Raison présente [310995]

Raison présente

Les «post-colonial studies» dans l'aire anglophone

Margaret A. Majumdar

Citer ce document / Cite this document :

Majumdar Margaret A. Les «post-colonial studies» dans l'aire anglophone. In: Raison présente, n°175, 3e trimestre 2010. [anonimizat]-delà du post colonial. pp. 7-17;

doi : https://doi.org/10.3406/raipr.2010.4242

https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_2010_num_175_1_4242

Fichier pdf généré le 17/03/2019

Les postcolonial studies dans l'aire ANGLOPHONE

Margaret A, Majumdar1

cault,tie2Sartre,résàsoitconstanteloppéOr,une1970,cesontembrasseràilvariétécommunémentlaseraitsansisolémentimpliquantFanon,politique,développementLesdesinteractionnouspostcolonialfauxdelapenseursMemmi,disciplinesthéoriedansattardersoitadmissupposerpremierpouravecl'aire.francophonespostcoloniale,Césaire,Nousstudieslàmaissesd'autresque-anglophonedessuslieuoriginesqueaussiGlissant,voientmentionnonsdesmondece.partiesuniversitaireschampquidesdanssoit.leDèsontfrancophoneartistesDerrida,jourpourduled'étudesleinspirémondeiciàdébutseslaetquetravaillantKhatibifinliensdesangloet,selesdesaitylargesoitécrivainsbientropnoms-étéetannéessaxon,eudéve¬Fou¬dansqu'ilpar¬lentser¬unede.

C'est avant tout un mouvement d'idées caractérisé par l'am¬ bivalence. Même les questions de définition posent problème. Le terme « postcolonial » ou « post-colonial » est utilisé dans plu¬ [anonimizat]ès dif¬ férentes. D'[anonimizat] époque historique qui se défi¬ [anonimizat], avec la décolonisation, les indépendances et les forces diasporiques qui s'ensuivent. Dans le domaine théorique, il signifie plutôt un cor¬ pus particulier de théorie critique qui prend comme son objet prin¬ cipal les phénomènes culturels et privilégie les thèmes de l'identité

etnationalistedutransculturalisme,etmodernisteremettant. en question la problématique

A part l'ambiguïté du terme « postcolonial » lui-même, il y a un autre problème terminologique. C'est que le colonialisme en tant que tel signifie essentiellement la conquête physique et le contrô[anonimizat]és ou non par une colo¬ nisation de peuplement. [anonimizat], ne représente qu'une étape particulière d'un processus plus large, c'est-à-dire l'impérialisme, qui, en tant que système économique et politique

7

Raison Pré[anonimizat]écède la pé[anonimizat] décolonisations.3

[anonimizat] même faire mention de tous ceux qui y contri¬ buent. Nous nous bornerons à en retenir quelques grandes lignes. D'abord, nous considérerons la définition même du « postcolo¬ nial ». Ensuite, nous passerons à la question de la reconfiguration de l'espace, élément essentiel de la théorie postcoloniale. Nous ter¬ minerons par une discussion de deux notions qui ont provoqué des débats multiples : l'hybridité et la résistance.

Au cœur des é[anonimizat] y a la notion que le phénomène « colonial » a eu ses effets sur tous les pays concer¬ nés, colonisés aussi bien que colonisateurs ; que ces effets touchent tous les secteurs, même ceux où la présence du « colonial » est insoupçonnée jusqu'ici; et que ces effets persistent après les indé¬ pendances, jusqu'à l'époque actuelle. Plus qu'un système théori¬ que, on dirait que le postcolonialisme est plutôt une approche glo¬ bale, une vision du monde, comportant une problématique particulière, par laquelle le colonialisme est promu au rang de fac¬ teur principal d'explication des processus historiques modernes.

En même temps, le postcolonialisme implique le dépasse¬ ment, la transcendance, du colonial. Cette approche suppose un monde fondé sur un capitalisme globalisé décentré, ou plutôt pluri-centré, où les anciennes divisions de l'époque coloniale ne sont plus valables. Encore plus, l'esprit postcolonial tend à atténuer ou même nier l'existence des oppositions qui datent de l'époque colo¬ niale proprement dite.

