Littérature Maghrébine D’expression Française Comme Langue Du Combat Identitaire
Ministère de l’Éducation de la République de Moldova
Institut de Relations Internationales de la République de Moldova
Faculté Langues Étrangères
Département Philologie Française
Mémoire de licence
Littérature maghrébine d’expression française comme langue du combat identitaire
Effectué par l'étudiante en III-ième année
groupe 3LM1
Varta Irina
Directeur de recherche:
Dodu–Savca Carolina
docteur ès lettres
maître de conférences
Chișinău 2014
Table des matières
Introduction ………………………………………………………………………………………………………………..3
Chapitre 1. La littérature maghrébine d'expression française : incursion diachronique et synchronique …………………………………………………………………………………………………………………6
L’émancipation littéraire dans les pays du Maghreb francophone…………………….6
Les genres de la littérature critique au Maghreb……………………………………………..9
Les générations littéraires de la période coloniale : de l’Indépendance à nos jours……………………………………………………………………………………………………………………………..12
Chapitre 2. Particularités du combat identitaire dans la littérature maghrébine……………………………………………………………………………………………………………………23
2.1 Identité du monde algérien dans le conflit de générations ………………………………..24
2.2 Identité du monde marocain ou la libération par l’écriture…………………………………29
2.3 Identité du monde tunisien et la rébellion contre les injustices……………………………33
Chapitre 3. Les valeurs culturelles du combat maghrébin ………………………………………………….38
3.1 Combat pour redéfinir l’individualité, l’affirmation de soi…………………………………38
3.2 Le statut de la femme, la voix féminine dans la littérature francophone du Maghreb………………………………………………………………………………………………………………………..41
3.3 Le désir de liberté, le combat contre l'injustice sociale………………………………………46
Conclusion……………………………………………………………………………………………………………………53
Bibliographie………………………………………………………………………………………………………………..55
Résumé…………………………………………………………………………………………………………………………58
Annexe
Introduction
Notre recherche traite le problème du combat identitaire dans la littérature maghrébine d'expression française. Cette littérature fortement marquée par le colonialisme français, surtout en Afrique du Nord, mais aussi dans les autres colonies françaises, a connu un développement considérable à partir de la Seconde Guerre mondiale. Le trois pays du Maghreb francophone sont : le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Comme espace littéraire le Maghreb a donné naissance à de nombreux écrivains désormais fameux dans leurs pays et au-delà des frontières d’origine.
Le présent mémoire traite la littérature maghrébine d’expression française comme une modalité de recherche identitaire, d’affirmation de soi par le « je » chez tous les écrivains. Les littératures francophones comportent les littératures du Sud, guidées par le père fondateur de la Francophonie Léopold Sédar Senghor, et celles du Nord, représentées par la littérature maghrébine d’expression française. L’ensemble des ces littératuresest en expansion sous le signe de la question identitaire qui est un problème présent dans la production littéraire du XXe siècle et qui reste aussi importantde nos jours. Il nous semble impératif de nous poser cette question et de l’analyser dans l'écriture maghrébine.
L’actualité du sujet s'explique par la particularité de ce thème. Certes, le texte maghrébin en langue française fait l’objet d’un grand nombre de thèses et de travaux critiques dans plusieurs universités. Les perspectives, les optiques, les instruments d'approches et les conclusions de ces études sont très diversifiés, toutefois, nous ne pouvons jamais affirmer que tout a été dit puisque le texte offre aux lectures un degré d'ouverture quasi inépuisable. En conséquence, nousconsidérons que l’actualité du sujet sur l’identité est un thème actuel et ardent. De plus, son actualité est due à l'importance croissante des thèmes développés au niveau mondial qui mettent au premier plan l'être humain, sa condition, son rôle et statut.
Le but de ce mémoire est de mettre en évidence un faisceau de traits pertinents du combat identitaire reflété par la littérature maghrébine d’expression française et de spécifier les voix de chaque identité des trois pays maghrébins francophones susmentionnés. Nous allons présenter dans une perspective diachronique et synchronique le développement et l'intégration de la littérature du pays de Maghreb dans l'espace francophone, la lutte pour l'identité et son acceptation. D’ailleurs le but émerge de l'actualité et de la pertinence du sujet et se compose de recherches sur le problème de l'expression des auteurs maghrébin dans la langue de l’Autre.
L’objectif principal de travail est de relever comment ces écrivains justifient leur statut d’intellectuels dans la langue de l’Autre et comment leur discours suit deux directions apparemment opposées : vers son origine et vers le monde pluriel et ouvert. Les objectifs spécifiques sont repartis en deux :
– illustrer la position de l’écrivain issu du Maghreb et identifier son rapport direct avec l’espace d’origine et notamment –sa langue et sa culture ;
– analyser, comparer et argumenter le statut de l’écrivain qui considère nécessaire de sortir de son espace originaire, étroit et contraignant qu'est Maghréb-France, et de s'ouvrir vers un contexte global.
Ce combat signifie accepter la pluralité. Dans l’analyse effectuée lors d’une approche pragmatique et synthétique, le mémoire décrit le statut de la littérature de la langue française du Maghreb, défini par le combat identitaire et l’esprit de liberté, le refus du principe d’autorité, le rejet du principe de système, un nouvel abord de la religion et de structures sociales.
Le support méthodologique et théorique dumémoire est constitué sur une bibliographie importante des ouvrages réputés dans le domaine et des œuvres d’écrivains maghrébins aussi bien que français. Nous appliquerons les méthodes de recherche comme l'analyse, la synthèse et l'étude corrélationnelle, dans l'oeuvre de : Mohamed Ridha Bouguerra, Sabiha Bouguerra, Histoire de la littérature du Maghreb, Paris, Ellipses 2010 ; Jean Déjeux, Lémergence du « je » dans la littérature maghrébine de langue française, vol :13, 1991 ; Bonn Charles, Khadda Naget et Mdarhri-Alaoui Abdellah (sous la direction de), Littérature maghrébine d'expression française : coordination internationale des chercheurs sur les littératures magrébines, EDICEF, 1996 ; Bonn Charles, Garnier Xavier et Lecarme Jacques, Littérature francophone, Hatier, 1997 ; Jean Déjeux, La littérature féminine de langue française au Maghreb, Paris, Karthala 1994.
Structure de la thèse : Notre mémoire comporte l’introduction, le corpus principal divisé en trois chapitres qui à leur tour sont divisés en trois sous-chapitres, la Conclusion et la Bibliographie, suivies par les Annexes et le Résumé. Tout d’abord, nous ferons une incursion dans ce que nous appelons littérature maghrébine d’expression française, la définition, les notions générales, les genres littéraires abordés, et une présentation détaillée des générations des auteurs du Maghreb. Nous traiterons des questions d'identité, d'expression, des problèmes sociaux et familiaux. Après une description détaillée dans le deuxième chapitre de la littérature algérienne, tunisienne et marocaine, nous passerons dans le troisième chapitre au thème de l'affirmation de soi, le passage de « nous » à « je. Nous illustrerons la condition féminine dans les œuvres des écrivains maghrébins d’expression française, où ils revendiquent la libération de la femme et évoquent une société traditionaliste déséquilibrée, où les fils se révoltent contre la tyrannie patriarcale.
Donc, nous dédierons notre mémoire à cette étude en vertu des défis et des perspectives qu’elle ouvre. Afin de mieux expliciter les notions clés de notre sujet de recherche, nous avons opté pour un corpus des notions principales qui figureront au cours de notre travail.
Mots-clés : la littérature magrébine d’expression française, le Maghreb, colonisation, littérature contestataire, littérature de cri, identité, combat identitaire, affirmation de soi, l’émancipation et l’égalité de la femme, littérature de combat, conditions sociales et familiales.
Chapitre 1. Littérature maghrébine d'expression française : incursion diachronique et synchronique
« La langue d’un poète est d’abord "sa propre langue ",
celle qu’il crée et élabore au sein du chaos linguistique,
la manière aussi dont il recompose les placages de mondes
et de dynamismes qui coexistent en lui. »
Abdellatif Laâbi, Souffles, n°1, 1966.
L’émancipation littéraire dans les pays du Maghreb francophone
Ce que nous appelons aujourd'hui la littérature maghrébine d’expression française a été d'abord une littérature écrite par des auteurs de pays d'Afrique du Nord comme un signe de rébellion contre le colonialisme français. Nous pouvons dire d'autant plus comme un cri contre l'imposition de la volonté des envahisseurs, un refus de se soumettre à des règles discriminatoires de la société. La littérature maghrébine d'expression française ou francophone émergée après la Seconde Guerre mondiale étant une fille de la colonisation et même si certains ont prédit « sa disparition prochaine » [1, p.34] dans un Maghreb souverain elle a survécu malgré toutes les prophéties. Une littérature qui existe un peu plus d'un demi-siècle mais pourtant reconnue et appréciée sur la scène intellectuelle, elle est déjà couronnée par plusieurs prix et même intronisée à l’Académie française par la réception dans le temple des Lettres de la pionnière de la littérature féminine algérienne, Assia Djebar.
Avec l'installation des Français en Maghreb ont augmenté le nombre de voyageurs étrangers dans les pays du « Soleil Couchant » [2] qui y laissent des empreintes à la fois littéraires et picturales , ce qui bien sûr a laissé des traces sur la culture de ces pays . Aujourd'hui, nous parlons de la littérature maghrébine d’expression française née dans les trois pays du Maghreb, tout d'abord en Algérie vers l’année 1930, avec les écritsdes fonctionnaires de l’administration coloniale, puis s’étend aux deux pays voisins le Maroc et la Tunisie . Nous remarquons que ce syntagme se compose de « Maghreb » et de « langue française », ce sont deux univers culturels intercalés en formant finalement un tout entier . Même si cette littérature est écrite par des écrivains d'origines, de nationalités, de cultures et de religions fort diverses, issus du Maghreb, des juifs: le Tunisien – Albert Memmi, le Marocain – Edmond El Maleh; des chrétiens – l’Algérien Jean Amrouche; des berbères – Mohammed Khaïr-Eddine au Maroc, les Kabyles – Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri en Algérie et d’autres , elle reste un espace ou « un lieu imaginaire » [3, p.45] dans lequel les auteurs expriment leur identité, la volonté et l'espoir.
La littérature maghrébine tisse puisent ses sources aussi bien de la littérature arabophone, francophone que berbère. Les thèmes, les cheminements et les enjeux de ces trois littératures sont parfois concomitants, mais souvent évoluent de façon parallèle. Les langues et les cultures travaillent les œuvres de l'intérieur. Les différentes productions littéraires offrent des lectures de la société maghrébine, des rapports entre les êtres, des expériences, des imaginaires communs partagés ou créés, réinventés, réappropriés. L'histoire du Maghreb nous installe devant une modalité sociolinguistique du contact des langues. La langue arabe et les parlers berbères sont en contact avec la langue de la colonisation. Cette situation a généré une production littéraire très diversifiée. Les littératures francophones du Maghreb sont également plurielles. La production littéraire maghrébine d'écriture française a longtemps été attachée à la problématique de l'identité culturelle. Il y a encore quelques années, elle n'arrivait pas à se défaire des thèmes de la revendication identitaire, du déchirement, de la fermeture sur soi, de la contestation, du témoignage.
Soulignons qu’au moment des combats pour l'indépendance cette littérature a d'abord visé un public plutôt français, dont il fallait gagner la confiance, pour la bonne cause de la libération du Maghreb. Alors que aujourd'hui, elle est devenue classique par sa participation aux programmes scolaires maghrébins, elle a survécue a l'arabisation des trois principaux Etats du Maghreb : Maroc, Algérie, Tunisie et s'adresse maintenant vers un public maghrébin plutôt qu’au public français, installant un nouveau dialogue intellectuel et culturel entre les deux rives de la Méditerranée [4, p.21].
De cette façon, comment nous avons mentionné les trois littératures du Maghreb sont nées de la colonisation. En imposant sa domination au pays, le système colonial gérait aussi la formation et la culture : il diffusait sa langue par le canal privilégié de l'école, par l'administration, la justice et la presse, pour faire de la langue le « ciment de l'union » de populations disparates. Cette « francisation » sous la contrainte de l'histoire et du pouvoir est lisible dans la littérature [5, p.11]. Cet apprentissage linguistique touchait une élite et imprégnait aussi l'ensemble des colonisés, par le détour de la marginalisation des langues et des cultures autochtones. Ce qui n'est pas français est rejeté dans les marges d'une culture ravalée au rang de folklore, marginalisation que les pouvoirs d'après les indépendances ne sauront ou ne voudront pas affronter, se souciant essentiellement de remplacer le français par l'arabe classique. La percée des œuvres est plus précoce en Algérie qu'au Maroc ou en Tunisie, car la politique d'assimilation y a été plus systématique et plus longue et que le système de colonisation a été celui d’une colonie de peuplement. La langue d'expression des écrivains n'est alors ni une langue maternelle qu’il parle à l’oral, ni la langue écrite d'avant la conquête, telle arabe classique , mais la langue du colonisateur apprise à l'école, instrument de cette « culture de nécessité » dont parlait l'essayiste algérien Mostefa Lacheraf dans Algérie, nation et société dès 1965 [6, p.16]. À partir de cette norme apprise sous la contrainte, puis par un choix « plus réfléchi d'offensive sur le terrain même du conquérant , les écrivains maghrébins usent de cet outil en reproducteurs dociles et si leurs textes sont intéressants à lire, on ne peut pas dire qu’ils appartiennent pleinement à la littérature, ou ils sont des créateurs inventifs » [7, p.16]. Car un usager de la langue ne devient écrivain que lorsqu’il maîtrise la langue de base à laquelle il se réfère par exemple – le français, en y inscrivant son imaginaire et qu’il n’est plus maîtrisé par elle.
Dans une perspective diachronique nous constatons qu’au long de l’histoire existe plusieurs étapes de renouvellement des textescréés. Ensuite, nous allons essayer de les énumérer, en essayant d'expliquer les caractéristiques de chacune. Dans les premiers écrits, le français littéraire des Maghrébins, appris au cours d’une formation bilingue dans les médersas, se caractérise par « une hypercorrection où la préciosité du style laisse affleurer maladresses et formules ampoulées » [8, p.120]. Ces écrivains, fortement ancrés dans la langue et la culture arabo – musulmane, ont des modèles esthétiques surtout réalistes. Les premier textes publié sont des romans, nouvelles, poèmes. Le roman colonial dans cette période englobe en soiles conventions réalistes qui expose des idées à caractère social. Le souci dominant est d’ordre informatif plus qu’esthétique. Ils prennent la plume pour témoigner de leur existence et de celle de leur communauté, de leur différence qu’ils estompent en formulant un discours plus ou moins sincère d’ adhésion à la mission civilisatrice de la France.
Avec la génération des « classiques », dans la décennie qui suit 1945, le rapport à la langue française évolue. Encore peu nombreux, les écrivains n’en sont malgré tout pas les défricheurs. La scolarisation s'enracinant, l'instrument linguistique est de mieux en mieux maîtrisé, les recherches esthétiques se font plus sensibles et le texte devient œuvre de création et non plus simple témoignage. Cette génération est celle des fondateurs qui ont conduit une réflexion critique sur leurs sociétés doublée d’une prise de conscience identitaire Driss Chraïbi, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri (1920-1959), Mohammed Dib, Ahmed Sefrioui, Kateb Yacine (1929-1989).
La troisième génération, celle de la post-indépendance algérienne, et celles qui la suivront, acquièrent progressivement, de 1962 à nos jours, un rapport à la langue moins honteux, plus ludique et plus prospecteur comparable à celui que nouèrent certains écrivains de la génération précédente comme Mohammed Dib, Kateb Yacine, Driss Chraïbi ou Albert Memmi mais avec une distance appréciable vis-à-vis de la seule « mesure » coloniale [9, p.121]. Refusant les balises d'une culture étroite et sélective, ils « investissent la langue apprise de références inhabituelles dans sa sphère dominante de fonctionnement, détournent le champ symbolique de ses effets attendus. L'équilibre à trouver entre les sources diverses n'est pas chose aisée, car la mémoire de la violence coloniale est inscrite, malgré tout, dans l'usage de la langue française, ainsi que la perte de l'idiome de l'origine » [10, p.122].
Si nous évoquons les œuvres où le français est un instrument d’expression et non de création, ce qui sociologiquement et quantitativement est intéressant pour l’ancrage du français au Maghreb, peuvent être résummées deux positions propres aux écrivains :
Refuser de continuer à écrire en français, soit en arrêtant d’ écrire, c’est le cas limite de l’Algérien Malek Haddad, soit en écrivent en arabe classique, comme l’a fait Rachid Boudjedra, ou bien langue populaire, les expériences sont surtout réalisées ici dans le domaine théâtral et ainsi que dans quelques récits écrits en berbère.
Prendre le français à bras le corps, le travailler et le dynamiser, comme dans tout acte de création littéraire, quelle que soit la langue. On entre alors véritablement en littérature. Ces œuvres à deux voix au moins élaborent une esthétique de la bipartition qui constitue, dans la littérature universelle, leur spécifique. La langue est totalement dominée, elle n’est plus un conditionnement. Elle est « un instrument d’exploration d’un réel transformé par le Verbe et par une subjectivité créatrice de l’ œuvre dans son temps » [11, p.87].
