Programul de studii: LIMBA ȘI LITERATURA ROMÂNĂ- [305219]

Programul de studii: [anonimizat], ABSOLVENT: [anonimizat]

2018

Programul de studii: [anonimizat]É ET LE MYSTICISME DE LA FEMME AFRICAINE DANS LA POÉSIE DE LÉOPOLD SÉ[anonimizat]: [anonimizat]

2018

DECLARAȚIE PE PROPRIE RĂSPUNDERE

PRIVIND AUTENTICITATEA LUCRĂRII DE LICENȚĂ

Subsemnatul TĂTAR N.I. EMANUELA , legitimat cu C.I. seria MM nr. 734165 , CNP [anonimizat] , absolvent: [anonimizat], [anonimizat], [anonimizat] , promoția 2018 , [anonimizat], cu titlul LA SENSUALITÉ ET LE MYSTICISME DE LA FEMME AFRICAINE DANS LA POÉSIE DE LÉOPOLD SÉ[anonimizat], pe baza cercetărilor mele și pe baza informațiilor obținute din surse care au fost citate în textul lucrării și în bibliografie.

[anonimizat] a convențiilor internaționale privind drepturile de autor.

Declar, [anonimizat] a mai fost prezentată în fața unei alte comisii de examen de licență.

În cazul constatării ulterioare a [anonimizat], respective anularea examenului de licență.

Baia Mare Autor, (Prenume, Nume) Semnătura

Data: ________ Emanuela Tătar __________

Argument

«Dans les dé[anonimizat]é [anonimizat]çaise» Léopold Sédar Senghor

Ce mémoire de licence est partagé en trois chapitres et analyse les aspects concernant l'œuvre, les concepts et les thѐmes introduits dans la littérature francophone par le poѐte sénégalais Léopold Sédar Senghor.

Dans le premier chapitre, Léopold Sédar Senghor, l'histoire d'une vie entre l'Afrique et l'Europe nous avons mis en évidence la vie et l'œuvre de Léopold Sé[anonimizat]ésenté [anonimizat] Négritude et la Francophonie à l'initiation desquels le poѐte a apporté une contribution majeure. Nous avons mentionné aussi les rencontres de Léopold Sédar Senghor avec l'espace roumain. Le deuxième chapitre La sensualité et le mysticisme de la femme africaine dans la poésie de Léopold Sédar Senghor propose l'analyse des multiples visions senghoriennes en ce qui concerne la femme noire et quelques aspects concernant l'[anonimizat] à travers la Négritude et la post-Négritude, l'image de la femme noire dans l'œuvre poetique senghorienne notamment dans le recueil «Chants d'ombre». Nous avons analysé la poésie «Femme noire», le poѐme qui reflète le mieux la vision du poѐte concernant la femme africaine qui représente pour Senghor une source créatrice d'une multitude d'images artistiques et métaphores. Nous proposons pour analyse le poѐme «Nuit de Sine», où nous avons observé la fusion entre le village et l'image de la «femme Afrique» au moment de la nuit tombée et «Élégie pour la reine de Saba», poѐme dédié à l'une des muses de Senghor. Nous avons atteint quelques aspects en ce qui concerne la féminitude de la négritude chez Senghor. Le troisième chapitre, Représentations de l'image de la «femme noire» dans l'art négro-africain met en évidence l'opposition des deux conceptions de la beauté en utilisant deux sculptures célèbres: Vénus de Milo et Vénus de Lespugue et nous avons choisi de présenter aussi deux peintures représentant des femmes noires et leur signification. Dans ce chapitre dédié à l'art, nous avons présenté la sculpture Le Baobab et Le Pomier, hommage à l'homme d'art Senghor, et nous avons mentionné la Fondation Léopold Sédar Sénghor à Dakar, Fondation créée par le poѐte même et qui a un Cénacle européen francophone de poésie, art et lettres.

Léopold Sédar Senghor est un poѐte marqué par la sensibilité et la beauté de l'âme. Il y a une relation profonde entre l'homme d'art et l'Afrique, son pays d'origine qui a gravé sur l'âme de Senghor la magie de la nature, la fascination pour le sacré, pour les figures de la terre, pour le culte des divinités et par-dessus tout, pour la femme africaine. Dans notre mémoire de licence nous avons présenté la grandeur et la splendeur que la femme noire a acquis dans l'univers poétique senghorien et la fusion entre celle-ci et l'Afrique. Nous avons analysé les plus importants poѐmes dans lesquels le thème principal est celui de la femme africaine et nous avons soutenu nos idées à l'aide des vers.

Chapitre I. Léopold Sédar Senghor, l'histoire d'une vie entre l'Afrique et l'Europe

Une jeunesse marquée par la magie de la terre sénégalaise

Celui qui allait apporter la gloire à son pays et à l'Afrique, Léopold Sédar Senghor, est né le 9 Octobre 1906 à Joal, sur la «Petite Côte» du Sénégal. Il provient d'une famille qui appartient à la noblesse. Son prénom Sérère, «Sédar», signifie «qu'on ne peut humilier.» Son prénom catholique, «Léopold», lui a été donné en souvenir de Léopold Angrand, riche commerçant mulâtre, ami de son père. Il a passé son enfance dans une atmosphѐre rustique, patriarcale entouré par le souvenir de ses ancêtres et par les mystѐres de la jungle.

La beauté et la sensibilité de la langue sérѐre, apprise à l'aide de sa mѐre a ouvert encore plus l'intérêt de Senghor pour la poésie. Son oncle, pasteur dans la jungle est celui qui l'a initié aux mystѐres de la nature, au monde africain ancien. Il lui racontait des histoires étonnantes sur l'appel de la terre et des ancêtres, sur les mœurs des bêtes sauvages et sur la marche des étoiles. Le poѐte est vu comme un grand mystique et un religieux. Il a reçu une éducation religieuse de la part des missionnaires français et par conséquent sa vie entière, fut marquée, par le travail, la méthode, la discipline, l'organisation, la ponctualité et le sens des convenances. Cette éducation religieuse accompagnée par l'amour vers la poѐsie, ont constitué deux vocations importantes pour Senghor: «J'avais une forte inclination pour deux métiers: ceux de prêtre et de professeur. Finalement, à la fin de mes études primaires, j'ai choisi de ne pas choisir: j'ai décidé d'être, en même temps, prêtre et professeur.»

Les années de la jeunesse ont gravé dans son âme la magie des danses et des chansons sacres. Le culte des divinités, des figures de la terre, les liaisons avec l'esprit des morts l'ont fasciné. À sept ans il commence à apprendre la langue française à l'École de la Mission catholique de Joal, langue dans laquelle ultérieurement il allait composer son œuvre impressionnante. Il poursuit ses études au Collѐge Libermann puis au lycée de Dakar où il a obtenu son baccalauréat; il bénéficie d'une bourse qui lui permet de fréquenter le lycée Louis-le-Grand à Paris. Senghor fait connaissance avec l'espace et la culture européenne face auxquels ils manifeste un grand intérêt. À Sorbone, il prépare sa licence en lettres en choisissant comme thѐme «L'Exotisme de Baudelaire» et en 1935 Léopold Sédar Senghor est le premier Africain qui devient «agrégé de grammaire.»

Ainsi, l'âme de l'auteur des «poѐmes africains» éprouve un moment trѐs important où, à la fascination de la vieille Afrique, vient se greffer sur la culture du passé et celle de l'Europe moderne. C'est l'époque où il rencontre Damas, poète, écrivain et homme politique français, cofondateur du mouvement de la Négritude et Césaire, écrivain et homme politique français, à la fois poète, dramaturge, essayiste, et biographe, fondateur et représentant majeur du mouvement littéraire de la Négritude. Une rencontre avec l'homme politique français Georges Pompidou reste pour Senghor comme une ouverture d'esprit pour l'espace de la culture. Senghor avoue que Georges Pompidou a eu une influence prépondérante sur lui. C'est lui qui l'a converti au Socialisme, qui l'a fait aimer Barrès, Proust, Gide, Baudelaire, Rimbaud, qui lui a donné le goût de Paris, du théâtre et des musées. Il affirme: «Si je suis devenu curieux des hommes et des idées, si je suis devenu écrivain et amateur d'art, si je reste un ami de la France, je le dois, essentiellement, à mes anciens camarades de Louis-le-Grand.»

Senghor obtient avant la Seconde Guerre Mondiale le titre d'enseignant au Lycée Descartes à Tours puis au Lycée Marcelin Berthelot de Saint-Maur-des-Fossés. Dix ans plus tard, il est professeur titulaire à l'École Nationale de la France d'Outre-Mer et enseigne les langues et les civilisations africaines. En ce moment là son premier recueil de poѐmes apparaît en 1945 sous le titre «Chants d'ombre.» Senghor y présente son Royaume d'Enfance, un royaume perdu mais reconstruit par le poѐte à travers l'amour pour son Afrique, par l'écriture et par l'effervescence de la Négritude. Senghor commence aussi une carriѐre politique, il est nommé grammairien et juriste, chargé de la révision du texte de la nouvelle Constitution de la République Française. Il est élu député du Sénégal à l'Assemblée Constituante. Grâce au fait qu'il soit en connexion permanente avec son pays d'origine, il connaît de prѐs la vie et les aspirations de ses frѐres noirs, il soutient leur lutte, il les encourage. Il est ensuite élu en 1955 secrétaire d'État à la présidence du Conseil avant de devenir en 1960 le premier Président de la République du Sénégal.

En 1948 Senghor publie son deuxiѐme recueil intitulé «Hosties Noires». Les poésies de ce recueil présentent les offrandes des Noirs, à côté des Blancs, pour le salut de l'humanité. C'est un hommage aux tirailleurs sénѐgalais. Il paraît également son «Anthologie de la nouvelle poésie nѐgre et malgache de la langue française» qui est «l'acte de naissance de la littérature africaine moderne.» Cette anthologie est précédée d'un avant-propos intitulé «Orphée Noir», écrit par Jean-Paul Sartre. C'est un texte à la fois lyrique et philosophique dans lequel Sartre affirme que «la Négritude, triomphe du Narcissisme et suicide de Narcisse.» Dans ce texte, Sartre encourage ses frères de race d'être plus vigilants et de continuer le combat pour leur affirmation sous les yeux des Blancs qui les gardait en esclavage pendant plus de cinq siècles.

En 1958 paraît les «Éthiopiques», le troisiѐme recueil de poѐmes écrits avec le même amour concernant les peuples d'Afrique. En 1961 l'œuvre de Senghor s'enrichit avec une nouvelle collection de poѐmes: «Nocturnes.» Il est également l'année dans laquelle l'auteur est porté à la Sorbonne comme «doctor honoris causa», grade universitaire accordé à titre honorifique. Docteur honoris causa de nombreuses universités, membre de l'Institut de France, il est élu à l'Académie Française le 2 juin 1983.

Senghor a été le «porte-parole d'une culture qui depuis des siècles n'a que le droit de se taire et il a combattu toute sa vie pour le métissage culturel, non pas dans l'oubli des identités de chaque peuple, mais au contraire dans leur confrontation féconde et leur enrichissement mutuel.» Même si les intellectuels africains ne l'ont pas agréé, Senghor a toujours cherché à discuter, à expliquer et à échanger, il a essayé de créer un monde de paix par le dialogue, il a toujours rêvé à la civilisation de l'Universel.

Il a traversé le dernier siѐcle de bout en bout: qu'on juge le chemin parcouru, entre les deux guerres, par cet enfant de Joal, né sur la «Petite Côte», au sud de Dakar, jusqu'au lycée Louis-le Grand, où il prépare avec Georges Pompidou l'École Normale Supérieure, puis l'agrégation de grammaire, qu'il est le premier Noir à réussir. Les liens tissés au quartier Latin seront profonds, comme en témoignent ces mots que lui écrit Pompidou aprѐs son élection: «Mon cher Ghor, je suis élu, la bataille a été rude. J'évoque avec la nostalgie le lycée Louis-le Grand: nous voici tous deux chefs d'État, quel étrange destin.»

Dѐs ses années d'étudiant à Paris, Senghor combat pour la reconnaissance des Noirs dans une société française colonialiste et souvent raciste. Inventeur de la «Négritude», il en fera une arme pour l'émancipation des peuples africains, convaincu que seules la fierté et la maîtrise de son identité donnent à l'homme prise sur son destin.

«Senghor nous a quittés le 20 décembre 2001, à l'aube du XXIѐ siѐcle. Le hasard a voulu que sa mort sourvienne dans une période cruciale de l'histoire de l'humanité, à l'heure où sa pensée devient plus que jamais actuelle.» Il nous a aidé à comprendre notre époque et il nous a encouragé à lutter pour un monde plus humaine et dominé par la culture. En s'appuyant sur sa capacité de changer le monde, Senghor nous montre que le poѐte peut organiser une œuvre intelligible, il peut transmettre des messages clés pour changer des conceptions. Le journaliste Hervé Bourges affirme que: «La complexité des phénomѐnes impose que quelques voix claires s'élѐvent, qui renouent les fils de nos existences. Par sa conscience historique et par son verbe, Léopold Sédar Senghor est l'une de ces voix exemplaires.»

Poѐte engagé, grammairien, Homme d'État et de culture, Léopold Sédar Senghor, nous pouvons dire, qu'il est à la fois Africain, Français et Noir. L'étude de l'œuvre de Senghor a un rôle remacable, parce qu'il était «un penseur d'une grande envergure» comme l'avoue le philosophe Mudimbe: «A suivre Senghor, même lorsqu'on refuse certaines de ses démontrations, l'on admet que cet homme a l'art de réfléchir en avant et de réunir tendances et systѐmes. Et pour l'honneur de la Négritude, l'on se remémore Kant qui disait: penser c'est réunir.»

L'œuvre de Léopold Sédar Senghor comme témoignage du métissage culturel

Léopold Sédar Senghor se trouve parmi les écrivains du siѐcle qui ont mêlé leur talent littéraire avec l'activité politique. L'amour ardent pour la civilisation africaine trouve son refuge dans la grandieuse œuvre poétique, mais aussi dans ses écritures sociales et politiques, dans les essais philosophiques et culturels, économiques et celles de développement spirituel.

L'œuvre de Senghor a été traduite dans plusieurs langues européennes et pas seulement. Nous pouvons mentionner quelques titres: Chants d'ombre, Hosties Noires, Ethiopiques, Nocturnes, Lettres d'hivernage, Élégies majeures, en ajoutant que l'essayiste Senghor a les mêmes racines comme le poѐte Senghor, c'est-à-dire l'ancienne Afrique qui a contribué à la civilisation de l'humanité. Senghor a consacré cette chose dans les études Ce que l'homme noir apporte (1939), L' Afrique noire (1947), Contribution négro-africaine à la civilisation mondiale (1953), L'apport de la poésie négre (1953), Esthétique négro-africaine (1956).

L'auteur classe ses essais en 5 volumes: Liberté I – Négritude et humanisme, Liberté II – Nation et la voie africaine du socialisme, Liberté III – Négritude et Civilisation de l'Universel, Liberté IV – Socialisme africain et démocratique, Liberté V – Négritude et dialogue des Cultures.

Senghor est une âme sensible et chaude, il possѐde une remarquable capacité oratorique et une logique impressionante dans le discours. Parmi ces qualités, nous citons les études de Philosophie Classique qu'il a suivies à la Sorbonne, l'étude d'Aristote, de Platon, de Goethe, de Hegel, de Marx, de Bergson, de Heidegger et – pas le dernier, son professeur d'anthropologie de l' Institut d'Ethnologie de Paris, Paul Rivet.

