu, 1977 : 249). En passant d’une grammaire de la phrase à une
grammaire du couple question-réponse, on constatera que la bipartition
aura des résultats tout à fait différents.
Ceci étant, la terre élue de l’opération de thémati sation est
représentée par les constructions disloquées (à gau che ou à droite) avec
ou sans reprise anaphorique (voir Langue française , nr.78, S. Stati, 1990,
A.-Cl. Berthoud, 1996). Il faut noter que ces const ructions sont analysées
au niveau de la phrase, comme le résultat de la tra nsformation facultative
d’emphase. L’analyse est vraiment fructueuse lorsqu ’on thématise un
constituant phrastique autre que le sujet :

(1) Ce livre, je l’ai déjà lu.

REMARQUE: Il faut remarquer le rôle rhématique de la reprise
anaphorique au niveau de la phrase.

Par contre, en traitant du niveau transphrastique, Stati (1990) place
dans la catégorie des thématiseurs les SN assurant la reprise d’un contenu
phrastique (ou d’une partie de ce dernier), dans le cadre de la théorie de la
cohérence. Il s’agit de l’anaphore pronominale et d e la nominalisation
anaphorique ( Voilà Pierre. / Malheureusement je connais cet idiot ). Dans
ce dernier cas, on a affaire à un thématiseur informatif . Parfois un SN
reprend entièrement le contenu d’un énoncé antérieu r, jouant le rôle de
pivot syntaxique : Adresse-toi à Pierre. / Quelle idée !
Dans le numéro cité plus haut de Langue française , Michel de
Fornel s’attache à étudier le fonctionnement discur sif des structures
disloquées. L’analyse de certaines séquences assez simples montre
qu’une dislocation à gauche ou à droite témoigne de la vision

22 rétrospective du thème. La reprise d’une entité discursive peut être
immédiate :

(2) X : Chez Marc ça va ?
Y : Marc ça va.

(Fornel, repris par Berthoud, 1996 : 114)

ou à distance :

(3) A : Est-ce que vous mangez des grillades de lard gras ?
B : Autrefois, oui. Aujourd’hui ce n’est plus parei l.
A : Nous, on n’aime pas ça. Nous mangeons toujours du
maigre.
B : Des grillades de lard gras , mon père, lui, il en aimait.

(Corpus Oxford adapté)

Dans ce dernier cas, la structure disloquée ( des grillades de lard
gras ) assure le repositionnement sur un thème antérieur ement introduit. Le
problème est qu’à l’aide d’arguments discursifs , on justifie la bipartition de
la phrase en thème et rhème.
Parfois la reprise d’une entité discursive est signalée explicitement :

(4) "… quand je serai vieux et ruineux, je me marie rai peut-être. Et
après ? Il ne s’agira pas de ne faire qu’un corps e t une âme, et
patati patata, mais de donner la satisfaction d’un état à une

23 garde-malade dévouée. Et rien de ce que je pense du mariage
n’en sera infirmé.
Ils étaient au milieu des parterres de roses, un pe u cacochymes
elles-mêmes en cette fin de juillet. Il reprit :
– Chaque beauté, chaque chose réussie , l’homme s’ingénie à
la gâcher, même quand elle est sa création."

(Montherlant, Le démon du bien )

Dans le fragment antérieur, les SN thématisés ne r eprésentent pas
une reprise à la lettre. Ils reprennent une idée im plicite, voire les effets
négatifs du mariage.
La mise en évidence du thème fonde, dans la plupar t des acceptions,
l’opération de thématisation :

" … par thématisation, nous entendons les différent s procédés
syntaxiques de marquage du topic, caractéristiques du discours
oral.
Parmi les marquages du topic, nous comptons essenti ellement
les procédés de dislocation, à gauche ou à droite" (A-Cl.
Berthoud, 1996 : 100).

Mais cette approche formelle, exploitant certaines marques
syntaxiques (ici, les constructions détachées), dev ra être complétée par
une approche des rôles informationnels. Cette derni ère récupère les
résultats de l’analyse syntaxique et prend le synta gme des grillades de lard
gras pour une entité discursive disponible, mais à (ré)a ctiver.

24 Toutes les considérations précédentes concernent la reprise et/ou la
mise en évidence d’un thème discursif antérieuremen t introduit. Une telle
vision (rétrospective) ne dit rien sur l’introducti on du thème. C'est justement
le rôle discursif que nous allons assigner aux écha nges du type question-
réponse dans le cadre d’une vision prospective. Pou r bien préparer le
terrain de la présente analyse, dans les pages du p résent chapitre nous
relevons certains traits d’un tel couple, en insist ant sur les aspects qui se
trouvent à la base de notre perspective du thème.

REMARQUE: A côté des dislocations (gauche et droite) ou de l a
passivation, la saillance du thème peut être assuré e par un procédé
syntaxique moins fréquent – la relativisation .
Mais l’association entre les deux opérations n’est possible que si la
relative interrompt la principale. Dans ce cas, la relativisation joue un
rôle fonctionnel très important : celui d'isoler le thème du reste de la
phrase.
Cette opération a pour résultat l'insertion d'une p hrase relative en tant
qu'expansion d'un élément nominal de la phrase matr ice. De ce point
de vue, cette transformation se distingue des trans formations de
passivation et d'emphase qui s'appliquent à des phr ases simples.

a. Ces étudiants sont mes amis (P 1). Ils entrent dans la salle (P 2).
b. Les étudiants qui entrent dans la salle sont mes amis.

a. Je lis ce livre (P 1). Tu m'as donné ce livre (P 2).
b. Je lis le livre que tu m'as donné.

a. Je lis ce livre (P 1). Tu m'as donné ce livre (P 2).

25 b. Le livre que tu m'as donné, je l'ai lu.

Il faut préciser que dans la seconde phrase de la s érie, la
relativisation n'est pas un moyen de thématisation car la relative
n'interrompt pas la principale. Elle sera donc lais sée de côté.
La dernière phrase n'est qu'une variante de l’avant -dernière. Cette
fois-ci la relative interrompt la principale. L'élé ment thématisé n'est
plus le sujet, mais l'objet direct. En fait, c'est un cas de thématisation
par détachement.

Résumons maintenant ce « maquis » terminologique e t conceptuel :
le thème est généralement considéré comme une entit é mémorielle ou
comme un pont entre le passé et le « devenir » du d iscours. Les trois
acceptions de cette notion, que nous avons présent ées dans ce chapitre,
sont les suivantes :

a) Le thème est en rapport avec la position initial e ou avec la
dislocation d’un SN à gauche ou à droite.
b) Le thème est ce sur quoi porte l’énoncé (le crit ère étant donc sa
fonction ) ;
c) Le thème est une entité discursive ayant un réfé rent connu
(donné), disponible ou récupérable (à partir du sav oir partagé).

REMARQUE: Pour une analyse détaillée de ces trois acceptions , se
rapporter à M.-P. Péry-Woodley (2000).

Dans notre vision, ces trois acceptions illustrent le passage du thème
monologal au thème dialogal . Le premier caractérise généralement les

26 textes écrits “l’introduction, la continuation ou l ’abandon des thèmes se fait
non pas par négociation entre les participants du d iscours, mais sur la
seule base des représentations et des intentions du scripteur. C’est donc
au texte qu’incombe la tâche de guider le lecteur d ans cet aspect de
l’interprétation” (M.-P. Péry-Woodley, 2000 : 14). L’ordre direct, la
passivation ou la relativisation sont strictement l iés à la perspective
phrastique de la thématisation. Il en va de même de s dislocations à gauche
ou à droite (mises en rapport, comme nous venons de constater, avec la
transformation emphatique). Mais, dans ce dernier c as, les arguments
discursifs sont ceux qui permettent de rendre compt e de la reprise et du
repositionnement thématiques.
Si les acceptions a) et b) ne nous font penser qu’à la syntaxe de la
phrase (dans le premier cas s’agissant de la compos ante
transformationnelle, tandis que dans le second du c ourant pragois nommé
Functional Sentence Perspective ), l’appel au savoir partagé des
interlocuteurs (donc à leur histoire conversationne lle) témoigne de la
vocation discursive de la notion de thème.
Quoi qu’il en soit, cette variété d’aspects que pré sente la notion de
thème a permis des représentations que la grammaire phrastique ne
pouvait pas concevoir. A part la plus connue, celle de topic ou thème-
syntagme (d’habitude un syntagme nominal), A.-Cl. Berthoud ( 1996 : 15)
mentionne le topic-énoncé ou le topic-macrostructure (à la suite de T.A.
van Dijk, 1985). Ce dernier est plutôt une structur e mentale reposant sur un
scénario abstrait qui joue sur les tenants et les a boutissants d’un texte. De
plus, l’analyse des interactions verbales consacre une nouvelle acception
du thème – celle d’ objet conversationnel .
Si jusqu’à présent, ce petit compendium a rendu com pte du topic-
syntagme, le second chapitre portera sur le topic-é noncé (avec les

27 précisions que notre théorie comportera), tandis qu e l’objet conversationnel
dominera le troisième chapitre. Finalement, dans le quatrième chapitre,
nous mettrons en rapport l’idée de macrostructure a vec la notion d’ histoire
conversationnelle lancée par S. Golopen Ńia (1988).
Avant de continuer nos considérations concernant la notion de thème,
faisons quelques remarques sur l’opération de théma tisation et – le revers
de la médaille – celle de focalisation (opération a yant lieu à l’intérieur du
rhème). Nous nous intéressons ici à une série de ra pports :

a) Le rapport entre emphase et thématisation

C’est le cas des dislocations à gauche ou à droite (donc de la composante
phrastique). L’emphase est ici à prendre pour la tr ansformation facultative
dont rendent compte les modèles génératifs. Par con tre, une phrase
comme C’est une correction que je vais lui administrer (empruntée à Bidu-
Vrânceanu et alii , 1997 : 413) illustre le rapport entre emphase et
focalisation, opération dont nous traiterons dans l e second chapitre.

b) Le rapport entre anaphore et thématisation

L’analyse de l’anaphore au niveau du couple questio n-réponse prouvera la
vocation thématique, voire mémorielle, de celle-ci, à la différence des
modèles phrastiques qui prennent un pronom anaphori que pour une sorte
de représentant du thème à l’intérieur du rhème. C’ est l’esprit des articles
consacrés à la thématisation dans la phrase, parus dans le numéro 78 de
Langue française (1988).

c) Le rapport thème – thématisation

28
Traditionnellement représente le mécanisme par lequ el une entité est
placée en position thématique, voire frontale ou fi nale. Pour nous, la
thématisation est liée à l’introduction d’un thème ouvreur de séquence ou
d’un sous-thème (ou thème d’échange).

d) Le rapport foyer (ou focus) – focalisation

La focalisation est la totalité des moyens visant à la mise en évidence du
foyer (phrastique ou, dans notre cas, discursif). C es moyens sont loin de se
limiter à la syntaxe (aspect démontré par Nølke, 19 93). Dans tout énoncé, il
y a une focalisation simple (identificatrice) affectant le groupe verbal.
Par contre, la focalisation spécialisée concerne toute extraction d’un
syntagme à gauche ou à droite, qu’il s’agisse des c onstructions disloquées
(à valeur thématique) ou du clivage c’est…qui (que) et de sa variante de
pluriel (ayant une valeur rhématique par excellence , telle qu’elle résultera
du second chapitre).

1.2.2. Le thème dans la philosophie du langage

Cette perspective appartient à F. Jacques (1984). L ’auteur étudie le
rapport topic-comment dans le cadre du "processus de métaphorisation .
Même l’opposition des notions y fait métaphore. Ell e consiste à les
comparer dans un écart qui voit l’une par l’autre" (1984 : 363). Il n’est pas
question d’effacer la distinction entre usage litté ral et usage métaphorique.
Mais le progrès de la science repose sur "l’état d’ inachèvement qui

29 caractérise une pensée active" (voir F. Jacques, 19 84 : 367). L’auteur
illustre le passage de la métaphore à l’usage litté ral par le mot « code » que
la biologie moléculaire a emprunté au langage du dr oit.
La prédication métaphorique repose sur le rapport e ntre ce dont on
parle ( topic ) et un modificateur ( comment ), qui est le prédicat
métaphorique. L’élément auquel on assigne une lectu re standard est le
topic , tandis que le comment est l’élément de nouveauté. Dans l’exemple
fourni par l’auteur – « le temps est un fleuve qui… » -, le rapport entre le
topic t (temps) et le comment t’ "produit une nouvelle pertinence
sémantique … par le moyen d’une prédication non per tinente usuelle"
(1984 : 364).
Ce modèle, tout intéressant qu’il soit, applique la bipartition topic-
comment aux structures définitionnelles contenant le plus souvent une
prédication du type ETRE. Or, le binôme qui nous in téresse a, selon nous,
une applicabilité beaucoup plus large.
Ce qui est vraiment productif pour nos intentions c ’est l’emploi de
cette dichotomie dans l’analyse de ce que F. Jacque s appelle
l’interlocution :

"La sélection des propriétés reconnues pour le « co mment » repose
sur la confrontation expresse des croyances entre l es interlocuteurs.
Elle repose sur leur compétence communicative. De l à sa sensibilité
au contexte interlocutif. Il est clair que cette co nfrontation épistémique
est extrêmement précaire vu les différences catégor iales, dans un
débat où l’instaurateur d’une science nouvelle n’hé site pas à affronter
une conception ancienne du donné" (1984 : 366).

30 1.3. Le couple question-réponse et la demande d’inf ormation

Nous nous proposons une analyse linguistique de l’i nterrogation en
tant que marqueur de la demande d’information.
Tout le long de la présente étude, nous nous pench erons donc vers le
point de vue des logiciens informalistes, qui consi dèrent que "non
seulement les deux logiques (voire la logique éroté tique et celle de la
langue naturelle) diffèrent, mais encore il arrive qu’elles entrent en conflit :
les règles qui conviennent pour un opérateur formel peuvent ne pas
convenir pour son équivalent naturel" (H. P. Grice, 1979 : 58).

REMARQUE: Par contre, les logiciens formalistes (dont les mo dèles
ne nous intéressent pas ici, mais que nous présento ns pour les
exclure) se donnent pour objectif de "formuler les modèles généraux
de validation de l’inférence". Dans cette vision, "les opérateurs
formels ont un avantage considérable sur leurs équi valents naturels
(…) Un tel système peut être composé d’un ensemble limité de
formules simples qui sont nécessairement acceptable s si les
opérateurs ont bien le sens qui leur a été assigné, et d’un nombre
indéfini d’autres formules beaucoup moins acceptabl es à première
vue, mais dont l’acceptabilité peut être prouvée à partir de l’ensemble
de base" (H. P. Grice, 1979 : 58). L’écart entre lo gique et langue
naturelle s’explique par le caractère imparfait de cette dernière.

1.3.1. La question – valeurs illocutoires

Abordons un peu la pragmatique des questions. Searl e (1982 : 53)
les place dans la catégorie des directifs . "Le but illocutoire de ces verbes

31 consiste dans le fait qu’ils constituent des tentat ives (…) de la part du
locuteur de faire faire quelque chose par l’auditeu r. Il peut s’agir de
tentatives très modestes, comme vous inviter à le f aire, ou vous suggérer
de le faire, ou bien des tentatives très ardentes c omme insister pour que
vous le fassiez (…)"
La direction d’ajustement va du monde aux mots – on « se plie » à la
volonté de quelqu'un (à la différence des assertifs dont la direction
d’ajustement va des mots au monde – on déclare, on constate, on décrit).
Mais les questions ne représentent qu’un sous-ense mble de directifs.
L’interrogateur essaie de faire répondre l’interrog é. Il s’agit donc d’une
réaction de nature verbale, ce dernier étant suppos é accomplir un acte de
langage.
La demande d’information, en tant qu’acte directif doit satisfaire
certaines conditions. Nous allons utiliser le modèl e de Charaudeau (1992 :
591) en spécifiant la condition de succès à laquell e renvoie chaque
composante. Remarquons d’abord qu’un tel modèle doi t présenter les
conditions de succès de l’acte interrogatif, mais a ussi celles de l’acte de
réponse. La description de la situation de communic ation implique la prise
en considération du principe de coopération entre l es deux instances du
dialogue : le locuteur (dans notre cas, l’interroga teur) et l’allocutaire
(l’interrogé).
Ainsi, le locuteur (l) :

a) pose , dans son énoncé, une information à acquérir. Conf ormément à la
condition de sincérité , il veut acquérir cette information de son
interlocuteur ;

32 b) L demande à l'interlocuteur de dire ce qu'il sait (demande d' information –
qui sera le centre de nos préoccupations – ou d' assentiment ). La condition
de contenu propositionnel oriente l’interrogé vers une réponse
renfermant une fonction propositionnelle ou vers un e
confirmation/infirmation contenue par la demande d’ assentiment ;

c) L révèle son ignorance par rapport à ce qu'il demande (à moins qu'il ne
fasse semblant d'ignorer). Il est ici question de la condition préparatoire .
Mais, comme dit H. Parret (1979 : 86), "il n’est pa s évident pour
l’interrogateur et l’interrogé que ce dernier donne rait l’information contenue
dans la réponse en l’absence de la question" ;

d) L impose à l'interlocuteur un rôle de « répondeur ». Selon S earle (1982 :
86), " la condition essentielle revient à la tentative de L d’amener A
(l’allocutaire) à faire Q" (pour nous, L essaie d’a mener A à répondre à une
question).

e) L se donne le droit de questionner (car ne questionne pas qui veut ; il
faut que le rapport du locuteur à l'interlocuteur l 'autorise). C’est la
condition d’autorité .

À son tour, l'interlocuteur :

a) est supposé avoir compétence pour répondre ;

b) se voit dans l'obligation de répondre quelque chose (attit ude qu'il n'aurait
pas eu s'il n'avait pas été interrogé), mais l'aveu d'ignorance n'entraîne pas
nécessairement une sanction.

33
Avant de continuer, distinguons entre la question r éelle – dans
laquelle l’interrogateur veut savoir la réponse – e t la question d’examen
(socratique) – dans laquelle l’interrogateur vise à vérifier le savoir de
l’interrogé (voir Fontaney, 1991 : 120). Nous allon s laisser de côté la
question rhétorique, qui n’attend pas vraiment de r éponse du fait de
l’absence de la cible qui est l’interrogé.

REMARQUE: L’interrogation ne se limite pas à l’acte de
questionnement : "Il s’en faut de beaucoup que ce q u’on appelle la
phrase interrogative – celle qui, dans le langage é crit, se termine par
un point d’interrogation – ne corresponde qu’au seu l besoin d’obtenir
d’un interlocuteur une information sur quelque chos e qu’on ignore
(appel d’information) : elle peut aussi servir à tr aduire l’incertitude du
sujet parlant devant un problème à résoudre ou deva nt un acte à
accomplir (délibération), à faire confirmer ce dont on vient d’être
informé et qu’on accueille avec étonnement, indigna tion, amusement,
ironie, etc. ; elle peut encore être un moyen styli stique d’affirmer ou
de nier avec vigueur (on parle alors d’intonation o ratoire) de
commander, de formuler une hypothèse" (G. Moignet, 1974 : 98).
Après ce passage en revue des autres valeurs illocu toires de la
question, nous les laissons de côté, en nous concen trant sur la quête
d’information.

Voilà maintenant quelques considérations d’ordre p ragmatique
concernant l’ensemble qu’est le couple question-rép onse :
Ce couple, actualisant une demande d’information (qui nous occupera
dans les chapitres suivants), est plutôt à associer aux questions de

34 constituant propositionnel qu’aux questions dites t otales. Cette dernière
catégorie représente les demandes d’assentiment (ou de confirmation),
suivies par la confirmation proprement dite ou par l’infirmation.
La paire question-réponse sera donc la plus propre à assurer le
renouveau informationnel au niveau de l’interventio n réactive positive :

(5) A : Quelle heure est-il ?
B1 : Il est minuit.
B2 : Je ne sais pas.
B3 : Vous essayez de me draguer, quoi ?

Ce n’est que la réponse positive (B1) qui conduira vers la
complétude informationnelle (voire la satisfaction du besoin d’information
de l’interrogateur). Pour ce qui est de la complétude interactive , elle peut
être assurée même par une réponse du type Je ne sais pas (B2) si les
interlocuteurs tombent d’accord quant à clôture de l’échange (l’interrogé
n’étant que susceptible de connaître la réponse ; voir, à ce sujet, Kerbrat –
Orecchioni, 1990 : 207). Par contre, l’interventio n réactive B3 porte sur
l’acte d’énonciation, et non pas sur l’énoncé A, n’ assurant ni la complétude
informationnelle, ni celle interactive, ayant donc le statut d’une réplique.
Dans le cas de l’interrogation dite « totale », on n’a plus affaire au
binôme question-réponse, mais plutôt à un échange d u type « demande de
confirmation – confirmation ou infirmation » :

(6) A : Est-ce qu’il neige ?
B1 : Oui.
B2 : Non.
B3 : Vous ne voyez pas bien ?

35
Le locuteur A obtient une confirmation (B1), une in firmation (B2) ou
une réplique (B3 – le désaccord portant sur l’énonc iation, non pas sur
l’énoncé, comme dans le cas du couple A-B2).
Cette distinction (à retrouver chez Mœschler, 1985) montre que la
véritable quête d’information est l’apanage de l’in terrogation dite partielle,
actualisée par le couple question-réponse. Nous avo ns opéré cette
limitation de la perspective afin de pouvoir justif ier le rapprochement entre
ce dernier couple et le binôme thème-rhème.
L’échange question-réponse est le plus susceptible d’un
enchaînement du type explicite-explicite. Etudions les exemples suivants
(forgés dans la plupart des cas), qui montrent la t endance de la demande
d’information à engendrer des contenus explicites :

L’enchaînement du type explicite-explicite :

(7) A : Où vas-tu en vacances ?
B : Dans le Midi.

L’enchaînement du type explicite-implicite (c'est le cas d’une offre suivie
de refus) :

(8) A : Tu veux du café ?
B : Je ne prends jamais d’excitant.

(exemple emprunté à Sperber et Wilson, 1979)

3. L’enchaînement du type implicite-explicite (un reproche) :

36
(9) A : Quelle aurait pu être ma réaction dans une telle
circonstance ?
B : Oui, c’est vrai.

4. L’enchaînement du type implicite-implicite :

(10) A : Vous étiez déjà partis…
B : Nous étions en retard.

Même dans le cas des contenus explicites certaines questions sont
difficiles à analyser : une question du type « pour quoi » peut se trouver à la
base d’enchaînements implicites qui requièrent des mécanismes
interprétatifs permettant de retracer le lien théma tique entre question et
réponse :

(11) Q: Pourquoi est-ce que « Commande de volume » ne s'ouvre
pas lorsque j'essaie de régler mon micro ?

R: Allez sous Démarrer, Paramètres, Panneau de conf iguration.
Ouvrez Multimédia (Sons et Multimédia si vous utili sez
Windows 2000 ou ME puis cliquez sur l'onglet Audio) . Assurez-
vous que votre carte son est définie en tant que pé riphérique
par défaut dans Lecture et Enregistrement. Allez so us
Démarrer, Programmes, Accessoires, Divertissement o u
Multimédia (si vous utilisez Windows 95) et ouvrez Commandes
de volume. Vous pouvez alors régler votre microphon e.

37 (http://www.labtec.com, 2004)

Les impératifs ( allez, ouvrez, cliquez ) ne fournissent pas l’explication
attendue, mais passent directement au remède au pro blème soulevé.

1.3.2. La question – aspects prosodiques

Les lignes suivantes se proposent d’isoler la quête d’information, qui
nous intéressera tout le long de la présente étude.
L’ascendance finale – marquant l’incomplétude info rmationnelle – est
le trait qui, de règle, particularise l’énoncé inte rrogatif. Par contre, la
complétude informationnelle est marquée par une int onation descendante à
la fin de l’énoncé assertif (voir Rémi-Giraud, 1991 : 39-62) :

(12) Il pleut.
vs
Pleut- il ?

La recherche d’information est à associer à l’inton ation montante
(surtout dans le cas de l’interrogation totale). Pl us on s’éloigne de cette
valeur primaire (ce qui signifie l’existence, à côt é de celle-ci, d’autres
valeurs illocutoires), plus l’intonation du segment phrastique final descend
(voir, pour une analyse détaillée de ces aspects, F ontaney, 1991) :

(13) Pouvez- vous me passer le sel ?

38 L’intonation joue donc un rôle décisif dans le cas de l’interrogation
propositionnelle, surtout au cas où l’ordre des mot s correspond à celui de
l’assertion correspondante. De plus, lorsqu’il y a d’autres marques de la
valeur interrogative, comme l’introducteur est-ce que , l’intonation n’est pas
nécessairement montante.
Dans le cas des questions de constituant (dites tr aditionnellement
partielles), le sommet de hauteur touche le mot int errogatif ou sa dernière
syllabe (voir Vi șan, 2000 : 49) :

(14) De tous les films que vous avez vus, lequel avez-vous le plus
aimé ?

(Corpus Oxford adapté)

Ce qu’il faut retenir est que ce sommet de hauteur représente le signe
d’incomplétude informationnelle :

(15) Où trouver cet argent ?

(Le Petit Robert)

(16) Tu vas où ?

1.3.3. La « solidité » du rapport question-réponse

Dans la série des actes de langage, le couple « sum mon-answer » –
« sommation », "demande adressée à quelqu’un de faire quelque chose de

39 spécifique" (le dictionnaire Webster) – est fort co ntraignant du point de vue
de l’insistance avec laquelle on demande une réacti on de la part de L 2 :
"ces signaux fonctionnent comme des espèces de S.O. S. pour L 2, qui peut
difficilement, s’il est en mesure de porter assista nce à L 1, se retenir de le
faire" (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 201).
La paire question-réponse suit, du point de vue du rapport entre L 1 et
L2 le couple antérieurement mentionné. Ducrot parle d u « pouvoir
exorbitant » des questions, puisqu’elles "prétenden t obliger l’autre à
répondre" (1983 : 99). Entre les deux interlocuteur s il y a une relation de
dépendance conditionnelle (« conditional relevance ») : L 1 est
l’interrogateur, tandis que L 2 est l’interrogé. Ce dernier est généralement
supposé répondre.
Pour mieux rendre compte des différences entre la q uestion
propositionnelle et la question de fonction proposi tionnelle, rapportons-nous
au modèle de S. Rémi-Giraud (1988) :
L’interrogateur mobilise un contenu propositionnel (CP) commun à la
question et à la réponse. Ce qui diffère c'est la m odalité énonciative : MI
(modalité interrogative), dans le cas de la questio n et MA (modalité
assertive), dans le cas de la réponse. Dans le cas de l’interrogation totale
(Oui/Non), le CP est lexicalement saturé, le signif ié de la MI étant « je te
demande de me dire que cela ( cela représentant le CP) est ou n’est pas »,
dans le cas de l’interrogation partielle, on peut p arler de non-saturation
lexicale, le signifié de la MI étant « je te demand e de me dire pour quelle(s)
valeur(s) de la variable propositionnelle cela est ou n’est pas » (voir Rémi-
Giraud, 1988). Cela prouve que le CP influe sur la MI, au moyen d’une
variable propositionnelle. C'est justement cette in fluence qui sera exploitée
pour définir l’introduction thématique. Au niveau d iscursif on aura donc un

40 objet discursif – représenté par le CP – et un acte discursif – résultat de
l’action de la MI sur le CP.
Par sa réponse, L 2 transforme l’interrogation de L 1 en assertion. Pour
Rémi-Giraud (1988 : 87), cette transformation conna ît deux étapes,
concernant l’objet discursif et, respectivement, l’ acte discursif :

– L 2 apporte une première modalité assertive (MA1) qui donne à l’objet
discursif sa fonction référentielle.

– Le véritable apport informationnel est assuré pa r MA2. A ce niveau, on
passe de l’objet discursif à l’acte discursif d’inf ormation ayant une
fonction énonciative.

D’habitude, un échange du type question-réponse com porte aussi
une troisième intervention de la part de l’interrog ateur – Merci, Ah bon, ou
bien Ah bon, merci . C'est pour cela que généralement on parle de la
structure ternaire (A1, B1, A2) d’un tel échange. Du point de vue
thématique, la dernière intervention, ayant une fon ction d’équilibre (voir
Rémi-Giraud, 1988 : 88), ne présente cependant pas d’intérêt. Nous nous
bornerons aux structures binaires comme :

(17) A : Quelle heure est-il ?
B : Il est midi. / Je ne sais pas. / Je ne peux pas te le dire.

1.3.4. L’échange question-réponse et la cohérence d iscursive

Pour définir ce rapport, nous recourons à la notion de cohérence, telle
qu’elle est définie par Halliday et Hassan (1976 : 4) : "Coherence occurs

41 where the interpretation of some element in the dis course is dependent on
that of another. The one presupposes the other, in the sense that it cannot
be effectively decoded except by recourse to it". C ette vision semble
s’appliquer au couple question-réponse : la questio n représente le stimulus
dont les propriétés relationnelles sont à découvrir au moyen de l’énoncé-
réaction, représenté par la réponse correspondante : "Nous posons même
le principe général que toute intervention déclench ée après une autre est
probablement une réaction à la première. Et si, à c ause de son contenu
phrastique, E n n’est pas concevable comme réaction à E x, on parlera de
rupture de continuité, discontinuité thématique ou de cassure" (Stati, 1990 :
19). Nous ajouterions que dans le cas de la paire q uestion-réponse il s’agit
d’une intervention (réactive) déclenchée après une intervention initiative ou
bien d’une séquence du type réaction + stimulus :

(18) A1 : Comment ça va ?
B1 : Très bien. Et toi ?
B2 : Très bien. Merci.

Cette étude ne portera que sur les réactions cohére ntes. Seront
laissées de côté les réactions incohérentes (qui ne tiennent pas compte de
la fonction et du rôle argumentatif du stimulus (vo ir Stati, 1990)) :

(19) A : Quel âge avez-vous ?
B : * Il fait beau aujourd’hui.

Dans la même catégorie entrent les réponses qui ign orent la nature
totale/partielle d’une interrogative-stimulus (pour plus de détails, voir Stati,
1990 : 96) :

42
(20) A : Quel âge avez-vous ?
B : * Oui.

Les réactions différées (auquel cas, l’ apparente incohérence
formelle apportée par un échange enchâssé est suivi e d’une réaction
appropriée) feront l’objet de nos développements ul térieurs :

(21) A1 : Tu l’aimes ?
B1 : Qui ?
A2 : Marie, bien sûr.
B2 : L’aimer ? Pas du tout.

Nous venons de finir cette brève présentation de l a paire question-
réponse en introduisant la notion de cohérence disc ursive. Celle-ci se
trouve en rapport direct avec la thématicité.

REMARQUE: A part la cohérence, R. Martin (1983 : 205-206) fai t
également appel à la notion de cohésion . Celle-ci "détermine
l’appropriation d’une phrase bien formée à un conte xte", se fondant
"sur des critères comme ceux d’isotopie, d’anaphore , de communauté
présuppositionnelle, dont la fonction s’exerce à l’intérieur même du
texte indépendamment de toute variation situationnelle". Il s’agit donc
d’une composante foncièrement sémantique. Dans cett e perspective,
la thématicité rend compte de la cohésion et non pa s de la
cohérence. Cette dernière appartient pour Martin à la composante
pragmatique, impliquant la situation extra-linguist ique et les
connaissances d’univers. L’exemple que Martin donne (1983 : 206)

43 est celui du professeur Tournesol qui vient à la So rbonne en patins à
roulettes, soit parce qu’il a cours, soit parce que le métro est en
grève, soit parce qu’il est fou. Des trois variante s parfaitement
cohésives, la plus cohérente s’avère de loin la der nière.
Nous allons abandonner cette distinction (ou plus e xactement nous
allons prendre pour satisfaits les critères concern ant la situation extra-
linguistique et les connaissances d’univers) pour d eux raisons :
d’abord, parce que Martin reconnaît lui-même le car actère à peu près
illusoire de la distinction entre cohésion et cohér ence et puis parce
que la thématicité rend compte de la composante sém antique.

Par conséquent, notre conception de la cohérence ré cupère tous les
traits de la cohésion, en ajoutant les aspects extr a-linguistiques et le savoir
partagé.

1.4. Le couple thème-rhème au niveau de l’échange d u type
question-réponse

Jusqu’à présent, nous avons présenté les aspects l es plus importants
dont on doit tenir compte dans une analyse de la pa ire thème-rhème. Ce
qui nous intéresse à cette étape de l’analyse ce so nt les points de contact
entre les deux paires de notions thème-rhème et, re spectivement, question-
réponse :

1. L’idée de couple (binôme, dichotomie , etc.). Cette condition n’est ni
nécessaire, ni suffisante. Elle est non nécessaire car on ne peut pas
opérer la bipartition en thème et rhème d’une quest ion totale du type Oui

44 / Non . A notre avis, une telle question ne fait que prop oser un thème
(Est-ce qu’il pleut ? ) qui sera accepté ou rejeté par l’interrogé. L’idé e de
couple n’est pas une condition suffisante non plus. Elle existe à tout
niveau, dans toute perspective : dans la tradition logique et
grammaticale (par exemple sujet vs prédicat ), en grammaire structurale
et transformationnelle ( syntagme vs paradigme ou bien compétence vs
performance ), en pragmatique (Stati, 1990 postule la combinais on en
paires des actes de langage – question-réponse, promesse-
remerciement, critique-contestation , etc.). Nous devons situer les deux
couples au niveau transphrastique .

2. Cette dernière est, en fait, la seconde conditio n, nécessaire, mais non
suffisante. Pour rendre compte de la vocation trans phrastique du thème
(topic ou topique, dans l’orthographe française), c itons Haiman (1978 :
85) : "The topic represents an entity whose existen ce is agreed upon by
the speaker and his audience. As such, it constitut es the framework
which has been selected for the following discourse ". La composante
dialogale (et dialogique) ressort de cette position , tout comme elle
ressort du passage de Kerbrat-Orecchioni (1991 : 11 ) cité au début de
ce chapitre et que nous prolongeons un peu. De plus , ce dernier point de
vue suggère, ne fût-ce qu’au moyen de la modalisati on, la parenté entre
le couple question-réponse et le couple thème-rhème : "… l’échange
question-réponse apparaît comme une sorte d’énoncé unique construit à
deux (énoncé dont la question constitue le thème, e t la réponse le
rhème): c’est dire combien on a ici affaire à un én oncé de nature
foncièrement dialogale et dialogique."

45 Mais au même niveau transphrastique, nous retrouvon s aussi
d’autres actes de langage. Si nous nous rapportons, par exemple, au
couple summon-answer , la segmentation en thème et rhème en est
pratiquement impossible à opérer, car L 2 est supposé réagir non
verbalement, s’agissant d’une demande de FAIRE et n on pas de DIRE.
Ceci étant, nous devons placer ailleurs notre analy se.

3. Tout le long de la présente étude nous aborderon s une perspective
informationnelle : "Nous ne définirons donc le topique ni en termes de
pure position , ni dans le cadre d'un énoncé isolé . Seule l'étude de
l'appariement question-réponse, d'un côté, et de la forme de la
question, de l'autre, fournissent des moyens fiable s d'identification
des rôles informationnels " (Marie-Claude Paris, 1999 : 204). A son
tour, Berthoud signale cette affinité entre la stru cture interrogative et le
thème discursif : "Qu’il s’agisse de questions nom mant le topic qui va
servir de base à la question, par exemple : qu’est-ce qu’elle fait, la
dame ? ou de questions invitant l’interlocuteur à la form ulation d’un
nouveau topic, du type : qu’est-ce qui se passe ? on procède dans les
deux cas à une introduction de topics par rhématisa tion, que ce soit à
l’intérieur d’un même énoncé ou au sein d’une paire adjacente
question-réponse " (1996 : 61).

L’école de Prague a distingué entre information connue (ancienne)
vs nouvelle , l’analyse se situant, il est vrai, au niveau phra stique (se
rapporter à Mœschler et Reboul, 1994 ou bien Bertho ud, 1996).
La distinction précédente concerne aussi, mais de m anière différente,
l’échange question-réponse. Ainsi, au niveau de la question, pose-t-on une

46 inconnue, au moyen d’un archilexème, tandis que la réponse fournira la
solution de cette inconnue.
Cette idée est à retrouver chez Lyons (1995 : 377). L’auteur parle de
la réponse à une question (implicite ou explicite) comme moyen d’identifier
les rôles thématique et informationnel. Si, en appl iquant le critère « élément
donné – élément nouveau » (emprunté à Halliday), l’ énoncé Jean s’est
enfui répond à la question Qui s’est enfui ? , alors l’entité Jean représente le
rhème, tandis que le reste de l’énoncé – s’est enfui – représente le thème.
Au cas d’une question telle que Qu’est-ce qui est arrivé ?, ce n’est que le
temps verbal qui est récupérable en contexte. Le re ste de l’énoncé véhicule
l’information nouvelle et, de ce fait, rhématique. Mais en parlant de question
implicite, Lyons nous fait plutôt penser à un test visant à relever
l’information nouvelle.
Par conséquent, le trajet commence par l’informatio n inconnue et finit
par l’information nouvelle, à la différence du coup le antérieur (information
connue vs information nouvelle) dont le trajet est sensiblement différent.
Il est donc difficile, sinon impossible de mainteni r le binôme praguois,
sans faire des précisions quant une segmentation du couple dialogal et
dialogique question-réponse en thème et rhème.

4. Mais si le trajet est distinct, ce qui est commu n aux deux binômes qui
font l’objet de la présente étude c'est le résultat de ce trajet, à savoir le
renouveau sémantique (c'est d’ailleurs là que nous pourrions parler de
condition nécessaire et suffisante). Notre mission est d’étudier la
segmentation en thème et rhème de l’énoncé complexe (ou plutôt du
complexe discursif) question-réponse et non pas de la segmentation au
niveau phrastique des deux membres de ce complexe.