L'aspect majeur de la littérature maghrébine de langue française dérive, bien évidemment, de la position de celles et de ceux qui ont décidé de s’inscrire sans complexe dans cette langue pour se l’approprier. L'émergence de véritables créations ne peut advenir que si l'on bannit toute forme de censure de l'imaginaire. Parce que la triple censure politique, idéologique et linguistique pèse lourdement sur les trois pays du Maghreb, la plupart des œuvres publiées à l'intérieur des frontières sont « frileuses et timorées » [12, p.88]. Dans les années 1980, il était sensible un mouvement de recentrement de la création à l'intérieur du Maghreb, et en particulier en Algérie. Actuellement, il s'estompe sous l'effet de la violence qui caractérise les rapports des forces politiques aux intellectuels de ces pays. Toutefois, nous notons les efforts des éditeurs dans les trois pays qui œuvrent à l’édition locale, libérant les écrivains de vaines recherches en France. Le Maroc est le plus dynamique avec par exemple, les éditions Eddif et les éditions Le Fennec, la Tunisie, avec Cérès éditions, l’Algérie avec Casbah éditions ou les éditions Barzakh. La colonisation appartient au passé. Les meilleurs écrivains maghrébins, délivrés de ce contexte, ont pu et peuvent sans complexe vivre leur création en langue française, trop souvent sous d'autres cieux que les leurs, et offrir au patrimoine universel des fruits incomparables [13, p.19].
1.2 Les genres de la littérature critique au Maghreb
Bien sûr que la Seconde Guerre mondiale a eu une influence considérable sur la littérature maghrébine francophone. Essentiellement elle a favorisé la prise de conscience nationale, et elle a cohabité avec celle en arabe classique. Les écrivains maghrébins nourris de culture française l’utilisent pour affirmer leur volonté d’exister. La forme romanesque était privilégiée largement, étant sans doute la plus apte à rendre témoignage des difficultés, à dénoncer les injustices, à faire état des revendications. Mais elle ne s'arrête pas ici, ayant des formes comme la poésie, l’essai, l’une autorisant l’épanchement des sentiments personnels par exemple les recueils de Jean Amrouche, de Nabile Farès, d’Abdellatif Laâbi, l’autre permettant de disserter, d’argumenter ; les diverses études de Tahar Ben Jelloun sur l’immigration et le racisme; d’Albert Memmi sur le colonialisme et les relations entre communautés [14, p.45]. Elle néglige en revanche le théâtre, que viennent concurrencer des pièces populaires en arabe dialectal, comme l’illustre l’œuvre de Kateb Yacine.
La meilleure façon de dessiner un panorama d’une littérature, nous disons « une » littérature mais à trois volets « nationaux », est de prendre comme horizon de référence la littérature algérienne qui, par sa longévité, propose une évolution des genres et des écritures sur près de deux siècles. Toutefois, depuis vingt ans, l’épanouissement des œuvres en langue française dans les deux autres pays, complexifient la carte littéraire en innovant ou renforçant les grandes tendances. Les œuvres maghrébines émergent sur un fond colonial existant, dans un rapport conflictuel aux langues, et dans la perspective d’un avenir d’indépendance ou d’autonomie par rapport à la littérature française métropolitaine et coloniale. Néanmoins, elles inscrivent dans leur texture le dialogue inévitable avec l’autre, qui lui se déroule dans la révolte ou l’apaisement.
Le premier genre qui a été adopté au XIXe siècle a été l’essai et continue toujours à l’être. Il offrait une tribune efficace pour revendiquer une place dans l’espace colonial. Il y sera fait recours chaque fois qu'un écrivain éprouvera le besoin d'apporter sa contribution originale à un débat culturel ou politique.
Les formes narratives sont ensuite les plus fréquentes. La nouvelle et le roman ont souvent en mémoire l'art du conte ou de ses équivalents traditionnels. Les narrations se multiplient. Elles prennent pour sujet une vie exemplaire, la vie même du narrateur, les autobiographies posant la question de l’identité et de l’assimilation, les mille petits faits quotidiens d'une communauté qui permettent de proposer une autre image du Maghreb, en contrepoint du discours colonial. Avec les exégètes Mohammed Dib, Driss Chraïbi, Mouloud Mammeri, Mouloud Feraoun, Albert Memmi, ces narrations acquièrent l'ampleur des romans classiques, avec ses techniques et ses effets. Nous pouvons dire qu'aujourd'hui tous les registres du genre romanesque ont été et sont explorés : le psycho-social, le guerrier, le policier, l'historique, le sentimental. Nedjma (1956), de Kateb Yacine, fait « exploser les catégories traditionnelles et marque le début d'une remise en cause des modèles qui a encore des héritiers, et qui suppose la dislocation du temps, de l'espace, des personnages, l'éclatement des structures romanesques » [15, p.48]. Cette recherche d'un texte – que par commodité générique les éditeurs ou les auteurs nomment « roman » – est patente chez la plupart des écrivains actuels : Rachid Boudjedra, Habib Tengour, Tahar Djaout, Abdelkebir Khatibi, Abdelwabad Meddeb, Abdelhak Serhane par exemple mais aussi ceux qui ont disparu prématurément comme Rachid Mimouni, Rabah Belamri, Salah Garmadi ou Mohamed Khaïr-Eddine. Les formes narratives sont également le support de traductions-adaptations de pièces du patrimoine maghrébin ou d'intégration de ces pièces dans les textes de fiction.
De son côté l'expression théâtrale a connu, plus que toute autre, les aléas des interdits linguistiques. Les pièces de Kateb Yacine, jouées avant 1962, disparaissent très vite pour délit de langue. Les dramaturges optent pour des créations en arabe classique ou, plus souvent, en arabe dialectal, ce qui ne dépassionne pas le débat [16, p.66].
En effet, le problème fondamental du théâtre maghrébin n'est celui de la langue que par l’impact recherché : ce genre qui s'adresse directement au public dans sa langue le touche profondément, et « chaque innovation est vécue par les pouvoirs en place comme un geste de défi » [17, p.66]. Les interdits, les censures, les blocages de toutes sortes frappent les dramaturges et les acteurs. Depuis 1989 en Algérie, à la faveur d'une ouverture culturelle, un renouveau du théâtre s'était manifesté. Des pièces ont été jouées par les mêmes acteurs en arabe puis en traduction française : Slimane Benaïssa, Ziani Cherif Ayad. Mais la reprise en main de la part de l'intégrisme religieux, de la censure idéologique dans le champ politique stérilise toute théâtralité critique et accule les créateurs à l'exil et à la diffusion de leurs pièces hors des frontières. Le Maroc et la Tunisie plus accueillants au renouveau théâtral et à tous les arts du spectacle en général, bénéficient de créations et valorisent cet art de première urgence pour des pays qui conservent un fort taux d'analphabétisme, malgré les programmes d'instruction en cours depuis les indépendances dont il faudra attendre les effets littéraires à plus long terme.
La poésie, enfin, demeure une constante littéraire maghrébine. La langue française ne fait pas exception. Née dans l'exil avec Jean Amrouche, elle est aujourd'hui une des expressions essentielles de Maghrébins qui résidaient en France comme Mohammed Dib, Jamel Eddine Bencheikh et qui vivent toujours en exil comme Hedi Bouraoui, Abdellatif Laabi, Tahar Bekri ou Amina Saïd mais aussi de ceux qui résident au pays comme Mohamed Loakira.
Aux côtés des grands, nous trouvons une multitude d'expressions poétiques mineures ou éphémères, antérieures et contemporaines. Elles sont « le fruit d'événements brûlants » [18, p.68]: poésie algérienne de la guerre d'indépendance, poésie marocaine de résistance des années 1970, d'instantanés vécus – « à coups de pied et à coups de poing » [19, p.68], selon l'expression de l'Algérien Abderrahmane Lounès. Poésie du terroir, poésie de l'espoir, poésie du « tiroir », elle se diffuse par autoéditions, manuscrits ronéotés, lectures publiques, radiodiffusées. Lorsque des manifestations sont organisées « poésiades », « jardins de la poésie », « journées poétiques » , elles attirent une foule dense venue écouter des déclamations dans quatre langues [20, p.68-72].
Les générations littéraires de la période coloniale : de l’Indépendance ànos jours
Au cours de notre mémoire, nous avons remarqué que les critiques littéraires généralement distinguent quatre générations d'écrivains magrébins. C’est en Algérie que la première génération se manifeste à travers des essais et des romans à thèse, avant 1945. Si M’hamed Ben Rahal aurait écrit, en 1891, la première nouvelle en langue française. Le premier roman , en 1920, est de Ben Si Ahmed Bencherif (1879 – 1921) et s’intitule Ahmed Ben Mustapha, Goumier, (Paris, Payot) suivi peu après de Zohra la femme de mineur, de Hadj Hamou Abdelkader, ( Paris Editions du Monde Moderne, 1925). Il faut aussi citer les noms de Chukri Khodja (1891 – 1967), Mohammed Ould Cheikh (1905 – 1938), Aly El Hammamy (1902 – 1949), Rabah Zenati (1877 – 1952), Djamila Debêche (née en 1926) et Marie – Louise – Taos Amrouche (1913 – 1976). Jean Amrouche (1906 – 1962) se détache du contexte et donne à la littérature maghrébine de langue française ses premiers poèmes nourris de spiritualité et de recherche identitaire [21, p.14 – 15]. Nous ne trouvons pas l’équivalent de cette génération en Tunisie, devenue protectorat français par le traité du Bardo en 1881 et par la convention de La Marsa en 1883, ni au Maroc, devenu protectorat français en 1912. Comme ces deux pays recouvrent leur indépendance en mars 1956 [ 22, cf.], leur histoire coloniale est beaucoup plus brève que celle de l’Algérie et les écrivains s’expriment plus volontiers en langue arabe, ayant subi moins violemment les effets de l’assimilation.
Si nous prenons dans une perspective synchronique, du côté des générations littéraires d’après 1945, ce sont les écrivains les plus connus et il est difficile de les passer sous silence. Pendant les années 1940-1970 la production littéraire dite francophone de cette génération d'écrivains peut être présentée comme l'expression de la tradition, c'est la période du choc des cultures, de l'acculturation et du malaise. Les contacts entre les modèles occidentaux et la culture arabo-berbère du Maghreb font éclater l'harmonie sociétale ainsi que les systèmes de représentation. En Kabylie, deux écrivains « inscrivent leur région au cœur d'une nation à naître et d'un pays en souffrance » [23, p.16] : Mouloud Feraoun (1913-1962 ; Le Fils du pauvre, Les Chemins qui montent, Journal) et Mouloud Mammeri (1917-1989 ; La Colline oubliée, Le Sommeil du juste). À l'ouest, en Oranie, Mohammed Dib (1920-2003) fait vivre avec réalisme des personnages du petit peuple des villes et des campagnes dans sa trilogie, Algérie. Conjointement, son texte est « habité par un verbe poétique où lyrisme et inspiration ancestrale s'unissent dans un rêve d'avenir » [24, p.16]: L'Incendie (été 1954) est une métaphore prémonitoire. Malek Haddad (1927-1978) et Kateb Yacine (1929-1989), à l'est, dans le constantinois du pays, achèvent de donner toute sa dimension spatiale au roman algérien . Nedjma est un roman où la quête du passé, l'amour et le mythe de l'origine favorisent, par une écriture nouvelle, la recherche d'un Maghreb qui doit surgir des chaos de l'histoire. Assia Djebar (1936), enfin, entame son itinéraire de création par un récit très controversé avec La Soif. Sensiblement à la même période, Albert Memmi ( né en 1920) inaugure l'expression littéraire tunisienne en langue française par son roman autobiographique, La Statue de sel, et son essai, Portrait du colonisé (1957). Au Maroc, Ahmed Sefrioui (1915-2004) publie Le Chapelet d'ambre (1949). Mais c'est Driss Chraïbi (1926) qui s'impose avec éclat par son autobiographie iconoclaste, Le Passé simple (1954), où il enfreint l'obligation de réserve tacite sur les tares de la société colonisée [25].
Tous ces auteurs qui sont reconnus aujourd'hui comme les classiques maghrébins partagent deux préoccupations et ils les ont traduites, différemment, dans leurs fictions : la description sensible de communautés méconnues ou mises à l'écart ; l'affirmation d'une humanité autre avec laquelle le colon doit désormais compter. Quant aux œuvres adaptées du patrimoine traditionnel, elles répondent à ce même souci d'affirmer une existence culturelle sans lien avec la domination, pour l'Algérie, Saadeddine Bencheneb, (1907-1968), Mostefa Lacheraf, né en 1917, Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri ; pour le Maroc, Ahmed Sefrioui, Elisa Chimenti ; et, pour la Tunisie, Mahmoud Aslan [26, p.85].
La troisième génération d'écrivains maghrébins francophones et notamment après l’année 1962, se caractérise par des stratégies d'écriture de recherche. Il s’ouvrent des thématiques fort diverses et plurielles :
• le désir d'intégration et la crainte de la perte d'identité ;
• le dialogue entre la culture araboberbère et la culture occidentale ;
• les rencontres fécondes des codes divers d'écriture littéraire ;
• les écritures dites de l'immigration.
Les indépendances, dont on pensait qu'elles mettraient un terme à l'expression littéraire en langue française, la voient au contraire non seulement perdurer et s'enrichir en Algérie, mais se déployer au Maroc et en Tunisie.
Dans une approche géographique nous constatons qu’en Algérie, la guerre de libération a fait exploser des expressions poétiques multiples dont la plupart s'effacent, la paix revenue. Demeure la belle œuvre poétique d’Anna Greki (1931-1966). Les poètes poursuivent leur aventure solitaire en tentant le partage avec ces « citoyens de beauté » que Jean Sénac (1926-1973) veut imposer au réel par la force de ses mots [27, p.86]. Par ses œuvres Le Soleil sous les armes, Matinale de mon peuple, Avant-Corps, et son action, il reste le soleil tenace de la poésie algérienne, jusqu'à son assassinat en août 1973 et au-delà. Il entraîne dans son sillage un poète comme Djamal Amrani, et de plus jeunes poètes comme Malek Alloula (1937), Youcef Sebti (1943, assassiné en 1993), Rachid Boudjedra, Hamid Tibouchi, Abdelhamid Laghouati, Tahar Djaout (1954, assassiné en 1993), Rabah Belamri (1946-1995) et tant d'autres. Malgré la répression et l’incarcération, Bachir Hadj Ali (1920-1989) publie une œuvre poétique attentive aux différentes langues et cultures. Dans l'exil où ils ont choisi de vivre, Mohammed Dib et Jamel Eddine Bencheikh (1930-2005) toujours écrivent. Le premier publie avec régularité romans, nouvelles, pièces de théâtre, poèmes, surprenant le lecteur par la diversité et la richesse de ses créations, dont Le Sommeil d'Ève en 1989 et Le Désert sans détour en 1993, Simorgh en 2003 et Laëzza, en 2006, à titre posthume. Le second édite assez tardivement des poèmes engrangés depuis 1956 puis, coup sur coup, plusieurs recueils, dont Transparence à vif en 1990 et Alchimiques en 1991. Son dernier recueil, Sans répit de lumière paraît en 2003. Ici, le poème occupe tout l'espace de la création, la parole poétique étant la seule à même de délivrer des sens qu'un jour nos mémoires d'avenir pourront revisiter et traduire [28, p.44].
Le théâtre que Kateb Yacine a écrit avant 1962 devient ensuite son pôle principal de création en arabe dialectal. Parmi les essayistes de la guerre – dont l'Algérien d'adoption, Frantz Fanon (1925-1961) – demeure Mostefa Lacheraf, qui poursuit ses analyses exigeantes du réel. Mouloud Mammeri, présent à intervalles espacés dans l'édition littéraire avec La Traversée du désert, (1982), se consacre à des recherches linguistiques et anthropologiques sur la culture berbère. Malek Haddad se tait. Assia Djebar publie plusieurs romans majeurs, parcours de création couronné par son élection à l’Académie Française en 2006. Le climat de débat violent et passionné autour de la question de la langue et de la culture ne facilite pas l'épanouissement des talents mais néanmoins ne les étouffe pas totalement [29, p.88].
En outre, de nouveaux écrivains viennent enrichir cette littérature formant aujourd'hui sa troisième et même sa quatrième génération. Citons dans l'ordre de publication de leurs premières œuvres, Mourad Bourboune né en 1938 ; Le Muezzin, 1968, Rachid Boudjedra (1941) qui entre avec fracas et scandale dans le monde des lettres avec La Répudiation en 1969, Nabile Farès (1940) ; Yahia, pas de chance, 1970, Habib Tengour ( né en 1947 ; premier récit en 1978), Yamina Mechakra ( née en 1945) dont La Grotte éclatée est une des œuvres majeures sur la guerre de libération, Tahar Djaout (1954-1993 ; L'Exproprié, 1981) et ses romans corrosifs et dénonciateurs : Les Chercheurs d'os et Les Vigiles, Rabah Belamri et son dernier roman Femmes sans visage (1992), Hawa Djabali (1949) et son roman, Agave, en 1983 ; Malika Mokeddem (1951), publie Les Hommes qui marchent en 1990 et a édité, en 2005, sa septième œuvre, Mes hommes ; enfin Nina Bouraoui (née en 1968), dont la naissance littéraire a été très remarquée, avec La Voyeuse interdite (1991) et a reçu le Prix Renaudot en 2005 pour Mes mauvaises pensées, sa 9ème œuvre. Autour de ces noms prestigieux ou en voie de consécration, gravitent, en Algérie et en France, d'autres noms d'écrivains dont la position est plus excentrée, comme celui de Leïla Sebbar (née en 1940) qui, de Fatima, ou les Algériennes au square (1981) à son dernier récit, Le Silence des rives (1993), puis aux recueils de nouvelles et aux collectifs, occupe une place tout à fait particulière au cœur d'un triangle qui relie littérature française, littérature algérienne et littérature migrante [30, p.88-91].
Tous ces écrivains se sont imposés d'emblée par une œuvre forte, c'est le cas de Rachid Boudjedra ou de Yamina Mechakra, ou progressivement, en passant de récits assez proches du souvenir d'enfance à des fictions majeures, c'est le cas de Rabah Belamri ou de Malika Mokeddem. Selon Joubert « Leurs regards sur le réel, décapants et incisifs, leur pouvoir de suggestion et de transposition sont la preuve jamais démentie du geste de lucidité qui caractérise la littérature, annonciatrice des maux qui guettent une société obsédée par son désir de recentrement sur une authenticité mythique et monolithique, la conduisant à l'expulsion de toute marque d'étrangeté » [31, p.18]. C'est dire que cette littérature est un enjeu essentiel où se jouent son existence et sa reconnaissance, jamais stabilisée depuis son émergence.