Senghor exprime dans ses poѐsies aussi bien l'amour, voir l'érotisme que la solitude de l'exilé (Chants d'ombre), «Libération»: «Les torents de mon sang sifflaient le long des berges de ma cellule./ C'était pendant mes nuits et des jours plus solitaires que la niut.», la sérénité et les angoisses de l'homme parvenu au soir de sa vie (Lettres d'hivernage, Elégies majeures): «Et le sursaut soudain»: «Or voici les cendres amѐres de mon cœur, comme une fleur séchée./ Toi seule peux me sauver mon espoir, et ta présence/ Toi mon présent, mon indicatif mon imperfectif / Toi ma parfaite, non tes lettres, tes lѐvres soleil de l'éternel été./ Et je t'attends dans l'attente, pour ressusciter la mort» ou encore la dénonciation de l'Occident, en Hosties noires. «Luxembourg 1939»: «Ce Luxembourg où je ne retrouve plus ma jeunesse, les années fraîches comme des pelouses./ Je ne reconnais plus ce Luxembourg, ces soldats qui montent la garde./ Je vois tomber les feuilles dans les faux abris, dans les fosses dans les tranchées/ Où ruisselle le sang d'une génération/ L'Europe qui enterre le lavain des nations et l'espoir des races nouvelles.»

Nous pouvons trouver partout dans l'œuvre de Senghor le souvenir de son enfance. Sa conception sur le monde est inspirée par son enfance. Puisque l'enfance de l'écrivain a été le moment de son immersion dans un univers naturel et culturel complexe, dont les valeurs le marquѐrent à jamais. Senghor avoue que: «La moitié de mes poѐmes m'ont été inspirés par deux cantons, celui de Joal, où je suis né, et celui de Fimla, prѐs de Dyilôr, où j'ai passé mon enfance.» Senghor s'inspire dans la rédaction de son œuvre des rythmes traditionnels africains. «Dans mes poèmes, je parle souvent du Royaume d'enfance. C'était un royaume d'innocence et de bonheur: il n'y avait pas de frontières entre les Morts et les Vivants, entre la réalité et la fiction, entre le présent, le passé et l'avenir», précise-t-il.

La racine sénégalaise tient en deux mots: la naissance et la petite enfance. La structure sociale du royaume de Sine, où se situent Joal et Fimla, est héritée de l'histoire des Sérѐres, communauté qui s'est emménagée tardivement dans cette région, aprѐs avoir abandonné l'ancien royaume du Gabou.

Le souvenir de l'enfance marque une grande partie de l'œuvre de Senghor. C'est une enfance rurale à la fois, qui exprime l'idée de «vivre cette terre.» C'est-à-dire ne pas changer la purité de la «Nature» (majuscule, la Nature comme processus de vie, comme processus de création pemanente), faire vivre la terre et vivre par elle, faire sentir une liaison entre soi-même et la terre, vue comme un espace matriciel. Parfois, nous pouvons observer dans les poѐmes nѐgres une personnification de la Nature, elle est associée à la femme. «La Nature est maternelle, protectrice, nourriciѐre, représentante de la fertilité, elle y est reine, mais parce qu'elle est mêlée par les mythes à l'histoire d'un peuple et à ses racines, elle y pose avec ses lois propres d'autres valeurs premiѐres: le courage, l'honneur, la fidélité.»

Le poѐte est assez discret en ce qui concerne ses sentiments. Il a de nombreux poѐmes dans lesquels il fait un éloge à la femme; «la femme est un tremplin d'où Senghor exalte son africanité et son universalisme.» Elle, la muse du poѐte est décrite avec sensualité. Nous pouvons indiquer quelques titres comme: Femme noire, «Femme nue, femme noire/ Vêtu de ta couler qui est vie, de ta forme qui est beauté!/ J'ai grandi à ton ombre; la douceur de tes mains bandait mes yeux./ Femme nue, femme obscure / Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche/ Femme nue, femme noire/ Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Eternel», Nuit de sine, «Femme, pose sur mon front tes mains balsamiques, tes mains douces plus que fourrure», Pour Emma Payelleville l'infirmiѐre, «Tes yeux, le mystѐre lourd des corps noirs./ Tes yeux pour leurs yeux transparents de pure eau / Tes mains, sous la douceur charnelle des corps noirs/», Femmes de France, (à mademoiselle Jacqueline Cahour): «Femmes de France, et vous filles d'Europe/ Laissez-moi vous chanter! Que pour vous soient les notes claires du sorong.»

Senghor accorde une remarquable attention aux sons. Cette caractéristique a ses racines dans les chansons qui ont accompagné l'enfance du poѐte où la poésie traditionnelle orale a fasciné son âme «dans une tradition qui ne sépare pas la musique instrumentale et la musique des mots: les poѐmes sont tam-tams.» Il y a quelques instruments que Senghor évoque dans ses poémes Nocturnes, parmi lesquels «kôra»: harpe-luth d'Afrique de l'Ouest au son délicat et profond, «khalam»: instrument traditionnel de l'élegie dans l'Ouest africain, sorte de guitare à quatre cordes, «tama», c'est un instrument de percussion de la famille des membranophones originaire d'Afrique de l'Ouest, «gorong»: tam-tam court avec un timbre grave, «tam-tam»: tambour africain fabriqué en bois. «J'étais assis sur la prose d'un banc, le soir./ Les heures de garde s'alignaient devant moi, comme sur une route la monotonie des poteaux./ Quand j'ai senti sur ma joue tiѐde les rayons mordorés de ton visage.» Chants pour Signare, pour khalam.

L'instrument musical indiqué le plus souvent par le poéte est le tam-tam. «Le tam-tam est la voix profonde d'Afrique, le cri de sa vie, le son qui attriste, anime, déchaîne l'onde sonore du tam-tam est beaucoup plus qu'un mouvement vibratoire, c'est une force née de la nuit et de la terre, de la jungle et de l'eau, pour les vivants et pour les morts, et qui se fait entendre à la chasse aussi bien qu'au rituel de noces.» Le tam-tam africain est perçu comme la condition sine-qua-non de toutes les formes d'expressions de l'art et du culte, et le poѐte sénégalais qui est doué de la capacité d'être attentif aux «miliers de bruits et de murmures, distingue physiquement le tam-tam de la rive adverse du tam-tam brumeux des mortiers, tout-là bas, ainsi que le nébuleux tam-tam des cœurs; quand il dit mon cœur est un tam-tam détendu et sans lune.»

La poѐsie de Senghor est souvent associée au «rythme» et à la «musique». Ces sont les éléments qui donnent à la poѐtique nѐgre l'émotion, les nuances, intensifiant les sentiments. Nous pouvons dire que pour le poѐte, le rythme occupe une place principale: «La qualité essentielle du style poѐtique nѐgre est le rythme – la mélodie y tient une place secondaire, mais pas insignifiante. Plus souvent que la rime, l'assonance, trѐs librement. Le rythme, est l'élément vital du language: il en est la condition premiѐre, et le signe.» Le rythme montre que la plupart des poѐmes sont destinés à être chantés ou déclamés. Le rythme, est comme le vers, c'est-à-dire libre, mais la différence est que le premier doit être en tandem avec l'émotion. Les continuelles reprises peuvent constituer à la fois une impression de monotonie, mais la reprise n'est pas synonyme ni avec le redire ni avec la répétition. «Le mot est repris avec une variante, à une autre place, dans un autre groupe. Il prend un autre accent, une autre intonation, un autre timbre. L'effet d'ensemble est intensifié – non sans nuance.»

Senghor chante dans ses poѐmes la beauté de l'âme de ses frѐres noirs et il poursuit sa lutte pour leur affirmation, par exemple «Le Retour du fils prodigue» et «Drama Chanka» sont parmi les poѐmes qui révѐlent une Afrique captive, crucifiée, qui aspire douloureusement à la liberté. Il y a aussi des poѐmes où le poѐte dénonce la guerre: «Aux tirailleurs sénégalais morts pour la France», «Écoutez-nous, Morts étendus dans l'eau au profond des plaines du Nord et de l'Est/ Recevez le salut de vos camarades noirs, Tirailleurs sénégalais.», «Désespoir d'un volontaire libre», «Camp 1940», et des thѐmes sociaux qui sont débattus dans «Poѐme liminaire», «Le Congo», «Oho ! Congo couché dans ton lit de forêts, reine sur l'Afrique domptée/ Que les phallus des monts portent haut ton pavillon/ Car tu es femme par ma tête par ma langue, car tu es femme par mon ventre/ Mère de toutes choses qui ont narines, des crocodiles des hippopotames/ Lamantins, iguanes, poissons, oiseaux, mère des crues nourrice des moissons.», «A New York», «Priѐre de paix» et la boulversante «Lettre à la mѐre.»

Senghor est le poéte d'une fascinante œuvre qui comporte une atmosphѐre de mythe et de religion mais qui garde une tonalité païenne, une poétique d'un remarquable exotisme, poésie où rѐgnent l'âme et l'esprit. Nous pouvons dire que dans ses poѐmes, les éléments qui composent la nature, sont animés: les arbres et le vent, le ciel et le sable du désert, les pierres et l'eau, les nuages, l'océan. Les ancêtres morts sont présents dans les actions quotidiennes: ils sont inclus au flux éternel, ils accompagnent les vivants dans leur sommeil, mais aussi dans leur travail. Le masque, dans ses multiples formes, symbolisent ceux qui n'ont pas de corps; les vivants se cachent derrière lui, le couvrent de louanges, invoquent l'invisible.

Comme style de rédiger son œuvre, Senghor nous propose une formule poétique qui n'est pas trѐs souvent utilisée: c'est le verset biblique, de large respiration, riche d'idées, donnant l'impression d'ode ou d'hymne. En lisant l'œuvre de Senghor, nous découvrons l'utilisation de plusieurs thѐmes. Parmi lesquels: le royaume d'enfance, la femme, le syncrétisme religieux, la civilisation de l'universel, la fonction du poète, la mort. Dans ses poѐmes il utilise un vocabulaire profane et religieux: hosties, pangoles, Tantum Ergo, «Je me rappelle les voix païennes rythmant le Tantum Ergo/ Et les proccessions et les palmes et les arcs de triomphe»; un lexique exotique, inhabituel qu'on trouve dans la réalité africaine: Dyâli, tyédo, signares, quelques figures de style comme: la personnification, l'allégorie, dans la représentation de l'Afrique: «est-ce là ton message, Afrique?», l'anaphore: «femme noire.»

Les «mots-clés», comme les nomme Armand Guilbert, ou les «mots-ciment», comme dit Senghor, sont pris de la nature: «l'eau» qui est purificatrice, fraîche, glisse parmi les herbes, brille sur les feuilles; «le vent» qui souffle calme, puis agité, fait trembler de frayeur les roses, ensuite s'apaiser: «Toi Vent ardent Vent pur, Vent-de-belle-saison, brûle toute fleur toute pensée vaine…»; «le soleil», maléfique, blanc, lance sur la terre la torpeur, mais libѐre les esprits; «la nuit», tendre comme une femme aimante apporte la détente, la paix, la joie. C'est sont des mots inspirés de la nature africaine, mais Senghor ajoute aussi des mots qui décrivent le corps harmonieux de l'être nѐgre, les corps des champions des jeux rituels, le corps sensuel et séduisant de la figure mystérieuse, féminine, qui a les lѐvres au parfum de fruit, les cheveux noirs, des formes voluptueuses, «Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l'éclair d'un aigle./ Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche.» Le mot sang représente pour le poѐte sénégalais le symbole de la vie universelle, «mon sang fidѐle qui requiert fidélité.» Il y a aussi d'autre mots employés souvent, comme: «les yeux», souffrants, dormants, troubles «les yeux battus de mon esprit», «tes yeux troubles – et j'y distingue, à travers la vitre embuée, le paysage d'outre-océan de nos hiers»; «les paupiѐres», «ses paupiѐres comme le crépuscule rapide et ses yeux vastes qui s'emplissent de nuit»; «la vois», «la parole», «le cri», «le cri sauvage du Soleil levant qui fait tressaillir la terre.»

Les mots: Esprits, Aïeux, Morts, Ancêtres, Parents, donnent l'impression de surnaturel, rappellent la présence de ceux qui ne vivent plus mais qui reviennent par l'esprit. «Auras-tu oublié ta noblesse, qui est de chanter/ Les Ancêtres, les Princes, les Dieux, qui ne sont fleurs ni gouttes de rosée?/ Tu devais offrir aux Esprits les fruits blancs de ton jardin.»

L'œuvre poétique senghorienne est un mélange entre le travail, l'imagination du poѐte et le mystѐre. Nous observons des informations ambiguës, mystérieuses qui découlent de l'histoire du poѐte et de celle du monde dont il s'inspire. Senghor est l'homme trouvé au carrefour de l'Afrique et de l'Europe, de la réflexion philosophique, de la sensibilité et de la pensée politique. «Les Dieux nous donnent le premier vers, c'est à nous de faire le reste» dit Valéry; Senghor adopte comme source d'inspiration des images bibliques, l'histoire de l'Afrique, œuvres des philosophes allemands, des poѐtes français, des figures historiques ou mythiques de la Reine de Saba (élégie qui chante la naissance du désir pour la femme éthiopienne et présente ensuite sa satisfaction dans un acte amoureux qui conduit à la plénitude du sujet; la figure de la reine, noire et sensuelle représente l'Afrique Noire), et du Chaka (éloge à la lutte de deux meneurs d'hommes, dédié aux Martyrs bantous de l'Afrique du Sud; Chaka est une méditation poétique sur la libération de l'Afrique; poème dramatique par son sujet, composé des partitions «dialoguées» comme le texte théâtral et ayant pour thѐme la mort d'un héros.) Senghor s'inspire aussi de ses expériences de l'enfance, de ses amours juvéniles, de la lecture de Platon, des œuvres des poѐtes et des philosophes de l'Occident, de la présence de son épouse et celle du paysage normand (dans la deuxiѐme partie de son œuvre), le paysage social de la France.

Toutes ces expériences expliquent la présence des traditions, des rites, la présence des particularités qui définissent son pays d'origine, mais toutefois demeure remarquable la touche personnelle, l'originalité et la sensibilité propre; «l'œuvre de Senghor est ouvertement autobiographique, offrande lumineuse d'un homme à son pays, de son pays à un poѐte.»