On a coutume de dater la naissance des postcolonial stu¬ dies de 1978, année de publication de l'ouvrage séminal d'Edward Saïd sur l'orientalisme4 et il est vrai que ce livre a inspiré la construc¬ tion de ce nouveau champ d'études. Essentiellement, il s'agit d'une démonstration magistrale de la manière dont a été construit tout un appareil fait de connaissances scientifiques et pseudo-scientifi¬ ques sur l'«Orient » et de son instrumentalisation à des fins poli¬ tiques. Inspiré par Foucault, Saïd révèle comment les institutions,

les savants et la matière de ce savoir constituent un support essen¬ tiel du pouvoir colonial. Encore plus, il développe une idée qui

concerneavaitdéjà lesétéeffetsformuléedela pardominationSartreet colonialeMemmientrenon seulementautres,et quisur

les colonisés mais sur les colonisateurs eux-mêmes. Pour Saïd, la définition de l'Orient par les Occidentaux ne peut pas se faire sans

8

Les postcolonial studies dans l'aire anglophone

la définition réciproque et négative de l'Occident par rapport à son Autre.5 C'est cette idée qui donnera toutes ses dimensions nou¬ velles et spécifiques au postcolonialisme, qui traitera désormais non seulement des peuples colonisés en leur qualité de victimes mais tout aussi bien des Occidentaux, qui eux aussi subissent les effets de l'impérialisme, et surtout des rapports entre les deux.

Il y a une deuxième publication qui, elle aussi, a eu un effet de catalyseur dans la naissance des postcolonial studies. C'est le deuxième roman de Salman Rushdie, Les Enfants de minuit , publié en 1981. 6 On ne peut pas exagérer l'importance de ce livre qui a gagné le prestigieux prix littéraire britannique, le Booker Prize, et plus tard l'honneur suprême du Booker des Bookers. Il est clair que ce livre, largement inspiré par le réalisme magique de Gabriel Gar¬ cia Marquez (autre influence majeure sur le postcolonialisme), a changé fondamentalement la donne, d'abord par son succès, qui met fin à la marginalisation de ceux qui jusque-là étaient rangés dans la catégorie peu valorisante de « Commonwealth literature », et ensuite par son sujet. Car ce livre rompt dramatiquement et expli¬ citement avec les préoccupations des écrivains du Commonwealth qui avaient accompagné les luttes anticoloniales nationalistes. Le début de cette histoire se situe juste au moment où sonne l'indépen¬

dance de l'Inde, le 15 août 1947, à minuit, heure qui marque la nais¬ sance de deux cents enfants, dont le roman suit les aventures et péri¬

ples. Ce sont donc effectivement des enfants postcoloniaux.

C'est un événement littéraire, pas le seul évidemment, mais hautement significatif d'une dé-marginalisation, appréciée comme un défi à la hiérarchie canonique des grandes œuvres de la littéra¬ ture anglophone. En effet, l'essor de la littérature des anciens colo¬ nisés est vu comme l'affirmation de toute une génération, qui met en cause l'hégémonie de l'ancienne puissance coloniale. Ce phé¬ nomène est notamment analysé dans un autre ouvrage de première

importanceWritesBack.dans1 l'évolution des postcolonial studies : The Empire

On comprendra que c'est surtout dans le domaine de la cri¬ tique littéraire et, plus généralement, celui des cultural studies , que cette évolution a lieu. D'un côté, les postcolonial cultural studies mettent ensemble de façon positive et profitable des domaines qui jusque-là existaient dans le cloisonnement artificiel et rigide des disciplines universitaires traditionnelles. Il n'y a nul doute que l'ap¬ proche postcoloniale, qui subvertit ces disciplines, mène à la recon¬ naissance des liens effectifs et réciproques qui existent réellement entre la société, la politique, l'histoire, la géographie, l'économie,