Les critiques font remarquer qu’une nouvelle génération d’écrivains de nouveaux venus s’imposent en commençant avec des années 90 et plus nettement vers 1995. Ces représentants cultivent des vraies valeurs, trois d’entre eux étaient déjà connus du lectorat algérien mais ont pris leur pleine mesure en exil : Aziz Chouaki (1951) et L’Etoile d’Alger (1997) ; Abdelkader Djemaï (1948) et Sable rouge (1996), Anouar Benmalek (1956) et Les amants désunis (1998) ; de nouveaux venus, comme Maïssa Bey (1950) et son second roman Surtout ne te retourne pas en 2004, ont des parcours déjà reconnus et très prometteurs : Nourredine Saadi (1944 ) et son très beau second roman, La Maison de lumière (2000), Boualem Sansal (1949) dont l’entrée en littérature fut fracassante avec Le Serment des barbares en 1999 et qui confirme sa position d’œuvre en œuvre . D’une génération suivante, Sofiane Hadjadj (1970) et son récit, Ce n’est pas moi (2003) Salim Bachi (1971) et son roman Le Chien d’Ulysse (2001) et El-Mahdi Acherchour et son poème, suivi d’autres, L’œil de l’égaré (1997). La plupart de ces titres ont reçu des prix et distinctions et un accueil notable de la critique [32, p.114].
Au Maroc, la littérature de langue française n'offre pas du tout le même visage, elle est plutôt le fait, comme en Tunisie, de créateurs isolés qui ont choisi de s'exprimer dans cette langue. Depuis une vingtaine d’années cependant, cet isolement devient un mouvement plus ample qui permet aux écrivains marocains et tunisiens de former une littérature reconnaissable au sein de l’ensemble maghrébin.
Avans tout les critiques estiment qu'un tel écrivain comme Ahmed Sefrioui – a peu écrit après ces premières œuvres et meurt en 2004, et au contraire comme Driss Chraïbi – représente le plus connu de ces écrivains avec, à son actif, une quinzaine de romans d'une grande diversité, notoriété qu’il partage avec Tahar Ben Jelloun (1944), dont les romans et récits sont simultanément célébrés par le public et souvent critiqués par « l’intelligentsia marocaine » [33, p.46]. Ainsi de la polémique qui a entouré son roman, Cette aveuglante absence de lumière, sur le bagne de Tazmamart, en 2001. Il a publié, en 1973 son premier récit, Harrouda, et obtient le prix Goncourt pour La Nuit sacrée, en 1987. Comme Chraïbi ou Khatibi, certains de ses récits déplacent les personnages vers d'autres espaces que le Maghreb [ 34, p.46].
L'intrusion de Mohammed Khair-Eddine (1941-1995), à l'écriture agressive et provocatrice dans Agadir, 1967, ou bien Légendeet vie d'Agoun‘Chich, 1984), et la parution de la revue Souffles dont il est le père fondateur, mettent brusquement les écrivains marocains, autour des années 1970, aux premiers rangs de la littérature maghrébine. Abdellatif Laabi (1942), qui publie en 1969 L'Œil et la nuit, puis Les Rides du lion (1989), emprisonné puis libéré, tente de rendre dans son écriture un peu de la violence du monde carcéral et devient le chef de file d'une narration poétique de l'engagement et du refus. Abdelkebir Khatibi (1938) innovait en 1971 dans l'autobiographie en publiant La Mémoire tatouée. Plus proche de l'écriture de l'essai que de celle de la fiction, il a néanmoins fait paraître, en 1990, Un été à Stockholm. Enfin, plus récemment, Abdelhak Serhane (1950) donnait un souffle nouveau au roman marocain avec Messaouda en 1983. Mohammed Loakira (1945) poursuit, depuis L’Horizon est d’argile (1975), un parcours poétique exigeant. Du côté des femmes, des œuvres romanesques, le plus souvent d’inspiration autobiographique ou dans la veine d’un témoignage sociologique, paraissent : Fatima Mernissi (1940) édite, parmi ses très nombreuses publications, Le Maroc raconté par ses femmes en 1984 puis Rêves de harem, en 1994. En 1985, Badia Hadj Nasser publie Le voile mis à nu, en 1990, Nouzha El Fassi publie Le Ressac, Fatiha Boucetta publie Anissa captive en 1991. En 1992, c’est Dounia Charaf qui fait paraître L’Esclave d’Amrus puis Nadia Chafik, en 1995, Filles du vent. La même année, en 1999, Rajae Benchemsi publie six récits, Fracture du désir et, Yasmine Chami-Kettani, un roman à l’écriture ciselée, Cérémonie. Nous ne donnons que quelques titres de cette abondante production. Nous la concluons par les contes savoureux et impertinents de Hafsa Bekri-Lamrani, Jellabiates, en 2001, qui suivent l’évolution de la société marocaine à partir d’un vêtement archétypique, la djellabah [ 35, p.134].
Le cas de la Tunisie est encore différent de ses voisins. En 1975, un Tunisien, Mustapha Tlili (1937), fait paraître un roman, La Rage aux tripes. En 1979, le public commence à se familiariser avec l'écriture sophistiquée d'Abdelwahab Meddeb (1946) qui publie Talismano, et définit sa position comme celle de l'« entre-deux », irrécupérable tant par le « nationalisme » que par le « fondamentalisme ». De son côté Albert Memmi (1920) continue à faire paraître poèmes, romans, essais dont un Portrait du décolonisé arabo-musulman et de quelques autres, en 2004 [ 36, p.135].
Durant la même période, des poètes, qui continuent à publier actuellement, éditent leurs premiers recueils : Hedi Bouraoui (1932) dès 1966, Salah Garmadi (1933-1982), Nos ancêtres les bédouins en 1975, Moncef Ghachem (1947) en 1970, Majid El Houssi (1941) en 1972, Sophie El Goulli en 1973, Chems Nadir (pseudonyme de M. Aziza – 1940) en 1978. Avec des écrivains plus nombreux, la littérature tunisienne se fait alors une place dans le champ maghrébin de langue française. Dejeux a dit « Elle rejoint les préoccupations d’ autres auteurs avec une réflexion et des réalisations originales dans sa recherche d'un syncrétisme ou d'un ajustement entre les deux cultures et les deux langues, sans doute parce que le bilinguisme français-arabe y est mieux vécu parce que mieux maîtrisé » [37, p.11].
Il nous faut noter la création tout à fait originale, dans le conte et le récit filmique de Nacer Khemir, dont on connaît L'Ogresse en 1978, qui, entre rêve et histoire, et par la magie du verbe, parvient à donner existence à un pays jamais advenu. D'autres écrivains viennent encore enrichir cette littérature tunisienne, tels que Tahar Bekri ou Amina Saïd, auteurs de plusieurs recueils de poèmes. Hélé Béji (1948), déjà connue pour un essai, publie un récit autobiographique, L'Œil du jour (1985), et plus récemment un nouvel essai, Une force qui demeure (2006). Fawzi Mellah (1946) – également dramaturge, comme Hedi Bouraoui, fait paraître coup sur coup deux romans au rythme enlevé, dont Le Conclave des pleureuses, (1987). Enfin, un très beau roman, Chronique frontalière (1991), de Emna Bel Haj Yahia (1936) suivi de deux autres romans, évoque l'inaccomplissement des vies féminines, d'une parole en sourdine, plus corrosive que bien des cris [38, p.47].
Des écrivains maghrébins d'origine juive ont choisi d'être citoyens d'un des trois pays du Maghreb après l'indépendance et, au début des années 1980, ont publié une première œuvre, suivie d'autres : le Marocain Edmond Amran El Maleh (Parcours immobile, 1980) a reçu en 1996 le Grand Prix du Maroc pour l’ensemble de son œuvre d’une hauteur et d’un complexité inégalées, le Tunisien Gilbert Naccache (Cristal, 1982), l'Algérienne Myriam Ben (1928-2001) fait paraître son premier recueil de nouvelles, Ainsi naquit un homme en 1982, suivi de nombreux autres textes poétiques, autobiographiques et dramatiques.
En ce qui concerne l'avenir de cette littérature il est optimiste.
Au terme de ce parcours, il apparaît que la littérature maghrébine de langue française, déjouant les sombres pronostics, a refusé de disparaître. Khatibi estime que « Elle s'est entêtée à dire la réalité maghrébine, malgré des idéologies totalitaires au pouvoir qui entendaient restreindre considérablement la marge d'expression. Pour cela, elle a dû souvent s'expatrier pour se faire entendre. […] Sur le plan strict des écritures, les genres codifiés ont fait place à une prose narrative ou poétique inclassable » [39, p.4]. Des sucroît que les réalisations vont des recherches les plus hermétiques aux récits dont la symbolique plus accessible et suggestive laisse place à la liberté du lecteur. Nombreuses sont également les écritures de l'urgence, sachant marier engagement et symbolisme. Ici se posent la question : comment échapper à l'histoire dans un Maghreb en pleine mutation ?
Sur le plan des échanges entre les deux domaines linguistiques de création, la complémentarité s'est imposée davantage que la concurrence. Des metteurs en scène et des auteurs passent, sans complexe, d'une langue à l'autre. Les auteurs se traduisent mutuellement. De cette façon, les recherches esthétiques convergent vers une modernité assumée. La notion de « bilangue » avancée par le Marocain Khatibi, définie comme « langue de l’aimance », peut se retrouver peu ou prou chez de nombreux auteurs qui signent une identité « métisse » dans la dynamique de l’Histoire et contre le mythe de la pureté de l’origine. De plus la revendication d’une existence et d’une écriture aux dimensions du monde est « une façon de répondre à la difficile résidence au pays, pour des motifs divers, et conjointement à l’impossible renoncement aux marques et traces d’une société et d’une culture d’origine » [40, p.5] . Ces écrivains vérifient une nouvelle fois l’adage qui veut que « son pays, on le porte en soi ». De cette apparente contradiction entre éloignement et proximité, ils font leur terreau d’invention et d’innovation.
Nous pouvons présenter ici un bel exemple de ce désir de partage et de dialogue avec un pan de mémoire prestigieux et actif peut être donné en observant l’espace de création qu’est le recueil des Milles et Une Nuits. À partir de 2005, La Bibliothéque de la Pléiade publiait une nouvelle traduction, due à Jamel Eddine Bencheikh et André Miquel, de ces contes. Auparavant, le Marocain, Mostafa Nissaboury ( né en 1943) avait publié en 1975 son poème, La Mille et Deuxième Nuit, et l’on sait que trois des romans de Tahar Ben Jelloun ont les contes arabes comme référence, L’Enfant de sable, 1985 ; La Nuit sacrée, 1987, et La Nuit de l’erreur, 1997. Le conteur tunisien, Nacer Khemir a rendu vivante cette tradition de l’oralité, de la poésie et de l’impertinence. Abellatif Laâbi fait se rencontrer, dans sa pièce de théâtre, Exercices de tolérance (1993), Shérérazade et Rimbaud. En 1996, son compatriote, le Marocain Lotfi Akalay ( né en 1943) publiait, en un roman désopilant et dénonciateur, Les Nuits d’Azed. La même année, la Tunisienne, Fawzia Zouari, faisait paraître un essai remarquable sur la création de la femme arabe et maghrébine, Pour en finir avec Shahrazade. La Shérazade de Leïla Sebbar a quelque chose à voir avec son illustre ancêtre, comme celle de l’ Algérienne Salima Ghezali, Les Amants de Shahrazade, 1999. Une autre Algérienne, Maïsssa Bey, écrit ses « contre – Nuits » avec son roman, Cette fille – là ( 2001). Enfin, un nouveau romancier algérien, Mourad Djebel ( né en 1967), publie en 2005, Les Cinq et Une Nuits de Shahrazède. Il y a bien là un imaginaire commun qui tisse la mémoire et l’avenir de ces écritures maghrébines, tous genres confondus, fécondant le conte ancien en un feu d’artifice de nouvelles écritures [41, p.68].
Les femmes, minoritaires jusque là, ont fait une percée remarquable depuis 1980 dans les deux langues. Elles s'essaient dans d'autres genres que l'autobiographie. Plus encore que les Algériennes, les Tunisiennes et les Marocaines s’illustrent dans le genre de l’essai, y proposant des textes exemplaires. Elles semblent aussi visiter avec bonheur le roman historique, le mal aimé de la littérature maghrébine de langue française, comme c’est le cas de Fawzia Zouari ou de Allia Mabrouk d’une part, de Zakya Daoud d’autre part. En cela elles sont à associer à leurs confrères qui travaillent ainsi à rendre leurs mémoires aux Maghrébins comme l’Algérien, Djamal Souidi ou le Tunisien, Rafik Darragi. Nous remarquons aussi que, dans cette soif de quête et d’enquête, le roman policier se taille une belle part, soit en s’intégrant en position seconde dans maints romans réalistes, ainsi chez Fawzi Mellah, chez Boualem Sansal, chez Ben Jelloun, soit en proposant les tribulations d’un policier : ainsi l’inspecteur Ali du Marocain, Driss Chraïbi est devenu célèbre comme l’inspecteur Llob de l’Algérien, Yasmina Khadra [42, p.18].
En ce début de XXIe siècle où les perspectives pour ces trois pays sont inégalement optimistes, l’avenir des écritures est assuré mais leur constitution en ensembles littéraires pleinement dynamisés dans leurs espaces nationaux est loin d’être acquise car l'histoire politique du Maghreb selon Bouguerra « freine brutalement le mouvement ascendant. Si l’exil n’est pas synonyme de stérilité pour le créateur, il ne peut rester la condition majeure des écrivains d’une littérature nationale surtout lorsqu’il est plus imposé que choisi » [43, p.237].
Née de l'exil dans une langue, dans une histoire , la littérature maghrébine de langue française demeure, pour d'autres raisons, une littérature de l'exil et en exil. Soutenus par les maisons d'édition parisiennes les plus prestigieuses, célébrés par de multiples prix littéraires, ses écrivains restent d'« ailleurs », sans reconnaissance de « résidence ». Les institutions de leurs pays ne les intègrent pas à part entière dans les circuits de diffusion. Les institutions françaises les diffusent avec leur label d'exotisme.
Si le Maghreb, enlisé dans sa difficile naissance à la modernité, ne peut reconnaître, comme une partie de lui-même, leur différence, ils seront condamnés à être les témoins d'une époque éphémère de l'histoire. Nous pouvons au moins, souhaiter que ces écrivains soient assimilés à une plus vaste littérature de la Méditerranée et de l'Orient, où le Maghreb accepterait son Nord sans que l'Europe désavoue son Sud. À l'heure où les échanges interplanétaires doivent prendre toutes leurs dimensions, ils représentent une partie modeste mais tenace de la fertilité de rencontre des cultures et des langues.
De toute façon l’examen à part des productions maghrébines dans chacun des pays concernés s’impose-t-il comme une évidence, c’est que nous faisons ensuite.
Références :
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Chapitre 2 Particularités du combat identitaire dans la littérature maghrébine
« L’écrivain est irremplaçable dans son rôle spécifique :
il est l’expression des inquiétudes de la société, de ses doutes,
et même de sa lutte contre elle–même, de sa négativité. […].
Il faut qu’une société accepte et supporte une certaine dose de mise
en question, et c’est là le travail des écrivains »
Albert Memmi, Présence du Maghreb, [1, p.26–27]
Nous avons déjà mentionné que les premiers textes sont nés dans les années trente, mais la première grande période se situe vers les années 50-60. C'était l’époque de la déchirure, de la décolonisation, surtout en Algérie. Malgré le fait que la plupart des critiques aient estimé que la littérature maghrébine sera soumise à une disparition très proche, aujourd’hui encore, la Tunisie, le Maroc, l’Algérie, connaissent une production littéraire impressionnante en français, étant appréciée par son bon mérite, et non seulement elle a survécu contre vents et marées, mais s’est enrichie davantage, tous genres confondus, de noms célèbres. C’est vrai, un certain nombre d'auteurs ont choisi le chemin de l'exil, en raisons de fait politiques et économiques qui aura lieu dans leurs pays. Les écrivains révoltés expriment leur déception par rapport à l’évolution de leur pays, la crise économique, l’absence de démocratie, le caractère étouffant d’un islam sclérosé et archaïque ils choisissent de vivre dans la plupart des cas à Paris. Mourad Bourboune (Algérie) après la prise de pouvoir de Boumedienne; Tahar ben Jelloun (Maroc) vit à Paris, Rachid Boudjedra a fait un va-et-vient entre Paris et Alger, avant de se fixer à Alger, tout en connaissant les risques majeures [2, p.20–32].
Nous pouvons nous interroger aussi sur l’appartenance à la littérature maghrébine de ceux et celles, nombreux aujourd’hui, qui étant d’origine algérienne marocaine, ou tunisienne, sont nés ou ont été tôt transplantés en France et qui, se considérant plutôt Français que Maghrébins. Quand ils ne revisitent pas leur passé en Algérie, par exemple comme Mehdi Charef dans À bras-le-cœur, ils ont donné pour cadre à leurs œuvres leur nouvelle patrie et non celle de leurs parents. Cette littérature pose la question de l’identite de ces enfants d’immigrés comme Akli Tadjer et Abdel Hafed Benotman et parmi lesquels nous pouvons compter aussi des binationaux comme Leïla Sebbar ou encore Nina Bouraoui qui, malgré d’évidentes racines maghrébines ne conçoivent leur vie que de l’autre côté de la Méditerranée. Littérature de la déchirure, elle parle, néanmoins, aux Maghrébins par sa recherche identitaire et sa volonté de ressourcement plus ou moins assumée. Selon Albert Memmi « Il y a lieu donc de parler d’une littérature des Maghrébins de France, une littérature des Français du Maghreb » [3, p.17]. Pourtant, les auteurs, et ceux du Maghreb et ceux de l'étranger, à travers leurs œuvres révèle la dure réalité avec laquelle a été confrontée la société de pays colonisés.