47 Ainsi, notre modèle se propose-t-il de rendre comp te du jeu de la
parole constitué par la relation question-réponse. Pour nous, l’énoncé
interrogatif introduit un thème (ou un sous-thème d iscursif). Dans cette
acception, le thème pose un problème, tandis que le rhème en apporte la
solution. C’est au rhème de faciliter la poursuite d’un entretien. Le
morphème de l’interrogation partielle ne fait que d iriger, esquisser une voie
à la saturation de la variable. Il est donc une pré misse de cette saturation.
L’apport informationnel proprement dit, voire la rh ématisation est l’apanage
de l’intervention réactive. En d’autres termes, l’i nterrogation (= l’information
nouvelle requise) est une première étape du renouve au ou de
l’enrichissement informationnel du discours, mais p as la rhématisation
proprement dite. Les auteurs qui postulent le décou page en thème et
rhème de chaque phrase considèrent que le rhème de la phrase
interrogative est l’information nouvelle requise , tandis que le rhème de
l’intervention réactive est représenté par l’inform ation nouvelle donnée .
D’où les deux différents types d’apport informatio nnel.
A la suite de J. Firbas (1974), le thème est la pa rtie de l’énoncé ayant
le moindre degré de dynamisme communicatif. C’est donc au rhème de
dynamiser la communication. Une dynamisation réelle n’a lieu qu’au
moment où on fournit une information nouvelle et no n pas au moment où
on la demande. Considérons le contexte suivant :

(22) – En somme, que craignez-vous ?
– De m’attacher trop à vous.

(Montherlant, Le démon du bien )

48 En posant la question Que craignez-vous ? , l’interrogateur prépare la
direction dans laquelle doit aller la saturation. M ais il ne fournit aucune
information nouvelle, sauf le chemin dans lequel s’ inscrit la variable
(orientant la réponse de son interlocuteur vers un SN objet). Le véritable
apport d’information nouvelle est à trouver au nive au de la réponse De
m’attacher trop à vous .
Les partisans de l’analyse en termes phrastiques p ourraient objecter
que nous privons la question de rhème. Mais dès que l’on perçoit la
question comme une sorte de pont entre ce qui est d éjà connu et ce que
l’on ignore pour le moment, on saisit aisément la p arenté entre la
thématicité et les traits sémantiques de l’énoncé i nterrogatif.
Pour réconcilier les deux positions en ce qui conc erne la valeur de
cette variable, nous dirions qu’elle possède une so rte de rhématicité
inhérente. Mais ce n’est qu’un premier pas dans le chemin qui aboutira à la
solution du problème.
Dans l’exemple cité ci-dessus, la réponse constitu e le véritable
apport dynamique du couple question-réponse (syntagme emprunté à
Rémi-Giraud, 1990). Comme on peut constater, le fra gment commun à la
question et à la réponse est supprimé. Ce dernier, constituant l’entité
mémorielle au niveau de cet échange (selon le même auteur), f ait l’objet
d’une ellipse, dont nous nous occuperons dans le ch apitre suivant.
Il nous reste à faire quelques remarques sur l’appo rt dynamique,
représenté, dans notre cas, par le syntagme De m’attacher trop à vous . A
lui seul, ce syntagme n’aurait pas de sens, idée so utenue par B. de
Cornulier (1979 : 60-61). Dire que l’information no uvelle n’est que le SN
antérieurement mentionné c'est tout au plus suggére r que Je crains de
m’attacher trop à vous . Si on note par M le segment Je crains et par L le
segment de m’attacher trop à vous , on obtient la réponse ML qui sature la

49 variable. "Appelons différence sémantique de ML et M, ou ML moins M,
ce qu’il faut ajouter de sens (ni plus, ni moins) à M pour obtenir ML (on dira
que ML égale M plus L)" (Cornulier, 1979 : 61).
Nous pensons que le rapport entre question et répon se reflète
justement cette différence de sens (que l’auteur ap plique au niveau
phrastique). La possibilité de supprimer la partie mémorielle et d’isoler
l’apport dynamique L prouve la solidité de la relat ion entre question et
réponse. Il n’y aurait pas une telle possibilité si le segment commun aux
deux membres n’était pas récupérable. Le rhème de m’attacher trop à vous
prend appui sur le thème que craignez-vous ? Sans ce dernier, l’apport
dynamique n’aurait pas de fondement.

1.5. Quelques précisions sur le corpus utilisé

Le problème du corpus a toujours soulevé des diffi cultés dans les
travaux de linguistique discursive, idée soulignée par Mœschler (1985 :
75) :

"… le problème du corpus échappe à l’affreux dilemm e de
l’exhaustivité. Depuis l’apparition de la linguisti que chomskyenne, il
est convenu de considérer un corpus linguistique (q ue ce soit à des
fins d’analyses phonologique, morphologique, syntax ique ou encore
pragmatique), comme nécessairement incomplet, partiel – ne
permettant que des généralisations hasardeuses -, e t comme
inapproprié – le corpus contenant des informations parasitaires n e
relevant pas de l’objet d’étude (c’est-à-dire de la compétence

50 (phonologique, morphologique, syntaxique…) du sujet parlant, mais
de sa seule performance.
Un corpus aurait donc la double propriété (négative ) de rendre toute
généralisation sérieuse impossible et surtout d’abo utir à de fausses
prédictions".

D’habitude, on insiste sur la nécessité de puiser l es exemples dans
l’oral spontané :

"Pour le définir (n.n. l’acte de focalisation , qui nous intéressera dans
le second chapitre, en rapport étroit avec l’opérat ion de
thématisation), et pour en décrire le fonctionnemen t, il est
indispensable de l'observer dans son milieu naturel – le discours
spontané" (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 54).

Même les exemples tirés de la littérature sont trib utaires d’un certain
degré d’artificialité, comme le souligne Gelas (19 88 : 331) :

"…il (le dialogue romanesque) donne de la vie au te xte, fait
« exister » les personnages et « rend vrai », puisq ue la
systématisation et la densité exploitent les princi pes de
fonctionnement et les règles de la conversation aut hentique. Mais,
précisément, c'est aussi par cette systématisation et cette densité que
le dialogue romanesque est toujours « autre ». Même et autre. Il
renvoie à l’univers de réalité, mais manifeste, par rapport à lui, un
décalage et un écart qui ouvrent vers un ailleurs p roprement textuel :
il figure dans le corps même du texte, dans sa lett re – puisque c'est
de remodelage du langage qu’il s’agit – une opérati on de

51 déplacement dont nous avons proposé par ailleurs d’ y voir une
caractéristique de l’institution de la fiction".

A notre avis, cette nécessité d’avoir pour unique s ource l’oral
spontané risque de devenir un mythe auquel il est d ifficile de se soumettre
totalement. Presque tous les ouvrages consultés, mê me lorsqu’ils se
donnent pour objet l’étude de la conversation quoti dienne, recourent à des
exemples forgés « in vitro » et non pas à la langue parlée « in vivo ».
Pour nuancer, il faut travailler sur un corpus « mi xte », en mettant
l’accent sur les exemples « authentiques » et en mo tivant toute option. Le
corpus littéraire a, dans bien des situations, un c aractère rituel (comme
nous démontrerons dans le troisième chapitre). Si u n tel fragment vient à
l’appui d’une démonstration, nous l’utiliserons, en l’accompagnant des
remarques nécessaires.
Pour les intérêts de la présente étude, la nécessit é s’impose de
distinguer entre les constructions détachées, illus trant la vision
rétrospective du thème et l’organisation préférenti elle au plan discursif d’un
côté et les introducteurs thématiques (marquant la vision prospective) de
l’autre côté.
Il s’agit non seulement d’étudier la mise en éviden ce d’une entité
discursive récupérable en contexte, mais aussi de r elever le surgissement
d’un thème discursif à l’intérieur de la paire ques tion-réponse.
C’est pour cela que notre corpus ne se limitera pa s aux
« conversations gratuites » (dont parle André-Laroc hebouvy). Nous
recourrons aussi aux fragments littéraires et d’aut res textes présentant pour
dénominateur commun la recherche de l’information.
Or, une telle opération est à saisir non seulemen t dans une
conversation spontanée, mais aussi dans une convers ation didactique (peu

52 importe le fait qu’il s’agit d’une question d’exame n et non pas d’une « vraie
question »), un débat télévisé ou radiodiffusé (peu importe la complicité
entre les interlocuteurs et le fait que la question a été proférée dans intérêt
d’un tiers), d’un dialogue scientifique ou d’une e ntrevue d’embauche.
Le dialogue théâtral peut constituer une source fe rtile d’exemples :
"l’énonciation en retrace la construction. C’est co mme si on réécrivait,
devant les yeux des spectateurs, ce dialogue. De pl us, lorsque le linguiste
se sert d’un corpus tiré du dialogue théâtral, il f ait abstraction du spectateur,
voire de son rapport avec le texte. Une perspective informationnelle peut
donc tirer profit même de ce type de corpus" (Laroc hebouvy, 1984 : 7). Le
discours théâtral sera utilisé lorsqu’il s’agira de mettre en rapport la notion
de thème avec le concept d’histoire conversationnel le.
Nous ferons donc appel à un corpus varié (des exem ples forgés à la
conversation quotidienne, en passant par les fragme nts tirés de la
littérature), en l’adaptant à nos besoins. Si les d islocations à gauche ou à
droite impliquent des considérations stylistiques, il en va autrement pour le
couple question-réponse reflétant les structures th ématique et
informationnelle.
D’ailleurs, comme l’affirme R. Martin (1983 : 208) , les travaux de
l’Ecole de Prague (« la perspective fonctionnelle » ) et ceux de M.A.K.
Halliday "ont peu à peu fait naître la conviction q ue l’opposition du thème et
du rhème appartient aux universaux du langage". Ceu x-ci sont insensibles
aux effets stylistiques de telle ou telle langue.
Dans le chapitre suivant, nous insisterons sur les contrôles
syntaxique et sémantique que la question exerce sur la réponse. Ces types
de contrôle peuvent très bien (mais pas uniquement, il est vrai) être illustrés
par des exemples forgés.

53 Pour ce qui est du comportement discursif de la pai re question-
réponse incarnant une demande d’information (de son occurrence en divers
contextes conversationnels), nous avons utilisé des découpages littéraires
et des adaptations de corpus oral, que nous avons d épouillées de certaines
marques d’oralité. Ces dernières ne font pas l’obje t de la présente analyse.
Il nous reste à justifier l’emploi de ce que nous a vons nommé
« Corpus Oxford adapté ». Les découpages que nous e n avons tirés
appartiennent sans doute à la catégorie « conversat ion quotidienne ». La
région de provenance de ces dialogues est le Québec . C'est une des
explications pour le dépouillement dont nous venons de parler : l’évolution
des structures thématiques et informationnelles n’e st pas en rapport direct
avec les particularités prosodiques et stylistiques de la région.

1.6. Conclusions

L’objectif central de la présente étude est de rel ever les particularités
discursives qui rendent thème et question propres à agir de concert. La
dichotomie thème-rhème présente plus d’intérêt au n iveau transphrastique.
A ce niveau, elle peut contribuer à la cristallisat ion d’une grammaire du
couple question-réponse, en mettant l’accent sur le rapport entre
information nouvelle requise et information nouvelle fournie . Le
rhème, tel qu’il ressort de notre conception, est l ’étape où l’interrogé
satisfait la demande d’information. A l’intérieur d ’un échange question-
réponse, il existe des possibilités de distinguer n ettement entre les
fragments thématiques et les fragments rhématiques. Nous les
présenterons d’une manière détaillée dans le chapit re suivant. Un modèle
d’analyse de l’échange qui nous intéresse court plu sieurs risques. Le plus
important en est celui de l’incomplétude : une anal yse des structures ne

54 peut pas rendre compte de la complexité du rapport entre question et
réponse. Mais le rôle du couple thème-rhème reste c elui de délimiter
l’arrière-plan informationnel et les éléments de no uveauté discursive. C'est
dans ce sens que nous concevons l’utilité de ce cou ple, utilité à vérifier aux
différents niveaux de l’analyse conversationnelle. Dans la littérature de
spécialité, la dichotomie antérieurement mentionnée est maintenue au
niveau phrastique. Notre intention est de postuler l’homogénéité du couple
question-réponse que Kerbrat-Orecchioni prend pour un énoncé complexe.
Le spécifique du rapport discursif entre thème et r hème s’y retrouvera
analysé, par une spécialisation de l’appareil conce ptuel dont nous ferons
usage tout le long de la présente étude.

1.6.1. Le thème discursif entre le paradigme récurs if et le
paradigme stratégique

Pour décider du type d’approche que nous utiliseron s dans l’analyse
de la thématicité au niveau du couple question-répo nse, nous recourons
aux deux paradigmes élaborés par J. Hintikka (1994 : 3 et sq.), qui sont à la
base d’une théorie du langage :

a) le paradigme récursif
b) le paradigme stratégique

Le premier est lié à l’hégémonie de la règle et se retrouve surtout
dans la syntaxe générative.
Le second met l’accent sur le jeu du langage, vu co mme un
processus finalisé.

55 Sans entrer dans les détails du modèle de Hintikka, nous essayerons,
dans la mesure du possible, de nous placer dans un des paradigmes
susmentionnés.
Il nous aurait été plus commode si nous avions eu l a chance de tout
réduire au modèle récursif caractérisé par un nombr e fini de règles à
l’origine d’une infinité d’instances discursives.
En parlant du cadre structurel que la question impo se sur la réponse,
de la communauté présuppositionnelle entre les deux entités, de la
possibilité d’élider, dans la réponse, le fragment mémoriel (voire
thématique), de la focalisation portant sur l’infor mation nouvelle (voire
rhématique), l’option pour le paradigme récursif ne serait pas sans
fondement.
Mais le pouvoir analytique de ce modèle s’avérera i nsuffisante
lorsqu’il sera question d’analyser des phénomènes t els que la complétude
informationnelle et interactionnelle ou bien les st ratégies communicatives
menant à la clôture d’un échange. Nous pouvons ajou ter à cette
énumération le modèle de progression thématique que nous proposerons
dans le troisième chapitre.
Ce serait une illusion que de se figurer que les mo dèles récursifs sont
à même de tout résoudre. Même le modèle de progress ion thématique
proposé par Combettes (modèle essentiellement phras tique), qui s’applique
aux textes narratifs et descriptifs se voit impuiss ant lorsqu’il s’agit de
l’analyse thématique de la conversation.
Le passage des règles récursives aux règles stratég iques s’impose
dès qu’on se déplace du thème phrastique au sujet conversationnel .
La notion de thème discursif dans l’acception de Mœ schler (que nous
avons citée au début de ce chapitre) est impossible à étudier en appliquant

56 le seul paradigme récursif, car c'est une entité co gnitive, dont la définition
est beaucoup plus complexe que dans le cas du thème phrastique.
L’impossibilité de tout réduire à une grammaire du couple question-
réponse prouve la nécessité d’aller au-delà du prem ier paradigme et
d’étudier non seulement des régularités, mais aussi des stratégies
discursives.

57

CHAPITRE ll

58 LA THÉMATISATION AU NIVEAU DU COUPLE QUESTION-
RÉPONSE

Résumé : Le présent chapitre développe notre option de base, celle
d’analyser l’opération de thématisation au niveau d e l’échange,
fondamental dans l’interaction verbale, du type que stion-réponse.
Le domaine de l’analyse sera restreint à l’interrog ation partielle, qui produit
un énoncé auquel correspond une fonction propositio nnelle et non pas une
proposition, comme dans le cas de l’interrogation t otale. Celle-ci se donne
pour but de confirmer ou d’infirmer sa valeur de vé rité.
Une question partielle introduit le thème et signal e la place du rhème au
moyen de la variable propositionnelle, la propositi on se constituant au
niveau dialogal, par la production du rhème, une fo is la variable saturée par
une constante fournie par la réponse.
Nous traiterons de l’affinité entre thème et présup position locale, affinité
soutenue par Robert Martin et contestée par Oswald Ducrot. Pour ce
dernier, la présupposition est une condition d’empl oi et non pas de
thématisation. Nous serons les partisans de la vers ion présuppositionnelle,
que nous mettrons en rapport avec notre vision du thème. L’item
interrogatif, déclencheur, dans la conception de R. Martin, de la
présupposition morphématique, est celui qui crée le contexte dans lequel la
structure thème-rhème va se développer.
A cette étape de l’analyse, notre intérêt portera s ur le pôle rhématique du
couple, notamment sur ce qu’on pourrait appeler les rhématiseurs – l’ellipse
ou le clivage.
Tout comme le thème, le rhème peut être analysé au niveau
phrastique, comme fait de langue, ou comme résultat de l’opération de
focalisation, opération de langage. De cette manièr e, on peut poser le

59 problème de l’acceptabilité des marques du rhème, d onc des réponses,
compte tenu de la satisfaction des attentes, et non pas selon le seul critère
sémantique, en fonction de la saturation complète d e la variable introduite
par la question.
C’est, d’ailleurs, la perspective nous permettant d e rendre compte de
plusieurs situations d’inadéquation apparente, si b ien syntaxique que
sémantique, de la réponse à la question.

2.1. Préliminaires

Jusqu’à présent, nous avons essayé de placer le cou ple thème-
rhème à un niveau supérieur à celui phrastique.
L’affinité entre ce couple et la paire question-ré ponse est justifiée par
la vocation commune des deux entités discursives à assurer la progression
informationnelle.
L’idée que nous soutenons dans la présente étude e st qu’il est
beaucoup plus profitable d’opérer la bipartition en thème et rhème du
couple question-réponse que de présenter isolément chaque membre de ce
couple.
Dans cette perspective, le rhème représente l’info rmation nouvelle au
seul moment où celle-ci est fournie et non pas au m oment où elle est
requise. La variable propositionnelle n’a qu’un sta tut rhématique provisoire
(dans ce sens qu’elle est en rapport direct avec la constante).
Ce chapitre se propose d’insister sur la syntaxe e t la sémantique de
l’échange. Des considérations de nature pragmatico- discursive s’y
ajouterons là où le cas s’impose.
Pour définir le thème, notre analyse se concentrer a sur l’interrogation
appelée traditionnellement partielle. L’interrogati on dite totale ne sera

60 qu’effleurée vers la fin de ce chapitre et cela dan s la mesure où l’étude en
préparera le terrain pour l’examen du comportement discursif de l’échange
question-réponse.
Nous devons faire une précision là-dessus : la lim itation porte sur les
questions propositionnelles du type oui / non . Mais il est plus qu’évident
que ces dernières n’épuisent pas la problématique d e l’interrogation totale.
Il y a d’autres classes de telles questions que les grammaires – depuis
celles traditionnelles (par exemple, Grevisse), jus qu’à celles modernes
(voir, par exemple, Riegel et alii, 1996) – laissen t de côté. Un aspect
particulièrement intéressant est représenté par les questions combinées,
dont nous traiterons dans les pages de ce chapitre, en relation étroite avec
l’idée de thématicité.

REMARQUE: Nous nous permettrons d’utiliser en variation libr e la
terminologie liée à l’interrogation : questions pr opositionnelles,
questions décisionnelles et questions totales, d’un côté, questions de
fonction propositionnelle et questions partielles, de l’autre côté.

Nous tenterons de dresser une taxinomie des fonctio ns
propositionnelles pour lesquelles l’interrogation p artielle mobilise une
variable saturable au niveau de la réponse.
Le rhème renferme l’information nouvelle, qui repré sente le point final
du chemin exploratoire ouvert par la question. Pour mettre en évidence
cette information, on peut l’isoler au moyen d’une structure clivée comme
c'est…qui (que) ou de l’ellipse. Tous ces deux procédés illustrent la
rhématisation (à la différence d’un clivage comme il y a…qui (que) – de
nature existentielle – qui, loin d’isoler des fragm ents rhématiques, fait, à
notre avis, partie de la catégorie appelée topical sentences ).

61 L’analyse de ce que l’on nomme traditionnellement l e présentatif
c'est…qui (que) nous permettra de distinguer entre la fonction rhé matique
de cette construction et les structures disloquées (gauche ou droite) qui
sont, à juste titre, traitées de thématiques dans l es analyses illustrant la
perspective phrastique de la thématisation.
Contrairement à cette dernière, l’anaphore et la ca taphore (quelle
qu’en soit la nature) ont un statut thématique (éta nt, dans la plupart des
cas, supprimable au niveau de la réponse), et non p as rhématique, comme
c'est le cas des disloquées :

(1) Monique, elle est partie.

Dans ce cas, l’anaphore pronominale est considérée le représentant
du thème au niveau du rhème. L’exemple antérieur il lustre la différence
nette entre notre vision de la thématicité et celle s que proposent les
modèles phrastiques. Nous détaillerons cet aspect d ans le présent chapitre.
Au même sujet des rapports entre l’interrogation p artielle et le couple
thème-rhème, nous devrons rendre compte du cas où l a saturation de la
variable n’équivaut pas à la satisfaction totale du besoin d’information qu’a
l’interrogateur.
Une telle situation illustre les limites d’un modè le qui se donne pour
objet l’élaboration d’une grammaire du couple dialo gal et dialogique
question-réponse. Les solutions auxquelles nous rec ourrons sont de nature
logique (le modèle de Hintikka, 1981) ou pragmatico -discursive (à ce sujet,
nous nous servirons des contraintes conversationnel les postulées par
Mœschler (1985) mais aussi de ce que Diller (1984) appelle contrôle
pragmatique exercé sur la réponse par la question).

62 Vers la fin de ce chapitre, nous traiterons des qu estions dites totales,
autres que celles du type oui / non (voir les questions que C. Kerbrat-
Orecchioni, 1991, appelle alternatives ). Nous nous demanderons dans
quelle mesure ces questions ressemblent aux questio ns de fonction
propositionnelle (du point de vue du rapport questi on-réponse) et peuvent
contribuer à l’élaboration d’une grammaire de ce co uple.
Ce qui distingue les trois sous-catégories antérie urement
mentionnées de l’interrogation partielle est, à not re avis, la manière de
refléter la classe des constantes propositionnelles qui peuvent combler le
besoin d’information de l’interrogateur.
Les questions de fonction propositionnelle présente nt une variable
propositionnelle en tant que représentant de la cla sse.
Par contre, dans le cas des questions décisionnell es à plusieurs
membres, celui qui pose la question dresse une list e des membres de la
classe de constantes qui peuvent saturer la variabl e.
Une analyse plus détaillée des affinités entre ces derniers types de
questions et l’interrogation partielle fera l’objet d’une analyse qui aura pour
argument le comportement discursif de ce que l’on a ppelle les questions
combinées.
Ainsi, dans la première question (celle de fonctio n propositionnelle),
l’interrogateur mobilise une variable qui représent e la classe des réponses
possibles. La seconde question fournit – dans une t entative d’auto-contrôle
de la part de l’interrogateur, qui sera validée ou rejetée par le répondeur –
la liste complète ou partielle des réponses.
Avant la fin du présent chapitre, nous tenterons d ’ « effleurer »
l’étude, du point de vue thématique, des questions décisionnelles du type
oui / non . Nous partirons de l’impossibilité (postulée par M œschler, 1985)
d’opérer la bipartition en thème et rhème des entit és discursives. Cette

63 restriction ne s’applique, à notre avis, que dans l e cas de cette dernière
classe de questions. Il en va autrement dans le cas des questions de
fonction propositionnelle, catégorie qui sera la ba se de notre perspective.
L’objectif principal des pages suivantes sera donc de rendre compte
de la structuration interne de la paire question-ré ponse, dans le cadre d’une
perspective informationnelle.

2.2. Le thème dans un modèle logico-sémantique

Le problème de la thématicité est en rapport étroi t avec la
composante sémantique (tenant plutôt aux universaux du langage). Mais,
en associant le couple thème-rhème à l’échange ques tion-réponse nous
ferons intervenir la composante pragmatique, l’anal yse rendant compte de
deux actes de langage différents. De cette façon, n ous nous éloignerons en
quelque sorte des universaux antérieurement mention nés, en nous situant
dans le domaine des variations d’une langue à l’aut re. Nous pensons que le
traitement du clivage fera ressortir des traits car actérisant des langues
comme le français et l’anglais en ce qui concerne l a différence de statut
informationnel entre thème et rhème.
Pour ce qui est d’autres phénomènes linguistiques t els que l’ellipse
ou l’anaphore (pour n’en donner que deux exemples), ceux-ci semblent se
retrouver dans plusieurs langues modernes.
Nous allons traiter de ces aspects dans le présent sous-chapitre.
Pour le moment, il nous faut placer le couple thème -rhème dans une
perspective permettant de différencier notre accept ion des analyses
syntaxiques qui en rendent compte traditionnellemen t. Le modèle (logico-
sémantique) qui favorise une telle démarche apparti ent à R. Martin (1983).

64 L’auteur part de la constatation que les définitio ns consacrées dans la
linguistique du rapport thème-rhème présentent un i nconvénient majeur :
l’impossibilité de discriminer (au niveau phrastiqu e) les deux membres de
ce binôme. Il faut donc chercher ailleurs des moyen s fiables d’opérer cette
distinction. Dans ce sens, il sera profitable de se servir de la portée de
l’opérateur d’interrogation (à côté de celui de nég ation, qui ne nous
intéresse pas ici).
Une telle approche rend l’identification du thème comparable à celle
des présupposés. Martin distingue entre présupposit ion globale (fondée sur
l’antécédence existentielle ou temporelle) et présu pposition locale, reposant
sur ce qu’il appelle une « hiérarchie-être » donc s ur une inférence
implicative ou inclusive. Ainsi, l’affirmation « J’ ai vu Paul » entraîne
l’inférence « J’ai vu quelqu'un ».

REMARQUE: Pour Ducrot et Schaeffer (1996 : 366), "l’énoncé C est
l’inférence de l’énoncé A si la vérité de A (quelle s que soient les
données contextuelles et cotextuelles) entraîne C".

Nous laisserons de côté l’antécédence et nous nous occuperons de la
présupposition locale dans la mesure où elle est en rapport avec l’étude du
couple question-réponse.
La présupposition locale est repérable par le biai s de la question
partielle portant sur différents constituants :

Sujet – Qui ? (Quoi ?)
Attribut du sujet – Quel(le) est … ?, Quel(le)s sont … ?, Qui est (sont) … ?
C.O.D. (Complément d’objet direct) – Quoi ? (Qui ?)
C.O.I. (Complément d’objet indirect) – À qui ?

65 Complément d’agent – Par qui ?
C.Prép. (Complément prépositionnel) – Sur quoi (qui ) ?, En quoi ?
Circonstants :
– de lieu – Où ?
– de temps – Quand ?
– de manière – Comment ?
– de cause – Pourquoi ?
– de condition : Dans quelles conditions ?
– final : Dans quel but ? (À quel dessein ?)
etc.

REMARQUE: Nous ne nous proposons pas de fournir ici une
taxinomie complète des fonctions propositionnelles. Cette liste rendra
compte de notre vision de la thématisation.

Dans le contexte

(2) A : Qu’est-ce que Pierre a acheté ?
B : Il a acheté un livre.

la question présuppose « Il a acheté quelque chose ». A la base de cette
présupposition se trouve l’implication « X est un livre → X est quelque
chose (un objet) ».
De la même façon, dans l’échange

(3) – Où est-il ?
– Dans le ravin.

66 (Mérimée, Mateo Falcone )

la question « Où est-il ? » présuppose « Il est quelque part » . « Quelque
part » désigne un lieu quelconque.
Dans ce sens, pour R. Martin, "le thème désigne le s fragments
communs à cette présupposition et à la phrase elle- même" (1983 : 213).
L’auteur distingue entre présupposition locale con textuelle et
présupposition locale morphématique.
Dans l’analyse de la paire question-réponse, nous nous
concentrerons sur ce dernier type de présupposition .
Dans le cas de la présupposition locale contextuel le, la constante
propositionnelle est mise en rapport avec une varia ble lui correspondant,
qui est exprimée au moyen d’un indéfini. La classe des valeurs que peut
prendre cet indéfini est la même que celle à laquel le appartient la
constante :

(4) Gérard écoute une chanson → Gérard écoute quelque chose .

De ce point de vue, la présupposition locale contex tuelle et le jeu
question-réponse ressemblent à un test de la façon dont a été effectuée
une saturation d’un variable propositionnelle. On a nalyse le contexte dans
lequel peut être véhiculée telle ou telle implicati on. Voilà maintenant deux
points de vue qui vont dans cette direction :

"La question est employée pour reconstruire le contexte
antérieur auquel la phrase pourrait répondre (…) Si l’on
construit une question à partir d’une phrase, le th ème y est
déjà en place, et l’interrogation partielle fait ap paraître le

67 propos comme une variable, qui est représentée par le mot
interrogatif. Si la phrase Le bateau part demain répond à la
question Quand part le bateau ?, le sujet et le ver be (Le bateau
part) constituent le thème et le complément de temp s (demain)
le propos" (Riegel et alii, 1996 : 607).

"… les phrases

1 – Eugène est le mari de Monique.
2 – Eugène a planté des pommiers au bord de la ri vière.

donnent des informations qui concernent Eugène. Ell es
répondent respectivement aux questions Qui est Eugè ne ? et
Qu’a fait Eugène ? Eugène est le thème de chacune d e ces
phrases ; il se trouve dans la question et dans la réponse .
Le reste de la phrase constitue le propos " (Tomassone,
2002 : 37).

Par contre, dans le cas de la présupposition locale morphématique,
c'est la variable (actualisée par un archilexème in terrogatif) qui crée le
contexte dans lequel on va effectuer la saturation :

(5) OBREGON
Nulle ambition, et dans la force de l’âge… Mais alo rs, que
faites-vous de votre vie ?
ALVARO
J’attends que tout finisse.

68 (Montherlant, Le maître de Santiago )

L’implication que la question véhicule est « Vous f aites quelque
chose ». C'est donc à ce niveau qu’on ouvre le chem in de la saturation.
Par le contenu sémantique du pronom interrogatif « que » on véhicule
une telle implication. Il en est de même dans le ca s de l’adverbe interrogatif
« Quand » véhiculant l’implication « à un moment do nné ».
Compte tenu de la communauté présuppositionnelle e ntre question et
réponse, nous pouvons citer la définition du thème au sens strict que donne
R. Martin (1983 : 213), en l’adaptant aux nécessité s d’une grammaire du
couple question-réponse :

"Le thème d’un couple du type question-réponse ( le
remplacement nous appartient, ainsi que le remplace ment de
« phrase » par « couple » ) est celle de ses implications que
l’interrogation partielle permet de repérer comme u ne
présupposition locale".

Dans un sens dérivé, notre thème est représenté par les
fragments communs à la présupposition locale
morphématique et aux deux membres du couple questio n-
réponse .

Cette dernière définition représente la clé de not re conception de la
notion de thème. Dans cette acception, le rôle de l a question dite partielle
est de mobiliser une implication qui fondera la pré supposition locale.

69 REMARQUE: Apparemment, ce type de présupposition caractérise
les questions de fonction propositionnelle. En réal ité, le mot
interrogatif n’est pas la seule structure qui intro duit ou isole une telle
présupposition. Le clivage peut lui aussi la détach er. Le présentatif
C’est ton ami que j’ai vu présuppose J’ai vu quelqu'un .

Nous devons maintenant nous demander quel est le s tatut du
« revers de la médaille », voire du rhème. Il n’en est question qu’au
moment où on opère effectivement la saturation de l a variable.
Les autres fragments, communs à la question et à l a réponse,
témoignent de la thématicité.
Un statut à part doit être assigné à la variable ( qui, quoi, quand, où ,
etc.). Au niveau phrastique (où s’opère la segmenta tion en thème et rhème
de chaque énoncé) le mot interrogatif est à prendre pour rhématique (voir
R. Martin, 1983 : 213).
Cette conception isole les deux membres du couple question-
réponse, en les considérant comme deux entités dist inctes.
Par contre, si nous nous situons au niveau de l’én oncé complexe
question-réponse (dans l’esprit des remarques de C. Kerbrat-Orecchioni,
1991 : 11), nous constaterons que la variable est u n ouvreur de chemin
pour la rhématisation, mais pas le rhème proprement dit.
Revenons à l’assimilation thème – information conn ue (donnée ou
ancienne), d’un côté, et rhème – information nouvel le. Cette dernière est
actualisée par la réponse (plus exactement, par un fragment bien défini de
la réponse). Le rhème du couple y est marqué par un e intonation
conclusive descendante.

70 Quant à la question (renfermant l’information nouv elle requise), elle
introduit un nouvel objet discursif (thème ou sous- thème). Ce sera à
l’interrogé d’ apporter cette information ayant pour support la question.
L’archilexème interrogatif est une sorte de symbol e représentant de la
classe des constantes d’où proviendra la réponse. Celle-ci peut être simple
(auquel cas, une constante sature une variable) :

(6) TIA C AMPANITA
Et qu’est-ce alors qui est important ?

MARIANA

L’âme, Madame : ne le savez-vous pas ? Pour mon pèr e, seul
est important, ou plutôt seul est essentiel, ou plu tôt seul est réel
ce qui se passe à l’intérieur de l’âme.

(Montherlant, Le maître de Santiago )

ou multiple (plusieurs constantes saturant une vari able) :

(7) A : … le Contrat d’Avenir, qu’es t-ce que c'est ?
B : C’est un plan stratégique de développement régi onal. Une
espèce de « business plan ». Le Contrat d’Avenir c' est le fruit
d’un travail collectif du Gouvernement wallon assoc ié à de
nombreux partenaires et à tous les citoyens wallons . Le Contrat
d’Avenir ce sont aussi les objectifs communs et des moyens
identifiés pour atteindre un but.

71 (passage extrait d’un entretien avec Jean-Claude Va n
Cauwenherghe, Ministre-Président du Gouvernement wa llon,
publié dans Dialogue Wallonie , numéro 24, décembre 2004)

Dans ce dernier fragment, la variable se voit satu rée quatre fois. Il ne
s’agit pas cependant de substituons véritables, mai s de variantes d’un
référent commun à trois (au moins) des constantes : le Contrat d’Avenir
représente le résultat d’un effort collectif, en vu e de son accomplissement.
L’affinité entre présupposition et thème est conte stée par certains
auteurs. Pour O. Ducrot (1991 : 61), dans le contex te

(8) Jean :
– Qui demandez-vous ?
Paul Volfoni :
– Monsieur Fernand Naudin.

(Les tontons flingueurs , film de Georges Lautner)

on présuppose l’existence d’une personne nommée Fer nand Naudin, mais
cela n’a aucun rapport avec l’idée de thème. Le pré supposé existentiel est
donc plutôt à prendre pour une condition d’emploi que pour une
condition de thématicité .
Dans le fameux contexte

(9) Il a cessé de battre sa femme,

72 le présupposé « Auparavant, il la battait » est étranger à la thématicité.
"L’existence du thème ne repose pas sur des présupp osés, mais sur une
sorte d’expérience commune" (Ducrot, 1991 : 63).
Toutefois, nous ne pouvons pas faire abstraction d es présupposés,
du moins de ceux existentiels, qui préparent le ter rain pour la
présupposition morphématique. Nous pensons d’ailleu rs que cette
conception de la thématicité n’exclut pas ce que Du crot appelle
« expérience commune » et qui représente justement l’arrière-plan
informationnel dont l’interrogateur a besoin pour l ancer sa question.

2.3. Une taxinomie des fonctions propositionnelles

Après avoir défini le thème du couple question-rép onse et son
corollaire – le rhème, essayons de dresser une list e des fonctions
propositionnelles qui reflètent notre vision de la thématisation.
Présentons d’abord une petite liste des convention s de notation, donc
des symboles qui seront utilisés :

– q-r représente le contexte créé par la présupposition locale
morphématique, voire le thème du couple question-ré ponse ;
– Q représente le premier membre de ce couple, introdu isant
l’information nouvelle requise . C'est à ce niveau qu’on mobilise la
présupposition locale morphématique, en thématisant une des fonctions
propositionnelles ;
– R symbolise la réponse, donc le membre de la paire où on apporte une
constante propositionnelle représentant l’information nouvelle
donnée ;

73 – p est la présupposition locale morphématique.

Passons maintenant à la liste proprement dite des f onctions
propositionnelles :

a) Sujet :

(10) Q. Qu’est-ce qui te semble blanc ?
R. L’espace dans la lettre O.

(dialogues en français, www.wijsneus.org)

P, commune aux deux membres de q-r, mobilisée par l ’archilexème « Que
(= Quoi) ? » de Q est « Quelque chose te semble blanc ». R fournit
l’information nouvelle requise dans Q – « l’espace dans la lettre O ».

(11) – Qui t’a donné cette montre ?
– Mon frère l’adjudant.

(Mérimée , Mateo Falcone )

Dans ce dernier cas, l’archilexème de Q présente le trait [+ Humain]. Par
voie de conséquence, la présupposition locale est « Quelqu'un t’a donné
cette montre ».

b) Attribut du sujet :

(12) MARIANA

74 (…) Je me suis penchée, j’ai entendu les mots qu’il
disait…
BERNAL
Et quels étaient-ils ?
MARIANA

(…) « O Espagne ! Espagne ! »
(Montherlant, Le maître de Santiago )

REMARQUE: Le pro-verbe « faire » comble une lacune : l’inexistence
d’un archilexème interrogatif remplaçant le verbe p our interroger sur
ce dernier. L’interrogatif neutre « que » (ou sa va riante « quoi » – Tu
fais quoi aujourd’hui ) l’accompagne dans ce type de contexte. La
même interprétation (thématique) s’impose dans le c as des verbes à
la voix impersonnelle du type qu’est-ce qu’il se passe ? ou qu’est-ce
qu’il y a ? :

(12a) Q : Je ne peux rentrer dans un can al, que se passe-t-il ?
R : Il se peut qu'il y ait un problème sur le canal.