Léopold Sédar Senghor et la naîssance du concept de «Négritude»

Le mouvement «La Négritude» initié et organisé par le trio d'intellectuels nѐgres Senghor, Damas et Césaire, à la fin des années 1930 est «un ensemble de valeurs culturelles appartenant aux civilisations nѐgres et la modalité dont elles s'expriment dans la vie, dans les institutions et dans les œuvres des peuples noirs.» «La Négritude» désigne: une certaine attitude de l'homme noir face à son destin, la revendication d'une culture, d'une histoire et d'une identité propre. Les colons occidentaux ont considéré que le peuple noir n'a pas de culture, ni d'histoire et qu'il est nécessaire, pour devenir éduqué, qu'il assimile les valeurs de la culture occidentale. Senghor et Aimée Césaire sont les promoteurs du mouvement de la Négritude, dont ils vont faire le nécessaire pour éluder ces perceptions, l'un suivant une voie littéraire et l'autre plutôt politique. «La Négritude» fut un concept révolutionnaire. C'était la revendication d'une reconnaissance égale des deux traditions culturelles. C'est un mouvement culturel, poétique et politique. Ce concept qui, en 1930, était en révolte devant l'irrévérence dans laquelle les Nations occidentales maîtrisent le monde noir. La réalité de la civilisation négro-africaine a été relevée par les poѐtes et par les hommes de culture de la Négritude; ils se mirent à démontrer les valeurs, défendues par les africanistes les plus connus de l'époque, M. Delafosse, R. Delavignette, M. Griaule, Th. Monod le Pѐre Aupiais et surtout l'allemand Léo Frobenius. Leurs études jointes aboutirent à la proclamation d'une idée-force qui exigeait l'acceptation de la spécificité noire et du droit à une différence constitutive d'une personnalité individuelle et collective originale: «la Négritude, c'est l'ensemble des valeurs culturelles du monde noir, telles qu'elles s'expriment dans la vie, les institutions et les œuvres des Noirs. Je dis que c'est là une réalité: un nœud de réalités.» Les apports de la culture française conduisent vers «une fécondation intellectuelle, une greffe spirituelle, une assimilation qui permette l'association», il ne fallait pas se laisser assimiler. La politique d'assimilation du systѐme colonial était appellée à disparaître: «assimiler et non être assimilés» avisait Senghor qui ne désirait pas faire du nѐgre «une copie du blanc» fut-il français. Le systѐme colonial était de ce fait lui-même condamné: «la colonisation, fait historique» n'est pas mission civilisatrice, mais «contact entre deux civilisations; la définition la meilleure du problѐme» ajoutait-il. Senghor soutient l'idée qu'il y a deux raisons pour lesquelles la culture et l'histoire et la civilisation africaine ont été oubliées. La premiѐre cause est l'esclavage et le colonialisme en Afrique et la deuxiѐme est qu'il n'y a pas d'écrits pour l'essentiel c'est-à-dire qu'il y a une culture africaine de tradition orale. L'homme n'est pas un «sauvage» mais un être civilisé, c'est justement le colon qui a eu une attitude sauvage et irrespectueuse lors de la colonisation.

Pour Senghor, le concept est équivalent avec une culture, avec un ensemble des valeurs morales, politiques, économiques, intellectuelles, artistiques et sociales des peuples d'Afrique et des minorités noires d'Amérique, d'Asie, d'Europe et d'Océanie. Pour lui, c'est un fait. Nous pouvons dire que Senghor cherche dans le concept de Négritude une façon de mieux comprendre le monde. «Le Négre a les sens ouverts à tous les contacts, voire aux sollicitations les plus légѐres. Il sent avant que de voir, il réagit immédiatement au contact de l'objet, aux ondes qu'émettent l'invisible. C'est sa puissance d'émotion, par quoi il prend connaissance de l'objet. Le Blanc européen tient l'objet à distance, il le regarde, l'analyse, le tue – du moins le dompte – pour l'utiliser.» Senghor avoue que le Négro-Africain sent l'objet d'une autre façon, il remarque les ondes et les contours, il est capable de le connaître profondément par l'assimilation. «La raison – étreinte du Nѐgre, par-delà le visible, va jusqu'à la sous-réalité de l'objet, pour, au-delà du signe, en saisir le sens.»

Senghor a souvent affirmé que le choix du mot «Négritude» revient à Aimé Césaire mais ils ont composé le sens ensemble. Césaire donne une définition du terme: «La Négritude est la simple reconnaissance du fait d'être noir, et l'acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture.» L'identité de Senghor est la source de son inspiration poétique. C'est le résultat d'un métissage culturel. L'auteur des poѐmes noirs a une double culture: il appartient à la noblesse Sérère, donc une culture africaine, mais puisqu'il dispose d'une très grande culture française, puisqu'il est membre de l'Académie française, agrégé de grammaire, il possѐde aussi une culture française. Senghor est un français dit assimilé du fait de son éducation et de sa culture. Senghor développe cette définition de son cofondateur, dans une maniѐre plus profonde et en deux visions: «Objectivement, la Négritude est un fait: une culture. C'est l'ensemble des valeurs – économiques et politiques, intelectuelles et morales, artistiques et sociales – non seulement des peuples d'Afrique noire, mais encore des minorités noires d'Amérique, voire d'Asie et d'Océanie.» Senghor a écrit sur les peuples de l'Afrique noire qui bâtirent des cultures, des civilisations, des arts, de tous ces spécialistes qui la découvrirent et commencѐrent à l'exalter dans leurs œuvres. «N'est-il pas significatif que l'écriture de la premiѐre civilisation indienne – celle de Mohenjo-Daro et de Harappa – qui florissait 2500 ans avant Jésus- Christ, servît à exprimer une langue dravidienne: une langue Noire?» Dans une vision subjective, pour Senghor, la Négritude, c'est «l'acceptation de ce fait de civilisation et de sa projection, en prospective, dans l'histoire à continuer, dans la civilisation nѐgre à faire renaître et accomplir.» Nous pouvons remarquer que c'est en somme la tâche que se sont fixée les disciples de la Négritude, c'est-à-dire: assumer les valeurs de civilisation du monde noir, actualiser et féconder ces valeurs, au besoin avec les apports étrangers, «pour les vivre par soi-même et pour soi, mais aussi pour les faire vivre par et pour les autres, apportant ainsi la contribution des Nѐgres nouveaux à la civilisation de l'Universel.»

La Négritude est un concept complexe, mais avant toute chose, Jacques Chevrier note que la Négritude est «l'expression d'une race opprimée», garder presque la même idée, Césaire dit «La Négritude mesurée au compas de la soffrance.» «Vous ignorez les restaurants et les piscines, et la noblesse au sang noir interdite/ Et la Science et l'Humanité, dressant leurs cordons de police aux frontières de la Négritude/ Faut-il crier plus fort? ou m'entendez-vous, dites?/ Je ne reconnais plus les hommes blancs, mes frères/ Comme ce soir au cinéma, perdus qu'ils étaient au-delà du vide fait autour de ma peau.»

L'apparition du mouvement de la Négritude date du moment de la ségrégation, vue comme une trahison mais qui est la cause d'une mobilisation de l'ensemble des richesses culturelles du peuple noir. Une autre source invocatoire de la «Négritude» c'était l'exclusion de l'assimilation culturelle. Césaire la définit de cette maniѐre: «Elle plonge dans la chair rouge du sol/ Elle plonge dans la chair ardente du ciel/ Elle trouve l'accablement opaque de sa droite patience.»

La création d'une Civilisation de l'Universel par le métissage des cultures française et africaine est l'objectif du mouvement de la Négritude. Senghor est considéré par ses adeptes comme un symbole de la coopération entre la France et le Sénégal.

Dans la multitude de ses poèmes, nous trouvons quelques images poétiques inspirées de l'Afrique parmi lesquelles:

«La danse des Masques»; les Masques sont utilisés dans les danses et les rites africains;

La mélodie du tam-tam africain;

La savane et le village africain qui est au cœur de la poésie noire;

Les rites, les cérémonies;

Les femmes, les devins, les griots qui transmettent oralement de générations en générations la culture africaine;

Les totems.

Les thѐmes de la civilisation nѐgro-africaine sont: l'atmosphѐre, l'environnement agricol et pastoral, où la population nѐgre garde ses rites et ses rythmes, où le contact avec les ancêtres est permanent. «La poétique de la Négritude, constitue en effet un traitement particulier de la parole en versets ou du moins en longs vers consolidés par des assonances et des répétitions, créant des cadences, des reprises, des échos.» Senghor dit que par la Négritude, le peuple est immunisé contre la haine. C'est-à-dire que ce concept révolutionnaire est responsable pour faire les peuples noires s'intégrer plus facile dans le contexte européen, pour exposer sa culture, l'art, les particularités qui le définissent.

Le rôle social et politique de la Négritude est de lutter pour donner la liberté politique et culturelle des nѐgres qui ont été plusieurs années oppressés, et de les encourager d'apporter leur contribution à la civilisation de «l'Universel.» Du point de vue de l'esthétique, la Négritude comporte des idées fortes, relatives à l'homme noir et à sa créativité, à son émotion et à sa sensibilité. Tout à la fois, le nѐgro-africain s'exprime par l'image et également par le rythme. «Le rythme, est l'architecture de l'être, le dynamisme interne qui lui donne forme, le systѐme d'ondes qu'il émet à l'adresse des Autres, l'expression pure de la Force vitale. Le rythme, c'est le choc vibratoire, la force qui, à travers les sens, nous saisit à la racine de l'être.» Le rythme s'exprime par les moyens les plus matériels et les plus sensuels: lignes, surfaces, couleurs, volumes si nous parlons de l'architecture, sculpture ou peinture; accents en poésie et musique; mouvement dans la danse. Mais, ce faisant, le rythme ordonne tout ce concret «vers la lumiѐre de l'Esprit. Chez le Négro-Africain, c'est dans la mesure même où il s'incarne dans la sensualité que le rythme illumine l'Esprit.

Nous pouvons donner quelques titres d'études et d'essais où Senghor met l'accent sur la richesse de la culture et de l'art africain: Ce qu'apporte l'homme nѐgre, L'Afrique noire, Langue et poésie négro-africaine, Esthétique négro-africaine, Éléments constitutifs d'une civilisation d'inspiration africaine, publiés dans plusieurs recueils et revues.

La poésie de Senghor a une écriture sacrée, écriture du Verbe, une poésie en verset. Le poѐte est comparé avec un messager des dieux, qui énonce des premises sur l'avenir; la prophétie de Senghor c'est la Civilisation de l'Universel.

1.4. La Francophonie et sa place dans l'œuvre de Léopold Sédar Senghor

Le terme francophonie est apparu pour la première fois vers 1880, lorsqu'un géographe français, Onesime Reclus, l'utilise pour désigner l'ensemble des personnes et des pays parlant le français. Nous parlons désormais de francophonie avec un «f» minuscule pour désigner les locuteurs de français et de Francophonie avec un «F» majuscule pour figurer le dispositif institutionnel organisant les relations entre les pays francophones. «La France met à la disposition du monde une langue adaptée par excellence au caractère universel de la pensée. Notre langue et notre culture constituent pour un grand nombre d'hommes hors de France et hors du Canada un foyer capital de valeurs, de progrès, de contacts et c'est tout à la fois notre avantage et notre devoir de la pratiquer et de la répandre.» (Charles de Gaulle, président de la République française, 1958-1969).

Grâce à son statut de langue officielle (ou co-officielle) dans quelque 57 États répartis dans 29 pays, (parmi lesquels: France, Mali, Monaco, Niger, Bénin, République du Congo, Sénégal) le français reste la deuxième langue du monde du point de vue de l'importance politique. Même si, à l'exemple de l'anglais, il n'est pas la langue maternelle de tous les citoyens dans la plupart des pays concernés, le français occupe des positions stratégiques privilégiées comme langue administrative, langue des médias, langue d'enseignement, langue de l'armée, langue du commerce, langue de la justice ou langue des affaires. Les plus importants pays francophones sont: la France, la Belgique, le Monaco, le Canada, le Luxembourg, le Congo, la Suisse. «C'est une belle langue à qui sait la défendre. Elle offre des trésors de richesses infinies. On dirait que le vent s'est pris dans une harpe, et qu'il a composé toute une symphonie» (Yves Duteil,artiste français, dans la chanson «La langue de chez nous» – Oscar 1986 de la chanson Française).

Alors, c'est le 20 mars 1970 quand une nouvelle organisation intergouvernamentale est née, fondée autour du partage de la langue française et chargée de promouvoir et de diffuser les cultures de ses membres, et d'intensifier la coopération culturelle et technique entre eux.

Dans les dictionnaires des langues, nous pouvons trouver plusieurs définitions du nom «francophonie». Le terme francophone et son dérivé francophonie font partie d'un champs politique ou social. Le terme apparaît dans les dictionnaires à l'époque où la francophonie commence à devenir une réalité en 1970 avec la création de L'A.C.C.T. (Agence de coopération culturelle et technique), premier organisme intergouvernemental de la Francophonie.

Les définitions que nous trouvons sont différentes par rapport aux pays appartenant à la francophonie. Le terme a plusieurs valeurs: valeurs géographique et sociolinguistique d'abord, mais aussi valeur politique et culturelle.

La langue française occupe une place particuliѐre concernant la construction et la civilisation de l'Universel. Pour Senghor, la langue française est «une certaine maniѐre de poser les problѐmes et d'en chercher les solutions…une communauté spirituelle.» Comme caractéristiques de la langue dans laquelle il exprime la plupart de son œuvre, l'auteur des poѐmes noirs mentionne: «Qu'il s'agisse de morphologie ou de syntaxe, le français nous offre, à la fois, clarté et richesse, précision et nuance; les mots français sont clairs et précis. C'est qu'ils ont tendance à l'abstraction, qui en fait un merveilleux outil du raisonnement. Et il n'est pas vrai que l'abstraction ignore le réel; elle le réduit à son squelette, qui est son essence. Du moins pour l'homme d'action.» Dans Le Génie latin, l'écrivain français Anatole France, utilise un terme que Senghor aime citer «On ne raisonne justement qu'avec une syntaxe rigoureuse et un vocabulaire exact…Je crois que le premier peuple du monde est celui qui a la meilleure syntaxe.»

La Francophonie est plus qu'une langue, elle est à l'avis de Senghor «une culture, fondement d'un humanisme qui ne fut jamais plus actuel qu'aujourd'hui. Une façon rationnelle de poser les problѐmes et d'en rechercher les solutions, mais toujours par référence à l'homme.» Senghor souhaite que la Francophonie n'existerait pas seulement dans le cadre de l'Hexagone, il voit la langue française comme un résultant de l'influence mutuelle de civilisations en contact: il le nomme «métissage culturel.» Comme la Négritude est l'espoir que la reconnaissance de chaque peuple dans sa différence et le dialogue culturel sont les uniques marches à suivre pour resoudre les conflits, les inconvenients sans violence, la Francophonie est l'expression même ce cette tolérance, cette acceptation partagée de cultures diverses.

Dans un ultime discours, de l'année 2000, Senghor disait: «L'ouverture de la Francophonie n'est pas contradictoire avec l'enracinement dans la Négritude. Elle en est l'une des composantes parmi d'autres. Francophonie et Négritude, à son expression dans la poésie et dans les arts. Je crois également à la francité, mais intégrée dans la latinité et, partant, dans une civilisation de l'Universel où la Négritude a déjà commencé de jouer son rôle principal.»

Donc, le désir ardent du poѐte de contribuer à la civilisation de l'Universel, commence par la Négritude, par l'intégration des noirs dans un espace culturel et libre et continue avec la Francophonie qui est responsable d'approcher les peuples, de se respecter mutuellement. Lecas Atondi-Monmondjo rappelle que: «si Senghor a inventé la Négritude et enrichi le concept de la Francophonie, pour ce brasseur d'idées, la Négritude s'entend comme une participation des Négro-africains à la construction de la civilisation universelle et la Francophonie les engagerait ainsi dans la modernité.»

Senghor voit la langue de Moliѐre comme un «véhicule d'un universalisme humaniste, respectueux des identités, à la recherhe de la diversité des expressions culturelles, philosophique, artistiques.» Il a illustré la Francophonie par son œuvre littéraire et poétique. Le poѐte noir a une passion pour la langue française, c'est la raison pour laquelle il écrit ses poémes en utilisant cette langue latine mais cependant il n'abandonne pas l'espace africain, il est surtout engagé et totalement dévoué à son Afrique. Senghor est intéressant par son appartenance à l'art africain et à la culture des ancêtres, mais aussi par la liaison, nous pouvons dire vitale, avec la vie spirituelle de la France.

Les objectifs de la Francophonie sont: l'intensification du dialogue des cultures et des civilisations, la promotion de l'éducation et de la formation, le rapprochement des peuples par leur connaissance mutuelle, le renforcement de leur solidarité par des actions de coopération multilatérale en vue de favoriser l'essor de leurs économies, la prévention, la gestion et le règlement des conflits, le soutien à l'État de droit et aux droits de l'Homme, l'instauration et le développement de la démocratie.