En ce qui concerne le français remarquons que c'est une autre question épineuse. Ils doivent se faire entendre par un public étranger en écrivant dans la langue de l’Autre. Même pour les écrivains qui ont choisi cette langue comme mode pratique d’atteindre un public plus large et qui ne trouvaient rien de dramatique dans une telle situation, c’est une sorte de contradiction. Toujours est-il que le choix de la langue de l’Autre est pour un écrivain maghrébin marqué de blessures parce que ce choix n’est pas fondé sur l’égalité. Or, le français renvoie à un ancien rapport tel que: colonisateur vs colonisé, dominateur vs dominé. La question de la langue au Maghreb est spéciale parce qu’elle passe par l’histoire difficile des relations entre le Maghreb et la France. Comme le souligne les spécialistes de littérature maghrébine de langue française Charles Bonn, Xavier Garnier et Jacques Lecarme, la question de la langue « […] est une question vitale qui engage tout l’être : un problème d’identité » [4, p.116].
En fait, nous pensons que c'est le temps de faire la description des moments les plus importants dans le développement et l'appréciation de la littérature maghrébine d’expression française dans chaque pays duroyaume de « Soleil Couchant ».
2.1 Identité du monde algérien dans le conflit de générations
La littérature maghrébine de langue française et plus particulièrement la littérature algérienne, a été fortement marqué par l’histoire coloniale. Quelques jeunes auteurs Maghrébins, afin d’exprimer le malaise que leur inspirait la situation sociale et politique dans leurs pays respectifs, se sont appropriée la langue française en considérant, selon l’expression de Kateb Yacine, comme un « butin de guerre qu’ils ont été chercher jusque dans la gueule du loup » [5, p.23]. Tout d’abord, le français a été une arme de revendication face à l' « Autre », ensuite, face au « Même », le moyen de s'analyser et de mettre à nu les maux sociaux du Maghreb indépendant. Cela veut dire que plusieurs préoccupations ont dominé la thématique des plus importantes œuvres de cette littérature depuis sa naissance et notamment :
— identité, affirmation de soi, refus de l'ordre colonial et de son idéologie, avant les indépendances à travers des textes dits de « témoignage » et de « combat revendicateur ».
— critique sociale, relation au pouvoir, insatisfaction culturelle, origine et identité, conflit entre les différentes formes de culture, oralité, exil, – dans les productions d'après.
D’autre part un grand choc qui a ébranlé l’Algérie fut la Seconde Guerre Mondiale qui a suscité une vie littéraire plus riche. Les relations avec la Métropole furent coupées pendant un certain temps, cela a favorisé le rassemblement de jeunes talents autour de ce que la plupart appelle l’école d’Alger. Il s’agit là, pour commencer, d’auteurs français d’Algérie, qui prennent leurs distances avec une littérature « algérianiste » plus ancienne qui voulait nier la culture musulmane. L’œuvre de Louis Bertrand est un exemple type de cette littérature « algérianiste » plus ancienne. L’exégète parle de l’Afrique latine: « Nul autre écrivain […] n’a défendu avec autant de force et de persévérance l’existence d’une tradition latine africaine et sa continuation par les néo-latins, venus reprendre le 24 flambeau de leurs ancêtres. L’Islam était mis entre parenthèses et la colonisation se trouvait ainsi légitimée » [6, p.51–52]. Albert Camus est le représentant le plus illustre de la nouvelle école d’Alger, dans ce sillage les écrivains de culture arabo-berbère s’essayent à l’écriture en français. Dans le même temps, leur statut d’intellectuels algériens colonisés fait qu’ils se sont éloignés de l’arabe classique sans avoir à choisir. Du reste, l’enseignement du colonisateur avait plutôt pour but d’éradiquer la langue et la culture arabes et bien sûr que l’apprentissage du français constituait le seul moyen de promotion sociale. Joubert a dit, en donnant également des exemples concrets : « Les premières générations d’écrivains algériens, qui ont reçu une solide instruction française, ont souvent été privées de formation arabe classique. C’est le cas de Jean et Taos Amrouche, de Mouloud Feraoun, de Mouloud Mammeri, de Mohammed Dib, Kateb Yacine, Malek Haddad, etc. » [7, p.176]. L’écrivain algérien qui est soumis à de telles situations est privé de son public « naturel », c’est-à-dire ses compatriotes, parce–que dans les années 60 il y a beaucoup d’analphabètes au Maghreb. Cet auteur écrit donc pour « l’autre », le public européen qu’il espère sympathisant, et auquel il s’efforce de présenter les réalités algériennes. Et « cette présentation des réalités algériennes ne lui vaut pas toujours des commentaires élogieux de la part de ses collègues auteurs qui se trouvent parfois dans la même situation. Il s’agit bien là du drame linguistique du colonisé : il possède deux langues qui ne sont pas deux outils de statut égal, mais qui ouvrent deux univers en conflit : celui du colonisateur et du colonisé » [8, p.176]. Malheureusement, c’est la langue maternelle du colonisé qui est la moins valorisé. Joubert a cité Albert Memmi dans Portrait du colonise « Dans le conflit linguistique qui habite le colonisé, sa langue maternelle est humiliée, écrasée. Et ce mépris, objectivement fondé, il finira par le faire sien. De lui même, il se met à écarter cette langue infirme, à la cacher aux yeux des étrangers, à ne paraître à l’aise que dans la langue du colonisateur » [9, p.176].
Partout dans les œuvres algériennes et maghrébines, jusqu’aux plus récentes, nous retrouvons ce thème par exemple chez Assia Djebar: « Le français est ma langue marâtre » dans L’amour, la Fantasia, (1985), ou chez Malek Haddad qui s’exprimé comme suit dans son travail Je t’offrirai une Gazelle, (1959) « Je t’aime. En arabe, c’est un verbe qui dépasse l’idée ». Mais aussi : « Il dit “ Ah ! Bon ? ” quand il n’y a rien à dire ? Il admire les Français parce qu’ils savent parler. La langue est peut-être française » [10, p.54].Citons encore : « Je suis moins séparé de ma patrie par la Méditerranée que par la langue française » [11, p.159]. Comme nous pouvons le voir pour Haddad, la langue française symbolise clairement l’exil.
L’éloge de la langue maternelle est un passage obligé, de même qu’une justification du choix du français. Les auteurs peuvent choisir de s’avancer, et de transformer le français en arme de libération, ou ils peuvent choisir d’innover, selon Kateb Yacine, mais, nous venons de lire que Boudjedra considère cela comme « épousseter les dicos français » [12, p.28]. Il n’y a sans doute pas de vraie réponse comment sortir de ce dilemme. En tout cas, les premières œuvres de littérature maghrébine écrites en français ne montrent guère de recherche littéraire d’avant-garde. Ce n’est que plus tard que Boudjedra écrira Topographie idéale pour une « agression caractérisée » [13, p.26] dans un style qui rappelle le nouveau roman et plus particulièrement inspiré par l’œuvre de Claude Simon, La route des Flandres.
Dans l’opinion de majorité, le français des premiers auteurs est classiquepar son représentation et pure dans son contexte. Selon Joubert « C’est qu’alors on écrit pour faire reconnaître la « dignité » des « indigènes »[14, p.177]. C’est ne que plus tard, les jeunes de la révolution, les jeunes des indépendances vont accuser ces auteurs de «trahison ». Le français étant la langue de la distanciation, a permis l’émergence de toute une production littéraire spécifique. De plus, pour donner une image réelle et juste du Maghreb, pour ce qui est des auteurs, a aidé d'échapper, grâce au recul créateur, au danger des discours dominants qui ont prévalu après les indépendances. Selon Kateb Yacine cité par Yamina Mokaddem « Dans cet « isthme de l'entre-deux-langues » dans lequel se situe cette littérature, des œuvres de plus en plus fortes, dans des formes littéraires de plus en plus recherchées ont vu et voient encore aujourd'hui le jour, multipliant subtilement les formes de l'interculturalité et des syncrétismes culturels » [15, p.182]. Se forge ainsi une nouvelle problématique identitaire, notamment à travers la reconstruction d'une langue retravaillée, rerythmée, donnant à lire le questionnement des auteurs sur les phénomènes socio-historiques et culturels qui sous-tendent l'histoire récente de leur société et de leur pays.
Quelques années avant la révolte de 1954 il y avait une déclenchement d'ouvrages publiés en première par plusieurs auteurs algériens de la génération de 1952. Parmi eux, il y avait Mouloud Feraoun avec son roman Le fils du pauvre, l’autobiographie romancée par laquelle l’auteur a fait son entrée en littérature, au rayon de ces écrits folkloriques et trop descriptifdestinés à présenter aux étrangers des types et des mœures d’un petit village kabyle et comme d’un autre temps ; Mohammed Dib avec La grande maison qui rapporte d’une manière fort réaliste et quasi documentaire la grande misère dans laquelle se débattent les habitants de Dar–Sbitar, une immense maison commune à Tlemcen, à la vielle de la Seconde Guerre mondiale. Ici, tout le monde manque de l’essentiel et, d’abord, du pain quotidien ; Mouloud Mammeri – La Colline oubliée, que l’on peut résumer comme étant la nécessaire dénonciation des valeurs périmées d’une société archaïque et figée dans des traditions séculaires. Mouloud Mammeri tire, en réalité, d’une manière prophetique avec son œuvre et La Colline oubliée peut se lire non seulement comme un plaidoyer en faveur d’une population réduite à la misère, mais aussi comme un avertissement adressé à un gouvernement « partial ». Rétrospectivement, les critiques affirment aujourd’hui que les autorités coloniales devaient être bien sourdes, au début des années cinquante, pour n’avoir pas entendu l’orage qui grondait alors en Algérie.
Un air de ressemblance court à travers leurs romans de la réalité algérienne: une écriture soignée, sans redondance, la volonté de montrer leur société dans ses traditions, mais aussi dans ses transformations à l’œuvre, le dévoilement du malaise provoqué par l’état de colonisé. Ils ont été accueillis avec une certaine sympathie en France, mais certains collègues s’attendaient à des textes plus militants. Mouloud Feraoun a cependant été assassiné par l’OAS. « Après 1954, la littérature algérienne entre en guerre » [16, p.182]. « On écrit pour témoigner, pour militer, pour exalter les luttes, la patrie, les ancêtres, pour dessiner un avenir de liberté »[17, p.182]. Il y a aussi des témoignages, par exemple Henri Alleg – La question (1958), témoignages longtemps interdit en France. Une poésie militante naît dans la mouvance du soulèvement national :
[…] Feu sur les seigneurs venus d’Europe
Feu sur ces semeurs de fléaux
Feu sur les chevaux de frise qui protègent leurs châteaux […]
(Noureddine Aba, [18, p.184])
Il ne faut pas oublier que, pendant cette période, la poésie était un genre majeur dans la littérature arabe classique, beaucoup plus que le roman, qui est un phénomène plus récent. Aujourd’hui encore, ceux qui sont compétents dans le domaine gardent le souvenir des meilleurs poèmes de l’époque antéislamiques « les mu’allaqât » [19, p.185].
Certains noms que nous avons déjà rencontrés cachent aussi des poètes : Malek Haddad, Kateb Yacine, Noureddine Aba. Tout auteur qui se respecte se double d’un poète doué, dans la plus pure tradition arabo-musulmane. Il est sans doute vrai que le roman se prête un peu moins au « cri » de détresse, à l’appel aux armes. Or, on retrouve la guerre dans la plupart des romans de cette période, décrite sous le terme « les événements », par exemple, dans Je t’offrirai une gazelle de Malek Haddad, L’opium et le bâton de Mouloud Mammeri. L’exemple le plus frappant est le roman Nedjma de Kateb Yacine. Nedjma est la fille d’une étrangère, une Française, plusieurs fois conquise par des séducteurs audacieux, objet de tous les désirs, mais elle reste vierge après chaque viol. Nedjma est probablement une tentative de reconstruire une identité déchirée, elle figure sans doute l’Algérie. Selon Jacqueline Arnaud, « Nedjma incarne l’âme de l’Algérie, déchirée depuis ses origines, et ravagée par trop de passions exclusives » [20, p.187]. À la fin de la guerre d’Algérie, après plusieurs années d’exil, Kateb Yacine retourne en Algérie et se consacre au théâtre, un théâtre qu’il écrit en arabe dialectal. De même, l’itinéraire de Boudjedra « de la manipulation agressive du français, parfois constellé de citations en arabe, au choix de l’arabe comme langue première d’écriture, est symptomatique de la situation littéraire algérienne depuis les années soixante » [21, p.197]. C’est effectivement l’indépendance. La décolonisation entraîne l’arabisation, sans que le français soit rejeté. Avec la scolarisation de plus en plus généralisée des enfants, la connaissance de l’arabe classique se développe, mais encore et la connaissance du français. D’autres problèmes linguistiques font surface, dont la reconnaissance récente du berbère comme langue nationale en Algérie pourrait constituer un aboutissement. Mais encore avec la scolarisation, le public des auteurs algériens de langue française s’élargit, en étant crée une maison nationale d’édition (SNED). Les pesanteurs administratives, et la censure, dont est victime par exemple La répudiation, de Rachid Boudjedra, n’incitent pas trop les auteurs à publier en Algérie. Les événements récents qui se produisent l’après 1992, interruption d’élections qui auraient pu voir la victoire du FIS, ont fait d’auteurs critiques tels que Boudjedra les victimes désignées du terrorisme religieux. Ce qu’affirment les historiens en tout cas dire, c’est qu’au lendemain de l’indépendance, la littérature algérienne de langue française ne s’est pas doucement éteinte. La plupart des écrivains reconnus ont continué de publier. Dans le même temps sont entendues de nouvelles voix comme Malika Mokaddem, Tahar Djaout, Leïla Sebbar, Leïla Marouane (Ravisseur), et la plus jeune d'entre eux : Nina Bouraoui, née en 1967.[22, p.45].
Il est vrai que le public reste encore assez marginal, élitaire, mais, le recours à la langue française peut également être une grande richesse, à l’avis de Boudjedra cité par Charles Bally « le recours à une langue étrangère aux fondements de la culture algérienne met en situation d’extériorité ; on se regarde avec les mots de l’autre ; on fait l’expérience de la vision critique ; on exprime ce que sa propre langue refuserait de dire » [23, p.192]. Cette remarque vise sans doute le poids d’une tradition séculaire et notamment en poésie, qui ne permet pas toujours les écarts qui sont vu dans les textes écrits en français. Ensuite, par son passage à l’arabe, Boudjedra essaye de violenter les traditions ou tabous, comme il le faisait en français. Alexandra Kroh dans L’aventure du bilinguisme, déclare : « Je ne change pas quand je passe de l’arabe au français, je ne me désintéresse pas de certains sujets pour m’occuper d’autres. Mes opinions, mes passions, mes haines restent les mêmes » [24, p.77].
Au fond les nouvelles voix portent souvent un regard lucide, désabusé sur la société actuelle, ainsi Fériel Assima – Une femme à Alger. Parfois, il y a des témoignages sur l’émigration en Europe, thème qui n’est pas vraiment neuf, comme exemple servent Mouloud Feraoun et les destinées de nombre d’auteurs de la « première génération ». La différence avec les émigrés décrits par les aînés, qui se sentaient avant tout Maghrébins, c’est que les jeunes décrivent des émigrés qui ne savent plus très bien où ils en sont. Ils deviennent des Arabes Non Identifiés. La dernière étape est constituée par les romans de ceux qui sont « nés en France » qui sont connu comme les beurs [25, p.79].
En définitive la littérature algérienne d’expression française devient le talent d’une individualité. Individualité qui est basé sur tous les écrivains qui nous ont donné un morceau de soi. Par ses sensations, ses sentiments, les images et les formes, l’écrivain d’aujourd’hui est celui qui est en train de construire nos valeurs. Donc, le plaisir de lire constitue un cri.
2.2 Identité du monde marocain ou la libération par l’écriture
La littérature marocaine d'expression française est bien sûr, tout d'abord, une conséquence de la colonisation du Maroc par la France (1912-1956). N'ayant pas de précédent, la fiction du roman marocain d'expression française s'est basée sur la réalité sociale et culturelle du pays tout en restant conforme aux règles classiques du roman français du 19e siècle, notamment en ce qui concerne la progression chronologique des événements et la mise en valeur de l'expérience personnelle de l'auteur. Les précurseurs du roman marocain d'expression française ont utilisé la langue française comme moyen d'expression seulement, pour raconter une histoire bâtie, en fait, sur l'usage de la narration de contes et d'anecdotes, éléments importants dans une culture, marocaine en l'occurrence, de tradition orale.
Maroc a une similitude importante avec l'Algérie, c’est l’année mythique – 1954. L’année de la parution des œuvres La boîte à Merveilles d’Ahmed Sefrioui et Passé Simple de Driss Chraïbi. Pourtant la situation politique est différente de celle en Algérie, parce–que la présence culturelle française est moins pesante au Maroc: les colons n’ont pas essayé à faire table rase de la culture marocaine. Très important est que l’enseignement traditionnel arabe n’a pas été démantelé. Pour cette raison la censure a un fort contrôle sur l’écriture en arabe. Tout ceci n’empêche pas que les écrivains s’interrogent sur l’utilisation de la langue française, comme leurs confrères d’Algérie. Abdelkebir Khatibi la dit : « Et j’aurai jalousement retenu mon être sacrifié à la langue française. Sacrifié, mais pas dans le sens qui avait prévalu vers les années soixante. On soutenait avec légèreté que l’écrivain colonisé de langue française, en retournant sa rage contre le colonisateur, aurait pulvérisé – ou du moins défiguré – les lois de cette belle langue que j’aime » [26, p.216].
