Cahiers de la recherche en éducation, vol. 3, no 1, 1996, p. 75 à 90 [602670]

Cahiers de la recherche en éducation, vol. 3, no 1, 1996, p. 75 à 90
Les enseignants français devant le nouveau
contexte éducatif de l’orientation
Jean-Luc Mure
Académie de Grenoble
Résumé – Le présent article examine, dans le champ du système scolaire secondaire,
l’engagement des enseignants français dans les actions nouvelles d’aide à l’orientationdes élèves et la formation qui en découle. Il ressort, après étude bibliographique et enquêtemenée dans l’Académie de Grenoble d’une part, que l’évolution du triple contexte de l’orien-tation, institutionnel, sociohistorique et théorique rend nécessaire la formation desenseignants dans ce domaine et, d’autre part, que ces derniers, à travers l’analyse de leursreprésentations, ne sont pas hostiles à cette évolution et sont prêts à être formés.
Introduction
Les premières recherches dans le domaine de l’orientation datent du début
du XXe siècle. L’Américain Parsons définit alors l’orientation comme une «procé-
dure d’appariement entre un individu et un emploi» (Parsons, 1909). Au cours des
années 1920-1930, les progrès de la psychométrie vont donner plus de poids àcette approche scientifique et professionnelle de l’orientation, qui met face à

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face des profils d’individus et des monographies de métiers. Après la Seconde
Guerre mondiale, le mouvement de démocratisation progressive de l’enseigne-ment sera accompagné par une orientation devenue scolaire et professionnelle.
Cette dernière comporte comme composantes principales la psychométrie, l’infor-
mation et, enfin, les procédures et la gestion administrative des flux d’élèves.
Cette première approche de l’orientation, encore très présente dans les repré-
sentations des acteurs du système scolaire comme dans celles des familles, va
évoluer vers une approche plus globale à partir des années soixante. Cette évolu-tion est perceptible dans la définition de l’orientation professionnelle que propose
Reuchlin (1980) : «On s’est vite rendu compte que, de nos jours, l’orientation profes-
sionnelle n’était qu’une partie d’un concept plus large qui, sous le nom d’orienta-tion (en anglais guidance ou counselling ), comprend l’orientation scolaire, l’aide
personnelle aux élèves pour se guider dans la vie en général, l’information profes-
sionnelle et, finalement, les conseils relatifs aux choix d’une profession.» AuxÉtats-Unis, dans les années 1950-1960, des auteurs comme Ginzberg, Ginsburg,
Axerald et Herma (1951) et Super (1957) développent une conception plus globale
et continue de l’orientation. Celle-ci suppose une démarche développementale etdynamique d’où émerge la question de l’éducation.
On peut définir aujourd’hui l’orientation comme l’ensemble des actions
admi nistratives, informatives et psychoéducatives visant à accompagner les indi-
vidus dans la construction et dans la réalisation de leurs projets de formation et
d’insertion sociale et professionnelle.
Si l’on s’intéresse au processus continu d’orientation, et en se centrant sur le
champ du système scolaire du second degré, on constate que l’individu devrait
développer différentes habiletés et attitudes, et acquérir des notions spécifiques
pour mieux se connaître et appréhender l’environnement socioprofessionnel danslequel il va progressivement s’insérer. Il devrait donc être possible d’apprendre
à s’orienter grâce à la mise en place de programmes adéquats à l’école. Ceci inverse
le paradigme de l’orientation – d’orienter à s’orienter – et pose la question de l’éduca-bilité en orientation. Peut-on aider les jeunes, dès leur entrée au collège, et tout
au long de leur scolarité secondaire, à acquérir ces savoirs, savoir-faire et savoir-
être inhérents au processus de construction de projets? Et qui doit s’en charger?
Ainsi, dans un double contexte de mouvance socioéconomique et d’émer-
gence du sujet humain, l’orientation évolue du colloque singulier mené ponc-