(www.barbizon-france.com/chat/faq.html )

c) C.O.D. (Complément d’objet direct) :

(13) O BREGON
(…) que faites-vous de votre vie ?
ALVARO

75 J’attends que tout finisse.

(Montherlant, Le maître de Santiago )

Le thème lancé par Q entre dans la catégorie que Be rthoud (1996 : 98)
appelle « topic propositionnel ». P est « Vous faites quelque chose de votre
vie ». L’information nouvelle s’étend sur la R entière (sauf le temps verbal
et la spécification de la personne). Cela s’expliqu e justement par le
caractère propositionnel (ici au sens de « proposit ion entière ») de l’apport
informationnel.
Voilà maintenant un exemple de « topic référentiel » illustrant la
même fonction propositionnelle – le C.O.D. :

(14) Q. Qu’est-ce qu’un homme a de plu s qu’un robot ?
R. Sa vie, ses sentiments, ses pensées.

(dialogues en français, www.wijsneus.org)

La p de ce q-r est « Un homme a quelque chose de plus qu’un robot ».
L’archilexème « que (quoi) ? » oriente la saturatio n vers une constante
présentant des traits sémiques comme [- animé], [- humain], mais n’en dit
rien sur d’autres (par exemple, [+ ou – concret], c e dernier étant donc
l’apanage du rhème). Remarquons de nouveau qu’à la variable de la
question correspond, dans la réponse, un rhème mult iple (aspect dont
l’archilexème interrogatif n’est pas responsable).

d) C.O.I. (Complément d’objet indirect) :

76 (15) A : A qui est-ce qu’il parle ?
B : Il parle à une femme.

Le pronom interrogatif déclenche p « Il parle à quelqu'un ». Le thème
renferme le trait sémique [+ Humain]. C'est au rhèm e de fournir le genre du
référent qu’il introduit.

e) Complément d’agent :

(16) Un gars qui fait des poulets d'élevage, il met garanti fermier,
alors tout le monde se précipite.
B1- Mais il y a des labels
A2- Oui, mais garantis par qui ?
B2- Mais ils le disent, par qui, parfois… par la chambre
syndicale des machins …

(www.limsi.fr\Individu\jbb\dialogues-dessalles.html )

La sous-catégorie [+ Humain] imposée par p – « Les labels sont garantis
par quelqu'un » – est apparemment transgressée dans la réponse B 2. En
réalité, le rapport entre l’institution – la chambr e syndicale – et ses
employés (ceux qui garantissent les labels) est de nature métonymique, ce
qui justifie le trait sémique de l’archilexème inte rrogatif.

REMARQUE: Remarquons le fait que l’agent a été introduit par une
question averbale (voir Grevisse). Nous avons ici affaire a une
stratégie « en passant », par laquelle l’interrogat eur introduit un sous-

77 thème ayant le rôle d’éclairer le problème de l’ins titution responsable
de l’élaboration des labels.

f) C.Prép. (Complément prépositionnel)

(17) – Sur quoi je tire ?
– Sur tout ce que tu verras !

(M.- A. Baudouy, Le onze de mon village )

Nous ne discutons pas ici le problème de la complét ude informationnelle
dont il sera question plus tard. Si le thème de ce dernier échange est
référentiel, l’apport d’information a un caractère général, ne saturant pas
réellement la variable.
Avant de continuer la présente taxinomie avec les c irconstants,
précisons que notre intention n’est pas d’en dresse r une liste exhaustive.
Cette catégorie a suscité beaucoup de controverses même en grammaire
traditionnelle. L’appel à des critères exclusivemen t sémantiques d’analyse
a rendu difficiles les tentatives de démarcation ex acte entre les diverses
« fonctions syntaxiques ». D’ailleurs tous les cir constants ne se prêtent pas
à une transaction du type question-réponse entre le s interlocuteurs. En
voilà quelques exemples :
– Comment est-ce que ce que certaines grammaires tr aditionnelles
nomment « complément circonstanciel de comparaison » pourrait figurer
dans le contexte d’un échange question-réponse ? Es t-ce qu’un énoncé
tel que

(18) Il a joué comme un anonyme

78
pourrait illustrer l’idée de comparaison ? Certaine ment oui. Mais une
question telle que

(19) Comment a-t-il joué ?

nous orienterait vers l’idée de « manière ».
– De la même façon, il est pratiquement impossible de distinguer, dans un
couple question-réponse, entre un « complément cir constanciel de
moyen »

(20) Ce travail se fait à la main.

et un « complément circonstanciel de manière » :

(21) Il a joué avec beaucoup de courage .

Les exemples pourraient se multiplier. Pour éviter de tels
inconvénients, nous nous limiterons aux circonstant s pour lesquels la
bipartition question-réponse est possible :

g) Circonstant de lieu :

(22) Q. C’est où, l’autre côté ?
R. Euh…le ciel ou l’enfer.

(dialogues en français, www.wijsneus.org)

79 P est, dans ce cas, « L’autre côté est quelque part ». Comme à la base de
la demande se trouve un adverbe interrogatif, l’idée de lieu est fournie par
ce dernier, aucune autre spécification n’étant néce ssaire avant la
particularisation opérée par la constante.

h) Circonstant de temps

(23) A : Quand est-ce vous avez vu ce film ?
B : Ça fait euh… une… deux semaines, à onze heures et
demie, le soir , à la télévision.

(Corpus Oxford adapté)

Dans ce q-r, p est « Vous avez vu ce film à un moment donné ». L’interrogé
transgresse la règle d’informativité, en fournissan t plus d’information que
l’interrogateur ne lui demande. L’exigence de compl étude et d’exactitude a
ici pour conséquence une telle transgression.

i) Circonstant de manière

(24) Q. Comment les personnes plus âgées transmettent-elles leur
expérience ?
R. En faisant très fort leur possible .

(dialogues en français, www.wijsneus.org)

P, commune à Q et R, est « Les personnes âgées transmettent leur
expérience d’une certaine manière ». Il nous faut remarquer le lien assez

80 étroit qui existe entre l’archilexème interrogatif « Comment » et le gérondif
introduisant l’apport informationnel.

j) Circonstant de cause

(25) OLMEDA
Pourquoi avez-vous engagé ce garçon à partir ?
ALVARO
Parce que, lui, cela n’a aucune importance (…)

(Montherlant, Le maître de Santiago )

k) Circonstant de condition

Il n’est pas obligatoire que ce constituant soit in troduit, à l’instar des
périodes conditionnelles dont traite la grammaire t raditionnelle, par si ou
par une locution équivalente. Une variable comme « Quand » peut très
bien renvoyer à la même idée :

(26) Q. Et quand détestes-tu quelqu’un ?
R. Quand il est très embêtant.

(dialogues en français, www.wijsneus.org)

L’implication qu’engendre la variable est « Tu détestes quelqu'un dans
certaines conditions » plutôt que « Tu détestes quelqu'un à un moment
donné ».

81 REMARQUE: Sans entrer dans les détails d’une analyse sémanti que
relevant les traits sémiques de tel ou tel constitu ant, revenons aux
différences entre variable et constante du point de vue de l’apport
informationnel qu’elles contiennent. Si la catégori sation qu’opèrent les
adverbes interrogatifs, tels que où ou bien quand , est suffisante pour
esquisser le trajet que suivra la saturation, dans le cas des pronoms
interrogatifs comme Qui ou Quoi , il y a une première catégorisation –
[+ ou – Animé], [+ ou – Humain] – suivie, au niveau du rhème, d’une
sous-catégorisation précisant le genre d’un constit uant nominal.
Une telle analyse ne peut pas s’appliquer si la var iable est saturée
par un constituant complexe, de nature phrastique.

Complétons cette timide tentative d’élaborer une g rammaire du
couple question-réponse par quelques remarques conc ernant le statut des
embrayeurs je / tu , nous / vous dans le cadre de notre théorie de la
thématicité.
Katz et Postal (1964) postulent qu’entre les embra yeurs de cette
paire, il y a une relation sémantique étroite. Cela permet d’aboutir à une
généralisation quant au comportement des pronoms de la première et de la
seconde personne dans presque toutes les langues. C es pronoms doivent
nécessairement alterner à l’intérieur du couple que stion-réponse, dans ce
sens que si la question contient une forme pronomin ale appartenant à la
première personne, la réponse contiendra une forme de la seconde
personne lui correspondant et vice versa.
Les référents des deux embrayeurs sont les mêmes to ut le long de
l’entretien entre deux interlocuteurs. Ce qui diffè re c'est la manière dont
chacun d’eux se rapporte à ces référents : pour l’i nterrogateur, l’entité « je

82 (moi, me) » renvoie à sa propre personne, tandis qu e l’entité « tu (toi, te)
fait référence à son interlocuteur.
Inversement, pour le répondeur, « je (moi, me) » s e rapporte à soi-
même, tandis que « tu (toi, te) » porte sur son int erlocuteur, voire celui qui
profère la question.
Ce jeu des embrayeurs est en relation étroite avec ce que Ducrot
(1991) nomme l’expérience commune aux deux interlocuteurs, notion qu’il
assimile au thème . A cette étape de l’analyse, nous pouvons affirmer que
les embrayeurs appartiennent aux fragments thématiq ues dans le cadre de
la paire question-réponse.

REMARQUE: Ces remarques ont trait au « jeu des shifters » e ntre
les membres de cette paire. Parfois un pronom de pr emière personne
n’entre pas dans un tel jeu, faisant partie du rhèm e du couple
question-réponse :

(27) A : A qui appartient le livre ?
B : A moi .

2.4. Le rhème de la paire question-réponse
Une perspective des rôles informationnels ne peut pas faire
abstraction du deuxième membre du binôme thème-rhèm e, compte tenu de
l’interdépendance entre les deux entités discursive s et du fait que c'est au
rhème de dynamiser la communication.
Le thème du couple question-réponse est l’apport d ’information en
état de virtualité. Le rhème, quant à lui, actualis e cet apport, en s’appuyant
sur le support statique, mémoriel (dans le sens con sacré par Rémi-Giraud,
1990) qu’est le thème.

83 Nous ne pouvons donc pas aborder l’étude du thème, sans nous
rapporter à son corollaire – le rhème.
L’ellipse et les structures clivées du type c'est…qui / que (ce
sont…qui / que) feront l’objet de l’analyse qui suit, dans notre t entative de
rendre compte de la mise en évidence du fragment rh ématique au niveau
de l’échange question-réponse.
Passons maintenant au contrôle de nature structurel le que la question
exerce sur la réponse.

2.4.1. L’ellipse

Dans un contexte tel que

(28) Q. Combien d’amis peux-tu avoir au maximum ?
R. 2000 bien sûr.
(dialogues en français, www.wijsneus.org)

la réponse ne renferme que l’information nouvelle à laquelle l’interrogateur
s’intéressait. Cette réponse semble beaucoup plus n aturelle que celle
contenant aussi les fragments thématiques récupérab les en contexte :

(28’) Q. Combien d’amis peux-tu avoir a u maximum ?
R. Au maximum je peux avoir 2000 amis bien sûr.

La réponse elliptique ne fournit que la (les) cons tante(s) saturant la
variable de la question. La possibilité qu’a l’inte rrogé de répondre

84 elliptiquement est le résultat de la dépendance de la réponse par rapport à
la question qui la commande :

"Les réponses bien souvent ne constituent pas de ph rases
grammaticalement autonomes et les formes elliptique s y sont
privilégiées" (Diller, 1984 : 21).

Ce qui est le plus important c'est qu’ on ne peut jamais élider, dans
la réponse, le fragment rhématique (en d’autres termes, l’information
nouvelle que l’interrogé fournit à son interlocuteu r).
L’ellipse montre l’importance d’aborder conjointem ent les deux
membres du binôme thème-rhème. La plupart des exemp les présentés plus
haut – (10), (11), (12), (14), (16), (17), (22), (2 4), (25), (26) – rendent
compte de ce phénomène linguistique qui permet de m ettre en évidence le
rhème. Sera donc ineffaçable la constante, voire l’ entité qui se trouve en
rapport direct avec la variable, en la saturant.
L’ellipse est donc en relation étroite avec ce cad re ouvert par le
thème du couple question-réponse.

REMARQUE: Pour une présentation détaillée de l’ellipse en fr ançais
contemporain (appliquée à l’échange qui nous intére sse dans la
présente étude), se rapporter, par exemple, à Dille r (1984 : 21 et sq.).

Dans la littérature de spécialité l’opération d’ef facement du segment
commun à la question et à la réponse est connue sou s le nom de
GAPPING .
A ce sujet, Kuno (1976 : 23) présente un cas partic ulier. Il s’agit des
questions deux ou plusieurs variables à saturer dan s la réponse :

85
(29) Qui a vu qui ?

ou bien

(30) Who did John persuade to examine who ? (Qui est-ce que
John a persuadé d’examiner qui ?)

(31) Who persuaded who to examine who ? (Qui a persuadé qui
d’examiner qui ?)

REMARQUE: Nous empruntons les deux derniers exemples à Kuno
afin d’exprimer notre point de vue là-dessus.

Précisons que, du point de vue thématique, le comp ortement de ce
type de question est sensiblement le même en anglai s et en français. Voilà
maintenant les deux échanges que l’auteur propose :

(30’) A : Qui est-ce que John a persuadé d’examiner qui ?
B : John a persuadé Bill d’examiner Jane et (John a persuadé)
Tom (d’examiner) Martha .

(31’) A : Qui a persuadé qui d’examiner qui ?
B : John a persuadé Bill d’examiner Jane et * (John a
persuadé) Tom (d’examiner) Martha .

La question que nous devons nous poser porte sur le s principes en vertu
desquels il est possible de supprimer certains segm ents dans les échanges

86 précédents. La raison pour laquelle nous pouvons op érer la suppression
des fragments véhiculant l’information connue tient , selon Diller (1984 : 24)
au statut de l’entité « John » – celui de syntagme nominal identifié . La
conséquence en est que les éléments de la réponse m is entre parenthèses
« John a persuadé » et « d’examiner » peuvent être élidés. Par contre,
dans le second exemple, l’absence d’un tel syntagme nominal rend
impossible toute tentative d’ellipse. Diller expliq ue cette impossibilité par
une contrainte discursive "qui ne permettrait d’eff acer que les éléments
contextuellement connus, représentant une informati on déjà ancienne
(topic), alors que les éléments représentant une in formation nouvelle
(comment) doivent être conservés. Ces phénomènes d’ ellipse sont donc un
exemple d’un certain type de contrôle, contrôle str ucturel, que la question
exerce sur la réponse".

REMARQUE: Pour une présentation détaillée de cette contraint e
discursive, se rapporter à Kuno (1976).

Les remarques antérieures semblent joindre notre co nception.
Cependant, quelques précisions s’imposent. Une enti té peut être étiquetée
de nouvelle, donc rhématique jusqu’à sa première me ntion. A partir de ce
moment, elle fait partie de la mémoire discursive à court et à long terme.
Une fois mentionnée, l’entité en question doit être prise pour
contextuellement connue. Ainsi, dans le second cont exte, le fragment
« John a persuadé » cesse d’être information nouvel le, immédiatement
après sa première occurrence dans la réponse. Nous ne voyons pas
pourquoi Kuno considère ce même fragment comme inef façable dans sa
deuxième position. S’il s’agit d’une énumération de s examinateurs et des
examinés, on peut se servir d’une intonation spécif ique (dans le code oral)

87 et de deux points (dans le code écrit) pour passer en revue les personnes
auxquelles l’interrogateur s’intéresse : John a persuadé : Bill d’examiner
Jane et Tom d’examiner Martha . Pour plus de précision, on peut garder le
verbe persuader et opérer une anaphore pronominale de John par il .
De la contrainte susmentionnée et de nos remarques antérieures,
nous tirons la conclusion suivante : l’effacement, au niveau de la réponse,
peut être total (c'est le cas de l’ellipse) ou part iel (le cas de l’anaphore).
Cette dernière affecte les segments thématiques, no minaux et / ou verbaux
– auquel cas, on fait usage du substitut verbal (ou pro-verbe, selon
Grevisse) FAIRE, accompagné par le pronom neutre LE :

(32) A : Quand est-ce que Pierre vous a écrit ?
B : Il l’a fait la semaine dernière .

REMARQUE: Le segment souligné représente le fragment
anaphorique (donc thématique), tandis que les segme nts en gras
illustrent (comme dans tous les autres exemples du présent chapitre)
le rapport variable-constante.

Si, comme nous l’avons montré dans le premier chap itre, au niveau
phrastique, l’anaphore pronominale fait partie du rhème , y étant une sorte
de « délégué » des constructions détachées, donc du thème, dans le cadre
du couple question-réponse, le pronom coréférentiel est, en raison de sa
vocation à reprendre une information appartenant à la mémoire discursive,
foncièrement thématique .

88 2.4.2. Le clivage

Une autre possibilité de mettre en relief l’inform ation nouvelle,
rhématique est ce qu’on appelle traditionnellement le présentatif, en
d’autres termes, la structure clivée du type c'est … qui (que) et sa variante
de pluriel ce sont … qui (que) .
La plupart des analyses modernes prennent cette st ructure pour un
procédé focalisant à l’intérieur du rhème (voir les Actes du Colloque de
Caen, réunis par Claude Guimier, 1999).
Cependant les auteurs qui ont rendu compte de la s eule composante
phrastique incluent le clivage (qu’ils considèrent le résultat de la
transformation facultative d’emphase) dans l’opérat ion de topicalisation .
Celle-ci est " une opération linguistique consistan t à faire d'un constituant
de la phrase le topique c'est-à-dire le thème, dont le reste de la phrase sera
le commentaire. Dans l'assertion, la topicalisation fait du syntagme nominal
sujet le topique de la phrase. Mais il peut y avoir topicalisation d'un autre
constituant, comme le syntagme nominal objet ou le syntagme
prépositionnel constituant du syntagme verbal; ains i dans les phrases dites
<<emphatiques>> comme PIERRE, je l'ai vu hier ou bi en C'est à PARIS
que je me rendrai la semaine prochaine , les noms soulignés sont des
topiques" (Dubois et alii, 1973 : 489).
D’autres ouvrages plus récents hésitent entre les valeurs thématique
et rhématique du clivage. Par exemple, pour Ducrot et Schaeffer (1996 :
352), la valeur rhématique d'une entité mise en évi dence au moyen du
clivage est difficile à établir dans un énoncé du type C'est Jean qui est
venu, c'est Jean qui est parti, c'est toujours lui qui… (Cet exemple est
extrait de l’ouvrage antérieurement mentionné).

89 L’explication de cette interprétation est, selon n ous, que les auteurs
traitent la structure clivée hors contexte dialogal .
Des analyses plus récentes séparent le rôle phrast ique du clivage –
celui d’indiquer les différentes fonctions syntaxiq ues – du rôle qu’il a au
niveau discursif – celui de " marquer la structuration du message " (voir
Lenart, 2004 : 45). C'est dans cette dernière direc tion que nous avons
l’intention de nous inscrire.
Au niveau de la paire question-réponse, le présent atif c'est … qui /
que (ce sont … qui / que) introduit un nouvel objet discursif, en en
assurant la saillance.

REMARQUE: Pour Péry-Woodley (2000 : 22), la saillance caract érise
en mesure égale le thème et le rhème. Cependant, "l a différence
fondamentale entre la saillance thématique et la saillance
rhématique , c’est que la première s’exerce sur le plan du tex te alors
que la seconde est limitée au plan local”.
A notre avis, ces deux types de saillance illustren t la différence de
statut entre les constructions disloquées (thématiq ues en raison du
repositionnement sur un objet discursif déjà introd uit qu’elles opèrent)
et le clivage (lorsque ce dernier se situe au nivea u de la paire
question-réponse).

Le clivage intervient justement au plan local dont parle Péry-Woodley,
plus exactement après la question qui mobilise la v ariable. Dans le dialogue
suivant, c'est … qui souligne la constante fournie par l’interrogé :

90 (33) – Ah ! petit drôle, tu fais le malin ! Dis-moi vite par où est passé
Gianetto, car c’est lui que nous cherchons ; et j’e n suis certain, il
a pris par ce sentier.
– Qui sait ?
– C’est moi qui sais que tu l’as vu.

(Mérimée, Mateo Falcone )

Au niveau « local », celui de la réponse, le présen tatif introduit, en le
soulignant, le rhème de l’échange. Un exemple simil aire est fourni par C.
Dobrovie-Sorin (1999 : 169). Dans un contexte comme celui présenté ci-
dessus, une dislocation gauche au lieu du clivage s erait, à notre avis,
inacceptable (au moins en l’absence d’un contexte p lus large, qui pourrait
être éclairant) lorsqu’il est question d’introduire un objet discursif :

(34) – Qui sait ?
– ?*Moi, je sais que tu l’as vu.

La vocation d’une telle construction est celle de r eprise ou de
repositionnement thématique (telle qu’elle résulte de l’analyse de Michel de
Fornel, 1988).
Or, dans le fragment de Mérimée, l’intervention ré active véhicule
l’information nouvelle, demandée par l’interrogateu r. Au moyen du clivage,
le côté rhématique du couple question-réponse est r endu saillant
notamment par sa position frontale, extraite.
L’autre fragment du même couple reste dans une sor te d’arrière-plan.

91 L’identité entre rhème et foyer (ou focus ) est reconnue par les
auteurs des années 80 et 90 même lorsqu’ils traiten t des structures
thématiques et informationnelles à l’intérieur de l ’ énoncé :

"La focalisation est la rhématisation marquée forme llement d'un
élément d'un énoncé par rapport auquel le reste de l'énoncé est mis à
l'arrière-plan" (Caron et Mohamadou, 1999 : 67).

REMARQUE: Nous avons analysé la focalisation et son résultat , le
foyer dans le cadre d’une grammaire de l’échange du type question-
réponse. Par contre, pour H. Nølke (1993 : 40), la focalisation fait
l’objet d’une analyse pragmatico-énonciative. Dans cette perspective,
on parle d’un "acte de langage particulier à l'inté rieur de l'acte
illocutoire dans la mesure où on ne peut interpréte r celui-ci sans
comprendre la focalisation effectuée".
Selon l’auteur, la dichotomie thème-rhème est un fa it de langue ,
tandis que le binôme base-foyer témoigne du niveau « parole »
(niveau que nous n’abordons pas ici), les deux pair es n’étant pas
superposables. Dans la liste des marqueurs du foyer , à côté de la
négation, de « même » ou des énoncés de correction, Nølke
mentionne le clivage avec lequel on revient pratiqu ement au
marquage structurel (c’est d’ailleurs le seul marqu eur syntaxique
figurant dans la liste de l’auteur).
Notre objectif a été de distinguer entre la vision rétrospective du
thème (illustrée par les constructions disloquées) et la vision
prospective (illustrée par clivage), en d’autres te rmes, entre la reprise
et l’introduction du thème. En relation étroite ave c cette dernière,
nous avons évoqué l’opération de focalisation.

92
Les isolants emphatiques (dénomination appartenant à Th. Cristea,
1979) illustrent la focalisation identificatrice op posée à la focalisation
contrastive (voir Martin, 1983 : 221-222). Cette de rnière n’a aucun rapport
avec la structure bipolaire thème-rhème. Elle repos e sur l’opposition entre
deux ou plusieurs classes différentes :

(35) J’ai rencontré ton ami /!/ hier soir (pas ta mère ou ta sœur).

Mais ce type de focalisation ne fait pas l’objet de la présente étude.
Par contre, la focalisation identificatrice permet de tirer au clair le
statut rhématique des formes clivées c'est … qui / que et de leurs
variantes de pluriel. C'est une manœuvre (véhiculan t une présupposition de
cardinalité) qui extrait (souligne) un élément ou u n groupe appartenant à
une classe délimitée par l’archilexème de la questi on :

(36) A : Quel genre de travaux est-ce qu’il faut que vous fassiez ?
B : Premièrement c'est les repas . Puis après, c'est les
lavages et les repassages (…)

(Corpus Oxford adapté)

REMARQUE: Nous avons gardé certaines marques d’oralité que
présentait, dans sa forme initiale, ce passage : le désaccord et la
forme abrégée de l’introducteur ce sont … que (c'est-à-dire sans le
fragment de la réponse appartenant à l’arrière-plan ).

93 L’information nouvelle est aussi focale, les entité s soumises à ce type
de soulignement étant « les repas », « les lavages » et « les repassages ».
Comme le foyer d’identification est identique au rh ème, certains auteurs
appellent l’opération qui en permet l’identificatio n rhématisation .
Revenons un peu à la notion de foyer (ou focus). Ré sultat de
l’opération de focalisation , il est le porteur d’un accent focal et se
caractérise par une intonation marquée. On distingu e, à l’intérieur d’un
énoncé entre foyer et présupposition . Le deuxième membre de ce
binôme représente "l'information supposée partagée par le locuteur, et c'est
typiquement l'information commune à une question et à sa réponse" (voir
Mœschler et Reboul, 1994). Par voie de conséquence, le foyer "correspond
à l’information nouvelle" ( ibidem ).
Concrètement, dans le dernier exemple, la forme ab régée de l’isolant
emphatique ce sont … que marque syntaxiquement le foyer, voire le
centre d’intérêt du couple question-réponse (à l’in star de l’ellipse et à la
différence de clivage classique, qui garde l’inform ation jetée en arrière-
plan).
D’ailleurs certains auteurs, attachés plutôt aux v isions traditionnelles,
distinguent entre le présentatif – qui, pour eux, e st la variante simple c'est
ou bien ce sont – et la mise en emphase – représentée par ce que no us
appelons le clivage (voir, pour des exemples illust rant cette théorie, Les
exercices de français du CCDMD , www.ccdmd.qc.ca/fr).
Considérons le contexte suivant :

(37) A : Qui t’a rendu visite ?
B : C’est mon ami.
B’ : C’est mon ami qui m’a rendu visite.

94 Selon nous, B est très proche, au moins du point de vue de son rôle
discursif, de l’ellipse. Cette variante est plus na turelle que le clivage de B’,
mais, d’autre part, ce dernier assure le mieux la s aillance du fragment
rhématique de cet échange (par rapport aux autres f ragments de ce
couple).

2.4.3. L’acceptabilité des rhématiseurs

En guise de conclusion sur les marqueurs du rhème, nous
élaborerons une sorte d’échelle d’acceptabilité pou r les interventions
réactives à valeur rhématique :

(38) A : Qui t’a rendu visite ?
B1 : *? Mon ami, il m’a rendu visite.
B2 : Mon ami m’a rendu visite.
B3 : C’est mon ami qui m’a rendu visite.
B4 : C’est mon ami.
B5 : Mon ami.

La seule variante inacceptable (au moins en l’abse nce d’un contexte
discursif éclairant) est, à notre avis (partagé par C. Dobrovie-Sorin, 1999 :
169), la dislocation gauche (ou droite), du fait de son rôle « mémoriel ».
B2, malgré sa correction formelle incontestable, e st difficile à accepter
dans la conversation quotidienne (au moins lorsqu’e lle accompagnée d’une
intonation neutre). L’occurrence en est possible da ns le contexte d’un cours
– niveau « débutant » ou « intermédiaire » – de FLE . Par contre, si le

95 répondeur recourt à une focalisation contrastive, l e contexte devient
acceptable :

(38b) B2’ : Mon ami / ! / m’a rendu visite (et non pas mon frère ou ma
sœur).

REMARQUE: Cette dernière constatation est, peut-être, applic able à
B1 également. Et cela d’autant plus qu’on ajoute au soulignement un
pronom tonique :

(38c) B1’ : Mon ami, lui , il m’a rendu visite.

Une telle insistance est possible, mais au niveau d e l’appariement
question-réponse, la disloquée n’est pas propre à i ntroduire un objet
discursif, mais à en reprendre un.

Dans B3, l’interrogé fournit l’information nouvell e, en en effectuant la
mise en relief au moyen de la structure clivée c'est … qui .
Les deux dernières variantes sont les plus souples et les plus propres
à satisfaire le besoin d’information de l’interroga teur. Les interventions
réactives répondent aux exigences des maximes gricé ennes (1979 : 57-
72). Nous en citerons ici deux, qui nous intéressen t à cette étape de la
présente analyse :

a) La maxime de quantité – "Faites en sorte que votre contribution à la
conversation soit aussi informative qu’il soit néce ssaire " et sa variante –
"Ne la faites pas plus informative que nécessaire ". De par leur souplesse
(elles ne fournissent rien que l’information nouvel le que A a requise) et

96 par le fait qu’elles s’inscrivent dans la « moule » de la question, les deux
réponses satisfont à cette maxime ;
b) La maxime de relation (de pertinence) – "Parlez à propos ( be
relevant )". Cette maxime illustre justement la continuité t hématique entre
la question A et les réponses B4 et B5. Les traits (véhiculés par la
présupposition locale morphématique « Quelqu'un t’a rendu visite ») que
la question lance sont [+Animé], [+Humain] (ces deu x premières de
nature sémantique) et [+Sujet] (de nature syntaxiqu e). Comment la
constante saturant la variable possède ces traits, la maxime peut être
considérée comme satisfaite.

La toute dernière variante de réponse – B5 – illust re, nous l’avons
déjà constaté, le contrôle structurel que la questi on exerce sur la réponse.
En faveur de la même thèse plaide l’exemple suivant , illustrant une fonction
propositionnelle autre que celle de sujet ou d’obje t. Revenons à l’exemple
(17). L’inconnue y est un syntagme prépositionnel e t l’apport d’information y
est syntaxiquement complexe :

(39) A : Sur quoi je tire ?
B1 : * ? Sur tout ce que tu verras, tu tireras !
B2 : * ? C’est sur tout ce que tu verras que tu tir eras !
B3 : * ? C’est sur tout ce que tu verras !
B4 : Tu tireras sur tout ce que tu verras !
B5 : Sur tout ce que tu verras !

Ce dernier exemple montre que la variante B5, illus trant l’ellipse du
fragment mémoriel a le plus haut degré d’acceptabil ité.

97 Une restriction quant aux possibilités d’ellipse e st liée au type de
thème qu’introduit la question de fonction proposit ionnelle. Berthoud (1996 :
98) distingue entre :

– thème référentiel : Qu’est-ce que tu as vu ?
– thème propositionnel : Qu’est-ce que tu as fait hier ?
– thème métalinguistique : Qu’est-ce que tu disais ?
– thème cognitif : Qu’est-ce que tu en penses ?

REMARQUE: Les exemples appartiennent à l’auteur de cette
classification. Nous laissons de côté le thème méta linguistique, qui ne
nous incombe pas dans la présente étude.

Avant d’analyser chaque type de thème, remarquons que le critère
sur lequel repose cette taxinomie est le type d’app ort informationnel
attendu.
Le thème référentiel est le plus compatible avec l’ ellipse, telle que
nous l’avons définie plus haut :

(40) A : Qu’est-ce que tu as vu ?
B : Un match de foot.

Il en est de même du thème propositionnel :

(41) A : Qu’est-ce que tu as fait hier ?
B : J’ai travaillé toute la journée.

98 Une précision s’impose dans ce cas. De par la natur e du thème
(impliquant le pro-verbe faire ), une réponse non elliptique (gardant le
fragment mémoriel) est difficilement acceptable :

(41’) B’ : ? J’ai fait de travailler toute la jour née.

Une telle intervention réactive n’est pas naturelle du tout. Le répondeur
peut tout au plus garder la spécification temporell e :

(41’’) B’’ : Hier , j’ai travaillé toute la journée.

Dans le cas du thème cognitif, l’interrogé reprend d’habitude le
fragment mémoriel (sans pour autant que cela soit u ne règle) :

(42) A : Qu’est-ce que tu en penses ?
B : (Je pense que) tout sera au mieux.

2.5. La complétude informationnelle de la réponse

Les modèles exposés jusqu’à présent au sujet du ra pport étroit entre
question et réponse dans le cadre d’une théorie de la thématicité n’ont pas
de solutions à nombre de problèmes de nature logico -sémantique. Le plus
important en est l’incomplétude informationnelle de la réponse : la
saturation de la variable n’équivaut pas toujours à la satisfaction du besoin
d’information de celui qui pose la question.
A une question telle

99 (43) Comment puis-je résoudre ce problème ?

on a beau répondre :

(43’) En appliquant les règles.

si celui qui pose la question n’est pas à même d’af firmer :

(43’’) Je sais comment appliquer les règles.

Ce n’est que ce dernier énoncé qui équivaut à la sa turation de la variable
« Comment » qui porte sur les façons de résoudre un problème.
L’opérateur épistémique « Je sais » montre la familiarité de l’interrogateur
face à la solution proposée par l’interrogé.
Dans le contexte

(44) A : Qui a-t-il rencontré ?
B : Georges.

la réponse ne peut pas être prise pour satisfaisant e si je ne peux pas
identifier, dans le monde réel, la personne nommée Georges. Le
présupposé « Il existe une personne nommée Georges » est donc la
condition préalable à la saturation de la variable dont parle O. Ducrot.
Le questionnement a un double rôle : la simple ment ion d’un nom qui
sature la variable ne suffit pas pour ouvrir la por te de la complétude
informationnelle. L’interrogé doit fournir autant d ’information qu’il est
nécessaire à l’interrogateur pour que celui-ci couv re son vide cognitif. Ainsi,
l’identité d’une personne s’avère insuffisante pour une rhématisation

100 complète dans le contexte du thème Qui est x ? Le profil d’une personne
peut comprendre aussi sa physionomie, ses aspects m oraux, etc. Dans ce
sens, Hintikka (1981 : 66) cite un passage de Georg es Simenon, Maigret
hésite :

(45) – Qui est Lise ?
– La femme de chambre.
– Je sais. Je vous demande quel genre de personne c ’est ?

L’interrogateur ne possède pas le minimum d’inform ation qui lui
permettrait de placer cette personne sur ce que Hin tikka appelle sa
« carte » du monde. Comme cette réponse ne satisfai t pas la condition de
complétude (l’auteur l’appelle condition de conclus ivité), elle entraîne une
demande supplémentaire à propos de l’objet discursi f initial.
Du point de vue des possibilités de saturation, les questions du type
comment ou pourquoi sont moins précises, dans ce sens qu’elles sont
difficilement rhématisables. Leurs réponses ne peuv ent jamais être
considérées comme complètes. L’interrogateur demand era des
éclaircissements, des renseignements supplémentaire s. Ces sont des
entités plus vagues (moins exactement définies du p oint de vue référentiel)
que les personnes (impliquées par les questions du type qui ), les objets
(représentés par les interrogatifs que ou quoi ), ou la spatialité (marquée par
l’adverbe relatif où ). Même au sujet des attentes de l’interrogateur,
l’imprécision règne : il est difficile de qualifier telle ou telle réponse de
complète. Si dans le cas des questions qui, quoi et où , les réponses sont
d’habitude des syntagmes nominaux, pour l’autre cat égorie les
contreparties à la condition d’unicité sont difficiles à déterminer. Cependant,

101 il faut se garder de changer les critères de rhémat isation, même dans ce
dernier cas (voir Hintikka, 1982 : 167).

2.5.1. Le critère de complétude

Il faut enfin se demander dans quelles conditions u ne réponse peut
être prise pour complète, satisfaisante pour celui qui pose la question. Les
considérations suivantes porteront uniquement sur l es questions de
constituant.
Le desideratum de la question Où vas-tu ? est pour Hintikka :

1) (E x) K je F ( x)

où K eu est l’opérateur épistémique Je sais que . L’état épistémique produit
est

2) K je F ( b),

mais ce n’est pas encore l’état désiré par l’interr ogateur, car F ( b)
représente une complétude potentielle. Il nous faut donc une prémisse
supplémentaire qui puisse spécifier dans quelles co nditions (2) implique (1).
Il s’agit au fond d’une généralisation existentiell e, qui place b dans la
position de réponse complète :

3) (E x) K je F ( b=x )

Par conséquent, b est une réponse conclusive si et seulement si celui
qui pose la question peut vraiment affirmer Je sais qui est b , en

102 l’occurrence Je sais où tu vas . La formule antérieure illustre la couverture
totale de la zone d’inconnu, marquée par la variabl e. Si l’interrogé ne
satisfait pas totalement cette demande, cela entraî ne la multiplication des
questions au même sujet. Ainsi, une réponse comme Je vais à l’étranger
suscitera une nouvelle question de la part de l’int errogateur: Mais où
exactement ?
Le fait de partager le même présupposé tu vas quelque part ne
garantit pas la satisfaction de la condition (3).

2.5.2. Les réponses partielles

Si l’exigence mentionnée dans le paragraphe précéde nt – (E x) K je F
(b=x ) – n’est pas satisfaite par l’interrogateur, on de vra se demander quelle
est la distance que b doit parcourir jusqu’au moment où on pourra parler
d’une réponse complète et comment celui qui demande peut faire de b une
réponse complète. Hintikka (1982 : 179) présuppose que b est une réponse
partielle vraie. Il note par k la somme des acquisitions du répondeur au
moment où il pose la question. Ce qui en résulte au ra la forme

4) k Λ F(b).

De cette façon, la réponse a limité la classe des situations possibles,
représentées par le symbole k, en éliminant celles dans lesquelles le
référent de b ne satisfait pas F(x) . Dans ce cas, il ne faut plus que la
familiarité de l’interrogateur face à b soit antérieure à cette réponse.
L’exigence va dans la direction d’une familiarité ultérieure .