D'une manière paradoxale, c’est après le protectorat, vers 1966, que la littérature francophone marocaine connaître une véritable épanouissement. Nommément en 1966 naît la revue Souffles, qui sera plus tard écrite principalement en arabe (Anfâs). Fondée par Abdellatif Laâbi autour d’un collectif d’intellectuels, d’écrivains et de plasticiens, Souffles s’engage d’abord dans une action culturelle de refondation qui cherche à penser le problème de l’identité nationale en relation avec la situation linguistique. L’équipe de la revue Souffles regroupe des noms promis à un bel avenir tell de Mohammed Khaïr-Eddine, Abdelkébir Khatibi, et un peu plus tard Tahar ben Jelloun. La revue s’ouvrira à des textes arabes, où sera mise en question l’utilisation du français. Or, la mort attendue du français n’aura pas lieu, au contraire : comme en Algérie, les auteurs se réjouissent de la naissance d’une production locale, qui passera par des maisons d’édition locales, bien qu’il soit toujours très intéressant de se faire publier à Paris [27, p.214 – 218].
Les romans écrits en français ne passent, au Maroc non plus, pas toujours la censure. Le passé simple, de Driss Chraïbi, qui raconte la révolte du fils contre le père provoquera le scandale, l’indignation, des injures et des menaces de mort contre l’auteur. Ce dernier se verra contraint de désavouer son œuvre, qui était effectivement une sorte de condamnation à mort de la vieille société patriarcale marocaine. Les auteurs de Souffles – Anfâs lient en fait un travail idéologique, la mise en pièces de la vieille société, à un travail sur les formes littéraires, par exemple, l’écriture pleine d’images de Tahar Ben Jelloun. Ici aussi, les frontières entre roman et poésie ne sont pas toujours très claires, et tout auteur qui se respecte se double d’un poète. La génération de Souffles est si puissante que la relève s’annonce difficile. Souvent, les jeunes reprennent les constats d’échec et les révoltes de leurs aînés.
Tahar ben Jelloun a écrit deux recueils de poèmes, dont Les amandierssont morts de leurs blessures(1976) et les romans Moha le fou, Moha le sage(1978), La Prière de l’absent(1981), L’Homme rompu(1994), nous donne sans conteste, des livres qui répondent au vœu de Mimouni, c’est-à-dire dérangeants ou, si l’on veut, militants. Ainsi Harrouda (1973) – « roman poème », premier roman de Ben Jelloun scandalisa par la crudité avec laquelle il y était question de sexe et de sexualité à travers les propos prêtés au personnage éponyle puis à la mère du narrateur qui évoque ses trois mariages succesifs. Le romancier n’en poursuivit pas moins, d’une œuvre à l’autre, sa critique des divers maux qui minent une société figée, campée sur ses traditions ancestrales et aux inégalités frappantes. Poète, dramaturge et essayiste, Ben Jelloun est un auteur prolifique dont l’œuvre présente de multiples facettes et périodes. Dans la plupart des œuvres de cette période où l’auteur choisit son personnel romanesque parmi les marginaux, les conteurs ou écrivains publics, l‘intrigue est souvent mince, sinon absente ou, du moins, est simple prétexte pour établir le diagnostic d’une société dont le mal–être est patent. Il s’interroge sur les raisons cruelles de la société, dans ses œuvres « le fantastique est souvent associé au réalisme, parfois le plus cru, comme au surréel pour produire une œuvre où poésie et fiction concourent à dévoiler un réel dont les tares sont dissimulées sous les oripeaux de traditions sclérosées au respect desquelles personne n’est censé déroger » [28, p.77].
Ce fut la période de l'émancipation d’une littérature critique. Les principaux thèmes développés dans cette période par des auteurs Nord – Africains étaient communs à la fois pour la société marocaine ainsi que pour telle algérienne et tunisienne. Le refus de l’autorité, le refus des traditions, le refus des inégalités – c’était une période de conflit de générations et des remises en question. C’était vraiment sous le signe de la rébéllion contre le père et de la remise en question de son héritage, tant matériel qu’intellectuel. Il faudrait voir dans cette révolte plutôt une rupture avec une société où l’homme ne jouissait pas véritablement d’une existence propre mais comptait seulement en tant qu’élément appartenant à une famille et à une communauté en dehors desquelles il n’y avait point de salut. Avec Le Passé Simple (1954) et Succession ouverte (1962), Driss Chraïbi et, à sa suite, plus tard, l’Algérien Rachid Boudjedra dans La Répudiation (1969), font le procès de la pesante tutelle paternelle, déclarent même la mort du père. La loi de celui que Driss Chraïbi désigne dans ces deux œuvres par le Seigneur est jugée, maintenant, non seulement inutile mais comme relevant d’un ordre et d’une époque avec lesquels le héros, à moins que ce ne soit l’auteur, décide de rompre définitivement. Conflits de générations, certes, mais, tout autant sinon davantage, désir d’émancipation et pas seulement dans le contexte colonial, de la férule paternelle. Produits d’une littérature du mal–être et de la déchirure, ainsi s’annoncent ces fictions où le personnage, de quelque côté qu’il se tourne, ne trouve pas ou plus sa place. La société patriarcale, féodale et soumise à l’ordre colonial, une fois réniée, Driss Ferdi, le héros dans ces romans de Driss Chraïbi, se dirige vers la société occidentale qui semble mieux répondre à son désir de liberté. Les éspoirs placés dans une rencontre avec l’autre d’égal à égal et dans un esprit de respect mutuel seront déçus, une fois l’euphorie de la nouveauté des premiers moments épuisée. Huits ans séparent la publication de Le Passé Simple de celle de Succession ouverte, ces deux romans dont le second est le prolongement du premier. Le Passé Simple rapporte le récit, dans le Casablanca du début des années 1940 durant la guerre, de la rébellion contre le Seigneur, autrement dit le père, et le départ en France du jeune bachelier sur qui le chef de famille a misé, conscient que l’avenir sur lequel déboucherait la Seconde Guerre , ondiale nécessiterait, pour lui succéder, un héritier formé à l’occidentale. Vient ensuite, dans le roman suivant, le récit de la disparition du riche bourgeois et homme d’affaires casablancais et du retour du jeune homme dans un Maroc indépendant. Le héros du Le Passé Simple et du Succession ouverte, s’appelant aussi Driss comme le romancier, il y avait avec celui-ci plusieurs autres points communs : même origine marocaine, mêmes études de chimie et, comme lui encore, vivant à l’étranger, marié à une Française et père d’enfants portant de prénoms français. En réalité, les deux romans valent essentiallement par les remarques désenchantées du narrateur sur son statut d’occidentalisé de par la formation reçue au lycée français de Casablanca et de par la rupture que ses années d’études ont introduite dans ses rapports avec son milieu, à commencer par sa propre famille.
La situation sociale au Maroc, avant l’Indépendance dans Le Passé Simple, dans le Maroc souverain ensuite, occupe une place importante dans les deux récits. La présence coloniale et le statut d’inférieurs dévolu aux « indigènes », la misère tant matérielle que morale et intellectuelle qui sévit parmi ses concitoyens, l’hypocrisie religieuse de la plupart d’entre eux, la pédophilie et la maltraitance des enfants, la situation de mineure, voire l’aliénation dans laquelle la femme est maintenue, sont quelques–unes des questions qui taraudent le narrateur dans les deux récits. L’écrivain prophétise ironiquement « Le sens des responsabilités va amener le délégué syndical à la trahison et à l’imitation du Seigneur dont il sera la réplique « un jour, dans vingt ou trente ans » : « Le pouvoir. La jouissance du pouvoir. Le passé exhibé comme une dépouille mortelle. Cela, rien que cela – et le souvenir lancinant d’un idéal révolutionnaire, d’année en année » [29, p.27].
Il y a ici une ironie, un goût de la dérision et une indépendance d’esprit qui sont comme les marques de fabrique de cet écrivain inclassable et iconoclaste.Aux yeux d’un lecteur objectif et lucide, les obstacles à l’entrée du pays dans la modernité avaient pour noms ; l’écrasant poids des traditions, la caution que le religieux apportait à l’aliénation de la femme dans la société islamique, l’assassinat de l’esprit d’enfance et l’étouffement de la jeunesse, la condamnation de toute ouverture sur l’Autre.
Après l'indépendance, le nombre d'écrivains marocains d'expression française augmente. Ces derniers se distinguent à travers leurs écrits par la même problématique : ils se trouvent confrontés à un problème d'identité et de bi-culturalisme. Nous remarquons à travers leurs textes une dichotomie entre langue arabe /langue française, maghreb/ occident, tradition / modernité, [30, p.86] d'ou leur tentative de s'éloigner à la fois de l'oralité, héritage national, mais aussi des traditions d'écriture française. Le roman marocain s'en ressent en se livrant alors à une écriture qui se veut sciemment fragmentée. Le lecteur est confronté à une écriture complexe et compliquée car elle ne suit pas le schéma du roman traditionnel, prête ainsi à dérouter le lecteur. Dans La Mémoire tatouée d'Abdelkrim Khatibi, se dégagent des thèmes comme la question de la culture populaire, le problème d'identité, le tout fait à travers une écriture morcelée et déstructurée. Il n'y a plus de récit à proprement dire mais seulement une écriture fragmentée.
Aujourd'hui, l'antagonisme langue arabe / langue française pour réfléchir et écrire, les conflits identitaires et la crainte de la dépossession de soi ne sont plus des thèmes à l'air du temps. Il y a une tendance vers une écriture plus réaliste et linéaire de nouveau. Et la «première» génération d'écrivains marocains d'expression française se trouve enrichie par l'apparition de nouveaux jeunes écrivains comme par exemple, Youssouf Amine El Alami avec Un Marocain à Nous-York ou Fouad Laroui avec Les Dents du Topographe, aussi parmi les nouvelles voix, notons Dounia Charaf, Abdelhak Serhane.
2.3 Identité du monde tunisien et la rébellion contre les injustices
La Tunisie nous montre encore une autre facette du Maghreb. La prospérité de la littérature arabe avant et après l’Indépendance y a longtemps rendu marginale la littérature d’expression française. Sous le protectorat, il y avait un enseignement dispensé en langue arabe notamment la Zaïtouna, université de théologie de Tunis, ou bilingue, le collège Sadiki, franco-musulman. De plus, il y eut, contrairement au Maroc, un renouveau de la littérature arabe. Avoir recours à la langue française était donc un choix, qui pouvait être interprété comme une prise de distance par rapport aux compatriotes. Mais de toute façon, ne sont pas une rareté les écrivains qui aurait plaisir à décrire la grande ville du sud, ses souks, sa médina, les soirées au palais du puissant caïd et son armée, les femmes faciles, bref, tout un monde étrange, exotique, intemporel et sensuel. Dans la mesure où les auteurs cultive les lieux communs, la couleur locale et la peinture d’un Orient fantasmé aurait une genre de textes qui ne procède à aucune remise en question, ne formule aucune revendication et n’est porteur d’aucun espoir de changement, relève davantage de l’exotisme littéraire que de la littérature proprement maghrébine de résistance.
Pendant longtemps, le seul grand nom de la littérature francophone tunisienne a été Albert Memmi. Lui a bâti l’ensemble de son œuvre romanesque, il ne serait pas trop exagéré de dire, mais sans prétendre la réduire à cela, avec le souci constant de démontrer et de défendre les droits anciens et immémoriaux de sa communauté en Tunisie, son pays natal. Le futur auteur du Portrait du colonisé(1957), du Portrait d’un juif(1962) et de La libération du juif(1966) ouvre sa carrière par La statue de sel, peinture des débuts dans la vie d’un jeune juif de Tunis tiraillé par son attachement affectif à son milieu et par le désir rationnel de s’en détacher [31, p.126 – 127].
Depuis les années soixante, nous assistons à un essor de la littérature tunisienne de langue française : il s’agit d’auteurs qui ont eu une scolarité poussée en langue française, et pour qui, après l’Indépendance, le choix du français est beaucoup moins idéologique qu’avant. Le bilinguisme est d’ailleurs pratiqué dès l’école primaire. Il y a donc, au pays même, un public pour les auteurs francophones, ce qui est confirmé par l’existence d’éditeurs nationaux. Malgré cela, un grand nombre d’auteurs publient à l’étranger. Ici aussi, la poésie revêt une grande importance, sans doute à cause d’une tradition séculaire. Les écrivains jouent volontiers avec les formes narratives « en faisant varier les voix ou en bruoillant le clivage des genres, comme Meddeb ou Mellah. On note, dans la dernière décennie, une certaine tendance à l’onirisme, voire au fantastique : c’est le cas de Djedidi dans se roman et de Rhida Bourkis dans Un retour au pays du bon Dieu (1989) »[32, p.229]. Par ailleurs, le roman historique, porteur souvent d’un message moral ou politique, se trouve proportionnellement bien représenté. Dans la même période se font entendre de nouvelles voix. Les auteurs sont bilingues, parfois trilingues – arabe, français, anglais, et ils choisissent leur langue d’expression en connaissance de cause. Beaucoup choisissent cependant de vivre à l’étranger. Serait-ce parce que la Tunisie n’est pas exactement une démocratie, tout comme les autres pays du Maghreb. En tout cas, les jeunes ne se privent pas de prendre position, d’exprimer leur désillusion devant les échecs actuels. Le spécialiste en domaine Garmadi écrit : « Il est formellement interdit de créer des chefs-d’œuvre et absolument obligatoire d’adorer les chefs d’État »[33, p.127]. Albert Memmi, lui, souligne une spécificité judéo-chrétienne dans son œuvre. L’auteur revendique comme modèles Gide et Rousseau. Il aborde le problème des mariages mixtes, qui aboutissent à des échecs [34, p.127]. Ainsi, La Statue de sel se présente comme un récit rétrospecif où le hèros, Alexandre Mordekhai Benillouche, juif tunisien pauvre d’origine berbère, fait, dans le désespoir, le bilan de sa vie. Le premier roman d’ Albert Memmi raconte, en effet, une série de ruptures, ce qui rend sensibles la juxtaposition de chapitres clos sur eux – mêmes et porteurs de titres. Alexandre, devenu étranger à lui – même et aux autres, fait le bilan de son impossible situation :
Je suis de culture française mais Tunisien.[…] Je suis Tunisien mais juif, c’est – à – dire politiquement, socialement exclu, parlant la langue du pays avec un accent particulier, mal accordé passionnellement à ce qui émeut les musulmans ; juif mais ayant rompu avec la religion juive et le ghetto, ignorant de la culture juive et détestant la bourgeoisie inauthentique ; je suis pauvre enfin et j’ai ardemment désiré en finir avec la pauvreté, mais j’ai refusé de faire ce qu’il fallait [35, p.230 – 231].
La bâtardise sur laquelle Memmi met l’accent dans son œuvre est, également et incontestablement, au cœur de l’œuvre d’un autre écrivain tunisien, Mustapha Tlili (1937), auteur d’un fort, puissant et intrigant premier roman LaRage aux tripes (1975). Mustapha Tlili met en scène, essentiellement, le déchirement de l’ancien colonisé. Le malaise de ce dernier réside dans le coupure de ces racines arabo–musulmanes qu’entraîne la forte tentation qu’exerce sur lui le modèle de société occidental qu’il fiit parfaire sien ou, plutôt, que les circonstances historiques nées de la colonisation lui ont imposé. LaRage aux tripes qui fut suivi du Bruit dort (1978) et d’une trilogie qui comprend Gloire des sables (1982), La Montagne du lion (1988) et Un après–midi dans le désert (2008), dissèquent, pour la plupart, la mauvaise conscience de personnages totalement intégrés dans la société occidentale. Dans le dernier roman de l’auteur récompensé à Tunis par le prix Comar, le déchirement des héros de Tlili, qui vivent difficilement leur bâtardise, est aggravé par d’autres ravages. Il s’agit des méfaits dont sont responsables, dit le texte d’ Un après–midi dans le désert, à propos des pouvoir en place au Maghreb, « les criminels qui nous gouvernent », « ce dictateur, ces gens qui nous ont tout pris, jusqu’à la dernière trace de notre dignité », bref, « le vent de folie d’un pouvoir déchaîné » [36, p.176]. Mais si tous les romans de Mustapha Tlili pourraient s’intituler un intellectuelarabe face à l’Occident, le romancier ne décrit pas moins la gestation difficile d’un monde d’où le mépris serait éliminé tout en posant, cependant, comme dans Gloire des sables, la question de l’autonomie de la décision des mouvements politiques de libération.
Dans le sillage de Memmi, leur doyen, d’autres juifs d’origine tunisienne peuvent être cités comme les représentants d’une littérature spécifique porteuse d’un message humaniste et d’un métissage culturel dont Mohammed Cohen (1981) de Claude Kayat (1939) et Gagou de Guy Sitbon (1934) sont les meilleurs exemples. Parmi les représentants les plus notoires de ce volet de la littérature maghrébine, il faudrait mentionner encore, à côté d’Albert Memmi, Gisèle Halimi (1927) et Nine Moati (1937) ou, plus récemment encore, Claude Brami (1948) et Colette Fellous (1950).
Nos conclusions sont courtes mais pertinentes, après avoir décrit minutieusement chaque pays du Maghreb, à part, sur le plan diachronique et synchronique. Le choix, par les écrivains maghrébins, de la langue française comme moyen d’expression, leur a été souvent imposé par les circonstances. Ils s’en sont servis pour réclamer l’usage d’une langue nationale, l’arabe, ou rappeler l’existence de leur langue maternelle, le berbère. Ils s’en sont servis comme l’outil le plus immédiatement accessible pour exprimer ce qu’ils avaient à dire et qui ne pouvait attendre. Chaque auteur, en dépit d'origine et le pays dans lequel il vit, soit le pays d'origine soit dans lequel il a émigré, exprime dans son œuvre ses propre souffrances, la douleur qu'il a vécue comme un enfant ou comme adulte. Ce sont donc des écrits qu’enseignent à tout le monde de ne pas répéter les mêmes erreurs.
