Le Champ Littéraire Bourdieusien Inter Relié Au Champ Politique de Kourouma
TABLE DES MATIÈRES
ARGUMENT
Dans l’immensité du champ d’écrivains négro-africains, j’ai choisi de réfléchir sur les œuvres de l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma. Ce choix se justifie par l’écriture novatrice de ses œuvres qui m’a séduit par leur originalité et par leur pouvoir d’évocation. En ce sens, nous pouvons parler d’une véritable “re-naissance’’ des lettres africaines. Dans notre étude Les romans négro-africains d’Ahmadou Kourouma : un emprunt du concept de champ littéraire et politique chez Pierre Bourdieu, deux romans de Kourouma servent de fondements à l’analyse littéraire : Les soleils des indépendances (1970) et Allah n’est pas obligé (2000). Pour analyser le corpus de ces deux œuvres d’Ahmadou Kourouma, nous nous proposons de faire une étude comparative faisant référence au concept de champ développé par le sociologue français Pierre Bourdieu dans son ouvragé intitulé Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire.
En effet, la littérature francophone d’Afrique subsaharienne compte des œuvres littéraires produites en langue française et publiées en France ou dans les pays d’Afrique. La frontière entre les deux champs littéraires est réduite, c’est-à-dire – le champ littéraire français et le champ littéraire francophone – s’estompe graduellement puisque les œuvres francophones notamment les œuvres provenant des pays africains tendent vers une reconnaissance grandiose par le public large et cultivé au même moment où la métropole française a cessé d’occuper le premier plan.
L’histoire de l’Afrique noire subsaharienne est marquée par l’esclavagisme, la colonisation, suivie par la décolonisation, le néo-colonialisme, les régimes autoritaires, les guerres civiles et ethniques et la démocratie dans les années 1990.
En Afrique noire, pendant la période des indépendances – les années soixante – soixante-dix, plusieurs écrivains font renaître une littérature de résistance et une civilisation négro-africaine basée sur l’oralité. Mais au contraire, Kourouma ressent cette période comme une déception car les régimes autoritaires en Afrique supposent d’une manière implicite, la violence et l’oppression. Ces régimes autoritaires africains qui se sont succédés depuis la colonisation n’ont fait qu’aggraver le statut quo parce qu’ils ont perpétué les maux du colonisateur. Kourouma comme écrivain politique africain de l’époque 1960-1980, a le mérite de changer la perspective générale sur la politique africaine, tout en dénonçant la corruption et le néo-colonialisme. L’écriture kouroumienne se prête à une lecture “holistique’’ (globalisante) puisque nous pouvons déchiffrer presque tous les aspects et les perspectives de l’existence. L’auteur est profondément impliqué dans l’histoire tragique de son peuple et essaye d’offrir un palliatif pour tous les traumas infligés au cours des siècles.
Ahmadou Kourouma est alors considéré comme l’un des plus grands écrivains du continent noir ; il est aujourd’hui l’archétype de la littérature africaine avec ses “africanismes’’ qu’on lui reconnaît. Sa langue exprime une vision du monde qui la distingue des autres écrivains du continent africain. Ses œuvres littéraires représentent le miroir de la société africaine qui offrent au lecteur la possibilité de connaître l’histoire de l’Afrique subsaharienne. Dans chacun de deux romans étudiés, le romancier sur les pas d’un historien insère des faits historiques. Ainsi l’auteur propose une relecture de l’histoire évènementielle. Ses romans représentent “l’âme’’ du peuple malinké (un peuple dont il est issu), sans prendre en considération la langue utilisée pour les écrire. Une caractéristique évidente de l’écriture kouroumienne est le fait que l’auteur en mettant l’accent sur la spécificité locale des cultures africaines, se fait difficile à comprendre par un lecteur moins avisé.
Notre mémoire de dissertation est divisé en quatre chapitres. Dans le premier chapitre, nous nous focalisons sur le champ littéraire, concept introduit par le sociologue Pierre Bourdieu et sur la biographie de Pierre Bourdieu et d’Ahmadou Kourouma, dans le but d’esquisser une relation conceptuelle entre deux concepts – le champ littéraire bourdieusien et le champ politique kouroumien, pour en arriver finalement, à éclairer le labyrinthe de la prose kouroumienne.
Le deuxième chapitre se propose d’être une étude analytique de deux romans de Kourouma. Son premier roman, Les soleils des indépendances, représente une véritable satire politique, comme une critique corrosive vis-à-vis des régimes politiques africains apparus après la décolonisation. Dans Allah n’est pas obligé, on retrouve les deux pays d’Afrique de l’Ouest (Liberia et Sierra Leone) comme un “champ’’ de guerres ethniques et civiles, où les enfants innocents sont exploités par les chefs de guerres sans loi ni foi, ce qui rend difficile l’accès des enfants à l’école. Ces guerres sont dues à la mauvaise gouvernance et à la géopolitique liée au contrôle des espaces africaines par des occidentaux. Cette forme d’oppression est condamnée par l’auteur, en vertu des nombreux traumas provoqués par celle-ci. Dans cette optique, on peut envisager le concept de champ politique – telle que Bourdieu la défini, comme un territoire gris et chaotique, où les enfants s’affrontent pour quelque chose qu’ils ne savent pas – la guerre, quelque chose qui n’est pas leur monde. De plus, la plume de Kourouma effleure le champ politique dans sa complexité de l’Afrique récente. Ainsi l’ivoirien se déclare en faveur de la justice sociale des plus défavorisés.
Le troisième chapitre analyse l’utilisation des expressions locales (Malinké) dans la langue française comme une création artistique dans le champ littéraire. Pour exemplifier cette révolution linguistique, nous nous proposons de présenter plusieurs expressions, proverbes, etc., dans le but d’analyser leurs sens dans la langue malinké et leurs sens dans le français usuel. Nous présenterons aussi la production littéraire comme un champ littéraire. Par conséquent, le refus de la publication de ses romans en France est un conflit entre l’écrivain, les éditeurs et le contexte politique de la colonisation, d’où le champ littéraire française rejette et le champ littéraire canadien accepte (le Canada n’étant pas impliqué dans le jeu du colon français).
Le quatrième chapitre et le dernier, passe en revue la spécificité de Kourouma dans le champ littéraire francophone africain. Dans ce chapitre, nous avons souligné le fait que beaucoup de critiques littéraires analysent les écrits de Kourouma. On peut citer des exemples comme Makhily Gassama, Lilyan Kesteloot, Georges N’Gal. Ainsi, dans l’espace francophone, l’auteur ivoirien est considéré comme un “passeur de langue’’, c’est-à-dire celui qui passe d’une langue à l’autre langue avec grâce et une légèreté irréprochable.
L’auteur ivoirien, Ahmadou Kourouma se confesse avec beaucoup de sincérité lorsqu’il évoque la rupture linguistique qu’il a expérimenté, entre la culture malinké et la culture française déjà importée en Afrique grâce à la colonisation :
J’étais plus proche de la langue malinké parce que je pensais en malinké, je vivais en malinké, et puis mon long exil m’a fait perdre un peu la langue malinké et actuellement, je pense en français et non plus en malinké. Avant, je cherchais la meilleure façon d’adapter le français au malinké en jouant sur les mots, sur la structure du langage. Mais, maintenant c’est un peu le contraire, je suis obligé de rechercher comment je peux dire les mots en malinké en partant du français.
De même, ce processus se fait aisément remarqué dans le cas des autres auteurs auto-exilés qui se réclament d’autres cultures ou d’autres milieux linguistiques. Pour les Roumains, l’exemple le plus accessible serait celui d’Émile Cioran, qui presque de la même manière que l’auteur ivoirien, adopte la nouvelle langue avec enthousiasme, mais sans reléguer dans le subconscient total l’héritage linguistique et culturel maternel et tout qui appartient à l’espace “mioritique’’. En outre, chez Kourouma aussi bien que chez Cioran, nous pouvons déceler un certain complexe d’infériorité que ceux-ci essayent de masquer à travers le recours à la grande culture d’Hexagone.
Dans la conclusion, nous faisons la synthèse de deux romans de Kourouma, où les malinkés sont des acteurs principaux de son champ littéraire. Nous pouvons souligner le fait que le romancier ivoirien présente toutes les qualités applicables au champ littéraire africain. En premier, il s’agit de la “perméabilité frontalière’’, c’est-à-dire l’universalité de son œuvre que est légitimée par le public des plusieurs zones de mappemonde (parisien, canadien, africain).
D’un champ à un autre, d’un sociologue français à un littéraire africain, il y a là un paradoxe ou une radicalisation si on s’inscrit dans une approche linéaire. Et pourtant, un doute méthodique nous fait croire que deux champs géographiquement distincts peuvent se croiser pour matérialiser le champ du savoir, le champ de cultures diversifiées ou encore le champ d’une francophonie plurielle. Dans cette perspective, nous tenterons de rechercher chez Ahmadou Kourouma, un romancier négro-africain une élucidation du concept de champ élaboré par Pierre Bourdieu du Collège de France.
CHAPITRE I : Le concept de champ littéraire et la biographie des auteurs de référence
La présente section s’intéresse à la clarification de la notion de champ ainsi qu’aux biographies de Pierre Bourdieu et d’Ahmadou Kourouma.
Le champ littéraire
Le champ littéraire est un concept de Pierre Bourdieu. On peut se référer à son ouvrage Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire. Dès les années 1965, grâce à Pierre Bourdieu, la notion de champ littéraire s’insère dans le vocabulaire sociologique. D’après Le Dictionnaire du littéraire, « le champ littéraire est un volet de la théorie des champs élaborée […] par Pierre Bourdieu dans les travaux qui portent sur la littérature, mais aussi sur la religion, l’université, le patronat … […] Le champ est défini comme « une structure de relations » entre les agents, les pratiques et les objets d’un domaine d’activité ; soit, en littérature, les écrivains, les éditeurs, critiques et lecteurs, la création, la publication, la lecture et les œuvres ».
Le champ littéraire est un concept présenté surtout dans un article du numéro 22 de L’Année sociologique intitulé « Le Marché des biens symboliques » en 1971, puis, 21 ans plus tard dans Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, 1992.
Pierre Bourdieu amorce ses travaux sur le concept de champ, en faisant appel à des perspectives analytiques générées dans des domaines indépendants pour justifier l’existence de relations entre eux. Ce sociologue admet que la société moderne peut être divisée en sous-cultures, où le champ représente une unité de distinction culturelle, mais en même temps, un milieu d’intégration.
Le concept de Bourdieu se propose de concevoir le champ littéraire comme un espace relationnel où des acteurs sont en compétition. Ainsi, le champ est une approche manifeste d’analyse du fait littéraire. Au lieu d’analyser un texte pour le texte (théories littéraires de type structuraliste), cette conception théorique s’assimile à une théorie physique : plus exactement, on peut mentionner le champ gravitationnel ou le champ magnétique, pour donner quelques exemples dans ce sens. Le champ permet donc de donner un contenu, c’est-à-dire de tenir compte des arènes en présence ainsi que des représentations. Du point de vue économique, un objet artistique ne se définit point par sa valeur matérielle. L’art doit être perçu dans une autre perspective et, en conséquence, le public renonce à la forme ordinaire du plaisir esthétique. « Ce renoncement au plaisir ordinaire est la condition d’accès à une forme de satisfaction supérieure ».
En règle générale, Bourdieu qualifie ainsi le champ d’« espace des possibles » ou de « champ de possibilités stratégiques » dans lequel se “meut’’ l’ars obligatoria : « l’espace de ce qui est possible, concevable, dans les limites d’un certain champ ». Au milieu de cet espace, l’artiste devient l’inventeur des possibles. Chaque champ présente un système à partir de lois et de valeurs. L’investissement dans un champ artistique est plutôt symbolique que financière, c’est précisément l’opposé d’un investissement réel. Cet investissement symbolique se reflète sur un certain nombre d’institutions comme les écoles, les maisons d’édition, les revues littéraires, etc.
De fait, le champ littéraire se constitue selon le principe de différenciation, c’est-à-dire selon la distance symbolique et non physique vis-à-vis du marché économique. Mais la place d’un ouvrage dans la hiérarchie du champ littéraire est influencée par la qualité sociale du public.
Il y a alors deux types de production culturelle : le premier type est la production littéraire commerciale, c’est-à-dire celle qui répond à la demande du public, comme par exemple, la littérature de masse d’aujourd’hui. Le second type ne s’oppose pas à la volonté du public large mais représente le champ restreint de la littérature pure. Par conséquent, on peut considérer le champ littéraire comme le résultat d’un jeu disputé par différentes forces et de stratégies utilisées pour obtenir un capital symbolique (reconnaissance sociale dans les écrits de Bourdieu). À cet effet, on peut remarquer que le champ littéraire est un espace de lutte permanente entre les différents agents, en vue de l’obtention d’un capital symbolique. C’est une idée essentielle du travail de Bourdieu, pour qui, à chaque champ correspond un habitus.
Dans sa sociologie, « […] l’habitus est le produit du travail d’inculcation et d’appropriation nécessaire pour que ces produits de l’histoire collective que sont les structures objectives (de la langue, de l’économie, etc.) parviennent à se reproduire, sous la forme de dispositions durables, dans tous les organismes (que l’on peut, si l’on veut, appeler individus) durablement soumis aux mêmes conditionnements, donc placés dans les mêmes conditions matérielles d’existences ». Dès lors, dans sa représentation, la littérature est appréhendée comme un champ culturel, c’est-à-dire une structure autonome, qui possède ses propres règles et ses propres valeurs, et a des enjeux qui lui sont également propres. Une telle conception semble être fondée dans les œuvres d’un romancier négro-africain.