1.5. Les rencontres de Léopold Sédar Senghor avec l'espace roumain

L'œuvre impressionante de Léopold Sédar Senghor a suscité la curiosité du poѐte et traducteur Radu Cârneci qui a contribué à la découverte de l'œuvre senghorienne au public cultivé. Parmi ses traductions de la littérature universelle nous pouvons trouver également la traduction de volume «Hosties Noires, Poѐmes», volume qui englobe des poésies tirées des recueils: «Chants d'ombre», «Hosties noires», «Ethiopiques», «Nocturnes», «Lettres d'hivernage» et un «Poѐme Inédit». La traduction de Radu Cârneci comporte aussi un court glossaire pour donner l'explication dans la langue roumaine de quelques termes spécifiques de la langue africaine, termes que Senghor choisit d'utiliser dans ses poѐmes; par exemple les désignations des instruments de musique (balafong, khalam, kôra, rîti), termes pour définir les tam-tams (gorong, mbalakh, ndeundeu, tabala, tama, talmatt), termes qui désignent la végétation africaine (adéra, kori), termes qui désignent le chant ou le poѐme (taga, woy). Cette collection des poѐmes senghoriennes comprend également dans la Préface «Les insignes de la grande poésie» et «Quelques précisions à propos de cette édition» et en fin Radu Cârneci propose une Bibliographie Sélective. C'est une édition bilingue qui a été publiée par les Éditions Univers, București en 1976. Nous pouvons ajouter que le poѐte Léopold Sédar Senghor et Radu Cârneci se sont connus; ce dernier est surnommé «Monsieur Senghor» parce qu'il a réussi à percer trѐs bien dans l'univers senghorien et à réaliser une bonne traduction en comprenant les deux mondes, les deux espaces du poѐte: l'espace africain et celui français.

Une autre transposition dans la langue roumaine font Sânziana Colfescu-Dragoș et Gheorghe Dragoș dans une anthologie de lyrique negro-africaine intitulée «O șoaptă care cheamă vântul». La majorité des gens roumains n'ont pas entendu le nom du poѐte sénégalais parce que, malheureusement dans les programmes scolaires, l'étude du poѐte Léopold Sédar Senghor n'est pas comprise, mais chaque année le 20 mars les professeurs et les élѐves organisent des activitées qui visent la célébration de la «Journée internationale de la Francophonie».

En 2006, pour célébrer le centenaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor, au Musée National de la Littérature Roumaine, a été organisé La Conférence «Léopold Sédar Senghor le poѐte-président». Il y a eu une série de manifestations pour rendre hommage aux événements liés à la vie littéraire de Senghor. Parmi les manifestations nous pouvons mentionner la sortie du livre «Léopold Sédar Senghor – Genѐse d'un imaginaire francophone» de Jean-Michel Djian et la présentation du livre «Léopold Sédar Senghor, De la Negritudine la civilizația universului, o antologie de texte ale autorului», livre traduit par Radu Cârneci et Mircea Traian Biju et «Totem», une anthologie de poésie francophone d'Afrique et des Caraïbes dont Léopold Sédar Senghor fait partie; la version roumaine coordonnée par Sânziana Colfescu-Dragoș, Gheorghe Dragoș et Radu Cârneci. Également il y a eu lieu des interventions en ce qui concerne la contribution de Senghor au développement et à la propagation de la Francophonie dans le monde, soutenues par l'écrivain Tunisien Abdelaziz Kacem, le poѐte Sénégalais Charles Carrere, l'écrivain francophone Moussia Haulot, l'écrivaine et la compositrice Sarah Carrere, Ecaterina Evanghelescu, la présidente de l'Alliance Belgo-Roumaine. En 2013 la Roumanie a célébré une vingtaine d'années depuis l'adhésion à L'O.I.F. (Organisation Internationale de la Francophonie). Dans la capitale du pays a été fondée la premiѐre place de l'Europe dediée à la Francophonie. Le 20 mars 2017, le spécialiste Senegalais d'art plastique, Bara Diop a réalisé le buste de Senghor qui sera placé sur la Place de la Francophonie.

Image 1.1. Le buste de Léopold Sédar Sénghor, réalisé par Bara Diop et placé sur la Place de la Francophonie, 13, rue Septembre, Bucarest.

La monument dédié au promoteur du mouvement de la Francophonie, mesure 50 cm et il est réalisé en bronze et assis sur un piédestal en pierre naturelle.

Chapitre II. La sensualité et le mysticisme de la femme africaine dans la poésie de Léopold Sédar Senghor

2.1. L'image de la femme noire dans la poésie senghorienne

Dans l'univers poétique de Senghor, il y a de nombreuses figures qui apparaissent: certaines sont liées à la culture, à l'histoire africaine, à l'art, d'autres issus des souvenirs de l'écrivain, ou de ses expériences. Mais, nous pouvons remarquer qu'il y a une figure très importante, une figure solide qui éclipse toutes les autres; c'est la figure de la femme, «Senghor organise sa poésie autour des diverses relations qu'il a entretenues avec la femme et selon la vision poétique qu'il a développée tout au long de son expérience personnelle.»

Lors de l'ouverture aux littératures «du grand large» comme le dit Gilbert Durand, l'horizon de la culture française s'est enrichi avec un élément significatif: l'image de la femme noire, africaine. Concernant la littérature traditionnelle, notamment dans la littérature orale, l'image de la femme est sculptée comme un modѐle de la séduction et de la sensualité. Une particularité qui se remarque chez Senghor à une premiѐre lecture c'est la fusion profonde, intime des deux sentiments: l'amour de la patrie et celui de la femme chérie; la communion de ces sentiments devient une seule sensation chargée de mystѐre, de symbolisme. Dans ses déplacements à travers l'Europe, «ce moderne rhapsode de l'Afrique» n'abandonne pas dans sa pensée l'image de celle qu'il aime, la femme à la peau couleur de nuit, avec le corps souple, la femme à l'âme sensible et pûre, la merveilleuse femme africaine. Senghor aime la femme, la nature, la grandeur des montagnes, le grondement des eaux, les mystѐres de la jungle, la chanson d'océan. Le poѐte vit un sentiment viril d'une grande pureté, l'amour est chez lui une émotion d'une rare intensité.

L'image de la femme noire a presque toujours été une source d'inspiration dans l'œuvre senghorienne, nous pouvons dire que c'est grâce au fait que dans les familles sérères, l'enfant passe ses premiѐres années dans la famille maternelle, c'est aussi le cas de Senghor qui a grandi dans une société matriarcalle, entouré par les personnages féminins de sa famille. Senghor, si discret dans ses sentiments, décrit ses muses avec sensualité. Il compose des hymnes à la femme noire qui est l'avenir de l'homme. Le poѐte a voulu immortaliser la femme noire dans «l'Éternel.» Elle est source de vie, protectrice, douce; la femme apporte la lumiѐre spirituelle, le calme, elle est la condition de toute vie. Chez Senghor, l'évocation de la femme revient au clair obscur; la femme noire est à la fois obscurité et lumière c'est-à-dire une figure complexe. Le syntagme «femme obscure» du poѐme «Femme noire», a un double sens: femme noire et femme mystérieuse. La sensualité et le mysticisme de la femme africaine prennent forme dans la poésie senghorienne.

Senghor aime les femmes et nous pouvons le remarquer dans ses poѐmes. Il s'est marié une première fois avec Ginette Eboué en 1946, avec laquelle il a eu deux enfants, Félix et Guy. Ginette est la femme qui a été la muse du poѐme «Chants pour Naëtt», qui avait été renommé «Chants pour Signare» du volume «Éthiopiques.» Divorcé 10 ans plus tard, il se remariera avec Colette Hubert, secrétaire parlementaire, sa «Normande» comme il s'amusait à l'appeler; elle l'appelait à son tour, amoureusement «Léopold», avec laquelle il a eu un fils, Philippe. Il a dédié à Colette le poѐme «Elégie des Alizés» poѐme dans lequel celle-ci n'est jamais nommée. Elle est suggérée dans une autre élégie: «Elégie pour Philippe Maguillen.» Dans ces élégies, elle est invoquée comme «la blonde Normande.» «Epîtres à la Princesse» est le titre du poѐme écrit par Senghor pour la grand-mère de Colette, la Marquise Joséphine Daniel de Betteville. Senghor afirme que: «sans la femme, la vie ne vaudrait pas la peine d'être vécue» et il n'oublie pas de rendre hommage à la femme africaine.

2.2 Les multiples visions senghoriennes sur la femme

L'univers de la poésie senghorienne est soutenu par l'image de la femme; comme Fernando Lambert affirme: «l'Afrique est femme et la Poésie est femme», Senghor attribue à la femme différentes figures. L'image de la femme est présente dans l'imaginaire poétique de Senghor dѐs ses poѐmes de jeunesse «Poѐmes perdus». Dans ces poѐmes, Senghor n'a pas encore découvert la voix et la forme poétique qui définira ultérieurement son œuvre. Dans l'univers poétique de Senghor, l'image de la femme établit une chaîne de visions senghoriennes: «Femme-Mѐre-Amante-Épouse-Princesse-Reine.»

La figure de la femme: la premiѐre poésie dans laquelle l'image de la femme est présente porte le titre «Nuit de Sine», poѐme issu du recueil «Chants d'Ombre» qui commence avec l'invocation de la femme: «Femme, pose sur mon front tes mains balsamiques, tes mains douces plus que fourrure» c'est la figure primordiale de la femme, la figure archétypale. Par l'utilisation des possesifs «mon front» et «tes mains», la relation entre l'homme et la femme devient plus intime, puis les possesifs deviennent «nous» et «notre», «Qu'il nous berce, le silence rythmé./ Écoutons son chant, écoutons battre notre sang sombre, écoutons/ Battre le pouls profond de l'Afrique dans la brume des villages perdus.» Dans ce poѐme à la nuit, la femme tient un rôle intermédiaire dans le mystѐre de la nuit qui rend possible la rencontre avec les Ancêtres, avec les morts «Femme, allume la lampe au beurre clair, que causent autour les Ancêtres comme les parents, les enfants au lit.»

La figure de la mѐre: Senghor a trouvé la voix et la forme poétique qui lui convient, c'est-à-dire le verset senghorien grâce auquel il réussit à modeler la figure de la mѐre qui est dans ses poѐmes la premiѐre figure de la femme. Nous trouvons la figure de la mѐre au centre de la poésie «Mѐre, sois bénie!», chaque séquence de ce poѐme s'ouvre avec l'invocation de la bénédiction de la mѐre. Le poѐte est en Europe, loin de sa mѐre et il a besoin de cette bénédiction pour retrouver son enfance et la protection maternelle. Dans la poésie de Senghor, la mѐre est une figure fondamentale, elle assure la transmission de l'héritage culturel, elle cherche à ancrer l'enfant à une culture. Trouvé au milieu d'une civilisation étrangère, entouré par des gens de toutes les races, le poѐte veut seulement être reconnu par sa mѐre comme l'enfant qui était avant de quitter son territoire africain, sa famille; «Reconnais ton fils à l'authenticité de son regard, qui est celle de son cœur et de son lignage.»

La figure de l'amante: Une figure complexe dans l'œuvre de Senghor est celle de la femme-amante, figure qui change d'un statut à l'autre, bien illustrée dans le poѐme «Femme noire». Senghor invoque au début la figure de la mѐre: «J'ai grandi à ton ombre; la douceur de tes mains bandait mes yeux», puis elle a le rôle d'amante: «Et voilà qu'au cœur de l'Été et de Midi,/ Je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné/ Et ta beauté me foudroie en plein coeur, comme l'éclair d'un aigle.» Le poѐme traduit la découvert de l'amour pour le poѐte qui vit l'Été de son âge, la rencontre de celui-ci avec la femme. C'est une rencontre qui donne au poѐte la source de son inspiration pour créer des images voluptueuses: «les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau […] A l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.»

La figure de l'épouse: De la premiѐre apparition avec l'image de la Femme, puis celle de la Mѐre et de l'Amante, la figure de la femme évolue dans celle de l'Épouse. À la découverte de cette figure, les poѐmes deviennent de plus en plus sensibles et plus discrets. Nous trouvons l'illustration de la femme-épouse dans le recueil «Lettres d'hivernage»; les poѐmes de ce recueil sont consacrés à Collette, la femme du poѐte, qui est loin de lui. Le lettre de l'épouse constitue le noyau du recueil parce qu'elle rétablit la communication des amoureux: «Ta lettre de pain tendre, douce comme le beurre, sage comme le sel […] Ta lettre telle une aile, claire parmi les mouettes voiliers.» Les lettres que le poѐte écrit à son épouse constituent des réponses aux questions qui se posent les amoureux: «Que fais-tu? À quoi penses-tu? À qui?» Les poѐmes de ce recueil nous montre comment Senghor cherche à l'intérieur de lui-même la femme aimée qui est dans le lointain, il cherche son épouse dans le silence, il est dominé par la solitude, mais il trouve dans son âme la figure de celle qu'il aime, de celle qui fait partie de con cœur: «Et tu es mon double Sopé, le double de mon double.» Pour Senghor, l'épouse est plus qu'une compagne, elle donne le sens à la vie du poѐte: «Ta lettre sans quoi la vie ne serait pas vie/ Tes lèvres mon sel mon soleil, mon air frais et ma neige.»

La figure de la Princesse: «Aurais-tu oublié ta noblesse, qui est de chanter/ Les Ancêtres les Princes et les Dieux, qui ne sont fleurs ni gouttes de rosée?» Ces vers sont extraits de la lettre que Léopold Sédar Senghor a dédié à son ami Aimé Cesaire. La simplicité et la discrétion de Senghor nous rendent surpris de trouver la figure de la Princesse noble dans son œuvre, mais ce n'est pas seulement la noblesse du sang mais aussi la noblesse de l'esprit. Dans l'histoire sérѐre il y avait une princesse nommée Sira Badral, la fondatrice d'un royaume dans le Saloum. Elle est évoquée dans le poѐme «Que m’accompagnent koras et balafong»: «Princesse, pour toi ce chant d'or […] Princesse de quatre coudées! Au visage d'ombre autour de ta bouche de lumiѐre […] Tu es ton peuple.» C'est la figure de la Princesse protectrice, nourriciѐre pour son peuple. À la Princesse de l'Afrique lui correspond la Princesse de Belbourg (la Princesse du Nord) que Senghor invoque dans le poѐme «Épitres à la Princesse»; c'est une Princesse aimée profondement «Car ta seule rivale, la passion de mon peuple/ Je dis mon honneur.» Cette Princesse du Nord est une source inspiratrice pour Senghor, elle lui partage la culture et l'histoire; elle le rend à chanter la beauté, à découvrir les esprits.

La figure de la Reine: Il existe, dans l'univers poétique senghorien une figure de la Reine qui obsѐde le poѐte; c'est la figure de la Reine de Saba, nommée aussi l'Éthiopienne. La rencontre de cette Éthiopienne avec le roi Solomon, est vue par Senghor comme le symbole de la rencontre de l'Afrique avec un autre espace, hors du continent africaine, avec un autre peuple, une autre culture et histoire; c'est le moment dont l'Afrique fait connaissance avec le monde tout en apportant sa contribution; le moment de l'ouverture de la Négritude.