9

Raison Présente

la littérature et la culture sous toutes ses formes multiples. De l'au¬ tre côté, on peut distinguer une tendance à privilégier les phéno¬ mènes culturels dans l'étude des sociétés postcoloniales et à négli¬ ger les éléments plus matériels comme les structures et les processus socio-économiques. Le fait que les problématiques retenues par ceux qui travaillent dans les études postcoloniales sont souvent tendanceprochesde. celles du postmodernisme ne fait que renforcer cette

D'ailleurs, un des reproches faits au postcolonialisme est que ses chercheurs délaissent l'étude de la spécificité des sociétés post-indépendantistes pour concentrer leurs recherches sur les rap¬ ports entre ces sociétés et les anciennes puissances coloniales. Si ceux qui prenaient comme objet de recherche les nationalismes anticoloniaux privilégiaient le politique, on peut penser que les chercheurs du 'postcolonial' favorisent par trop le culturel, se rap¬ prochant ainsi paradoxalement des partisans de la thèse de Hun¬ tington du « conflit des civilisations » qui leur serait anathème.8 De toute façon, c'est l'économique qui en souffre, élément de base pour comprendre les problèmes les plus urgents du monde majo¬ ritaire. Cela ne veut pas dire que la théorie postcoloniale n'ait pas apporté de nouvelles perspectives et d'outils ouvrant des pistes de recherches innovatrices, facilitant des analyses originales et stimu¬ lant des idées pertinentes et valables.

Définir un champ d'études comme « postcolonial » sup¬ pose la prééminence du phénomène colonial et donc du rapport entre les pays et les peuples colonisés, d'un côté, et les pays et les peuples colonisateurs, de l'autre. Cela veut dire que les rapports mis en œuvre par le colonialisme continuent de fonctionner, même si les modalités de ce fonctionnement ont changé. Il est évident que la notion de différence, d'altérité reste au cœur de ces rap¬ ports, même si la nature des relations ne restent plus la même. La critique du binarisme caractéristique du colonialisme et de l'anti¬ colonialisme constitue donc un élément essentiel de la théorie post¬ coloniale, mettant en avant la transformation, ou au moins une

etre-colonisésconceptualisation,seconfrontaientdecerapportlesuns deauxforcesautresinégales,comme oùdeuxcolonster¬

mes opposés, en une interaction hybridée entre partenaires qui s'influencent réciproquement. Pourtant, si cette critique signale la

moinsmodificationvraiquedulescaractèretermes dubinairerapportdesrestentrapports,les mêmesiln'en. resteOnn'ar¬pas

rive pas à dépasser le rapport colon/colonisé, bien qu'il soit remis à jour à la sauce postcoloniale.

Les postcolonial studies dans l'aire anglophone

Toute approche postcoloniale suppose une reconfiguration de l'espace. Sous le colonialisme, le pouvoir colonial est concen¬ tré dans le centre métropolitain, d'où il rayonne jusqu'à la péri¬ phérie constituée par les peuples et les pays colonisés. Selon ce modèle, il n'y a pas que le pouvoir strictement politique qui soit concentré de cette manière ; le centre héberge également le foyer du pouvoir de décision économique. Il incarne la science et les connaissances par ses écoles, ses universités, ses laboratoires et ses instituts. Il représente également tout ce qu'il y a de valable et de supérieur sur le plan culturel, sur le plan moral des valeurs humai¬ nes, même sur le plan physique de l'espèce humaine biologique. Le centre abrite tout ce qui est positif, et la périphérie son contraire, tout ce qui est négatif. C'est donc un système de pouvoir et de valeurs fondé sur un binarisme absolu : colons/colonisés, euro¬