103 Tout cela revient à dire qu’il y a des méthodes d’ amélioration de la
réponse. La démarche va dans la direction de l’élim ination des membres de
la classe des réponses possibles qui ne corresponde nt pas au monde réel.
Le trajet vers la complétude est marqué par un com plexe interrogatif
dont les séquences ne sont pas nécessairement des q uestions de
constituant. Pour pouvoir construire l’espace cogni tif ouvert par la question
Qui est b ? , celui qui pose la question peut se servir aussi d e questions-si
(propositionnelles). Ce qui compte c’est le résulta t final de cette stratégie
discursive qui doit couvrir le vide cognitif.
Il y a enfin des questions qui ne peuvent pas avoi r de réponses
complètes. Dans ce cas, à une question dont le but est l’individualisation,
on répond par le genre et non pas par l’espèce, ou bien on utilise un terme
ayant un haut degré de généralité ou d’ambiguïté :

(46) A : C’est quoi l’honnêteté ?
B : C’est une vertu de plus en plus rare.

Dans la plupart des cas, ce trait semble caractéri ser les interrogatifs
que (quoi) . Cependant, on peut avoir d’autres morphèmes du ty pe qu ,
comme dans l’exemple

(47) A : Qui habite ici ?
B : Un professeur.

Mais cette question peut avoir une autre acception Quel genre de
personne habite ici ?
Mais lorsqu’on parle de la condition de complétude, les propriétés
logiques et sémantiques sont moins importantes que ce que le locuteur

104 sait . Cela étant dit, la pragmatique doit prendre son r ôle au sérieux. Mais
celle-ci et l’épistémologie représentent pour Hinti kka (1981 : 68) des
« sables mouvants ». C’est pour cela que la solutio n proposée au
chercheur “consiste à passer de la sémantique de la phrase à celle du
discours , ou plus généralement de la grammaire de la phrase à la
grammaire textuelle”.
C'est l’une des idées de base de ce chapitre : l’él aboration d’une
grammaire du couple question-réponse (comprenant de s aspects
syntaxiques et sémantiques et même pragmatiques) et non pas une
analyse isolée, hors contexte de l’énoncé interroga tif et de celui assertif lui
correspondant.
De là découle la nécessité de prendre le couple qu estion-réponse
pour un tout. Dans le cadre de ce tout on ne saurai t ignorer le rhème.
Plus exactement, un tel modèle doit rendre compte de la cohérence
entre les deux membres de ce couple. Celle-ci est d éfinie comme " le
rapport entre la fonction pragmatique et le rôle ar gumentatif du stimulus et
ceux de la réaction " (Stati, 1990 : 93).
Les solutions proposées jusqu’à présent sont d’ord re logico-
sémantique. Or, il serait plus fructueux de les com pléter par une
perspective conversationnelle (un point de vue dyna mique). A la suite de
Mœschler (1985), nous appliquerons à un des exemple s antérieurement
présentés les contraintes structurelles qu’il propo se, en laissant de côté les
contraintes interactionnelles (portant sur le dérou lement du rituel
conversationnel). Ces dernières seront abordées dan s le chapitre suivant
où nous approfondirons notre analyse de l’organisat ion hiérarchique de la
conversation en insistant sur la thématicité et le rapport fort étroit entre
celle-ci et le couple question-réponse.

105 Ce que nous avons nommé jusqu’à présent complétude
informationnelle est traité par Mœschler en termes de stratégies de
résolution .
Une telle stratégie définit justement le processus interactionnel
aboutissant à la clôture d’un échange. On distingue quatre stratégies de
résolution :

a) la résolution positive vise à choisir l’alternative « clore l’échange ». La
clôture peut être satisfaisante (s’effectuant sur u ne intervention
coorientée) ou non satisfaisante (sur une intervent ion anti-orientée).
b) la résolution négative vise à faire poursuivre le t hème lancé par la
question dans plusieurs échanges formant une et mêm e séquence. La
résolution négative peut être locale (l’interventio n réactive, de négative,
se transformant en positive). Elle est globale si l a condition de clôture,
voire la coorientation, n’est pas accomplie.

Voilà maintenant des exemples illustrant chaque cas . Nous
modifierons, selon nos besoins, le fragment de Sime non, ( Maigret hésite )
cité par Hintikka (1982 : 66) :

a) Résolution positive satisfaisante :

(48) – Qui est Lise ?
– La femme de chambre.
– Merci.

b) Résolution positive non satisfaisante :

106 (49) – Qui est Lise ?
– Je ne sais pas.
– Dommage.

c) Résolution négative locale :

(50) – Qui est Lise ?
– La femme de chambre.
– Je sais. Je vous demande quel genre de personne c ’est ?
– C’est une personne très généreuse.
– Merci.

d) Résolution négative globale :

(51) – Qui est Lise ?
– La femme de chambre.
– Je sais. Je vous demande quel genre de personne c ’est ?
– Vous avez beau insister. C’est tout ce que je sai s.

Nous pensons que les contextes analysés ci-dessus i llustrent plutôt la
quête de la complétude interactionnelle, plutôt que de celle
informationnelle. C. Kerbrat-Orecchioni (1990 : 237 -238) conteste la
nécessité du double accord ou de l’évaluation positive pour la satisfaction
de la condition de complétude. En d’autres termes, une résolution négative
est aussi complète, du point de vue interactionnel, qu’une résolution
positive :

(52) A : Qu’est-ce que vous avez fait pour le Révei llon cette année ?

107 B : Ah, franchement, rien de spécial.

(Corpus Oxford adapté)

L’insuffisance d’un tel apport est ressentie par l ’interrogée elle-même,
qui se voit obligée d’ajouter :

(52’) B2 : J’ai pas fait grand spécial pour le Réve illon : y avait des …
des tourtières, puis y avait du … des gâteaux de No ël, juste de
petites fanfarlouches de Noël.

(ibidem )

Qu’il s’agisse de la complétude informationnelle o u de celle
interactionnelle, nous pensons que les réponses peu vent être considérées
comme acceptables dans les contextes antérieurs si elles satisfont aux
exigences de pertinence formulées par Sperber et Wi lson (1979 : 88) : "…
la pertinence d’un énoncé est en proportion directe du nombre de
conséquences pragmatiques qu’il entraîne pour l’aud iteur et en proportion
inverse de la richesse d’information qu’il contient . (…) Un énoncé est
d’autant plus pertinent qu’avec moins d’information , il amène le locuteur à
enrichir ou modifier le plus ses connaissances ou s es conceptions. (…) La
pertinence est un rapport entre d’une part une prop osition énoncée et
d’autre part un ensemble de propositions que l’audi teur a en mémoire."
Une attention particulière doit être attachée à un e réponse du type
« Je ne sais pas », car, comme dit Bourdieu (1974 : 60) : "Un des
paradoxes de la communication est qu’il faut encore communiquer pour

108 signifier le refus de communiquer, et toute civilis ation dispose d’une
symbolique de la non-communication" .
Au moment où on pose la question, personne ne peut garantir que
l’interrogé est à même de répondre ou bien qu’il ve ut le faire. Il n’est que
susceptible de fournir une réponse. Une telle intervention réa ctive n’est pas
à prendre pour une réplique, l’enchaînement ne s’op érant pas sur une des
conditions de félicité de l’acte d’énonciation, mai s pour une réponse (car
l’enchaînement s’effectue sur le contenu de l’inter vention initiative, de
nature interrogative) :

(53) A : Qui est Lise ?
B : Je ne sais pas.
B’ : Ça ne vous regarde pas.

B est une réponse, tandis que B’ est une réplique contestant le droit
qu’a l’interrogateur de poser une telle question.
Quoi qu’il en soit, une réponse comme « Je ne sais pas » ne satisfait
pas la demande d’information. Par conséquent, on ne peut pas parler de
complétude informationnelle. Quant à la complétude interactionnelle, celle-
ci dépend de l’attitude qu’a celui qui lance la que stion. S’il se contente d’un
simple aveu d’incompétence, l’échange peut être clo s. Mais, à notre avis,
une telle réaction ne passe pas sans laisser des tr aces au niveau des
relations interpersonnelles.
L’ouverture du roman Moderato Cantabile de Marguerite Duras est
marquée par un exemple de tension discursive. La ré ponse « Je ne sais
pas » à une question socratique (d’examen) engendre et i ntensifie cette
tension :

109 (54) – Veux-tu lire ce qu’il y a d’écrit au-dessus de ta partition ?
demanda la dame.
– Moderato cantabile, dit l’enfant.
La dame ponctua cette réponse d’un coup de crayon sur
le clavier. L’enfant resta immobile, la tête tourné e vers sa
partition.
– Et qu’est-ce que ça veut dire, moderato cantabile ?
– Je ne sais pas.
Une femme, assise à trois mètres de là, soupira.
– Tu es sûr de ne pas savoir ce que ça veut dire, m oderato
cantabile ? reprit la dame.
L’enfant ne répondit pas. (…)
– Je te l’ai dit la dernière fois, je te l’ai dit l ’avant-dernière fois, je
te l’ai dit cent fois, tu es sûr de ne pas le savoi r ?
L’enfant ne jugea pas bon de répondre. (…)
– Tu vas le dire tout de suite, hurla la dame.
L’enfant ne témoigna aucune surprise. Il ne répond it
toujours pas. (…)
– Une dernière fois. Tu es sûr de ne pas le savoir ?
Une vedette passa dans le cadre de la fenêtre ouve rte.
L’enfant, tourné vers sa partition, remua à peine – seule sa
mère le sut – alors que la vedette lui passait dans le sang (…)
– Sûr, vraiment, une dernière fois, tu es sûr ?
Encore, la vedette passait.
La dame s’étonna de tant d’obstination. Sa colère fléchit
et elle se désespéra de si peu compter aux yeux de cet enfant
que d’un geste, pourtant, elle eût pu réduire à la parole. (…)
– Moderato ?

110 L’enfant ouvrit sa main, la déplaça et se gratta lé gèrement le
mollet. (…)
– Je ne sais pas, dit-il, après s’être gratté .

L’aveu d’incompétence est perçu comme un refus de l ’apprenant
d’apporter l’information sollicitée provoque l’insi stance de l’enseignant. En
proférant je ne sais pas ou en refusant manifestement de coopérer,
l’enfant essaie de se protéger en quelque sorte con tre les réactions de la
dame qu’il prend pour agressives.

***

Les considérations que nous avons faites à propos d es deux types de
complétude (informationnelle et, respectivement int eractionnelle) ne
constituent pas une solution définitive et incontes table au problème de la
saturation ou non-saturation d’une variable lancée par la question de
fonction propositionnelle.
S’il va sans dire que le modèle assimilant le thème à la
présupposition locale ne peut pas rendre compte de la complexité d’un
apport d’information qui s’étend sur plusieurs écha nges, il est également
incontestable que le modèle logico-sémantique de Hi ntikka et les
perspectives interactionnelles de Mœschler et de Ke rbrat-Orecchioni ne
satisfont pas complètement aux exigences d’une gram maire du couple
dialogal et dialogique question-réponse, car la str atégie menant à la
complétude dépasse les frontières d’un seul échange (tel que nous le
définirons dans le chapitre suivant). A cela nous a joutons l’impossibilité
d’appliquer le binôme thème-rhème au couple ayant p our réponse « je ne
sais pas ».

111 Il aurait été impossible que notre modèle de la pai re transphrastique
question-réponse soit aussi homogène que la grammai re phrastique. Ce
qu’il faut retenir, après avoir passé en revue plus ieurs points de vue, c'est
que ce couple représente une entité discursive suffisamment structurée
pour faire l’objet d’une analyse à plusieurs niveau x.

2.6. La question alternative et la thématicité2

Toute description de l’interrogation dans la gramm aire traditionnelle
distingue entre qu’on appelle d’habitude l’interrogation totale (portant sur
l’énoncé entier) – les questions du type « oui / non / peut-être » – et
l’interrogation partielle (ou de fonction propositionnelle).
On laisse systématiquement de côté une autre catégo rie, aussi
importante que les deux précédentes. Il s’agit des questions que C.
Kerbrat-Orecchioni (1991 : 19) appelle alternatives . La taxinomie suivante
gardera l’esprit de ses remarques. Deux remarques s ’imposent :
– Nous laisserons de côté les questions du type « T u pars ou non ? », qui
s’éloignent de la valeur illocutoire qui nous intér esse – quête
d’information. Selon le même auteur, elles représen tent plutôt des
sommations ;
– Les « questions combinées » entrent, pour Kerbrat -Orecchioni, dans la
même catégorie des questions alternatives. Cela s’a vérera très utile
dans notre démarche de motiver la parenté entre la plupart des
catégories des questions combinées et l’interrogati on de fonction
propositionnelle.

2 Ici nous exposons les résultats d’une analyse prése ntée au Congrès International « Limba și Literatura
– repere identitare în context european » , Pite ști, România, 2005.

112 Voilà maintenant la taxinomie proprement dite :

a) Questions à deux ou plusieurs membres et à alternat ive
unique

(55) A : Va-t-il visiter la France ou l’Angleterre ?
B : Il va visiter la France .

b) Questions à deux ou plusieurs membres et à deux ou
plusieurs alternatives de réponse

(56) A : Va-t-il visiter l’Italie, l’Espagne, la France ou
l’Angleterre ?
B : Il va visiter la France et l’Angleterre .

c) Questions à plusieurs membres et à liste complète d es
réponses (précisant donc toutes les alternatives de la list e qui font
l’objet du choix) :

(57) A : Tu aimes le chocolat, les bonbons, les gâteaux, les
fruits ?
B : J’aime le chocolat, les fruits et les bonbons , mais pas les
gâteaux.

d) Questions à deux ou plusieurs membres et à choix
nonexclusif

113 (58) A : Tu aimes un romancier réaliste du XlX-ème siècle – Balzac,
Stendhal, Flaubert, Mérimée ?
B : J’aime Flaubert (mais cela ne veut pas dire que je déteste
les autres).

REMARQUE: Nous avons emprunté les sous-classes a), c) et d) à la
taxinomie de E-R. Iordache (1999 : 22-23), en la co mplétant par la
sous-classe b). Nous avons aussi tenu compte des pr incipes de
classification exposés par P. Botezatu (1982 : 206 et sq.).

Les questions appartenant aux sous-classes c) et d ) sont, du fait de
l’absence de l’opérateur de disjonction vel – Λ, des appels à confirmer.
L’interrogé peut très bien répondre par « Oui / Non / Peut-être », ces
réponses portant sur tous les membres de la question.
Dans le cas a), l’interrogateur énumère certains m embres de la
classe des réponses possibles (sans pour autant l’é puiser). La question
fournit la liste des rhèmes potentiels, tandis que la réponse sélecte
l’alternative que l’interrogé prend pour vraie.
Dans le contexte appartenant à la sous-classe b), deux alternatives
de réponse sont vraies. C'est la seule différence e ntre les questions a) et
b).
Quelques remarques s’imposent à propos de ces quat re sous-classes
de questions propositionnels : il y a des traits qu i approchent ces questions
de l’interrogation de fonction propositionnelle et d’autres qui les approchent
de l’interrogation du type « Oui / Non / Peut-être ».
L’énumération des éléments dont celui qui répond d oit choisir une ou
plusieurs alternative(s) vraie(s) est à mettre en r elation avec l’interrogation

114 de fonction propositionnelle, à la seule différence qu’au lieu de la classe
entière, dans ce dernier cas, il existe un archilex ème qui la représente.
D’autre part, l’information nouvelle figure déjà d ans la question, le rôle
de l’interrogé étant celui d’opérer une sélection q ui élimine la (les)
variante(s) fausse(s). De ce point de vue, nous nou s trouvons devant un
appel à confirmer, spécifique à une question « Oui / Non / Peut-être ».
Tout comme dans le cas de l’interrogation de fonct ion
propositionnelle, la présupposition locale gouverne question et réponse :

a) et b) Il va visiter un pays.

Dans le cas de b), la réponse conteste le présuppos é, s’agissant de deux
pays qu’il va visiter.

c) Tu aimes quelque chose .

Suite au jeu des shifters, dans la réponse le présu pposé sera le même,
mais ce qui différera sera la personne (première du singulier). Cela reste
valable pour le contexte d) :

d) Tu aimes un romancier réaliste du XlX-ème siècle .

L’ellipse des fragments thématiques au niveau de l a réponse est
surtout possible dans des contextes assimilables à la catégorie b) :

(59) A : La Norvège est monarchie ou république ?
B : Monarchie.

115 Par contre, elle est difficilement acceptable dans le cas de la sous-
classe d), d’autant plus que le choix est nonexclus if :

(60) A : Tu aimes un romancier réaliste du XlX-ème siècle – Balzac,
Stendhal, Flaubert, Mérimée ?
B : ? Flaubert.

En échange, le clivage est acceptable pour toutes l es catégories
analysées, tout comme la réponse entière :

(55’) A : Va-t-il visiter la France ou l’Angleterre ?
B : Il va visiter la France .
B’ : C’est la France qu’il va visiter.

REMARQUE: Si une telle question contient le verbe être (copule) ou
une séquence standardisée du type Il fait chaud , le clivage deviendra
inacceptable :

(61) A : La Norvège est monarchie ou république ?
B : La Norvège est monarchie.
B’ : ?* C’est monarchie que la Norvège est .

(61a) A : Quel temps fait-il ?
B : ?* C’est chaud qu’il fait.

Voilà maintenant des exemples illustrant les autre s catégories
exposées dans ce sous-chapitre :

116 (62) A : Va-t-il visiter l’Italie, l’Espagne, la France ou
l’Angleterre ?
B : Il va visiter la France et l’Angleterre .
B’ : Ce sont la France et l’Angleterre qu’il va visiter.

(63) A : Tu aimes le chocolat, les bonbons, les gâteaux, les
fruits ?
B : J’aime le chocolat, les fruits et les bonbons , mais pas les
gâteaux.
B’ : Ce sont le chocolat, les fruits et les bonbons que j’aime.

(64) A : Tu aimes un romancier réaliste du XlX-ème siècle – Balzac,
Stendhal, Flaubert, Mérimée ?
B : J’aime Flaubert (mais cela ne veut pas dire que je déteste
les autres).
B : C’est Flaubert que j’aime (mais cela ne veut pas dire que je
déteste les autres).

Notre conclusion est la même qu’après la présentati on de l’échelle
d’acceptabilité pour les interventions réactives à valeur rhématique : pour
qu’on puisse vraiment parler d’un rapport étroit en tre thème et rhème au
niveau de l’échange question-réponse, il faut qu’il y ait la possibilité
d’accepter, dans la réponse, toutes les trois struc tures : réponse entière,
ellipse et clivage.
Un argument en faveur de la relation entre les qua tre sous-classes
qui nous intéressent et la question de fonction pro positionnelle est donné
par le regroupement des deux types de questions dan s ce que nous

117 appelons une « question combinée » (voir Iordache, 1999 : 23, à la
taxinomie de laquelle nous avons ajouté la sous-cat égorie b) :

a) Questions de fonction propositionnelle + questions à deux ou
plusieurs membres et à alternative unique

(65) A : Quel pays va-t-il visiter ? La France ou l’Angleterre ?
B : Il va visiter la France .

b) Questions de fonction propositionnelle + questions à deux ou
plusieurs membres et à deux ou plusieurs alternativ es de
réponse

(66) A : Quel pays va-t-il visiter ? L’Italie, l’Espagne, la France ou
l’Angleterre ?
B : Il va visiter la France et l’Angleterre .

c) Questions de fonction propositionnelle + questions à
plusieurs membres et à liste complète

(67) A : Qu’est-ce que tu aimes ? Le chocolat, les bonbons, les
gâteaux, les fruits ?
B : J’aime le chocolat, les fruits et les bonbons , mais pas les
gâteaux.

d) Questions de fonction propositionnelle + questions à deux ou
plusieurs membres et à choix nonexclusif

118 (68) A : Quel romancier réaliste du XlX-ème siècle est-ce que tu
aimes ? Balzac, Stendhal, Flaubert, Mérimée ?
B : J’aime Flaubert (mais cela ne veut pas dire que je déteste
les autres).

REMARQUE: Pour compléter la liste des questions combinées, n ous
devons signaler l’existence du complexe interrogati f question de
fonction propositionnelle + question propositionnel le à
alternative unique :

(69) – Quelle chaleur ? La lampe à souder ?
– Ouais , avec un truc spécial.

(Dialogue fourni par
Jean-Louis Dessalles, www.limsi.fr)

(70) LA BARONNE
Et de quoi seriez-vous confus ? D’être la perle des
professeurs ?
(Pagnol, Topaze )

Ce qui caractérise ces questions c'est la combinai son entre les deux
types d’interrogation. La forme finale en est une q uestion totale complexe
engendrant une intervention réactive du type « Oui / Non / Peut-être ».
Celui qui pose la première question remplace, dans la seconde question, la
variable par une constante.
Pratiquement, il s’agit de vérifier si la substitu tion a eu pour résultat
une réponse vraie, en d’autres termes, d’un auto-co ntrôle cognitif auquel

119 recourt l’interrogateur. Il en est de même pour les autres questions
combinées, la seule différence consistant dans le nombre des alternatives
de substitution .
Pour conclure sur les questions propositionnelles autres que celles du
type « Oui / Non / Peut-être », il faut dire que la parenté avec les questions
de fonction propositionnelle en est difficilement c ontestable. La classe des
réponses possibles est représentée soit par tous ou la plupart des
membres, soit, dans, dans le cas de l’interrogation de fonction
propositionnelle, par son « délégué » – le pronom o u l’adverbe interrogatif.
Dans une conception plus accueillante, ces questio ns se trouvent au
carrefour entre ce qu’on appelle interrogation tota le et interrogation
partielle. Ce qui semble incliner la balance vers l e premier type, c'est la
présence du terme soumis au questionnement dans tou tes les deux
interventions de la paire. Par contre, ce qui perme t de ranger une telle
question dans la seconde catégorie, c'est la possib ilité de relever, dans
l’échange auquel elle appartient, une présuppositio n locale, qui nous fait
penser à l’idée de thème. La possibilité d’y opérer une ellipse ou un clivage
est un argument allant dans la même direction.

2.7. La question du type « Oui / Non / Peut-être » et la thématicité

C'est un aspect très délicat de la présente analyse . Dans le cas de
l’interrogation appelée traditionnellement totale, nous ne pouvons pas nous
servir des modèles que nous avons utilisés pour tra iter de la thématicité au
niveau de la question de fonction propositionnelle. Car, comme dit R. Martin
(1983 : 214, remarque 2), « l’interrogative totale laisse ouverte la
question du thème et du rhème ». L’auteur explique cela par le fait que

120 « les présuppositions globales ne sont pas liées à la notion de
thème » ( ibidem ). Considérons le contexte suivant :

(71) A : Vous êtes déjà venue ici, Madame ?
B : Mais oui, Monsieur Gauthier me connaît très b ien.

(Chamberlain, Steele, 1985 : 166)

Toute tentative d’opérer une bipartition du type t hème-rhème de cet
échange serait vouée à l’échec. Il en va de même da ns le cas des
demandes de confirmation au moyen de l’exposant nég atif « n’est-ce
pas ? » :

(72) A : Vous connaissez mon mari, n’est-ce pas ?
B : Oui.

(Chamberlain, Steele, 1985 : 138)

Nous avons déjà évoqué certains arguments pour sou tenir cette
idée :

– de nature sémantique : l’impossibilité d’y releve r une présupposition
locale (liée à la thématicité). On peut tout au plu s relever une
présupposition globale, qui ne sert pas à la défini tion de la notion
discursive de thème ;
– l’intervention de B est un appel à confirmer , non pas une demande de
combler une lacune informationnelle ;

121 – en relation étroite avec l’argument antérieur, S. Rémi-Giraud (1988 : 85,
article évoqué dans le premier chapitre) parle de l a " production d’une
assertion commune ".

Nous sommes dans une situation ingrate : celle d’ab andonner le
modèle que nous avons utilisé pour rendre compte du thème au niveau de
la question de fonction propositionnelle. Ce que n ous essayerons (timide
tentative !) c'est d’adapter ce genre de questions à une analyse qui prend le
thème pour « l’entité dont on parle » et le rhème p our « ce que l’on en dit ».
Si nous appliquons ce critère au premier contexte d e cette dernière série
d’exemples, nous pourrons dire qu’après avoir obten u la validation du
thème qu’il propose, A, voire l’interrogateur lui-m ême, ajoute un rhème :
« Alors, demain matin, à dix heures ». C'est comme si nous avions une
période conditionnelle telle que « Si vous êtes déj à venue ici (et que
Monsieur Gauthier vous connaisse très bien), vous r eviendrez demain
matin, à dix heures ».
D’ailleurs les études de spécialité placent bien so uvent le couple
thème-rhème au niveau de la phrase complexe.
Mais cette analyse représente, admettons-le, une en treprise trop
risquée. Pour l’effectuer, nous avons dû recourir à un échange ternaire
(catégorie que nous avons éliminée, dans le premier chapitre). De plus, la
particularité d’une situation comme celle-ci est qu e la contribution de celui
qui pose la question est très consistante. Il propo se un thème sur le support
duquel il opère l’apport d’information. Quant à l’i nterlocuteur B, son rôle est
d’accepter la formulation thématique, condition ess entielle pour l’apport
rhématique ultérieur. Donc, si, dans le cas de la q uestion de fonction
propositionnelle, nous pouvons parler d’un équilibr e discursif entre les deux

122 interlocuteurs, dans le contexte que nous venons d’ analyser, la balance
incline vers l’interrogateur.
Un autre problème qui rend notre démarche très diff icile est qu’une
intervention réactive fournissant seulement la conf irmation, l’infirmation ou
l’indétermination du contenu thématique proposé est rare dans la
conversation courante. L’apport de l’interrogé est, dans la plupart des cas,
beaucoup plus riche que cette mention.
L’orientation de l’intervention réactive peut alors être expliquée au
moyen de la notion de catalyse . Celle-ci est "une proposition, qui, mise en
relation avec la réplique précédente, la rend cohér ente avec le stimulus" (S.
Stati, 1990 : 96). Ainsi, à une question comme « Vo us connaissez mon
mari, n’est-ce pas ? », on peut remplacer le monorè me « Oui » par un
énoncé entier, allant dans la même direction : « No us avons travaillé
ensemble ».
Nous pensons cependant nous éloigner de nos intenti ons concernant
la notion de thème. Voilà pourquoi nous abandonnons cette piste.
La contribution de l’interrogé (L 2) peut aller dans le sens de la
reformulation (ou ré-élaboration) du contenu thémat ique proposé par
l’interrogateur (L 1).
M. Mouillaud (1991 : 347) parle du pouvoir que L 2 exerce sur la
question lancée par L 1. Pour exemplifier le recadrage thématique, l’auteu r
fait appel à une interview dont le protagoniste est Lionel Jospin (à l’époque,
Ministre de l’Education Nationale). Il s’agit d’une controverse concernant le
vêtement des jeunes musulmanes dans les écoles et l es lycées français,
notamment le foulard qui « barre » le front des fil les. La question "…faut-il,
oui ou non (nous soulignons) laisser des jeunes mus ulmanes porter le
foulard dans les collèges et les lycées ?" demande manifestement au
ministre de se situer soit dans le champ de la répo nse positive, soit dans le

123 champ du non. Ceux qui contestent ce droit, le font au nom de la laïcité de
l’enseignement. Ceux qui le défendent font appel à la tolérance. Le
ministre, quant à lui, doit donc choisir entre incl usion et exclusion.
Au nom de la diplomatie, il ne peut pas fournir une réponse
tranchante. D’abord, il expose des principes: "L’éc ole laïque est un lieu de
neutralité confessionnelle." Celui semble être plut ôt une introduction qu’une
réponse véritable. En reposant sur ces principes, l e ministre pose qu’à
l’école, "on ne doit pas arborer de signes religieu x" et que "Je demande aux
parents et aux jeunes de respecter ces règles". Ces deux derniers énoncés
semblent conduire à une réponse négative. Mais, l’i mplication des parents
signale un premier recadrage de la question initial e. Le respect des règles
équivaut pratiquement à l’abandon des foulards. Dan s ce sens, la question
semble rester sans objet. La suite va bouleverser l e cadre fixé par le
premier énoncé: "Mais le port du foulard ou de tel autre signe
d’appartenance à une communauté religieuse ne peut constituer un motif
d’exclusion de l’élève".

REMARQUE: Signalons le rôle de catalyseurs que jouent les
interventions réactives du ministre, qui évite de t rancher entre Oui et
Non .

Ce vacillement entre confirmation et infirmation es t rendu possible par
l’introduction de certains paramètres non mentionné s au niveau de
l’intervention initiative : l’appel au caractère la ïque de l’enseignement,
l’exigence de neutralité confessionnelle, d’une par t, et l’appel à la tolérance,
d’autre part.
Parmi les stratégies réactives auxquelles L 2 peut recourir pour se
sortir d’affaire, il nous reste à mentionner le ref us de coopérer. Celui-ci doit

124 être nettement distingué de l’aveu d’incompétence. J. Gouazé (1991 : 327)
présente la stratégie de recul à laquelle recourt l ’ex-président français
François Mitterrand. A une question comme "Pensez-v ous que ces
accusations du secrétaire général du Parti communis te sont compatibles
avec le maintien de membres de son parti dans votre gouvernement ?", il
refuse de répondre, en répliquant de manière diplom atique, en disant, à
propos des relations avec les communistes, qu’il fa ut "mettre les choses au
net" . Face à cette ambiguïté, les journalistes ins istent, en demandant au
président de ne pas les "laisser sur leur faim". Va ine insistance : "j’ai dit ce
que j’avais à dire; si j’avais voulu dire autre cho se vous imaginez bien que
je l’aurais fait". D’ailleurs l’homme politique ins titue une règle en vertu de
laquelle, les journalistes doivent "rester dans les limites du dicible". Cette
formule en dit long sur son refus manifeste de coop érer.
Dans cette dernière section, nous n’avons voulu que passer en revue,
à titre d’exemples, certains aspects concernant le blocage de la
communication. Ces cas ne présentent pas un intérêt majeur pour notre
démarche d’élaborer une grammaire du couple questio n-réponse. Mais un
tel modèle d’analyse doit au moins en signaler l’ex istence.

2.8. Considérations finales

Nous pouvons maintenant conclure que le type d’inte rrogation qui se
prête le mieux aux modèles utilisés dans ce chapitr e est celui de fonction
propositionnelle . L’étude de la présupposition locale morphématique
permet dans la plupart des cas de déceler les fragm ents thématique et,
respectivement, rhématique au niveau du couple ques tion-réponse.
La longueur de ces deux segments et la frontière en tre ceux-ci est
saisissable en appliquant les deux procédés assuran t la saillance du

125 rhème : l’ellipse et, respectivement, le clivage c'est…qui / que ou sa
variante de pluriel. Mais ces deux tests ne peuvent pas toujours opérer.
Dans un contexte comme

(73) A : Qu’est-ce qui ne va pas ?
B : Depuis un certain temps j’ai du mal à dormir et je n’ai
presque plus d’appétit.

(Chamberlain & Steele, 1985 : 162)

l’information nouvelle est représentée par la répon se entière, sauf le temps
verbal. Dans ce cas, on ne peut rien supprimer.

REMARQUE: Pour un exemple similaire, se rapporter à Lyons
(1995).

Parfois il se peut que l’information connue, commu ne aux deux
interventions, contienne, à côté du temps verbal, l a spécification de la
personne :

(74) A : Qu’est-ce qu’il m’est arrivé ?
B : Vous avez été renversé par une voiture.

(adaptation de Chamberlain & Steele, 1985 : 164)

Une seconde remarque quant au modèle de saturation proposé dans
ce chapitre porte sur la possibilité qu’a l’interro gé de rejeter la
présupposition locale :

126
(75) A : Où est-ce qu’on peut s’installer, alors ?
B : Nulle part . C'est complet.

(Chamberlain & Steele, 1985 : 154)

Pour qu’il y ait réponse, donc saturation de la va riable, il doit y avoir,
préalablement, communauté présuppositionnelle entre interrogateur et
interrogé, sans quoi ce dernier ne peut pas apporte r le rhème qui lui est
requis. Pour « suppléer » en quelque sorte à ce vid e informationnel, celui
qui annule le présupposé apporte un argument qui ju stifie son attitude –
« Si on ne peut s’installer nulle part, c'est parce q ue c'est complet ». De
cette manière, il intervient dans la formulation du thème, en l’amendant.
Une troisième remarque porte sur le fait que la ré ponse peut ne pas
s’inscrire dans la matrice de la question, auquel c as il est pratiquement
impossible d’opérer l’ellipse du fragment thématiqu e commun :

(76) A : C’est quand, le prochain train ?
B : Il doit y en avoir toutes les heures à peu pr ès.

(Chamberlain & Steele, 1985 : 142)

Même si la réponse ne fournit pas exactement le ty pe d’apport
informationnel requis par la question (les deux aut eurs faisant d’ailleurs,
dans une note en bas de page, l’équivalence nécessa ire – « c'est quand, le
prochain train ? = à quelle heure est le prochain t rain ? »), l’anaphore
pronominale ( le prochain train – en ) témoigne d’un rapport de nature
sémantique et structurelle entre les deux membres d u couple. Ces

127 considérations devront être continuées par une appr oche de la cohérence
interne du couple question-réponse.

2.8.1. Une échelle d’adaptation de la réponse au ca dre
syntagmatique imposé par la question

Une telle classification part de la variable que l ance la question de
fonction propositionnelle. Nous présenterons plusie urs situations, à partir
de l’assimilation complète du cadre imposé par la q uestion, en passant par
une structuration partielle, par un seul rapport de nature sémantique entre
question et réponse, jusqu’à l’absence complète d’u ne relation, quelle qu’en
soit la nature :

a) La réponse s’inscrit sémantiquement et structurelle ment dans la
matrice :

(77) A : Qu’est-ce que tu as fait ?
B : Justice.

(Mérimée, Mateo Falcone )

Dans le contexte suivant, il y a plusieurs spécifi cations du circonstant
de lieu. Pour des raisons de précision, le répondeu r ressent le besoin d’une
saturation progressive, au moyen d’expressions cumu latives permettant à
son interlocuteur de localiser l’objet auquel il s’ intéresse :

(78) A : Où est mon sac ?

128 B : Ici, à gauche, près du lit.

Toujours à ce point de la présente taxinomie, il fa ut mentionner la
possibilité que la question introduise deux ou plus ieurs thèmes différents,
au moyen de deux ou plusieurs archilexèmes différen ts :

(79) A : Ça s’est passé quand et où ?
B : Tout de suite là. Devant la gare !

(Chamberlain & Steele, 1985 : 176)

b) La réponse ne s’inscrit que partiellement (du point de vue formel
au moins) dans la matrice imposée par la question

(80) A : (…) Ils étaient comment ces voleurs ?
B : Celui qui conduisait, je ne sais pas du tout. J e ne l’ai pas vu.
L’autre, il était… euh… jeune, petit, assez fort, d es cheveux
blonds frisés. Il portait un jean, un T-shirt – ble u clair, je crois –
et des baskets. La moto, j’sais pas. Assez puissant e, mais pas
très grande.

(Chamberlain & Steele, 1985 : 176)

L’hypothèse que nous émettons ici est la suivante : plus la réponse
est longue, moins la saturation s’effectue dans le cadre syntagmatique
ouvert par la question .
Si nous analysons le contexte ci-dessus, nous const aterons que la
première partie de la réponse (après l’aveu d’incom pétence quant au voleur

129 qui conduisait) s’inscrit dans ce cadre : « L’autre, il était… euh… jeune ,
petit, assez fort, des cheveux blonds frisés ». La suite en fixe un autre
cadre que celui de la question : « Il portait un jean, un T-shirt – bleu clair,
je crois – et des baskets ». Pour ce qui est de la dernière partie de
l’intervention réactive, celle-ci n’a aucun rapport structurel avec la réponse.
Nous pouvons cependant y saisir une relation sémant ique (une
synecdoque) entre les voleurs et leur moyen de transport – la moto (objet
discursif antérieurement introduit dans la conversa tion et repris par une
disloquée).
S’agissant d’un référent multiple (les voleurs) le répondeur ne peut
pas recourir à une ellipse. De plus, une des condit ions que cette dernière
doit satisfaire est que la saturation suive immédia tement la question, faute
de quoi, pour des raisons de précision et de clarté , la reprise du fragment
thématique (éventuellement au moyen d’une anaphore pronominale) est
obligatoire.

c) La réponse est en rapport sémantique avec question

(81) Monsieur DUBOST : Comment se comportaient les SS à
l'égard des femmes ? Et les femmes SS ?
Madame VAILLANT-COUTURIER : Il y avait à Auschwitz une
maison de tolérance pour les SS et également pour l es détenus,
fonctionnaires hommes, qu'on appelait des "Kapo".

(le témoignage de Madame Marie-ClaudeVailant-
Couturier sur Auschwitz et Ravensbrück,
http://www.fndirp.asso.fr/temoigmcvc2.htm)

130 Dans la même catégorie est à inscrire une question apparemment
totale engendrant un apport informationnel qui nou s permet de la ranger
parmi les questions partielles :

(82) A : Vous avez choisi la couleur ?
B : Les murs en beige … et le plafond en blanc.

(Chamberlain & Steele, 1985 : 172)

Les renseignements que fournit ce contexte nous per mettent de saisir
la question convenable – « Quelle couleur avez-vous choisie ? ». C'est
d’ailleurs de cette manière que l’interrogé « décod e » la demande de son
partenaire.

d) Il n’y a pas de relation (qu’elle qu’en soit la nat ure – structurelle ou
sémantique) entre question et réponse

(83) A : Quelle heure est-il ?
B : En 732, Charles Martel battit les Arabes à Poit iers.