La biographie de Pierre Bourdieu
Pierre Bourdieu est l’un des sociologues français les plus importants de la deuxième moitié du XXe siècle. Il est né en 1930 à Denguin, Pyrénées Atlantiques. Il a contribué à renouveler la sociologie et l’ethnologie française et mondiale.
Pierre Bourdieu a suivi les cours du lycée Louis-Bartou de Pau, puis du lycée Louis-le-Grand. Après, il s’inscrit en 1951 à l’École Normale Supérieure à Paris, où il étudie la philosophie. En 1954, il devient agrégé. Il se consacre aux études de sociologie, à partir de son séjour en Algérie jusqu’au Collège de France, suivant entre autres, les cours de deux institutions prestigieuses, notamment l’École Pratique des Hautes Études et l’École des Hautes Études en Sciences sociales.
En 1964, il devient directeur d’études à l’École des Hautes Études en sciences sociales. Bourdieu est le fondateur de la revue Actes de la recherche en sciences sociales et en 1981, il est nommé professeur au Collège de France. Ses principales œuvres sont : Sociologie de l’Algérie (1961), L’amour de l’art (1966), La Reproduction (1970), La Distinction (1979), Questions de sociologie (1980), Leçon sur la leçon (1982), Homo academicus (1984), Les Règles de l’art. Structure et genèse du champ littéraire (1992), La misère du monde (1993), Méditations pascaliennes (1997), La culture est en danger (2000).
Ces écrits ont exercé une influence considérable dans plusieurs domaines des sciences humaines et sociales (sociologie, anthropologie, science politique, etc.) et des lettres modernes (littérature). Pierre Bourdieu suggère donc une forme d’interprétation du fait littéraire, en mettant en exergue des concepts tel que le « champ littéraire » qui est un espace social avec ses luttes pour l’acquisition de biens ou la domination.
La vie et les œuvres d’Ahmadou Kourouma
Ahmadou Kourouma est un écrivain emblématique de l’Afrique subsaharienne postcoloniale, originaire de la Côte d’Ivoire, un pays de l’Afrique de l’Ouest. Il est de l’ethnie et de la culture Malinké. Kourouma est né en 1927 dans une famille musulmane, au Nord de la Côte d’Ivoire, à Togobola, à la frontière de la Côte d’Ivoire et de la Guinée. Son nom signifie dans le malinké “guerrier’’, une signification non accidentelle. Dès l’âge de sept ans, il est séparé de ses parents, est confié à son oncle qui l’initiera dans la tradition Malinké et dans les secrets des Maîtres-chasseurs, à Boundiali. Il fréquente l’école française dès 1935. Kourouma, ayant un tempérament rebelle pendant les années 1950-1954, a été volontaire dans l’armée française en Indochine. Il rentre en France où il finit ses études. Kourouma se marie avec une française lyonnaise et en 1960 revient dans son pays natal, pays qui a retrouvé son indépendance. Il manifeste une opposition forte au parti unique de Felix Houphouët-Boigny qui l’accuse de comploter. Ainsi ; il est emprisonné dès 1963 pour quelques mois, après il entre en chômage suivi d’un exil en Algérie, au Togo et en France. Il est mort le 11 décembre 2003.
Ce romancier contemporain est considéré comme l’un des plus importants du continent africain. Il a centré son œuvre sur ce qui a marqué l’histoire de son peuple.
Nous nous proposons de mettre en évidence la conception de Bourdieu sur le champ littéraire dans les œuvres d’Ahmadou Kourouma. En effet, « les critères nationaux, géographiques, raciaux et celui de la langue d’écriture sont incomplets pour délimiter un écrivain comme appartenant au champ littéraire. Ahmadou Kourouma se reconnaissait lui-même comme écrivain africain francophone, s’inscrivant ainsi de façon volontaire à ce champ littéraire ».
Les œuvres de Kourouma ont comme fondement le contexte géopolitique et l’histoire de l’Afrique noire. Elles concernent l’Afrique colonisée, les indépendances et les guerres ethniques. Les soleils des indépendances, est écrit dans la période des indépendances (les années 1960), Monnè, outrages et défis (1990), En attendant le vote des bêtes sauvages (1998) faisant partie de la période du désenchantement survenu après les indépendances et les deux derniers, sont écrits au début du XXIe siècle : Allah n’est pas obligé (2000) et Quand on refuse on dit non (2004), un roman posthume. En effet, il est l’auteur de quatre romans qui représentent chacun un morceau distinct de l’histoire de l’Afrique subsaharienne. Il est aussi auteur d’une pièce de théâtre, Le diseur de la vérité (1972) mais cette pièce est considérée comme “révolutionnaire’’ et a été interdite de diffusion en Côte d’Ivoire après sa première présentation.
On peut remarquer que ces œuvres appartiennent aux trois étapes de production du champ littéraire africain francophone qui englobent des modes de pensée différents. Pendant les indépendances et le désenchantement, les sentiments partagés sont l’angoisse et la détresse, tandis que l’étape suivante dévoile les grandes inquiétudes esthétiques. La création kouroumienne est une littérature africaine engagée et militante. Il est incontestable que les œuvres de Kourouma font partie intégrante au corpus post-colonial d’expression française. La principale dimension de l’œuvre est enracinée dans l’histoire et l’actualité politique.
De son arrestation en 1963 pour sa participation à un “faux complot’’ va naître son premier roman, Les soleils des indépendances, qui est un acte de protestation. Il faut noter que l’œuvre écrite en 1968, Les soleils des indépendances, est publiée à un moment difficile pour le romancier car il était au chômage à Abidjan parce qu’il perd son travail de Directeur adjoint dans une banque de la capitale. De même, ses exils en France, puis en Algérie ne le découragent pas à lutter pour l’identité et la liberté nationale des pays africains.
Il est intéressant de noter le fait que le nom de la petite ville Togobola au Nord de la Côte d’Ivoire, est en effet, le lieu de naissance du romancier ivoirien, un toponyme qui apparaît dans les œuvres kouroumiennes : c’est la région du vieux Fama dans Les soleils des indépendances, et du jeune enfant Birahima, dans Allah n’est pas obligé. On peut dire que Kourouma essaie de célébrer un lieu qui lui est symbolique.
Le champ littéraire a complètement d’autres frontières que celles politiques si on prend en considération la globalisation de la culture. Ainsi, Kourouma est un romancier francophone de l’espace africain, mais qui écrit et publie au Canada, où il reçoit le Prix de la Francité.
CHAPITRE II : Le champ littéraire bourdieusien inter-relié au champ politique de Kourouma
Il est question de mettre en évidence la dynamique du champ littéraire tel que Bourdieu l’appréhende sur un terrain africain où Kourouma essaie d’identifier et d’analyser des faits politiques.
L’Afrique dans Les soleils des indépendances
Dans sa traduction linéaire, le soleil est une source d’énergie et de lumière offerte à plein temps par la nature aux ouest africains qui ne connaissent pas l’hiver, l’automne, le printemps et l’été. Cela suppose que le soleil renvoie à un champ lexical de l’éclat, de la beauté, de la brillance, de la grandeur ou encore d’un renouveau. Dès le titre Les soleils des indépendances, on peut interpréter “le soleil’’ comme une caricature des nouveaux pouvoirs de l’époque de la décolonisation grâce aux indépendances des années 1960. Mais le roman n’a pas le but de chanter la gloire des indépendances, mais plutôt de décrire les réalités de cette ère historique. Le “le soleil’’ perd son sens initial pour évoquer l’exaspération, car “les soleils des indépendances’’ incarnent les jours sombres, la souffrance, la léthargie, l’impuissance publique et la décadence. Ce roman a donc une valeur historique et socio-politique puisqu’il met en exergue l’instrumentalisation des sociétés par des pouvoirs publics.
Dans un entretien, le romancier ivoirien affirmait que : « On ne peut pas prendre l’Histoire, en faire ce que la Négritude en faisait. C’est-à-dire ne présenter que les bons côtés. Elle avait des raisons de le faire. Nous, nous ne le faisons pas parce que l’Histoire c’est tout. » L’œuvre de Kourouma est profondément politique, d’où il s’inspire de l’histoire pour écrire ses romans. Ainsi, dans cette perspective, son roman Les soleils des indépendances confirme le fait que l’histoire n’est pas que chose faste, un fait évènementiel mais une histoire totale. L’œuvre ne fait donc pas partie du mouvement de la négritude, elle ne s’inscrit pas non plus dans le mouvement exotique de type occidental. Ainsi, le champ littéraire kouroumien renvoie à l’existence de positions idéologiques. Les Soleils des indépendances apporte donc une rupture thématique et esthétique, par rapport aux prédécesseurs littéraires comme Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire. Du point de vue thématique, le romancier Kourouma n’envisage plus l’Afrique en contraste avec l’Occident avec toutes les conséquences qui en découlent. L’oppression imposée par les nouveaux dirigeants africains sur leur population dans un monde imprévisible déclenche une violente révolte interne à travers des héros et des personnages allégoriques.
Les Soleils des indépendances représente une critique pure de la société des indépendances. Dans son roman de contestation, Kourouma fait montre de deux mondes, l’un imaginaire et l’autre, réel, c’est-à-dire le monde malinké et le monde des indépendances. Le personnage principal, Fama cherche ses racines perdues dans un univers occidentalisé.
L’auteur met en scène, Fama Doumbouya, l’un des derniers descendants de princes de Horodougu que les indépendances ont dépourvu de son autorité :
Fama Doumbouya ! Vrai Doumbouya, père Doumbouya, mère Doumbouya, dernier et légitime descendant des princes Doumbouya, du Horodougou, totem panthère, était un «vautour». Un prince Doumbouya ! Totem panthère faisait bande avec les hyènes. Ah ! Les soleils des Indépendances !
Dans cette citation, la série totémique que Kourouma invoque dans son récit, peut être déchiffrée comme une métaphore zoomorphique de la décadence du prince : commençant avec le symbole de la panthère qui représente le prédateur jusqu’au plus bas degré, de l’hyène, le saprophage, c’est-à-dire de la perte de l’autorité, fixée par le recours au règne animalier. Le but implicite de l’auteur est d’illustrer sa déchéance, car il est devenu un simple consommateur de cadavres. De cette manière, Kourouma réduit au néant sa condition primordiale d’animal archétypal, celle de panthère.
« L’espèce malinké, les tribus, la terre, la civilisation se meurent, percluses, sourdes et stériles. » Par le biais de ce passage, l’auteur déplore la dégradation continue des traditions africaines et leur remplacement par de fausses valeurs qu’on peut désigner sous le vocable de valeurs importées d’Europe. En exemplifiant ce fait, l’auteur fait référence au processus de bâtardise de certaines catégories essentielles dans le système social africain comme, par exemple, les célèbres griots (« bâtard de griot ») mais aussi les dirigeants politiques (« bâtards de fils de chiens »). En outre, l’auteur prolonge cette sensation de pessimisme de l’univers entier, c’est-à-dire sur la nature même : « bâtardes de saisons », « vie de bâtardise ». La condition même des noirs est d’ailleurs mise sous le signe de l’incertitude et du fatalisme : « Damnation ! bâtardise ! le nègre est damnation ! »
Dans un autre passage, Ahmadou Kourouma souligne la critique sceptique nord-américaine d’un film célèbre Tous les hommes du roi : la force déshumanisante et annihilatrice de la politique, ce domaine intermédiaire et gris, où la vérité et le mensonge, le cynisme et le compromis sont inséparables, étant masqués sous le même travesti. En fait, « La politique n’a ni yeux, ni oreilles, ni cœur ; en politique le vrai et le mensonge portent le même pagne. »
L’échec du personnage est dû à son comportement outrecuidant et irréaliste, il étant ainsi le seul responsable, car « Fama avait comme le petit rat de marigot creusé le trou pour le serpent avaleur de rats, ses efforts étaient devenus la cause de sa perte car comme la feuille avec laquelle on a fini de se torcher, les indépendances une fois acquises, Fama fut oublié et jeté aux mouches. »
Le narrateur ivoirien évoque le caractère hybride des pratiques et des croyances religieuses à Togbola. D’une manière rhétorique, il pose des questions fondamentales : « Sont-ce [les Malinkés] des féticheurs ? Sont-ce des musulmans ? Le musulman écoute le Coran, le féticheur suit le Koma ; mais à Togobala, aux yeux de tout le monde, tout le monde se dit et respire musulman, seul, chacun craint le fétiche. » On y déduit le syncrétisme religieux de la tradition africaine où il existe un fort mélange entre l’Islam et les religions traditionnelles africaines.
Dans l’univers de ce roman, les femmes sont attachées à la tradition. Ainsi, Salimata suit les principes de la tradition comme le respect du mari, la fidélité, etc. Elle incarne la femme africaine, par excellence, mais en même temps le déclin de la société africaine. En effet, Salimata est une victime de cette tradition décadente qui vit mal son statut de mère car elle est une femme stérile.
Il est connu le fait que dans les cultures africaines, ce qu’on appelle les rites de passage ont une importance symbolique extraordinaire. Dans ce sens, ces rites ont été étudiés par des savants comme Mircea Eliade et Gilles Deleuze. Dans leur conception, ces rites bien que traumatisants, ont le rôle d’intégrer l’individu dans la hiérarchie sociale. C’est le cas du personnage féminin, Salimata qui souffre des conséquences torturantes de ces rites barbares. Salimata est la victime d’une tradition obsolète qui inclut la souffrance psychique au nom des rites de passage qui n’évoquent rien pour un européen.