Les enseignants français devant le nouveau contexte éducatif … 77
tuellement dans un lieu donné vers un processus continu, progressif et multi-
spatial de construction de projets. Cette évolution entraîne un nécessaire redéploie-ment des temps et des espaces de l’orientation, mais aussi une redistribution et
une redéfinition des rôles de ses différents acteurs. De la famille à l’école puis au
monde professionnel, l’orientation doit permettre à chacun d’intégrer son chemi-nement personnel à son environnement collectif.
Dans ce cadre, la problématique de l’orientation est aujourd’hui celle d’une
approche éducative qui demande la participation de l’ensemble des acteurs dusystème scolaire secondaire et, en particulier, des enseignants. Il apparaît, en effet,
que la fonction et l’identité professionnelle de ces derniers évoluent. Cette évo-
lution est inscrite dans les textes et se traduit progressivement dans les pratiquespédagogiques. Les enseignants interviennent de plus en plus à la périphérie de
leurs propres disciplines à travers des actions de soutien, d’aide méthodologique,
de tutorat, de suivi de groupes de niveau, de modules, d’ateliers. Dans une pers-pective d’aide à l’élaboration des projets scolaires et professionnels de leurs
élèves et dépassant le cadre traditionnel du conseil de classe et du dialogue avec
les familles, les enseignants du secondaire, et notamment ceux de collège, inter-viennent de plus en plus dans la mise en œuvre d’actions éducatives d’orien-
tation, au sein d’équipes complétées du conseiller d’orientation-psychologue.
Cette évolution identitaire touche d’ailleurs les conseillers d’orientation au
même titre que les enseignants. Si, en effet, on peut dire que l’orientation ne leur
a jamais appartenu – l’instituteur et le professeur ont toujours joué un rôle deconseiller et d’informateur en orientation –, ils demeurent les seuls spécialistes
du processus psychosocial de mise en relation soi/environnement et de construc-
tion de projets. Mais la complexité et l’importance de la tâche font qu’aujourd’huiun partage de pouvoir doit être accompli dans le champ de l’orientation éduca-
tive. Dans cette optique, l’enseignant, par ses compétences pédagogiques et didac-
tiques, mènerait un travail collectif d’éducation aux choix des élèves. Le conseiller,pour sa part, verrait son rôle d’accompagnement individualisé de l’élève renforcé
et aurait plus de temps pour cela, déchargé d’une partie de ses tâches d’informa-
teur et de psychopédagogue. Mais, d’autre part, et surtout, il pourrait s’investird’un nouveau rôle, essentiel, celui de véritable ingénieur en projets qui encadre,
voire forme, l’équipe éducative, garant d’une méthodologie, de son suivi et de son
évaluation au plan de l’établissement. Cette double restructuration identitairede l’enseignant et du conseiller représente donc, comme nous l’avons montré par
ailleurs (Mure, 1995), un enjeu fort pour l’avenir de l’orientation en milieu scolaire.

78 Cahiers de la recherche en éducation
Ainsi, dans un contexte éducatif nouveau, des questions apparaissent à
propos du rôle, de la volonté de mettre en œuvre des pratiques pédagogiqueset, enfin, de la formation des enseignants du second degré. Ces derniers, qui sont
quotidiennement confrontés à l’orientation de leurs élèves, doivent-ils et peuvent-
ils contribuer aux actions éducatives d’orientation et sont-ils préparés pour lefaire adéquatement?
Nous tenterons, dans le cadre de cette problématique (Mure, 1996), de répon-
dre dans le présent article à la question suivante : la formation des enseignants
du second degré à l’orientation est-elle d’une part vraiment nécessaire, d’autre
part vraiment possible, et pourquoi? Pour ce faire, nous réunirons des données
dont l’analyse nous permettra de faire apparaître :
–que l’évolution des contextes institutionnel, sociohistorique et théorique de
l’orientation entraîne une situation nouvelle qui exige de former les enseignants;
–que les représentations que ces derniers ont de l’orientation et du rôle qu’ils
doivent jouer dans ce domaine ne constituent pas un obstacle majeur à leurformation.
1.De la nécessité de former les enseignants du second degré à l’orientation
1.1 Méthode
Le recueil des données a été effectué sur le plan législatif à partir du recen-
sement et de l’analyse de contenu des textes et instructions officielles de l’éduca-
tion nationale
1, et sur les plans sociohistorique et théorique à partir d’une recher-
che bibliographique sur l’histoire de l’orientation et sur les théories, méthodes et
travaux nord-américains et européens menés dans le domaine de l’orientation
et en particulier de l’orientation éducative.
1Étude réalisée à partir du Journal officiel et du Bulletin officiel de l’éducation nationale
(BOEN), et portant, d’une part, sur un corpus constitué des principaux textes et instructionsofficielles relatifs à la «préparation éducative de l’orientation et à l’aide à l’élaboration duprojet de l’élève» (1985-1994) et, d’autre part, sur un corpus constitué par les textes officiels
de base relatifs au «rôle des enseignants du second degré dans le domaine de l’orientation»(1960-1993).