péens/orientaux, blancs/noirs, civilisés/barbares, supérieur/infé¬

Même/Prieur,dominateurs/dominés,Autre. oppresseurs/opprimés, nous/eux, le

Si les mouvements nationalistes anticoloniaux s'insurgent contre cette domination, cette révolte se reflète autant dans la théo¬ rie que dans la pratique politique, culturelle et artistique. L'affir¬ mation des identités nationales et ethniques, comme des valeurs culturelles bafouées jusque-là sous la domination coloniale, passe par un renversement de ce système de valeurs. C'est le négatif retourné en positif, la supériorité morale du Tiers Monde par rap¬ port à la décadence de l'Occident, la négritude et le black power primant la supériorité raciale des blancs. Cette transformation, bien que partielle, par la décolonisation de la deuxième moitié du XXe siècle, signalera le début de la fin de la domination du centre avec la création de nouveaux centres de pouvoir à la périphérie, déjà largement acquise dans le monde anglophone par l'évolution des anciennes colonies de peuplement, des Etats-Unis, et des domi¬ nions blanches comme le Canada et l'Australie. Cependant, ce qui sonnera vraiment l'heure du postcolonialisme, c'est l'investisse¬ ment du centre lui-même par les représentants de la périphérie. Sur le plan culturel, cela veut dire les défis portés à l'hégémonie du centre par des processus de subversion, d'appropriation et de transformation de la culture de la part des écrivains et des artis¬ tes, qui réussissent par leur maîtrise de la langue et du patrimoine culturel à la transformer en quelque chose de nouveau, de subver¬ sif, d'hybride qui prend d'assaut les remparts de la citadelle de l'ancienne métropole.

11

Raison Présente

Cette transformation n'implique pas seulement une recon¬ figuration de l'espace géographique, mais aussi de la dimension

revalorisationhistorique,pardudepassénouvellesprécolonialinterprétations.Ils'agitausside l'histoired'un«troisièmeetune

espace ». Cette notion, développée par le critique Homi Bhabha, suppose une reconceptualisation de la dimension culturelle et l'adoption de nouvelles formes de connaissance et de conscience, libérées des anciens rapports coloniaux coercitifs.9 C'est un thème qui préoccupe d'ailleurs la plupart des écrivains postcoloniaux : l'écrivain nigérien, Chinua Achebe, par exemple, ainsi que le romancier et critique kenyen, Ngugi wa Thiong'o, qui tous les deux problématisent les effets culturels, linguistiques et psycholo¬ giques qui perdurent de l'emprise coloniale, proposant des straté¬ gies de libération différentes.10

Dans la théorie postcoloniale, il ne s'agira plus de la subs¬ titution pure et simple d'une culture « authentique » à la culture coloniale hégémonique. Une de ses prémisses essentielles est bien la notion de l'hybridité ou de l'hétérogénéité des cultures dans le monde actuel. Ici, les idées clé du postcolonialisme se rapprochent de la théorisation de la créolité développée par certains penseurs antillais. Parmi les anglophones, il faudrait mentionner notam¬ ment les poètes Kamau Brathwaite et Wilson Harris,11 bien que ces idées sur la créolisation aient été développées aussi par des pen¬ seurs francophones comme Glissant, Bernabé, Chamoiseau et AbdelkebirConfiantet dansKhatibil'œuvre.12 de certains penseurs maghrébins comme

Selon le point de vue postcolonial, tout ce qui évoque le binarisme est anathème, et surtout l'opposition catégorielle des puissances coloniales et des peuples colonisés. Pour Saïd, ce pro¬ cessus d'hybridisation et d'hétérogénéisation est un phénomène qui touchent toutes les cultures depuis le début de l'impérialisme moderne. C'est sur le plan de « l'interdépendance du terrain cul¬ turel » que les différentes cultures, histoires, mythes, visions du monde ont coexisté, et où les batailles pour imposer ces différen¬ tes perspectives les unes aux autres ont été livrées.13 Toutefois, si la globalisation a rassemblé les peuples du monde entier dans un ensemble où ils agissent les uns sur les autres de façon récipro¬ que,14 Saïd reste convaincu, comme Fanon, que ce processus reste intégralement lié à l'impérialisme et subordonné à la division mani¬

chéenneniedespuissancesentre«Nousimpériales»et. « Autres » qui caractérise l'hégémo¬

Les postcolonial studies dans Taire anglop

Or, dans les postcolonial studies il y a une tendance à tre l'accent sur le phénomène de métissage ou d'hybridation, q quefois en négligeant ou même niant la polarisation historiqu fait partie essentielle de l'expérience coloniale. Cette approche faire oublier un peu trop vite les rapports de puissance actuel déterminent la réalité globale économique, politique et mili et qui reproduisent et intensifient dans bien des cas les divis binaires entre ceux qui dominent et ceux qui sont dominés. I même le risque de poser l'hybridité comme une valeur absolue tôt qu'un outil d'analyse, menant dans des cas extrêmes à des ves idéologiques, où la réécriture de l'histoire de la colonisa et de la décolonisation ressemble plutôt à une croisade moral politique pour estomper les oppositions réelles.