Senghor a consacré à la Reine de Saba l'un de plus beau poѐme d'amour, c'est-à-dire «Élégie pour la Reine de Saba», poѐme qui a été comparé avec l'un des livres de la Bible hébraïque: «Cantique des cantiques.» L'élégie de Senghor comporte trois moments: la célébration de la Reine de Saba et de sa beauté, l'attente et le désir pour rencontrer la Reine et l'accomplissement du désir, la rencontre réalisée par la danse de la Reine, la danse qui contribue à l'union amoureuse entre le poѐte et l'Éthiopienne.

La figure de la femme est souvent associée à celle de l'Afrique devant laquelle le poѐte développe un sentiment d'amour; «la femme renvoie le poѐte à l'Afrique et l'Afrique prend pour lui la figure de la femme; la premiѐre occurence de ce phénomѐne senghorien est la symbolisation de l'Afrique par la noire Soukeïna et celle de l'Europe par la blanche Isabelle.» Senghor voit ces deux figures comme «Les sœurs complémentaires: l'une est couleur de flamme et l'autre, sombre, couleur de bois précieux.» Nous constatons que la figure de la femme, tout au long de l'œuvre senghorienne, est associée aux éléments de la nature; la faune, la terre, la flore de l'Afrique, mais le poѐte l'associe aussi aux références historiques ou bien culturelles. Dans le célѐbre poѐme «Femme noire», le corps de la femme s'identifie avec la «savane aux horizons purs.» Chez Senghor nous pouvons trouver souvent un phénomѐne de féminisation de l'Afrique; dans le poѐme «Congo» issu du recueil «Éthiopiques», le fleuve y présent est féminisé; le Congo est «reine sur l'Afrique domptée.» Il y a des relations «fondées sur le modѐle de la relation amoureuse entre l'amant et l'amante», qui s'établissent entre le fleuve et le poѐte, le fleuve et la nature. Le fleuve féminisé est reconnu comme «Déesse au sourire étale sur l'élan vertigineux de ton sang», la rencontre du poѐte avec la femme-fleuve se conclut, comme dans la plupart des poѐmes senghorienes, par une union amoureuse qui illustre que l'Afrique se trouve au centre de la création poétique de Senghor: «mon amante à mon flanc.»

La figure de la femme est également associée à la poésie. Pour Senghor, ces deux sont inséparables; nous le comprenons bien par la conclusion de son poѐme «Femme noire» par les vers «Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Éternel/ Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.» L'Éternel signifie l'art, la poésie où la beauté de la femme peut échapper au temps, à la mort et garder sa forme pour l'éternité.

La figure de la femme possѐde une trѐs grande importance dans l'univers poétique senghorien; elle n'est pas seulement une source de vie qui «participe au cycle d'un perpétuel recommencement» elle est la muse d'Africain, elle transmet l'héritage culturel et historique, la femme englobe, chez Senghor, la totalité des significations, et des symboles d'Afrique; la femme s'identifie totalement à l'Afrique de l'œuvre senghorienne.

2.3. L'image de la femme noire à travers la Négritude et la post-Négritude

La femme noire est vue comme une muse, par les adeptes de la Négritude. Lépold Sédar Senghor est le poète qui a accordé à la femme une attention particulière dans son œuvre poétique. Il le déclare en ces termes: «Mon empire est celui d'Amour, et j'ai une faiblesse pour toi femme»; cette parole de l'auteur marque des corrélations idéologiques que le concepte de Négritude fait avec la femme. La femme, noire et fragile se sacrifie pour sa societé et elle arrive à avoir peu d'égard pour son aspect physique qui, traduisant les limites criantes de sa vie, lui apporte de la compassion aux yeux des occidentaux. Cette compassion attire des préjugés ou des mépris, mais la poésie négritudienne réussit à transformer toute la dérision en admiration et en célébration de la femme noire.

L'émancipation féminine met en évidence la grandeur de la femme noire «Elle est de prédilection: Une puissance physique, au sens de la force de séduction reconnue à sa beauté. Une puissance militante, au sens de son rôle évident dans le tissu social africain. Un visage de l'universel, au sens senghorien du terme, comme aboutissement de tous les particularismes culturels.»

Dans le volume «Ethiopiques», la voix blanche dit à «Chaka» (poѐme dramatique à plusieurs voix, dédié par Senghor aux martyrs bantous de l'Afrique du Sud): I «Chaka, c'est bien à toi de me parler de Nolivé, de ta bonne-et-belle fiancée/ Au cœur de beurre des yeux de pétales de nénuphar, aux paroles douces de source./ Tu l'as tuée la Bonne-et-belle, pour échapper à ta conscience.»; II «Chaka: Voici la Nuit qui vient, ma bonne-et-belle- Nuit….»

La beauté extérieure, est souvent décrite par le poѐte même si elle se confond avec la beauté intérieure. Elle est alors l'épiphanie des formes harmonieuses. Elle est l'équilibre parfait des formes visibles, «l'épiphanie» des formes équilibrées, l'harmonie parfaite des formes visibles. Senghor a toujours apprécié les formes athlétiques, la souplesse féminine. La beauté se dévoile dans toute sa splendeur dans les vers suivants, de «Chants d'ombre»: «Ô Beauté classique qui n'est point angle, mais ligne élastique élégante élancée! /Ô visage classique! Depuis le front bombé sous la forêt de senteurs et les yeux larges obliques jusqu'à la baie gracieuse du menton et/ L'élan fougueux des collines jumelles! Ô courbes de douceur visage mélodique!» Le poѐte utilise l'adjectif «mélodique» pour décrire le visage au but de «prolonger l'analyse au niveau de la création poétique elle-même» c'est-à-dire que la création poétique est mélodique. En outre, concernant la poésie, Senghor parle du chant; c'est pourquoi sa création est souvent une symphonie avec des répétitions, avec des jeux mélodieux, euphoniques. La plupart des poѐmes négritudiens comporte une telle esthétique du rythme qui est très importante pour les poètes qui entretiennent des relations avec le mouvement. Le rythme est celui qui donne à la poésie négritudienne de dynamisme.

Senghor a donné une autre nuance à la couleur noire par la création des oxymorons, par exemple dans la présentation de l'image de la femme noire, dans le volume «Ethiopiques», le poѐme «Chaka»: I «Ma négresse blonde d'huile de palme à la taille de plume»; II «Ô ma nuit! Ô ma Blonde! ma lumineuse sur les collines/ Mon humide au lit de rubis, ma Noire au secret de diamant/ Chair noire de lumière, corps transparent comme au matin du jour premier.» Le poète décrit la nuit avec un ton lyrique qui prend sa source dans les deux métamorphoses de la nuit: d'un côté, elle s'identifie avec Nolivé, la femme aimée, d'un autre côté, elle correspond à la lumière. La nuit, à l'intérieur du texte poétique, se trouve au cœur de la thématique du clair-obscur dans les notations des nuances évoquées: «L'Afrique vivait là, au-delà de l'œil profane du jour, sous son visage noir étoilé»; cependant, l'utilisation de l'oxymoron contribue à donner une certaine vitalité par rapport aux notations de couleur; il y a, dans la poésie senghorinne une fusion, une identification entre le physique de la femme noire et la nature qui est source de vie. «Oho! Congo couchée dans ton lit de forêts, reine sur l'Afrique domptée/ Que les phallus des monts portent haut ton pavillon/ Car tu es femme par ma tête, par ma langue, car tu es femme par mon ventre/ Mère de toutes choses qui ont narines, des crocodiles des hippopotames/ Lamantins iguanes poissons oiseaux, mère des crues nourrice des moissons/ Femme grande!»; si la «Nature» (majuscule, la Nature comme processus de vie, comme processus de création permanente) est la femme, s'explique par le fait qu'elle est maternelle et nourriciѐre, généreuse et protectrice. Senghor est en contact avec la réalité végétale, il se présentera toujours comme un «paysan sérѐre»; il voit l'intimité des bosquets: «Mes regrets, ce sont les toits qui saignent au bord des eaux bercées par l'intimité des bosquets», les baobabs d'angoisse: «À travers Cayor et Baol de sécheresse où se tordent les bras les baobabs d'angoisse», l'ivresse de la moisson mûre: «J'y disparaissais, laboureur couché dans l'ivresse de la moisson mûre»; le poète fait découvrir les éléments de la nature: bois, bosquets, fruits fabuleux, fleurs, fruits blancs, fruits mûrs à la chair ferme.

Senghor emprunte à la végétation des images pour représenter la femme noire: «Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d'Est», en soulignant que la particularité de la beauté de la femme noire, c'est justement sa couleur noire et Senghor le dévoile dans son poème «Femme noire», au premier vers «Femme nue, femme noire.» Le poѐte Samuel Martin Eno Belinga dans la dédicace à «La Prophétie de Joal» reprend les paroles de Senghor: «À notre Dame de la Négritude/ Femme nue, Femme noire/ Mère éternelle/ Révélée par le prophète de Joal.» Outre les adorations que la femme noire reçoit de la part du poète noir, elle devient aussi un moyen de communication avec les ancêtres, avec les divinités africaines: «Mânes ô Mânes de mes Pères/ Contemplez son front casqué et la candeur de sa bouche parée de colombes sans tâches/ Comparez sa beauté à celle de vos filles/ Ses paupières comme le crépuscule rapide et ses yeux vastes qui s'emplissent de nuit./ Oui, c'est bien l'aïeule noire, la Claire aux yeux violets sous mes paupières de nuit.»

La puissance militante de la femme noire est constituée par certaines de ses qualités, qu'elle manifeste à chaque rôle qu'elle a: épouse, mère et grand-mère, la femme noire est procréatrice, nourrice, éducatrice et amazone. La femme noire n'est pas juste un être de sérénitude, d'abritude et de bonheur, elle est chargée aussi d'une certaine spiritualité, de ce fait, Senghor lui offre un syntagme plutôt biblique dans le poѐme Femme noire, en lui disant «Terre promise.» Dans le même poѐme, le toucher de la femme noire éloigne le mal, dresse les mœurs tandis que les besoins du corps sont satisfaits: «la douceur de tes mains bandait mes yeux». La femme noire est responsable d'instruire et d'éduquer la race africaine pour préserver ses particularités. C'est par elle que l'homme découvre le monde extérieur, qu'il connaît l'univers, qu'il comprend la vie, c'est par la femme que l'homme apprend à aimer, qu'il commence à sentir, qu'il vit. Nous disons que la personnalité actuelle de Senghor représente la somme de tout l'humanisme, de toute la sensibilité acquise avec l'aide de la femme mère: «J'ai grandi à ton ombre.»

Le visage de l'universel est composé de l'idée que la femme africaine par sa beauté et par son militantisme remet en question l'imaginaire des poètes noirs. En amenant une ouverture sur le monde, elle est toute la signification de la civilisation de l'Universel; elle éduque l'enfant à aimer l'espèce humaine, à s'approprier ses éléments, à s'enrichir de ses différences pour se diriger vers l'universel. Le spécialiste en stylistique et poésie africaine, Tié Emmanuel Toh Bi avoue que: «L'universalité dont la femme noire est l'ancrage est celle de la poésie, en général, et de celle négritudienne, en particulier.» En ce qui concerne la poésie négritudienne et post-négritudienne, la femme est inspiratrice, elle est la muse des poѐtes. L'auteur précédemment annoncé souligne que les poètes africains associent la femme avec la fertilité et la maternité, avec l'hospitalité, mais aussi avec l'amour physique, la virilité. La femme est l'épicentre de la conception d'amour africain.

«Pour le poѐte, le monde est davantage un livre ardent, ouvert; et la femme, un texte ardent, exquis, deux hypostases qui justifient sa propre présence au monde.» Pour l'Africain, la sensualité indique une maniѐre de communiquer avec le monde, l'une des expressions de sa spiritualité. La femme africaine n'est pas seulement un objet sensuel ou esthétique; son image et sa beauté physique correspondent à sa beauté spirituelle. La femme de la Négritude est tout simplement adorée par les poѐtes qui recréent son portrait et son corps à l'aide de la parole associée au rythme de la vie. Ils admettent que la femme a une contribution remarquable concernant la bibliographie de la poésie africaine.

2.4. L'image de la femme noire dans le volume «Chants d'ombres»

Le volume Chants d'ombre, publié en 1945, regroupe des poèmes qui ont pour cadre la France. Le titre de ce recueil a une double signification: Senghor choisit le «chant» parce que dans la culture africaine, la création littéraire se transmet souvent oralement, en utilisant le chant qui est, pour le poѐte, synonyme de poésie. L'autre terme qui aide à la composition du titre, «ombre» définit le mystère, l'inquiétude, le sacré, la couleur noire ou plus précisément, l'Afrique. Dans ce recueil Senghor nous présente quelques thèmes parmi lesquels: le royaume d'enfance, la femme, le syncrétisme religieux, la mort. Le volume peut être structuré en quelques parties: la premiѐre cache la nostalgie d'auteur pour son Afrique aimée, l'admiration pour la culture noire; nous mentionnons les poѐmes «Joal», et «Le totem.» Cette partie contient aussi deux poѐmes dédiés à Aimé Césaire, «Lettre à un poѐte» et à Pablo Picasso, «Masque nѐgre.» Dans la deuxiѐme partie, le poète fait une synthèse entre le passé, c'est-à-dire son enfance, sa formation, et le présent, c'est-à-dire l'interférence des deux cultures (celle européenne et celle africaine) en mettant en relief l'esthétique nègre; nous mentionnons pour cette partie les poѐmes «Porte dorée» et «Tout le long du jour…» Concernant la troisiѐme partie, il y a des poѐmes d'amour. Parmi les titres significatifs nous retrouverons: «Femme noire», «Pour Emma Payelleville l'infirmiѐre» et «Par-delà Éros». La quatriѐme partie surprend «Le retour de l'enfant prodigue», c'est-à-dire la rentrée à la maison paternelle après une longue absence, le détachement de l'influence européenne.

Dans la poétique senghorienne, la femme semble représenter l'Afrique; Geneviѐve Lebaud-Kane note que: «symbole de l'Afrique, la femme noire est en même temps évoquée par les paysages d'Afrique» en ajoutant l'idéé d'une possible «tautologie symbolique.» L'image de la femme noire dans la poésie française de Senghor est présentée à l'aide de quelques figures emblématiques de la culture populaire négro-africaine: «Nolivé, ou en ajoutant diverses appelations: la Claire, Beauté, Terre promise, Savane, qui lui donnent une telle sublimation.» La femme noire qui est belle, nue, sensuelle, obscure et mystѐrieuse est, chez Senghor, l'une des représentations de l'Afrique.

Senghor est le créateur d'un hymne lyrique dédié à la femme noire. Nous pouvons voir que dans ses poémes il n'utilise pas de déterminants, c'est-à-dire qu'il n'a pas une certaine muse, mais les poѐmes s'adressent à toutes les femmes noires.

2.5. À la découverte de la poésie «Femme noire»

Le poѐme «Femme noire», issu du recueil «Chants d'ombre» est une ode d'amour, dediée aux beautés de la femme et à la terre africaine. Le poѐme est composé en vers libres disposés en quatre strophes. Nous ajoutons qu'il englobe trois parties essentielles; l'auteur invoque la présence de deux femmes: la mѐre et la femme aimée – le poѐte caractérise cette femme aimée, sa beauté, sa sensualité, sa délicatesse en l'immortalisant pour l'éternité dans l'art, dans la poésie. La femme noire est pour Senghor la source créatrice d'une multitude d'images artistiques et métaphores. Elle est à la fois: «Terre promise», «je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné», «fruit mûr», «Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir», «savane», «Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d'Est», «tamtam», «Tamtam sculpté, tamtam tendu qui grondes sous les doigts du vainqueur», «huile», «Huile que ne ride nul souffle, huile calme», et même «gazelle», «Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau.» La femme souffre des métamorphoses; elle est paysage, fruit, animal. Senghor greffe l'image de sa muse sur tout ce qui l'entoure.