Les enseignants français devant le nouveau contexte éducatif … 79
1.2 Des données sociohistoriques
L’histoire du mouvement d’orientation, à travers ses grandes périodes (orien-
tation sociale et familiale jusqu’à la fin du XIXe siècle, orientation professionnelle
jusqu’en 1950 et orientation scolaire et professionnelle puis éducative jusqu’à
nos jours), a été décrite par des auteurs comme Drévillon (1966), Reuchlin (1971),
Latreille (1984), Caroff (1987), Danvers (1988), Maniez et Pernin (1988), Solazzi(1993), Huteau (1993). Tous montrent, à partir de pratiques et de conceptions
complémentaires, comment l’orientation est progressivement devenue continue
et éducative. Cette dernière conception semble répondre à la question actuelle del’aide à l’élaboration des projets des jeunes, dans un monde fait de changements,
de complexité et d’incertitude. L’approche éducative constitue aujourd’hui l’un
des trois axes forts de l’orientation. Elle s’articule de façon à la fois complémen-taire et opposée à une conception d’appariement, ou diagnostique/pronostique,
alliée à une dimension informative et administrative encore prégnante. Elle s’appli-
que, dans le système scolaire secondaire, à tous les niveaux du collège et du lycée.Elle suppose la participation non seulement des spécialistes que sont les conseil-
lers d’orientation, mais aussi des enseignants, et nécessite de les former adéquatement.
1.3 Des données théoriques et éducatives
Dans le cadre de cette nouvelle problématique de l’orientation en milieu
scolaire et de la nécessité de former les enseignants, de nombreux chercheurs nord-
américains et européens nous permettent de souligner, dans le champ des scienceshumaines et sociales, l’évolution théorique vers une approche éducative de l’orien-
tation. Ils convergent pour définir l’orientation comme un concept multiréfé-
rentiel traversé par les domaines de la psychologie, de la sociologie, de l’écono-mie et des sciences de l’éducation.
Les auteurs nord-américains (Ginzberg et al. , 1951; Super, 1957; Tiedeman
et O’Hara, 1963; Rogers, 1968; Pelletier, Noiseux et Bujold, 1974; Young, 1984;Bujold C., 1989; Bujold R., 1990) se sont en effet progressivement intéressés,
depuis les années cinquante, à une approche de plus en plus dynamique et dévelop-
pementale des relations entre la personne et son environnement dans le cadredu processus d’orientation. Dans de nombreux cas, leurs recherches ont abouti
à des modèles méthodologiques eux-mêmes traduits en programmes éducatifs
de préparation à l’orientation des jeunes en milieu scolaire secondaire.