Références :
Albert Memmi, Présence du Maghreb, déc.1967–janv.1968, p.26–27.
Mohamed Ridha Bouguerra, Sabiha Bouguerra, Histoire de la littérature du Maghreb, Paris, Ellipses 2010, p.20–32.
Memmi Albert, Écrivains francophones du Maghreb, Paris, Seghers, 1985, p.17.
Bonn Charles, Garnier Xavier et Lecarme Jacques, Littérature francophone, Hatier, 1997, p.116.
MokaddemYamina, La littérature maghrébine de langue françaiseà l'épreuve du temps, p.23.
Memmi Albert, Écrivains francophones du Maghreb, Paris, Seghers, 1985, p.51–52.
Joubert Jean – Louis, Littérature francophones du Monde Arabe, Anthologie, Nathan-ACCT, Paris, 1994, p.176.
Ibid., p.176.
Memmi, Portrait du Juif, cité par Joubert Jean – Louis, Littérature francophones du Monde Arabe, Anthologie, Nathan-ACCT, Paris, 1994, p.176.
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Memmi Albert, Écrivains francophones du Maghreb, Paris, Seghers, 1985, p.159.
MokaddemYamina, La littérature maghrébine de langue françaiseà l'épreuve du temps, p.28.
Mohamed Ridha Bouguerra, Sabiha Bouguerra, Histoire de la littérature du Maghreb, Paris, Ellipses 2010, p.26.
Joubert Jean – Louis, Littérature francophones du Monde Arabe, Anthologie, Nathan-ACCT, Paris, 1994, p.177.
MokaddemYamina, La littérature maghrébine de langue françaiseà l'épreuve du temps, p.32.
Joubert Jean – Louis, Littérature francophones du Monde Arabe, Anthologie, Nathan-ACCT, Paris, 1994, p.182.
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Bonn Charles et Garnier Xavier, Littérature francophone 2, Hatier, 1999, p.45.
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Bonn Charles, Garnier Xavier et Lecarme Jacques, Littérature francophone, Hatier, 1997, p.77.
Ibid., p.79.
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Ibid., p.214–218.
Mohamed Ridha Bouguerra, Sabiha Bouguerra, Histoire de la littérature du Maghreb, Paris, Ellipses 2010, p.77.
Ibid., p.27.
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Joubert Jean – Louis, Littérature francophones du Monde Arabe, Anthologie, Nathan-ACCT, Paris, 1994, p.126–127.
Bonn Charles et Garnier Xavier, Littérature francophone 2, Hatier, 1999, p.229.
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Ibid., p.127.
Bonn Charles et Garnier Xavier, Littérature francophone 2, Hatier, 1999, p.230–231.
Mohamed Ridha Bouguerra, Sabiha Bouguerra, Histoire de la littérature du Maghreb, Paris, Ellipses 2010, p.176.
Chapitre III Les valeurs culturelles du combat maghrébin
« La rébellion contre les injustices est une chose, le vrai désir
de liberté en est une autre qui exige un pas beaucoup plus grand,
parfois quelques ruptures. »
Melika Mokeddem [1, p.27]
3.1 Combat pour redéfinir l’individualité, l’affirmation de soi
Il est évident que chaque auteur est différent de l’autre auteur. Le passé, la vie de chacune de ces Algériennes, Marocaines et Tunisiennes est différente. Il n’est donc pas question de les réduire à n’être que ceci ou que cela. Par ailleurs, elles s’échelonnent dans le temps. Ce que certaines écrivent aujourd’hui, avec des écritures d’ aujourd’hui, ne pouvait pas être écrit par un auteur il y a cinquante ou soixante ans. La perspective diachronique va donc de soi. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons proposé d’abord un approche diachronique selon chaque pays du Maghreb et ses plus célèbres auteurs.
Cependant, le laps de temps écoulé entre le premier roman publié et nos jours n’est pas long. Nous ne comptons pas ici en siècles, mais seulement depuis les années quarante en Algérie et cinquante pour le Maroc et Tunisie. S’il existe bien une évolution en Algérie, depuis Mohammed Dib jusqu’aux auteurs contemporains, si nous constatons aussi des contextes historiques différents comme le temps de la colonisation et celui de l’indépendance, il n’en reste pas moins qu’un certain nombre d’aspects communs courent à travers les œuvres. Il est donc possible d’étudier d’abord une constance remarquée dans les pays arabo – musulmans « la réticence à laisser parler le « je », d’où cette deuxième partie importante, sur l’affirmation de soi par le « je » chez tous les écrivains. Il s’affirme partout et il sera possible d’étudier les espaces, comme l’autobiographie, l’espace des couples et des familles, celui de la vie sociale et celui de la mémoire » [2, p.]. L’emploi du « je » se constate aussi bien dans les anées quarante qu’aujourd’hui. En revanche, le thème de la guerre de libération en Algérie n’apparaît dans les romans, par la force des chose cela va de soi, que durant la guerre elle – même et après celle – ci. Le problèmes des couples et des conflits familiaux sont présents selon les romans aussi bien au début qu’aujourd’hui. La manière de les traiter varie selon les auteurs à la spécifité desquels on doit prêter attention. Que la plupart des auteurs montrent de l’impatience contre l’enfermement et la mise à l’écart, par rapport à la société des hommes, est également un point selon chacun des auteurs, mais il est tout de même possible de mettre en lumière quelques grandes constances.
Dire « je », dans un contexte arabo – musulman, n’allait pas de soi il y a quelques décennies. L’analyse intime du soi y est rare, sauf dans les récits où les mystiques parlent de leur expérience religieuse. Chez eux, non seulement on dit «je», mais encore, c’est pour parler d’une expérience intime avec le divin. Ils considéraient cela comme l’examen de conscience et l’analyse de leurs propres comportements, pensées et désirs [ 3, p.128-130]. Il faut aussi rappeler l’expérience lyrique des poètes. Il a fallu attendre l’influence de l’impact de la civilisation occidentale anglaise et française sur le monde arabo – musulman, à l’époque moderne pour voir émerger ce « je » d’introspection dans des romans et textes littéraires. Dans l'affirmation de certains critiques littéraire « La modernité met en lumière l’individu, ce que ne font pas les sociétés holistes où le « nous » l’emporte. L’exposition du soi, de l’homme – sujet, jusqu’à des années récentes, n’était guère prisée. Cette exposition du sujet s’est faite dans le contexte de l’acculturation étrangère » [ 4, p.23-29]. Même si les auteurs ne disent pas « je », le récit autobiographique lui – même est un phénomène récent dans les littératures du monde arabophone. C’est le groupe qui importe plus que l’intimité d’un individu. L’introspection n’est pas de mise dans la société traditionelle. Par exemple, Tahar Sfar reflète sur l’existence dans le monde chrétien de la confession chrétienne qui, selon lui, a eu une « grande influence » sur l’existence des mémoires, autobiographies, confidences, correspondances intimes [5, p.70-71]. Abdallah Laroui, historien marocain, écrit de son côté : « Le sujet par excellence du roman est de dévoiler une structure sociale à travers une expérience individuelle, ses succès, ses échecs directs ou indirects. Ce sujet n’avait aucune base objective dans la société arabe » [6, p.203]. Pas de mobilité sociale, en effet, pas de reconnaissance de la subjectivité et de l’homme – sujet. L’Islam ignorer le « moi », il a ignoré l’humanisme comme support de valeurs civilisatrices. Pour un auteur musulman il était impossible de dévoiler un moi égocentrique, une notion complètement étrangère pour eux. Passant de l’école coranique où ils apprenaient une langue sacrale, ils découvraient à l’ecole française une autre langue humaine, vulnérable, « langue d’enfants et de rêves ». Elle leur permettait pour la première fois d’utiliser la première personne du singulier, « je », sans la faire suivre de la traditionelle formule :
Que Dieu me préserve de l’usage d’un pareil pronom, car il est l’attribut du Diable.[7, p.57]
Ils commençaient, alors leur « longue trans humance vers un autre imaginaire ». Ils ne quittaient pas une langue maternelle, mais une langue divine, pour prendre en charge la langue française devenue pour eux « la langue natale du Je, langue de l’émergence pénible du Moi ». Le romancier algérien, Mohammed Kacimi – El Hassani, a excellemment mis en lumière ce passage du sacral au laïc dans un texte Langue de Dieu et langue du Je. Si nous essayons de citer :
A ma langue d’origine, je donne l’au – delà et le ciel ; à la langue française le désir, le doute, la chair. En elle, je suis né en tant qu’individu. Écrire en français, c’est oublier le regard de Dieu et de la tribu […] C’est nier le dogme pour célébrer toute transgression. Je n’écris pas en français. J’écris en moi – même [8, p.118-119].
Il est bien connu qu’au Maghreb on a « une phobie tenace de la solitude, de la singularité. « Que Dieu nous protège du mot « je » ! s’exclame l’ individu que la teneur de sa conversation oblige à faire une entorse au pluriel de rigueur pour parler de lui – même à la première personne du singulier » [9, p.118-119] . Tahar Ben Jelloun, loin de récuser la langue nationale, voit, au contraire, dans « l’appartenance à deux mondes, à deux cultures, à deux langues, une chance, une merveilleuse aubaine pour la langue française » [10, p.12]. Il ne reconnaît pas moins, comme l’Algérien Mohamed Kacimi, que le français lui a apporté la liberté de tout dire, comme il l’écrit dans « La Cave de ma mémoire, le toit de ma maison sont des mots français », contribution de l‘écrivain marocain à un recueil collectif, une manifeste créé par Leopold Sendar Senghor, Pour une littérature – monde (2007).
La modernité, c’est d’abord l’individu et cette notion est totalement étrangère aux sociétés traditionelles. Dans nos sociétés, l’individu ne se conçoit pas comme libre, parce qu’il se conçoit d’abord comme solidaire. Dans la société traditionelle, l’individu n’est perçu que comme une partie integrante du tout. Des nombreux écrivains, penseurs et sociologue ont insisté sur l’absence de prise de considération de l’individualité en tant que telle, de même que sur la surveillance de l’imaginaire. L’imaginaire est, en effet, ce lieu de liberté que le groupe ne peut surveiller.
Il faudrait reconnaître, cependant, que, pour les auteurs de la génération pionnière, le problème du choix d’une langue d’écriture se posait non seulement sur un plan strictement personnel mais, plus largement, sur un plan national. Il suffit d’évoquer les premières œuvres maghrébines publiées pour saisir la pertinence et la justesse de l’argumentation de l’animateur de Souffles. Entre 1950 et 1956 paraissent, en effet, coup sur coup, Le Fils du pauvre de Mouloud Feraoun, Le Passé simple de Driss Chraïbi, La Colline oubliée et l’accablant réquisitoire contre le colonisateur qu’est Le Sommeil du juste de Mouloud Mammeri , ainsi que La Grande Maison et L’Incendie, roman au titre si prémonitoire de Mohammed Dib, la si subversive Nedjma de Kateb Yacine et les vers de Malek Haddad, Malheur en danger, qui célèbrent, en 1956 déjà, « La Longue marche » du peuple algérien et proclament :
Chez nous le mot Patrie a un goût de colère […]
Chez nous le mot Patrie a un goût de légende [11, p.8].
Pour qui savait lire alors, ces œuvres portaient, pour la plupart, plus ou moins explicitement, condamnation d’un ordre pressenti déjà comme dépassé et inacceptable ou, pour le moins, en découvraient les tares. Elles inauguraient une littérature de remise en question et de revendication sans parenté aucune avec celle que l’on pourrait qualifier de folklorique ou d’ethnographique pratiquée jusque-là par les premiers écrivains « indigènes » de langue française au Maghreb. Parfois le « je » a été celui d’un révolté, chez Memmi ou Chraïbi.
Dans une perspective historique, l’émergence du « je », se situe donc à la confluence de divers facteurs dynamiques : contrainte de l’individu dans le groupe, de moins en moins supportée ; difficulté pour lui de développer sa libre personnalité, pleine et entière ; bouleversements socio – économiques entraînant la mobilité des personnes ; sortie du groupe par des voyages, descente des montagnes vers les villes anonymes ; influence de la scolarisation et des lectures et beaucoup d’autres.
3.2 Le statut de la femme, la voix féminine dans la littérature francophone du Maghreb
Les femmes n’ont jamais été absentes de l’histoire du Maghreb, mais elles n’ont pas toujours été reconnues comme elles auraient dû l’être, les chronique et les livres d’histoire étant écrits par des hommes. « Derrière chaque héros, il y a une femme », ils disent en Algérie [12]. Non seulement le héros peut se battre pour la belle, mais encore celle–ci l’incite et l’excite à aller de l’avant et à l’emporter. Cependant, qui plus est, les femmes elles – mêmes n’ont pas été les dernières, d’un bout à l’autre du Maghreb au cours des âges et jusqu’à nos jours, à sortir de l’enfermement et de l’espace qui leur était traditionnellement réservé et même à passer devant l’homme. Toutefois, commander, se mettre en avant ou « affronter les coutumes, les traditions et les situations difficiles sur le terrain, ou encore connaître le Coran par cœur et se mesurer à des poètes dans des joutes oratoires en vers rythmés et rimés est une chose » [13, p.6] selon Jean Dejeux, tandis que l’écriture de fiction, elle, est une autre aventure. Dire « je » et dévoiler l’intime et le corps en est aussi une autre. Écrire même des romans policiers au langage vert et dru, écrire aussi des pièces de théâtre où l’on étale les conflits du couple et de la colonisation suscitant la résistance des Maghrébins qui répercutaient leur durcissement sur leurs femmes, les reléguant dans l’espace domestique, la discrétion et la réserve, le harem et l’occultation pour les soustraire au regard de l’Autre, voyeur, cherchant à meubler son Harem colonial [14, p.7].
Les études critique sur ces romancières françaises ayant écrit sur les sociétés maghrébines et sur les femmes du Maghreb en particulier sont peu nombreuses [15]. Elles sont parfois englobées dans les études critiques sur la littérature coloniale, mais alors dans une portion congrue. Il est vrai que nombreux romans sont ternes sur le plan de l’écriture, assez pauvres, farcis de clichés plus on remonte dans le temps et manquant vraiment d’intérêt.
Même si quand nous évoquons l'histoire de la littérature maghrébine, nous en fixons l'origine, généralement, aux premières œuvres de Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Driss Chraïbi, Mohammed Dib ou Albert Memmi – les fondateurs – toutes parues après 1950. Nous omettons, très souvent, de signaler que les femmes ont pris la plume avant cette date et fait œuvre de romancières. Citons parmi celles – ci, l’Italo – Marocaine Elisa Chimenti (1883 – 1969), la Juive Elissa Rhais, pseudonyme de Rosine Boumendil (1876 – 1940) judéo – musulmane selon certains, Algérienne kabyle issue d’une famille convertie au catholicisme Marie Taos Amrouche ( 1913 – 1976) et, enfin, Djamila Debèche (1926), une Algérienne musulmane. Toutes sont représentatives d’une littérature féminine maghrébine, composante essentielle aujourd’hui de la production romanesque et poétique dans les trois pays du Maghreb et dont les premières et timides manifestations remontent aux années 1930. Certes, Elisa Chimenti est de nos jours oubliée malgré la plongée au cœur du monde feminin marocain que furent ses récits qui marient fiction et réalité, dont, en particularier, Éves marocaines (1935), Chants de femmes arabes (1942), Au cœur du harem (1958), Le Sortilège et autres contes (1964). Comme est oubliée également Elissa Rhais, même si les éditions Bouchène ont publié un inédit de l’auteur en 2004 sous le titre de Jalloul de Fés. Marie-Louise Taos Amrouche qui, par de suite, ne gardera que son prénom berbère, peut, à juste titre, être considérée comme la première femme d’origine kabyle à avoir pris la plume pour faire œuvres littéraires. La romancière y rapporte ses souvenirs d’enfances dans ses quatre romans autobiographiques. Suivre ensuite L’Amant imaginaire (1969), Le Grain Magique (1966), qui rassemblent contes, poèmes et proverbes kabyles recueillis de la bouche de sa mère et, enfin, Solitude ma mère (1995), publié à titre posthume [16, p.18-25].
L’insatisfaction, la révolte et le sentiment d’un irrémédiable exil – c'est sont les douleurs de l'héroïne principale. Le désespoir de rester pour toujours une étrangère, en n'acceptant pas les traditions et les mœurs du pays natal, mais étant à la recherche d’une vie libre et émancipée. Taos Amrouche a donné le ton à la littérature qui sera développée par les romancières du Maghreb comme une littérature de combat. Secouer les pesanteurs sociales, remettre en question des traditions jugées aujourd’hui obsolètes, militer la plume à la main pour l’émancipation et l’égalité de la femme, redonner à celle – ci une dignité encore bafouée au quotidien, bref, quêter et exprimer une nouvelle identité de la femme maghrébine sont là quelques-unes des motivations à l’origine de l’entrée en littérature de Maghrébines de plus en plus nombreuses [17, p.183-189].
La condition féminine a été évoquée également à partir des années cinquante et soixante, dans les œuvres des premiers écrivains maghrébins d’expression française, dont Driss Chraïbi au Maroc et Rachid Boudjedra en Algérie. Les combattants ardemment de la plume, ils revendiquaient la libération de la femme et évoquaient une société traditionaliste déséquilibrée où les fils se révoltaient contre la tyrannie patriarcale et la soumission silencieuse des femmes voilées et enfermées, souvent répudiées et mises à la rue si elles ne méttaient pas au monde un enfant mâle. Plus tard, l’écrivain maghrébin francophone le plus connu, le romancier et poète marocain, Tahar Ben Jelloun, disait de la femme maghrébine :
Sa parole est dans la procréation. L‘ enfant qui naît est une
parole qu’elle gagne sur le système répressif [18, p.92].