Pour la poѐte, la femme occupe deux rôles essentiels: celui de nourriciѐre, c'est-à-dire mѐre: «J'ai grandi à ton ombre», et celui d'inspiratrice, c'est-à-dire muse: «bouche qui fais lyrique ma bouche» La femme est l'expression de la sensualité et de l'érotisme, de mysticisme. Dans le premier vers, Senghor évoque la nudité: «femme nue, femme noire», même nue, la femme est chargée de mystѐres; la nudité dans les paroles du poѐte signifie la «couleur», la «forme» qui vêt le corps de la femme: «vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté.» L'adjectif «nue» désigne la plus importante caractéristique de la femme noire, c'est-à-dire la pureté. Le poѐte est fasciné par la beauté physique de la femme africaine, il parle de sa grandeur, de sa forme «qui est beauté» qui est différente de celle de la femme européenne. La forme de la femme est une sculpture qui se laisse explorée «sous les doigts du vainqueur»; elle a la «voix grave de contralto», qui reste dans l'esprit. Senghor emploie une hyperbole pour illustrer la beauté de la femme africaine «et la beauté me foudroie en plein cœur, comme l'éclair d'un aigle»; les yeux et les cheveux adoucissent les peurs et les angoises: «À l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux»; pour lui, la femme est symbole de paix qui doit être honoré: «je chante ta beauté.»

Le poѐme inspire particuliѐrement de la sensualité; les deux premiѐres strophes représentent une initiation dans l'espace de l'amour. «J'ai grandi à ton ombre», l'enfant arrivé à l'adolescence découvre les beautés de la femme et la sensation d'amour «et voilà qu'au cœur de l'Été et de Midi, je te découvre.» Également, dans l'imaginaire, même les sens du lecteur sont entraînés: la vue «savane aux horizons purs», le toucher «la douceur de tes mains bandait mes yeux», le goût «fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir», l'ouïe «ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée.»

Dans le cadre ce cette initiation amoureuse, il y a un champ lexical de l'ombre: ton ombre, femme obscure, sombres extases du vin noir, la nuit de ta peau, l'ombre de la chevelure, mais il y a de même une révélation lumineuse, donc le noir est associé à la lumiѐre: «ta beauté me fudroie en plein cœur, comme l'éclair d'un aigle; les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau; les reflets de l'or rouge sur ta peau qui se moire, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.»

Le poѐte donne au poѐme «Femme noire» une musicalité frappante. La répétition «femme nue, femme noire» ou «femme nue, femme obscure» fonctionne comme un refrain de chanson. Il y a aussi certaines allitérations en [f], [v] et [n], nasales et fricatives qui correspondent à la force du vent «femme nue, femme noire/ vêtue de ta couleur qui est vent, de ta forme qui est beauté.» D'autres éléments qui confѐrent la musicalité sont les répétitions de mots: beauté, «ta forme qui est beauté», «et ta beauté me foudroie», forme, «forme que je fixe dans l'Eternel», cœur, «et voilà qu'au cœur de l'Été et de Midi», «me foudroie en plein le cœur.» La dynamique du poѐme est donnée aussi par le rythme binaire «femme nue, femme noire» qui alterne avec celui ternaire «huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l'athlѐte, aux flancs des princes du Mali.»

Le poѐme «Femme noire» est une expression intime, sentimentale et personnelle cela ressort du fait que l'écrivain utilise le pronom personnel sujet «je» pour s'exprimer, et «tu» pour: «ta couleur», «ta peau», «je te découvre», «ta beauté me foudroie»; c'est un discours direct, qui invoque son aimée. Le lyrisme consiste dans l'expression de plusieurs sentiments qui sont variés: c'est la fascination, l'amour, la mélancolie, l'angoisse: «mon angoisse.»

La strophe qui constitue la fin du poѐme a une importance particuliѐre parce qu'elle prouve le désir du poѐte de garder l'image de la femme noire dans «l'Éternel.» Ce qui annonce la fin est l'état d'angoisse qui est dû au thѐme de la fatalité et au temps passant «je chante ta beauté qui passe /avant que le Destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.» Le poѐte est devant un combat avec la mort et il milite pour fixer la beauté à jamais: «je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Éternel.» La poésie a une composition circulaire donnée par la reprise, dans le dernier vers, des termes «vie» et «beauté», de le début du poѐme: «ta couleur qui est vie/ ta forme qui est beauté», «je chante ta beauté qui passe/… les racines de la vie.» Seulement la mémoire et l'écriture du poѐte permettent de fixer l'existence et la beauté de la femme africaine dans l'éternité. La composition circulaire montre la cyclicité de la nature et même de la femme qui acquiert une fonction salvatrice «te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie», la femme régénѐre, elle ne meurt jamais vraiment.

Outre la mise en valeur des beautés de la terre d'origine et de la célébration des beautés féminines, la poésie «Femme noire» a comme objectif de «renouer avec la poésie lyrique traditionnelle.» Kashala Mwepu Kashadidi illustre dans le poѐme Femme noire «l'intime congruence entre la pensée et la poétique, trouve l'originalité de la négritude senghorienne et des mythes de la création de l'auteur.»

2.6. À la découverte de la poésie «Nuit de Sine»

«Nuit de Sine» est l'un des poèmes les plus connus du recueil «Chants d'ombre», dans lequel Senghor parle du Sénégal, son pays d'origine: Sine est une région mythique du Sénégal très importante dans l'imaginaire et dans l'histoire du pays. Dans ce poѐme composé de quatre strophes amples de versets musicaux, Senghor montre que le village est le lieu propice pour le Noir de communiquer avec la nature et les ancêtres. C'est également dans le village que les Africains commencent à connaître les traditions, l'initiation aux rites, les valeurs culturelles de leur communauté.

La femme invoquée dans les deux premiers vers de la première strophe: «Femme, pose sur mon front tes mains balsamiques, tes mains douces plus que fourrure», représente l'Afrique. C'est l'image de la femme maternelle, protectrice. Dans les vers suivants, Senghor commence à présenter le cadre de son village: «Là-haut les palmes balancées qui bruissent dans la haute brise nocturne/ À peine. Pas même la chanson de nourrice./ Qu'il nous berce, le silence rythmé» l'atmosphѐre est douce, il y a le bruit d'une brise calme et «le silence rythmé» de la chanson d'une nourrice, qui représente aussi l'Afrique. Ce silence rythmé concerne aussi les danses de l'imaginaire de la négritude. En avançant dans la lecture du poѐme, nous observons que le silence règne sur le village: «Écoutons son chant, écoutons battre notre sang sombre, écoutons/ Battre le pouls profond de l'Afrique dans la brume des villages perdus», c'est un silence qui permet d'écouter le chant de l'Afrique, un silence si profond que les africains peuvent entendre leurs âmes «le pouls profond de l'Afrique», Senghor montre ici un imaginaire spirituel entre les africains et l'espace africain.

Dans la deuxième strophe la nuit s'installe: «voici que décline la lune lasse vers son lit de mer étale», une nuit profonde et spirituelle à laquelle participent tous: «Voici que s'assoupissent les éclats de rire, que les conteurs eux-mêmes/ Dodelinent de la tête comme l'enfant sur le dos de sa mère/ Voici que les pieds des danseurs s'alourdissent, que s'alourdit la langue des chœurs alternés.» L'image de l'enfant sur le dos de sa mère, c'est la vision d'une femme jeune et active, l'image de la liaison forte qu'il y a entre une mère et son enfant.

La strophe suivante montre le fait que tout le monde va dormir en contemplant une Nuit prise par le rêve: «C'est l'heure des étoiles et de la Nuit qui songe/ S'accoude à cette colline de nuages, drapée dans son long pagne de lait.» La colline représente les formes d'une femme, c'est-à-dire la féminité; «la pagne» est une piѐce traditionnelle portée par les femmes africaines. La Nuit «drapée» envoie à l'idée maternelle qui est soutenue par le mot «lait», la nourriture de l'enfant; c'est-à dire: «la Nuit, l'Afrique, nous, nourris.»

La strophe finale dont le cadre est plutôt spirituel, présente une communion entre les vivants et les morts: «Femme, allume la lampe au beurre clair, que causent autour les Ancêtres, comme les parents, les enfants au lit./ Écoutons la voix des Anciens d'Elissa. Comme nous exilés/ Ils n'ont pas voulu mourir, que se perdît par les sables leur torrent séminal./ Que j'écoute, dans la case enfumée que visite un reflet d'âmes propices.» La femme invoquée par Senghor est toujours l'Afrique qui allume le feu avec une huile traditionnelle, puis les Ancêtres et les vivants dans un air magique se mettent à parler autour du feu. Les «Anciens d'Elissa» est un peuple mythique du Senegal, qui à été exilé; il évoque ce peuple en se souvenant de son exile en France. Senghor sent qu'il a la dette de transmettre la culture des Anciens qui «n'ont pas voulu mourir»; il est en contact avec les morts qui lui racontent des histoires dans une «case enfumée» qui répresente les âmes des ancêtres. La rélation avec les morts est chargée de sensualité: «Ma tête sur ton sein chaud comme un dang au sortir du feu et fumant/ Que je respire l'odeur de nos Morts, que je recueille et redise leur voix vivante, que j'apprenne à/ Vivre avant de descendre, au-delà du plongeur dans les hautes profondeurs du sommeil»; l'image de la femme est toujours présente par «le sein chaud», c'est une image de la mѐre protectrice, aimante, l'image de la femme Afrique, sensuelle et chaude comme la «dang» qui est pain traditionnel du Sénégal qui se mange tout juste sorti du four. C'est une image comme chez Proust qui en goûtant une madeleine se souvient de son enfance, chez Senghor, la «recherche du temps perdu» s'effectue par l'odeur des morts et par le goût du pain. À la fin du poѐme Senghor nous annonce qu'il veut nous transmettre tout l'héritage avant de s'endormir pour toujours, avant de «descendre dans les hautes profondeurs du sommeil.»

Le poѐme «Nuit de Sine» décrit l'image de la tombée de la Nuit à la Mort dans un horizon spirituel toujours centré sur la représentation de la femme noire, qui incarne la beauté la plus sensuelle, dans une harmonie de corps ou de son visage «femme, pose sur mon front tes mains balsamiques, tes mains douces plus que fourrure», femme qui peut fournir l'apaisement dans un cadre de nuit africaine, privilégiée pour la solitude à deux sous les «palmes balancées», dans «la brise nocturne»qui apporte «le silence rythmé», c'est l'image d'une Afrique personnifiée, une Afrique au «pouls profond» de la «brume des villages perdus.» C'est un moment unique, sensuel, d'une rare beauté.

2.7. À la découverte de «l'Élégie pour la reine de Saba»

Un poème fondamental dans la poésie de Léopold Sédar Senghor c'est «Élégie pour la reine de Saba», poѐme placé à la fin du recueil Élégies Majeures. Le poète et l'essayiste français Jean-Luc Steinmetz note que ce poѐme a gardé une position finale tout au long des ses différentes éditions: «L'Élégie pour la reine de Saba n'est pas datée. Senghor a toujours affirmé que son élaboration l'avait longtemps tenu occupé. Elle a été publiée dans l'édition illustrée de 1978 et dans l'édition originale de 1979. Sa place, à la fin du recueil, n'a jamais varié depuis 1978.» Nous pouvons dire que ce poѐme, par sa place à la fin de l'ensemble de l'œuvre poétique de Senghor, marque le but d'une allure magistrale. Senghor affirme lui-même l'importance de cette élégie: «le plus souvent, je vis mon poème avant de l'écrire: quelques jours, quelques semaines. Parfois, ce sont plusieurs, voire des années. L'Élégie pour la Reine de Saba, je l'ai vécue toute ma vie.»

Senghor offre aux figures féminines une importance remarquable au fil de ses recueils, ainsi nous observons une «obsession» pour la reine qui apparaît à travers la mention de son peuple dans le poѐme «À l'Appel de la race de Saba» issu du recueil Hosties Noires puis dans un poѐme issu du recueil Éthiopiques, nommé «L'Absente»: «Doucement elles m'ont chanté dans l'ombre le chant de l'Absente, comme on berce le beau bébé de sa chair brune/ Mais qu'elle reviendrait, la Reine de Saba, à l'annonce des flamboyants» et dans «Élégie pour la Reine de Saba»: «Ils m'ont dit les formes des femmes ainsi que des palmiers, et leur charme de gaze. /Et la plus belle est la fille du Roi des rois, la Reine-Enfant, reine du Sud ombreux et du matin en l'an de l'ascension.»

Nous pouvons remarquer l'image de la Reine de Saba également derrière les figures féminines, nobles et belles invoquées dans les poѐmes: «Femme noire», «Épîtres à la princesse», «Élégies des Alizés», «Élégie de Carthage.» Nous pouvons dire que les qualités, le rythme et les attributs de la Reine de Saba sont répandues dans l'entièreté de l'œuvre senghorienne. La femme aimée par Salomon, invoquée dans «Élégie pour la Reine de Saba», symbolise l'Afrique, la femme noire, la poésie et l'amour, qui sont les leitmotifs de la poésie de Senghor. Nous ajoutons que la plupart des poèmes senghoriens portent l'image de la reine noire, sensuelle; tous les poèmes personnifiant l'Afrique sous des traits féminins ou les poèmes amoureux. La Reine représente d'abord l'Afrique et l'Afrique constitue le décor principal des poèmes. C'est une Afrique-matricielle qui incarne souvent des figures féminines noires variées parmi lesquelles la mère, la sœur ou encore l'amie.

«La figure féminine chez Senghor est aussi celle de l'Autre, en tant que double inversé du masculin» c'est-à-dire que les poèmes possèdent une dimension sensuelle, charnelle, sensible, une dimension qui appartient au désir. Nous le verrons au sujet d'Élégie pour la Reine de Saba qui présente la naissance du désir pour la femme éthiopienne et chante ensuite sa satisfaction dans un acte amoureux qui constitue l'épanouissement du sujet: «Quand ta bouche odeur de goyave mûre, tes bras boas m'emprisonnent contre ton cœur et ton râle rythmé […] Oui! Elle m'a baisé du baiser de sa bouche.»

Les critiques soulignent souvent que l'Élégie pour la Reine de Saba est: «une succession de recueils indépendants, mais un ensemble unique de textes.» Le poѐme se présente comme un mélange entre les textes bibliques sur la rencontre de Salomon et de la Reine de Saba et des thѐmes majeurs de la poésie senghorienne: la femme et le royaume d'enfance. Le poѐte revit le souvenir du premier baiser pur et innocent qu'il a reçu de son premier amour, qu'il désigne Maïmoua, son amie, sa sœur: «Je dis banakh du baiser de ta bouche, ma bien-aimée Maïmouna mon amie, ma sœur, son amour/ Et Maïmouna, mon amour, mon amante.» Le mot banakh c'est une onomatopée qui imite le bruit du baiser. La reine noire est invoquée par la lumiѐre qu'elle et que ses bijoux émanent: «Tu m'as visité […] ma Noire, à chaque printemps solennel/ Ma Belle, quand la sѐve chantait […]/ Et toi, debout, le maska marguerite d'or sur ton phare de front, comme un feu dans la nuit.» Le maska c'est un bijoux. Ce poѐme est dominé par un ton passionnant: «Tu délivras une parole: que je retourne sur mes pieds vers toi, vers moi-même ma source/ Mon rêve amour du jardin de l'enfance» et les paroles rapportées introduissent des thѐmes bien senghoriens: «le retour à la source, le retour au royaume d'enfance, et certes une allée à la rencontre de l'aimée mais est aussi un retour vers lui-même, le seul moyen pour retrouver et garder vivante son identité, pour réaliser sa personalité» c'est-à-dire le poѐme a une double dimension: la rencontre du poѐte avec son aimée, mais c'est aussi une ouverture vers l'universel, un retour aux sources identitaires.