80 Cahiers de la recherche en éducation
En France, les courants de l’approche éducative de l’orientation représentés
par des auteurs comme Reuchlin (1971), Latreille (1980, 1984), Huteau (1985,1993), Rufino (1984), Legrès et Pémartin (1988), Dumora (1990) ou Solazzi (1993)
divergent encore sur de nombreux points. Leurs fondements sont divers (psycho-
logie différentielle, cognitive, développementale, psychosociologie, sciences del’éducation), comme les méthodologies et les outils qui en sont issus (programmes
éducatifs continus, pédagogie de l’information, interventions «massées» et ponc-
tuelles, intervention du conseiller d’orientation seul ou de l’ensemble de l’équipeéducative). Cependant, tout pousse à croire qu’un élément convergent existe :
c’est la nécessité de quitter les seules dimensions d’expertise et d’information de
masse afin de les compléter par un processus éducatif visant à aider la personneà intégrer un certain nombre de données (sur soi, sur l’environnement scolaire et
professionnel, sur la prise de décision) pour construire ses projets de formation
et d’insertion professionnelle.
On peut noter à cet égard que, en France, le courant de l’approche expérien-
tielle et éducative de l’orientation (Latreille, 1980, 1984; Solazzi, 1993), issu de
la psychologie développementale nord-américaine et des travaux européens surla sociologie des métiers (Latreille, 1980), la motivation (Nuttin, 1980) et le projet
(Boutinet, 1990), a apporté des éléments concrets de réponse à la mise en œuvre
dans les établissements scolaires de programmes éducatifs d’orientation (Solazzi,
Defrenne, Fouilloux, François, Gelberger, Lebeau, Mure et Palhec-Petit 1994).
1.4 Des données institutionnelles et législatives
En ce qui concerne l’évolution de l’orientation dans le système éducatif, les
textes officiels ont toujours suivi, avec plus ou moins de décalage dans le temps,
les courants de recherche et de pratique des acteurs de terrain et notamment des
conseillers d’orientation. Ainsi, la dimension appariement/conseil est encoreprésente à côté des dimensions administrative et informative. Cependant, et dans
la même logique, on a pu constater une apparition progressive, depuis le milieu
des années soixante-dix et jusqu’à l’aboutissement provisoire de la Loi d’orien-tation sur l’éducation de juillet 1989 et du Nouveau contrat pour l’école de juin
1994, de la conception éducative de l’orientation. Cette dernière est définie comme
un processus temporel débouchant sur des actions d’aide à l’élaboration des pro-jets des élèves des collèges et lycées. Le texte officiel le plus récent en la matière,
le Nouveau contrat pour l’école, renforce en bien des points la dimension infor-
mative de l’orientation. Mais il propose complémentairement, dans la décision

Les enseignants français devant le nouveau contexte éducatif … 81
48, de mettre en place dans les collèges, à partir de la rentrée 1995, des séquences
périodiques de réflexion sur les métiers et sur l’éducation des choix. Les termesutilisés sont encore peu explicites sur les contenus, les modalités et les acteurs
concernés par cette décision. Celle-ci constitue cependant un cadre pertinent.
Ajoutée aux textes antérieurs – notamment les Programmes et instructionsdes collèges de 1985 et la Loi d’orientation de 1989 –, elle devrait contribuer
à rendre plus cohérentes les actions de préparation à l’orientation destinées
aux élèves de l’enseignement secondaire.
En ce qui concerne la place des enseignants dans le processus d’orientation,
les principaux textes analysés (on citera en particulier les Circulaires du 23 sep-
tembre 1960 et du 21 janvier 1993 relatives à la fonction de professeur principal,l’Annexe B «Orientation» des Programmes et instructions des collèges de 1985,
la Loi d’orientation sur l’éducation de 1989 et le Nouveau contrat pour l’école
de 1994) soulignent une évolution significative du rôle explicite qu’ils doivent
jouer dans ce domaine et donc la nécessité de les former.
L’évolution de ce triple contexte : institutionnel, sociohistorique et théorique
impose aux acteurs du système scolaire secondaire d’apporter des réponses nou-
velles à une problématique nouvelle. Il oblige à former les enseignants à l’orien-
tation et, en particulier, à une approche éducative.
Il convient alors de vérifier si les premiers acteurs concernés, les enseignants,
sont prêts à jouer un rôle dans ce domaine et, en particulier, si leurs représen-
tations de l’orientation ne constituent pas un obstacle à leur formation.
2. De la possibilité de former les enseignants du second degré à l’orientation
2.1 Méthode
Les données recueillies proviennent d’une enquête réalisée en 1993, par
questionnaire, auprès d’un échantillon représentatif d’un millier d’enseignants des
collèges, lycées et lycées professionnels publics de l’Académie de Grenoble
2.
2Afin de constituer un échantillon représentatif de la population des enseignants du secon-
daire public de l’Académie de Grenoble, nous avons dans un premier temps constitué unéchantillon d’établissements, en en retenant environ 20 %, soit 74 sur 359. Pour nous assu-rer de la représentativité de cet échantillon, nous avons respecté leur répartition par type(collège, lycée et lycée professionnel) et, d’autre part, par département (Ardèche, Drôme,