Selon la critique algérienne Ahlem Mosteghanemi, la littérature algérienne en particulier ne donne qu’une seule version de l’épouse, celle d’une femme soumise, battue, écrasée par l’autorité du mari. Certes, dans La Répudiation, Rachid Boudjedra réussit à dévoiler des problèmes psychologiques et sexuels de la femme répudiée et les conséquences de cette répudiation sur les enfants. La mère, elle, souffre en silence : « Je voyais Mâ se mordre les lèvres et se tordre le corps. Elle se taisait » [19, p.92]. Certes, dans cette littérature, nous voyons toujours le personnage de la mère souffrant en silence. Dans La Voyeuse interdite de Nina Bouraoui, la mère est : « trop lasse, trop habituée ainsi pour se défendre [20, p.102]. Comme elle n’a mis au monde que les filles, elle se trouve classée au même niveau qu’une femme stérile et elle vit dans la peur constante de se voir répudier. Dans La Nuit sacrée de Tahar Bel Jelloun, le père décide que la huitième naissance sera celle d’un fils, même si l’enfant est une femelle. La mère assistera au complot de masquer l’identité de sa fille, car la résignation et la passivité sont les caractéristiques de l’épouse musulmane, subjuguée par le « seigneur » :
Elle avait été éduquée dans la pure tradition de l’épouse au
service de son homme… tellement obéissante…être toujours
prête à exécuter les ordres, jamais de révolte, ou peut- être
rébellait-elle dans la solitude et en silence [21, p.24].
Jamais une femme ne pouvait pas prendre la parole. Jamais auparavant de la possibilité de s'exprimer dans la langue de l'Autre. Elles étaient trop effrayées et trop gênées pour dire ce qu'elles pensent, pour défendre le droit d'une épouse et de mère. « Pour elles, écrire c’est le faire contre quelque chose, contre les autres, contre l’homme en particulier… écrire pour la femme, c’est voler les mots, les arracher à la règle sociale, à l’emprise masculine [22, p.171-172]. »
C’est une constatation générale que les romans écrits par les femmes du Maghreb sont en grande partie des romans autobiographiques visant la lutte de la femme contre le système patriarcal, un système qui la veut soumise et silencieuse. La prise en charge progressive du destin de la femme s’affirme, surtout dans le domaine littéraire. Exclues de la parole officielle de leur pays, ces femmes s’expriment dans la langue de l’Autre et à travers cet exil linguistique. Mais, paradoxalement, elles réussissent à se libérer de leur silence, à dévoiler leur regard, afin d’être reconnues et célébrées. On les a accusées d’avoir visé les thémes à succés, susceptibles de satisfaire le goût du public intellectuel parisien pour les récits « éxotiques », ou plus loin encore, de « l’assimilation culturelle » par la France métropolitaine. Certes, la dénonciation violente et ensanglantée de la condition féminine dans le premier roman de Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite, lui a valu le prestigieux prix litteraire français, le Prix Interallié de 1991. Malika Mokeddem continue à dire, à travers son œuvre, que : « l’exil a été pour [elle] une délivrance, même si bavé [23, p.11] ». Mais la réalité pour ces écrivains c’est qu’en langue française, elles peuvent triompher de leur extranéité. Étre Autre, dans la langue de l’Autre, c’est une expérience d’étrangeté profonde, mais pas aussi profonde que leur expérience dêtre femme dans leur propre pays, où : « maintenant les lois vont plus loin que la tradition. Elles ne laisent plus aucun droit aux femmes [24, p.71] ».
La différence entre la perspective littéraire masculine et la perspective littéraire féminine de la femme au Maghreb, est que les femmes créent les personnages qui triomphent de leur marginalité. Les personnages dans la lutte pour l’image de la femme et son statut désormais problématique au sein de sociétés en pleine changement.
Pionnière des femmes de lettres maghrébines, Assia Djebar (1936), pseudonyme de Fatima-Zohra Imalhayène, a, indiscutablement, traité tous ces thèmes dans une œuvre riche et variée à laquelle la reconaissance internationale n’a pas fait défaut comme en témoigne son élection à l’Académie royale de Belgique et à l’Académie française. Elle se fait connaître à l’occasion de la publication de son premier roman. Entre La Soif qui ouvre en 1956 sa carrière littéraire et Nulle part dans la maison de mon père (2007), sa dernière œuvre parue à ce jour, Assia Djebar a écrit des romans, nouvelles, récits et essais. Elle a également pratiqué la poésie, le théâtre et le cinéma. Dans tous les genres où elle s’est illustrée, l’auteure a toujours eu pour principale préoccupation la défense de la cause des femmes. Assia Djebar écrit afin de donner voix à celles qui n’en ont pas et plaider pour les filles retirées de l’école et très tôt mariées. La soif de liberté, le refus d’un amour pas trop possessif, la défense de la femme algérienne deviennent, au fil de l’immense production de l’écrivaine, les thèmes quasi exclusifs, inlassablement approfondis d’une œuvre à l’autre, constamment repris dans tous les genres où les divers talents d’Assia Djebar se sont exercés. Comme romancière ou nouvelliste, cinéaste – La Nouba des femmes du mont Chenoua, librettiste – Filles d’ Ismaël dans le vent et la tempête, auteur dramatique dans Rouge l’aube, l’unique pièce de théâtre de cette créatrice aux talents si divers, comme poète, enfin, dans Poèmes pour l’Algérie heureuse (1969), Assia Djebar n’a cessé de s’interroger sur le destin de ses compatriotes. Or, revient d’une manière quasi obsessionnelle dans tous les écrits de l’auteure l’image d’une jeune femme en train de dréambuler seule en ville et de goûter le plaisir d’être libre de ses mouvements dans une société patriarcale qui considérait la rue comme un domaine quasi exclusivement réservé à la seule gent masculine. Une interrogation implicite semble parcourir les récits d’Assia Djebar depuis Les Alouettes naïves(1967) jusqu’aux écrits des années 1990 et 2000 qui forment le Quatuor algérien. Interrogation qui ne cesse de tarauder la romancière qui se demande dans L’Amour, la fantasia (1985) :
Pourquoi moi ? Pourquoi à moi seule, dans la tribu, cette chance ? [25, p. 78].
La chance de sortir sans le linceul qu’est le voile, d’avoir de l’instruction, de ne pas connaître les entraves qui lient toutes ces séquestrées que sont les femmes de son pays. C’est là une interrogation qui ouvre sur une analyse des conditions de la passivité des unes et des motivations de cette volonté d’agir qui anime les autres personnages et les pousse à la rébellion contre le père autoritaire ou le mari jaloux et, plus généralement, contre une société d’un conservatisme étouffant. Aussi, la romancière ne manque-t-elle jamais de reconnaître le sort exceptionnel qui futle sien grâce à l’ouverture d’esprit d’un père instituteur de françaisqui décida de ne pas cloîtrer sa fille et de l’inscrire à l’école française. Elle se sent ainsi chargée d’une lourde responsabilité, investie même d’une mission, celle de parler aux lieu et place de toutes les autres, de toutes les femmes enfermées, de toutes celles, sœur, cousines, tantes qui n’ont pas eu la chance de quitter le foyer pour l’école et d’acquérir leur indépendance.
Nous devons souligner que par la manière dont la romancière « colle » à l’actualité la plus brûlante de son pays, nous retrouvons dans la plupart des récits d’Assia Djebar non seulement le souci de fidélité historique et de vérité objective qui distingue Oran, langue morte, La Femme sans sépulture ou L’Amour, la fantasia, mais aussi la manifestation d’une solidarité dans l’épreuve traversée par la patrie. Le critique Bouguerra a commenté à cet égard que « Par ce refus de se cantonner dans le passé et par sa volonté de descendre dans l’arène, sans oublier que « les haines et les scandales / tourmentent le peuple agité » [ 26, p.211 ], pour parler ici comme Victor Hugo, Assia Djebar peut être déclarée non la romancière mais, davantage encore, la chroniqueuse de la lutte de la femme algérienne pour secouer la pesante et séculaire tutelle masculine. » [27, p.213]. De plus, le roman, chez Djebar, où vérité objective et vérité d’invention sont intimement confondues, est ainsi pour l’écrivaine un instrument de compréhension du réel et replace les combats passés et actuels de la partie féminine du pays au centre de l’histoire de l’Algérie moderne et contemporaine.
En fin de compte, avec Assia Djebar, la femme algérienne fait ainsi, incontestablement, son entrée en littérature non plus seulement comme objet de la pesante et humiliante tutelle masculine, mais aussi comme agent de l’action et qui, par l’action, précisément, a conquis sa liberté et se pose à l’égal de l’homme. Assia Djebar rêve même d’une émancipation sexuelle et dans ces romans sensuels et assez énigmatiques que sont Les Nuits de Strasbourg (2003) et La Disparition de la langue française (2003). Mais la libération escomptée durant les années de combat et chèrement payée est, aujourd’hui, sérieusement lenacée par de nouveaux justiciers qui s’arrogent le droit de dicter leur vision du Bien et du Mal. À sa façon, Assia Djebar prend position contre cette menace dans Le Blanc de l’Algérie (1995), déploration ou tombeau de femmes et d’hommes de lettres, essentiellement, chers à l’auteur. Ce dernier ouvrage est un livre de colère et d’indignation où toutes les violences sont dénoncées et condamnées.
3.3 Le désir de liberté, le combat contre l'injustice sociale
Aujourd’hui, nous ne pouvions pas négliger le rôle d’ « écrivain public » qu’assume Mouloud Feraoun et que s’attribuera, explicitement, Kateb Yacine comme, quelques années plus tard, Tahar Ben Jelloun qui en fera le titre d’un de ses récits, tous les auteurs de cette génération l’ont, volontairement sans doute, rempli. Car incontestablement, à son apparition et, dans le contexte historique des années 1950, ce qui allait s'appeler la littérature maghrébine ne pouvait qu’être marquée idéologiquement et politiquement parlant comme en témoignent toute l’œuvre de Malek Haddad, Nedjma (1956) de Kateb Yacine et la trilogie L’Algérie de Mohammed Dib. L’engagement de Mohammed Dib et le réalisme de se premières œuvres sont tels que le romancier nous semble écrire pour les mêmes raisons humanistes, sinon politiques, que celles qui avaient mis la plume à la main d’Aimé Césaire. Cet autre écrivain communiste déclarait, en effet, dans Cahier d’un retour au pays natal, en 1939 déjà : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont pas de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. » [28, p.36]
Mais, de toute façon, c’était encore la période de refus de l'autorité politique et sociale, c’était la période du combat contre l’exclusion sociale. Les abus, la discrimination selon le sexe ou la couleur de peau était encore plus douloureux de la façon dont les mœurs de ces temps exigent des nécessaire changements. La misère, et non seulement sociale, mais aussi spirituelle a eu une influence vivace sur la qualité de vie et trouve un écho dans les œuvres de ces écrivains. Dans un pays qui a du mal à émerger de la misère, de l’analphabétisme où l’a laissé le départ des colonisateurs, un écrivain a de si lourdes responsabilités qu’on peut comprendre qu’il soit tenté de se taire ou de s’exiler. Surtout lorsque implicitement on attend de lui des prises de position politique, ce qui, à une époque où les intellectuels sont poignée, revient à emboîter le pas au régime, ou à se jeter dans l’opposition active, en laissant la littérature à des temps meilleurs. S’il veut continuer à écrire – pour ceux qui écrire est une nécessité profonde, un besoin vital – c’est l’exil. L’émigration comme solution préconisée par Laroui aux maux du Maghrébin persécuté dans son pays et la condition d’émigré décrite par Sadek Aïsset, ont été très tôt abordées par les romanciers du Maghreb. Ils ont ressenti le besoin de témoigner pour leurs frères qu’ils côtoyaient à Marseille, Lille ou Lyon, pour tous ces ouvriers qui ont quitté le pays natal et, poussés par la nécéssité, ont laissé les leurs pour venir vivre comme des ombres dans les grandes villes de France. Cette vie de labeur et de misère, un Driss Chraïbi ou un Kateb Yacine l’ont connue de très près pour l’avoir volontairement subie, quelque temps, comme en témoignent Les Boucs (1955) du premier et Le Polygone étoilé (1966) du second. La condition d’immigré ou d’émigré devient ainsi un thème récurrent de la littérature maghrébine et apparaît souvent au détour d’une page comme chez Kateb Yacine qui s’insurge contre cet « air d’exil et d’esclavage sans recours » [29, p.139] imposé à ces « damnés de la terre » que Malek Haddad décrit dans La Dernière Impression (1958) comme des êtres solitaires et presque invisibles pour les autres. Mais, c’est Driss Chraïbi qui, le premier, a consacré une œuvre entière à la peinture de la dure réalité de l’ouvrier maghrébin en exil. Rachid Boudjedra reconstitue, lui, jusqu’à l’etouffement, l’errance dans le métro, à Paris, d’un émigré nouvellement débarqué et les circonstances de son assassinat gratuit par une bande de jeunes fascistes. De par sa formation de psychologue et de sociologue, Tahar Ben Jelloun en fait par la suite un objet d’étude, à la fois scientifique et romanesque. Les nouveaux venus sur la scène de la littérature maghrébine comme Abdelkader Djemaï ou Akli Tadjer considèrent la situation soit des anciens ouvriers aujourd’hui âgés et plus solitaires que jamais, soit celle des fils de ces émigrés qui ne voient pas d’autres horizons à leur vie ailleurs qu’en France où ils sont nés et ont grandi [30, p.152].
Une autre particularité inclut le conflit des générations. Les relations père-fils, fils – mère, mari – femme, sont invoquées, non seulement dans un seul ouvrage, comme des problèmes majeurs dans une société malade. Le mythe du père où la vision que nous impose Chraïbi du vieux Maroc ébranlé dans ses fondements, en ce cri de révolte qu’est Le Passé simple, est assez frappante, assez sentie pour avoir, dans sa violence, son obscénité passionnées, lyriques, valeur de témoignage. Le père glacial, écrasant, la mère tremblante, l’enfant noué de peur, nous le retrouvons aussi chez le Mohammed Dib dans Qui se souvient de la Mer. Mais encore chez Mammeri, nous voyons la peur panique du fils devant le père qui brandit son fusil contre lui parce qu’il a osé clamer que Dieu n’existait pas. Il y a, toutefois, une vision mythique, déformée par le ressentiment, grossissante, de la famille musulmane pliée sous l’autorité patriarcale et théocratique d’un père incontesté, à qui le Coran reconnaît sur les siens droit de vie et de mort. Mais voilà, dans la système, la faille « le fils préféré qui était le plus intelligent et le plus sensible, en qui le père a placé le plus d’espoirs, à qui il a découvert la voie de la liberté, sans cesser de le brider farouchement. » [31, p.257].
Audacieux, moderniste dans le procédé, le père est le symbole du vieux Maroc bourgeois, qui adapte ses méthodes pour maintenir intacts ses privilèges. Étant l’un des douze importateurs de thé du pays, capable , en cas de crise, de paraliser le marché en se conciliant la Résidence. Il sent que l’ére qui commence sera celle des avocasseries, de la technocratie, ainsi qu’il envoie son fils à l’école française, pour qu’il puisse le servir et le continuer dans la voie qu’il s’est tracée. Mais avec la culture occidentale, le fils a pris feu pour les idées de justice et de liberté. Et il vient le temps qu’il ne supporte plus l’autorité absolue, il s’écarte de l’univers théocratiqueet ne veut plus servir les desseins paternels. Un des objections les plus violentes du fils contre le père, c’est le sort fait à sa mère, infantile et servile, brouée sous l’autorité de fer. Parquée, passive et terrorisée, délaissée par le Seigneur qui ne l’approche que pour l’engrosser, vivant dans l’effroi de la répudiation toujours possible, cette femme reporte son besoin de ferveur sur les saints et sa tendresse puérile et inquiète sur ses enfants, en qui elle cherche un appui plutôt qu’elle ne les soutient [32, p.258]. La révolte qu'il déclare soudain et dont le premier symptôme est un sacrilège, le refus du jeûne abusif, et ce geste du couteau brandi contre le père dont un regard suffit à le désarmer l’amené a tenté, imploré de transiger :
Tout ce qui s’est passé je suis prêt à l’oublier […]. A condition, dis–je, que vous vous résigniez à transformer votre théocratie en paternité. J’ai besoin d’un père, d’une mère, d’une famille. Également d’indulgence, de liberté. Ou alors, il fallait limiter mon instruction à l’école coranique [33, p.260]
Même si Le Passé simple n’est pas, selon le dire de l’auteur, une pure autobiographie, si les griefs dont le fils charge le père sont en bonne part imaginaires, il est assez significatif qu’ils aient été imaginés. Les rapports entre le père et le fils symbolisent – grossis, dramatisés par la mort du petit Hamid, dont le père porte la responsabilité, et du suicide de la mère, affolée par le départ de son cadet – le conflit de générations, celle des pères, les capitalistes marocains, compose avec le Protectorat, centralise les richesses afin d’avoir des atouts au moment de négocier. Les fils, nationalistes, n’acceptent pas de servir les plans de leurs aînes, et pour eux, la révolte passe par la suppression – morale, et mythique – de leurs pères.
Il faudrait croire, que ce succès, a convaincu la plupart des gens de plume pour mener plus loin son combat contre les inégalités et les injustices sociales, contre conservatisme lequelle étouffe les personnalités remarquables.