(exemple emprunté à Diller, 1984)

La taxinomie ci-dessus montre les limites du modèl e de substitution
proposé dans ce chapitre. Ce modèle rend compte de la catégorie a), mais
présente certaines difficultés d’application dans l e cas de la catégorie b) (du
fait de l’éloignement de la matrice). Les exemples de la catégorie c)
fournissent (du moins apparemment) un contre-argume nt à ce que nous
avons appelé (à la suite de Diller, 1984) le contrô le structurel que la

131 question exerce sur la réponse. Par contre, le cont rôle sémantique en est
hors de doute. Pour ce qui est de la catégorie d), l’inappropriation d’ordre
structurel, sémantique et pragmatique est évidente, l’interrogé ne parlant
pas « à propos ».
Analysons maintenant les mêmes contextes du point de vue du
respect des maximes gricéennes :

– Dans les échanges de la catégorie a), l’intervent ion réactive satisfait à
toutes les maximes ;
– L’exemple de la catégorie b) pose, à une première analyse, des
problèmes liés à la maxime de quantité. Les référen ces à la moto n’ont
pas été requises par l’interrogateur. Cependant, ét ant donné que cet
extrait provient d’un dialogue au commissariat, nou s nous rendons
aisément compte que les investigations de spécialit é peuvent comporter
un élargissement du champ référentiel et que le rép ondeur donne une
image d’ensemble des voleurs et de leur moyen de tr ansport ;
– Le premier échange de la catégorie c) est spécifi que aux interviews de
presse. Pour pouvoir lever l’ambiguïté et donc parl er de conformité aux
maximes de relation et de modalité (car la réponse semble transgresser
le cadre imposé par la question), il faut se rappor ter au fond commun
d’informations préalables (pour une analyse détaillée de cette notion,
voir, par exemple, Diller, 1984 : 28 et sq.) ou au savoir partagé (dont
parlent Sperber et Wilson, 1979) ;
– Dans la classe d), il est impossible d’étudier le s maximes ou le principe
gricéen de coopération – "Que votre contribution co nversationnelle
corresponde à ce qui est exigé de vous, au stade at teint par celle-ci, par
le but ou la direction acceptés de l’échange parlé dans lequel vous êtes
engagé" (1979 : 60). En réalité, l’échange cité afi n d’illustrer cette classe,

132 entre dans la catégorie des « exemples forgés ». Il prouve à contrario la
cohérence discursive entre les deux membres du coup le question-
réponse.

2.9. Conclusions

Tout le long de ce chapitre, nous avons eu deux obj ectifs essentiels :
de délimiter les fragments thématique et rhématique du couple
question-réponse et, respectivement, de rendre compte de la mise en
évidence du rhème au même niveau.
Il est difficile de concevoir une grammaire du coup le question-réponse
qui réponde à toutes les exigences de la linguistiq ue moderne, notamment
la simplicité, la cohérence et surtout l’exhaustivi té. Il s’agit premièrement de
l’impureté illocutoire d’un échange dominée par une question. A part cela, il
y a bon nombre de facteurs qui empêchent la coagula tion d’un tel modèle :
l’impossibilité d’uniformiser l’analyse des trois t ypes de questions –
propositionnelle de fonction propositionnelle et, r espectivement, alternative
et, même dans le cadre de la question de fonction p ropositionnelle, le
changement du cadre imposé par la question (reflété dans pas mal
d’exemples). A tout cela s’ajoute le clivage entre les attentes de
l’interrogateur et la compétence ou les intentions de l’interrogé.
Il est rare qu’on analyse l’échange question-répon se comme un tout
dont les membres entretiennent des rapports de natu re sémantique,
pragmatique et, dans le cas des questions de foncti on propositionnelle,
même syntaxiques.
Quant à l’idée de thématicité, dans la littérature de spécialité, elle
reste généralement au niveau de la phrase ou au niv eau de l’interaction et
de ses composantes. Même quand on invoque des argum ents de nature

133 discursive, on le fait pour justifier un thème phra stique, éventuellement mis
en vedette (voir de Fornel, 1988).
Le rôle que joue l’échange question-réponse dans l ’établissement des
entités thématiques est souvent mentionné, comme no us avons constaté
dans le chapitre précédent. Mais là aussi, il s’agi t des thèmes de phrase ou
d’énoncé (si on étudie les résultats de l’acte d’énonciatio n). De plus, la
question est prise pour un seul test aidant au repé rage du thème.
Ce que nous avons tenté c’est de parler de la thém aticité et,
respectivement de la rhématicité à l’intérieur de l’échange du type
question-réponse . Cela nous a permis d’avancer vers une grammaire d u
couple antérieurement mentionné, car nous avons ess ayé de découper un
tel échange en fragments thématiques et, respective ment, rhématiques et
d’analyser le soulignement du rhème au moyen de pro cédés syntaxiques.
Notre conclusion, après avoir adapté à nos besoins le modèle de saturation
inspiré par R. Martin (1983), est que le couple que stion (de fonction
propositionnelle) – réponse est une entité discursi ve suffisamment
structurée. Nous avons insisté sur le rhème et sa m ise en évidence, compte
tenu de sa vocation – celle d’assurer la progressio n informationnelle au
cœur de l’interaction. Il représente le point final du trajet exploratoire lancé
par l’interrogateur, menant à la satisfaction de so n besoin d’information.
Nous avons laissé de côté nombre d’aspects concern ant la
thématicité discursive, qui nuanceraient la présent e analyse. Rien que deux
exemples :
Le premier concerne la variable de la question de fonction
propositionnelle, qui ouvre le chemin de la saturat ion. Cette variable
présente, nous l’avons déjà remarqué, des traits sp écifiques nous orientant
vers la fonction propositionnelle qui fera l’objet de la saturation dans
l’intervention réactive. Ainsi, la temporalité est- elle « incarnée » par

134 l’archilexème quand , tandis que l’idée de lieu est actualisée par l’ad verbe
interrogatif où , pour n’en donner que deux exemples. Mais, chose
démontrée par Diller (1984 : 28), il n’en est pas t oujours ainsi. Dans
l’échange suivant, le trait [+lieu], qui appartient à la réponse, ne correspond
pas au trait sémique du mot interrogatif :

(84) A : Quand as-tu rencontré Cyril ?
B : En France .

L’éclairage en est de nouveau à trouver dans le sa voir partagé des
deux interlocuteurs. Les informations préalables qu ’ils partagent seraient
suffisantes pour que B puisse répondre « ( Quand j’étais ) en France ».
Passons maintenant au second aspect. Partons d’une question
combinée :

(85) A : (…) Je voudrais m’inscrire à un cours de langue.
B : Lequel ? Le cours intensif ou le cours normal ?
………………………………………………………
A : Je crois que je préfère le cours normal.

(Chamberlain & Steele, 1985 : 173)

Cette question à deux membres et à alternative uni que provient de
deux questions propositionnelles du type « Oui / No n / Peut-être » – « Est-
ce vous choisissez le cours normal ? » et, respecti vement, « Est-ce que
vous choisissez le cours intensif ? ». La question repose donc sur une
disjonction exclusive du type p V q. "Le même problème est posé sous
deux faces" (G. Moignet, 1974 : 108). Sans conteste r cette vision, nous

135 avons opté pour l’assimilation de ce type de questi on à l’interrogation dite
partielle. « Vous choisissez le cours intensif ou le cours norma l ? » équivaut
à « Lequel (des deux cours) est que vous choisissez ? ». La question
combinée formée à partir des deux questions antérie urement mentionnées
en dit long sur cette équivalence.
Bien que la présente étude s’occupe de la question de fonction
propositionnelle, en laissant de côté la question p ropositionnelle, dans le
chapitre suivant, nous en utiliserons tous les deux types lorsqu’il s’agira de
traiter de la place qu’occupe l’échange question-ré ponse dans la
conversation ou des types de progression thématique , ayant déjà exprimé
nos réserves quant à l’application du binôme thème- rhème dans le cas de
l’interrogation totale du type « Oui / Non / Peut-ê tre ».

***

La segmentation en thème et rhème du couple questio n-réponse a
été une tentative (toute timide qu’elle soit) d’en élaborer une grammaire.
Traditionnellement, on analyse l’interrogation sans prendre en compte
les particularités discursives de ce couple. C'est pour cela qu’une telle
segmentation s’applique séparément à chacun des deu x membres de
l’échange.
Or, il y a nombre de facteurs qui échappent à un mo dèle phrastique. Il
suffit de mentionner des phénomènes comme l’anaphore ou l’ellipse du
fragment thématique dans la réponse.
Nous avons déjà évoqué les inconvénients des soluti ons que nous
avons proposées. La première en est que ce modèle n e rend compte que
des apports informationnels s’inscrivant formelleme nt, sémantiquement et
pragmatiquement dans la matrice de la question.

136 Dans une interview de presse, la question n’est qu’ un prétexte offrant
à l’interviewé l’occasion de développer une démarch e argumentative qui
laisse, pour ainsi dire, en ombre les traits sémiqu es de la matrice :

(86) Paris Match : La définition d’une grande actrice, selon vous?
Julie Depardieu : Isabelle Huppert . Elle compose d’une façon
très précise et, en même temps, elle donne énorméme nt
d’émotion. Dans “La pianiste”, elle est incroyable. J’adore aussi
Béatrice Dalle . Elle ne contrôle pas tout mais c’est ça qui est
beau. En musique, par exemple, j’ai une passion pou r Cecilia
Bartoli qui, comme Huppert, allie la technique et l’émotio n.

(propos recueillis par Aurélie Raya,
Paris Match – édition électronique -,
10 Juillet 2002)

De plus, la saturation ne garantit pas la complétud e informationnelle
ou interactionnelle. Ces dernières peuvent faire l’ objet de plusieurs
échanges, rendant impuissante une grammaire du couple question-
réponse.
L’aveu d’incompétence ou le refus de coopérer de la part du
répondeur bloquent également l’application du même modèle.
Au moyen des stratégies de résolution, nous pourri ons rendre compte
de ces dernières situations. Mais une telle analyse s’éloigne en quelque
sorte des objectifs de la présente étude.

137 Nous avons également laissé de côté les stratégies argumentatives à
déceler dans les réponses-périodes (c'est surtout l e cas des matrices du
type Comment ? ou Pourquoi ? ).
La théorie de la présupposition locale morphématiq ue a donc une
portée réduite aux échanges dans lesquels la demand e d’information est
satisfaite « localement », sans exiger d’autres méc anismes interprétatifs.
Après avoir étudié l’organisation interne du coupl e question-réponse,
en nous servant des possibilités de distinguer entr e les rôles thématique et,
respectivement, informationnel, dans le chapitre su ivant, nous nous
donnerons pour objet d’étude la thématicité à diffé rents niveaux d’une
interaction verbale.
Sera également abordée la contribution de l’échang e question-
réponse à la progression thématique, donc à l’appor t permanent d’objets
discursifs.

138

CHAPITRE lll

139
LE THÈME ET LES NIVEAUX DE LA CONVERSATION

Résumé : Notre option de dépasser le cadre thématique phrastique e t,
donc, la perspective syntaxique en faveur du cadre discursif introduit une
problématique liée au fonctionnement du binôme thèm e-rhème dans la
structure et la dynamique de la conversation, notam ment à ses trois
niveaux : l’interaction, la séquence et l’échange.
Dans une telle perspective, le thème n’est plus un constituant de la phrase,
mais un objet que le locuteur propose à son interlo cuteur et qui exerce un
contrôle / une contrainte sur le développement de l ’interaction, de la
séquence ou de l’échange (cf. la perspective conver sationnaliste de
Mœschler).
Comme nous nous proposons de traiter du thème discu rsif dans le contexte
de l’échange du type question-réponse, nous restrei ndrons le corpus, en
nous limitant aux interactions professionnelles (l’ entrevue, l’anamnèse,
l’interrogatoire).
Le niveau le plus intéressant est celui de la séque nce. D’un part, celle-ci est
le critère de classification structurale des intera ctions en mono- et pluri-
séquentielle. D’autre part, la séquence est l’unité conversationnelle définie
sémantiquement selon le critère thématique. Le thèm e d’une séquence est
bien souvent introduit par une question, acte initi atif par excellence et
marque fréquente de thème discursif.
Un sous-thème conversationnel est introduit au nive au de l’échange.

140 3.1. Introduction

Après l’esquisse d’une grammaire du couple questio n-réponse, notre
intérêt est d’en « mettre à l’épreuve » les résulta ts, en nous situant aux
niveaux supérieurs qui entrent dans la structure de l’interaction
conversationnelle.
Concrètement, nous allons nous demander si le thèm e introduit par la
question contribue à la progression informationnell e de la conversation.
Est-ce qu’un échange question-réponse peut imposer le thème de
l’interaction entière, d’une séquence de cette dern ière, ou bien il
n’engendre qu’un sous-thème, subordonné au sujet de la séquence ? Voilà
des questions auxquelles nous essayerons de répondr e dans le présent
chapitre.

***

Avant de passer à l’analyse proprement dite, nous allons insister sur
un aspect d’ordre méthodologique : si les chapitres de la présente
recherche présentent par ordre ascendant les différ ents niveaux de
l’analyse (à partir du niveau « échange », en passa nt par les niveaux de la
hiérarchie conversationnelle), à l’intérieur de cha cune de ces unités, nous
décomposons une entité de rang supérieur en deux ou plusieurs unités de
rang inférieur, à l’instar d’une analyse phrastique en constituants
immédiats. Ainsi, le couple question-réponse sera-t -il analysé en faisant
référence à chacun des deux membres le composant.
Donc, si l’analyse des niveaux conversationnels re présente une
perspective constructiviste ( bottom – top analysis ), dans ce sens que les
résultats obtenus à un niveau quelconque sont mis e n rapport avec le rang

141 immédiatement supérieur, la perspective à laquelle nous recourons afin
d’étudier les particularités thématiques de chaque niveau est dé-
constructiviste.
Des deux perspectives, nous tâchons de relever les aspects qui
intéressent une analyse du couple question-réponse, compte tenu de la
place qu’il occupe dans la conversation et du rôle qu’il y joue.

***
Revenant à l’analyse de l’interaction du point de vue du point de vue
de la thématicité, nous devons de nouveau insister sur le fait qu’une telle
théorie ne saurait avoir la rigueur formelle des mo dèles phrastiques (voir,
par exemple, l’analyse de la thématisation par déta chement, effectuée par
B. Fradin, 1988).
L’organisation de la conversation repose sur des s chémas mentaux,
responsables de l’introduction, de l’abandon, de la reprise ou bien du
repositionnement thématiques.
Tout le long du présent chapitre, le thème sera do nc étudié aux
différents paliers de la conversation, en insistant sur le rôle que joue la
question dans la mobilisation des sujets conversati onnels (et des sous-
thèmes qui leur sont subordonnés).
C’est de ce point que notre analyse doit continuer . L’échange
question-réponse fait partie intégrante d’un contex te interactionnel plus ou
moins large.
Les tenants et les aboutissants de la conversation influent sur
l’occurrence de l’échange qui fait l’objet de cette analyse. Une réelle
demande d’information (satisfaisant, donc, la condi tion de sincérité) se
justifie par une insuffisance cognitive (portant so it sur un objet du discours,
soit sur la situation de communication), mais repos e sur un bagage

142 d’acquisitions communes aux interlocuteurs qui pren nent part à une
interaction verbale.
D’autre part, une fois résolu le problème soulevé par la question, le
discours pourra bénéficier de développements ultéri eurs ayant pour base
justement le résultat de la demande d’information. Si cette dernière n’a pas
de résultat, celui des interlocuteurs qui ignore un e information peut diriger
son exploration dans une direction qui conduira à l a réussite de sa
démarche, en dérivant des sous-thèmes à partir du t hème principal.
Dans les pages qui suivent, nous nous proposons de rendre compte
du statut discursif de l’échange question-réponse, en nous demandant si sa
vocation d’introducteur thématique, que nous avons analysée hors
contexte, est compatible avec l’analyse des différe nts niveaux de la
conversation.
Nous utiliserons le modèle hiérarchique de l’École de Genève,
présenté par C. Kerbrat-Orecchioni (1990 : 211). No tre but sera, d’abord,
l’identification de rangs où nous pouvons étudier l a thématicité (peu importe
la nature de l’introducteur thématique). Ce n’est q u’après que nous
aborderons les niveaux où la question peut introdui re un thème (ou sous-
thème). Finalement, nous nous demanderons à quel ni veau de ce modèle
hiérarchique (s’il y en a un) la question est un in troducteur thématique,
sinon unique, du moins préférentiel.
Avec l’étude du niveau échange, nous reviendrons à une analyse
interne du couple question-réponse. Nous étudierons , à la suite de
Mœschler (1985 : 115 et sq.) les contraintes d’ench aînement. Notre objectif
essentiel là-dessus est de vérifier si notre concep tion du rapport thème-
rhème est à limiter à la seule contrainte thématiqu e.
Pour boucler la boucle de la thématicité au niveau du couple
question-réponse, nous ferons un parallèle entre le s types de progression

143 thématique (tels qu’ils résultent du modèle de Comb ettes, 1983) et les
effets qu’a notre conception sur les développements thématiques dans la
conversation.

3.2. Le thème et l’analyse des interactions verbale s

Le modèle hiérarchique et fonctionnel qu’utilise C. Kerbrat-Orecchioni
(1990) part de notion de rang . Il en y a au total cinq, dans un modèle
hiérarchique partant de l’interaction – la plus grande unité dialogale -, la
conversation étant un type ou plutôt un « prototype » de celle-ci. Le dernier
rang de la hiérarchie est occupé par l’acte de lang age, qui est la plus petite
unité monologale. Passons en revue la hiérarchie e ntière des unités
dialogales et monologales de la conversation, liées par des rapports d’ordre
fonctionnel :

a) Unités dialogales :
Interaction
Séquence
Echange

b) Unités monologales :
Intervention
Acte de langage

144 C’est un modèle devenu classique dans la littératur e de spécialité.
Nous parcourrons les unités dialogales, ayant pour objectif principal l’étude
de la thématicité. En d’autres termes, la question qu’on doit soulever est si
l’on peut parler du critère thématique, à savoir de l’existence d’un thème
unique, traverse toutes ces trois unités.

3.2.1. L’interaction

La définition la plus simple et pratique de cette u nité de rang
supérieur est la suivante :

L’interaction représente la totalité des paroles qu e les
interlocuteurs échangent du moment où ils se rencon trent
jusqu’au moment où ils se séparent.

Il est vrai que ce niveau n’est pas en relation di recte avec le sujet de
notre étude, mais nous ne saurions nous en passer c ar l’événement de
parole ou de communication (« speech event ») sous- tend les épisodes qui
nous permettent d’analyser les traits spécifiques a u couple question-
réponse.
Par « la totalité des paroles que les interlocuteu rs échangent », nous
devons entendre : l’ouverture contenant les salutations proprement dites et
les salutations complémentaires (ou l’exorde , à savoir le thème santé – la
dénomination appartenant à D. André-Larochebouvy, 1 984 : 65 et sq.), le
corps de l’interaction , et la clôture .
Mais ce scénario interactionnel n’est pas à saisir dans toute
conversation. Sans proposer des règles figées, nous oserions affirmer que

145 le corps de l’interaction prévaut dans les discussi ons reposant sur des
intérêts d’ordre professionnel (l’anamnèse médicale ou le réquisitoire),
auquel cas, l’exorde est considérablement réduit, s inon absent (l’ouverture
se limitant aux salutations proprement dites), tand is que dans la
conversation familiale (celle entre amis, par exemp le), le papotage donne le
sentiment d’un exorde prolongé, mettant en ombre le s autres épisodes
(notamment le corps).
Ce dernier cas sera illustré au niveau de la séque nce. Pour le
moment, analysons quelques interactions que nous ap pelons
professionnelles : l’interaction en situation didac tique et d’examen et,
respectivement, l’anamnèse. La question qu’il faut se poser : s’agit-il d’un
seul thème (ici, au sens de « sujet de conversation » – voir D. André-
Larochebouvy, 1984 : 58) ? Et sinon, y a-t-il un t hème de base qui
engendre des développements discursifs ultérieurs ?
En situation didactique, même si on exclut les sal utations (y compris
celles complémentaires) et les éléments tenant à la mise en train de la
leçon, la vérification des acquisitions antérieures , la communication des
nouvelles connaissances et l’étape de fixation de c es dernières
représentent des séquences thématiquement différent es. C’est à
l’enseignant de lier ces séquences et d’en assurer la continuité, dans le
cadre de ce qu’on appelle en didactique la leçon mixte .
Il est rare qu’on se limite à une seule séquence, que ce soit la
vérification des acquis ou bien la communication de s nouvelles
connaissances. Et cela pour ne plus parler du fait que la conversation en
situation didactique se déroule compte tenu d’un sc énario préétabli, dans
lequel prévalent les questions socratiques (appelée s aussi questions
d’examen) que L. Fontaney (1991:120) caractérise de la façon suivante :
"L’interrogateur sait et veut vérifier le savoir de son partenaire".

146 La leçon mono-thématique est difficile à concevoir dans le cas de
certaines méthodes d’enseignement comme la conversa tion heuristique ou
même dans des moments de spontanéité d’une leçon cl assique.
L’apprenant peut, afin d’élargir son espace cogniti f, lancer des thèmes ou
sous-thèmes non prévus au début par l’enseignant, a u moyen de questions
adressées à ce dernier.
Revenons maintenant aux questions d’examen. D. Harr ah (1982 :
276) offre un exemple savoureux. Nous y constateron s que même les
intentions illocutoires de l’interrogateur influent sur les développements
thématiques d’une interaction :
Un candidat au titre de docteur ès philosophie est soumis à une série
de questions sur l’un des héros de la Révolution Fr ançaise – Robespierre.
Le coordonateur de la thèse veut aider le candidat, en lui demandant
quelles ont été les justifications économiques de l a Révolution. Un second
professeur pose une question ayant un très haut deg ré de généralité. Celle-
ci porte sur la dynamique interne des révolutions. Ce passage du particulier
au général met en difficulté le candidat. Un autre membre du jury, qui en
veut au coordonateur de la thèse s’intéresse aux ca uses de l’échec de
Danton, en espérant bien sûr que le candidat ignore la réponse.
Cet exemple montre que parfois l’interrogateur ne vise pas vraiment à
obtenir une réponse, même s’il s’agit de l’activité didactique d’évaluation.
La condition de sincérité est donc un des premiers pas vers le succès du
questionnement. Même lorsqu’il y a des prémisses de mono-thématicité,
celle-ci est pratiquement une illusion.
Avant d’analyser un entretien docteur – patient, a u cours duquel le
premier effectue l’anamnèse du second, faisons une remarque qui nous a
été inspirée par Berthoud (1996 : 31) :

147 Une question comme Comment ça va ? ou Qu’est-ce qu’il y a ? , qui
normalement fait partie de l’exorde, appartient, da ns le cas de l’anamnèse,
au corps de l’interaction.
L’entretien, emprunté à Chamberlain & Steele (1985 : 162-163) dont
la transcription est à trouver dans l’annexe, début e ex abrupto par la
question concernant l’état de santé de M. Giraud – Entrez, Monsieur. Alors,
qu’est-ce qui ne va pas ?
Les questions qui suivent semblent être subordonné es à une sorte de
« logique professionnelle » (dans le cas présent, m édicale) de
l’interrogateur. Ainsi, en rapport étroit avec le s ujet « santé », se situent les
questions portant sur :

– le début des symptômes du patient – Vous avez ces symptômes depuis
combien de temps exactement ?
– la nature des activités professionnelles qu’il dé ploie – Vous avez un
travail très prenant ? , cette question étant suivie par une demande de
détailler – Vous êtes obligé de travailler autant ? (on peut y saisir une
légère nuance de reproche – Pourquoi est-ce que vous le faites ? )
– son état civil – Vous êtes marié ?
– un vice accentuant sa souffrance – Vous fumez ?

Ces questions, que le médecin considère comme perti nentes pour
l’évaluation du problème de M. Giraud, le conduisen t vers son verdict – le
surmenage . La suite logique de l’anamnèse est la série de co nseils – ne
pas se surmener, se ménager, changer son mode de vi e .
Toutes ces questions ne sont que de façons d’envisa ger le thème de
la santé. Cet entretien développe donc un seul thèm e. Pour André-
Larochebouvy (1984 : 58), cela est dû à la brièveté de la conversation : "Si

148 une conversation comporte un sujet unique, c’est en vertu de sa brièveté.
Une conversation est une série d’épisodes (ou séque nces), chacun ayant
un thème unique. La notion de sujet (ou thème) se v oit donc purgée du
niveau de la conversation (interaction)."
Pour nous, une explication possible de la mono-thém aticité est le
caractère professionnel de la discussion (ou plutôt de la relation entre les
deux interlocuteurs, relation qui exclut l’exorde). Cette mono-thématicité est
due à la mono-séquentialité de l’interaction qui no us occupe.
Même si la remarque antérieure (qui anticipe, en qu elque sorte, le
rang suivant de la hiérarchie) ne peut pas constitu er une règle, nous
pouvons la rendre plus flexible, en postulant que p lus l’interaction est
professionnelle, moins elle contient de séquences.
A revenir à la conversation en situation didactique , une remarque bien
sensée serait que les séquences qu’elle contient ne sauraient se multiplier
à l’infini, à moins qu’il n’y ait d’autres intentio ns illocutoires que celle de
transmettre des informations ou bien d’évaluer le n iveau des apprenants.
Une telle interaction peut être bi- ou tri- thémati que, si l’on ajoute aux
séquences déjà mentionnées la fixation des nouveaux acquis. Mais, la
pluralité des thèmes nous mène au second rang de la hiérarchie que nous
analysons.

3.2.2. La séquence

Conséquence logique de nos remarques antérieures , la
séquence est une unité thématique.

Une précision doit s’imposer dès le début : à ce ni veau, nous parlons
de thème discursif (qui assure l’homogénéité d’ordre sémantique d’une

149 séquence). Bien que nous invoquions, à un certain m oment de cette
présentation, un des types de progression thématiqu e, nous n’analyserons
pas la dichotomie thème-rhème, qui est, selon nous, l’apanage de
l’échange.
La séquence est un constituant immédiat de l’inter action. C'est donc à
ce niveau que nous introduisons le critère thématiq ue. En proposant de
« changer de conversation » (voir Orecchioni, 1990 : 215), un interlocuteur
veut en fait dire « Passons à un autre sujet », voi re, en termes techniques,
à une autre séquence.
Une interaction renferme donc n séquences . N représente une seule
séquence (dans la conversation chez le médecin anté rieurement analysée),
deux ou trois séquences (dans la conversation en si tuation didactique).
La conversation familière est à notre avis, pluris équencielle, d’une
part parce qu’il n’y a pas de scénario préétabli qu i en gouverne le
déroulement, et d’autre part parce que nous devons compter, parmi les
séquences, l’ouverture et, respectivement, la clôtu re.
Nous avons eu l’intention de laisser de côté ces d ernières, compte
tenu de leur caractère fortement ritualisé. L’ouver ture, par exemple,
comporte :

a) les salutations proprement dites (qui dépend des rapports sociaux
entre les partenaires, voire des différences d’âge ou de statut
professionnel, du degré de familiarité, etc.) ;
b) les salutations complémentaires ou l’ exorde (André-Larochebouvy,
1984 : 65 et sq.).

150 Dans cette dernière catégorie, nous pouvons mention ner, entre
autres, les discussions sur le temps qu’il fait, su r l’ameublement de la pièce
où se trouvent les interlocuteurs, ainsi que les di vers compliments.
Même à l’intérieur des séquences d’ouverture, on pe ut, dans
certaines conditions, parler de thématicité, aspect que l’exploration de cet
épisode conversationnel dans une autre langue moder ne – le roumain –
mettra aisément en évidence. L’analyse contrastive suivante – portant sur
un élément de nature phatique le démontrera 3 :
La question Ce mai faci ? (Comment ça va ? / Comment vas-tu ? ) et
ses variantes de pluriel représentent des entités d iscursives anodines. Les
Roumains s’en servent pour entamer une conversation , pour parler de leur
état physique et psychique. Une telle formule est c aractéristique pour la
séquence d’ouverture, donc pour les préliminaires d ’une interaction verbale.
Tous les dictionnaires d’expressions roumains ne m entionnent pas
cette question parmi les énoncés à valeur idiomatiq ue (voir, à titre
d’exemple, Al. Dobrescu, 1997). La valeur rituelle en est indiscutable, ce
qui explique la présence de cette question dans la plupart des dictionnaires
bilingues (nous renvoyons le lecteur à E. Gorunescu , 1994, pour n’en citer
qu’un seul exemple). Les plus grandes difficultés a ssociées à cette formule
interrogative concernent sa transposition dans une langue cible.
Dans notre analyse, nous devons distinguer cette s tructure de la
question Ce faci ? , qui est fréquemment utilisée dans le corps de la
conversation ayant une valeur pleinement référentie lle. Citons une question
telle que Ce faci ca s ă te men Ńii in forma ? ( Qu’est-ce que tu fais pour te
garder en forme ? ) générant un apport de nature syntagmatique Fac sport
(Je fais du sport ) ou propositionnelle – Nu m ănânc niciodat ă dup ă ora șase

3 Cette étude portant sur les deux valeurs de la ques tion Ce mai faci ? a été publiée dans le numéro 3-4 /
2005 de la Revue Roumaine de Linguistique .

151 seara (Je ne mange jamais après six heures du soir) . Nous laisserons de
côté cette dernière valeur qui ne nous intéresse pa s ici.
En roumain, l’énoncé interrogatif Ce mai faci ? représente justement
la salutation complémentaire accompagnant, dans la plupart des cas, la
salutation proprement dite :

(1) – Bun ă ziua, dom’ profesor, ce mai face Ńi ?
– Bine (…)

(Andrei Bodiu – Bulevardul Eroilor )

(1’) – Bonjour, monsieur le professeur. Comment al lez-vous ?
– Bien (…)

L’échange introduit par la question Ce mai face Ńi ? assure l’entrée en
contact des deux interlocuteurs, étant une sorte de pont qui mène à la
conversation proprement dite. L’utilisation fréquen te de cette formule dans
les séquences d’ouverture la fait perdre sa valeur référentielle et acquérir
une valeur phatique, rituelle. Sur le plan formel, cette standardisation a pour
résultat la perte du rapport syntagmatique entre le s deux membres du
couple question-réponse : entre le verbe a face et l’adverbe bine , il n’y
aurait pas normalement une telle relation.
Pour l’étude d’une séquence d’ouverture, on doit t enir compte de la
composante socio-culturelle d’une langue, du savoir partagé des individus
appartenant à une communauté. Dans le cadre de cett e séquence, un
échange comme celui que nous analysons a une foncti on sociale, la
réponse ne se prêtant pas à un développement riche, de nature
référentielle.

152 Cette structure est le résultat du processus de st andardisation, voire
de son acceptation dans la langue usuelle (ou la la ngue standard) définie
comme "une série de faits et de règles dont le trai t principal est l’occurrence
chez tous les locuteurs, dans des circonstances nor males, non marquées
du point de vue affectif" (I. Coteanu, 1973 : 51).
La littérature de spécialité reconnaît la fonction phatique
qu’accomplit la question Ce mai faci ? : "Notons (. ..) la pratique des
Roumains, qui utilisent la formule Qu’est-ce que tu fais ? à l’endroit du
discours où intervient notre Comment ça va ? " (A-Cl. Berthoud, 1996 :
32).
L’auteur place cette question parmi d’autres formul es d’ouverture
dans diverses langues. En voilà quelques exemples :

– Pour inciter son interlocuteur à coopérer, en chi nois on demande
phatiquement – Vous avez mangé du riz ? (question à valeur
évidemment référentielle pour les Européens).
– En Afrique, on a la formule rituelle Comment va ta famille ? Berthoud
(ibidem ) postule la tendance qu’aurait un Français de répo ndre
référentiellement à une telle question et non pas p hatiquement. Par
contre, en roumain, un échange tel que

(2) A : Ce fac ai t ăi ?
B : Bine.

(2’) A : Comment va ta famille ?
B : Bien.

153 est parfaitement acceptable, pouvant prolonger la s équence d’ouverture et
ayant, comme la question sur l’état personnel la mê me valeur – celle de
salutation complémentaire :

(3) A1 : Salut.
B1 : Salut.
A2 : Ce mai faci ?
B2 : Bine.
A3 : Ai t ăi ce fac ?
B3 : Bine și ei. Mul Ńumesc.

(3’) A1 : Salut.
B1 : Salut.
A2 : Comment ça va ?
B2 : Bien.
A3 : Et ta famille ?
B3 : Bien également. Merci.

REMARQUE: Les variantes françaises que nous proposons ici
pourront certainement être améliorées. Ce qui doit en ressortir c'est le
fonctionnement de la formule Ce mai faci ? et de ses variantes.

Ces différences ne sauraient étonner, compte tenu de l’aspect
extérieur des langues individuelles et nationales d ont parle K. Vossler
(1972). Ces expressions appartiennent à ce qu’il no mme "l’ornement
qu’une langue cultive de manière consciente ou inco nsciente" (1972 : 6),
ornement qui donne la splendeur de cette langue, ma is qui est si étranger
aux autres langues.

154 Le problème le plus délicat qu’on associe à ce rit uel interactionnel du
roumain est représenté par les problèmes de nature interlinguistique qu’il
engendre, en d’autres termes, les difficultés que d oit affronter le traducteur
de cette question à valeur phatique lorsqu’il s’agi t d’en trouver le terme le
plus proche du point de vue de la signification dan s la langue cible (dans
notre cas, le français).
S’il se contente de la seule transposition lexical e de cette formule,
son entreprise sera vouée à l’échec. La démarche de « traduction » devrait
faire place à une tentative de transposition sémant ique reposant sur la
recherche d’un équivalent de ce rituel d’ouverture, compte tenu des
particularités d’une autre culture, d’un autre modus vivendi et sentiendi .
Le premier pas de cette transposition est l’ident ification du spécifique
de l’expression qui rend le mieux l’esprit de la la ngue source. Il est
essentiel d’exploiter les traits qui caractérisent les préliminaires
conversationnels. Il s’agit tout d’abord du fait qu e la valeur illocutoire
centrale des questions qui y figurent n’est pas la quête d’informations. Les
interlocuteurs ont l’intention de créer une atmosph ère favorable au
déroulement de l’interaction.
Selon D. André-Larochebouvy (1984 : 69), une quest ion comme Ce
mai faci ? peut jouer les rôles suivants :

a) remplacer les salutations proprement dites (dans le cas des relations
informelles) ;
b) accompagner les salutations ;
c) être l’amorce du thème « santé » (nous ajouterio ns « situation
personnelle ») ou « temps » (qui sera l’unique suje t conversationnel) ;
d) servir d’exorde à des développements thématiques ultérieurs.

155 Dans les différents contextes interactionnels, c ette question peut
cumuler deux rôles de cette taxinomie. L’exemple qu e nous utiliserons pour
illustrer nos idées portera sur les rôles a) et c).
Voilà maintenant des contextes illustrant b) et, r espectivement, d) :

(4) DEMETER : (…) Bun ă ziua, mam ă.
MAMA : Am venit s ă te v ăd, Demeter. Am trecut pe la depozitul
de lemne și m-am gandit s ă trec și pe la tine, s ă v ăd ce mai faci
(…)

(Teodor Mazilu, Pălăria de pe noptier ă)

(4’) DEMETER : Bonjour, maman.
MAMAN : Je suis venue te voir, Demeter. Je suis all ée à
l’entrepôt de bois et j’ai pensé te rendre visite, voir comment tu
allais .

Pour illustrer le cas d) nous recourons à un exemp le déjà utilisé, mais
que nous prolongeons un peu :

(1a) – Bun ă ziua, dom’ profesor, ce mai faceti ?
– Bine, spune ce e.
– Ști Ńi, a Ńi uitat s ă-mi trece Ńi nota.

(Andrei Bodiu – Bulevardul Eroilor )

156 (1a’) – Bonjour, monsieur le professeur. Comment a llez-vous ?
– Bien. Qu’est-ce qu’il y a ?
– Eh bien, vous avez oublié d’inscrire ma note.

Pour une analyse plus attentive des di fférences entre la valeur
phatique et la valeur référentielle de la question qui fait l’objet de cette
analyse, considérons le fragment suivant, tiré d’un roman dont l’auteur est
Camil Petrescu, prosateur roumain du XX-ème siècle. Nous nous
demanderons si Ce mai faci ? est toujours une formule à valeur de rituel
conversationnel et nous insisterons sur les difficu ltés qu’affronte, de ce
point de vue, le traducteur :

(5) În prag, la Cap șa, Nae se întâlne ște cu un vag cunoscut, un tip
de prin nordul Moldovei, unul Mihai Tutunaru."Ce ma i faci, Nae
?" "Bine, dar tu ?" "P ăi s ă vezi, c ă am fost la Viena, c ă mi-e
nevasta bolnav ă în sanatoriu… am f ăcut acolo un consult… c ă a
trebuit s ă las pe soacr ă-mea la mo șie tocmai acum când e
lucrul în toi, c ă am luat în arend ă și o mo șioar ă a lui frate-meu",
și d ă-i, și d ă-i… Nae, de colo, îl prive ște lung, a șteapt ă și, pe
urm ă, mirat: "Ascult ă, drag ă, ce te-ai apucat s ă-mi spui mie
toate astea ? Eu te-am întrebat ce mai faci, a șa cum se
întreab ă. Ce, tu ai luat-o în serios ?"