82 Cahiers de la recherche en éducation
Le questionnaire, de type semi-fermé et ainsi accessible à un traitement et à
une exploitation informatique et statistique, a été construit à partir d’une pre-mière enquête d’exploration réalisée auprès d’une trentaine d’enseignants. Il était
composée de 50 questions réparties selon les thèmes de recherche suivants :
identité de l’enseignant et de l’établissement (1-16); définitions de l’orientationet du projet (17-20); engagement, rôle des enseignants et connaissance des textes
sur l’aide à l’orientation et au projet de l’élève (21-28); place, effets, outils et
difficultés des actions d’aide à l’orientation en établissement (29-35); formationinitiale et continue à l’orientation (36-50). Les résultats suivants porteront princi-
palement sur les questions 17 à 35. Sur les 1001 questionnaires envoyés, 483 ont
été remplis par les enseignants concernés et 460 ont pu être traités, soit 46 %.Ils conservent la répartition initiale de l’échantillon (256 questionnaires traités
provenant d’enseignants de collège, 128 de lycée et 76 de lycée professionnel).
Les données ont subi deux types de traitement statistique : un traitement «tri àplat» pour chaque item et un traitement «tri croisé» pour des items préalablement
identifiés avec pour but l’analyse de thèmes spécifiques sur une population
donnée (par exemple les professeurs principaux ayant suivi une formation àl’orientation).
2.2 La population d’enquête
Parmi les 460 enseignants dont nous avons traité le questionnaire, 53 % sont
des femmes. L’âge moyen de l’échantillon est de 45 ans; son ancienneté dans
l’éducation nationale est de 17,5 ans et celle dans l’établissement d’enseignement,
de 7,5 ans. Près de la moitié des enseignants sont des certifiés (45 %), les autresétant principalement professeur d’enseignement général de collège (
PEGC ,
22 %) ou professeur de lycée professionnel ( PLP, 12 %). Leur niveau d’études
est en moyenne Bac + 3 à Bac + 5 (58 %). Les matières qu’ils enseignent se répar-
tissent équitablement entre les lettres, les langues et les sciences humaines et
les sciences.
Isère, Savoie, Haute-Savoie). La base de données fournie par le Rectorat de Grenoble nous
a permis dans un second temps, à partir des effectifs et des pourcentages d’enseignants partype d’établissement et par département, de constituer un échantillon représentatif de sujetsà qui a été envoyé le questionnaire: 1001 enseignants (soit environ 20 % des effectifs acadé-miques) répartis de la façon suivante: 488 dans 47 collèges, 370 dans 15 lycées et 143 dans12 lycées professionnels.