La bien-aimée, Maïmoua se métamorphose dans la Reine de Saba qui «dans la constellation l'imaginaire senghorien symbolise la quintessence de la figure féminine, guide spirituel qui, grâce à l'amour, garantit le salut.» Selon les sources historiques, la Reine de Saba était une souveraine Éthiopienne qui apparait comme une très belle reine douée d'une grande sagesse ou bien comme une attirante magicienne. Elle a entendu parler de la sagesse renommée de Salomon et s'est déplacée à Jérusalem pour le connaître et pour lui donner un certain nombre d'énigmes à résoudre. Dans son «Élégie pour la Reine de Saba», Senghor fait appel à cet épisode en invoquant l'image de Salomon dans un chant consacré à la beauté de la reine noire qui peut faire surgir une ѐre nouvelle prophétisée par le poѐte: «Moi, je te chante, comme le roi blond Salomon, faisant danser dansant les cordes légѐres de ma kôra./ Et à l'Orient se lѐve l'aube de diamant d'une ѐre nouvelle/ Car tu es noire et tu es belle.» Pour la tradition culturelle occidentale, se pose souvent la question de la couleur noire concernant les femmes: Comment une femme peut-elle être noire et belle en même temps? Mais ce problѐme a une réponse évidente aux yeux de Senghor pour lequel la couleur noire de la peau des femmes contribue de manière considérable à la beauté de celles-ci. Senghor avoue que dans l'Élégie pour la Reine de Saba il continue de rendre hommage à la femme noire: «J'ai voulu dans cette élégie, chanter mieux que je ne l'avais fait […] ce que représente pour moi la femme noire.»

Dans la quatriѐme strophe du poѐme nous sommes introduits dans le monde de la danse qui a lieu entre les amoureux dans une atmosphѐre sensuelle, magique où la Reine est vêtue d'une «chasuble noire, striquée d'or vert consonant au cimier/ dont la jupe est ouverte sur les flancs, sur les jambes vivantes.» La danse est animée et accompagnée par «le parfum sombre du gongo», les mouvements des amoureux sont de plus en plus intimes et ardents: «avançant l'un vers l'autre, l'onde tremblante nous saisit/ Nous poussa l'un vers l'autre: toi ondulant/ Les bras les mains, comme une corbeille de fleurs signant l'offrande, et moi/ Autour de toi, la tornade de sable ardent en saison sèche, le feu de brousse.» Par le chant de la Reine: «Dis-moi, dis-moi mon Sage mon Poète, ô dis-moi les paroles d'or/ Qui font poids et miracle dans mon sein» se produit une identification magique par les deux «fiancés au soleil et à la lune, ainsi que par la signification de mort-renaissance que leur reconnaît le poѐme»: «Que ton rythme et la mélodie en disposent les sphères dans le charme du nombre d'or! […] et nous fûmes debout, et face à face/ Comme lune et soleil, mains dans les mains, front contre front, nos souffles cadencés […] Des visages de lumière, quand tu reçus […] Le chant des pollens d'or dans la joie de notre mort-renaissance.» Aprѐs une attente de «neuf nuits et neuf jours» l'union des amoureux se produit; une union heureuse grâce à laquelle la création d'un monde nouveau peut être réalisée: «Quand ta bouche odeur de goyave mûre, tes bras m'emprisonnent contre ton cœur et ton râle rythmé/ Lors je crée le poѐme: le monde nouveau dans la joie pascale./ Oui! Elle m'a baisé du baiser de sa bouche/ La noire et belle, parmi les filles de Jérusalem.»

2.8. La féminitude de la négritude senghorienne

Selon le dictionnaire Le Nouveau Petit Robert, la «féminitude» est: «d'après la négritude, caractère propre à l'ensemble des femmes.» Le mot «féminitude» remonte à Simone de Beauvoir et il est considéré comme un néologisme qui prend sa source dans le mot «négritude»; il s'agit de «femme et tude comme nègre et tude.» Si la Négritude est l'affirmation de l'identité noire, de la même manière, la féminitude n'est que l'affirmation de l'identité féminine et le développement de la femme. La féminitude de la négritude concerne, chez Senghor, dans la poétisation de la femme, cette poétisation qui a vraiment contribué au mouvement du féminisme. Senghor a été un écrivain véritablement marqué par le féminisme; dans son œuvre poétique, il a popularisé la femme africaine en proclamant autant sa négritude que sa féminitude. Senghor a milité pour la reconnaissance de la femme, qui a été auparavant ignorée ou non reconnue. Dans la période de la Négro-Renaissance des écrivains panafricains par l'intermédiaire de leur littérature, ont conduit aux mouvements de la négritude par la publication de quelques journaux et revues parmi lesquels: Légitime Défense à Paris, L'Étudiant Noir, Présence Africaine à Paris et à Dakar. Nous ajoutons que parmi les précurseurs, il n'existe aucun nom de femme en raison du fait que la critique et les écrivains de l'époque n'ont pas accordé à la femme un intérêt suffisant, ni comme écrivaine ni comme personnage littéraire, même si la littérature féminine existait depuis longtemps et elle a subi du manque de reconnaissance.

Pour l'écrivaine Calixthe Beyala, le mot «féminitude» concerne les désirs des femmes pour l'affirmation, l'amour, le travail et la liberté, le désir pour la reconnaissance du fait d'être Femme et pour l'acceptation de ce fait. Pour elle, la féminitude est «un mélange de féminisme et de négritude»; en 2003 elle vienne d'écrire le roman «Femme nue, femme noire», en prenant le titre d'après le poème de Senghor. Elle montre dans son roman que, dans l'Afrique c'est la femme qui travaille, elle tient à souligner la suprématie de la femme noire sur l'homme noir, le fait que la femme africaine fait son possible pour maintenir l'ordre et l'harmonie dans son univers.

Le titre Femme noire a été aussi une source d'inspiration pour l'écrivain guinéen Camara Laye pour son premier roman qui a été dédié à sa mère: «L'Enfant noir» apparu en 1956. Dans ce roman, l'enfant rend hommage à la femme qui lui a donné naissance. Sa mѐre symbolise la femme africaine qui a un rôle essentiel dans le roman: «Femme noire, femme africaine, Ô toi ma mère, je pense à toi…» «À ma mѐre» est un extrait du roman, qui présente la mère de l'auteur, qu'il l'appelle Daman: «Ô Daman, Ô ma mère.» Le texte à un ton doux et fait ressortir les sentiments de reconnaissance et d'affection pour sa mѐre. Également, nous trouvons chez Senghor une admiration pour la maternité et la féminité des femmes. Il souligne souvent dans ses poѐmes le rôle de la mѐre, la mѐre qui symbolise l'Afrique. Senghor a nommé l'Afrique avec ses mots. Jean-Paul Sartre affirme que «nommer une chose c'est la transformer». Senghor a nommé l'Afrique noire avec justesse et lucidité. Avec justesse, signifie «avec les mots appropriés car mal nommer les choses, a fait remarquer Albert Camus, c'est rajouter au malheur du monde.» Avec lucidité, c'est-à-dire qu'il «n'ignorait nullement les forces et les faiblesses de cette Afrique.»

La féminitude soutient la proclamation de l'attitude féminine dans la même façon dont la négritude soutient la proclamation de l'attitude nègre. Il y a une certaine ressemblance entre les luttes des Noirs contre la colonisation et celle des femmes pour leur libération, pour leur affirmation et pour leur égalité avec les hommes. La féminitude de la négritude senghorienne est bien sûr une perspective masculine de l'origine du féminisme. La féminitude de Senghor exprime le statut et la condition de la femme de son époque, la femme modeste et résignée, la femme douce, soumise à l'homme.

Chapitre III. Représentations de l'image de la «femme noire» dans l'art négro-africain

L'art négro-africain milite pour l'ouverture au monde. Les poѐtes noirs veulent conceptualiser le Beau et la Vertu comme valeurs essentielles de la féminité. L'œuvre senghorienne présente la femme comme le «Beau pur» comme le dirait Kant. Chez Senghor, la femme ordinaire devient la femme mythifiée, la simple admiration de la femme noire tourne à la vénération. La femme noire est, chez Senghor est un objet d'art. Elle est parfois peinture, sculpture, l'image du «tam-tam sculpté», elle se métamorphose dans des instruments de musique: «tam-tam tendu qui grondes sous les doigts du vainqueur», elle est rythme et chanson. La femme noire est «une sculpture vivante en perpétuel devenir.»

Ce n'est pas seulement la femme noire qui souffre des métamorphoses, c'est aussi le poѐte qui agit en tant que peintre, sculpteur ou musicien. Il y a une correspondance entre l'artiste et l'objet d'art. La femme noire est le symbole de la beauté noire, elle-même, par sa sensualité, par son mysticisme, c'est une œuvre d'art. Elle incarne l'harmonie des formes, l'harmonie des couleurs et des mouvements.

Dans son essai «Négritude, Arabité et Francité», Senghor met en opposition deux conceptions de la beauté en utilisant deux sculptures: Vénus de Milo et Vénus de Lespugue. La premiѐre, est une déesse de la Grѐce Antique, qui symbolise la beauté. C'est une «sculpture photographique» de la femme méditerranéenne, de la femme blonde, parfaite, avec les formes bien proportionées et équilibrées. Senghor considѐre que «les Vénus grecques étaient sculptées pour le plaisir des yeux et surtout de l'esprit. C'étaient des objets-ornements qui flattaient l'orgueil du maître en entretenant un climat d'érotisme.»

La sculpture, qui représente la déesse Aphrodite ou Vénus, la déesse de la beauté et de l'amour, a été découverte au cours des années 1820 sur l'île Mélos ou Milo, une île de la mer Égée et elle est gardée de l'année 1821 jusqu'à aujourd'hui dans le musée du Louvre à Paris.

L'absence des mains de la sculpture reste encore un mystère. Il y a des chercheurs qui affirment que dans l'Antiquité, les statues étaient assemblées à l'aide de plusieurs pièces détachées et avec le temps, les bras se sont disloqués et ont disparu. Des autres disent qu'en raison du manque des bras, le nom de la déesse représentée par la sculpture, ne peut être déterminé; ça pourrait être Danaïde, Artémis ou bien une autre déesse grecque. La chercheuse Virginia Postrel suppose que la Vénus de Milo représente une prostituée qui tenait entre les mains un rouet. Elle avoue que: «sur les amphores on voit souvent les images de prostituées avec un rouet entre les mains, c'est ainsi qu'elles passaient le temps en attendant leurs clients.» Même si la légende de Vénus de Milo est un sujet controversé, la statue reste toujours une représentation de la sensualité et de la beauté féminine qui a été une source d'inspiration et une muse pour de nombreux artistes.

Concernant Vénus de Lespugue, c'est une statuette en pierre ou en ivoire qui remonte à la premiѐre civilisation du paléolithique supérieur. Vénus de Lespugue était sculptée comme symbole magique de la fécondité des femmes. Si Vénus de Milo est seulement un objet d'art descriptif, d'imitation de la femme, celle de Lespugue est plutôt un objet d'art «d'identification.»

La déesse de Lespugue est composée par plusieurs formes, mais si nous l'examinons plus attentivement nous découvrons, comme note Senghor que: «ce sont une tête, un ventre, des seins, des bras, des cuises. La vénus de Lespugue, c'est une image, mais ce sont avant tout des rythmes.»

Image 04. Sculpture, Vénus de Lespugue,

Musée de l'Homme, Paris.

Senghor considѐre que le rythme «c'est l'architecture de l'être, le dynamisme interne qui lui donne forme […]. C'est le sceau de la Négritude.» C'est le rythme du «tam-tam sculpté», c'est-à-dire de la femme noire qui rѐgne sur l'art, sur la musique, sur la peinture, sur la poésie senghorienne. La statuette, haute de 147 mm qui a été découverte en 1922 à Lespugue en Haute-Garonne, est conservée au Musée de l'Homme à Paris.

La forme de cette statuette semble avec celle de la femme africaine, la forme féminine, ovale: «il y a des formes en ovale très allongé (les bras, les seins, les cuisses), des formes en ovale presque sphérique (les fesses), et des ovales de proportion intermédiaire entre ces deux extrêmes (la tête).» Cette géométrie, cette forme ronde, circulaire, sans aucune angle, sans acune ligne droite, s'identifie avec la femme chantée par Senghor dans le volume «Chants d'ombre»: «Beauté classique qui n'est point angle/… courbes de douceur.»

Le mystère de la femme noire se retrouve dans la peinture aussi. Le peintre Paul Gauguin dans l'un de ses tableaux, nommé Manaò Tupapau (L'esprit des morts veille), représente une jeune femme noire appellée Tehura, nue et allongée. Le peintre, comme Senghor, est fasciné par le corps de la femme noire, qui est différent de celui des femmes occidentales. L'artiste a peint la femme allongée sur son ventre, pour garder son mystѐre.

C'est une peinture à huile sur toile réalisée par Gauguin lors de son premier voyage à Tahiti. Au premier plan il représente Tehura, sa compagne, qui est nue et allongée sur des draps à fleurs.

Image 3.2. Tableau, Paul Gauguin, Manaò Tupapau, 1892, Buffalo, Albright-Knox Art Gallery.

Ce qui perturbe l'oeil du spectateur c'est la figure étrange placée au second plan. Ce personnage habillé en noir représente le tupapau qui signifie revenant ou fantôme et semble entrer dans la chambre de Tehura.

Chez Gauguin, comme chez Senghor, le corps de la femme noire est très différent de celui des européennes. Dans l'imagination du peintre, la jeune femme nue symbolise l'Ève. Pour garder le mystère féminin, il n'a pas montré ses attributs de la féminité, comme par exemple dans La Vénus d'Urbino, où Titien a peint les seins de sa muse blanche.

Un autre tableau représentant la femme noire, est celui de la peintre française Marie-Guillemine Benoist. La peinture est nommée Portrait d'une négresse (ou Portrait d'une femme noire), s'inscrit dans le style du Neoclassicisme et se trouve au Musée du Louvre à Paris. Ce portrait qui représente une jeune femme noire, est considéré comme un hommage au féminisme et à l'abolition de l'esclavage dans les colonies par la Révolution Française. La femme est peinte dans une façon qui s'oppose à sa condition de l'époque. C'est-à-dire, l'être douce et sensible, elle a eu la condition d'une esclave, mais dans ce tableau elle est assisse dans un fauteuil drapé d'un riche tissu, ayant le regard vers le monde, vers les spectateurs, c'est une ouverture qui était possible seulement pour la femme blanche, la femme bourgeoise. Même si les principes académiques de l'époque affirmaient que: «le sujet noir et la couleur noire étaient un exercice rebelle à la peinture», le peintre Marie-Guillemine Benoit réussit à démontrer le contraire. Elle réalise un chef-d'œuvre par les nuances de noire utilisées concernant la pigmentation de la peau. Elle crée aussi un subtil contraste chromatique entre le blanc immaculé de la robe, le fond ivoire et la peau de la femme. Le personnage féminin est drapé dans des vêtements aux couleurs de la République (bleue, blanche et rouge), et répresente les promesses concernant l'émancipation des femmes et des esclaves. Le sein nu qui surgit de sa robe renvoie à la figure de Marianne (figure féminine qui incarne la République Française et les valeurs contenues dans sa devise: «Liberté, Égalité, Fraternité»).