(Camil Petrescu – Ultima noapte de dragoste întâia noapte de r ăzboi )

157 (5’) Au seuil de Cap șa, Nae rencontre un tel Mihai Tutunaru, du
nord de la Moldavie, qu’il connaît vaguement. "Comm ent ça va,
Nae ?" "Bien. Et toi ?" "Eh bien, voilà : Ma femm e est malade,
on l’a hospitalisée à Vienne…, on lui a fait des in vestigations…,
j’ai dû laisser ma belle-mère à la ferme au moment même où les
travaux battent leur plein, car j’ai affermé un pet it domaine de
mon frère" blah, blah… Nae appuie ses yeux sur lui, attend et
ensuite étonné : "Ecoute, mon cher, pourquoi tu me dis tout
ça à moi ? Je t’ai demandé « comment ça va ? » com me on
demande d’habitude… Tu as pris ça au sérieux, quoi ? 4

Ce petit passage savoureux synthétise brillamment toute une théorie
du comportement discursif de la question Ce mai faci ?
Le traducteur de ce passage se trouvera dans l’emb arras du choix
entre l’interprétation phatique et celle référentie lle (ou thématique) de cette
question Selon A.-Cl. Berthoud (1996 : 31), cette dernière v aleur
"thématise l’état de santé, l’état moral ".
On peut donc parler d’un quiproquo véritable à la base duquel se
trouve la différence d’attitude des deux interlocut eurs en ce qui concerne la
coopération : l’interrogateur (Nae Gheorghidiu) dem ande phatiquement,
tandis que l’interrogé (Mihai Tutunaru) lui répond référentiellement. Ce
dernier aborde un échange confirmatif comme on abor derait normalement
un échange réparateur. Son attitude s’avère trop co opérative par rapport à
une offre de coopération qui visait au seul accompl issement d’un rituel
conversationnel.

4 La traduction de ces fragments littéraires roumain s nous appartient.

158 REMARQUE: Le syntagme échange confirmatif – lancé dans la
littérature de spécialité par E. Goffman (1973) – p orte sur la
confirmation d’une relation entre deux ou plusieurs interlocuteurs et
comprend également la séquence de clôture. Par cont re, selon le
même auteur, les échanges réparateurs ont le rôle de neutraliser les
menaces contre la face d’un interlocuteur.

Nae interprète la question comme une salutation com plémentaire
(répondant Ça va bien. Et toi ? ), tandis que son interlocuteur perçoit la
même question comme une demande sincère d’informati ons.
Il s’ensuit que ce dernier fait un enchaînement to uffu d’événements
sans aucune importance pour son interlocuteur.
Un échange ouvert par la formule Ce mai faci ? peut se prolonger
dans certaines conditions tenant au type de rapport que les interlocuteurs
entretiennent. Or, entre les deux personnages il y a une distance sociale
considérable qui exclurait normalement une telle pr olongation. Toute
référence que Tutunaru fait à la santé de sa femme, aux travaux qui battent
leur plein à la ferme de sa famille n’ont pas de fo ndement dans un tel
contexte interactionnel.
Pour Nae, son interlocuteur n’est qu’un « tel Tutu naru » et s’il entame
ce dialogue, il le fait au nom d’une certaine diplo matie, afin de garder les
apparences.
Sa remarque – Je t’ai demandé « comment ça va ? » comme on
demande d’habitude… Tu as pris ça au sérieux, quoi ? porte atteinte à la
face de son interlocuteur, mais elle représente san s doute une sanction
qu’il lui applique, suite à la transgression d’un r ituel de la communication
dominé par le principe de réciprocité gouvernant le début de l’interaction.

159 Pour une interaction réactive comme celle de Tutun aru, une meilleure
variante de traduction serait Qu’est-ce que tu deviens ?

REMARQUE: Pour s’en convaicre, le lecteur se rapportera au
passage suivant – extrait du dialogue entre un tour iste (Juan) et un
douanier retraité, en le comparant au fragment de C amil Petrescu :

(6) – Hé, je te reconnais, toi! Tu n'es pas le gars qui traversait la
frontière à bicyclette avec un sac de sable ?
Juan reconnaît le douanier et lui répond : 'Oui, c' est moi.'
– Qu'est-ce que tu deviens ? lui demande le douanier.
– Je me suis acheté ce petit bar et je vis tranquille ment ,
répond Juan.
Mais l’enchaînement que celle-ci engendre est de na ture référentielle
malgré la position qu’il occupe dans la conversatio n. D’ailleurs une telle
question est à retrouver également dans la conversa tion proprement dite,
surtout lorsqu’elle fait référence à un tiers dont les interlocuteurs parlent –
Qu’est-ce qu’il / elle devient ?
Donc si le caractère phatique de la variante Comment ça va ? dans
les préliminaires conversationnels est incontestabl e, le caractère
thématique de la question Qu’est-ce que tu deviens ? (à laquelle on ne peut
pas répondre Bien ) y est également hors de doute. En utilisant la pr emière
question, le traducteur interprète l’intention de l ’interrogateur, tandis que la
seconde formule représente le résultat du décrypta ge opéré par l’interrogé.
L’intervention finale de Nae oriente la traduction vers la première valeur.
Pour conclure, remarquons que l'alternance de ces d eux valeurs
démontre que la ritualisation de la formule Ce mai faci ? n’est pas totale. La

160 seconde valeur doit être socialement motivée, dépen dant de la nature des
rapports entre les interlocuteurs, de leur histoire conversationnelle.
Mais la séquence d’ouverture ne présente pas un gra nd intérêt pour
une perspective discursive du thème. C’est pour cel a que nous
abandonnons cette piste d’analyse.
En parlant du niveau interaction, nous avons cité l’exemple d’une
conversation monoséquentielle. La séquence s’y supe rpose à l’interaction.
Cela est dû au fait que les interlocuteurs traitent d’un seul thème – l’état de
santé du patient. Mais une telle superposition est rare, car une interaction
mono-séquentielle, donc mono-thématique est très pe u fréquente
(s’expliquant, comme nous avons déjà constaté, par les seuls intérêts
d’ordre professionnel que partagent les protagonist es de l’entretien). Pour
conclure, le nombre n de séquences est "la raison principale du rejet du
critère thématique de la définition de l’interactio n" (Kerbrat-Orecchioni,
1990 : 220).
Revenons maintenant au sujet qui nous intéresse le plus : les
marqueurs du thème discursif.
L’idée que nous avons déjà lancée est que la quest ion est un ouvreur
de séquence et, implicitement, un marqueur thématiq ue, non pas unique
(car en tête de séquence il peut y avoir une assert ion, un ordre, etc.), mais
fréquent.
Les deux exemples antérieurs confirment cette idé e. Dans les deux
cas, les questions – Qu’est-ce qui ne va pas ? et respectivement Comment
ça va ? (à valeur référentielle) – déclenchent le mécanisme discursif, la
suite de la séquence s’inscrivant dans la direction tracée par le thème.
Dans la conversation chez le médecin, entre la que stion qui introduit
la séquence et les autres questions de l’anamnèse s ’instaure un rapport du
type hyper-thème – thème dérivé (ou sous-thème). La série de questions

161 que le médecin lance est subordonnée au sujet centr al – l’état de santé du
patient. Nous reviendrons à ce rapport dans le pass age consacré aux types
de progression thématique.
Etudions la séquence suivante :

(7) D – Qu'est-ce qu'on va voir au ciné ? T'as le Pariscope ?
F – Tatie Danielle, Glory, Blaze …
T – Et le film avec Richard Gere, « Affaires privée s » ?
F – Offf ! Encore une histoire de fesse…
G – Tatie Danielle ? Ça vous dit rien ?
T – Ça parle de quoi ?
G – Tu as vu « La vie est un long fleuve tranquille » ?
T – Quoi ? C'est un remake ?
F – Le même style. Cette fois, c'est l'histoire d'u ne grand-mère
absolument détestable. Du style « Mamie Nova, les g rands-
mères ne lui disent pas merci ! »
G – L'affiche c'est « Elle ne vous connaît pas, mai s elle vous
déteste déjà ! »
T – Et, qu'est-ce qu'y'a d'autre ?
F – Aux sources du Nil.

(Dialogue fourni par
Jean-Louis Dessalles, www.limsi.fr)

Remarquons d’abord que ce passage (tiré d’une inter action à quatre)
fait partie du corps de l’interaction, car l’ouvert ure de la séquence qui nous
intéresse doit être logiquement précédée par un aut re (d’autres) épisode(s)
ou au moins par les salutations proprement dites et l’exorde.

162 La question initiale – Qu'est-ce qu'on va voir au ciné ? – introduit le
thème de la séquence. Les titres évoqués dans les é changes ultérieurs ne
font que fournir l’information nouvelle demandée, à savoir les titres des
films qui figurent dans le programme du cinéma. Les questions suivantes
sélectionnent les objets discursifs, subordonnés au thème central, qui
intéressent les interlocuteurs.
Après ces échanges, un des protagonistes de l’inter action ressent le
besoin de renouer le fil de la discussion, en effec tuant un repositionnement
thématique. C’est toujours la question qui relance le thème principal – Et,
qu'est-ce qu'y'a d'autre ?
Insistons sur le fait que la question n’est pas un introducteur
thématique universel. Nous nous donnons pour objet l’étude de la
thématisation dans le cadre de la perspective infor mationnelle, en reflétant
la demande ou bien l’échange d’information. Il est vrai que dans la
conversation quotidienne d’autres valeurs illocutoi res peuvent imposer le
cadre thématique (par exemple l’ordre, qui peut tr ès bien ouvrir une
séquence, en subordonnant même un échange du type q uestion-réponse).
Voilà pourquoi nous avons décidé de rendre compte d es interactions
que nous avons appelées professionnelles.
Il serait intéressant de rendre compte d’une interv iew, à retrouver
dans l’annexe, ayant pour protagoniste un enfant âg é de 10 ans, élève en
cinquième, en y étudiant le développement des séque nces et le passage
d’une séquence à l’autre. Dans le dialogue intitulé Qu’est-ce qu’un homme
a de plus qu’un robot ? , nous verrons que le nombre de séquences n’est
pas toujours facile à déterminer. Le thème de ce pa ssage est annoncé par
la première question, qui en donne le titre, à savo ir la supériorité de
l’homme par rapport au robot. Après une série consi stante d’échanges
groupés dans une séquence dont le thème est ce rap port entre l’homme et

163 le robot, l’interrogateur introduit un nouvel objet de discours – les
sentiments, omniprésents chez l’homme.
A partir de la question C’est quoi en fait, les sentiments ? , l’auteur ne
fait plus de référence à la distinction homme-robot . Cela nous permet
d’affirmer que nous avons affaire à une nouvelle sé quence, qui s’étend sur
dix-huit répliques.
Vers la fin de cette série et en relation avec le m ême thème,
l’interrogateur relance l’objet discursif qu’il sem blait avoir abandonné, en
vertu de la longueur de la séquence – Un robot ne peut-il pas avoir de
sentiments ?
Dans les échanges suivants, l’objet discursif « rob ot » se voit de
nouveau laissé de côté, pour revenir dans le dernie r échange de cette
interview.
L’interprétation du déroulement séquentiel de ce di alogue pose
quelques problèmes :
Au moins apparemment, l’existence de deux séquences différentes
nous semble difficilement contestable, la progressi on linéaire étant
responsable du passage d’un thème à l’autre, voire d’une séquence à
l’autre. Les mots en gras illustrent ce passage :

(8) R. Non, car un être humain a besoin de sentiments pour vivre.
Q. C’est quoi en fait, les sentiments ?

(www.wijsneus.org\index.htm )

Nous disons « apparemment », car le thème de la sé quence
antérieure revient vers la fin du dialogue, cette f ois-ci subordonné au thème
de la nouvelle séquence :

164
(9) Q. Un robot ne peut-il pas avoir de sentiments ?

(ibidem )

La question qui nous semble légitime à ce niveau, mais que nous
préférons laisser ouverte est si la série de répliq ues portant sur les
sentiments peut être englobée dans la grande séquen ce qui a pour thème
le rapport homme-robot. Cela d’autant plus que le t hème « robot » revient à
la fin du dialogue.
Notre suggestion est que le déplacement thématique est évident.
Ceci est un argument en faveur de l’interprétation bi-séquentielle, auquel
nous pouvons ajouter la longueur de l’interaction.
On pourrait nous apporter, en tant que contre-argu ment, l’affinité
sémantique entre les sentiments et l’homme, affinit é que nous pourrions
opposer au robot.
Une telle hésitation montre les difficultés auxque lles se prête ce
niveau du modèle hiérarchique. Les frontières entre les séquences sont
parfois difficiles à délimiter, en raison de leur c aractère flou et de l’absence
des marqueurs formels de la clôture. Les difficulté s surgissent, chose
démontrée par l’exemple précédent, au moment où le chercheur doit rendre
compte de l’interconnexion entre deux ou plusieurs thèmes différents.

REMARQUE: L’exemple antérieur s’avère complexe et ouvre la p orte
à bien des possibilités d’analyse. La prise en comp te de l’ implicite
nous semble une solution qui dépasse en portée le ( seul) critère
thématique. Comme cette solution n’a pas été en rap port direct avec

165 l’objet du présent ouvrage, nous ne l’avons pas abo rdée de manière
détaillée.
Elle présente cependant l’avantage de quitter défin itivement le niveau
(syntaxique) de la surface et de rendre compte du m écanisme
interprétatif basé sur l’implicite.
Dans une telle vision, une analyse des relations en tre les séquences
discursives (de juxtaposition, de coordination ou d e subordination)
nous conduirait vers des critères plus précis et nu ancés
d’identification d’une séquence à l’intérieur de l’ interaction. Cette
perspective nous autoriserait de mettre en rapport la séquence ayant
pour thème les sentiments avec la séquence contenant l’hyper-thème
robots et une autre séquence qui implique la première – robots et
sentiments .

3.2.3. L’échange

En tant que constituant immédiat de la séquence, l’ échange
est le niveau où on introduit les sous-thèmes ou th èmes
dérivés par rapport à un hyper-thème (ou thème de
séquence). Un thème dérivé peut, à son tour, subord onner
un autre (d’autres) échange(s).

REMARQUE: La séquence (tout comme l’interaction
monoséquentielle) est introduite par un échange cen tral. Voilà
pourquoi on a affaire à une notion dont l’intérêt d épasse celui de la
séquence.

166 La plus petite unité dialogale dans le modèle hiér archique que nous
présentons, l’échange permet la récupération des ré sultats de l’analyse
effectuée dans le chapitre précédent et leur mise e n valeur dans une
perspective discursive.
Dans d’autres modèles hiérarchiques-relationnels, issus des travaux
de l’Ecole genevoise et en particulier d’Eddy Roule t, l’échange est "l’unité
textuelle maximale" (voir A. Grobet, 1999 : 414). I l est suivi par
l’intervention, tandis que l’acte est "l’unité text uelle minimale" ( ibidem ).
Par contre, le modèle que nous avons choisi permet de mieux rendre
compte de « l’inoculation » du critère thématique d ans l’analyse
conversationnelle. Ce qui demeure incontestable, qu el que soit le point de
vue adopté, c'est le rôle le plus important qu’occu pe le niveau « échange »
dans un modèle hiérarchique de la conversation.
En travaillant sur la relation entre question et r éponse, nous avons
employé plusieurs termes en variation libre – coupl e, paire, dichotomie,
auxquels s’ajoute le terme qui fait l’objet de ces remarques – échange .
Cela prouve que c'est là que nous devons situer not re point de vue de la
thématisation. Nous devons donc dépasser les modèle s phrastiques, en
reflétant le niveau des relations interpersonnelles .
Si le critère thématique caractérise la séquence , l’introduction des
nouveaux thèmes (ou sous-thèmes) est l’apanage de l ’échange. On ne
pourrait pas parler de progression thématique sans se rapporter à ce
dernier niveau.
Comme nous avons déjà mentionné la relation hyper- thème –
thème(s) dérivé(s), il nous semble maintenant bien légitime de distinguer
entre échanges principaux et échanges subordonnés . Cette dichotomie
nous appartient et vise à rendre compte de la théma ticité dans la
conversation.

167
REMARQUE: Dans la terminologie de l’Ecole de Genève, on
distingue entre échange enchâssant et échange enchâ ssé.
La subordination est de deux types :
– par rapport à l’acte directeur de l’échange enchâ ssant (la
dépendance est, dans ce cas, de nature formelle) :

(10) M. SANTINI : (…) est-ce que je peux payer par chèque ?
LA VENDEUSE : (…) Vous avez une pièce d’identité ?
M. SANTINI : Bien sûr. Euh, j’ai mon permis de cond uire et ma
carte d’identité.
LA VENDEUSE : Eh bien, c'est parfait.

(Chamberlain, Steele, 1985 : 133)

– par rapport à l’échange principal de la séquence (la subordination
étant ici sémantique). C'est le type de subordinati on qui nous
intéresse, d’autant plus que nous devons rendre com pte du passage
du niveau « séquence » au niveau échange.

L’échange principal n’est rien d’autre que l’ouvre ur de la séquence
(donc le marqueur de l’introduction de l’hyper-thèm e).
Dans le dialogue chez le médecin que nous avons dé jà présenté, un
échange du type question-réponse ouvre la séquence (en tant que
constituant immédiat de celle-ci) et la suite de l’ entretien se déroule sous le
signe de cet échange :

168 (11) LE MEDICIN : Entrez, Monsieur. Alors, qu’est-ce qui ne va
pas ?
M. GIRAUD : Eh bien, depuis un certain temps, j’ai du mal à
dormir et je n’ai plus d’appétit. Je me sens déprim é .

(Chamberlain & Steele, 1985 : 162)

L’interview antérieurement citée commence toujours par un échange
question-réponse ouvrant la première séquence :

(12) Q. Qu’est-ce qu’un homme a de plus qu’un robo t ?
R. Sa vie, ses sentiments, ses pensées.

(http://www.wijsneus.org\index.htm)

Un échange du même type est à la base de la second e séquence :

(13) Q. … si mes sentiments commencent à disparaîtr e, ne suis-je
plus vraiment un être humain ?
R. Non, car un être humain a besoin de sentiments pour vivre.
Q. C’est quoi en fait, les sentiments ?
R. Ils te sont transmis à la naissance.

(ibidem )

A regarder de plus près ce dialogue (pour ce faire , se rapporter de
nouveau à l’annexe), on constatera que ce fragment se trouve au carrefour
de deux séquences : l’une portant sur la relation h omme-robot et l’autre

169 traitant de la nature des sentiments. Le second éch ange de ce fragment
reprend un objet discursif introduit par l’échange qui clôt la première
séquence.
Parfois il n’y a pas de regroupement d’échanges da ns une séquence,
chaque échange introduisant un nouveau thème. C'est le cas des
conversations familiales. Les interlocuteurs n’y in sistent d’habitude pas sur
un seul sujet. L’exemple suivant est un dialogue en tre la mère et le père
d’un jeune homme. Ce dernier vient d’être tué par s on père (Mateo
Falcone) pour avoir trahi et s’être, de ce fait, mo qué de la réputation de sa
famille :

(14) – Qu’as-tu fait ? s’écria-t-elle.
– Justice.
– Où est-il ?
– Dans le ravin.

(Mérimée, Mateo Falcone )

L’échange subordonné introduit un sous-thème ou thème dérivé par
rapport à un hyper-thème ou par rapport à un autre sous-thème.
Ce niveau présente cependant plus d’intérêt lorsque l’échange
question-réponse se subordonne à un acte principal autre que celui de
questionnement :

(15) TOPAZE

170 Mademoiselle Muche, mon cher collègue, je vous en s upplie: ne
me quittez pas sur un malentendu aussi complet.

ENESTINE

Quel malentendu ?

TOPAZE

Il est exact que depuis plus d'une semaine je ne vo us ai pas
offert mes services ; n'en cherchez point une autre cause que
ma discrétion. Je craignais d'abuser de votre compl aisance, et
je redoutais un refus, qui m'eût été d'autant plus pénible que le
plaisir que je m'en promettais étais plus grand. Vo ilà toute la
vérité.

(Pagnol, Topaze )

La seconde question (de nature métalinguistique, p ortant donc sur un
élément du code) est subordonnée à une variante de requête – la
supplication.
Dans l’exemple suivant, l’échange question-réponse introduit un
sous-thème cette fois- ci de nature référentielle, subordonné à une requête
pure :

(16) L1 : Un aller Rennes s’il vous plaît.
L2 : Première ou seconde ?
L1 : Première classe.
L2 : D’accord.

171
(exemple emprunté à Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 247)

Il nous reste à nous demander quels sont les rappo rts qui s’instaurent
entre les sous-thèmes appartenant à la même séquence .
Dans l’entretien chez le médecin, nous constatons l ’indépendance
des sous-thèmes les uns par rapport aux autres. S’i l est vrai qu’ils
s’inscrivent dans la direction imposée par l’échang e principal, il est
également incontestable qu’entre les questions de l ’anamnèse, il n’y a pas
de relation. Mais en tant que faisceau de traits re ndant compte de l’état de
santé du patient, toutes ces questions contribuent à l’image d’ensemble
dont le médecin a besoin pour donner son verdict.
Dans d’autres situations, il peut y avoir subordin ation d’un échange à
un autre échange qui est, à son tour, subordonné. O n peut donc avoir
affaire à des emboîtements. Conformément au princip e de récursivité,
ceux-ci peuvent se multiplier le long de l’interact ion. Revenons à une
conversation antérieurement présentée (l’exemple 7) :

D – Qu'est-ce qu'on va voir au ciné ? T'as le Pari scope ?
F – Tatie Danielle, Glory, Blaze …
(…)
G – Tatie Danielle ? Ça vous dit rien ?
T – Ça parle de quoi ?
G – Tu as vu « La vie est un long fleuve tranquille » ?
T – Quoi ? C'est un remake ?
F – Le même style. Cette fois, c'est l'histoire d'u ne grand-mère
absolument détestable. Du style « Mamie Nova, les g rands-mères ne
lui disent pas merci ! »

172 G – L'affiche c'est « Elle ne vous connaît pas, mai s elle vous déteste
déjà ! »

(Dialogue fourni par
Jean-Louis Dessalles, ww w.limsi.fr)

A propos de « Tatie Danielle », les interlocuteurs posent une série de
questions emboîtées. Pour parler du sujet de ce fil m, G recourt à un
parallèle avec un autre film, tandis que T produit une autre question, afin de
vérifier son interprétation de l’information reçue.

REMARQUE: Pour un autre exemple d’emboîtement (construit se lon
le principe de la « poupée russe »), se rapporter à C. Kerbrat-
Orecchioni (1990 : 248).

3.2.4. Conclusions sur les unités dialogales

Suite à l’analyse de la thématicité, nous pouvons conclure que :
– le critère thématique est absent au niveau de l’interaction (sauf dans le
cas des interactions monoséquentielles);
– le même critère se retrouvera au niveau de la séquence , mais là, il est
question d’un aspect d’ordre sémantique, à savoir l e fait que tous les
échanges d’une séquence portent sur le même objet d iscursif (à partir
duquel dérivent les sous-thèmes) ;
– quant à l’introduction des thèmes et des sous-thèmes (donc au
marquage de cette introduction), on l’opère au niveau de l’échange .
Cette évolution est représentée dans le tableau sui vant :

173

Interaction
Séquence

Echange

Pluriséquentielle,
donc plurithématique

Monothématique a) marque
l’introduction de
l’hyper-thème (ou
thème de
séquence) ;
b) marque
l’introduction des
sous-thèmes (ou
thèmes dérivés
par rapport soit à
l’hyper-thème soit
à un autre sous-
thème).

L’analyse des unités monologales – l’intervention et, respectivement,
l’acte de langage – rendra compte de la structurati on de l’échange, plus
exactement de la contribution des deux interlocuteu rs à la progression
thématique, d’un côté, et au dynamisme informationn el (au sens de Firbas),
de l’autre côté, compte tenu de leur savoir partagé et de leur histoire
conversationnelle.

174
3.2.5. L’intervention

Notre intention est de continuer à traiter des uni tés du présent modèle
hiérarchique, compte tenu du critère thématique. A l’intérieur de l’échange,
nous revenons pratiquement à la grammaire du couple question-réponse.
Pour Kerbrat-Orecchioni (1990 : 225), l’interventi on, en tant qu’unité
monologale, est "la contribution d’un locuteur part iculier à un échange
particulier". Du point de vue thématique, une varia nte de cette définition
serait, selon nous, la suivante :

L’intervention est la contribution d’un locuteur pa rticulier à
la gestion des objets discursifs thèmes ou sous-thè mes.

Cette définition doit être amendée de deux points de vue (au moins) :
a) Elle vise principalement à rendre compte d’un éc hange du type question-
réponse ; à vrai dire, elle pourrait, dans certaine s conditions, s’appliquer
à des échanges ouverts par une requête (sans qu’on puisse parler du
rapport thème-rhème). D’autre part, elle est assez difficile à appliquer
dans le cas d’un échange « summon-answer » (par exe mple, « sonnerie
du téléphone – allô »). N’oublions pas qu’un tel éc hange caractérise les
séquences préliminaires.
b) Il nous faut répéter une précision faite dans le premier chapitre : nous
n’analysons pas l’échange ternaire dont la clôture est une intervention
équilibrante comme « Merci », cette dernière n’inté ressant pas une
perspective informationnelle.
Dans un échange binaire, il y a deux types de contr ibution, suivant
qu’il s’agit des deux types d’intervention :

175
1) initiative
2) réactive

Dans l’intervention initiative, l’interrogateur pose un thème . Il s’agit,
dans le cas de l’interrogation dite partielle, qui constitue la base de la
présente analyse, de l’archilexème mobilisant une p résupposition locale
morphématique.
Au niveau de l’intervention réactive, le répondeur sature la variable
mobilisée par la question.
Une difficulté apparaît lorsque l’intervention d’u n interlocuteur clôt un
échange et en ouvre un autre. Mœschler (1985 : 104) l’appelle intervention
réactive-initiative. Si nous acceptons ce point de vue, la définition de
l’intervention que nous avons proposée deviendra in opérante : il s’agit de la
gestion d’un SEUL thème ou sous-thème, à laquelle c ontribuent les deux
interlocuteurs. Or, dans une intervention réactive- initiative un interlocuteur
gère deux thèmes ou sous-thèmes :

(17) Pierre : (…) Alors, vous allez à Avignon ?
Franco : Oui, pour le festival. Et vous ?
Pierre : Nous, on habite à Avignon.

(Chamberlain, Steele, 1985 : 119)

Plus exactement, le thème reste pratiquement le mê me (« Vous allez
à Avignon ? »). Ce qui change c'est la référence : les rôles c hangent et
l’interrogé devient interrogateur. Ce sujet sera re pris dans le sous-chapitre
consacré à la progression thématique.

176 Pour éviter de parler d’interventions réactives-ini tiatives, nous allons
introduire dans la hiérarchie un niveau supérieur à l’intervention – le tour
de parole . Cette notion n’a pas de caractère fonctionnel dan s l’analyse de
l’interaction car elle ne se définit pas par rappor t à l’échange (voir Kerbrat-
Orecchioni, 1990 : 225). Elle n’a qu’un rôle formel . C'est pour cela que nous
en donnons la définition suivante :

Le tour de parole est tout ce qu’un locuteur profèr e à partir
du moment où il obtient le droit de parler jusqu’au moment
où il le cède.

Dans la plupart des cas, le tour de parole correspo nd à une
intervention. Par contre, dans la situation qui vie nt d’être évoquée, le tour
de parole en comporte deux :

(18) Christophe: (…) j’aime les animaux. Et toi ?
Michael : Je ne sais pas. J’adore le foot.

(http://www.bbc.co.uk/languages/french/20minutes/3. pdf)

3.2.6. L’acte de langage

Une intervention est composée d’ actes de langage . Ceux-ci
constituent la plus petite unité, non seulement dan s la série monologale,
mais aussi dans la hiérarchie entière des unités co nversationnelles.
L’acte de langage instaure des relations de différe nts types : soit avec
un échange entier, soit avec un autre acte situé da ns une intervention

177 différente, soit avec un autre acte, ce dernier app artenant à la même
intervention. Cette dernière catégorie ne nous inté resse que dans la
mesure où le passage d’un acte de langage à l’autre entraîne l’ouverture
d’un nouvel échange, donc la progression thématique .

REMARQUE: Pour l’analyse des fonctions interactives dans le cadre
des structures monologales, se rapporter, par exem ple, à Grobet
(1999 : 414 et sq.). La présente étude se borne aux fonctions
illocutoires initiatives et réactives.

Illustrons maintenant les relations susmentionnées :
a) La dépendance est le rapport qui lie un acte principal à un écha nge
subordonné :

(19) Yves : (…) On voudrait louer un deux pièces m eublé.
Mme Breton : Oui. Dans quel quartier ?
Yves : Si possible euh… près de la Faculté des Lettres .
Mme Breton : Hum ! Je vais voir. Ah ! Vous avez de la chance !
(…)

(Chamberlain & Steele, 1985 : 122)

Afin de pouvoir répondre à la sollicitation de son interlocuteur, Mme
Breton ouvre un sous-thème lié à la position de l’a ppartement.
b) L’interdépendance est justement la relation qui s’établit, par exem ple,
entre question et réponse (relation assimilée au ra pport thème-rhème). La
question de fonction propositionnelle introduit un thème, dont le revers de la
médaille est représenté par l’information nouvelle, focale qui s’étend sur un

178 fragment bien déterminé de la réponse. Nul des deux membres du couple
question-réponse n’a de sens en l’absence de l’autr e. Par contre, si nous
parlons du contrôle de nature structurelle, sémanti que et pragmatique que
la question exerce sur la réponse, la conclusion se ra que nous avons plutôt
affaire à un rapport de dépendance. Pourtant, en ac ceptant que le thème
« appelle » un rhème et que c'est à ce dernier de d ynamiser la
communication en tant que tout dont les membres agi ssent de concert,
nous pouvons affirmer que ce cas illustre l’interdé pendance.
c) L’indépendance est à relever à l’intérieur d’une intervention. De ce point
de vue, nous pouvons affirmer que c'est un rapport de nature monologale :
un des interlocuteurs réagit à un thème lancé par s on partenaire et, en
même temps, en lance un autre :

(20) Nathalie : Tiens ! Salut, Anne. Ça va ?
Anne : Ça va. Et toi ?
Nathalie : Bof ! On fait aller quoi (…)

(Chamberlain & Steele, 1985 : 121)

REMARQUE: Répétons que c'est la référence qui sépare les deu x
thèmes, qui sont identiques du point de vue structu rel.

La fin du panorama de la thématicité à travers les unités du modèle
hérarchique-fonctionnel de la conversation nous don ne l’occasion de
revenir au niveau « échange », afin de compléter l’ analyse, effectuée dans
le second chapitre, du contrôle structurel, sémanti que et pragmatique, que
la question exerce sur la réponse.

179
3.3. Les contraintes d’enchaînement

Apparemment, ces règles auraient pu faire l’objet d e notre analyse
structurelle et sémantique de la paire question-rép onse. En réalité, comme
dit Mœschler (1985 : 115), les contraintes d’enchaî nement sont imposées
"par les constituants de la conversation eux-mêmes sur l’interprétation et
l’enchaînement". L’auteur définit ces contraintes c omme des conditions
déterminant "le degré d’appropriété cotextuelle d’u n constituant, i.e. le type
de rapports entretenus avec les constituants adjace nts" (ibidem).
Dans notre cas, il s’agit du type de relations s’ét ablissant entre les
deux constituants de l’échange question-réponse. Il existe des contraintes
inter-interventions (s’exerçant entre les unités dialogales) et des
contraintes intra-interventions (à l’intérieur de l’intervention en tant
qu’unité monologale).
Les dernières nous intéressent moins ici. La contra inte thématique
(intra-intervention) fera cependant l’objet de cert aines remarques, dans la
mesure où généralement elle est considérée comme (à peu près) identique
à la contrainte inter-intervention similaire (voir Auchlin, 1988 : 37).
Dressons maintenant la liste des contraintes inter- interventions :

1. la contrainte thématique
2. la contrainte de contenu propositionnel
3. la contrainte illocutoire
4. la contrainte d’orientation interactionnelle

REMARQUE: Pour plus de détails sur le modèle entier et surto ut sur les
contraintes intra-interventions, se rapporter à Auc hlin (1988 : 36 et sq.).

180
Le problème que nous allons soulever dans les lign es suivantes est si
notre conception du thème se limite à la contrainte thématique ou bien si
nous devons élargir la portée de cette notion aux a utres contraintes,
compte tenu de son caractère interactionnel .
a) La condition thématique porte sur l’identité entre le thème de
l’intervention initiative et le thème de l’interven tion réactive (voir Mœschler,
1985 : 116). L’auteur y souligne l’importance de ce crit ère
pour l’explication des rapports anaphoriques et réf érentiels). Cette
contrainte, sans le respect de laquelle les autres conditions n’ont pas de
fondement, ne rend pas compte de notre vision de la notion de thème. Elle
ne fait qu’unir des entités appartenant à la même s phère sémantique
(boisson – café ), ou dont la relation sera éclairée en contexte si tuationnel –
Lise – la femme de chambre (dans l’exemple tiré de Simenon, cité dans le
chapitre antérieur), sans pour autant préciser le type de rapport qui existe
entre celles-ci (c'est la condition de contenu prop ositionnel qui assumera ce
rôle). Cette contrainte impose aux interlocuteurs d e « parler de la même
chose », sans faire aucune référence à l’organisati on structurelle de
l’échange. Dans l’exemple cité par Mœschler (1985 : 116),

(21) A : Quelle heure est-il ?
B1 : Il est midi.
B2 : * Il est lundi.

le seul rapport qui nous intéresse est entre heure et midi (et non pas entre
heure et lundi , les deux ne parlant pas de « la même chose »). Po ur le
moment, nous laissons de côté l’aspect syntaxique d e même que le type de
rapport instauré entre les deux éléments antérieure ment mentionnés. Cela

181 prouve que notre conception du thème est beaucoup p lus complexe que
cette condition thématique et que nous ne pouvons p as nous y borner.
Selon Auchlin (1988), la condition thématique prése nte deux
versions :
1. la version forte : L’intervention réactive doit porter sur le même te rme
que l’intervention initiative.
2. la version faible : L’enchaînement de l’intervention réactive doit êtr e
dans un rapport quelconque (à établir par la second e condition) avec un
terme de l’intervention initiative.
Dans le cas du rapport question-réponse, cette iden tité thématique
est assurée par la communauté présuppositionnelle, à partir des
présupposés existentiels jusqu’aux présuppositions locales, qui nous
intéressent le plus dans notre démarche.

b) La condition de contenu propositionnel impose à l’intervention
initiative le type de rapport sémantique qu’elle do it entretenir avec
l’intervention réactive. Exemples de rapports :

– opposition (contradiction) :

(22) Q. Voudrais-tu vivre éternellement ?
R. Non.

(http://www.wijsneus.org/)

– paraphrase (synonymie) :

(23) ALVARO

182 Avait-il donné réellement sa parole ?

OBREGON
Oui, de son aveu même.

(Montherlant, Le maître de Santiago )

– inférence implicative – le type de rapport qui nous intéresse :

(24) A : Vous faites quelle taille ?
B : J’fais du 40.

(Chamberlain, Steele, 1985 : 128)

(25) A : Comment vous y êtes-vous pris ?
B : J’ai finalement réussi.

Dans le premier exemple d’implication, la réponse e st en rapport
direct avec la question, alors que dans le deuxième fragment, l’implication
est indirecte, puisqu’il faut faire des assomptions pour poser cette
implication entre question et réponse.

c) La condition illocutoire "impose au constituant réactif le type de sa
fonction illocutoire" (Mœschler, 1985 : 116). Dans notre cas, une fonction
illocutoire initiative de demande d’information app elle une fonction
illocutoire réactive de réponse, tandis qu’une fonc tion illocutoire initiative de
demande de confirmation appelle une fonction illocu toire réactive de
confirmation ou d’infirmation.

183 La satisfaction de cette condition rend le discours conversationnel
cohérent. Mais cette condition est moins contraigna nte que les conditions
thématique et de contenu propositionnel, vu la poss ibilité des échanges
parenthétiques, auquel cas la contrainte illocutoir e peut être différée, une
question pouvant succéder à une autre question.
En étudiant cette condition, nous comprendrons mieu x la différence
entre cohésion et cohérence, sur laquelle nous n’av ons pas insisté dans la
présente étude : "La non-satisfaction de la conditi on illocutoire peut donner
lieu à un discours apparemment non-cohérent – c’est -à-dire ne respectant
pas le type de programmation opérée par le constitu ant initiatif – ou non
intégrable, mais le discours sera néanmoins cohésif " (Mœschler, 1985 :
117).
Dans une suite comme

(26) A : Quelle heure est-il ?
B : * Il est lundi.

il y a manque de cohérence et par voie de conséquen ce, de cohésion, car
on aura du mal à imaginer un contexte dans lequel c ette suite puisse être
interprétable.
Par contre, dans le contexte

(27) A1 : Ah, ce n’est pas comme chez moi, alors.
B1 : C’est où, chez vous ?
A2 : Naples. Je suis Italien.

(Chamberlain, Steele, 1985 : 119)

184 le segment A1-B1 est non cohérent. Cependant le dis cours est cohésif, du
fait de l’unité thématique.
Les remarques précédentes prouvent nos réserves ini tiales :
comment pourrait-on traiter du phénomène d’ellipse, sans tenir compte, à
côté de la condition thématique, des conditions de contenu propositionnel
et illocutoire ?
Revenons à une partie de l’exemple précédent :

(27’) A : C’est où, chez vous ?
B : Naples.