Les enseignants français devant le nouveau contexte éducatif … 83
Enfin, on a pu constater que la fonction de professeur principal est occupée
par une majorité des enseignants interrogés (69 %). On peut l’expliquer soitpar un non-respect de la règle fixée aux chefs d’établissement lors de la répar-
tition des questionnaires, soit par une motivation plus forte de cette catégorie
d’enseignants pour répondre à un questionnaire portant sur l’orientation.
2.3 Résultats
Représentations de l’orientation et du projet – Une forte majorité d’ensei-
gnants définit l’orientation comme un processus d’aide et de conseil (80 %) et le
projet comme un processus de recherche et de mise en relation entre une acti-vité professionnelle et un cursus de formation (87%). Pour 68% d’entre eux,
l’orientation est un processus éducatif visant à accompagner l’élève dans l’éla-
boration de ses projets. Les femmes et les enseignants de collège et de lycée
professionnel constituent une part importante de ce groupe.
Les acteurs qui doivent jouer un rôle important dans l’aide à l’orientation –
Pour les enseignants de l’échantillon considéré, ce sont les professeurs – ceux
occupant la fonction de professeur principal au même titre que les autres (40 %) –,
soutenus activement par les conseillers d’orientation (28 %) et par les parents(27 %) qui doivent prioritairement jouer un rôle actif au cours du processus d’orien-
tation. Ceci souligne la pertinence, aux yeux des intéressés, de l’intervention des
enseignants en la matière, à condition qu’elle se fasse dans le cadre de l’équipeéducative.
Connaissance des principaux textes officiels
3 – Compte tenu du fort taux de
professeurs principaux constituant l’échantillon des enseignants interrogés, onpeut considérer que cette connaissance est relativement faible (en moyenne 36 %
de l’échantillon total, un peu plus chez les professeurs femmes). Les professeurs
principaux connaissent mieux les trois textes présentés. Les professeurs de collège,logiquement, connaissent mieux l’Annexe B «Orientation des programmes des
collèges de 1985» alors que leurs collègues de lycée connaissent mieux la circu-
laire récente (janvier 1993) relative à la fonction de professeur principal. Onpeut émettre deux hypothèses à partir de ces résultats :
3Il s’agissait de l’Annexe B «Orientation» des Programmes et instructions des collèges de
1985, de la Loi d’orientation sur l’éducation de juillet 1989 et de la Circulaire «Professeur
principal» du 21 janvier 1993.

84 Cahiers de la recherche en éducation
–les représentations globalement positives de l’approche éducative de l’orien-
tation et du rôle à jouer dans ce domaine par les enseignants ne semblent pasêtre la conséquence d’une injonction administrative;
–ces textes ou une partie de leur contenu, pourtant très souvent évoqués lors
de réunions d’information, devraient être utilisés d’une autre façon lorsdes actions de formation à l’orientation.
Responsabilité et volonté d’engagement des enseignants dans les actions
d’aide à l’orientation – La très grande majorité des enseignants (77 %) consi-
dère avoir une responsabilité et un rôle à jouer dans l’aide à l’élaboration des
projets de leurs élèves. Une majorité d’entre eux (66 %) est prête à s’investir defaçon plus importante dans des actions d’établissement, en particulier les femmes
et les enseignants faisant fonction de professeur principal. Ainsi les représen-
tations des enseignants et leur volonté de s’impliquer dans des actions d’orienta-tion ne semblent pas constituer des obstacles majeurs à la mise en œuvre de ces
dernières. Il conviendra donc de s’interroger sur d’autres facteurs favorables
ou défavorables (moyens, reconnaissance officielle, formation).
Les actions éducatives d’orientation dans les établissements et la partici-
pation des enseignants – Ces premières occupent une place spécifique dans
les établissements de 53 % des enseignants interrogés, et principalement dansles collèges. En revanche, seulement la moitié de ces enseignants est concrète-
ment impliquée dans les actions, les plus nombreux étant les professeurs de collège.
Connaissance et utilisation de méthodes et/ou d’outils d’aide à l’orientation –
Seulement 33 % des enseignants de notre échantillon disent les connaître (et de
façon plus significative les professeurs de collège – 40 %) et un peu plus de la
moitié d’entre eux (19 %) disent les utiliser (25 % pour les professeurs principaux).
Obstacles principaux à la mise en œuvre d’actions éducatives d’orientation
en établissement – Les trois principaux relevés par les enseignants interrogés
sont le manque de temps (et de moyens), le manque de formation des ensei-gnants et le manque de motivation des élèves.