Néanmoins, la priorité donnée à l'hybridité dans les p colonial studies reflète une réelle fluidité qui s'est développée le monde actuel à travers les migrations, les voyages, les écha intellectuels et culturels, tout comme les effets interactifs de l' nomie globalisée. Il est aussi vrai que ces travaux rendent t leur importance aux luttes qui ont toujours accompagné la d nation coloniale. Ils révèlent et réévaluent en particulier des cessus de résistance longtemps ignorés ou occultés : l'import des luttes quotidiennes pour la survie, le marronnage, la sub sion de la culture coloniale dominante par des stratégies cré ces, le maintien et l'évolution de cultures alternatives qui ne se nissent ni par le degré d'assimilation à l'hégémonie colonia par sa négation.

Il y a ici des résonances évidentes avec la pensée de sant,15 mais dans l'aire anglophone, ces idées sont développées tout par des intellectuels indiens, qui rejettent, comme les pro de la pensée européenne, la pensée nationaliste et moderniste Jawaharlal Nehru, tout comme l'orthodoxie marxiste. Les comme Ashis Nandy,16 s'inspirent de la pensée syncrétique et ritualiste de Gandhi et surtout de sa critique radicale de la mo nité. Ils reprennent et adaptent ses idées sur les effets psychol ques du colonialisme, tout comme la radicalité subversive d stratégies de lutte qui, au lieu d'une confrontation directe av pouvoir, optent pour une approche plus imaginative qui déc truit les règles du jeu et désoriente l'ennemi. D'autres s'inspi plutôt de Fanon ou de Gramsci. C'est le cas de Ranajit Gu du groupe d'historiens qui s'appelle Subaltern Studies.11 notion du subalterne regroupe tous ceux qui sont exclus de l'e cice réel du pouvoir politique, aussi bien que du contrôle ef

Raison Présente

de leur destin économique, social et culturel, du fait non seule¬ ment de leur classe, mais aussi de leur caste, leur sexe, leur âge, leur origine ethnique etc. — autrement dit, les damnés de la terre. Ils se préoccupent des possibilités de subversion du pouvoir hégé¬ monique, plutôt que de la prise du pouvoir global. Avec Partha Chatterjee,18 ils prennent comme point de départ l'échec de l'in¬ dépendance de l'Inde, qui s'est produite dans des conditions de catastrophe et qui, loin de sceller la renaissance de la nation, voit sa fracture définitive dans la Partition et, comme dans la plupart des pays décolonisés, la substitution d'une élite colonisatrice par une autre élite de dirigeants locaux.

Nous arrivons maintenant à la question de la représenta¬ tion, autre thème caractéristique de la théorie postcoloniale. Pour les théoriciens de la libération nationale, les choses étaient claires : la représentation de la nation était fondamentale à leur vision de la lutte politique et la réappropriation de la voix étouffée des colo¬ nisés une étape essentielle de cette lutte. Pour les critiques postco¬ loniaux, ces questions ne sont plus évidentes ; elles sont devenues problématiques.

Un des problèmes théoriques résulte directement de l'adop¬ tion de l'hybridation comme principe de base de l'organisation des sociétés coloniales et postcoloniales. Le corollaire est de constater l'impossibilité d'une voix indépendante aux colonisés ou même aux anciens colonisés qui sont impliqués dans le tissu de rapports métissés et censés incapables de vivre de manière autonome. Dans ce type d'analyse, ils sont voués non à l'exclusion, mais à l'inclu¬ sion à tout jamais dans ces rapports, où les possibilités de faire entendre leur propre voix sont limitées à l'imitation des idées et des comportements des plus puissants. En fait, l'hybridité postco¬ loniale n'implique nullement l'égalité. Les rapports de force res¬ tent les mêmes, entre possédants et dépossédés, puissants et impuis¬ sants, entre hommes et femmes.