Dans l’analyse effectuée, plus loin, lors d’une approche synchronique nous pouvons affirmer, incontestablement, que la littérature des années 1970 a été marqué par une écriture subversive, provocatrice et inimitable inaugurée par Abdelkébir Khatibi, Nabile Farès et, davantage encore, par Mohammed Khaïr–Eddine et, plus tard, Abdelwahab Meddeb. Dans une plan comparatif, nous trouvons l’écriture où les mythes et la réalité, le burlesque et l’onirisme, le ludique et le politique coexistent. Les frontières de l’indicible, tant dans les textes poétique que dans ceux dits « mixtes », ou dans les récits, se trouvent ainsi repoussées, les tabous et autre langue de bois récusés. Ainsi, la dénonciation de « la révolution trahie » en Algérie et du reniement des idéaux de liberté et d’égalité qui avaient été les ressorts de la lutte nationale au Maroc et en Tunisie, pousse les romanciers des premières années de l’Indépendance à s’éloigner des héros positifs et à choisir leurs protagonistes parmi les marginaux et autres personnages atypiques. La littérature trouve ainsi son personnel romanesque dans l’asile psychiatrique comme dans L’Insolation (1972) de Rachid Boudjedra et se complaît dans le délire obsessionnel d’un anonyme chef de bureau de dératisation dans L’Escargot entêté (1977) du même auteur ou dans le bégaiement accidentel et singulier du muezzin du roman éponyme (1978) de Mourad Bourboune. Elle revêt le masque de la folie avec la figure légendaire de Moha le fou, Moha le sage (1978) de Ben Jelloun, invente des personnages soit amnésiques comme le narrateur dans Le Fleuve détourné (1982), soit monstrueux avec le principal personnage de Tombéza (1984) ou avec son jumeau, moins sanguinaire il est vrai, le tyranneau de village qu’est Omar El Mabrouk dans L’Honneur de la tribu (1989) de Mimouni. L’auteurs se sert de la figure de la déraison pour pourfendre les vices de la société, les romanciers sous couvert de faire délirer des aliénés, revisiter le passé et juger le présent par un monstre comme Tombeza, se donnent le droit à une parole sans entrave. Nous pouvons appliquer à toute la littérature maghrébine de cette période ce que Boudjedra attribue à la seule littérature algérienne et à son œuvre plus spécialement quand il déclare : « Une littérature algérienne ne peut être qu’une littérature politique dans le sens subversif du terme ». Et, il ajoute : « Ma littérature est une transgression permanente » [34, p.74]. Ce à quoi font écho ces propos de Rachid Mimouni selon qui, il y a « des livres dont l’objectif essentiel est de mettre mal à laise le lecteur en vue de provoquer une prise de conscience » [35, p.82]. Au moment où, dans les trois pays concernés, le pouvoir accentue sa dérive autoritaire, l’Indépendance, si chèrement payée, est jugée illusoire par les écrivains maghrébins si celle–ci n’est pas accompagnée d’une libération des esprits du poids de traditions devenues « obsolètes et si elle ne se traduit pas, sur le plan politique, par une gestion démocratique de la chose publique et respectueuse de la volonté populaire » [36, p.74]. Autant dire, la disgrâce physique qui caractérise certains personnage de cette période, n’est que reflet de sa monstruosité sur le plan moral. Mais celle–ci est elle–même le produit, à la fois, du comportement peu amène de la société envers ils et de la lucidité avec laquelle ils ont appris à démasquer la lâcheté, l’égoïsme et la malhonnêteté sous les apparences de la respectabilité, de la responsabilité et du patriotisme. Après une analyse des textes sur ce segment de temps nous avons noté que les personnages privilégés, chez certains auteurs maghrébins, sont, à côté des aliénés et autres marginaux, les adolescents. Ils sont les révélateurs de la sombre réalité dans laquelle ils se débattent avec tous les leurs. C’est, précisément, le cas dans Les Enfants des rues étroites (1986) où le marocain Abdelhak Serhane, une trentaine d’années après Le Passé simple, reprend le thème de la toute puissance du pouvoir abusif paternel, déjà développé par Driss Chraïbi, pour décrire le malheur que causse au sein de la famille la conduite d’un père traité de monstre etde sauvage et à qui sa femme avait souhaité, sa vie durant, la mort.
La violence voilà l’univers où nous vivions. Nous étions les enfants de la haine et de la misère. [37, p.89]
Les enfants des rues étroites sont donc les produits de la violence conjugale, de la frustration sexuelle et de la misère endémique. Leur enfance a, très tôt, volé en éclats, selon l’expression du narrateur. Ils vivent dans des rues où, métaphoriquement, le soleil n’entre jamais. Le récit pourrait être assimilé à une radioscopie de la société marocaine. La corruption et l’incurie de l’administration, les espoirs trahis de ceux qui ont lutté pour un Maroc indépendant et souverain, l’acceptation indiscutée de traditions séculaires, la pédophilie et les frustrations sexuelles, voilà les principaux thèmes que développe le récit.
Autrement dit, nous pourrions parler sans fin sur les thèmes, les personnages, les motifs et les symboles de la littérature maghrébine francophone, effectivement, depuis les pères fondateurs, tels Ahmed Sefrioui et Mouloud Feraoun, la critique littéraire ne cesse de mettre sous les feux de la rampe les grands thèmes récurrents comme le système pyramidal et patriarcal de la structure sociétale, la condition précaire de la femme, les us et coutumes d’essence médiévale qui régentent maints aspects de la vie quotidienne. Ces thèmes, toutes révélée ici, avec leur arrière-plan idéel et contextuel, demeurent encore vivaces, ce qui offre une seconde constante dans l’histoire de la littérature maghrébine d’expression française. En effet, les réalités du Maghreb profond ont très peu changé : il est donc normal que le texte maghrébin reflète, plus ou moins directement, cet état des lieux avec, certes, des éclairages différents et des sensibilités variées.
En conséquence, les enjeux et les constantes de la littérature maghrébine d'expression française nous conduisent à une revalorisation de la notion du contexte dans lequel cette littérature se fait et se consomme.
Références :
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Ibid., p8.
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Sakina Messaadi, Les Romancières coloniales et la femme colonisée. Contribution à une étude de la littérature coloniale en Algérie, Alger, Enal 1990, p.71.
Jean Déjeux, La littérature féminine de langue française au Maghreb, Paris, Karthala 1994, p.78.
Ibid., p.81.
Mohamed Ridha Bouguerra, Sabiha Bouguerra, Histoire de la littérature du Maghreb, Paris, Ellipses 2010, p.213.
Ibid., p.36.
Ibid., p.139.
Ibid., p.152.
Arnaud Jacqueline, Littératures maghrébines. Origines et perspectives, tomes I, Itinéraires et contacts de cultures, Paris, L’Harmattan, 1990, p.257.
Ibid., p.258.
Ibid., p.260.
Mohamed Ridha Bouguerra, Sabiha Bouguerra, Histoire de la littérature du Maghreb, Paris, Ellipses 2010, p.74.
Joubert Jean-Louis, Littératures francophones du Monde Arabe, Paris, Nathan – ACCT, 1994, p.82.
Mohamed Ridha Bouguerra, Sabiha Bouguerra, Histoire de la littérature du Maghreb, Paris, Ellipses 2010, p.74.
Ibid., p.89.
Conclusion
Au cours de l’élaboration de ce mémoire nous avons constaté que la littérature maghrébine d'expression française s'est construite sur le malentendu, sans lequel cependant elle n'existerait peut-être pas. Elle a été en quelque sorte sollicitée dès le départ par l'actualité politique : elle est née de la dynamique même de la décolonisation. Certes, des auteurs qui ont écrit existaient auparavant et il faut insister sur l'importance de ce grand précurseur que fut, par exemple, Jean Amrouche. Mais la prise de conscience par les lecteurs, sans lesquels il n'y a pas de littérature, d'un courant littéraire maghrébin de langue française en tant que tel peut être datée de l’après guerre.
En réalité, cette littérature assume, et ce, depuis sa naissance, un rôle primordial dans la contestation sociale, politique, culturelle et économique, car, dans l’état actuel des lieux et des choses, et malgré tous les discours de bonne volonté démocratique, les différents régimes en place ne tolèrent qu’exceptionnellement une critique en langue arabe.
La problématique de cette littérature consiste notamment dans sa forme d'expression. Il s'agit d'une littérature qui traite des problèmes sociaux et identitaires d'un peuple, mais qui sont reflétés dans une autre langue que celle maternelle des peuples en question. Dans notre cas nous nous sommes proposé de voir comment le choix de la langue d'écriture – le français a réussi à s'imposer au détriment de l'arabe ou du berbère et quels combats ce choix a suscités.
De toute façon notre mémoire présente un projet dont l'objectif était de mettre en évidence les spécificités de l'écriture d'une œuvre arabe dans une autre langue, différente de la maternelle et de dégager un modèle du rapport de l’écrivain maghrébin à la langue française.Nous avons présenté dans une perspective diachronique et synchronique le développement et l'intégration de la langue française dans les œuvres d'auteurs maghrébins. Le combat de l’écrivain du pays du « Soleil Couchant » pour l'identité et pour l'acceptation. Le combat qui se fait en signe de rébellion pour lui et pour son peuple.
Nous avons utilisé un corpus riche à la fois théorique : Mohamed Ridha Bouguerra, Sabiha Bouguerra, Histoire de la littérature du Maghreb, Paris, Ellipses 2010 ; Jean Déjeux, Lémergence du « je » dans la littérature maghrébine de langue française, vol :13, 1991 ; Bonn Charles, Khadda Naget et Mdarhri-Alaoui Abdellah (sous la direction de), Littérature maghrébine d'expression française : coordination internationale des chercheurs sur les littératures magrébines, EDICEF, 1996 ; Bonn Charles, Garnier Xavier et Lecarme Jacques, Littérature francophone, Hatier, 1997, etc. ; et lexicographique : revues consultées, dictionnaires ; ainsi que des œuvres littéraires.
De sorte, au début de la présente étude, nous nous interrogions sur l’impact de la langue française sur la littérature maghrébine. Nous avons réalisé une vue d'ensemble sur cette littérature, ses définitions, le contexte d'apparition et sa pluralité. Nous avons mis l'accent sur les genres les plus répandus dans la littérature de ces trois pays du Maghreb, ainsi que les générations d'écrivains qui ont contribué à son extension. Dans le second chapitre nos efforts se sont dirigés vers l'identification du rôle de l'écrivain, les motifs qui ont dicté le choix du français et les conflits que cela a pu engendrer. Avant de passer au troisième chapitre, nous avons décrit le rôle et l’identité du combat littéraire dans chacun de ces trois pays. Notre recherche n'aurait pas été complète si nous n'avions pas touché les problèmes culturels et les conflits survenus entre les deux langues. Le français y devient à la fois la langue des colons et une langue de liberté et d'acueil dans laquelles se sont exprimés les premières libertés humaines. Nous avons discuté des problèmes majeurs de la société d’Afrique du Nord, pas mentionnés une seule fois, dans les œuvres d'écrivains du Maghreb et nommément : l'écrivain et la liberté d’expression, l'identité et la vision de la société dans laquelle il vit, les relations sociales, culturelles et familiales, le statut de la femme dans la société et dans la famille, les fils et la tyrannie patriarcale. Nous avons consacré le troisième chapitre à cette étude.
Comme méthode de recherche nous avons utilisé l'analyse, la synthèse et l'étude corrélationnelle. C'est ce qui nous a permis de faire une étude de cas dans le troisième chapitre. De cette manière, nous avons observé le combat mené par la langue française pour devenir langue d'expression par le prisme des écrivains maghrébins d'origine différente. De surcroit, l'étude nous a permis de voir la variété des thèmes traités et les sacrifices privés auxquels ont été soumis les écrivains.
En effet, nous allons voir au cours de ce travail d’analyse que le bilinguisme et le plurilinguisme littéraire ne se manifestent pas seulement par l’apparition de mots arabes ou bien berbères dans le texte français, mais aussi par un travail minutieux de la forme, c’est-à-dire des structures et des sonorités de la langue française.
Nous avons essayé aussi d’analyser la relation de la langue française par rapport aux pays et aux auteurs concernés : ce rapport est complexe, car il s’agit souvent de la langue du colonisateur. Ceci se lit, au sens littéral, dans les œuvres de nombre d’auteurs.
Par conséquent, nous pouvons conclure que notre mémoire sur la « Littérature maghrébine d’expression française comme langue du combat identitaire » puise grandement sa légitimité dans l’état de quasi-viduité de ce type de recherche. En plus, il est à considérer un travail toujours très intéressant avec de nombreuses possibilités à la recherche. Eu égard à tous ces éléments, nous pensons que notre travail se justifie ainsi, en principe. Par ailleurs, la Littérature Maghrébine d'Expression Française mérite amplement ces recherches, de par ses spécificités, ses enjeux passés et présents et aussi par un certain nombre de constantes.
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Article, Autrement, Paris, série Monde, n.60, H.S. mars1992.
Article sur le site Blogs du Monde, brunorigolt.blog.lemonde.fr/
Banque de données LIMAG sur la littérature du Maghreb, http://www.limag.com/
Biographie de Driss Chraïbi sur BiblioMonde
Documents sur Albert Memmi (Bibliothèque francophone multimédia de Limoges)
Larousse Dictionnaire mondial des littératures, http://www.larousse.fr/.
Bulletin Etudes littéraires maghrébines, sur le site http://www.limag.com/
Résumé
Le mémoire pose un problème central de la littérature maghrébine d’expression française – le combat identitaire. Cette littérature est une partie intégrante de la culture algérienne, tunisienne et marocaine. Dans une approche analytique, puis pragmatique et descriptive, le présent mémoire procède à l’analyse des littératures visées, passe en revue les concepts énoncés par les écrivains et les critiques et souligne le fait qu’ils ont mis la base d’une littérature contestataire qui traite des problèmes sociaux dans la langue de l’Autre (autre que celle maternelle), mais qui leur permet d'être entendus et compris. Les plans descriptif et comparatif utilisés relèvent les intentions des auteurs de redéfinir le statut de l’homme, en contribuant ainsi à l’évolution de la pensée et à l’établissement de nouveaux principes esthétiques dans la société.
Dans l’analyse effectuée lors d’une approche pragmatique et synthétique, le mémoire décrit le statut de la littérature de langue française du Maghreb, marqué par le combat identitaire et l’esprit de liberté, le refus du principe d’autorité, le rejet du principe de système, le nouvel abord de la religion et des structures sociales. Lors d’une brève incursion synchronique, la présente démarche caractérise la vie et l’œuvre des plus marquantes personnalités de la littérature francophone d’Afrique du Nord : Driss Chraïbi, Mouloud Feraoun, Mohammed Dib, Ahmed Sefrioui, Kateb Yacine, Tahar Ben Jelloun.
L’étude de cas démontre que les écrivains plaident essentiellement pour l’examen de conscience et l’analyse de leurs propres comportements, pensées et désirs pour passer à ce « je » d’introspection dans des romans et textes littéraires. Le plan dialectique reflète le caractère de la pensée des écrivains. Les méthodes de l’analyse historique, de l’analyse comparée et de la synthèse ont aidé à prouver que : la langue française est à la fois langue des colons et langue de liberté et d'accueil, dans laquelle se sont exprimés les premières libertés humaines ; les œuvres sont axées sur les problèmes des couples et des conflits familiaux, sur les structures sociales en pleine mutation ; les auteurs ont mené uncombat intellectuel contre l'exclusion et la discrimination sociale, les abus, la corruption, la violence à travers leurs œuvres. Cette littérature du combat conduit à une réflexion critique sur les sociétés doublées d’une prise de conscience identitaire.
Rezumat
Lupta de identitate este o problemă centrală a literaturii maghrebine de expresie franceză, aceasta din urmă fiind parte integrantă a culturii din Algeria, Tunisia și Maroc. Într-o abordare analitică, prezentată de un plan descriptiv și comparativ, sunt trecute în revistă conceptele și teoriile stabilite de scriitori și critici, subliniind faptul instaurării unei literaturi protestatare, care se ocupă de problemele sociale într-o altă limbă(alta decât cea maternă) dar care le permite să fie auziți și înțeleși. Deasemenea sunt relevate intențiile autorilor de a redefini statutul omului, contribuind, astfel, la o evoluție a gîndirii și la stabilirea unor noi principii estetice în societate.
Din analiza efectuată în cadrul unei abordări pragmatice și sintetice, este relevat statutul literaturii de limbă franceză în Maghreb, marcată de lupta identitară și spiritul de libertate, refuzul principiului autorității, respingerea principiului de sistem, o nouă abordare a religiei și a structurilor sociale. În urma unei scurte incursiuni sincronice, noi am identificat și analizat rolul și importanța literară al celor mai notorii personalități din literatura francofonă din Africa de Nord, și anume Driss Chraïbi, Mouloud Feraoun, Mohammed Dib, Ahmed Sefrioui, Kateb Yacine, Tahar Ben Jelloun.
Studiul de caz arată că scriitorii pledează, în esență, pentru examenul conștiinței și analiza propriului comportament, propriile gânduri și dorințe pentru a trece la ’’eul’’ de introspecție în romane și texte literare. Planul dialectic reflectă caracterul gândirii scriitorilor. În cadrul unei abordări sintetice, constatăm că :limba franceză devine atît colonială cît și o limbă de liberă exprimare și de găzduire a celor care au avut dorința de a fi auziți. Operele sunt axate pe problemele de cupluri și conflicte de familie, precum și asupra structurilor sociale în plină mutație. În contradictoriu cu societatea coruptă și violentă, scriitorii au dus o lupta intelectuală contra excluderii, abuzurilor și discriminarii sociale prin creațiile lor. Această literatură de luptă a condus la o gîndire critică asupra societății dublate de sentimentul conștiinței identitare.
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Acest articol: Littérature Maghrébine D’expression Française Comme Langue Du Combat Identitaire (ID: 117500)
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