Les enseignants français devant le nouveau contexte éducatif … 85
2.3.1 Le croisement des principales variables : vers une typologie
des représentations et des comportements des enseignantsvis-à-vis de l’orientation
Nous avons procédé, lors du traitement de l’enquête, au croisement de
certaines variables comme le groupe d’appartenance sexuelle, le type d’établis-sement, la fonction professeur principal ou le statut des enseignants concernés.
Ces trois dernières, que nous présenterons brièvement, nous ont permis de mettre
en évidence des typologies utiles à notre questionnement.
2.3.2 La variable «type d’établissement»
Les données recueillies nous amènent à considérer que les enseignants ont
des comportements et des attitudes qui différent selon leur établissement d’ori-
gine (tableau 1). Nous avons mis en évidence, sous forme d’une typologie, les
différences de représentations et d’attitudes des enseignants devant l’orientation
selon leur établissement qui devraient être prises en compte au cours des actions
de formation qui leur sont destinées. Les enseignants de collège sont en effet plus
sensibles à une approche éducative de l’orientation et plus actifs dans ce domaine
que leurs collègues des lycées professionnels et surtout des lycées. Les représen-tations de ces derniers sont moins cohérentes avec l’évolution de l’orientation
que nous avons précédemment décrite.
Tableau 1 – Représentations de l’orientation, connaissance des textes,
connaissance et utilisation de méthodes et d’outils et place des actions
d’orientation selon le type d’établissement d’exercice des enseignants
(second degré public, Académie de Grenoble)
Professeurs
de collègeProfesseurs
de lycéeProfesseurs
de LP
++ – – ++ – – ++ – –
Place de l’orientation
dans les établissementsConnaissance «outils et méthode»Connaissance des textesType de
représentationéducatif
institutionnel/ appariement

86 Cahiers de la recherche en éducation
2.3.3 La variable «professeur principal»
Comme pour la variable «type d’établissement», celle de «fonction pro-
fesseur principal» permet de souligner des différences significatives relevéesau cours du traitement de notre enquête. Cette typologie (tableau 2) souligne
la nécessité, dans le cadre de l’évolution de l’approche éducative de l’orienta-
tion, de former de façon différenciée les enseignants qui n’occupent pas lafonction de professeur principal. En effet, ces derniers sont également tenus
de contribuer, dans et hors la discipline qu’ils enseignent, à la mise en place
des actions d’aide au projet des élèves.
Tableau 2 – Connaissance des textes et connaissance et utilisation
de méthodes et outils d’orientation selon l’exercice ou non
de la fonction «professeur principal»
(enseignants du second degré public, Académie de Grenoble)
2.3.4 La variable «statut des enseignants»
En croisant (par analyse factorielle) cette variable avec celle des «représen-
tations des enseignants», nous avons pu construire une typologie des représen-tations de l’orientation par catégorie d’enseignants. On constate que, en général,
la population des Certifiés,
PEGC et PLP4 se retrouve dans une catégorie médiane
de type conseil/aide/choix alors que les MA, AE et Agrégés sont attirés par des
types très différents et périphériques : les MA sont très fortement situés dans
le type aide alors que les AE se trouvent dans le type choix et enfin les agrégés
dans le type proposition/conseil.Professeur
principalProfesseur
++ – – ++ – –
Connaissance «outils et méthode»Connaissance des textes
4L es abréviations utilisées signifient: AE adjoint d’enseignement; MA maître-auxiliaire; PEGC
professeur d’enseignement général de collège; PLP professeur de lycée professionnel.

Les enseignants français devant le nouveau contexte éducatif … 87
Il apparaît donc que le facteur statut influe sur les représentations des ensei-
gnants en matière d’orientation. Les agrégés, plus élitistes, ont une approche detype institutionnel, alors que les
PEGC, MA et certains certifiés ont une approche
de type plutôt éducatif. On peut ici émettre l’hypothèse que la formation ini-
tiale a peu d’influence sur les représentations qu’ont les différents enseignantsde l’orientation. Concernant leur formation actuelle dans ce domaine , il convien-
drait alors, d’une part, de différencier l’approche de celle-ci selon le statut des
personnels concernés et, d’autre part, de renforcer l’importance de la formationcontinue afin de compenser les lacunes constatées en formation initiale.
Les résultats de notre enquête menée dans l’Académie de Grenoble montrent
donc que les opinions et les représentations qu’ont les enseignants du seconddegré de l’orientation sont, dans l’ensemble, cohérentes avec l’évolution éduca-
tive constatée et qu’elles ne constituent pas un obstacle à leur participation ni
à leur formation dans ce domaine.
Conclusion
L’orientation en France a longtemps été considérée comme une simple procé-
dure d’appariement individu-emploi destinée aux élèves engagés dans une forma-tion préprofessionnelle. Elle est aujourd’hui multidimensionnelle et se traduit par
un processus éducatif continu d’élaboration et de réalisation de projets qui débute
à l’entrée au collège et se poursuit tout au long de la scolarité des élèves, puis deleur vie sociale et professionnelle. Dans un contexte socioéconomique, à la fois
complexe et incertain, les simples informations ou procédures administratives de
gestion des flux d’élèves, si elles demeurent nécessaires, ne suffisent plus à orien-ter les jeunes. L’orientation devient donc l’affaire de tous et, au sein du système
scolaire, complémentaire aux conseillers d’orientation-psychologues et aux parents,
des enseignants. Ces derniers se voient en effet progressivement confrontés à despratiques pédagogiques nouvelles d’aide à l’élaboration des projets des élèves.
Nous avons, en introduction du présent article, mentionné l’évolution du
triple contexte législatif, sociohistorique et théorique de l’orientation en France.Celui-ci impose aux acteurs du système scolaire, et en particulier aux enseignants,
d’apporter des réponses nouvelles à une problématique nouvelle, de type éducatif,
et nécessite de les former. Nous avons ensuite présenté les résultats d’une enquêtemenée dans l’Académie de Grenoble auprès d’un échantillon d’enseignants