La critique féministe a été développée par l'intervention de Gayatri Chakravorty Spivak dès le quatrième tome de Subaltern Studies. Sur la question de la voix « subalterne », d'ailleurs, un de ses essais a provoqué de vifs débats : c'est non seulement le droit des « subalternes » à la parole qui est en cause, mais sa possibi¬

voudraitlitémême.se19 suiciderSpivak poseensutteecette, question-ellevictime:une veuvedesmœursindienneetdoncqui

des hommes indiens, comme le voulaient les colonisateurs britan¬

niques qui avaient aboli cette pratique ou s'exprime-t-elle de façon autonome, comme le voulaient les défenseurs de la culture authen-

Les postcolonial studies dans Taire anglophone

tique indienne contre l'hégémonie britannique. Un des problèmes est qu'en tant que subalterne, cette veuve est exclue du discours hégémonique. Son statut ne peut être que celui de l'Autre, de l'ob¬ jet du discours. Elle ne peut pas jouir du statut de sujet discursif. En tant qu'objet, elle est vouée à se taire. Pour gagner sa voix, il faudrait qu'elle abandonne son statut de subalterne pour s'asso¬ cier aux élites qui partagent à titre subordonné la culture hégémo¬ nique de la puissance colonisatrice, singeant le discours, le com¬ portement et la culture des maîtres dominants et se privant à tout jamais d'une voix « authentique » sans pour autant accéder à une réelle égalité avec eux.

Or Spivak réfute ses critiques qui disent qu'elle refuse toute possibilité de voix aux subalternes. Il n'en reste pas moins vrai que son propos suppose qu'en prenant la parole, le subalterne ait déjà dépassé son statut de subalterne. La subalterne qui parle, qui devient sujet, n'est plus subalterne. Le corollaire de cette théorie est l'omniprésence, l'omnipotence d'un discours hégémonique qui embrasse et étouffe toutes les possibilités de parole. Avec une telle théorie on ne peut pas expliquer l'émergence de discours dissi¬ dents, dont la possibilité même est exclue.

Pour d'autres critiques, comme Bhabha, l'imitation du dis¬ cours dominant par les dominés peut avoir un effet subversif important, menant parfois à une transformation effective des rap¬ ports entre dominants et dominés, sans changer pour autant leur caractère essentiel.20 Ceux qui cherchent une théorie de résistance efficace seront déçus, car ils ne la trouveront pas dans cette ver¬ sion de la théorie postcoloniale, où les dominés restent piégés dans une variante mise au jour de la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave. Disons que c'est près d'un demi-siècle après Fanon qui considérait déjà cette dialectique dépassée et sans intérêt pour les colonisés qui devaient conquérir leur propre espace autonome.21

Il est vrai que pour les couches les plus mobiles de la société globale, la valeur de l'approche postcoloniale est évidente. Ses thè¬ mes et ses théories correspondent très largement à leur expérience de migrations, de transitions, de flux, tout comme le brassage d'élé¬ ments culturels hétérogènes. Sa pertinence est moins évidente pour les laissés-pour-compte de la globalisation moderne, qui vivent pour la plupart dans un cycle répétitif d'exploitation et de misère, sans mobilité et sans espoir de promotion sociale.