Nous pouvons observer chez Kourouma une préférence pour le symbolisme animalier, une vrai “imagerie’’ animalière ; ainsi Tiécoura est associé à un chimpanzé comme corps et à un buffle comme regard : « Tiécoura dans la réalité était un bipède effrayant, répugnant et sauvage. Un regard criard de buffle noir de savane. […] Des épaules larges de chimpanzé, les membres et la poitrine velus. » ou de même, Abdoulaye est assimilé à un taureau « Abdoulaye se distinguait comme un mâle admirable ; vigoureux et puissant comme un taureau du Ouassoulou ».
Esthétiquement, ce roman envoûte le lecteur par la nouveauté de la langue employée, caractérisée par les mots et surtout l’imaginaire africain. La réalité historique est sublimée par la fiction, qui à son tour se fonde sur le renouvellement langagier aussi bien sur l’humour que sur l’ironie.
Guerres tribales et enfant-soldats dans Allah n’est pas obligé
Dans le roman Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma, Birahima, orphelin, livré à lui-même et sans soutien familial, est perdu dans le désastre de la guerre et se voit priver de son présent et de son passé. Le temps futur est alors obscur. En effet, le portrait de l’enfant-soldat est, devenu dans les guerres africaines, un véritable outil de la mort. Un jeune enfant ne devient pas soldat par plaisir, mais plutôt par nécessité. Birahima n’a pas de famille et ne bénéficie pas d’une assistance sociale, d’où il est psychologiquement affecté. C’est un être bouleversé qui a perdu son innocence et le corps d’enfant-soldat devient une sorte de refuge nécessaire, un moyen d’expression.
Source : Page de couverture de l’œuvre Allah n’est pas obligé, d’Ahmadou Kourouma, Éditions du Seuil, 2000, coll. « Points ».
L’écrivain ivoirien se questionne rhétoriquement sur l’absurdité du système qui a permis aux enfants noirs de devenir soldat. Sa conclusion est assez pessimiste dans la mesure où il fait justement appel au syntagme « oraison funèbre » pour souligner la gravité de la situation dans laquelle se trouvent les peuples de l’Afrique noire. Kourouma affirme :
D’après mon Larousse, l’oraison funèbre c’est le discours en honneur d’un personnage célèbre décédé. L’enfant soldat est le personnage le plus célèbre de cette fin de vingtième siècle. Quand un enfant soldat meurt, on doit donc dire son oraison funèbre, c’est-à-dire comment il a pu dans ce grand et foutu univers du monde.
Ici, le romancier fait un détour par l’ironie pour appréhender le statut social de l’enfant-soldat. En fait, dans les sociétés africaines la vie (gbè en langue fon du Bénin, par exemple) et la mort (kouen fon, par exemple) sont deux réalités indissociables. On pense à la vie autant qu’à la mort et on pense à la mort comme une autre vie. Dans cette perspective, Kourouma perçoit l’enfant-soldat comme un personnage mort vivant. Dans un tel contexte, l’oraison funèbre est donc symbolique et permet de clarifier le rôle, la position des belligérants et des enfants dans une guerre.
Le mouvement du Charles Taylor, le Front national patriotique, en anglais National Patriotic Front (NPFL), est un mouvement rebelle ayant exploité les enfants, dans une guerre dont ils ne connaissent pas la finalité. Après la réussite au Liberia du « fameux coup de gangstérisme qui mit le trésor public libérien à genoux », Taylor s’est réfugié aux États-Unis avec un faux nom. Mais malgré cette fuite, il a été enfermé. Il réussit à corrompre ses geôliers grâce à l’argent volé. Ainsi, Charles Taylor s’enfuit en Libye près de Kadhafi, le dictateur de Lybie reconnu comme opposant du régime dictatorial et sanguinaire de Samuel Doe. Par le biais du dictateur Kadhafi, Taylor a été reçu à bras ouvert par les autres dictateurs de la région, comme celui du Burkina Faso, Blaise Compaoré. À son tour, Compaoré l’a recommandé au “baron” de la Côte-d’Ivoire, Houphouët-Boigny.
Au Liberia tout comme en Sierra Leone, régnait une élite dirigée par des “hommes forts’’, “les tenants de la république bananière’’ ou par les “dinosaures’’ maintenue au pouvoir grâce à l’influence des Amériques ou des puissances occidentales. Ainsi, cette élite profite de l’influence. De même, l’élite s’entoure très souvent des acteurs de la même ethnie. De fait, des ethnies sont sous contrôle politique et n’ont pas accès à l’espace économique ou aux ressources de l’État. Il y a là une marginalisation. Kourouma dénonce alors la corruption, les intérêts privés, le “néopatrimonialisme” qui incarne l’État en Afrique : « (République bananière signifie apparemment démocratique, en fait régie par des intérêts privés, la corruption) ». Jean-François Bayart utilise un autre concept pour désigner ce fait : il parle de la politique du ventre, c’est-à-dire que des acteurs réfléchissent que pour leur propre compte plutôt que pour l’intérêt général. On peut y noter une sorte de privilèges que les hommes forts s’octroient dans la gestion de l’État. À partir de là, il porte un grief contre la démocratie. À notre avis, il semble que Kourouma met en évidence le concept bourdieusien de l’habitus politique dans les pays francophones d’Afrique. Il montre le reflet du champ politique sur ce continent. Il fait connaître chaque fois un malaise, celui des États mal gouvernés ou de l’État voyou en Afrique. Des politistes français parlent des États fragiles. Dans cette perspective, il a donné l’exemple de la Guinée, de la Côte-d’Ivoire, de la Gambie, de la Sierra Leone, du Sénégal, etc.
En outre, dans les pays de l’Ouest de l’Afrique – Liberia et Sierra Leone – il y a des enfants-soldats qui sont aussi appelés “small-soldiers” ou “children-soldiers”. Ils portent tous des kalachnikovs et des vêtements larges et longs et sont privés de liberté comme des esclaves. En effet, les “small-soldiers” ne sont pas des tueurs, ils sont eux-mêmes des victimes. Ils sont conduits par des chefs d’organisation et ils ne peuvent pas participer à aucune décision. Leurs tâches sont bien définies : protéger les chefs, garder les postes de combat dans les camps, surveiller les mines, espionner, arrêter les camions, etc.
La tâche la plus monstrueuse est de tuer les villageois et de piller leurs maisons. L’expérience traumatique vécue par cet enfant (Birahima) est due aux adultes qui sont responsables du personnage criminel qu’il est devenu, car comme il affirme qu’ « avant de débarquer au Liberia, j’étais un enfant sans peur ni reproche. » Cet enfant vit le climat de la guerre, de vols, de viols, de crimes sur fond de la religion, et parfois au nom de l’islam. Il affirme :
Quand on dit qu’il y a guerre tribale dans un pays, ça signifie que des bandits de grand chemin se sont partagés le pays. Ils se sont partagés la richesse ; ils se sont partagés le territoire ; ils se sont partagés les hommes. […] Dans toutes les guerres tribales et au Liberia, les enfants-soldats, les “small-soldiers” ou “children-soldiers” ne sont pas payés. Ils tuent les habitants et emportent tout ce qui est bon à prendre. Dans toutes les guerres tribales au Liberia, les soldats ne sont pas payés.
Il vit cet enfer, sans se plaindre. Il relate les faits montrant que les enfants sont exploités dans la guerre comme de faux acteurs, des victimes innocentes et manipulées par les adultes qui déshumanisent la personnalité de ces enfants.
Dans cette logique, Birahima se révolte contre un monde qu’il ne peut pas réussir à comprendre et il utilise dans ce sens un vocabulaire assez dur : « Moi alors j’ai commencé à rien comprendre à ce foutu univers. À ne rien piger à ce bordel de monde. Rien saisir de cette saloperie de société humaine. » Il s’agit au-delà de l’idée de la révolte, d’une sorte d’attitude spécifique à son âge comme chez les enfants de ghetto dans l’Amérique du Nord. Birahima exprime son angoisse pour la vie, son désarroi vis-à-vis de son état d’être. Dans le même ordre d’idées, Mawuloe Koffi Kodah, note dans son article, que : « The language of Birahima, the child-soldier-narrator in this novel of Kourouma is indeed an objective reconstruction of a deconstructed and disintegrated human society embroiled in self-destructive violence. » Ainsi Kourouma offre une description à la fois réaliste et pessimiste d’une société déchirée par les guerres civiles. Kodah ajoute que : « […], he is also chased out by the spirits of the victims of his child-soldiering in the Liberia through Sierra Leone civil wars. This, he contemplates, also contributes to his predicaments as street-child compelled to live premature adult-life, through terrible life-threatening experiences. » Un autre côté sombre de cette œuvre est représenté par l’idée de “hanté”, plus exactement, l’obsession macabre qu’il ressent à l’égard de ses victimes. En plus, le personnage se voit obligé de revivre son existence antérieure pleine d’indigences et des expériences à la limite de la survivance, d’où il a une vision amère, extrêmement pessimiste sur l’univers.
Par la voix du narrateur et protagoniste, Birahima, le romancier ivoirien dénonce les responsables de l’horreur qui sont les dictateurs assoiffés de pouvoir et d’argent. De même, Kourouma dénonce aussi les puissances occidentales comme la France, l’Angleterre ou les États-Unis (les yovo en fon au Bénin ou les toubabs dans le langage courant en Afrique sahélienne comme au Niger, au Mali, au Sénégal, etc.), qui octroient des appuis matériels (armes de guerre) et financiers dans le but de protéger leurs intérêts en Afrique. Birahima, le petit Malinké a quitté l’école très tôt, par conséquent ses perspectives d’avenir ne sont pas optimistes. Pour lui, l’école ne présente plus de valeur. Aller à l’école ne sert à rien parce que même avec la licence universitaire, on ne peut pas devenir ni instituteur, ni infirmier. Faire la guerre est donc une solution de rechange. La vie n’ayant plus une issue favorable.
De ce fait, Pascale Casanova affirme que « la domination politique – notamment dans les pays qui ont été soumis à la colonisation – s’exerce aussi sous la forme linguistique, qui implique elle-même une dépendance littéraire ». Par son choix linguistique – le français, Kourouma peut être catégorisé dans un style et dans un champ, c’est-à-dire la littérature africaine et le champ politique qui sont inter-reliés. Cette dépendance implique une valeur symbolique et une valeur marchande. La publication des œuvres du romancier ivoirien chez les plus grands éditeurs parisiens comme Seuil, lui donne une notoriété en France.
Cette écriture d’un humour mordant, qui survole les atrocités de la guerre sur un ton badin, vient à chaque fois contrebalancer une violence difficilement soutenable. Cette charge ironique qui traverse tout le récit, apparaît comme seul rempart à la souffrance et à l’horreur, comme unique revanche sur le désespoir et la fatalité.
Autrement dit, en parlant des atrocités de la guerre les écrits de Kourouma produisent une charge émotionnelle et une charge affective atténuées par le style d’écriture symbolique et convaincant. Le style révélateur et séducteur du romancier cache en révélant la déshumanisation du statut social de l’enfant-soldat.
Allah n’est pas obligé dans les temps actuels en Afrique de l’Ouest
L’écrivain ivoirien contemporain porte un intérêt particulier au présent de l’Afrique de l’Ouest. Dans sa narration, il incorpore des faits historiques en décrivant les évènements et les expériences vécues par le peuple libérien ou sierra-léonais pendant l’époque de colonialisme et néo-colonialisme. Tout au long du roman, l’auteur reconstitue l’histoire socio-politique de ces deux pays : Liberia et Sierra Leone.
Sous la plume magique de Kourouma, la guerre de Liberia est décrite en détail comme un véritable document historique qui peut facilement remplacer un livre d’histoire, en ce qui concerne la guerre du Libéria.
Allah n’est pas obligé représente un roman de l’actualité où les “héros tristes’’(les enfants soldats) et les événements ont comme but de mettre en miroir les réalités déjà connues dans la société. Dans l’Afrique de l’Ouest contemporaine, la violence “demeure’’ partout sous des divers formes : politiques, économiques, les guerres civiles et ethniques, les coups d’État, des viols, etc. En d’autres mots, ce récit est une “peinture’’ des guerres et des crises politiques qui ont provoqué le ouya-ouya.
Au Libéria, pendant la guerre civile et ethnique, le pouvoir est partagé entre trois groupes ; Le premier, le Front National Patriotique du Libéria, en anglais National Patriotique Front of Liberia (NPFL) ayant comme dirigeant Charles Taylor, un symbole de la dictature, ivre de pouvoir, qui prédomine une grande partie du pays. Le deuxième groupe, le Mouvement uni de la libération pour Libéria, en anglais United Mouvement of Liberia (ULIMO) dirigé par Samuel Doe, un dictateur sanguinaire. Le troisième groupe est représenté par la fraction du Prince Johnson faisant partie du groupe de Taylor. Price Johnson, assoiffé de sang, qui va torturer et assassiner Samuel Doe.
On assiste à une rivalité ethnique. Samuel Doe est de l’ethnie Krahn, pendant que Charles Taylor est né d’une mère américano-libérienne et d’un père américain.