88 Cahiers de la recherche en éducation
du second degré public. Elle nous a conduit à montrer que la formation des
enseignants à l’orientation est possible. En effet, ils sont en majorité prêts à jouer
un nouveau rôle dans ce domaine et leurs représentations ne constituent pas
un obstacle majeur à la mise en place d’une formation, qui pourrait être différen-
ciée en s’appuyant dans sa construction sur les typologies mises en évidence.
Enfin, les enseignants interrogés soulignent que la nécessité et la possibi-
lité de se former supposent la mise en place institutionnelle d’un «Temps scolaire
pour l’orientation» en établissement, et une formation adéquate et suffisante.
Il conviendra donc, dans la suite de cette recherche, de s’interroger sur les
formes concrètes de la formation – initiale et continue – des enseignants français
du second degré à l’orientation, en se demandant, d’une part, si les formes actuellesde cette formation sont adéquates et, d’autre part, quelles en seraient les formes
souhaitables, vis-à-vis des exigences d’une approche éducative?
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90 Cahiers de la recherche en éducation
Abstract – This article examines, in the field of second-level schooling, the commitment by
French teachers to new actions in aiding the guidance of pupils and the ensuing training. Whatemerges, following a bibliographic study and a survey conducted at the Académie de Grenobleon the one hand, is that the evolution of the triple context of guidance – institutional, sociohistoricand theoretical – makes the training of teachers in this area necessary and, on the other hand,that the latter, through the analysis of their representations, are not hostile to this trend and arewilling to be trained.
Resumen – El presente artículo examina, en un campo del sistema escolar secundario, el compromiso
de los docentes franceses en las acciones nuevas de ayuda a la orientación de los alumnos y laformación que de alli se deriva. Después de un estudio bibliográfico y de una investigación llevadaa cabo en la Academia de Grenoble, el artículo hace resaltar que la evolución del triple contextode la orientación, institucional, sociohistórico y teórico, hace necesaria la formación de docentesen ese campo y, por otra parte, que estos últimos a través del análisis de sus representaciones noson hostiles a esta evolución y están listos a ser formados.
Zusammenfassung – Der vorliegende Artikel untersucht, wie sich die französischen
Mittelschullehrer mit der neu eingeführten Berufsberatung innerhalb der Schule befassen undwie sich die Ausbildung dem anpaßt. Anschließend an eine bibliographische Studie und einerinnerhalb der Académie de Grenoble geführten Untersuchung stellt der Autor fest, daß einerseits
die Entwicklung des dreifachen Zusammenhangs zwischen institutionaler, soziohistorischer undtheoretischer Ausrichtung eine spezifische Ausbildung der Lehrer notwendig macht und daßandererseits die Lehrer selbst nicht gegen dieser Entwicklung sind, sondern bereit sind, ausgebildet
zu werden, wie aus ihren eigenen Darstellungen hervorgeht.

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