Pour conclure, résumons les étapes de l'évolution des post¬ colonial studies : d'abord, analyse et critique des rapports colo-

15

Raison Présente

niaux et leurs effets sur les produits culturels ; ensuite, correctif de l'hégémonie coloniale par une reconnaissance des phénomènes célébrant le renversement de ces rapports; enfin, critique de la bipolarité de ces deux approches en faveur d'une synthèse des oppositions binaires. De toute façon, il faudrait distinguer le moment postcolonial, qui est certainement voué à disparaître, du champ des postcolonial studies qui peuvent continuer d'étudier leur objet dans une perspective historique. Il reste vrai que ceux qui travaillent dans ce domaine ont apporté de nouvelles analyses et approches théoriques pour éclairer le fonctionnement des sys¬ tèmes et des discours hégémoniques et permettre la déconstruc¬ tion des rapports fondés dans le colonialisme. Ce qui est moins sûr est leur pertinence pour ceux qui cherchent à dépasser effecti¬ vement le colonial. En effet, il ne manque pas de critiques qui réfu¬ tent désormais le rôle du colonialisme comme moteur primordial de l'histoire des peuples colonisés et qui n'acceptent plus de vivre

tout jamais les suites du colonialisme.22 Il est aussi évident que les débats sur l'héritage colonial et la mémoire du colonialisme sont encore vivants et qu'il reste des obstacles à la normalisation des rapports entre anciennes puissances coloniales et colonisés.

1978ofSimonticecal31110Unipire24tonBerghahn,56Nation..Visiting.SurSaid,JHLanguageE.:.VoirIntroduction,P.W&.-françaisAshcroft,.Rushdie,3,SpécialisteMBhabha,Huntington,.SurceMPostcolonial.&2001Said,openMoura,Languagepar.point,Schuster,l'importanceProfessor.Syrotinski,Oxford/Newcitparticulier.exemple;Orientalism.etMidnight'sGTheAfricande.voirdu.ExotismeGriffiths,7,Blackwell,l'histoireTheLocationLiteratures,postcolonial,of39AnglophoneK'FrancophoneNgugiBrathwaite,.etClash.Literature,York,.les.Children,WesternHetMajumdar,de.Oxford,limitationsoflettresTiffin,20071996laRoutledge,CivilizationsCulture,Thiong'o,notammentcolonisationCaribbeanConceptionsJamesJonathanStudies,.History;francophonesThetexts2001,Postcoloniality.deEEmpireRoutledge,.Currey,andcetYoung,London,DecolonisingUniversitéppofandPoetry,ouvrage,duCape,London,.postcolonial15theofWritesthede-the19PostcolonialismVoicela.Remaking1989.London/NewUOrient,.de.voirdécolonisation,FTheBack.Portsmouth,:the.Paris,TheBeaconYoung,theory',French1986Mind:1981Penguin,francophoneTheoryDevelopmentof.2003World..Books,York,AnDimension,TheParagraph,.Royaumeandcit;London,deHistori¬CPolitics.Order,.1994l'Em¬Prac¬.Brit.18of.-

Les postcolonial studies dans l'aire angl

ginationxxiiiParis,don,1312.EJ..1984WBernabé,1989.Saïd,ed;.Selected.ACulture.JP..MChamoiseau.EssaysBundy,andImperialism,ofRoutledge,Wilson&.HarrisConfiant,London,Chatto:The&Eloge1999UnfinishedWindus,.delaLondon,créolité,Genius 19Gaof

Ibid., p. 7.

E. Glissant, Le Discourse antillais (1980), Gallimard, Paris, 1997.

A. Nandy, The Intimate Enemy : Loss and Recovery of Self under C ism, Oxford University Press, New Delhi, 1983.

Subaltern Studies, 1-, Oxford University Press, New Delhi, 1982-.

Voir surtout son Nationalist Thought and the Colonial World (198 The Partha Chatterjee Omnibus, Oxford University Press, New Delh

G.C. Spivak, 'Can the subaltern speak?', dans C. Nelson & L. G (eds), Marxism and the Interpretation of Cultures, University of Illino Urbana/Chicago, 1988.

Sur la question de l'imitation, voir aussi l'écrivain trinidadien, V.S. p.e. The Mimic Men, Penguin, London, 1967.

F. Fanon, Peau noire, masques blancs, Seuil, Paris, 1952.

Cf. Aijaz Ahmed, 'The politics of literary postcoloniality', dans P. (ed), Contemporary Postcolonial Theory : A Reader, Arnold, London pp.276-294.

Similar Posts