Au Sierra Leone, dès les années 1960, Siaka Stevens instaure un parti unique, éliminant toute autre opposition. Après son indépendance, ce pays connaît quatre coups d’État pendant les années 1967-1968. En mars 1967, Siaka Stevens prend le pouvoir, mais à cause d’une série de coups d’État militaires, sa montée au pouvoir est retardée jusqu’en avril 1968. Sierra Leone connaît une instabilité politique favorisée par les rivalités ethniques, où les atrocités sanglantes comme les amputations de villageois sont nombreuses. La guerre civile en Sierra Leone commence en 1991 et est provoquée par le groupe armé le Revolutionary United Front (RUF), un groupe proche de Charles Taylor.
Kourouma condamne aussi l’ONU, qui d’après lui : « sert l’intérêt des toubabs européens colons et colonisateurs et jamais l’intérêt du pauvre nègre noir sauvage et indigène ».
On retrouve dans ce texte des espaces géographiquement repérables sur la carte de l’Afrique de l’Ouest. On note : Togobola, Zorzor, Sanniquellie, Monrovia, Nianbo, Freetown, Mille-Thirty-Eight. Toutes ces localités retracent le parcours de Birahima.
Ces enfants-soldats abandonnent leur école ou beaucoup d’entre eux sont obligés de tuer leurs parents. Initiés par l’art de tuer, ils sont drogués pour devenir une cruauté sans limites. À travers ce roman, par la voix de son narrateur Birahima, Kourouma condamne le mal traitement de l’enfant africain. Il trouve comme responsables les dirigeants africains et les chefs de guerre (Samuel Doe, Charles Taylor, le Prince Johnson, le colonel Papa le bon et d’autres), le manque de responsabilité des parents qui sont pauvres et ne peuvent pas offrir un futur à ses enfants.
Le protagoniste Birahima évolue dans un milieu social corrompu, ce qu’il le fait transformer dans une personne sadique et dure, inhumaine à toutes misères du temps actuels qui l’entoure. Il présente, à un moment donné, dans un mode méprisant la case de sa mère : « Il y avait dans la case toutes les puanteurs. Le pet, la merde, le pipi, l’infection de l’ulcère, l’âcre de la fumée. Et les odeurs du guérisseur Bala. »
De plus, on note la cruauté envers les jeunes filles. Sarah est abandonnée par son père dès qu’elle était petite. Orpheline de mère, elle devient une victime de viols et pour survivre elle choisit d’être enfant-soldat. De même, l’auteur mentionne qu’un matin « au bord de la piste menant à la rivière, une des filles fut trouvée violée et assassinée. Une petite de sept ans, violée et assassinée. Le spectacle était si désolant que le colonel Papa le bon en a pleuré à chaudes larmes ».
Un autre personnage féminin, Sœur Hadja Aminata Gabriella a le statut d’un homme. Grâce à son courage extraordinaire et à sa force, elle est enterrée comme un maître-chasseur. C’est une exception, car le code d’honneur de chasseurs interdit qu’une femme être enterrée comme un maître chasseur. Ainsi, Sœur Hadja Aminata Gabriella incarne la femme mâle mortifère, la femme martyre, la femme fatale. Son souci est de préserver la jeune fille vierge qui peut tuer les hommes qui essayent de profiter de leur pureté ou même elle a recours à la coupure des organes génitaux masculins, en dépit de la situation cruelle de la guerre ethnique dans l’Afrique de l’Ouest.
Les femmes sont les victimes de la guerre. Dans ce roman, on a affaire à un parallélisme entre les personnages féminins et les légendaires amazones de la mythologie qui étaient contraintes de se couper un sein pour être des guerrières aptes avec l’arc au coup. On fait ainsi référence au sacrifice dont sont obligées les femmes pour n’être pas inférieures aux hommes. La femme a une situation paradoxale, divine en quelque sorte, presque christique dans le sens que par la souffrance elle peut obtenir la rédemption.
Au-delà des évènements historiques de l’Afrique de l’Ouest, Ahmadou Kourouma ancre son écriture dans le présent grâce à ces quatre dictionnaires avec laquelle Birahima s’efforce de trouver des définitions dictionnairiques pour de certains termes provenant du français ou d’autres langues.
Ici, on peut parler d’un multilinguisme, d’une ouverture interculturelle par la grande diversité de langues et de cultures. Ainsi le français entrelace le malinké, l’anglais, des dialectes régionales africain du français comme les pidgins libérien et sierra-léonais. Dans le même ordre d’idées, l’époque actuelle est caractérisée par la mondialisation, quel que soit le pays, la race, la langue, etc.
Dans ce roman, le narrateur incarne l’écho d’une Afrique traditionnelle “enterrée’’ dans les superstitions liées aux esprits et au fétichisme. Tout de même, ces croyances sont évoquées avec une dose de scepticisme ironique, ce qui normalement contredirait la logique d’un enfant. Par conséquent, ce filtre subtil de l’humour et de l’ironie a le rôle de présenter au lecteur une image d’un autre romancé de l’écrivain et surtout de son orientation politique. En ce sens, le personnage Birahima est convaincu que parce qu’il n’a pas pu honorer socialement sa mère de son vivant, cette dernière est décédée d’une mort “chagrinée’’.
… Et six… C’est vrai, suis pas chic et mignon, suis maudit parce que j’ai fait du mal à ma mère. Chez les nègres noirs africains indigènes, quand tu as fâché ta maman et si elle est morte avec cette colère dans son cœur elle te maudit, tu as la malédiction. Et rien ne marche chez toi avec toi.
En conséquence, il est maudit à souffrir toutes sortes de malheurs, inclusivement celle d’être enfant-soldat. À part cela, le protagoniste se sent surveillé par les fantômes de ses victimes au cours des guerres civiles.
L’actualité brûlante de l’Afrique de l’Ouest est cachée sous le masque de l’innocence. L’image de l’enfant soldat avec kalachnikov plus grand que lui, symbolise la violence dans l’état pure, ce qui peut sembler choquant pour un occidental. Birahima comme soldat est devenu la variante contemporaine du chasseur primitif.
Pour conclure, Allah n’est pas obligé, “fictionnalise’’ l’histoire actuelle déprimante de l’Afrique de l’Ouest dans le but d’éduquer ses lecteurs tout en éveillant la conscience sur la réalité des atrocités des guerres tribales au Libéria et en Sierra Leone, et de déraciner les maux dans la société. Kourouma met en relief les préoccupations socio-politiques, dans un esprit polémique qui caractérise la littérature africaine négro africaine contemporaine. L’histoire de Birahima ne peut pas nous laisser indifférents au sort des enfants africains. En plus, il n’existe aucun doute sur la sincérité et l’objectivité des événements historiques. Le fait que le protagoniste Birahima est témoin oculaire des événements sert de matériel pour la structure narrative. Sa voix est celle de la vérité puisque le lecteur ressent ce personnage comme un témoin absolument crédible dans la présentation des atrocités. Nous pouvons considérer ce roman comme “un cri déchirant’’ au milieu de désert, il nous permet de réfléchir sur les méfaits des conflits armés sanglants à travers le monde entier et plus précisément en Afrique.
Le cas le plus récent encore présent dans la mémoire collective est l’enrôlement des filles du lycée de Chibok par les terroristes de Boko Haram dans des forêts qui sont leur refuge. Boko Haram, un entrepreneur criminel a kidnappé des filles mariées de force, violées et qui servent de kamikazes aussi bien au Nigeria qu’au Tchad, au Niger et au Cameroun. Dans le fond, on est toujours en présence de l’enfant soldat qui tue sa propre famille sans le vouloir.
La communauté internationale, l’Etat nigérian, les services de renseignement occidentaux n’ont pas pu identifier les sites qui “hébergent’’ ces jeunes filles déscolarisées de fait par la criminalisation transfrontalière. On peut dire que l’enfant soldat n’a pas disparu. L’histoire se répète autrement.
CHAPITRE III : La production littéraire comme un champ littéraire
La production littéraire émane ici de la conceptualisation qui en a été faite par Pierre Bourdieu et de la récupération kouroumienne à travers les expressions locales marques d’un champ littéraire diversifié.
La production littéraire dans la perspective de Bourdieu
Pierre Bourdieu, dans son œuvre, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire note que la production littéraire est dans une forte interaction avec l’agent producteur. On peut en déduire une sociologie de la production littéraire qui est définit par le sociologue Paul Dirks comme une « … production étant à prendre au sens passif (ce qui est produit), mais désormais aussi au sens actif (ce qui produit) ». Dans cette optique, le sociologue déplace l’accent du récepteur au producteur, c’est-à-dire qu’il met l’accent sur le sens actif d’une production littéraire. De ce fait, l’œuvre littéraire (la production littéraire) sera la résultante d’une équation subtile entre producteur et consommateur, ce qui constitue d’ailleurs la recette du marketing de toute œuvre littéraire.
La sociologie contemporaine admet la notion de “champ’’ et l’applique dans tous les domaines de la connaissance humaine : l’économie, la politique, la religion, le milieu juridique, et même dans la journalistique. Bien que ces domaines peuvent sembler autonomes et indépendants les uns des autres, il existe un ensemble de règles qui les unissent et qui créent un principe de cohésion en fonction de l’objet étudié ou de l’œuvre étudiée.
Le processus de différenciation du monde social qui conduit à l’existence de champs autonomes concerne à la fois l’être et le connaître : en se différenciant, le monde social produit la différenciation des modes de connaissance du monde qui crée son objet propre et qui trouve en lui-même le principe de compréhension et d’explication convenant à cet objet.
À la lumière de cette perspective, nous pouvons mettre en évidence une analyse flexible et en même temps une analyse fonctionnelle du concept de “champ’’ appliqué à une culture extrêmement bien définie dans l’espace et le temps. Nous essayons donc d’appliquer cette théorie abstraite de Bourdieu à la réalité littéraire africaine. En observant cela, nous pouvons investiguer certaines interactions entre différents et divers paliers d’une production littéraire, ce qui nous conduit à différencier les diverses manières de comprendre une société.
À partir de ce schéma, il convient d’en préciser que la dynamique de la production littéraire dans le système littéraire francophone est marquée par une oscillation entre les différents champs. Quant à la circulation des œuvres littéraires et des écrivains, nous pouvons noter un flux notable de Paris vers le champ mondial ou vers les champs locaux. Même si les champs sont autonomes de celui franco-parisien, ils deviennent impressionnables à tout ce qui vient d’Hexagone.
Pour un écrivain francophone, la réception de ses prix littéraires prestigieux pour ses productions littéraires lui donne la possibilité d’obtenir certains d’avantages. Ces avantages peuvent se manifester à trois niveaux :
Dans le pays d’origine (le champ d’origine ou le champ local), il peut aspirer à gagner des prix locaux ou pour assumer un statut symbolique, comme par exemple celui de membre d’un jury, de critique littéraire, de directeur littéraire, etc.
Dans le champ franco-parisien, la Métropole offre entre autres aux écrivains francophones la possibilité de faire publier les œuvres dans des maisons d’édition prestigieuses et éventuellement de gagner un prix convoité par tout le monde, comme par exemple Renaudot, Goncourt, etc. En plus, l’écrivain francophone est invité à participer à des colloques ou à des événements culturels pour se faire connaître et aussi pour faire connaître la culture d’origine.
Dans le champ mondial ou international, grâce aux traductions en différentes langues, l’écrivain se fait connaître sur la mappemonde et aussi il peut recevoir des prix internationaux, ce qui lui confère un statut de vedette internationale.
En ce qui concerne le marché du livre, Pierre Bourdieu propose deux tendances ; il existe un public de niche pour lequel il est tiré un tirage restreint et la production de masse où les grandes maisons d’édition visent le profit immédiat pour la littérature à vrai dire commerciale. Ici, « le champ littéraire unifié tend à s’organiser selon deux principes de différenciation indépendants et hiérarchisés : l’opposition principale, entre la production pure, destinée à un marché restreint aux producteurs, et la grande production, orientée vers la satisfaction des attentes du public, reproduit la rupture fondatrice avec l’ordre économique, qui est au principe du champ de production restreinte. » Cela nous permet d’aborder cette production littéraire dans les œuvres de Kourouma à partir des expressions locales.
Des expressions locales (Malinké) comme une création artistique dans le champ littéraire.
Etant questionné de l’essence du style de son premier ouvrage Les soleils des indépendances, Kourouma a répliqué en disant ceci :
Quand j’ai écrit le livre, je me suis aperçu que, dans le style classique, Fama ne ressortait pas. Je n’arrivais pas, si vous voulez, à exprimer Fama de l’intérieur, et c’est alors que j’ai essayé de trouver le style malinké […]. Je réfléchissais en malinké, je me mettais dans la peau de Fama pour présenter la chose.
Dans cette citation, Ahmadou Kourouma explique le fait que quand il a écrit cette œuvre, le protagoniste Fama, ne lui ressortait pas, c’est-à-dire il sentait qu’il ne pouvait pas expliquer son intimité. Dès lors, l’auteur a eu la révélation du style malinké, c’est-à-dire de penser directement en malinké, de se mettre dans la peau du Fama pour présenter la réalité.
Dans Les Soleils des indépendances, le romancier ivoirien ne manquera pas de “casser le français’’ (selon l’expression de Kourouma) dans ses règles syntaxiques et grammaticales pour rendre compte de l’originalité de la culture malinké. Ainsi ; l’écriture se distingue par une utilisation déroutante du français, en employant des expressions idiomatiques du malinké, traduites dans des calques syntaxiques, au risque de faire des erreurs grammaticales : « Fama avait fini » au lieu de « Fama était mort ». En fait, dans des cultures africaines notamment malinké on n’assiste pas à la disparition du héros, car dans l’imaginaire les morts ne disparaissent pas. En d’autres termes, Fama finit une vie pour recommencer une autre vie. Le verbe “finir’’ a donc le sens de “mourir’’, une signification différente de celle du dictionnaire classique français. Ce verbe est utilisé par l’écrivain même dans l’incipit de son roman : « Il y avait une semaine qu’avait fini dans la capitale Koné Ibrahima, de race malinké, ou disons-le en malinké : il n’avait pas soutenu un petit rhume… ».