(ibidem )

L’ellipse est selon nous une conséquence d’ordre st ructurel de l’unité
thématique, de la relation sémantique et illocutoir e qui existent entre le
constituant initiatif et le constituant réactif.

d) La condition d’orientation argumentative ( dans la terminologie de
Mœschler ) ou bien illocutoire ( selon Auchlin ) : "Le constituant réactif doit
« aller dans le même sens » que le constituant init iatif, c’est-à-dire, à terme,
qu’il doit servir à manifester un accord entre les interlocuteurs" (Auchlin,
1988 : 37).
C'est la condition la moins contraignante. Elle po rte sur l’intervention
réactive qui doit être coorientée à l’intervention initiative. Nous n’insistons
par sur cette dernière condition. Elle a été analys ée dans le chapitre
précédent et illustrée au moyen d’un exemple appart enant à Georges
Simenon.

185 Revenons à l’objectif exposé au début de ce sous-ch apitre. Ces
quatre conditions qui fondent une échelle d’appropr iété cotextuelle (voir
Mœschler, 1985 : 118) sont inséparables dans l’anal yse de la thématisation
que cette étude propose. Une réduction du modèle à la seule contrainte
thématique laisserait en ombre des aspects comme la dynamique
informationnelle dans la conversation ou le caractè re dialogal (et
dialogique, au sens de Ducrot) du couple thème-rhèm e.
Même si les contraintes intra-interventions ne nous incombent pas,
faisons quelques remarques sur la contrainte thémat ique "analogue de la
contrainte thématique inter-interventions, mais qui s’en distingue
probablement par certains aspects. Il s’agit là cep endant d’un domaine de
recherche qui reste à explorer" (Auchlin, 1988 : 37 ).
Notons d’abord que cette unité monologique nous in téresse
seulement dans le cadre du modèle hiérarchique-rela tionnel de la
conversation. En d’autres termes, les phrases compl exes d’une séquence
narrative (qui font l’objet d’étude des modèles phr astiques) sont ici à
exclure. Si nous gardons notre acception du thème, cette contrainte ne peut
opérer que lorsque l’intervention sert à ouvrir ou à clore un échange. Dans
le cas des interventions que Mœschler appelle réact ives-initiatives, la
limitation à un seul thème est impossible :

(28) A1 : Tu pars où en vacances ?
B1 : Aux Etats Unis. Qu’est-ce que tu me conseilles de
visiter ?
A2 : Ça dépend de tes goûts.

La condition d’unicité thématique à l’intérieur d’ une intervention est
correcte si nous nous limitons à une classification des interventions en

186 initiatives et réactives, en excluant les intervent ions réactives-initiatives. Au
cours de ce chapitre, nous avons proposé de remplac er les interventions
réactives-initiatives par une notion plus accueilla nte – le tour de parole
(« turn » auquel s’ajoute l’opération de changement du tour – « turn
taking »).

REMARQUE: Pour une présentation détaillée de cette notion, s e
rapporter à Kayser (1988 : 144).

En nous y prenant de la sorte, nous avons amendé la contrainte
thématique de telle manière qu’elle puisse s’appli quer à l’intérieur d’une
intervention dans le modèle que nous proposons.

3.4. La progression thématique

Le dernier pas dans l’élaboration de notre concept ion du thème est
l’étude de la « construction thématique » – express ion appartenant à
Tomassone (2002 : 41). Une des règles de cohérence du texte est
directement responsable de la thématicité – la règle de répétition :

"Pour qu’un texte soit cohérent, il doit comporter dans son
développement des éléments récurrents c’est-à-dire des
éléments qui se répètent d’une phrase à l’autre, po ur
constituer un fil conducteur qui assure la continui té
thématique du texte. C'est notamment le rôle des re prises,
traitées dans le cadre de l’anaphore" (Riegel et alii, 1996 :
604).

187
En relation étroite avec cette règle il y a une sor te de revers de la
médaille – la règle de progression :

"Pour qu’un texte soit cohérent, il doit comporter dans son
développement des éléments apportant une informatio n
nouvelle. Cette règle exprime la contrainte gouvern ant
toute communication : on transmet à autrui un messa ge
pour lui apporter une information qu’il ignore" ( ibidem ).

Ces deux règles rendent compte des progressions thé matique et
informationnelle dans le texte. Le grand problème e st que cette théorie est
surtout applicable aux "textes monologiques informa tifs écrits" (A. Grobet,
1999 : 407). Même si le dialogue est difficilement analysable en termes de
progression thématique (les analyses conversationne lles proposant comme
alternative la notion d’ ancrage ), nous tenterons d’y adapter notre
perspective afin de profiter des résultats de la pr ésente recherche. La plus
grande difficulté est de trancher nettement entre l es fragments thématiques
et fragments informationnels surtout dans le cas de s questions
propositionnelles.

REMARQUE: La gestion du thème conversationnel est une des
préoccupations centrales de la linguistique discurs ive. A.-C. Berthoud
(1996 : 37) présente les différentes directions dan s lesquelles il peut
s’inscrire : "On peut gérer le topic en en respecta nt la continuité (que
ce soit par le maintien du topic ou par son élabora tion en sous-

188 topics) ; (…) les paires adjacentes, du fait de leu r forte cohésion
structurelle, y jouent un rôle ; on peut aussi chan ger de topic en
marquant la clôture d’un topic suivie de l’ouvertur e d’un autre, ou bien
encore par un saut thématique engendrant une ruptur e. Ces ruptures
peuvent être de différente nature : transfert de lo cuteur ou
intervention brisant brusquement la continuité thém atique à laquelle le
discours est très sensible et qui peut produire des marqueurs
rétablissant la continuité, des marqueurs de réintr oduction du topic."

Nous ferons un parallèle entre la progression thém atique dans les
textes monologiques écrits d’un côté, et dans le di alogue de l’autre côté.
Nous avons l’intention de relever les similitudes e t les différences entre les
deux types de discours.
On distingue quatre types de progression thématiqu e :

a) la progression thématique linéaire
b) la progression à thème constant
c) la progression à thème dérivé
d) les ruptures thématiques

Il faut toutefois mentionner qu'il est très rare q u'on rencontre dans un
texte un seul type de progression thématique du déb ut jusqu'à la fin d'une
séquence. Cela est valable surtout pour les textes non littéraires,
caractérisés par la vigueur du style et par de nomb reuses fluctuations
thématiques. C'est d'ailleurs un des points pleinem ent exploités par ceux
qui s'attaquent à cette théorie devenue classique ( voir B. Combettes, 1983).

189 3.4.1. La progression thématique linéaire

Dans un récit, le rhème d’un énoncé devient le thè me de l’énoncé
suivant. Voilà le schéma de progression : [TH1 – RH 1 /barb2right TH2 – RH2 /barb2right
TH3 – RH3, etc.]. Nous insistons dans cette représe ntation graphique sur
l’importance de la flèche, pour rendre la continuit é entre les fragments
informationnels et les fragments thématiques dans l e passage d’un énoncé
à l’autre.

(29) "Pendant un demi-siècle, les bourgeois de Pont -l'Évêque
envièrent à Mme Aubain sa servante Félicie . Pour cent francs
par an, elle faisait la cuisine … et resta fidèle à sa maîtres se –
qui cependant n'était pas une personne agréable".

(Flaubert, Un cœur simple )

Dans le dialogue, le schéma de la progression est apparemment le
même. Compte tenu du spécifique du binôme thème-rhè me associé à
l’échange question-réponse, le passage du rhème d’u n échange au thème
de l’échange suivant s’accompagne d’une sorte de « pont » anticipant le
rhème du second échange. Il s’agit de l’archilexème interrogatif porteur de
la présupposition locale morphématique (identifiabl e au thème) :

(30) Q. Que feront les enfants dans mille ans ?
R. Ils se déplaceront dans des vaisseaux spatiaux e t gagneront
beaucoup d’ argent .
Q. Comment vont-ils gagner de l’ argent ?
R. En travaillant .

190 Q. Quel genre de travail ?
R. Le travail que font les parents maintenant.

(www.wijsneus.org\index.htm)

Remarquons que le rapport entre le rhème d’un échan ge et le thème
de l’échange suivant n’est pas toujours de nature f ormelle, syntaxique. Il est
parfois sémantico-lexical ( en travaillant – travail ).

REMARQUE: Mais ce type de progression ne peut pas être
souverain. Le lecteur trouvera, dans l’annexe, le c ontexte dont nous
avons extrait ce dernier passage.

Dans d’autres situations (beaucoup plus rares, il e st vrai), entre deux
échanges il n’y a aucune relation thématique. Reven ons à l’exemple de
Mérimée (le contexte numéro 14), antérieurement ana lysé :

– Qu’as-tu fait ? s’écria-t-elle.
– Justice.
– Où est-il ?
– Dans le ravin.

(Mérimée, Mateo Falcone )

Ici, le schéma de progression devra être légèreme nt modifié, dans
ce sens que la flèche qui unit du point de vue thém atique les deux
échanges n’existe plus, étant remplacée par un poin t – [TH1 – RH1 . TH2 –
RH2]

191
REMARQUE: Cette dernière représentation graphique rend compt e
de la progression thématique linéaire dans les text es monologiques
écrits. Or, le schéma est, dans ce dernier cas, un peu inexacte du fait
de l’absence d’une flèche entre RH1 et TH2. Par con tre, il semble
adéquat pour le fragment de Mérimée, illustrant une réalité –
l’inexistence d’un fil thématique entre les deux éc hanges. C'est aux
deux questions de fonction propositionnelle d’intro duire deux objets
discursifs différents.

3.4.2. La progression à thème constant

Dans un texte monologique écrit, deux ou plusieurs énoncés portent
sur le même thème :

(31) "On était de nouveau à l’époque de la fenaison, par un ciel bleu
et très chaud, que des brises rafraîchissaient ; et l’on avait fixé
le mariage au jour de la Saint-Jean, qui tombait ce tte année-là
un samedi."

(Zola, La terre )

Passons maintenant au dialogue. L’exemple suivant, extrait d’une
pièce de Molière, présente l’interrogatoire auquel Argan, « le malade
imaginaire », soumet sa fille Louison. Celle-ci sem ble avoir assisté aux
rencontres secrètes entre sa sœur aînée Angélique et son bien-aimé,
qu’Argan répudiait :

192
(32) Argan – Qu'est-ce qu'il lui disait ?
Louison – Il lui disait je ne sais combien de choses .
A – Et quoi encore ?
L – Il lui disait tout ci, tout çà, qu'il l'aimait bien, et qu'elle était la
plus belle du monde.
A – Et puis après ?
L – Et puis après il se mettait à genoux devant el le.
A – Et puis après ?
L – Et puis après, il lui baisait les mains.
A – Et puis après ?
L – Et puis après, ma belle-mère est venue à la por te, et il s'est
enfui.

(Molière, Le Malade imaginaire )

L’insistance sur le thème lancé par la première que stion produit un
effet humoristique. Celui-ci est renforcé par le pa ssage presque
insaisissable du thème des dits du jeune homme au t hème de ses
« exploits audacieux ». Les deux premiers échanges illustrent la
progression à thème constant, la différence consist ant dans les circonstants
temporels t 1, t 2, qui n’affectent pas la thématicité. La question s uivante
introduit un nouveau thème Et puis après qu’est-ce qu’il a fait ? ou bien
qu’est-ce qu’il est arrivé ? Cette dernière question assure la progression à
thème linéaire par rapport aux deux échanges précéd ents. Ce qui suit c'est
l’insistance (dans les deux derniers échanges de ce passage) sur le second
thème, donc la progression thématique constante.

193 Le schéma que nous proposons pour ce type de progre ssion est le
suivant :

TH1 – RH1
– RH2
– RH3S
– (et) RH n

Un lieu commun des rhèmes (sans pour autant représe nter une forte
contrainte) est la possibilité d’être accompagnés p ar la conjonction et . Cette
dernière illustre justement la continuité thématiqu e et est employée
notamment devant le dernier rhème.
Dans l’exemple de Molière, l’utilisation excessive de cette conjonction
crée un effet similaire à un quiproquo, car apparem ment la progression à
thème constant s’étend sur le passage entier, le dé cryptage de la question
étant possible seulement en fonction de l’attitude réactive de Louison.

3.4.3. La progression à thème dérivé

Ce type de progression caractérise les description s, d’un côté et ce
que nous avons appelé conversations professionnelle s, de l’autre côté.
C'est un rapport du type genre-espèce, de nature pl utôt sémantique que
formelle. La preuve en est l’inexistence de chaînes anaphoriques dans le
fragment suivant :

194 (33) "Aussi, les Barbares s'établirent dans la plaine tout à leur aise,
ceux qui étaient disciplinés par troupes régulières , et les autres,
par nations ou d'après leur fantaisie.
Les Grecs alignèrent sur des rangs parallèles leurs tentes d e
peaux ; les Ibères disposèrent en cercle leurs pavillons de toile;
les Gaulois se firent des baraques de planches ; les Libyens de
cabanes de pierre sèche et les Nègres creusèrent dans le sable
avec leurs ongles des fosses pour dormir."

(Flaubert, Salammbô )

L’exemple de dialogue auquel nous préférons nous r apporter est celui
de l’entretien médecin-patient (l’anamnèse), déjà a nalysé. La batterie de
questions dont le médecin fait usage porte plus ou moins directement sur
les problèmes de santé qu’a le patient. Or, la seul e question qui y renvoie
de manière précise est Qu’est-ce qui ne va pas ? Elle subordonne du point
de vue logique tous les autres échanges de cette in teraction
monoséquentielle. Le statut de la question portant sur l’état civil de M.
Giraud est en quelque sorte incertain, mais la logi que professionnelle a
imposé au médecin d’y recourir. Tomassone (2002 : 4 1) définit (en se
plaçant au niveau phrastique) les sous-thèmes comm e des "composants
de l’hyper-thème". Dans la conversation que nous ve nons d’évoquer, le
« faisceau » de questions suivant l’hyper-thème ill ustre, à notre avis, le
même type de relation.

195 3.4.4. Les ruptures thématiques

Appelées aussi « cassures » ou « discontinuités », les ruptures
thématiques représentent « l’absence totale de conn exion » entre les
thèmes d’un passage monologique :

(34) "Revenue à elle, elle revit le fantôme, ou la statue, comme elle
dit toujours, immobile, les jambes et le bas du cor ps dans le lit,
le buste et les bras étendus en avant, et entre les bras, son
mari, sans mouvement. Un coq chanta. Alors la statu e sortit du
lit, laissa tomber le cadavre et sortit."

(Mérimée, La Vénus d’Ille )

Rupture thématique représente également reposition nement sur un
thème qui semble avoir été abandonné (voir de Forne l, 1988). Ce dernier
procédé renoue en quelque sorte le fil discursif.
Nous revenons à un exemple déjà abordé – l’intervi ew dont le
protagoniste est un enfant âgé de 10 ans, au sujet du rapport homme-robot
(revoir l’annexe). A partir de ce thème, les deux i nterlocuteurs dérivent un
sous-thème – les sentiments humains. La suite de l’ interaction semble
équivaloir à l’abandon du thème initial. Celui-ci r evient vers la fin de
l’interview. La continuité thématique se voit ainsi brisée, mais
l’intervieweur y relance le thème principal, ce qui permet de rétablir la
logique discursive.
Les adversaires de cette mise en relation de la pr ogression thématique
dans les textes monologique avec la progression thé matique dans la
conversation nous suggéreraient de revenir à l’anal yse de l’implicite. Celle-ci

196 pourrait nous autoriser à refuser l’idée de « ruptu re thématique », définie
syntaxiquement, au niveau de la structure de surfac e, comme « l’absence
totale de connexion ».
Dans une telle perspective, donc si nous quittons définitivement la
structure superficielle, l’exemple (14) de ce chapi tre redeviendrait cohésif,
selon les modèles d’analyse de l’implicite proposés par Grice ou Sperber &
Wilson.

3.4.5. Les limites du modèle

La tentative de rapprocher notre vision du thème d es types de
progression thématique est assez audacieuse. Ce mod èle peut être attaqué
de plusieurs points de vue.
D’abord, il est rare qu’une interaction soit compo sée uniquement
d’échanges du type question-réponse. Cela est surto ut valable dans le cas
de l’oral spontané où la richesse illocutoire rend impossible la (seule)
perspective informationnelle. C'est pour cela que n ous avons rendu compte
d’une interaction professionnelle et de ce qu’on po urrait nommer un
interrogatoire ou plutôt un simulacre d’interrogato ire (illustré par l’exemple
de Molière). Il est vrai que les interactions en qu estion semblent se dérouler
selon un scénario préétabli. La progression informa tionnelle y est
cependant saisissable et analysable.
Pour ce qui du comportement du couple question-rép onse dans la
conversation spontanée, la tendance en est la subor dination à un thème de
séquence ou bien à un échange qui est, à son tour, subordonné.
L’échange est donc notre niveau de référence et la progression à
thème dérivé représente notre solution la plus effi cace au problème de la

197 thématicité, car la relation entre les objets discu rsifs de l’interaction est de
nature sémantique.
Les autres objections à l’adresse de cette typolog ie sont similaires à
celles engendrées par la progression thématique dan s les textes
monologiques écrits : l’impossibilité de rendre com pte de certains
phénomènes de nature structurelle (comme l’anaphore ) ou bien
« l’impureté » thématique de la plupart des textes, dans ce sens qu’on ne
saurait y parler d’un seul type de progression.

REMARQUE: Pour des détails supplémentaires à ce sujet, consu lter
Velcic-Canivez (1999 : 393).

Malgré tous ces inconvénients, notre variante de c lassification a
essayé d’intégrer les résultats fournis par la gram maire du couple question-
réponse dans l’analyse des différents niveaux de la conversation. Le
manque d’un appareil conceptuel comme celui de la c ombinatoire
phrastique nous met dans l’impossibilité d’offrir d es solutions définitives et
incontestables au problème de la thématicité discur sive. Notre conviction
est cependant que tout n’y est pas immuable et, mêm e si la présente
analyse est contestable, elle peut servir d’amorce à des développements
ultérieurs.

3.5. Conclusions

A la fin de ce chapitre, nous sommes en mesure d’i nterpréter la
remarque de Mœschler (1985 : 116) que nous avons ci tée au début de la
présente étude et que nous reprenons ici pour des r aisons de commodité :
"La notion de thème discursif n’est pas prise en opposition à celle de

198 rhème . J’entends ici par thème discursif l’objet général du discours proposé
à un interlocuteur et contraignant le déroulement d u discours. Cette
contrainte thématique est donc un des éléments cons titutifs de la cohésion
discursive".
Réitérons que notre vision de la notion de thème e st beaucoup plus
complexe que la seule contrainte thématique. Dans u n échange du type
question-réponse, toutes les contraintes inter-inte rventions dont parle
Auchlin (1988) doivent être prises en considération . En parlant du thème du
couple question-réponse, postuler la seule existenc e d’un rapport
quelconque (sans, au moins, en préciser la nature) nous semble insuffisant.
D’autre part, la (vraie, voire sincère) question d e fonction
propositionnelle ouvre le cadre de la relation thèm e-rhème au niveau
transphrastique. La difficulté apparaît dans le cas de la question
propositionnelle du type vrai / faux . Les solutions que nous avons
proposées à ce sujet n’ont, il est vrai, qu’un cara ctère provisoire.
Tout en admettant les restrictions précédentes, no us pensons que
l’analyse du couple question-réponse aux différents niveaux de la
conversation nous a permis d’en relever certaines r égularités discursives
résultant du rôle central que joue la quête d’infor mation dans les diverses
interactions quotidiennes.

199

CHAPITRE lV

200 LE THÈME ET LE CONCEPT D’HISTOIRE
CONVERSATIONNELLE

Résumé : En suivant la thèse proposée par Sanda Golopen Ńia, innovatrice pour
l’analyse de la conversation, mais apparemment diff icile à appliquer, de l’existence
d’une histoire conversationnelle qui comprend toutes les interactions verbales entre
deux ou plusieurs interlocuteurs.
Nos deux objectifs seront les suivants : d’un part, l’étude du rapport entre le thème et
l’histoire conversationnelle dans laquelle on conte xtualise une interaction, d’autre part,
l’analyse de la façon dont l’histoire conversationn elle peut rendre compte du thème
discursif.
L’extension du domaine jusqu’à ce « dernier » nivea u impose un changement de
perspective. Ainsi, devrions-nous adopter un point de vue cognitif. Il est empiriquement
évident qu’une histoire conversationnelle repose su r la reprise de certains thèmes
discursifs antérieurement abordés et qui sont à l’o rigine de la « mémoire », dépositaire
du thème sous forme d’un schéma mental.
A ce niveau également, la question marque l’introdu ction d’un thème, mais nous
passerons en revue d’autres introducteus thématique s tels que l’assertion ou les
structures disloquées (ces dernières étant responsa bles du repositionnement
thématique).

4.1. Introduction

Notre étude de la notion de thème a commencé au niv eau dialogal
minimal – celui de l’ échange (le siège de notre approche de la
thématisation) et a continué aux niveaux supérieurs de la conversation (la
séquence et l’interaction).
Le problème qui nous reste à résoudre est l’analys e du thème au
niveau de ce que nous appelons « l’au-delà de la co nversation ».

201
REMARQUE: Ce syntagme est un calque de l’expression « l’au-d elà
de la phrase » dont font un large usage le théorici ens de la
linguistique discursive et textuelle.

Est-ce que le thème peut dépasser le niveau de ce que S. Golopen Ńia
(1988 : 69) appelle « l’interaction conversationnel le » ? Peut-on déceler un
lien thématique dans la macrostructure constituée p ar les épisodes
interactionnels qui constituent l’histoire conversa tionnelle commune à deux
ou plusieurs interlocuteurs ? Et si oui, ce lien in fluence-t-il la bipartition en
(sous-)thème et rhème d’un échange du type question -réponse ?

REMARQUE: S. Golopen Ńia (1988 : 70) définit le concept d’ histoire
conversationnelle comme "une structure pragmatique (…) qui
consiste en l’ensemble des interactions conversatio nnelles ayant eu
lieu, à un moment donné, entre deux ou plusieurs su jets parlants".

Pour pouvoir répondre à une telle question, nous de vons nous
rapporter au répertoire cognitif commun à deux ou p lusieurs interlocuteurs.
Plusieurs dénominations sont associées à ce réperto ire (voir Kerbrat-
Orecchioni, 1990 : 81-82). Aux syntagmes « connaiss ance partagée »,
« background information », « assomptions », nous p référons l’expression
« complexe de présupposés ». C’est celui-ci qui est responsable de la
préparation d’une question de fonction propositionn elle et de son
adéquation au contexte (et au cotexte) dialogaux.
Un exemple contraire est à trouver dans le fameux é pisode de la
conversation entre deux personnages amnésiques – le s époux Martin
(extrait de La cantatrice chauve d’Eugène Ionesco).

202 En analysant cette scène, la première constatation serait que tout au
long l’épisode, il n’y a pas de question de fonction propositionnel le , ce qui
est surprenant, compte tenu du fait que le besoin d ’information y est plus
qu’évident.
L’explication en est qu’à la base de la mobilisatio n d’une inconnue se
trouvent des informations, sinon connues, du moins repérables en contexte
situationnel ou bien, sinon repérables, du moins ré cupérables à partir du
répertoire cognitif commun, constitué par le comple xe de présupposés.
Dans l’élaboration d’une question, on doit, dans un premier temps, se
rapporter au connu , pour pouvoir introduire, dans un deuxième temps, une
variable représentant l’inconnue . Or, comment mobiliser une telle
inconnue en l’absence des informations connues préa lablement ?
Les deux époux ignorent même les présupposés existe ntiels, sans
lesquels il est impossible de passer à l’élaboratio n d’une question de
fonction propositionnelle :

– Il existe une personne nommée Elisabeth Martin ;
– Il existe une personne nommée Donald Martin ;
– Elisabeth Martin a un époux ;
– Donald Martin a une épouse ;
– Elisabeth Martin a une fille nommée Alice ;
– Donald Martin a une fille nommée Alice.

Toute la conversation entre les deux époux ne fait que confirmer ces
« vérités premières » qu’ils ignorent paradoxalemen t. Tout au long de cette
interaction étrange, ils opèrent une « remise en th ème » graduelle et
jusqu’à la guérison de cette amnésie commune, que K erbrat-Orecchioni

203 appelle « amnésie sociale » (1990 : 81), l’introduc tion de nouveaux thèmes
locaux serait absurde.
Nous laissons de côté cet exemple illustrant une so rte de « pathologie
interactionnelle ». Par cette scène, l’auteur a eu l’intention de se moquer
d’une méthode d’enseignement des langues étrangères nommée
« Assimil » qu’il prenait pour trop formelle, favor isant la seule acquisition
des structures et laissant de côté les rapports int erhumains.
Cet exemple illustre a contrario l’importance de « l’information
connue ou ancienne » syntagme à l’aide duquel on dé finit
traditionnellement le thème.
Les deux personnages ne sont donc pas en possession des
présupposés existentiels du premier ordre (que nous venons d’évoquer),
indépendants, selon O. Ducrot (1972 : 228) de toute fonction
référentielle. La formule d’un tel présupposé est l a suivante :

P( a) →  ( a)

Le prédicat P présuppose l’existence d’un argument a. Par , on note
l’opérateur existentiel.

En l’absence de ce présupposé, les autres sont excl us :

– les présupposés existentiels du second ordre. C'e st le cas des
circonstants de but, de cause, etc., conférant au p rédicat primaire le statut
de présupposé. Ainsi,

Est-ce qu’il est venu vous rendre visite ?

204 présuppose :

Il est venu.

– les présupposés d’antécédence aspectuelle ;
– les présupposés d’antécédence temporelle ;
– les présupposés morphématiques ;
– les présupposés de focalisation.

REMARQUE: Pour une présentation détaillée de ces présupposés ,
voir M. Tu Ńescu (1978 : 78-118). Nous avons traité des présupp osés
morphématique et de focalisation dans le second cha pitre. Quant aux
présupposés d’antécédence aspectuelle et temporelle , ils concernent
la question propositionnelle.

Ce bagage de représentations mentales communes aux
protagonistes d’une histoire conversationnelle, qui représentent le thème
dans une acception rétrospective (voir Charolles et Combettes, 1999) est
un fil conducteur qui traverse les épisodes convers ationnels que deux
sujets parlants ont eus de leur vivant.
Dans la première partie du présent chapitre, nous étudierons une
nouvelle perspective de la notion de thème, telle q u’elle ressort de la
grammaire de texte , courant d’origine germanique. T. A. van Dijk (198 5)
considère le texte conversationnel comme une macrostructure . Nous nous
demanderons si la notion de thème peut être utile d ans l’analyse de cette
dernière.
Dans la seconde partie, il nous faudra analyser da ns quelle mesure la
notion d’histoire conversationnelle, brillamment dé crite par S. Golopen Ńia,

205 sert à rendre compte de la notion de thème discursi f. L’assomption de
départ appartient au même auteur (1988 : 80) :

"Il y a des actes locutoires , telles la prédication et la référence,
dont la compréhension peut être enrichie si on les rapporte au
concept d’histoire conversationnelle. Il suffit de penser à la
distinction thema / rhema ( thème et propos ). Pour décider de ce
qui est donné et de ce qu’on pose dans un énoncé qu elconque il
\faut tenir compte à la fois :
(a) de la position de l’énoncé dans l’échange conv ersationnel
auquel il appartient,
(b) de la position de cet échange dans la conversa tion qui l’abrite,
(c) de la position de la conversation envisagée dan s une histoire
conversationnelle englobante.
Ceci revient à dire que le donné et le posé sont à concevoir de
manière plus nuancée par rapport à une hiérarchie p ragmatique
complexe qu’on ne saurait ignorer sans courir le ri sque de
simplifications grossières".

Notre tentative sera d’étudier la thématicité dans deux pièces de
théâtre de Marcel Pagnol ( Fanny et, respectivement, Topaze ), en tenant
compte de l’histoire conversationnelle que deux ou plusieurs interlocuteurs
partagent.

4.2. Microstructure vs. macrostructure mentales dan s la
grammaire de texte
C'est la distinction que T. A. van Dijk (1985) opè re, en faisant
référence à deux niveaux différents : celui local (représenté par la phrase)

206 et celui global (en d’autres termes, la séquence « textuelle », si nous
gardons la terminologie de ce courant de la linguis tique moderne).
Nous assimilons l’échange question-réponse à une m icrostructure
discursive qui a un certain degré de structuration, comme nous avons
montré dans le second chapitre.
Comme cette structuration a des limites au-delà de squelles une
analyse formelle devient inopérante, il ne nous res te que la possibilité d’une
perspective cognitive reflétant la production ou la compréhension du
texte (voir Charolles et Combettes, 1999 : 86).
Cela exige qu’on abandonne le territoire des struc tures (donc du
produit fini) pour passer à des stratégies actives d’analyse "prenant en
compte les démarches développées par les sujets au fur et à mesure de la
découverte ou de la production du texte" (Charolles et Combettes,
1999 : 86). Les auteurs distinguent entre mémoire de travail (ayant une
capacité limitée) et mémoire à long terme (ayant une capacité de
stockage qui va de deux à cinq propositions).
La mémoire de travail (dont nous avons traité, san s la nommer ainsi,
dans le chapitre précédent) recycle "sous une forme plus compacte et
stockée dans un buffer … les propositions déjà traitées" ( ibidem ).
Ce qui nous intéresse maintenant c'est la macrostru cture représentée
par la mémoire à long terme. T. A. van Dijk (1985 : 116) met intuitivement
ce schéma mental en rapport avec l’idée de thème .
Ceci étant, nous devons aborder la perspective rétr ospective de cette
notion.
Dès que l’échange question-réponse a apporté un nou vel objet
discursif, celui-ci se voit intégré dans la macrost ructure qui est la mémoire à
long terme. Celle-ci ramasse et recycle tous les ob jets discursifs qui la
composent. Mais cette résultante n’est pas une somm e. Elle provient "d'une

207 sorte de transformation sémantique, associant les s équences de
propositions du texte à des macropropositions d'un contenu plus abstrait,
plus général, plus global" (T.A. van Dijk 1985 : 116).

REMARQUE: Dans notre cas, il ne s’agit pas de séquences de
propositions , mais de séquences d’échanges , parmi lesquels nous
nous intéressons à ceux du type question-réponse. P lusieurs
séquences d’échanges conversationnels forment une m acrostructure
ayant le contenu abstrait dont parle (à un autre ni veau, il est vrai) van
Dijk.

Il nous reste à tirer au clair le statut de microstructure que nous avons
assigné à un échange question-réponse. Ce dernier o ffre une image
cohésive des deux membres qui le composent, à la di fférence de deux
propositions indépendantes. Pour les tenants des co nceptions
traditionnelles, qui prennent la phrase pour le point « final » de l’analyse, un
compromis acceptable serait d’affirmer que nous nou s trouvons à un niveau
« transitoire » entre microstructure et macrostruct ure discursives. De toute
façon, cet échange contribue à l’élaboration du con tenu abstrait et global
que représente la macrostructure.

4.3. Le thème à travers les n épisodes d’une histoi re
conversationnelle

La mémoire à long terme, dont parle van Dijk, va a u-delà des
frontières d’une seule interaction. Les thèmes intr oduits dans une
conversation antérieure peuvent très bien être recy clés dans les épisodes
conversationnels qui la suivent.

208 C'est dans ce sens que nous envisageons l’étude de l’ histoire
conversationnelle . Nous n’entrerons pas dans les détails de l’analys e
effectuée par Sanda Golopen Ńia. Nous utiliserons la (triple) distinction entre
épisode initial, épisode médian et épisode final , en laissant de côté les
dichotomies, de nature pragmatique, entre épisode i nitial absolu et épisode
initial relatif, entre épisode médian primaire et é pisode médian dérivé ou
bien entre épisode final primaire et épisode final dérivé.

REMARQUE: Consulter, pour une analyse détaillée de ces
dichotomies, Golopen Ńia (1988 : 75-76).

Comme nous avons signalé dès le début de ce chapitr e, nous nous
rapporterons exclusivement à la notion de thème et à son comportement à
travers les différentes séquences d’une histoire co nversationnelle.
Une remarque s’impose : même si l’objet de la prése nte étude est le
rapport entre la question de fonction propositionne lle et le thème discursif, à
ce plus haut niveau de l’analyse, nous devons prend re en compte
également les autres marqueurs de la thématicité, p armi lesquelles nous
citons l’ énoncé assertif et, pour revenir à la tradition des études sur la
notion qui nous intéresse, les constructions disloquées .
Pour ce qui est du corpus employé, celui-ci est con stitué de plusieurs
fragments tirés du théâtre de Marcel Pagnol. La pré dilection pour ce genre
littéraire est soulignée par Golopen Ńia (1988 : 71) : "Une pièce de théâtre
peut être conçue comme un réseau plus ou moins serr é d’histoires
conversationnelles. C'est, d’ailleurs, très souvent de cette façon qu’on
l’écrit : en composant, au début, les histoires con versationnelles (à deux,
trois, n personnages) ; en les mélangeant ensuite, plus ou moins
savamment".

209 Nous étudierons quelques histoires conversationnell es. Notre intérêt
sera de suivre le fil thématique à l’intérieur du p remier acte de Fanny et à
travers les trois actes de Topaze . Comme il est impossible d’épuiser ce
sujet, la présente analyse se bornera à un ou deux thèmes, en laissant de
côté les autres aspects concernant les relations in terpersonnelles entre les
personnages impliqués dans les deux pièces.
Nous commençons par le premier acte de Fanny . Deux thèmes y
seront étudiés :

– le problème de Fanny (qui est enceinte) ;
– le départ de Marius en mer.

A ces deux aspects s’ajoutera, à des fins d’analyse , une séquence
collatérale (sans aucune implication dans la constr uction de l’histoire
conversationnelle qui unit les personnages principa ux) – la discussion entre
Fanny et le gros homme.
Notons d’abord que tous les épisodes conversationne ls auxquels
nous nous rapporterons sont médians . Les personnages qui se déroulent
devant les yeux du spectateur – César, Panisse, M. Brun, Escartefigue, le
chauffeur, Fanny et Honorine – ont une longue histo ire conversationnelle
commune, ils se connaissent depuis des années et so nt généralement
familiarisés aux problèmes des autres, quelle qu’en soit la nature.
Ainsi, tout le monde sait :

a) qu’il existe une personne nommée Marius, qui est le fils de César ;
b) qu’il existe une personne nommée Fanny, la fille d’Honorine ;
c) que Marius est parti en mer sans prévenir son pè re ;

210 d) que Fanny souffre d’une « maladie inconnue », ce qui provoque
l’inquiétude d’Honorine et de tous les personnages mentionnés ci-
dessus.
e) que Fanny et Marius vivent une histoire d’amour.

Dans cette communauté (qui a pour lieu de rencontre le bar de
César), il règne un équilibre constant des informat ions sur chacune des
personnes antérieurement nommées. Il s’ensuit qu’il s se repositionnent sur
des thèmes dont l’introduction renvoie à des épisod es conversationnels
antérieurs, en les commentant, en exprimant des poi nts de vue personnels
là-dessus.
Par conséquent, les questions de fonction proposit ionnelle
manquent ; par contre, les constructions détachées en tête d’énoncé
opèrent le renvoi aux deux thèmes qui nous incomben t :

(1) PANISSE
Oui, le chapeau de Marius .
LE CHAUFFEUR
Il est resté là depuis le départ. Il ( n.n. César ) lui parle, il lui dit
des choses que ça vous met les larmes aux yeux. C'e st vrai que
moi je suis beaucoup sensible…
PANISSE
Peuchère ! Et la petite Fanny , c'est la même chose !
LE CHAUFFEUR
Oh ! elle, elle va sûrement mourir d’estransi. Té, ils vont mourir
tous les deux.

211 Le sujet favori de tous les personnages est remobil isé relativement
tard après le début de la première scène. La disloq uée – Et la petite Fanny ,
c'est la même chose ! – joue le rôle de pont entre les autres épisodes de la
même histoire conversationnelle et l’interaction à laquelle ils prennent part.
Il s’agit ici du repositionnement thématique dont p arle M. de Fornel (1988).
Mais, à la différence des exemples qu’il propose, c e repositionnement se
rapporte aux conversations antérieures. Ce dernier exemple prouve la
nécessité (postulée par Golopen Ńia, 1988 : 80) de se rapporter à l’histoire
conversationnelle entière pour pouvoir opérer la bi partition thème-rhème.

REMARQUE: Pour ce qui de la notion de thème discursif
(dénomination appartenant à Mœschler, 1985, thème de séquence
pour nous), celle-ci est inconcevable si nous faiso ns abstraction de
l’histoire conversationnelle de deux ou plusieurs i nterlocuteurs.

Passons maintenant à l’autre thème choisi – le dép art de Marius et la
réaction de César face au geste de son fils.
Là aussi, l’équilibre cognitif domine. Panisse, Es cartefigue et M. Brun
se proposent d’aborder César pour le calmer et pour minimiser les effets du
geste de Marius. Le dialogue qu’ils engagent repose sur des questions
socratiques (compte tenu du fait que, pratiquement, ils connaissent tous, y
compris César, les réponses), Les questions suivant es transgressent la
règle d’informativité. M. Brun et Panisse espèrent arracher au père de
Marius un témoignage concernant le sort de celui-ci :

(2) M. BRUN ( doucement )
(…) en somme, que vous a-t-il fait ?
CESAR ( rugissant )

212 Il m’a fait qu’il est parti.
M. BRUN
Eh bien ! A vingt ans ce garçon n’avait pas le droi t de partir ?
CESAR
Il n’avait pas le droit de partir sans me le dire .
…………………………………………………………………
PANISSE
Mais s’il te l’avait dit, qu’est-ce que tu aurais fait ?
CESAR
Je lui aurais expliqué qu’il n’avait pas le droit .