L'art a été à côté du poѐte sénégalais toute sa vie. Senghor a été constitué lui-même par l'art; par l'art de donner des contours aux mots, par l'art de s'exprimer, par l'art de créer des mouvements comme la Francophonie, par l'art de civiliser l'Universel. Grâce à son amour pour l'art, Senghor a eu l'occasion de rencontrer certaines artistes parmi lesquels: Marc Chagall, l'un des plus célèbres artistes installés en France au XXѐ siècle, Maria Elena Vieira Da Silva, une artiste peintre portugaise considérée comme «l'un des chefs de file du mouvement esthétique dit du paysagisme abstrait», ou le peintre Alfred Manessier considéré comme l'un des maîtres de la Nouvelle École de Paris. Tous ces artistes ont trouvé dans l'œuvre de Senghor une source d'inspiration.

Le 5 Octobre 2006, à l'occasion du Centenaire Senghor il y a eu lieu à Verson une cérémonie: «Hommage à l'homme de l'art», organisée à l'aide du Conseil Régional de Basse-Normandie. À cet événement se sont rencontrés deux artistes: la plasticienne normande Anne Deshaies et le peintre sénégalais Soly Cissé. Ceux-ci, accompagnés par le Secrétaire Général de l'Organisation Internationale de la Francophonie, Abdou Diouf, le Président du Conseil Régional, Monsieur Philippe Duron, le maire de Verson, Monsieur Michel Marie, l'épouse de Senghor, Madame Colette Senghor et d'autres personnalités politiques et du monde culturel, ont inauguré la sculpture «Le Baobab et Le Pommier» d'Anne Deshaies.

La sculpture se trouve dans le parc de la mairie et représente le moment de la rencontre de deux mondes, des deux cultures, de deux êtres discrèts, la rencontre de Léopold Sédar, c'est-à-dire le baobab du Sine avec sa muse Colette, c'est-à-dire le pommier de Verson. Le poéte a été tout à la fois sérère et normand. Il a gardé la sensibilité et l'émotion acquisées sur la terre de ses ancêtres et il les a complétées par la profondeur de l'amour qu'il a découvert sur la terre normande, «terre de fraternité et de solidarité, terre d'ouverture et de générosité», comme l'appelle Abdou Diouf, dans son discours pour l'inauguration de la sculpture à Verson.

Une autre preuve que l'âme du Senghor a été dominé par l'art est la création du poѐte lui-même de la Fondation Léopold Sédar Sénghor à Dakar, fondée afin de contribuer au développement de l'enseignement supérieur et de la culture en Afrique. La Fondation a aussi un Cénacle européen francophone de poésie, art et lettres où la langue française est privilegiée et réunit des artistes, des écrivains ou des poѐtes qui sont appréciés pour leur talent. Cette année, le 5 Avril, le prix Senghor pour les Arts revient à un artiste roumain, Silviu Oravitzan qui a réalisé la peinture de l'icônostase de l'Église orthodoxe «Schimbarea la Față» à Cluj.

Conclusions

Dans ce mémoire de licence nous avons découvert Léopold Sédar Sengor à travers son œuvre impressionnante et à travers les concepts qu'il a adoptés, c'est-à dire la Négritude et la Francophonie, des mouvements qui impliquent la tolérance, l'acceptation de l'identité et de la culture des Autres, la reconnaissance de chaque peuple dans sa différence, le dialogue culturel; des concepts qui ont une remarquable expression dans la poésie et dans les arts.

Le premier chapitre nous a donné l'opportunité de découvrir Léopold Sédar Senghor, un excellent «rhapsode de l'Afrique», un véritable homme de culture, un homme d'une sensibilité et d'une imagination exceptionelles, un poѐte qui n'abandonne pas dans sa pensée l'image de celle qu'il aime, la femme à la peau «couleur de nuit», avec le corps souple, la femme à l'âme sensible et pûre, la merveilleuse femme africaine qui constitue la muse du poѐte.

Dans le deuxiѐme chapitre nous avons approfondi la recherche concernant l'image de la femme noire que Léopold Sédar Senghor a façonné dans ses poѐmes. Ce chapitre nous a permis d'observer la sensualité avec laquelle le poѐte décrit ses muses. Nous avons découvert qu'il y a quelques visions senghoriennes qui traduisent l'image de la femme; elle est à la fois Femme, Mѐre, Amante, Épouse, Princesse et Reine. Pour chaque image nous avons mentionné des titres appropriés et des vers qui montrent la figure féminine qui correspond. En analysant quelques poésies du recueil «Chants d'ombres», nous avons découvert que le volume peut être structuré en quelques parties: la premiѐre cache l'admiration pour la culture noire, la deuxiѐme partie, comporte une synthèse que le poѐte fait entre le passé, c'est-à-dire sa formation, et le présent, c'est-à-dire l'interférence des deux cultures en mettant en relief l'esthétique nègre, la troisiѐme partie est dédiée aux poѐmes d'amour et la quatriѐme surprend le détachement de l'influence européenne.

L'analyse que nous avons faite sur le poѐme Femme noire nous a permis de découvrir que Léopold Sédar Senghor a créé une véritable ode à l'amour, dediée aux beautés de la femme et à la terre africaine. Chez Senghor, la femme occupe deux rôles essentiels: celui de nourriciѐre c'est-à-dire mѐre et celui d'inspiratrice, c'est-à-dire muse. Elle est l'expression de la sensualité et du mysticisme. Nous avons réalisé que le poѐte manifeste une fascination par la beauté physique de la femme africaine, il parle de sa grandeur et de sa forme unique. Dans notre analyse nous avons remarqué que la strophe qui constitue la fin du poѐme a une importance particuliѐre parce qu'elle prouve le désir du poѐte de garder l'image de la femme noire dans «l'Éternel.» Ce qui lui permet de fixer l'existence et la beauté de la femme africaine dans l'éternité c'est seulement l'art, c'est-à-dire la poésie.

L'analyse que nous avons faite sur le poѐme Nuit de Sine nous a aidés à découvrir que la femme invoquée dans les premiers vers du poѐme représente l'Afrique; c'est l'image d'une Afrique personnifiée, présentée dans un moment unique, d'une rare beauté, à la tombée de la nuit.

Le troisième chapitre de ce mémoire de licence nous a donné l'opportunité de découvrir l'image que la femme noire a dans l'art. Nous avons constaté que la femme noire, est elle-même, par sa sensualité, par son mysticisme, une œuvre d'art; elle incarne l'harmonie des formes, l'harmonie des couleurs et des mouvements. Nous avons fait des recherches sur les deux sculptures que Senghor a mentionné dans son essai «Négritude, Arabité et Francité», Vénus de Milo et Vénus de Lespugue et, regardant les images de ces sculptures, nous avons observé qu'elles représentent deux figures féminines vraiment différentes. Vénus de Milo est la femme méditerranéenne parfaite, avec les formes équilibrées, que Senghor considère avoir été sculptée seulement pour le plaisir des yeux, pour attirer l'attention des hommes. Concernant Vénus de Lespugue, nous avons observé qu'elle a plusieurs formes, particulièrement ovales, qui représentent la féminité, la volupté de la femme africaine. Par ce chapitre nous avons découvert que la femme noire était une source d'inspiration pour les peintres Paul Gauguin et Marie-Guillemine Benoist qui ont représenté dans leur peinture la sensualité et la beauté féminine.

Dans ce dernier chapitre de notre mémoire de licence nous avons constaté que le poѐte Léopold Sédar Senghor a eu une vie marquée par l'art et que ce fait a été célébré à l'occasion du Centenaire Senghor par la sculpture Le Baobab et Le Pommier qui a une impressionnante signification; elle représente le moment de la rencontre des deux cultures: la culture sérère de Senghor et celle normande de sa muse et épouse Colette.

Bibliographie

Benoist, Joseph Roger de, Kane, Cheikh Hamidou, Léopold Sédar Senghor. Collection Politiques et chrétiens, Éditions Beauchêne, Paris, 1998;

Bokiba, André-Patient, Le siѐcle Senghor, L'Harmattan, Paris, 2001;

Bourges, Hervé, Léopold Sédar Senghor – Lumiѐre noire, Éditions Mengѐs, Italie, 2006;

Césaire, Aimé, Cahier d'un retour au pays natal, Éditions Présence Africaine, 1983;

Chevrier, Jacques, Littérature nѐgre, Éditions Armand Colin, Paris, 1984;

Delas, Daniel, Senghor et la musique, Éditions Clé International, Paris, 2006;

Eno Belinga, Samuel-Martin, La Prophétie de Joal, Édition Clé, Yaoundé, 1975;

Joubert, Jean-Louis, Littérature Francophone, Anthologie, Éditions Nathan, Paris, 1992;

Lebaud-Kane, Geneviѐve, Imaginaire et création dans l'œuvre poétique de L. S. Senghor, Éditions L'Harmattan, Paris, 1995;

Mencé-Caster, Corine, Confiant, Raphaël, Senghoriana: éloge à l'un des pères de la Négritude, Éditions Publibook, Paris, 2011;

Mhoumadi, Nassurdine Ali, Un métis nommé Senghor, L'Harmattan, Paris, 2010;

Mudimbe, Valentin-Yves, Panorama de la pensée africaine contemporaine de la langue française, Recherche, Pédagogie et Culture, Paris, 1982;

Nissim, Liana, Le Cantique des Cantiques dans les Lettres Françaises, LED Edizioni Universitarie, Milano, 2006;

Senghor, Léopold Sédar, Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française: Précédée de «Orphée Noir» par Jean-Paul Sartre, Presses Universitaires de France, Paris, 1972;

Senghor, Léopold Sédar, Chants d'ombre, Éditions du Seuil, Paris, 1945;

Ibidem, Œuvre poétique, Hosties noires, Éditions du Seuil, Paris, 1990;

Ibidem, De la Negritudine la Civilizația Universului, Editura Univers, București, 1986;

Ibidem, Hosties Noires, Poѐmes, Nouvelles éditions africaines, Éditions du Seuil, Paris, 1974;

Ibidem, Liberté I, Négritude et Humanisme, Éditions du Seuil, Paris, 1950;

Senghor, Léopold Sedar, Liberté III, Négritude et Civilisation de l'Universel, Éditions du Seuil, Paris, 1977;

Ibidem, Liberté V, Négritude et dialogue des Cultures, Éditions du Seuil, Paris, 1993;

Ibidem, La poésie de l'action, Stock, Paris, 1980;

Ibidem, Négritude, Arabité et Francité, Imprimerie Dar al-Kitab, Beyrouth,1969;

Sartre, Jean-Paul, La Responsabilité de l'écrivain, Éditions Verdier, Paris, 1998;

Singare, Issiaka Ahmadou, L'œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor: esthétique de la reception, procès de la création, Hal, Pontoise, 2012;

Steinmetz, Jean-Luc, Léopold Sédar Senghor, Poésie complète, Édition Critique, Paris, 2007;

Thioune, Birahim, Léopold Sédar Senghor. Un combattant parmi les hommes, un poѐte devant Dieu, L'Harmattan, Paris, 2014.

Articles

Fernando Lambert, La figure de la femme dans la poésie de Léopold Sédar Senghor dans Nouvelles Études Francophones, n°1, vol.22, 2007;

Tié Emmanuel Toh Bi, Lettres, Arts, Sciences Humaines et Sociales, dans Revue Africaine, n°5, 2011;

Tié Emmanuel Toh Bi, Poétique et Poétisation de la femme noire par la Négritude et la post-Négritude dans Revue Africaine, n°5, 2012.

Dictionnaires

Dictionnaire des Synonymes, Éditions Larousse-Bordas, Paris, 2000;

Le Nouveau Petit Robert, Éditions Dictionnaires Le Robert–Paris 2008;

Le Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Éditions Dictionnaires Le Robert–Paris, 2003.

Ressources électroniques

Centenaire Senghor, http://www.ville-verson.fr/vie-culturelle/leopold-sedar-senghor-et-verson/octobre-2006-centenaire-senghor/ publié en Octobre 2006 sur le site officiel de la ville de Verson; Consulté en ligne le 9 mai 2018;

Élégie pour la reine de Saba de Léopold Sédar Senghor: Du moi au Toi sur les ondes de l’Autre, https://mondesfrancophones.com/espaces/afriques/«-elegie-pour-la-reine-de-saba-de-leopold-sedar-senghor-du-moi-au-toi-sur-les-ondes-de-lautre-»-introduction-au-memoire-de-master/, par Juliette Akriche, le 18 décembre 2010; Consulté en ligne le 13 mars 2018;

Exposé: Femme noire, http://adama-femmenoire.blogspot.ro/2011/08/exposefemme-noire.html, par Adama, le 26 août 2011; Consulté en ligne le 5 février 2018;

L'art de la préhistoire est une affaire bien trop importante pour être confiée aux préhistoriens – une analyse de la face arrière de la Vénus de Lespugue, http://www.quatuor.org/analyse-du-verso-de-la-Venus-de-Lespugue.html, par Christian Ricordeau, le 12 février 2012; Consulté en ligne le 27 avril 2018;

La féminitude de la négritude senghorienne, http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1902, par Ngozi O Iloh et Osas Emokpae-Ogbebor, 2014; Consulté en ligne le 5 avril 2018;

Léopold Sédar Senghor, Bibliographie,

http://www.bnf.fr/fr/outils/lr.resultats_recherche_simple.html?query=leopols+sedar+senghor&x=0&y=0, par Bibliothèque nationale de France direction des collections département Littérature et art, 2006; Consulté en ligne le 22 novembre 2017;

Léopold Sédar Senghor – La Négritude, http://www.adomcours.com/leopold-sedar-senghor-la-negritude/, par Armelle, le 25 septembre 2015; Consulté en ligne le 18 décembre 2017;

Léopold Sédar Senghor: le corps de la femme noire ou la géographie magique d’une terre https://www.brepolsonline.net/doi/pdf/10.1484/J.LLR.3.57, par Jacqueline Michel, le 3 avril 2017; Consulté en ligne le 27 janvier 2018;

Maria Elena Vieira da Silva, https://www.babelio.com/auteur/Maria-Elena-Vieira-da-Silva/218672, par Marion Kalter, le 26 juin 2015; Consulté en ligne le 14 mai 2018;

Portrait d’une négresse, https://lesyeuxdargus.wordpress.com/2013/10/08/portrait-dune-negresse-de-marie-guillemine-benoist/, par Astrid de Brondeau, le 8 octobre 2013; Consulté en ligne le 2 mai 2018;

Prix Senghor des Arts. Prix remis en Roumanie, http://cenacleeuropeen.eklablog.fr/prix-senghor-des-arts-a136150426, par Cénacle européen francophone; Poésie, Arts, Lettres, le 5 avril 2018; Consulté en ligne le 4 mai 2018;

Un exceptionnel homme de culture, http://baamadou.over-blog.fr/2015/08/leopold-sedar-senghor-1906-2001-un-exceptionnel-homme-de-culture-par-amadou-bal-ba-http-baamadou-over-blog-fr.html.par-amadou-bal-ba-http-baamadou-over-blog-fr.html par Amadou Bal, le 13 août 2015; Consulté en ligne le 15 novembre 2017;

Une histoire de la Francophonie, https://www.francophonie.org/Une-histoire-de-la-Francophonie.html, par Organisation Internationale de la Francophonie; Consulté en ligne le 11 janvier 2018;

Vénus de Milo: une prostituée avec un rouet entre les mains?,

https://fr.sputniknews.com/culture/201505171016083642/, pour Sputnik France, le 17 mai 2015, par Eric Feferberg; Consulté en ligne le 21 avril 2018.

Similar Posts