Kourouma propose des constructions lexicales comme les syntagmes nominaux « le donsomana », « la cérémonie du dèguè » ; la substantivation du participe passé « il demandait aux assis d’écouter » ; les syntagmes verbaux « courber la prière », « cogner sur la plaie » ; ou encore les appositions étranges : substantif malinké + substantif français « monnê, outrages et défis ». Autrement dit, le narrateur s’exprime dans un français malinkisé, en proposant une réflexion sur les deux systèmes de langues, français et malinké. En effet, il invente un langage nouveau propre à son système de référence littéraire.
En outre, dans ses œuvres, l’écrivain emploie des légendes comme celle qui décrit la lutte de Balla et du génie (Les Soleils des indépendances), des chants ou des proverbes qui apparaissent dans tous les romans, des mythes africains, etc. Ces éléments englobent la tradition orale qui est l’un des enjeux du champ littéraire ouest africain.
Ahmadou Kourouma est l’image d’un conteur traditionnel africain et par le truchement des proverbes, l’écrivain crayonne des images diverses qui ont le rôle de transmettre au lecteur l’expressivité et la beauté de la langue malinké. Dans Allah n’est pas obligé, les proverbes sont contrairement à la naïveté supposée, apparente dans le personnage de Birahima, un enfant de onze ou douze ans. Donc, il semble assez étrange que les enfants utilisent des proverbes dans leurs discours.
De plus, Gassama affirme que :
Le langage d’Ahmadou Kourouma est celui de son peuple : le peuple malinké est certainement l’un des peuples africains qui accordent le plus d’intérêt, dans la vie quotidienne, à l’expressivité du mot et de l’image, et qui goûtent le mieux les valeurs intellectuelles, donc créatrices de parole.
Pour soutenir cette affirmation, on peut mettre en exergue certaines expressions de ses œuvres :
– « L’esclave appartient à son maître ; mais le maître de l’esclave est l’esclave. » (Les soleils des indépendances, p. 145). Cette citation souligne le fait que l’esclave est un être inférieur, un subordonné et une propriété de son maître, mais en même temps, la vie du maître dépend de celle de l’esclave.
– « […] une famille avec une seule femme était comme un escabeau à un pied, ou un homme à une jambe ; » (Les soleils des indépendances, p. 157). Cette citation met en évidence une famille polygame qui caractérise la société africaine d’hier.
– « Un enfant n’abandonne pas la case de sa maman à cause des odeurs d’un pet. » (Allah n’est pas obligé, p. 18). Il y a sûrement un fort attachement qui retient l’enfant au-delà d’un pet. En d’autres termes, quelle que soit la condition, un enfant apprécie mieux sa mère.
– « Partout dans le monde une femme ne doit pas quitter le lit de son mari même si le mari injurie, frappe et menace la femme. Elle a toujours tort. » (Allah n’est pas obligé, p. 33) Cette citation souligne la condition peu valorisante de la femme dans les sociétés africaines d’hier puisque de nos jours, on parle de plus en plus de genre.
– « (On doit pas dire pour des nègres rouges de colère. Les nègres ne deviennent jamais rouges : ils se renfrognent) » (Allah n’est pas obligé, p.56). Il y a une identité propre aux nègres. On remarque l’inadaptation de certaines expressions à la réalité africaine, car les nègres ne peuvent pas rougir, ainsi ils se renfrognent, ayant sa propre identité différente de celle européenne.
– « Le chien n’abandonne jamais sa façon éhontée de s’asseoir. » (Allah n’est pas obligé, p. 153). Autrement dit, les mauvaises habitudes ne changent pas, restant toujours les mêmes.
– « On suit l’éléphant dans la brousse pour ne pas être mouillé par la rosée ». (Allah n’est pas obligé, p. 163). Pour la signification de cette citation, Ahmadou Kourouma note qu’on est protégé lorsqu’on est proche d’un grand, c’est-à-dire qu’il faut rester sous l’éléphant sinon la rosée va tomber sur soi.
En outre, Kourouma souligne la pérennité des proverbes anciens car « les anciens proverbes de nos aïeux restaient toujours vrais. La plus belle harmonie, ce n’est ni l’accord des tambours, ni l’accord des xylophones, ni l’accord des trompettes, c’est l’accord des hommes. » Chez l’écrivain ivoirien, l’harmonie entre hommes est plus importante que celle des instruments musicaux.
Sur le plan politique, un autre proverbe par le procédé de la synecdoque, est plein de sens : « Un seul pied ne trace pas un sentier ; et un seul doigt ne peut ramasser un petit gravier par terre. Seul lui, le président, ne pouvait pas construire le pays. », car seulement les collectivités peuvent changer l’avenir d’un pays, d’un peuple. Dans ce proverbe le « pied » et le « doigt » comme parties du corps humain, sont, en effet, un tout.
Par leur nature, les proverbes sont dépositaires de la sagesse puisque ceux-ci ont une forme concentrée contenant peu de mots, mais des significations profondes. Leur utilisation représente, en général, une preuve de la sagesse et de la connaissance dans de nombreuses sociétés africaines. En plus, les proverbes sont associés à la maturité de l’homme et ils sont universellement valables quel que soit le temps. Par conséquent, les proverbes sont habituellement caractérisés par l’utilisation du temps verbal, le présent.
Amadou Kone affirme que « l’africanisation de la langue française n’est pas une simple technique rhétorique, une recherche artificielle d’effets stylistiques. Elle obéit à la nécessité de traduire la complexité de la réalité africaine qui est différente selon les perspectives sous lesquelles elle est vue, selon la culture à laquelle appartient le personnage qui voit et qui parle ». Ainsi, le français utilisé par les auteurs africains a principalement le rôle de refléter les réalités spécifiques au continent Noir, qui a leur tour diffèrent conformément au filtre subjectif à travers lequel on les réceptionne.
Dès lors, Kourouma est « enraciné » dans sa culture malinké, il met sous forme écrite la littérature traditionnelle africaine, dans le but de transmettre les valeurs socioculturelles. Mais cette tradition orale ne sert pas seulement à mettre en relief la culture africaine. Kesteloot y note : « La source inépuisable des interprétations du cosmos, des croyances et des cultes, des lois et des coutumes ; des systèmes de parenté et d’alliances ; des systèmes de production et de répartition des biens ; des modes de pouvoirs politiques et de stratifications sociales ; des critères de l’éthique et de l’esthétique ; des concepts de représentations des valeurs morales ».
De ce fait, l’œuvre Allah n’est pas obligé s’ouvre avec la citation qui suit :
Et d’abord… et un… M’appelle Birahima. Suis p’tit nègre. Pas parce que suis black et gosse. Non ! Mais suis p’tit nègre parce que je parle mal le français. C’é comme ça. Même si on est grand, même vieux, même arabe, chinois, blanc, russe, même américain ; si on parle mal le français, on dit on parle p’tit nègre, on est p’tit nègre quand même. Ça, c’est la loi du français de tous les jours qui veut ça.
Birahima, le narrateur, se présente dès l’incipit et il n’insiste pas sur ses caractéristiques physiques ou morales, mais plutôt sur ses particularités linguistiques. Le style elliptique dans le langage du narrateur-enfant est, premièrement marqué par les points de suspension (…) et à cela s’ajoute l’élision (la manque d’une lettre, d’une vocale, d’une consonne et son remplacement avec un apostrophe), comme nous l’avions remarqué dans la citation ci-dessus. Le rôle de cette procédée est d’accentuer le caractère colloquial du discours. De même, Birahima utilise beaucoup de répétions pour attirer l’attention sur une situation. Ainsi ; le personnage répète les mots “faforo’’, “gnamokodé’’, “walahé’’ presque dans chaque page du roman.
Birahima emploie quatre dictionnaires et affirme :
Pour raconter ma vie de merde, de bordel de vie dans un parler approximatif, un français passable, pour ne pas mélanger les pédales dans les gros mots, je possède quatre dictionnaires. Primo le dictionnaire Larousse et le Petit Robert, secundo l’Inventaire des Particularités Lexicales du français en Afrique noire et tertio le dictionnaire Harrap’s. Ces dictionnaires me servent à chercher les gros mots, à vérifier les gros mots et surtout à les expliquer.
Le rôle des dictionnaires est de transmettre une double pensée et ils ne serviront pas à vérifier et à expliquer :
Il faut expliquer parce que mon blablabla est à lire par toutes sortes de gens : des toubabs (toubab signifie blanc) colons, des noirs indigènes sauvages d’Afrique et des francophones de tout gabarit (gabarit signifie genre). Le Larousse et Le Petit Robert me permettent de chercher, de vérifier et d’expliquer les gros mots du français de France aux noirs nègres indigènes d’Afrique. L’Inventaire des particularités lexicales du français d’Afrique explique les gros mots africains aux toubabs français de France. Le dictionnaire Harrap’s explique les gros mots pidgin à tout francophone qui ne comprend rien de rien au pidgin.
Par l’intermédiaire de son héros, l’écrivain ivoirien fait une référence explicite aux diverses variétés de français d’Afrique, en citant de nombreuses définitions ironiquement tirées de la langue savante des dictionnaires, Le Petit Larousse, Le Petit Robert, le Harrap’s, qu’il entremêle à celle que fournit l’Inventaire des particularités lexicales du français d’Afrique noire. Le jeune personnage cherche dans les dictionnaires le sens très littéral des mots qu’il utilise, d’une façon auto-ironique. De plus, le mauvais usage de la langue française fait ressortir son innocence et sa jeunesse.
Birahima mime ses recherches dans les dictionnaires, commente leur utilisation et les définitions qu’ils proposent, de façon ludique et polémique. La manière dont le narrateur utilise les principaux dictionnaires français, pour transmettre les connaissances acquises par lui aux indigènes, fait de lui une personnalité d’ordre mondial. Allah n’est pas obligé invite le lecteur à ignorer le schéma traditionnel du binôme colonisateur-colonisé pour le faire accéder à un univers beaucoup plus diversifié et plus profond qui dépasse souvent son pouvoir d’entendre les choses.
La fonction du langage au niveau du roman de Kourouma est vue comme une manière d’exprimer des vérités objectives, au-delà de la simple fiction.
Tableau numéro 1 : Liste des expressions locales dans Allah n’est pas obligé.
Source : expressions tirées de l’ouvrage Allah n’est pas obligé,
L’auteur fait référence aux dictionnaires suivants : l’Inventaire des Particularités Lexicales du français en Afrique noire, Harrap’s. L’auteur fait recourt à ces dictionnaires dans le but de comprendre les divers registres utilisés. Il commente ces mots entre parenthèses avec une définition dictionnairique (d’une manière métalinguistique) qui explicitent les “gros mots’’, c’est-à-dire les mots savants qui représentent une règle d’écriture du roman.
Il faut noter que ces mots avec les significations données par l’auteur mettent en lumière le style d’écriture de Kourouma. Les mots “malinké’’ ont pour rôle de rendre compte des réalités de son peuple. Ainsi, l’auteur ivoirien s’attache beaucoup à sa langue maternelle Malinké. Parmi ces mots, on peut déceler beaucoup de termes qui font référence aux prières musulmanes et à l’islam (Walahé, Bisimilaïramilaï, Allah koubarou, Almamy, Chi Allah la ho, etc.), des termes de la spiritualité ou de la sorcellerie (Gnama, djibo, cafre, Nyamans, etc.) des termes militaires (sofas, Samory). Ce nombre remarquable de termes malinké fait connaître au lecteur un certain lexique malinké: l’identité religieuse (l’islam), le fétichisme. Le fait que le personnage principal, Birahima fait fréquemment recours aux termes “bangala’’, “faforo’’, “gnoussou-gnoussou“ (donc un langage caractérisé par des références explicites ou implicites aux organes sexuels, ainsi que l’acte sexuel proprement-dit) dénote d’un désir de maturation précoce. A part cela, il est bien connu que dans les cultures africaines le symbole phallus est un symbole de la masculinité agressive tout comme il en est de la royauté (apud Mircea Eliade). En conséquence, on peut affirmer que l’auteur n’utilise pas ces termes d’une simple manière sinon dans un but précis, celui de relever la réalité cruelle et souvent la promiscuité où les personnages se voient obligés d’évoluer ; en outre, ces termes dévoilent la précocité forcée de l’enfant, Birahima.
Le langage utilisé par le narrateur marque en première instance l’identité culturelle du protagoniste due à l’utilisation d’expressions appartenant au langage malinké originel. D’ailleurs, il existe dans le roman, certains termes qui en les associant avec les croyances religieuses ont le rôle d’accentuer certaines réalités objectives présentes tout au long de la narration. Ainsi, les plus insultantes expressions du personnage sont rendues par des mots d’origine malinké, et ces termes sont capables de dévoiler précisément le caractère battant, audacieux et sans compromis spécifique chez un malinké :
… Et trois… suis insolent, incorrect comme barbe d’un bouc et parle comme un salopard. Je dis pas comme les nègresnoirs africains indigènes bien cravatés : merdre ! putain ! salaud ! J’emploie les mots malinkés comme fafaro ! (Fafaro ! signifie sexe de mon père ou du père ou de ton père.) Comme gnakomodé ! (Gnakomodé ! signifie bâtard ou bâtardise.) Comme Walahé (Walahé ! signifie Au nom d’Allah.)