Les exemples peuvent se multiplier. Ces questions (et nous nous
rapportons notamment à celles de fonction propositi onnelle) ne visent pas à
combler une lacune informationnelle. M. Brun et Pan isse connaissent très
bien les raisons du départ de Marius. Leur intentio n est de faire César
changer d’attitude. Cette intention est rendue expl icite dans une des
répliques de M. Brun :

(3) Vous voyez donc qu’il a bien fait de ne rien vous dire.

Toutes les informations véhiculées sont mémorielle s et la tentative
des interlocuteurs de César est de faire celui-ci s outenir justement le
contraire de ce qu’il soutenait auparavant.
L’évolution d’une histoire conversationnelle dépen d de la nature du
rapport interpersonnel entre les interlocuteurs. Le s thèmes discursifs
abordés diffèrent selon qu’il s’agit d’une relation d’amitié, d’une relation
entre les membres d’une famille ou bien d’une relat ion professionnelle.

213 Le besoin d’information apparaît au moment où il y a un déséquilibre
plus ou moins prononcé dans le savoir commun partag é des interlocuteurs.
Dans l’interaction antérieurement mentionnée, les interlocuteurs
partagent toutes les informations portant sur la si tuation de Marius.
L’interrogatoire auquel M. Brun, Panisse et Escarte figue soumettent César
vise donc à mettre un peu d’ordre dans les pensées et les sentiments de ce
dernier et non pas à enrichir leur répertoire cogni tif.
Il en va autrement dans une autre histoire conve rsationnelle, au
début binaire – entre Honorine et sa sœur Claudine – plus tard ternaire
(après l’apparition de Fanny).

REMARQUE: Cet épisode conversationnel fait toujours partie d u
premier acte, étant extrait du deuxième tableau de celui-ci.

Honorine et Claudine possèdent, dans leur savoir c ommun, quelques
détails sur l’histoire d’amour entre Fanny et Mariu s. Le déséquilibre se
produit au moment où Fanny introduit, au moyen d’un e assertion, le thème
central de l’interaction qui suit :

(4) Maman, je vais avoir un enfant.

Ce thème qu’elle a lancé engendre des questions in troduisant des
sous-thèmes. Ceux-ci rééquilibrent le rapport entre les trois protagonistes.
Nous allons sélectionner les échanges qui introduis ent ces sous-thèmes.
D’abord, à l’aide d’une question combinée, Claudin e vérifie une
information inférable à partir des témoignages d’Ho norine :

(5) CLAUDINE

214 (…) Et cet enfant, de qui est-il ? De Marius ?
HONORINE
Et de qui veux-tu qu’il soit ? Elle n’a quand même pas encore
couché avec tout Marseille !
FANNY
Bon. Il est de Marius.

La démarche exploratoire d’Honorine continue par l ’introduction de
deux sous-thèmes, au moyen de deux questions de fon ction
propositionnelle qu’elles posent à sa fille :

(6) HONORINE
(…) Dis-moi, ma petite, dis-moi, maintenant, depuis quand tu le
sais ?
FANNY
Depuis qu’il est parti, je me sentais malade… Je n’ étais plus
comme d’habitude… J’avais mal au cœur tous les mati ns…
……………………………………………………………….
HONORINE
Toi, maintenant, qu’est-ce que tu comptes faire ?
FANNY
Je ferai ce que tu voudras pourvu que tu me garde s.

La richesse d’une histoire conversationnelle que p artagent les
membres d’une famille est fonction de leur degré de parenté. Il est peu
naturel qu’entre Fanny et sa mère il y ait des lacu nes informationnelles. Il
en va autrement dans le cas des rapports entre Fann y et sa tante,
Claudine.

215 Ce passage illustre une situation assez rare car le répertoire cognitif
commun de tels protagonistes est bien défini, ne né cessitant pas la
mobilisation d’inconnues.
La situation change dans le cas relations illustra nt la distance sociale
comme celles professionnelles ou commerciales. Pour en relever les traits,
nous analyserons (toujours du point de vue du conte nu thématique) deux
histoires conversationnelles. La première est une s équence
conversationnelle plutôt marginale, extraite du pre mier acte de la même
pièce – la discussion entre Fanny est le gros homme que nous citons
entièrement ci-dessous :

(7) LE GROS HOMME
Hé biengue, mademoiselle Fanylle, est-ce que votre mère n’est
pas ici ?
FANNY
Non, monsieur. Elle vient de partir à la poissonn erie.
LE GROS HOMME
A la poissonnerille ? O bagasse tron de l’air ! Tro n de l’air de
bagasse ! Vous seriez bien aimable de lui dire qu’e lle n’oublille
pas ma bouillabaisse de chaque jour, ni mes coquill ages,
bagasse ! Moi, c'est mon régime : le matin, des coq uillages. A
midi, la bouillabaisse. Le soir, l’aïoli. N’oubliez pas,
mademoiselle Fanylle !
FANNY
Je n’oublierai pas de le lui dire. Mais à qui faut-il l’envoyer ?
LE GROS HOMME
A moi-même : M. Mariusse, 6, rue Cannebière, chez M .
Olive .

216 FANNY
Bon.
LE GROS HOMME
Et n’oubliez pas, o bagasse ! Tron de l’air de mill e bagasse ! O
bagasse.

L’histoire conversationnelle est dans ce cas étran ge : le gros homme
(qui, selon les indications de l’auteur, " est vêtu du costume classique de
Marius ") connaît Fanny, mais il semble mieux connaître sa mère. Les
rapports qui les unissent sont de nature commercial e. Pour Fanny, son
interlocuteur est un client quelconque qu’elle ne p eut pas identifier. C'est
pour cela qu’elle thématise justement l’identité de cette personne au moyen
d’une question partielle.
Après l’analyse des autres fragments du présent ch apitre, cet
épisode, apparemment sans importance pour le réseau de relations
sociales qui se développent dans la pièce, nous aid e à tirer une
conclusion : plus le rapport social est étroit, plu s l’histoire conversationnelle
de deux ou plusieurs personnes est riche et donc la nécessité d’introduire
de nouveaux thèmes ou sous-thèmes réduite.
Du point de vue des contenus thématiques, l’évolut ion d’une histoire
conversationnelle dépend donc de facteurs spatio-te mporels (par exemple,
une séparation plus ou moins longue), sociaux (l’ap partenance à des
collectivités telles que celle professionnelle) ou bien personnels (les
rapports de parenté ou bien les relations intimes).
Ce qui nous intéresse le plus c'est l’influence d es facteurs sociaux sur
la thématicité au niveau de l’histoire conversation nelle. Il est ainsi impropre
d’aborder des sujets professionnels dans les conver sations en famille ou
entre amis, à moins qu’entre soi et ses amis il y a it également de tels

217 rapports. De la même façon, on ne parle pas de sa f amille ou de ses
enfants à son patron.
Une autre pièce de Marcel Pagnol – Topaze – nous fournit un contre-
exemple : la relation entre Muche, le directeur de la pension qui porte son
nom, et Topaze qui, dans le premier acte est profes seur à cet
établissement scolaire, mais qui plus tard deviendr a un prospère homme
d’affaires.
La première position du jeune enseignant lui impos e des rapports de
subordination face au directeur. Leur histoire conv ersationnelle ne
comprend, au début, que des interactions profession nelles.
La position que Muche occupe lui permet, à côté de toutes sortes
d’observations et de remontrances, d’introduire dan s la conversation des
thèmes et sous-thèmes portant sur le spécifique de l’activité de la pension :

(8) MUCHE
(…) Quel est ce mammifère ?
TOPAZE
C'est un putois, monsieur le directeur. Il m'appart ient, mais je
l'ai apporté pour illustrer une leçon sur les ravag eurs de la
basse-cour.
MUCHE
Bien. ( Il va près de la bibliothèque, et regarde le tas de livres en
loques qui est à terre. ) Qu'est-ce que c'est que ça ?
TOPAZE
C'est la bibliothèque de fantaisie, monsieur le dir ecteur. Je suis
en train de faire, à mes moments perdus, un récolem ent
général.

218 MUCHE
Un ouvrage aurait-il disparu ?
TOPAZE
Non, monsieur le directeur… Je suis heureux de vo us dire que
non.
MUCHE
Bien. (…)

Dans la neuvième scène du troisième acte, la situat ion change :
après avoir été mis à la porte par le directeur de la pension, Topaze obtient
par hasard une position dans le domaine des affaire s.
Muche ne peut plus afficher l’attitude de supériori té du premier acte.
A regarder de plus près ce fragment, nous rendrons compte qu’il ne se
permet plus de recourir à des directifs. Il n’y a q ue des questions totales,
donc des appels à confirmer, que profèrent tous les deux personnages. En
voilà quelques exemples :

(9) MUCHE
(…) Vous gagnez beaucoup d’argent ?
TOPAZE
Trop.
MUCHE
Ah ! la belle réponse… « Trop »… Vous êtes vraiment un
homme extraordinaire, mon cher ami… Je le savais d’ ailleurs
depuis bien longtemps… Que de fois n’ai-je pas dit à la table de
famille : « Ce garçon a trop d’envergure, il finira par nous
quitter… » Et je disais à M me Muche : « S’il veut partir, je le
laisserai libre ! Et c'est par pure amitié, mon che r Topaze, que

219 le jour où vous m’avez demandé votre liberté, je n’ ai pas essayé
de me cramponner à vous. Et maintenant, mon cher am i, je
voudrais vous entretenir d’un sujet qui me tient à cœur. Je suis
père, mon cher Topaze. Et père malheureux… Combien
malheureux !…
TOPAZE
Mlle Muche est malade ?
MUCHE
Hélas !… son sort, mon ami, vous intéresse encore ? Elle
est frappée d’un mal qui ne pardonne pas…
TOPAZE
Les poumons…
MUCHE
Non, le cœur.
…………………………………………………………………
TOPAZE
Le cœur de votre fille ?
MUCHE
L’amour l’avait touché de son aile, et moi, père av eugle, je
n’avais pas compris… Mais, depuis votre départ me b rise le
cœur. Elle rêve de longues heures auprès de la chem inée…
Elle s’est lentement amaigrie… Et puis, hier, elle m’a tout dit…
Voilà la confession d’un père.
………………… ………………………………………………
TOPAZE
Mais je vous ai pourtant demandé la main de votre f ille et, pour
toute réponse, vous m’avez mis à la porte.
MUCHE

220 Vous m’avez demandé la main de ma fille ?
TOPAZE
Oui.
MUCHE
Je vous l’accorde.

Comme s’il avait gommé toutes les conversations qu ’ils ont eues
dans la première partie, le directeur essaie de dor er en quelque sorte
l’histoire conversationnelle qu’il partage avec l’e x-enseignant. Nous avons
ici affaire à une rupture du continuum d’ordre thém atique. Certains
contenus sont abandonnés (par exemple, les référenc es à l’activité de
Topaze en tant que professeur), d’autres en sont re pris et « embellis »
(l’attitude de Muche qui accorde la main de sa fill e Ernestine à un Topaze
enrichi, après l’avoir refusé dans le premier acte) . L’équilibre domine cette
séquence en l’absence de la supériorité exercée au début par l’autorité du
directeur. C'est ainsi que nous pouvons expliquer l ’inexistence, dans ce
fragment, des questions partielles.
Ce qui, dans la plupart des cas représente le lien entre différents
épisodes conversationnels, ce sont les contenus thé matiques. Ces
contenus sont, à notre avis, un des facteurs qui te ndent à "annuler les
parois entre les épisodes" (voir Golopen Ńia, 1988 : 73).
Dans la vision du même auteur, la syntaxe conversa tionnelle illustre
la discontinuité des interactions qui la composent, tandis que le po int de
vue sémantique rend compte de la superposition des épisodes
conversationnels. Ce n’est que la composante pragma tique qui, pour
Golopen Ńia (1988 : 77), illustre la continuité de l’histoire conversationnelle.

221 REMARQUE: La syntaxe conversationnelle est composée d’une
microsyntaxe (qui s’occupe de la rection à l’intéri eur d’une
conversation) et d’une macrosyntaxe (étudiant la re ction d’un épisode
à l’autre dans le cadre d’une et même histoire conv ersationnelle). Du
point de vue pragmatique, "tous les épisodes conver sationnels sont
médians" (voir Golopen Ńia, 1988 : 77). Par voie de conséquence,
toute histoire conversationnelle est une structure ouverte, dans ce
sens que tout épisode en anticipe le suivant.

Nous pensons que le thème assure le passage d’un é pisode à l’autre,
il peut être introduit , abandonné , repris ou enrichi de sous-thèmes. Cette
évolution est impossible à analyser au niveau d’un seul épisode médian.

4.4. Pour conclure

L’étude du thème dans le déroulement chronologique des épisodes
est la seule démarche qui puisse en relever les tra its discursifs. Il est vrai
qu’il serait naïf de se figurer qu’un thème se déve loppe de manière linéaire
et que le seul introducteur en est la question. Ce qu’on peut étudier c'est
l’évolution et les « métamorphoses » des différents sujets discursifs,
abstraction faite des parois qu’imposent les épisod es conversationnels
médians. C'est l’une des directions dans lesquelles peut s’inscrire la
linguistique discursive actuelle.

222 5. CONCLUSIONS

La présente étude s’est proposée d’attacher la « d estinée » de
l’interrogation à celle de la notion de thème. Notr e option se justifie par les
traits communs aux deux entités linguistiques, que nous avons présentés
dans le premier chapitre.
Les deux notions véhiculent (chacune à sa manière) l’information . Si
le thème est une sorte de pont entre la mémoire dis cursive et le « devenir »
du texte, le couple question-réponse parcourt le ch emin menant au
renouvellement informationnel.
Un des aspects essentiels justifiant l’étude conjo inte de l’interrogation
dite partielle et de la thématisation est le projet d’élaborer une grammaire
du couple question-réponse. Cette tentative n’est p as nouvelle. Il y a des
auteurs qui s’en sont occupés, parmi lesquels nous pouvons citer Diller
(1984), Haiman (1976) ou Kuno (1976).
Ces derniers rapprochent l’étude des structures in terrogatives de la
thématicité discursive. Mais ils laissent de côté l ’analyse des frontières
entre thème et rhème, plus exactement entre les fra gments thématiques et
les fragments rhématiques à l’intérieur de l’échang e question-réponse.
C'est la tâche que nous nous sommes assumée, ayant pour point de départ
l’affirmation de Charles Bally (1932): " Le thème est une sorte de question
dont le propos est la réponse ". Notre intention a été moins d’enlever le
caractère intuitif de cette affirmation que de la m otiver de manière plus
rigoureuse.
Pour définir le thème de l’échange question, nous avons utilisé le
modèle de R. Martin (1983 : 211-212). L’auteur iden tifie le thème à la
présupposition locale – contextuelle ou morphématiq ue. Nous avons laissé

223 de côté le premier type, en nous concentrant sur la présupposition locale
morphématique. Martin ne l’analyse pas en détail, s e limitant aux
remarques suivantes : " Quand Pierre a-t-il rejoint Sophie ? présuppose, par
le contenu de quand , que Pierre a rejoint Sophie. Rien de « contextuel » en
l’occurrence ; la présupposition est véhiculée par le morphème quand "
(1983 : 212).
Nous dirions plutôt que c’est justement ce morphèm e qui crée le
contexte . C’est dans ce sens que nous percevons la thématis ation au
niveau du couple question-réponse. Le thème est don c introduit par le mot
interrogatif qui véhicule la présupposition locale. Dans 2.3., nous avons
dressé une liste des morphèmes interrogatifs créate urs de tels contextes
thématiques.
Un autre aspect important que nous avons essayé de tirer au clair
porte sur l’isolement du rhème, donc la mise en évi dence de l’information
nouvelle au moyen de l’ellipse ou du clivage.
L’étude des contrôles formel et sémantique que la q uestion exerce
sur la réponse prouve l’affinité entre l’interrogat ion de fonction
propositionnelle et la notion de thème discursif. D u point de vue syntaxique,
l’échange question-réponse présente une certaine co hérence interne
permettant une structuration, qui, loin d’être auss i complète qu’une analyse
phrastique traditionnelle, s’avère utile dans le ca dre d’une théorie de la
thématicité.
Les acquis de cette structuration ont été mis en va leur aux niveaux
supérieurs de la conversation : la séquence et l’in teraction. Nous avons
étudié le comportement, du point de vue thématique, de l’échange
question-réponse entrant dans la composition de ces deux unités de rang
supérieur. Ainsi, cet échange peut se trouver à l’o rigine d’une interaction
monoséquentielle et, de ce fait, monothématique, pe ut ouvrir une séquence

224 conversationnelle en introduisant un (hyper)-thème ou bien peut introduire
un sous-thème (subordonné au sujet de la séquence).
Une telle perspective a dû être complétée par l’étu de des types de
progression thématique au niveau de la conversation . Pour la réussite
d’une telle démarche, nous avons mis en parallèle n otre analyse et
l’analyse de la thématicité dans les textes narrati fs et descriptifs (effectuée
par B. Combettes, 1983).
Le dernier pas de notre étude a été la tentative de nous placer à un
niveau encore plus haut – celui de l’histoire conve rsationnelle, concept dont
S. Golopen Ńia (1988) a donné une description magistrale. Faut- il, dans la
formulation d’une question, tenir compte du passé d e la relation entre deux
interlocuteurs ? Telle a été notre question dans le quatrième chapitre.
La bipartition de l’échange question-réponse en thè me et rhème n’est
pas à prendre pour une révolution dans les théories consacrées à la notion
de thème, qui abondent depuis Aristote jusqu’aux co ntributions les plus
récentes de grammaire phrastique et, respectivement , textuelle. Notre
intention a été d’orienter l’analyse vers un territ oire qui permet une
meilleure individualisation de l’information nouvel le. Les interlocuteurs
possèdent les moyens discursifs de focaliser les fr agments qui dynamisent
la communication, en les opposant aux supports stat iques. Mais tout apport
propositionnel n’équivaut pas à une telle dynamisat ion. Découper chaque
phrase en information ancienne (donnée) et informat ion nouvelle c'est
tomber en désuétude. Une question de fonction propo sitionnelle n’apporte
rien de nouveau, à part la requête de saturer une v ariable. L’information
nouvelle proprement dite coïncide à la saturation p roprement dite.
Cette analyse conjointe de l’ensemble représenté pa r l’échange
question-réponse a des limites que nous nous assumo ns (et dont nous
avons parlé à plusieurs reprises). Quoi qu’il en so it, nous pensons que le

225 binôme thème-rhème sert à la distinction des rôles informationnels à
l’intérieur de cet échange. C’est à ce niveau trans phrastique que l’opération
de thématisation présente le plus d’efficacité et d e souplesse. Il est vrai
qu’une assertion ou un impératif peuvent eux aussi introduire ou reprendre
des thèmes discursifs. Mais du fait de sa structure de corps discursif à deux
bras, traitant de l’information aussi bien en amont qu’en aval, le couple
question-réponse est le parent légitime de la dicho tomie thème-rhème.

226 6. ANNEXE

1. L’exemple illustratif utilisé dans 3.2.1. :

CHEZ LE MÉDECIN

LE MÉDECIN : Entrez, Monsieur. Alors, qu’est-ce qui ne va pas ?
M. GIRAUD : Eh bien, depuis un certain temps j’ai du mal à
dormir, et je n’ai presque plus d’appétit. Je me se ns déprimé.
J’ai sans doute besoin de somnifères ou d’un calman t quelconque.
LE MÉDECIN : Mmm, vous savez, il vaut mieux éviter ce genre de
médicaments si on peut… Vous avez ces symptômes depuis
combien de temps exactement ?
M. GIRAUD : Ben, trois mois à peu près .
LE MÉDECIN : Vous avez un travail très prenant ?
M. GIRAUD : Oui, très . Il m’arrive souvent de travailler le soir et le
week-end.
LE MÉDECIN : Vous êtes obligé de travailler autant ?
M. GIRAUD : Oui . On licencie beaucoup dans notre entreprise. Et
j’ai 45 ans. Si on me met à la porte, j’ai peur de ne rien trouv er
d’autre .
LE MÉDECIN : Vous êtes marié ?
M. GIRAUD : Séparé .
LE MÉDECIN : Vous fumez ?
M. GIRAUD : Oui .

227 LE MÉDECIN : Bon, enlevez votre veste, s’il vous pl aît. Je vais
vous examiner.

(Un peu plus tard.)

LE MÉDECIN : Et bien, Monsieur, vous vous surmenez, je crois. Pour
l’instant, il n’y a rien de grave, mais attention ! il vaut mieux vous
ménager.
M. GIRAUD : Vous pouvez me donner une ordonnance po ur des
tranquillisants ?
LE MÉDECIN : Si vous voulez. Mais je vous préviens que ce n’est
pas une solution. Il faut absolument que vous chang iez votre mode
de vie.
M. GIRAUD : Facile à dire.

(Chamberlain & Steele, 1985 : 162-163)

***
2. L’exemple illustratif utilisé dans 3.2.2. :

Q. Qu’est-ce qu’un homme a de plus qu’un robot ?
R. Sa vie, ses sentiments, ses pensées.
Q. Supposons que j’aie deux jambes artificielles pa rfaites, suis-je
alors devenu une espèce de robot ?
R. Un être humain ne devient jamais un robot.
Q. Je ne peux pas devenir un petit peu robot ?

228 R. Oui, si par exemple tu as un bras robotique.
Q. Imaginons que je vis dans le futur et qu’après u n accident j’ai
deux membres robotiques, suis-je alors devenu plus robotique ?
R. Oui.
Q. Mon estomac, mes intestins, mon foie, mon cœur, etc. doivent
également être remplacés. Suis-je alors plus homme ou plus robot
?
R. Plus robot.
Q. Est-ce que j’aurai, avec toute cette robotique, moins de vie, de
sentiments et de pensées ?
R. Tu continueras à avoir les sentiments et les pen sées d’un être
humain.
Q. Et que se passe-t-il lorsque mon cerveau est rem placé par une
tête artificielle ?
R. Alors tes sentiments commenceront à disparaître.
Q. Et si mes sentiments commencent à disparaître, n e suis-je plus
vraiment un être humain ?
R. Non, car un être humain a besoin de sentiments p our vivre.
Q. C’est quoi en fait, les sentiments ?
R. Ils te sont transmis à la naissance.
Q. Donc au départ chacun a reçu autant de sentiment s ?
R. Les uns plus, les autres moins.
Q. Donc certains sont dès le départ un être humain à part plus
entière ?
R. Oui.
Q. Quelle est la part de sentiments que tu as reçus ?
R. Je ne sais pas.
Q. Tu ne connais pas tes propres sentiments ?

229 R. Personne ne connaît assez ses propres sentiments pour savoir
s’il est un être humain à part plus entière que d’a utres ou non.
Q. Peux-tu sentir comment quelqu’un d’autre se sent ?
R. Oui, parfois on peut le sentir, mais en général cela se remarque
à l’expression des gens ou à la façon dont ils parl ent.
Q. Quelles sont les personnes qui n’ont pas de sent iments ?
R. Tout le monde a des sentiments.
Q. Donc même la plus mauvaise personne au monde a d es
sentiments ?
R. Oui.
Q. Donc ceux qui sont mauvais peuvent devenir bons ?
R. Je ne sais pas. Ils ont des sentiments comme tou t le monde, ils
essaient seulement de réprimer ces sentiments.
Q. Un robot ne peut-il pas avoir de sentiments ?
R. Seulement s’il était d’abord un homme et s’il a été changé en
robot.
Q. Où se situent tes sentiments ?
R. Partout dans mon corps.
Q. Même si tes organes ont été remplacés ?
R. Oui, mais alors nettement moins.
Q. Donc un millimètre carré de toi-même dans un cor ps de robot
suffit pour avoir tous tes sentiments ?
R. Oui, les sentiments, ça reste.

(www.wijsneus.org\index.htm, section « Dialogues en français »)

***

230
Dialogue avec Pieter, 9 ans, troisième primaire

Q. Que feront les enfants dans mille ans?
R. Ils se déplaceront dans des vaisseaux spatiaux e t gagneront
beaucoup d’argent.
Q. Comment vont-ils gagner de l’argent?
R. En travaillant.
Q. Quel genre de travail?
R. Le travail que font les parents maintenant.
Q. Mais ne faut-il pas d’abord avoir fait des étude s?
R. Ils apprennent très vite avec un casque d’ordina teur.
Q. Mais ils n’ont alors que les connaissance et pas l’expérience?
R. Les personnes plus âgées qui travaillent leur ap prennent
l’expérience.
Q. Comment les personnes plus âgées transmettent-el les leur
expérience?
R. En faisant très fort leur possible.
Q. Ca prend plus de temps qu’avec le casque d’ordin ateur?
R. Oui, mais ça n’a pas d’importance.
Q. Les enfants pourront-ils travailler dans 1000 an s?
R. Oui, parce qu’à douze ans ils ont terminé l’écol e.
Q. Que font les enfants quand ils n’ont pas envie d e travailler?
R. Ils continuent à étudier mais sans ordinateur.
Q. Les enfants joueront-ils encore dans 1000 ans?
R. Oui, quand ils sont jeunes.
Q. Peuvent-ils jouer et étudier en même temps?
R. Oui, jouer après avoir étudié.

231 Q. Peuvent-ils jouer et travailler en même temps?
R. Non, je ne pense pas qu’ils jouent quand ils tra vaillent.

(www.wijsneus.org\index.htm, section « Dialogues en français »)

232 7. BIBLIOGRAPHIE

A. Ouvrages auxquels nous avons renvoyé :

1. André-Larochebouvy, Danielle (1984) : La conversation quotidienne.
Introduction à l'analyse sémiolinguistique de la co nversation , Paris,
Didier-Crédif.
2. Anscombre Jean-Claude et Ducrot, Oswald, (1983) : L'argumentation
dans la langue , Pierre Mardaga, éditeur, Collection «Philosophie et
langage», Bruxelles.
3. Attal, Pierre (1976) : À propos de l’indéfini des : problèmes de
représentation sémantique , in Le français moderne , 44, 2.
4. Auchlin, Antoine (1988) : Dialogue et stratégies : propositions pour
une analyse dynamique de la conversation , in Cosnier, J., Gelas, N.,
Kerbrat-Orecchioni, C. dir., Echanges sur la conversation , Editions du
Centre National de la Recherche Scientifique, Centr e Régional de
Publication de Lyon.
5. Bally, Charles (1932) : Linguistique générale et linguistique française , A.
Francke, Berne.
6. Berthoud, Anne-Claude (1996) : Paroles à propos. Approche énonciative
et interactive du topic , Paris, Ophrys.
7. Botezatu, Petre (1982) : Erotetica – logica intrebarilor (principii si
aplicatii) , in Grecu, C., Logica interogativa si aplicatiile ei , Editura
Stiintifica si Enciclopedica, Bucuresti.

233 8. Bourdieu, Pierre (1972) : Esquisse d’une théorie de la pratique , Editions
Droz.
9. Caron, Bernard, Mohamadou Aliou (1999) : La spécification du
topique en haoussa et en peul : vers une caractéris ation
contrastive de la thématisation et de la focalisati on , in La
thématisation dans les langues , Actes du colloque de Caen, 9 – 11
octobre 1997, Textes réunis par Claude Guimier, Pet er Lang (Sciences
pour la communication), Berne.
10. Călburean, Liviu (2005) : À propos des questions alternatives , in
Limba și Literatura – repere identitare în context europea n , Editura
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l’interprétation des énoncés selon Paul Grice , in Communications ,
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63. Tu Ńescu, Mariana (1977) : Sur la voix impersonnelle , in Revue de
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64. Tu Ńescu, Mariana (1978) : La présupposition en français contemporain ,
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65. Tu Ńescu, Mariana (2003) : L’impersonnel français , in Revue Roumaine
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66. Van Dijk, Teun A. (1985) : Handbook of discourse analysis, Academic
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de Sanda Iarovici-Munteanu) in Nasta, Mihail et Ale xandrescu, Sorin –
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Supérieur.
70. Wilmet, Marc (2003) : Grammaire critique du français , Éditions Duculot,
Bruxelles.
71. http://www.ccdmd.qc.ca/fr/franc/accfranc.html (sou rce électronique) – le
site du Centre collégial de développement de matéri el didactique
(CCDMD), exercices de français.

– Dictionnaires :

a) généraux :

1. http://atilf.atilf.fr/tlfv3.htm – le Trésor de l a Langue Française informatisé,
Version du 10/12/2002.
2. Dobrescu, Alexandru (1997) : Dic Ńionar de expresii și locu Ńiuni românesti ,
Mydo Center, Ia și.
3. Gorunescu, Elena (1994) : Dic Ńionar frazeologic francez-român și român-
francez , Teora, Bucure ști.
4. Le Nouveau Petit Robert – dictionnaire alphabétique et analogique
de la langue française , Dictionnaires Le Robert, Paris, 1993.
5. Random House Webster’s Electronic Dictionary and Th esaurus ,
College Edition, Version 1.0, Reference Software In ternational, 1992.

240 b) spécialisés :

1. Bidu-Vrânceanu, Angela, C ălăra șu, Cristina, Ionescu-Rux ăndoiu, Liliana,
Manca ș, Mihaela, Pan ă Dîndelegan, Gabriela (1997) : Dic Ńionar General
de Știin Ńe. Știin Ńe ale limbii , Editura Știin Ńific ă, Bucure ști.
2. Dubois, Jean, et al. (1973) : Dictionnaire de linguistique , Larousse, Paris.
3. Ducrot, Oswald et Schaeffer, Jean-Marie (1996) : Noul dic Ńionar
enciclopedic al știin Ńelor limbajului , Editura Babel , Bucure ști (traduction
roumaine – A. Mãgureanu, M. Pãunescu et V. Vi șan – de Ducrot, Oswald
et Schaeffer, Jean-Marie (1995) : Le Nouveau dictionnaire
encyclopédique des sciences du langage , Le Seuil, Paris).
4. Mœschler, Jacques, et Reboul, Anne, (1994) : Dictionnaire
encyclopédique de pragmatique , Seuil, Paris.

B. Ouvrages auxquels nous n’avons pas directement r envoyé,
mais que nous avons consultés pour l’élaboration de la
présente étude :

1. Adam, Jean-Michel (1990) : Eléments de linguistique textuelle. Théorie
et pratique de l'analyse textuelle , Mardaga, coll. Philosophie et Langage.
2. Anscombre, Jean-Claude, Ducrot, Oswald (1981) : Interrogation et
argumentation , in Langue française , 52.
3. Apostel, Léo (1981) : De l'interrogation en tant qu'action , in Langue
française , 52.
4. Apostel, Léo (1982) : O propunere in analiza intrebarilor , in Grecu, C.,
Logica interogativa si aplicatiile ei , Editura Stiintifica si Enciclopedica,

241 Bucuresti (traduction roumaine d’Apostel, Léo (1968 ) : A proposal in
the Analysis of Questions , in Logique et Analyse , nr. 48).
5. Benveniste, Emile (1966) : Problèmes de linguistique générale ,
Gallimard, Paris.
6. Boissat, Danielle (1991) : Questions de classe: question de mise en
scène, question de mise en demeure , in Kerbrat-Orecchioni, C., La
question , Presses Universitaires de Lyon.
7. Cosnier, J., Kerbrat-Orecchioni, C. (éds) (1987) : Décrire la
conversation , PUL, Lyon.
8. Cuni Ńă , Alexandra, Visan, Viorel (coord.) (1988) : Abrégé de grammaire
française , TUB, Bucure ști.
9. Fauconnier, Gilles (1981) : Questions et actes indirects , in Langue
française , 52.
10. Gaulmyn, Marie-Madeleine de (1991) : La question dans tous ses
états. Les cinq types de questions de l’explication
conversationnelle , in Kerbrat-Orecchioni, C., La question , Presses
Universitaires de Lyon.
11. Jacques, Francis (1981) : L’interrogation – force illocutoire et
interaction verbale , in Langue française , 52.
12. Kerbrat-Orecchioni, Catherine (1980) : L'énonciation – De la subjectivité
dans le langage , Armand Colin, coll. Linguistique, Paris.
13. Kerbrat-Orecchioni, Catherine (1986) : L'implicite , Armand Colin, coll.
Linguistique, Paris.
14. Le Querler, Nicole (1999) : Dislocation et thématisation en français,
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pour la communication), Berne.

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» dans la théorie sémantique , Pierre Mardaga (éd.), Bruxelles.
16. Meyer, Michel (1981) : La conception problématologique du langage ,
in Langue française , 52.
17. Milner, Judith (1973) : Eléments pour une théorie de l’interrogation ,
in Communications , 20.
18. Milner, Judith, Milner, Jean-Claude (1975) : Interrogation, reprises,
dialogue , in J. Kristeva (éd.), Langue, discours, société , Seuil, Paris.
19. Peeters, Jean (1999) : Thématisation et focalisation: deux principes
distincts et complémentaires de construction du sen s , in La
thématisation dans les langues , Actes du colloque de Caen, 9 – 11
octobre 1997, Textes réunis par Claude Guimier, Pet er Lang (Sciences
pour la communication), Berne.
20. Plantin, Christian (1991) : Question → Argumentations → Réponses ,
in Kerbrat-Orecchioni, C. La question , Presses Universitaires de Lyon.
21. Saussure, Ferdinand de (1968) : Cours de linguistique générale , Payot,
Paris.
22. Stark, Elisabeth (1999) : Antéposition et marquage du thème (topic)
dans les dialogues spontanés , in La thématisation dans les langues ,
Actes du colloque de Caen, 9 – 11 octobre 1997, Tex tes réunis par
Claude Guimier, Peter Lang (Sciences pour la communication), Berne.
23. Strawson, P. F. (1977) : Etudes de logique et de linguistique , Le Seuil,
coll. L'Ordre philosophique, Paris.
24. Tu Ńescu, Mariana (1998) : L’argumentation. Introduction à l’étude du
discours , Editura Universit ăŃii din Bucure ști.
25. Tu Ńescu, Mariana (2001) : Les structures du vague , in Linguistique et
alentours . Hommage à Teodora Cristea , Editura Universit ăŃii din
Bucure ști.

243 26. Velcic-Canivez, Mirna (1999) : Thématiser l'acte d'énonciation , in La
thématisation dans les langues , Actes du colloque de Caen, 9 – 11
octobre 1997, Textes réunis par Claude Guimier, Pet er Lang (Sciences
pour la communication), Berne.

C. Textes de référence :

– Corpus littéraire :

1. Baudouy, Michel-Aimé – Le "onze" de mon village , Ed. G.-T. Rageot,
Paris, 1963.
2. Bodiu, Andrei – Bulevardul Eroilor, Paralela 45, 2005.
3. Duras, Marguerite – Moderato Cantabile , in Duras, Marguerite –
Moderato cantabile suivi de Moderato cantabile et l a presse française,
Editions de Minuit, 1988.
4. Flaubert, Gustave – Salammbô , Oeuvres complètes de Gustave
Flaubert, Louis Conard, 1910.
5. Flaubert, Gustave – Un cœur simple , in Flaubert, Gustave – Trois
contes , Gallimard, Paris, 1973.
6. Ionesco, Eugène – La cantatrice chauve , Folio, 1972.
7. Mazilu Teodor – Pălăria de pe noptier ă, in Frumos e în septembrie la
Vene Ńia , Editura Cartea Româneasc ă, Bucure ști, 1973.
8. Mérimée, Prospère – Mateo Falcone , in Mérimée, Prospère – Colomba
et autres nouvelles , tome I, Le Livre de Poche, 1983.
9. Mérimée, Prospère – La Vénus d’Ille , in Mérimée, Prospère – Colomba
et autres nouvelles , tome I, Le Livre de Poche, 1983.

244 10. Molière, Le Malade imaginaire , Le Livre de Poche, Paris, 1986.
11. Montherlant, Henry de – Le démon du bien , Editions Gallimard,
1937.
12. Montherlant, Henry de – Le maître de Santiago , Editions Gallimard,
1947.
13. Pagnol, Marcel – Topaze , Press Pocket, 1976.
14. Pagnol, Marcel – Fanny , Press Pocket, 1976.
15. Petrescu, Camil – Ultima noapte de dragoste, întâia noapte de
război , Editura Funda Ńiei Culturale Române, 1996.
16. Simenon, Georges – Maigret hésite , Presses de la Cite, Paris, 1969
17. Zola, Emile – La terre , Fasquelle, Paris, 1989.

– Corpus non-littéraire :

a) Guides de conversation :

1. Chamberlain, Alan et Steele, Ross (1985) : Guide pratique de la
communication. 100 actes de communication, 56 dialo gues , Didier FLE,
Paris.

b) Périodiques :

1. DIALOGUE WALLONIE , La revue trimestrielle de la Région wallonne,
numéro 24, décembre 2004.
2. PARIS MATCH , édition électronique, 10 juillet 2002.

245
c) Films :

1. Les tontons flingueurs (1963), film de Georges Lautner.

d) Sources électroniques :

1. http://www.bbc.co.uk/languages/french/20minutes – Episode 3 – Les
copains .
2. http://www.barbizon-france.com/chat/faq.html – l e site de Barbizon,
village des peintres.
3. http://www.fndirp.asso.fr – le site de la Fédéra tion Nationale des
Déportés et Internés Résistants et Patriotes : Le t émoignage de Marie-
Claude Vaillant-Couturier au procès de Nuremberg.
4. http://humour.cote.azur.fr/
5. http://www.limsi.fr/Individu/jbb/dialogues-dessa lles.html – les
dialogues fournis par Jean-Louis Dessalles sur le s ite du Laboratoire
d'Informatique pour la Mécanique et les Sciences de l'Ingénieur, CNRS,
Paris).
6. http://ota.ahds.ac.uk/ – The Oxford Texte Archiv e, section Language –
French : Echantillon de québécois parlé .
7. http://www.wijsneus.org/ – Filosoferen met kinderen, section Dialogues
en français .

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