Ce langage avantage le narrateur, qui le rend plus crédible aux yeux d’un européen. L’identité islamique de Birahima est établie clairement dans la nature des termes associés à l’islam. Ainsi le terme “Allah’’ est même le premier mot du titre du roman, dénomination de l’Être suprême dans l’Islam, le créateur de l’Univers et dans l’imaginaire des africains. Le nom de Birahima est aussi un nom islamique. Un autre terme qui témoigne de la croyance islamique est “Wallahé’’, c’est-à-dire “Au nom d’Allah’’, un terme répété constamment tout au long du texte. Le personnage dénigre plutôt le nom d’Allah d’une manière ironique au lieu d’affirmer sa grandeur et sa justice. Il tourne en dérision la croyance en Allah par la manière dans laquelle les normes religieuses sont enfreintes dans les pays dévastés (Liberia et Sierra Leone) par la guerre et la corruption.
L’auteur utilise le mot “gnama’’, étant conscient du fait que c’est un mot d’origine malinké : « (Gnama est un gros mot nègre noir africain indigène qu’il faut expliquer aux Français blancs. Il signifie, d’après Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire, l’ombre qui reste après le décès d’un individu. L’ombre qui devient une force immanente mauvaise qui suit l’auteur de celui qui a tué une personne innocente.) »
En essence, le langage utilisé par Birahima dans ce roman, peut être décrit comme une “salade linguistique’’ c’est-à-dire un pêle-mêle composite (varié) par diverses sources lexicologiques et “pimenté’’ avec des expressions spécifiques africaines et des proverbes.
Pour conclure, nous pouvons dire que le langage de Birahima est caractérisé par la vulgarité, des insultes (langage ordurier), des exagérations délibérées, l’humour, le sarcasme, aussi que des proverbes et des syntagmes avec du continu scatologique qui normalement se trouvent dans un contraste visible avec le personnage de dix ou douze ans. Le langage du narrateur-enfant par sa structure syntaxique est loin des normes du français classique.
Selon Pierre Dumont, « La langue de Kourouma est le résultat d’une transgression, mais cette fois-ci toute trace de remords a disparu. Ahmadou Kourouma, peut-être naïvement, décide d’emprunter les outils du clan normatif francophone, les dictionnaires, pour s’octroyer le droit d’écrire sa langue, celle d’un véritable écrivain sûr de lui, sûr de son talent, sûr de son succès ».
De même, Daniel Delas note le fait que son engagement social place son écriture en dehors des modèles académiques français ; Delas parle dans son travail, d’une « malinkisation somnambulique » qui réside « à malmener le français simple, neutre et sans relief appris à l’école » dans le but de « farcir le récit de calques proverbiaux malinkés […] donnant à son texte une dynamique africaine puisque la joute par proverbes est très vivante dans le rituel du dialogue social en Afrique de l’Ouest, en particulier dans les séances de palabre ».
De ce fait, les œuvres de Kourouma font remarquer l’alternance de deux cultures : l’Occident et l’Afrique développent des espaces culturels insécurisés. Cette rivalité s’impose aussi dans la dichotomie : Islam versus Christianisme. En conséquence, on assiste à une confrontation religieuse dans Allah n’est pas obligé, mais aussi à des différences culturelles : la conception différente de la vie et de la mort dans Les Soleils des indépendances. Selon Bourdieu, chaque champ a ses propres règles de fonctionnement. Dès lors, le champ littéraire influence les autres champs comme, par exemple, le champ politique.
Le défi principal de Kourouma est, comme lui-même l’avoue, de transposer dans le français standard des termes forgés des dialectes négro-africains. Par conséquent, la langue française lui semble en quelque sorte contraignante par sa structure rigide et par ses multiples nuances à laquelle se prête, spécialement tout auteur de fiction littéraire.
Ahmadou Kourouma a choisi de “casser’’ la langue d’ex-colonisateur pour qu’elle puisse exprimer les subtilités des langues africaines. Investiguant la structure du texte, c’est mettre en évidence Kourouma comme écrivain francophone ; étudier son “background’’ spirituel signifie le prendre comme un véritable écrivain africain.
La reconnaissance symbolique de la valeur littéraire de l’écrivain
Selon la théorie de Bourdieu, l’œuvre de Kourouma se plie sur les principes du marché de consommation, respectivement de la demande et de l’offre, tant qu’il résulte des chiffres de ventes des deux romans. Si au début le romancier ivoirien a été apprécié seulement par un public restreint formé des « initiés », plus tard ses romans sont devenus beaucoup plus populaires et plus accessibles au large public de France et d’ailleurs. Ceci relève de la théorie déjà mentionnée – la reconnaissance symbolique de la valeur littéraire de l’écrivain. Cette reconnaissance n’est pas identique avec la réussite commerciale et suppose du point de vue de public plus ou moins avisé, une perspective par rapport à l’objet commercial appelé “livre’’. C’est pour cette raison que Bourdieu a introduit le concept de la distance symbolique et non physique en se rapportant au marché économique du livre.
Pour illustrer concrètement ce que nous avions mentionné jusqu’ici, on peut souligner le fait que le premier roman de Kourouma Les Soleils des indépendances, publié en 1965 a été refusé par les éditeurs parisiens (le refus est lié à des questions de forme), car Kourouma “rompt’’ les structures traditionnelles de la langue française exigées par la morphologie ou la syntaxe pour créer de nouvelles formes. Ainsi ; il pratique une écriture marginale et de rupture pendant que Allah n’est pas obligé, prix Renaudot et Goncourt des lycéens en 2000 a connu un grand succès commercial.
Dans son article, Claude Caituculo rappelle clairement le refus du premier roman de Kourouma et le revirement par les éditeurs français en soulignant la difficulté de pouvoir publier à cause de la “malinkisation’’ du français. Cette critique littéraire signale aussi la valeur littéraire de l’écrivain ivoirien.
On connaît le sort réservé au premier roman d’Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances : refusé par les éditeurs français, sans doute au motif qu’il n’est pas convenablement écrit, il paraît au Québec, où paradoxalement, il reçoit le Prix de la Francité. Mieux encore, il est édité deux ans plus tard par les Éditions duSeuil et reçoit le Prix de l’Académie française.
Donc, pour voir sa consécration, il a fallu attendre plusieurs années pour détenir l’unanimité des votes du jury des grands prix pour la littérature dans l’Hexagone. De fait, on se rend compte de la manière dont le message d’un écrivain ne se superpose pas d’emblée sur l’attente du public et qu’on a besoin de temps et de persévérance. Kourouma et Bourdieu alimentent eux tous un champ littéraire centripète et centrifuge.
Grâce à la qualité de ses œuvres, Ahmadou Kourouma reçoit de nombreux prix littéraires : en 1970, le prix de la Fondation Maille-Latour-Landry de l’Académie française pour le roman Les Soleils des indépendances ; prix des Études françaises des Presses de l’Université de Montréal en 1970 pour une première légitimation internationale de Les Soleils des indépendances ; en 1999, le prix du livre France Inter pour le roman En attendant le Vote des bêtes sauvages ; en 2000, le prix Jean Giono, pour toutes ses œuvres littéraires ; le prix Renaudot, le prix Goncourt des Lycéens en 2000 et le prix Amerigo Vespucci pour son roman de grand succès commercial Allah n’est pas obligé. Au sujet de l’attribution du prix Renaudot en 2000 à Ahmadou Kourouma, l’écrivain ivoirien Bernard Dadié affirmait : « C’est une très bonne récompense pour les Ivoiriens et les Africains. Cela apporte beaucoup à la francophonie car c’est la reconnaissance de la variété de la langue française qui n’est pas seulement cantonnée au français grammatical mais aussi aux accents, aux dialectes. »
Kourouma soutenait :
Mon problème d’écrivain francophone est de transposer en français des paroles créées dans une langue orale négro-africaine, des œuvres qui ont été préparées pour être produites, pour être dites oralement. Je me heurte à des difficultés. La langue française m’apparait linéaire. Je m’y sens à l’étroit. Il me manque le lexique, la grammaticalisation, les nuances et même les procédés littéraires pour lesquels la fiction avait été préparée.
Les nombreux prix reçus et les nombreuses rééditions montrent que l’auteur ivoirien est un écrivain reconnu symboliquement dans le domaine de la création littéraire en Afrique. Les œuvres littéraires de Kourouma, notamment Les soleils des indépendances, font partie du programme de l’enseignement en Afrique et en Europe. En d’autres mots, sa production littéraire s’inscrit dans le champ symbolique des valeurs légitimes du bien spirituel négro-africain francophone. Il “viole’’ le français pour s’attacher au champ symbolique littéraire francophone qui a comme fondement la diversité linguistique. Dans le même ordre d’idées, l’œuvre Allah n’est pas obligé, grâce à sa traduction en anglais s’inscrit dans l’universalité, par le partage de la culture malinké avec les lecteurs de tous les horizons.
Le succès littéraire réalisé par l’écrivain ivoirien lui confère une « autonomie » à l’égard des instances de légitimation, car son succès devant le public représente son statut d’avoir « un nom » dans le champ littéraire : « la seule accumulation légitime […] consiste à se faire un nom, un nom connu et reconnu, capital de consécration impliquant un pouvoir de consacrer. » Le succès commercial est donné par le numéro des tirages des livres, les prix, qui, pour Kourouma représentent une reconnaissance symbolique, une ascension dans le champ littéraire francophone, une notoriété grandissante. Le principal apport de l’œuvre kouroumienne dans l’espace de la francophonie est représenté par le potentiel innovateur de son style. Dans ce sens, selon l’écrivain ivoirien Bernard Dadié, Ahmadou Kourouma a le grand mérite d’avoir enrichi la langue française par le recours au lexique local, aussi que par l’impression de l’oralité que révèlent ses écritures romanesques.
CHAPITRE IV : La spécificité de Kourouma dans le champ littéraire francophone africain
Kourouma n’est pas le seul auteur ayant marqué la littérature francophone africaine. A cet effet, il est méthodique d’analyser l’apport de ce romancier ivoirien eu égard aux critiques d’autres écrivains et par rapport à la théorie des champs de Bourdieu.
Les œuvres critiques sur Ahmadou Kourouma
Plusieurs critiques littéraires ont fait des études sur les œuvres d’Ahmadou Kourouma. Du point de vue de critiques, Kourouma a connu une consécration rapide, étant proclamé unanimement comme un auteur génial, en dépit de son écriture parsemée d’africanité. Des critiques comme Mahamadou Kane, Jacques Chevrier, Bernard Mouralis apprécient plus que tout autre chose, la modernité de l’œuvre kouroumienne, modernité qui se fait évidente par le refus de clichés et des répétitions inutiles.
Dans ses derniers moments de vie et de sa mort en 2003, des numéros spéciaux de revues lui sont dédiés, comme Présence francophone (2002), Notre Librairie (2004) ainsi que des centaines d’articles critiques dans des revues savantes, montrent que la critique littéraire sur ses œuvres est riche et continue. Il est connu le fait que la consécration littéraire de ses récits dans le champ littéraire francophone semble être dans une grande mesure atypique. Par conséquent, les champs de l’écriture sur les œuvres kouroumiennes sont alors multiples.
Le but de certaines critiques africaines ou françaises comme Nkasham Ngandu, Makhily Gassama, Jean-Claude Blachère, est centré sur la question du bilinguisme dans le roman négro-africain, c’est-à-dire sur l’étude de la langue utilisée dans les romans. Il y a peu de temps, en 2002, Albert Gandonou propose une analyse basée sur la langue, en se détachant des approches précédentes. Ainsi, nous avons affaire avec une démarche stylistique, plutôt que thématique. Dans son ouvrage critique, il affirme :
Nous voulons jeter un regard sur la littérature africaine de langue française, en faire une autre lecture ; étudier non plus seulement ses thèmes pour eux-mêmes ni même pas ses rapports avec les traditions africaines si glorieuses et si riches, mais son écriture, c’est-à-dire l’usage qu’elle fait de la langue de Molière, son évolution dans cet usage et ses rapports avec la littérature française de France. […] Cette approche grammaticale délibérée sera au besoin complétée par certains recours à une discipline assez voisine : la stylistique.
On y déduit le but des critiques qui est celui d’étudier premièrement le style de la langue et comme une annexe les rapports de la littérature africaine de langue française avec la littérature française proprement dite. En conséquence, ces critiques ne se limitent pas sur l’étude de la thématique proprement dite vue en rapport avec les traditions glorieuses de l’Afrique, mais en premier lieu ils étudient la manière dans laquelle l’auteur utilise la langue de Molière (le français standard).
Le premier roman d’Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances représente une évolution vis-à-vis du modèle classique projeté des colonisateurs français en ce qui concerne les productions littéraires et artistiques. Le style de Kourouma s’avère être une source inépuisable de maîtrise linguistique pour chaque homme de lettres, chercheur. Dans cette optique, Peter Wuteh Vankuta nous offre une perspective originaire sur la littérature postcoloniale dans la citation suivante :
Postcolonial Francophone literatures exist at the interface of French as a hegemonic language and its many regional variants that transform this corpus of writing into hybrid literature. Linguistic hybridity compounds the reading and teaching of Francophone literatures of Africa and the Caribbean.
Les littératures francophones de l’ère postcoloniale représentent une interface du français dans sa qualité de langue hégémonique. Dans ce sens, il se produit une hybridité linguistique, c’est-à-dire une adaptation du français standard, d’après les diverses variantes régionales comme celles africaines ou caraïbes.
Makhily Gassama dans son ouvrage « La langue d’Ahmadou Kourouma ou le français sous le soleil d’Afrique », dédie un chapitre au style nouveau du Kourouma dans Les soleils des indépendances – « Qui n’est pas malinké peut l’ignorer ». Makhily Gassama souligne le fait que les œuvres écrites par Kourouma sont « une source fraîche dans le désert des errements politiques un lieu de mémoire et d’espérance dans les désastres qui dévastent les sociétés africaines, un refuge de la dignité. ». Ainsi ; la critique littéraire met en lumière l’œuvre de Kourouma comme une réaction contre les régimes politiques africains post-indépendants, tout en satirisant les États modernes d’Afrique. De même, il affirme que l’auteur ivoirien a rendu « socialement et linguistiquement [hommage à] l’univers malinké des “Indépendances’’ sans, pour autant, renoncer à l’usage du français », car dans ses œuvres, Kourouma n’a pas aucune intention de transposer le discours malinké.
Le lecteur est troublé et c’est pourquoi nous osons parler d’images kaléidoscopiques : le même terme ou la même expression se charge de plusieurs images que nous voyons s’agiter l’une après l’autre ; pour charger le mot ou l’expression, Ahmadou Kourouma puise à la fois dans les ressources que lui offrent la langue et la culture française, la langue et la culture africaines, et parvient ainsi à provoquer un effet de style qui ne pourrait être provoqué autrement. Le mot, ainsi chargé à bloc, parfois surchargé, devient images et exprime plus qu’il ne saurait le faire le français en malinké.
Nous pouvons parler dans le cas de Kourouma, d’une image débordante ; l’auteur nous propose une vraie sarabande visuelle et stylistique avec des images qui s’enchaînent l’une après l’autre comme les figures géométriques d’un tube kaléidoscopique. Ici nous pouvons parler du potentiel du vocabulaire utilisé à transmettre des images vivantes, directement dans le cerveau du lecteur. En effet, Kourouma ne se proposé pas de faire un acte de partisan vis-à-vis de la culture et de la tradition malinké mais plutôt son but est de présenter une création qui absorbe dans son ensemble la pluralité de plusieurs cultures et plusieurs fils narratifs présentés simultanément.
Dans la même optique, le critique Ahmadou Koné, dans son article « L’effet du réel dans les romans de Kourouma », étudie minutieusement la question de la représentation du réel dans les œuvres kouroumiennes.
En réalité, l’africanisation de la langue française n’est pas une simple technique rhétorique, une recherche artificielle d’effets stylistiques. Elle obéit à une nécessité de traduire la complexité de la réalité africaine qui est différente selon les perspectives sous lesquelles elle est vue, selon la culture à laquelle appartient le personnage qui voit et qui parle. La création de ces effets de réel subtils me semble être l’innovation la plus importante et le plus grand apport du Kourouma au roman africain.
L’œuvre kouroumienne a le grand mérite d’utiliser la langue française dans le but de transposer dans une manière raffinée et complexe l’univers africain. Par conséquent, des nombreuses syntagmes et expressions françaises présentes dans ses romans, ne sont pas des simples édifices rhétoriques mais elles sont de nature à innover et d’enrichir la vision sur le monde spécifique à ses personnages. Dans ce sens, le langage a le rôle de traduire fidèlement les subtilités aussi bien que les atrocités de l’histoire des pays africaines.
Selon les observations pertinentes du critique Alpha Ousmane Barry, l’œuvre de Kourouma peut être réduite à une sorte d’exposé réaliste et impitoyable sur les réalités socio-politiques africaines.
L’écriture chez Kourouma est le reflet de la faillite politique de l’Afrique des indépendances, ainsi que celui de tous les autres romans de l’écrivain ivoirien, est marqué par les dérives totalitaires et l’enlisement dans le sous-développement. Ainsi, tout se passe comme si la quête et le conflit de culture, point focal de l’attention des écrivains dela première génération, cédaient la place à la satire sociale et politique chez Kourouma.
Si on serait censé de faire une synthèse ponctuelle des romans de Kourouma, cette-ci se situerait sous le signe de la “faillite’’ idéologique, culturelle et économique des régimes autoritaires qui ont prolongé des zones entières de l’Afrique dans le sous-développement. En outre, un seconde principe directeur de l’œuvre est constitué par la satire acerbe surtout celle sociale qui remplace graduellement le choc culturel.
À partir de ces caractéristiques, Kourouma assume le mérite tout aussi le risque d’attirer l’attention générale du public sur la situation désastreuse dans laquelle se trouve tout un continent, situation ou conséquence d’une expérience échouée sinon tragique, ou encore résultat de l’intrusion du politique sur la vie privé de l’individu.
Le niveau intellectuel comme écart différentiel entre Bourdieu et Kourouma
Bourdieu, un grand sociologue contemporain – ces travaux font école en sociologie, en science politique, en anthropologie – un professeur du prestigieux collège de France dont rêve tous les grands intellectuels français.
Kourouma a fréquenté l’école française – étude aéronautique (domaine de l’ingénierie moins développé dans l’Afrique de son temps) – ce qui l’éloigne d’une comparabilité en termes de champ intellectuel. Mais il a forgé son personnage littéraire à travers la valeur de ses œuvres. En caricature, on peut dire que Bourdieu emprunte à Kourouma la notion de champ (peut-être sans le savoir) mais lui retranche l’écriture scientifique comme Bourdieu peut l’entendre avec des concepts clés comme champ, habitus, reproduction sociale, etc. – conceptualisation théorique chez Bourdieu – faits relatés chez Kourouma–. Dans la même perspective, il faut souligner le fait que la théorie du champ littéraire initiée par le sociologue français Pierre Bourdieu est dans un milieu socio-littéraire distinct de celui de l’Afrique de l’Ouest. On assiste donc à une interférence entre le champ politique et le champ culturel.
Dans le paysage littéraire négro-africain, Ahmadou Kourouma reste un cas atypique. Face aux malheurs de l’Afrique, l’écrivain ivoirien fait appel aux forces du langage. Il écrit dans la période où la plupart des écrivains négro-africains attribuent une importance particulière pour le message, Kourouma, comme on a déjà mentionné, fait des études aéronautiques, il n’a pas donc une formation littéraire. Dans un entretien avec Michèle Zalessky, l’écrivain ivoirien, précise des détails en ce qui concerne sa vie professionnelle et le choix de la langue française “malinkisée’’ dans ses romans :
Par ma formation, je ne suis pas littéraire mais mathématicien ; aussi me suis-je toujours senti libre, tranquille et à l’aise vis-à-vis du français. Je n’ai pas eu peur de transgresser (…) Il me fallait m’approcher d’une façon d’aborder les idées qui correspondent au rythme de la phrase malinké. Si Fama s’exprimait en français classique, cela donnerait une fade traduction de ce qu’il pensait ; en revanche si les mots se suivaient dans la succession malinké, si je pliais le français à la structure de notre langue avec le respect de ses proverbes et de ses images, alors le personnage apparaissait dans sa plénitude.
Sa carrière professionnelle réside dans les assurances bancaires. Donc, il n’a pas eu (peut-être) des complexes ou des inhibitions pour le fait de “bien écrire’’. Il a pris la voie de la littérature par hasard. Malgré sa formation professionnelle qui ne le prédisposait pas à la littérature, son œuvre ne se résume pas à une écriture imitative (une imitation des œuvres originales d’autres écrivains négro-africains), ou d’une reproduction de la multitude de langues parlées en Afrique, mais d’un langage particulier et significatif dans le champ des écrivains africains.
Pour, Ahmadou Kourouma peut être considéré comme un « intellectuel total » ou dans de termes littéraires, un « écrivain total », malgré son parcours atypique : sa carrière dans le domaine des assurances, son absence de formation littéraire, son participation à la guerre d’Indochine.
En outre, on peut soutenir que les intellectuels africains de son temps avaient une culture générale dense au point qu’il n’a pas besoin d’une formation littéraire avant d’écrire comme un vrai littéraire ou encore mieux plus qu’un littéraire formé à cet effet. De plus, il est évident que Bourdieu ne peut pas écrire comme Kourouma puisque Bourdieu est un vrai spécialiste des sciences sociales et dans les lettres françaises, on ne peut admettre d’un point de vue stylistique des mots venant d’autres langues locales autres que l’anglais, l’espagnol, etc. En un mot, par un détour Kourouma s’inspire consciemment ou inconsciemment de Bourdieu, ce qui fait que leurs champs s’entrecroisent.
La civilisation de l’oralité et la littérature francophone africaine
La littérature africaine peut être définie comme la totalité des œuvres littéraires du continent noir, ayant comme fondement la culture et la civilisation des Africains. C’est une littérature écrite en français, en anglais ou en portugais, écrite par des Africains ou par des étrangers. Elle est connue, en général, comme une littérature d’engagement et de combat. La littérature orale est transmise par des générations de griots et représente les archives de la communauté africaine. La culture orale englobe plusieurs genres : le conte, la fable, le proverbe, la devinette, l’épopée, la légende, le mythe, le chant rituel, la poésie guerrière, la poésie funèbre, les litanies familiales, etc.
Les œuvres littéraires des écrivains noirs sont l’expression de leur culture et du vécu d’une nation. Le retour à leur propre culture orale est fait avec une fierté, car il est connu le fait que pendant plusieurs siècles les Africains ont été traités comme esclaves, et après, comme des êtres inférieurs à la race européenne. Cette fierté est ouvertement exprimée par W.E.B. Du Bois le Noir américain qui disait ces mots pleins de sens : « Je suis nègre, et je me glorifie de ce nom ; je suis fier du sang noir qui coule dans mes veines ».
La littérature francophone africaine se développe pendant la colonisation quand il s’agit d’un fort contact entre la tradition orale africaine et le français. Il est bien connu que avant l’apparition de la littérature écrite, l’Afrique avait une littérature traditionnelle (fables, contes, poésie orale, etc.) basée sur l’oralité.
Dans cette optique, selon les historiens de la littérature africaine, notamment Jacques Chevrier dans son ouvrage La littérature nègre ou Roger Chemain, dans son ouvrage L’imaginaire dans le roman africain, de point de vue thématique nous pouvons distinguer trois phases d’évolution du roman africain :
“Les romans de contestation’’ : Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances ; Sony Labou Tansi, La vie et demie, Olymphe Bhéli-Quenum, Un piègesans fin ; Ferdinand Oyono, Le vieux nègre et la médaille, Une vie de boy ;
“Les romans de combats’’: Sembene Ousmane, Les Bouts de bois de Dieu ; Mongo Beti, Remember Rubin et La ruine presque cocasse d’un polichinelle ;
Il faut noter que les romans de contestation et de combat empruntent le réalisme balzacien. Ils sont écrits sous forme d’un conte et le romancier est un créateur omniscient.
“Les romans initiatiques’’ : Alioum Fantouré, Le Cercle des tropiques et Le Récit de cirque de la vallée des morts, Samuel Mvolo, Les Fiancés du grand fleuve ; Camara Laye, Le regard du roi.
D’auprès de nombreux travaux sur l’histoire de la littérature francophone, nous pouvons retenir trois moments principaux en ce qui concerne le rapport entre l’écrivain francophone et l’histoire :
Le premier moment (les années 1916-1980); Les premières années de la littérature africaine ont été sous le signe des événements historiques comme l’esclavage ou la colonisation qui ont duré des siècles. La littérature africaine francophone date avec les œuvres d’Ousmane Socé, Karim (1935) et Mirages de Paris (1937).
Le deuxième moment (les années 1980) ; c’est la génération d’écrivains africains francophones dont les récits marquent une rupture avec la période antérieure ; on assiste à une réécriture de l’histoire romanesque qui fait allusion à l’histoire contemporaine postcoloniale critiquant les pouvoirs dictatoriaux et les régimes autoritaires en Afrique (Ahmadou Kourouma, Mongo Béti, Sembène Ousmane, Sony Labou Tansi, Ken Bugul, etc.).Ces écrivains s’adressent au monde entier et pas seulement à l’Afrique : « Longtemps marquée par la Négritude et l’engagement politique, la littérature africaine semble opérer une mutation radicale. Des auteurs, nés après les indépendances, revendiquent l’universalité d’un art qui ne dit plus seulement l’Afrique mais le monde. Leurs œuvres écrites à la première personne révèlent de nouveaux combats. »
Le troisième moment (à partir de 1990) ; c’est la période des écrivains de la diaspora africaine qui ont influencé les années 1990 par leur écriture qui traite des thèmes comme l’exil, l’exclusion (Saïdou Bokoum, Alain Mabanckou, Daniel Biyaoula, etc.)
Ahmadou Kourouma appartient à l’époque 1960-1980, période littéraire dans laquelle la plupart d’écrivains africains dénoncent le néo-colonialisme et la corruption. Cette période littéraire est connue comme celle “des écrivains de la seconde génération’’.
Dans l’œuvre d’Ahmadou Kourouma, la tradition occupe une place privilégiée qui coïncide avec la culture africaine précoloniale. Le thème de la tradition est aussi présente comme chez plusieurs auteurs africains : chez le romancier et ethnologue béninois Paul Hazoumé, dans son œuvre Doguicimi (1938) ou chez le romancier burkinabé Nazi Boni, dans son œuvre, Crépuscules de temps anciens (1962). Il faut noter que Kourouma décrit ce thème de la tradition un demi-siècle après l’auteur béninois, pendant une période post-colonisatrice. Mais, l’objectif de Kourouma n’est pas de démontrer les pratiques africaines aux Occidentaux comme chez Hazoumé, ni de faire savoir la tradition aux Africains comme chez Boni, car Kourouma n’aborde pas cela comme un ethnologue qui montre son érudition. Dans le cas du romancier ivoirien, ses personnages se servent de la tradition pour accomplir leurs ambitions ou d’échapper des situations problématiques.
Lilyan Kesteloot, dans son ouvrage Histoire de la littérature négro-africaine, met l’accent sur la littérature écrite moderne d’expression française, en soulignant le fait que la littérature orale représente le « fondement et véhicule de la civilisation du continent et des diverses cultures […] un des paramètres clé de leur écriture ».
L’oralité est très présente surtout dans le roman Les soleils des indépendances. Cette œuvre est parsemée avec des éléments de la littérature orale : proverbes (sous la forme de belles pensées, de dictons), contes, chansons, etc., l’écrivain démontre un biculturalisme, une néologie à part. Dans le roman En attendant le vote des bêtes sauvages, on retrouve le donsomana, un chant des chasseurs. En ce qui concerne Allah n’est pas obligé, il narre les événements comme un“ vrai’’ griot ainsi le lecteur s’imagine être devant un griot-conteur : « Asseyez-vous et écoutez-moi. Et écrivez-vous tout et tout. » Dans les sociétés africaines, le griot est comme un poète dépositaire de la mémoire collective, de l’histoire de la communauté qu’il est chargé de diffuser aux nouvelles générations afin de perpétuer la tradition. Le griot est alors présent lors des grandes fêtes villageoises, de l’intronisation d’un chef, d’un mariage, etc.
Mais il convient d’en préciser que l’écriture kouroumienne tente à “insuffler’’ les formes de l’oralité malinké dans l’écriture française. Pour Kourouma, « le proverbe est le cheval de la parole ; quand la parole se perd, c’est grâce au proverbe qu’on la retrouve. », une marque particulière de son écriture. Grâce aux proverbes, qui représentent un élément de style dans ses romans, l’auteur ivoirien éclaire le déroulement des évènements et l’évolution des personnages. Par conséquent, le proverbe chez Kourouma est une technique narrative originale qui met en lumière l’enracinement de l’auteur dans la culture africaine malinké, la “belle-parole’’ du peuple.
L’oralité en tant que caractéristique principale du roman Allah n’est pas obligé, est visible en premier lieu par le recours fréquent aux certains procédés stylistiques universellement reconnue comme par exemple les points de suspension tout aussi comme le recours à certains syntagmes personnels comme par exemple :
Et d’abord… et un… M’appelle Birahima. Suis p’tit nègre. Pas parce que suis black et gosse. Non ! Mais suis p’tit nègre parce que je parle mal le français. C’é comme ça. Même si on est grand, même vieux, même arabe, chinois, blanc, russe, même américain ; si on parle mal le français, on dit on parle p’tit nègre, on est p’tit nègre quand même. Ça, c’est la loi du français de tous les jours qui veut ça.
“Et d’abord’’, “et un’’ ; ces expressions ont le rôle de ponctuer ou d’indiquer un certain état d’incertitude permanente de la part du personnage enfant-soldat ; de plus, le fait que le protagoniste fait référence à lui comme étant un petit nègre qui ne parle pas bien le français souligne une certaine dose solide d’auto-ironie et un certain scepticisme devant le monde, devant la réalité. L’utilisation du “ça’’ indique l’oral familier qui est très fréquent dans le langage des enfants ; mais “ça’’ n’a rien des langues africaines, il est parfaitement français.
D’un point de vue sociologique, on note que : « à une langue correspond une littérature, à l’intérieur d’une référence commune à la Langue et à la Littérature française, les variétés régionales de la langue, témoins des identités culturelles, doivent forger leur propre champ de symbolisation pour se donner à lire pour telles ».
L’Afrique a découvert l’écriture avec la colonisation ; Kourouma semble se positionner dans un dilemme ou dans une fausse acceptation d’où ces œuvres empruntent des mots de sa langue Malinké. Mais Kourouma ne fait que relater la vie quotidienne des Africains puisque en dehors de quelques langues comme le Swahili, le Nigala (Congo) les langues nationales en Afrique demeurent des langues parlées plutôt que écrites. Aussi bien dans les administrations, dans la rue, dans les restaurants, etc. les Africains échangent surtout dans leurs langues nationales sans développer une vraie écriture qui s’impose à la littérature francophone en pleine croissance, elle-même retardée vis-à-vis de la portée de la langue anglaise. Sur ce point la littérature africaine n’est-elle pas en perte de vitesse ? Imaginons que les roumains ne font que parler leur langue et écrivent en français, en anglais, en espagnolouen italien il est fort possible qu’une littérature roumaine ne serait pas enseignée dans les facultés de lettres ; mieux la culture roumaine serait en perte d’identité.
Pour conclure, à travers les romans d’Ahmadou Kourouma, on peut déceler l’expression d’une culture hybride qui mélange la culture malinké traditionnelle qui a comme fondement l’oralité et la culture occidentale basée sur l’écriture. L’écrivain ivoirien montre une liberté irréprochable de l’intégration des styles oraux du malinké dans le texte français, et ainsi dans le filtre du champ littéraire français on peut déceler une pluralité contemporaine car ses œuvres ouvrent « la voie à une plus grande pluralité contemporaine ». Dans le sens bourdieusien, Kourouma a pu se donner un capital symbolique grâce à ses œuvres. Les malinkés sont des acteurs principaux de son champ littéraire.
CONCLUSIONS
L’Afrique noire est un espace hétéroclite de cultures, de langues, de religions, de symboles, de mythes, etc., en un mot de représentations sociales.
De par son statut épistémologique, les représentations sociales sont au cœur de deux types de savoirs : le savoir homologué (pensée scientifique) et le savoir non homologué (pensée naturelle). En ce sens, penser par exemple que dans les sociétés africaines où mythes, symboles et rites expliquent surtout l’organisation sociale ; il n’y a pas de savoir scientifique à partir des représentations sociales est une erreur épistémologique. C’est d’ailleurs, l’erreur méthodologique qu’avaient commis les premiers anthropologues occidentaux dans l’étude des sociétés africaines et indiennes. Dans ces sociétés, il faut donc reconnaître qu’en dehors de la rationalité au sens cartésien du terme, de nombreux faits sociaux s’expliquent par la mythologie, les symboles et peuvent être objet de construction scientifique dans une perspective positiviste.
En ce qui concerne l’imaginaire africain notamment malinké, il est de fait que l’homme est une créature divine qui se trouve dans un contact constant avec les forces naturelles qui l’encerclent. La vie et la mort sont deux réalités indissociables. Au-delà de cet aspect présent chez Kourouma, il faut noter que la littérature francophone postcoloniale du continent noir est fortement liée à la situation politique de l’Afrique qui se trouve sous le signe de l’instabilité. La Côte d’Ivoire, le pays maternel d’Ahmadou Kourouma, représente l’un des exemples du chaos postcolonial.
Ainsi, pour la littérature francophone africaine, Ahmadou Kourouma représente une identité “revendiquée’’par Birahima, car : « Les Malinkés, c’est ma race à moi. » Il a réinventé une langue pour se rapprocher de la vérité des sociétés africaines. De plus, par l’intermède de son personnage-narrateur Birahima évoque la racine de tous les maux et tous les conflits sociaux d’Afrique d’hier et d’aujourd’hui. La principale cause serait la problématique de l’identité sous ses multiples aspects : racial, ethnique, religieux et idéologique. Cette réalité est aussi présente dans les sphères économiques et capitalistes ; ce qui a comme résultat la division de la société en deux pôles : ceux très pauvres et très riches ou entre ceux éduqués et ceux analphabètes. La marginalisation sociale et même l’exclusion sont alors des maux qui minent les sociétés africaines surtout que des dirigeants s’accaparent des biens publics ou les transforment en des biens privés et personnels distribués aux proches et à des occidentaux complices.
Les quatre romans de Kourouma mettent en lumière toute l’histoire de l’Afrique subsaharienne. Par le filtre du regard critique, l’auteur dénonce les dirigeants africains, mais en même nous fait découvrir l’Afrique avec ses traditions. Le romancier s’inscrit dans la littérature africaine comme un auteur engagé et inventif par son style d’écriture, qui a réussi à faire du neuf sans renoncer à l’ancien, d’où il a participé au renouvellement des thématiques et de l’actualité de la littérature africaine subsaharienne.
Les satires politiques d’Ahmadou Kourouma sont parsemées avec des proverbes et des sentences régionaux qui mettent en scène les réalités tristes du continent noir : les guerres ethniques et civiles, les abus des enfants, le vol, le viol, etc. Avec son style original, son sens de l’humour, son don de raconter l’histoire, son humanisme, sa haine pour les atrocités et son abnégation à la liberté, le romancier ivoirien figure parmi les grands humanistes du XXe siècle quand bien même il n’a pas droit à un Prix Nobel de Littérature.
Entre autres, Ahmadou Kourouma dans son discours mêle l’histoire et la fiction par l’intermède de l’usage de certaines techniques narratives complexes comme par exemple le “flash-back’’ (le retour en arrière), les passages humoristiques tout aussi comme l’appel à une voix auctoriale pareille à celle du picaro espagnol de l’époque baroque . On retrouve le picaro dans les textes comme La vie de Lazarillo de Tormes (texte anonyme, 1554), La vie de Guzman d’Alfarache de Matéo Alemán (première partie 1599, deuxième partie 1604), et celui français, Histoire de Gil Blas de Santillane, de Alain-René Lesage (écrite entre 1715-1735, publiée en 1747). Cette voix auctoriale a pour le rôle de protester contre l’injustice sociale.
À partir de ces observations, nous pouvons conclure que Allah n’est pas obligé, loin d’être une simple œuvre de fiction, il s’avère être un rapport historique sur les guerres civiles de Liberia et Sierra Leone, des guerres qui ont détruit les vies et les destins de millions d’enfants ; mais Birahima, le narrateur enfant-soldat représente justement cette voix qui a survécu des innocentes victimes de la sauvagerie et de la cupidité des adultes. Le fait que le roman est narré à la première personne présume une participation active de la part l’auteur qui s’identifie avec le protagoniste. De même, il met en évidence la volonté de Kourouma de privilégier le réalisme historique, au dépend de la simple fiction. Dans ce sens, Birahima est à la fois protagoniste et témoin oculaire actif au massacre des guerres ethniques et civiles.
Le rendement fidèle des atrocités humaines du point de vue de ce témoin oculaire participant représente essentiellement une véritable chronique des événements historiques qui caractérise les guerres politico-ethniques, à partir de la fin des années 1980 et continuant avec le début du XXIe siècle. Par conséquent, le langage du narrateur va osciller entre réalité et fiction, et la vérité sur l’absence de la raison religieuse et sur la sauvagerie des gens est racontée par la voix d’un enfant pour dénoncer les erreurs des adultes dans le but d’acquérir le pouvoir sur le plan socio-économique aussi bien que sur le plan politique. Cela présente aussi un aspect psychologique demandant aux adultes une prise de conscience des actes posés qui détruisent des vies innocentes.
Son premier roman, Les soleils des indépendances, en 1965 refusé par les éditeurs parisiens, publié en 1968 au Québec, avant d’être repris par le Seuil, en 1970, avait fait de lui un grand classique africain. Aussi, le prix pour En attendant le vote des bêtes sauvages (prix Inter), et pour Allah n’est pas obligé (prix Renaudot), ont largement élargi le public du romancier ivoirien.
Dans le champ littéraire africain, les récits de Kourouma jouent avant tout, le rôle d’un combat politique en mettant en scène ses héros Fama Doumbouya et Birhamina pour dénoncer la corruption de pouvoirs africains. Avec le renouvellement formel qui est caractérisé par l’oralité (innovation narrative) et le lexique malinké (innovation stylistique), Kourouma s’inscrit dans la tendance contemporaine, en s’opposant aux recettes de la langue de l’Hexagone “politiquement correcte’’. L’oralité si présente dans la littérature francophone africaine met en relief la valeur de la culture traditionnelle dans le champ littéraire.
À travers notre étude Les romans négro-africains d’Ahmadou Kourouma : un emprunt du concept de champ littéraire et politique chez Pierre Bourdieu, la théorie du champ littéraire et politique initiée par Pierre Bourdieu a permis dans notre étude de renouveler l’analyse des œuvres littéraires de l’écrivain ivoirien. Cette théorie a facilité une approche critique, un regard concret sur les œuvres de Kourouma, sur la reconnaissance symbolique de la valeur littéraire de l’écrivain. Kourouma sans croiser sur son chemin littéraire Bourdieu, c’est-à-dire sans l’avoir lu puisque ne le mentionne nulle part, fait du champ littéraire théoriquement discuté par Bourdieu un champ empiriquement fondé dans le contexte sociologique des peuples de l’Afrique noire francophone. Dans le fond, c’est le but recherché par la présente étude qui révèle toute la complexité de l’étude des champs littéraires hors de leur contexte initial.
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Acest articol: Le Champ Littéraire Bourdieusien Inter Relié Au Champ Politique de Kourouma (ID: 117325)
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